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HARCELEMENT DE L'OPPOSITION


"Si le monde occidental a oublié ce qu'est l'autorité de la loi, nous au Nigéria sommes prêts à le lui montrer."

- Walter Ofonagoro, Ministre nigérian de l'Information et de la Culture, interviewé par le magazine Tell, le 19 août 1995.


Le programme de transition annoncé par le Gén. Abacha le 1 octobre 1995 ne peut être considéré comme crédible que si les libertés politiques sont respectées au Nigéria. Le gouvernement militaire nigérian ne peut pas non plus s'attendre à ce que le mouvement d'opposition interne ou la communauté internationale prennent au sérieux son engagement à rétablir la démocratie alors que le vainqueur présumé des élections du 12 juin 1993 - probablement les plus régulières de toute l'histoire du Nigéria - reste en prison sous l'inculpation de "forfaiture" (accusation moins grave que la trahison, crime passible de la peine de mort). De fait, le problème essentiel du programme actuel de transition du point de vue de sa crédibilité est que le Nigéria a déjà mené avec succès un programme analogue, qui n'a pas abouti uniquement à cause de l'intervention des militaires. Pendant ce temps, bon nombre des plus importants militants des droits de l'homme et de la cause démocratique sont en prison, et d'autres font l'objet d'intimidations et de harcèlements quotidiens ou ont fui à l'étranger; la presse indépendante est sévèrement limitée et des journalistes sont aussi incarcérés ou menacés d'emprisonnement; les médias internes sont des machines à propagande contrôlées par le gouvernement; les droits à la liberté de réunion et d'association sont régulièrement bafoués et les bribes de liberté d'enseignement durement gagnées sont retirées; de plus, la répression militaire en pays ogoni se poursuit toujours, des mois après le "meurtre judiciaire" de Ken Saro-Wiwa, dirigeant du premier véritable mouvement de protestation de la base au Nigéria. Les efforts qui ont été faits pour promouvoir la réconciliation et le dialogue sur les problèmes et l'avenir du Nigéria semblent n'être que symboliques. Rien n'a été fait pour prévenir la corruption, les brutalités et les meurtres commis par les forces armées, phénomène endémique dans toute la fédération nigériane.


L'Emprisonnement du Chef Abiola

Le 23 juin 1994, plusieurs jours après s'être déclaré président, le Chef M.K.O. Abiola était arrêté dans sa résidence à Lagos. Le gouvernement allait ignorer deux jugements de la Haute Cour Fédérale de Lagos ordonnant de le présenter devant la Cour et de justifier sa détention. Le 4 juillet, la Cour ordonnait au ministre de la justice de se présenter devant elle le 7 juillet pour répondre de l'accusation d'outrage à la cour. Le 6 juillet, Abiola était traduit devant une Cour Suprême à Abuja, spécialement établie pour son procès, et inculpé de forfaiture. Le 14 juillet, une demande de mise en liberté sous caution était refusée. Le 21 octobre, le Juge Gbolahan Jinadu de la Haute Cour de Lagos statuait courageusement que l'arrestation et la détention d'Abiola étaient inconstitutionnelles, "extrêmement présomptueuses, irresponsables et qu'il s'agissait d'une démonstration de force exagérée du pouvoir exécutif"; se déclarer président ne constituait pas un délit dans le code pénal nigérian. Le gouvernement allait faire appel du jugement. Le 4 novembre, la Cour d'Appel de Kaduna annulait la décision de la Haute Cour d'Abuja qui refusait la mise en liberté sous caution; le gouvernement a de nouveau fait appel du jugement de la Cour Suprême, et la Cour d'Appel autorisait ensuite l'ajournement de l'ordonnance de libération jusqu'à ce que l'appel soit examiné. (23) L'audience devant la Cour Suprême, la plus haute juridiction d'appel au Nigéria, pour la demande de mise en liberté a été ajournée à maintes reprises et semble devoir être remise indéfiniment à plus tard, par manque de juges pour examiner l'affaire. Sept des onze juges de la Cour Suprême ont accepté de se récuser en mai 1995 suite à une requête déposée en ce sens, en raison du fait qu'ils étaient également plaignants dans une affaire de diffamation contre The National Concord, un journal appartenant au Chef Abiola, à propos d'un article paru en décembre 1993 et intitulé "Les avocats réclament la mise à la porte du Président de la Cour Suprême de Justice, Mohammed Bello". D'après cet article, des juges de la Cour Suprême auraient accepté en "cadeau" des Mercedes Benz de l'ancien chef d'Etat, le Gén. Babangida. Un minimum de cinq juges est requis pour entendre une cause et en dépit des démarches effectuées par les avocats du Chef Abiola, le gouvernement a omis de nommer de nouveaux juges pour remplacer ceux qui ont été considérés inaptes.


