rapports

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VIOLATIONS QUOTIDIENNES DES DROITS DES CITOYENS NIGERIANS


Les violations des droits de l'homme n'affectent pas seulement les classes politiques nigérianes représentant une élite et les personnes impliquées dans des actions de protestations contre le régime militaire. Les citoyens nigérians non engagés politiquement sont également victimes d'actions arbitraires et brutales de la part du gouvernement nigérian sous diverses formes et de façon quotidienne. La police et l'armée sont davantage connues pour leurs actes d'extorsion, de tortures et les exécutions sommaires que pour le maintien de l'ordre public.


Exécutions Sommaires et Tortures Perpétrées par les Forces de Sécurité

Des exécutions sommaires sont régulièrement commises par la police dans sa "lutte contre la criminalité". En avril 1996, la police de Lagos s'est vantée d'avoir tué au moins quatre-vingts prétendus bandits armés au cours des deux mois précédents. (58) Le Committee for the Defence of Human Rights (CDHR), une organisation non gouvernementale nigériane qui contrôle la situation des droits de l'homme, a signalé que quarante-cinq personnes suspectées de vol à main armée avaient été tuées dans les Etats de Lagos, Rivers, Ogun, Plateau et Kaduna entre avril et juin 1996; cinquante-cinq ont été tuées entre janvier et mars 1996 dans les Etats de Rivers, Kaduna, Anambra, Bauchi, Ogun, Ondo et Lagos. (59) Le 10 janvier 1996, Olushola McCarthy, ancien coordinateur de Campaign for Democracy à Lagos et membre du personnel de la Cour Suprême d'Abuja, a été tué par des membres du SSS à Lagos, avec deux compagnons, après s'être plaint d'avoir presque été renversé par une voiture du SSS qui conduisait imprudemment. Le 4 mars, Kehinde Ehindero, patron d'une station service Total dans l'Etat d'Ondo, a été battu à mort par des membres de la National Drug Law Enforcement Agency (NDLEA - agence nationale de lutte contre la drogue). (60) Suite à des émeutes à Kaduna en juin 1996 au cours desquelles plusieurs personnes, dont au moins un policier, ont perdu la vie, des rapports non confirmés ont indiqué qu'un certain nombre d'exécutions extrajudiciaires avaient eu lieu. La police aurait arrêté plusieurs personnes pendant les émeutes et les aurait ensuite obligées à désigner les maisons des "meneurs", lesquels auraient alors été arrêtés et abattus. (61) Les détenus politiques emprisonnés dans les bureaux de police signalent que les personnes soupçonnées de crimes sont souvent emmenées la nuit, des coups de feu se font entendre et ces personnes ne reviennent pas. (62)


De même, les diverses forces de police du Nigéria et les détachements de l'armée ont recours à la torture régulièrement comme méthode pour extraire des informations des personnes soupçonnées de crimes ou comme forme de châtiment immédiat. Les informateurs qui ont parlé avec Human Rights Watch lors d'une visite au Nigéria en juin 1996 ont signalé que cette pratique continue en toute impunité à ce jour, les autorités fédérales ou des Etats ne faisant aucun effort pour y mettre fin. Une méthode très populaire est d'attacher les suspects aux crochets se trouvant au centre du plafond, là où sont normalement attachés les ventilateurs, et de les battre jusqu'à ce qu'ils avouent. Un grand nombre de personnes sont mortes en détention suite à ce type de traitement mais on ignore combien au juste. (63)


Conditions d'Emprisonnement

Il est notoire que les conditions d'emprisonnement au Nigéria sont mauvaises. Les prisonniers sont sous-alimentés, à moins que leurs proches ne leur apportent à manger; ils ne reçoivent pas de soins médicaux ou alors ceux-ci sont insuffisants; les cellules sont surpeuplées et ne disposent pas d'un système d'égout et d'hygiène convenable. Les prisonniers souffrent tout naturellement de maladies de la peau et respiratoires, et surtout de malnutrition: le budget en nourriture pour chaque prisonnier est d'environ 30 (0,35 $US) par jour. La mortalité parmi les prisonniers est extrêmement élevée, s'élevant à environ 4.000 décès par an, soit 7 pour cent de la population carcérale: en 1991, la pire année ces derniers temps, 5.300 prisonniers sont morts en détention. (64) En mars 1996, le ministre de l'intérieur, Babagana Kingibe, a déclaré que la population carcérale s'élevait à 55.000 personnes, soit 50 pour cent de plus que sa capacité normale, parmi lesquelles 35.700, soit 60 pour cent, attendaient de passer en jugement et étaient détenues dans des conditions particulièrement mauvaises. Des chiffres récents fournis par le ministère en mai 1996 indiquaient que la population carcérale était passée à 45.000 personnes et que le nombre de prisonniers attendant de passer en jugement s'était réduit à 22.000. Les associations de droits de l'homme ont mis en doute ces chiffres, tout en reconnaissant que des centaines de prisonniers en détention préventive, qui avaient passé plus d'années en prison que ce qu'ils auraient purgé s'ils avaient été jugés pour le délit dont ils étaient accusés, avaient été remis en liberté en avril. (65) Malgré les remises en liberté, les prisons restent de toute évidence dangereusement surpeuplées, les prisonniers mourant de faim ou succombant à des maladies contagieuses, leur survie dépendant des efforts des églises et des mosquées.


