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L’avocate des victimes de la dictature Habré objet d’un attentat au Tchad
Human Rights Watch demande au gouvernement tchadien de s’engager clairement à identifier et traduire en justice les responsables de cette agression
(New York, 11 juin 2001)


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Le dossier de l’affaire Habré


Human Rights Watch condamne avec vigueur l’agression dont a été victime lundi 11 juin 2001 à N’Djaména, Maître Jacqueline Moudeïna, militante des droits de l’homme et avocate des partie civiles dans les poursuites engagées contre l’ex-dictateur du Tchad, Hissène Habré et ses complices. Cet attentat aurait été dirigé par un complice de l’ex-président Habré travaillant toujours pour les forces de sécurité de l’état tchadien et qui est l’objet d’une plainte déposée par Jacqueline Moudeïna.

Maître Jacqueline Moudeïna manifestait pacifiquement avec une centaine de femmes devant l’ambassade de France à N’Djaména pour attirer l’attention de l’opinion publique française et internationale sur les irrégularités qui auraient été constatées lors de la réélection, avec plus de 67% des suffrages, du président tchadien Idriss Déby au premier tour du scrutin du 20 mai dernier.

Les forces anti-émeutes de la police tchadienne ont encerclé les manifestants peu après le début de la manifestation dont le but était de remettre un mémorandum à l’ambassadeur de France. Alors que la police s’apprêtait à disperser le groupe dans la violence, Maître Jacqueline Moudeïna, qui venait d’être identifiée par la police, a été prise pour cible et une grenade défensive fut lancée avec précision entre ses jambes. Son explosion marqua le début de la répression violente dont fut l’objet les manifestantes. Les forces de l’ordre ont chargé en utilisant des bombes lacrymogènes; plusieurs coups de feu ont également été entendus. Quatorze manifestantes ont dû être emmenées à l’hôpital.

Maître Jacqueline Moudeïna a été sérieusement blessée à la jambe et au pied droits et des éclats de grenade ont dû être extraits de plusieurs parties de son corps. Elle a été hospitalisée dans une clinique privée de N’Djaména.

Jacqueline Moudeïna est l’une des avocates des victimes de la répression du régime Habré dans les poursuites engagées au Sénégal, en Belgique et au Tchad contre l’ex-dictateur et les membres de la DDS, la Direction de la Documentation et de la Sécurité, sa sinistre police politique.

Human Rights Watch souligne que l’agression contre Maître Jacqueline Moudeïna est intervenue seulement quelques jours après le début de l’instruction des plaintes déposées à N’Djaména contre l’ex-DDS.

Human Rights Watch ne peut que dénoncer le fait que les forces de l’ordre aient été dirigées, au moment de l’attaque, par un ancien haut responsable de la sécurité du régime Habré, Mahamat Wakayé. Monsieur Mahamat Wakayé fait l’objet d’une plainte, actuellement pendante devant la justice tchadienne, pour complicité de crime contre l’humanité et faits de tortures. Dans une lettre envoyée le 14 mai dernier au Président de la République Idriss Déby, Human Rights Watch demandait expressément à ce que le gouvernement tchadien veille strictement à ce que les anciens agents de l’ex-DDS travaillant toujours au sein de l’administration tchadienne ne puissent pas user de leur pouvoir ou de leur influence pour entraver la marche de la justice. La Commission d’enquête sur les crimes et détournements de l’ex-Président Habré recommandait d’ailleurs dès 1992 d’« écarter de leurs fonctions, dès la publication de ce rapport, tous les anciens agents de la DDS réhabilités et engagés dans la DGCRCR (nouvel appareil sécuritaire de l’Etat) ».

Hissène Habré, en exil au Sénégal, avait été inculpé, en février 2000, par un juge d’instruction du tribunal de Dakar, de complicité de crimes contre l’humanité et crimes de torture. Le 20 mars dernier cependant, la Cour de Cassation du Sénégal s’était déclarée finalement incompétente pour juger au Sénégal les crimes perpétrés au Tchad par l’ancien dictateur, du temps où il exerçait le pouvoir (1982-1990). Son régime de parti unique, largement soutenu par les Etats-Unis et la France, fut marqué par une terreur permanente, de multiples abus et de vastes campagnes de violence à l'encontre de son propre peuple. Habré planifia et organisa l’extermination de plusieurs groupes ethniques qu’il percevait comme des menaces à son régime, notamment les Sara et d’autres groupes sudistes en 1984, les Hadjaraï en 1987 et les Zaghawa en 1989. Une Commission d'Enquête, établie par son successeur, a accusé le gouvernement Habré de 40 000 assassinats politiques et de torture systématique.

En novembre 2000, trois victimes de l’ex-président Habré vivant en Belgique ont déposé plainte contre l’ancien dictateur et se sont constituées parties civiles devant les juridictions belges. Une instruction pour crime contre l’humanité, crime de torture, crime d’arrestation arbitraire et d’enlèvement a été ouverte contre Hissène Habré devant un juge d’instruction du tribunal de Bruxelles. Depuis, une dizaine d’autres victimes se sont jointes à ces plaintes. Les victimes ont précisé qu’elles chercheraient à obtenir l’extradition d’Habré vers la Belgique.

Dans le même temps, le 26 octobre 2000, dix-sept victimes ont porté plainte au Tchad pour torture, meurtre et "disparition" contre les anciens directeurs, chefs de service et membres de la DDS. Le 6 avril 2001, le conseil constitutionnel du Tchad estimait que les juridictions tchadiennes de droit commun étaient compétentes pour juger ces plaintes. L’instruction de ces plaintes a commencé au mois de mai 2001 devant le premier juge d’instruction près le tribunal de première instance de N’Djaména.

Human Rights Watch demande instamment aux autorités tchadiennes de tout mettre en œuvre afin que la sécurité de Jacqueline Moudeïna soit assurée et d’ouvrir une enquête qui permettra de dégager les responsabilités dans l’agression dont a été victime l’avocate.