Le Chef Abiola est maintenu au secret et dans de mauvaises conditions, il souffre d'hypertension et d'autres problèmes et on lui a fréquemment refusé d'avoir accès à son médecin personnel. Le Dr. Ore Falomo, son médecin, a été arrêté pendant quelque temps en 1995, après son arrivée à Abuja le 20 avril croyant qu'il pourrait voir le Chef Abiola. Bien qu'en général, les visiteurs aient difficilement accès au Chef Abiola, il a été vu à diverses reprises par des visiteurs d'outre-mer, notamment des représentants du secrétaire général de l'ONU qui se sont rendus au Nigéria pour une mission d'enquête en avril 1996. Le Chef Abiola serait transféré de temps en temps d'un lieu de détention à un autre à Abuja.


La situation juridique autour de la détention d'Abiola s'est compliquée davantage au début 96 lors de désaccords entre Kola Abiola, le fils aîné de M.K.O. Abiola, Kudirat Abiola, son épouse principale depuis la mort de la mère de Kola en 1992, et un militant convaincu de la cause d'Abiola, concernant les avocats qui devraient représenter le chef. (24) Godwin O.K. Ajayi avait dirigé l'équipe de défenseurs jusqu'à février 1996 lorsque Kola Abiola lui a écrit pour lui signifier qu'il lui retirait le dossier et le confiait à un autre avocat bien connu de Lagos, Rotimi Williams. Le lundi 6 mai, lors de l'audience au cours de laquelle Ajayi a demandé d'accélérer toute la procédure, Kudirat Abiola a présenté une déclaration écrite sous serment adressée à la Haute Cour Fédérale de Lagos, insistant sur le fait qu'Ajayi devait continuer à s'occuper de l'affaire et accusant Kola Abiola de diriger un groupe qui voulait qu'Abiola renonce à revendiquer la présidence. Le 8 mai, lors d'une audience au cours de laquelle Rotimi Williams avait déposé une motion demandant au tribunal de rayer le nom d'Ajayi, la Haute Cour Fédérale d'Abuja a ordonné à l'inspecteur général de la police de faire comparaître Moshood Abiola au tribunal le 10 mai pour régler le différend. En faisant part de sa décision, le Juge Chris Senlong a critiqué la désobéissance continuelle de la police face aux décisions de justice: "Cette mauvaise foi dans l'éxécution des décisions pourrait nuire à l'image et au statut du système judiciaire, entravant par là même notre marche vers la démocratie." (25) Le gouvernement fédéral a fait appel du jugement et le différend est toujours en cours.


L'Assassinat de Kudirat Abiola

Alors que ces procès continuaient, Kudirat Abiola, la principale personne militant pour les droits de son mari, était confrontée à des harcèlements de la part des autorités nigérianes. Le 8 mai, elle était accusée, avec deux autres personnes, de "comploter dans le but de commettre des délits et de produire de fausses publications dans l'intention de semer la peur dans le public." Elle était libérée sous caution après avoir passé une nuit en prison. La police a déclaré que les accusations portaient sur l'impression de livres scolaires avec des photos du Chef Abiola le décrivant comme président élu. (26) Mme Abiola a informé la presse, notamment lors d'une interview avec le magazine engagé Tell le 27 mai 1996, qu'à plusieurs reprises elle avait été suivie par des agents de la sécurité.