"Nettoyage des Ponts": Expulsions à Lagos

En mai 1996, un mois avant la deuxième conférence de l'ONU sur l'habitat à Istanbul, le Ministre Fédéral des Travaux Publics et du Logement, le Général de Division Abdulkarim Adisa, décrétait que toute personne vivant ou travaillant sous les ponts routiers dominant le paysage urbain de Lagos disposait d'une semaine pour quitter les lieux ou bien serait expulsée. Cette annonce faisait suite à un incendie qui avait endommagé l'autopont d'Ijora à Lagos le 5 mai, causant des dégâts considérables. Une équipe de l'armée et de la police mobile avait entrepris de démolir les constructions, ignorant les appels lancés par une "association des utilisateurs des dessous de ponts" mise sur pied précipitamment. Adisa a annoncé que le gouvernement poursuivrait les personnes ou organisations qui construisaient des structures permanentes sous les autoponts et que "pour les squatters, le pire restait à venir." (66) Selon les informations de la presse, confirmées par des témoignages recueillis par Human Rights Watch/Africa, la plupart des personnes expulsées par le gouvernement fédéral payaient depuis plusieurs années un loyer aux autorités locales pour leurs emplacements. De plus, beaucoup de constructions démolies se trouvaient en fait à quelque distance des autoponts qu'elles menaçaient soi-disant. (67)


Human Rights Watch/Africa a parlé avec plusieurs des marchands expulsés de leurs emplacements lors des dernières expulsions. Au marché d'Obakende de Victoria Island, une grande superficie a été rasée, en partie sous les ponts situés à un croisement de route et en partie à quelque distance des ponts. Des milliers de personnes ont perdu leur gagne-pain; un homme, un tôlier, a dit qu'il continuait à venir chaque jour, simplement parce qu'il ne savait pas où aller. Les marchands avaient payé à l'avance le loyer de leur emplacement aux autorités locales, mais il semble qu'il n'existe aucune possibilité de compensation. Au grand marché d'Oshodi, situé à l'embranchement d'une importante route nationale et près du terminus de plusieurs lignes d'autobus locaux et de longue distance, de vastes superficies ont été passées au bulldozer. Les marchands avaient parfois payé jusqu'à 1.000 par mois aux autorités locales d'Ikeja pour leurs échopes construites en matériau solide. Alors que ceux qui se trouvaient dans un périmètre de trente mètres autour de l'autopont avaient été informés qu'ils avaient une semaine pour déménager, les constructions situées à plusieurs centaines de mètres de là ont été démolies lorsque l'armée et la police sont arrivées, ne laissant pas le temps aux marchands d'emballer leur marchandise ou d'emporter du matériel réutilisable. Ceux qui disposaient d'argent liquide avaient payé aux forces de sécurité des sommes de 1.000 pour pouvoir récupérer leur marchandise. Des gaz lacrymogènes avaient été utilisés pour nettoyer la zone et nombreux sont les marchands qui ont été brutalisés. Une station service et une banque se trouvaient parmi les constructions démolies. Depuis les expulsions, des membres des forces de sécurité patrouillent régulièrement la zone du marché, souvent en civil, empêchant les marchands de construire des échoppes temporaires et faisant du racket auprès de tous ceux qui essaient encore de travailler. (68)