Le 4 juin 1996, Kudirat Abiola était abattue par des inconnus alors qu'elle se rendait en voiture par la voie express Lagos/Ibadan chez le Haut Commissaire canadien à Victoria Island, Lagos. (27) La plupart des Nigérians ont présumé qu'il s'agissait d'un assassinat politique visant à réduire au silence l'une des voix les plus critiques à l'égard du gouvernement. Cependant, la police a immédiatement annoncé qu'une enquête approfondie aurait lieu sur l'assassinat, offrant un million de naira (environ 12.500 $US) pour toute information pouvant conduire à l'arrestation des meurtriers. Le 5 juin, une manifestation estudiantine organisée à Ibadan pour protester contre l'assassinat de Kudirat Abiola était dispersée par la police et le président de l'union des étudiants allait passer la nuit en prison.


Le 12 juin, Kola Abiola était arrêté dans le cadre de l'assassinat; dans les quelques jours qui ont suivi, plus de vingt membres de la famille Abiola allaient être arrêtés. Kola allait être détenu jusqu'au 29 juin et d'autres membres de la famille allaient être libérés peu de temps après. Le 17 juin, quatre membres importants de la NADECO ont également été arrêtés en lien avec le meurtre. Le plus âgé, le Chef Solanke Onasanya (80 ans) a été libéré sous caution le 1 juillet mais les trois autres - le Chef Abraham Adesanya (74 ans), le Chef Ayo Adebanjo (69 ans) et Aljahi Ganiyu Dawodu (63 ans) - sont restés en détention. Plus tard en juillet, une Haute Cour Fédérale de Lagos a ordonné la libération des trois détenus et leur a accordé à chacun 500.000 de dommages et intérêts. Le gouvernement nigérian a fait appel du jugement, avançant qu'il cherchait à inculper les détenus dans le cadre de l'assassinat de Kudirat Abiola et qu'il les avait placés en détention préventive, où ils se trouvent encore à ce jour sans être inculpés. Les militants de l'opposition en ont conclu que les détentions cherchaient à semer la discorde au sein de la famille du plus célèbre symbole des élections du 12 juin 1993.


Détentions sans Chef d'Accusation en Vertu du Décret No. 2

Le Décret No. 2 de 1984 relatif à la Sûreté de l'Etat (Détention des Personnes) a été condamné à maintes reprises par les observateurs internationaux, notamment le Groupe de Travail de l'ONU sur les Détentions Arbitraires. Le Groupe de Travail a trouvé dans des affaires examinées sur plusieurs années que les détentions en vertu du Décret No. 2 violaient les articles 9 (droit à la liberté et la sécurité de la personne), 19 (droit à la liberté d'opinion et d'expression) et 22 (droit à la liberté d'association) du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques duquel le Nigéria est signataire. En 1996, le Groupe de Travail a déclaré arbitraires un certain nombre de détentions effectuées en vertu dudit décret et a demandé au gouvernement du Nigéria "d'entreprendre les démarches nécessaires pour remédier à cette situation afin qu'elle soit en accord avec les dispositions et principes de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques." (28)


Parmi les dispositions du Décret No. 2, les plus inadmissibles sont les suivantes:


un détenu n'a pas le droit d'être informé des raisons de sa détention;

il n'a pas le droit de recevoir la visite de membres de sa famille, d'avocats et n'a pas accès à un traitement médical privé;

les mandats d'arrêt sont renouvelables, permettant donc une détention indéfinie pour des raisons de "sûreté d'Etat", sans inculpation ni procès;

la compétence des tribunaux pour statuer sur les mandats d'arrêt a été annulée, de sorte qu'aucune procédure civile ne peut être entamée par rapport à une action menée en vertu du décret et aucun tribunal ne peut statuer sur la constitutionnalité de ladite action.


Lorsque le système judiciaire régulier a tenté de veiller à ce que le gouvernement remplisse ses obligations en vertu de la législation internationale, cela n'a eu aucun effet: les autorités militaires ont couramment ignoré les décisions de justice ordonnant que les détenus et prisonniers aient accès à des soins médicaux indépendants ou à une assistance juridique, qu'ils soient autorisés à voir des membres de leur famille, ou encore qu'ils soient traduits devant un tribunal.