Ces expulsions s'inscrivent dans le cadre des actions arbitraires menées couramment par le gouvernement au mépris de la loi, en faisant un usage excessif de la force et agissant sans le moindre semblant d'équité. L'une des expulsions les plus notoires a été celle - en juillet 1990 - d'environ 300.000 habitants du quartier de Maroko, situé près de l'enclave diplomatique select de Victoria Island, en vue de réaménager la zone. Beaucoup d'entre eux sont encore sans abri à ce jour. Des expulsions à plus petite échelle ont lieu régulièrement: en novembre 1995, par exemple, le marché d'Agboju situé près de la voie express Lagos-Badagry a été rasé à la demande des Autorités Fédérales du Logement. En février 1996, le marché d'Olorunsogo à Oshodi a été démoli par le conseil local d'Ikejo après que des marchands qui y vivaient aient omis de payer la somme demandée par les autorités locales pour soi-disant reconstruire le marché. (69) Human Rights Watch reconnaît le droit du gouvernement nigérian de réglementer l'usage de l'espace public (ou privé) pour des raisons de politique publique, mais cette réglementation doit respecter les droits des Nigérians à un procès équitable au cours duquel ils peuvent affirmer leur droit d'occupation ou leur droit à des indemnités, et elle doit éviter l'usage de la force arbitraire et excessive.


Critiques du Comité des Droits de l'Homme de l'ONU

En avril 1996, le Comité des Droits de l'Homme de l'ONU, qui est chargé de contrôler le respect par les Etats du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP), a examiné le rapport initial du Nigéria. Il a noté des "contradictions fondamentales entre les obligations contractées par le Nigéria quant au respect et à la protection des droits garantis dans le pacte et la mise en oeuvre de ces droits au Nigéria" et il a fait un certain nombre de recommandations urgentes, notamment l'abrogation de tous les décrets créant des tribunaux spéciaux ou annulant les garanties constitutionnelles des droits fondamentaux ou la compétence des tribunaux réguliers, ainsi que la suspension immédiate de tout procès devant des tribunaux spéciaux. Il a également recommandé que des mesures urgentes soient prises pour assurer aux personnes en instance de jugement toutes les garanties d'un procès équitable et le droit de faire appel pour la révision de leur condamnation et de leur peine devant une instance supérieure. (70) En juillet 1996, le Comité a repris son examen du rapport du Nigéria et a réitéré ses critiques, exprimant son inquiétude en particulièrement devant le fait que "le Gouvernement du Nigéria n'a pas abrogé les Décrets créant des tribunaux spéciaux ou ceux révoquant les garanties constitutionnelles normales des droits fondamentaux ainsi que la compétence des tribunaux réguliers." Parmi les nombreuses violations, il a exprimé son inquiétude face au fait que "la détention au secret est pratiquée couramment, souvent pour des périodes indéterminées et sans possibilité d'accès à un examen judiciaire," et a souligné "le nombre élevé d'exécutions extrajudiciaires et sommaires, de disparitions, de cas de tortures, de mauvais traitements, de détentions et d'arrestations arbitraires par les membres de l'armée et des forces de sécurité." Il a recommandé que "des mesures urgentes soient prises pour libérer toutes les personnes qui ont été arrêtées arbitrairement ou sans chef d'accusation," ainsi que pour empêcher les exécutions arbitraires, tortures, détentions et arrestations arbitraires. (71)



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VIOLATIONS QUOTIDIENNES DES DROITS DES CITOYENS NIGERIANS


Les violations des droits de l'homme n'affectent pas seulement les classes politiques nigérianes représentant une élite et les personnes impliquées dans des actions de protestations contre le régime militaire. Les citoyens nigérians non engagés politiquement sont également victimes d'actions arbitraires et brutales de la part du gouvernement nigérian sous diverses formes et de façon quotidienne. La police et l'armée sont davantage connues pour leurs actes d'extorsion, de tortures et les exécutions sommaires que pour le maintien de l'ordre public.


Exécutions Sommaires et Tortures Perpétrées par les Forces de Sécurité

Des exécutions sommaires sont régulièrement commises par la police dans sa "lutte contre la criminalité". En avril 1996, la police de Lagos s'est vantée d'avoir tué au moins quatre-vingts prétendus bandits armés au cours des deux mois précédents. (58) Le Committee for the Defence of Human Rights (CDHR), une organisation non gouvernementale nigériane qui contrôle la situation des droits de l'homme, a signalé que quarante-cinq personnes suspectées de vol à main armée avaient été tuées dans les Etats de Lagos, Rivers, Ogun, Plateau et Kaduna entre avril et juin 1996; cinquante-cinq ont été tuées entre janvier et mars 1996 dans les Etats de Rivers, Kaduna, Anambra, Bauchi, Ogun, Ondo et Lagos. (59) Le 10 janvier 1996, Olushola McCarthy, ancien coordinateur de Campaign for Democracy à Lagos et membre du personnel de la Cour Suprême d'Abuja, a été tué par des membres du SSS à Lagos, avec deux compagnons, après s'être plaint d'avoir presque été renversé par une voiture du SSS qui conduisait imprudemment. Le 4 mars, Kehinde Ehindero, patron d'une station service Total dans l'Etat d'Ondo, a été battu à mort par des membres de la National Drug Law Enforcement Agency (NDLEA - agence nationale de lutte contre la drogue). (60) Suite à des émeutes à Kaduna en juin 1996 au cours desquelles plusieurs personnes, dont au moins un policier, ont perdu la vie, des rapports non confirmés ont indiqué qu'un certain nombre d'exécutions extrajudiciaires avaient eu lieu. La police aurait arrêté plusieurs personnes pendant les émeutes et les aurait ensuite obligées à désigner les maisons des "meneurs", lesquels auraient alors été arrêtés et abattus. (61) Les détenus politiques emprisonnés dans les bureaux de police signalent que les personnes soupçonnées de crimes sont souvent emmenées la nuit, des coups de feu se font entendre et ces personnes ne reviennent pas. (62)


De même, les diverses forces de police du Nigéria et les détachements de l'armée ont recours à la torture régulièrement comme méthode pour extraire des informations des personnes soupçonnées de crimes ou comme forme de châtiment immédiat. Les informateurs qui ont parlé avec Human Rights Watch lors d'une visite au Nigéria en juin 1996 ont signalé que cette pratique continue en toute impunité à ce jour, les autorités fédérales ou des Etats ne faisant aucun effort pour y mettre fin. Une méthode très populaire est d'attacher les suspects aux crochets se trouvant au centre du plafond, là où sont normalement attachés les ventilateurs, et de les battre jusqu'à ce qu'ils avouent. Un grand nombre de personnes sont mortes en détention suite à ce type de traitement mais on ignore combien au juste. (63)


Conditions d'Emprisonnement

Il est notoire que les conditions d'emprisonnement au Nigéria sont mauvaises. Les prisonniers sont sous-alimentés, à moins que leurs proches ne leur apportent à manger; ils ne reçoivent pas de soins médicaux ou alors ceux-ci sont insuffisants; les cellules sont surpeuplées et ne disposent pas d'un système d'égout et d'hygiène convenable. Les prisonniers souffrent tout naturellement de maladies de la peau et respiratoires, et surtout de malnutrition: le budget en nourriture pour chaque prisonnier est d'environ 30 (0,35 $US) par jour. La mortalité parmi les prisonniers est extrêmement élevée, s'élevant à environ 4.000 décès par an, soit 7 pour cent de la population carcérale: en 1991, la pire année ces derniers temps, 5.300 prisonniers sont morts en détention. (64) En mars 1996, le ministre de l'intérieur, Babagana Kingibe, a déclaré que la population carcérale s'élevait à 55.000 personnes, soit 50 pour cent de plus que sa capacité normale, parmi lesquelles 35.700, soit 60 pour cent, attendaient de passer en jugement et étaient détenues dans des conditions particulièrement mauvaises. Des chiffres récents fournis par le ministère en mai 1996 indiquaient que la population carcérale était passée à 45.000 personnes et que le nombre de prisonniers attendant de passer en jugement s'était réduit à 22.000. Les associations de droits de l'homme ont mis en doute ces chiffres, tout en reconnaissant que des centaines de prisonniers en détention préventive, qui avaient passé plus d'années en prison que ce qu'ils auraient purgé s'ils avaient été jugés pour le délit dont ils étaient accusés, avaient été remis en liberté en avril. (65) Malgré les remises en liberté, les prisons restent de toute évidence dangereusement surpeuplées, les prisonniers mourant de faim ou succombant à des maladies contagieuses, leur survie dépendant des efforts des églises et des mosquées.


"Nettoyage des Ponts": Expulsions à Lagos

En mai 1996, un mois avant la deuxième conférence de l'ONU sur l'habitat à Istanbul, le Ministre Fédéral des Travaux Publics et du Logement, le Général de Division Abdulkarim Adisa, décrétait que toute personne vivant ou travaillant sous les ponts routiers dominant le paysage urbain de Lagos disposait d'une semaine pour quitter les lieux ou bien serait expulsée. Cette annonce faisait suite à un incendie qui avait endommagé l'autopont d'Ijora à Lagos le 5 mai, causant des dégâts considérables. Une équipe de l'armée et de la police mobile avait entrepris de démolir les constructions, ignorant les appels lancés par une "association des utilisateurs des dessous de ponts" mise sur pied précipitamment. Adisa a annoncé que le gouvernement poursuivrait les personnes ou organisations qui construisaient des structures permanentes sous les autoponts et que "pour les squatters, le pire restait à venir." (66) Selon les informations de la presse, confirmées par des témoignages recueillis par Human Rights Watch/Africa, la plupart des personnes expulsées par le gouvernement fédéral payaient depuis plusieurs années un loyer aux autorités locales pour leurs emplacements. De plus, beaucoup de constructions démolies se trouvaient en fait à quelque distance des autoponts qu'elles menaçaient soi-disant. (67)


Human Rights Watch/Africa a parlé avec plusieurs des marchands expulsés de leurs emplacements lors des dernières expulsions. Au marché d'Obakende de Victoria Island, une grande superficie a été rasée, en partie sous les ponts situés à un croisement de route et en partie à quelque distance des ponts. Des milliers de personnes ont perdu leur gagne-pain; un homme, un tôlier, a dit qu'il continuait à venir chaque jour, simplement parce qu'il ne savait pas où aller. Les marchands avaient payé à l'avance le loyer de leur emplacement aux autorités locales, mais il semble qu'il n'existe aucune possibilité de compensation. Au grand marché d'Oshodi, situé à l'embranchement d'une importante route nationale et près du terminus de plusieurs lignes d'autobus locaux et de longue distance, de vastes superficies ont été passées au bulldozer. Les marchands avaient parfois payé jusqu'à 1.000 par mois aux autorités locales d'Ikeja pour leurs échopes construites en matériau solide. Alors que ceux qui se trouvaient dans un périmètre de trente mètres autour de l'autopont avaient été informés qu'ils avaient une semaine pour déménager, les constructions situées à plusieurs centaines de mètres de là ont été démolies lorsque l'armée et la police sont arrivées, ne laissant pas le temps aux marchands d'emballer leur marchandise ou d'emporter du matériel réutilisable. Ceux qui disposaient d'argent liquide avaient payé aux forces de sécurité des sommes de 1.000 pour pouvoir récupérer leur marchandise. Des gaz lacrymogènes avaient été utilisés pour nettoyer la zone et nombreux sont les marchands qui ont été brutalisés. Une station service et une banque se trouvaient parmi les constructions démolies. Depuis les expulsions, des membres des forces de sécurité patrouillent régulièrement la zone du marché, souvent en civil, empêchant les marchands de construire des échoppes temporaires et faisant du racket auprès de tous ceux qui essaient encore de travailler. (68)


Ces expulsions s'inscrivent dans le cadre des actions arbitraires menées couramment par le gouvernement au mépris de la loi, en faisant un usage excessif de la force et agissant sans le moindre semblant d'équité. L'une des expulsions les plus notoires a été celle - en juillet 1990 - d'environ 300.000 habitants du quartier de Maroko, situé près de l'enclave diplomatique select de Victoria Island, en vue de réaménager la zone. Beaucoup d'entre eux sont encore sans abri à ce jour. Des expulsions à plus petite échelle ont lieu régulièrement: en novembre 1995, par exemple, le marché d'Agboju situé près de la voie express Lagos-Badagry a été rasé à la demande des Autorités Fédérales du Logement. En février 1996, le marché d'Olorunsogo à Oshodi a été démoli par le conseil local d'Ikejo après que des marchands qui y vivaient aient omis de payer la somme demandée par les autorités locales pour soi-disant reconstruire le marché. (69) Human Rights Watch reconnaît le droit du gouvernement nigérian de réglementer l'usage de l'espace public (ou privé) pour des raisons de politique publique, mais cette réglementation doit respecter les droits des Nigérians à un procès équitable au cours duquel ils peuvent affirmer leur droit d'occupation ou leur droit à des indemnités, et elle doit éviter l'usage de la force arbitraire et excessive.


Critiques du Comité des Droits de l'Homme de l'ONU

En avril 1996, le Comité des Droits de l'Homme de l'ONU, qui est chargé de contrôler le respect par les Etats du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP), a examiné le rapport initial du Nigéria. Il a noté des "contradictions fondamentales entre les obligations contractées par le Nigéria quant au respect et à la protection des droits garantis dans le pacte et la mise en oeuvre de ces droits au Nigéria" et il a fait un certain nombre de recommandations urgentes, notamment l'abrogation de tous les décrets créant des tribunaux spéciaux ou annulant les garanties constitutionnelles des droits fondamentaux ou la compétence des tribunaux réguliers, ainsi que la suspension immédiate de tout procès devant des tribunaux spéciaux. Il a également recommandé que des mesures urgentes soient prises pour assurer aux personnes en instance de jugement toutes les garanties d'un procès équitable et le droit de faire appel pour la révision de leur condamnation et de leur peine devant une instance supérieure. (70) En juillet 1996, le Comité a repris son examen du rapport du Nigéria et a réitéré ses critiques, exprimant son inquiétude en particulièrement devant le fait que "le Gouvernement du Nigéria n'a pas abrogé les Décrets créant des tribunaux spéciaux ou ceux révoquant les garanties constitutionnelles normales des droits fondamentaux ainsi que la compétence des tribunaux réguliers." Parmi les nombreuses violations, il a exprimé son inquiétude face au fait que "la détention au secret est pratiquée couramment, souvent pour des périodes indéterminées et sans possibilité d'accès à un examen judiciaire," et a souligné "le nombre élevé d'exécutions extrajudiciaires et sommaires, de disparitions, de cas de tortures, de mauvais traitements, de détentions et d'arrestations arbitraires par les membres de l'armée et des forces de sécurité." Il a recommandé que "des mesures urgentes soient prises pour libérer toutes les personnes qui ont été arrêtées arbitrairement ou sans chef d'accusation," ainsi que pour empêcher les exécutions arbitraires, tortures, détentions et arrestations arbitraires. (71)


58. 0 "Nigeria Police Kill 80 Robbers in Two Months," Reuters, le 26 avril 1996.

59. 0 CDHR, Victims, vol. 7, no. 20, mars 1996, et vol. 7, no. 21, juin 1996.

60. 0 CDHR, Victims, vol. 7, no. 20, mars 1996.

61. 0 Témoignages recueillis par Human Rights Watch/Africa, Kaduna, 2 juillet 1996. Les émeutes ont apparemment été provoquées par l'expulsion de la faculté polytechnique de Kaduna de quelques étudiants musulmans, membres d'un groupe fondamentaliste, pour tricherie à l'examen. Les troubles sur le campus le 14 juin avaient abouti à quelques arrestations et à la fermeture du campus, mais lorsque les étudiants arrêtés avaient comparu devant le tribunal, leurs collègues avaient pris d'assaut la salle du tribunal et les avaient relâchés. Dans les affrontements avec la police à l'extérieur du tribunal et dans le district de Tudun Wada à Kaduna, quelques étudiants ont été tués ainsi qu'un ou peut-être deux policiers.

62. 0 Témoignages recueillis par Human Rights Watch/Africa, juin 1996.

63. 0 Les rapports annuels des organisations nigérianes des droits de l'homme telles que la Civil Liberties Organisation, le Constitutional Rights Project et le Committee for the Defence of Human rights décrivent des cas de décès en prison suite à des tortures mais reconnaissent ne pas avoir une estimation du nombre de décès dus à ce traitement au niveau national.

64. 0 Ebun Okusanya, "Deplorable Conditions in Prisons," IPS 3 mars 1996; témoignages recueillis par Human Rights Watch auprès d'associations de droits de l'homme, Lagos, juin 1996.

65. 0 Ibid.; Dulue Mbachu, "Strange Figures on Prison Population," IPS 8 juillet 1996; Yomi Adeboye, "In the Shadow of Death", The News (Lagos), 5 août 1996; informations de la CLO.

66. 0 Reuters, PANA, 17 mai 1996.

67. 0 Témoignages recueillis par Human Rights Watch/Africa, le 12 juin 1996; David Ogah, Steve Ajuly et Ibe Uwaleke, "We are ruined,' say victims of demolition in Lagos," The Guardian (Lagos), le 3 juillet 1996.

68. 0 Ibid.

69. 0 Shelter Rights Initiative, Shelter Watch Jan-May 1996 (Lagos, juin 1996)

70. 0 Comité des Droits de l'Homme, Consideration of Reports Submitted by States Parties under Article 40 of the Covenant: Preliminary Concluding Observations by the Human Rights Committee, Document ONU CCPR/C/79/Add.64 (Genève: Nations Unies, 3 avril 1996).

71. 0 Comité des Droits de l'Homme, Concluding Observations, 24 juillet 1996.

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