En juin 1996, le gouvernement militaire a annoncé un certain nombre d'amendements au Décret No. 2. Le Décret No. 14 de 1994, qui avait amendé le Décret No. 2 de façon à soustraire de la compétence des tribunaux l'octroi d'habeas corpus aux personnes détenues en vertu du Décret No. 2, a été abrogé par le Décret relatif à la Sûreté de l'Etat (Annulation de l'Amendement No 2 sur la Détention des Personnes) adopté le 7 juin. Une commission a également été mise sur pied pour examiner certains cas de détention et la révision promise de tous les cas existants. Cependant, la principale clause d'interdiction du Décret No. 2, celle empêchant les tribunaux de statuer sur la légalité d'un mandat d'arrêt, est toujours en vigueur.


Parmi les personnes détenues actuellement sans chef d'accusation figurent les noms suivants:


Frank Ovie Kokori, secrétaire général de la NUPENG. Il a été arrêté le 20 août 1994 par des agents de la sécurité en civil qui l'avaient suivi jusqu'au lieu où il vivait caché à Lagos. Le Chef Kokori était l'un des dirigeants de la grève des travailleurs de l'industrie du pétrole qui avait duré deux mois, en juillet et août 1994, et qui était organisée pour protester contre la prise de pouvoir par les militaires l'année précédente et pour réclamer un retour au régime civil. Comme c'est le cas de beaucoup d'autres détenus, le Chef Kokoni a été transféré de prison en prison, principalement dans le nord du Nigéria. De temps à autre, il a été autorisé à recevoir des visiteurs mais il semblerait qu'il est en mauvaise santé car il souffre de diabète. Jusqu'à présent, le gouvernement a ignoré les décisions de justice ordonnant qu'il soit traduit devant un tribunal ou que soit mis fin à sa détention illégale.


Ayo Opadokun, secrétaire national de la NADECO. Il a été arrêté le 13 octobre 1994 en vertu du Décret No. 2, apparemment en lien avec ses activités contre le maintien au pouvoir du régime militaire. Bien que sa libération ait été annoncée par le gouvernement en juin 1996, il n'a encore été vu par aucun de ses collègues ou membre de sa famille; on présume donc qu'il se trouve encore en prison.


Kebir Ahmed, président de la branche de l'Etat de Sokoto de la Campagne pour la Démocratie. Il a été arrêté chez lui à Sokoto par des personnes en civil et des policiers en uniforme le 10 mars 1995. Il a été interrogé à Kaduna en lien avec ses activités en faveur de la cause démocratique, en particulier la distribution de tracts. Le lieu de détention de Mallam Ahmed n'est pas connu.


Chima Ubani, secrétaire général d'Alternative Démocratique, un parti en faveur de la démocratie, et Chef des Campagnes de la Civil Liberties Organisation, l'une des associations de droits de l'homme les plus connues du Nigéria. Il a été arrêté le 18 juillet 1995 par sept policiers en civil appartenant au Service de Sûreté de l'Etat (SSS), chez lui à Lagos. Le SSS a fouillé son appartement à la recherche de "documents subversifs", et il est apparemment détenu en lien avec ses activités en faveur des droits de l'homme et de la démocratie. Après avoir été d'abord détenu dans les bureaux du SSS à l'Intercentre, à Lagos, avec Abdul Oroh et Tunji Abayomi, Ubani a été transféré après la libération de ces derniers à la prison d'Ikoyi à Lagos. Les autorités n'ont tenu aucun compte de la série de décisions de justice ordonnant sa comparution devant un tribunal ou sa libération.


Milton Dabibi, secrétaire général de la PENGASSAN jusqu'à la dissolution du conseil exécutif national de l'association par décret militaire en août 1994 et son remplacement par un seul administrateur. Il a été arrêté à Lagos le 25 janvier 1996. Il a d'abord été détenu dans les bureaux du SSS à Ikoyi, Lagos. Des nouvelles à propos de sa détention ont paru pour la première fois dans un journal nigérian le 14 février. Il serait détenu dans une prison au nord du Nigéria, loin de sa famille restée à Lagos.


Gani Fawehinmi, avocat des droits de l'homme et dirigeant du Parti de la Conscience Nationale (NCP - National Conscience Party) qui a protesté contre le programme de transition mis en place par le gouvernement pour le retour à un régime civil. Entre autres affaires importantes, il a dirigé l'équipe de défenseurs de Ken Saro-Wiwa et huit autres membres du MOSOP lors de leur procès devant un tribunal spécial qui les a finalement condamnés à mort, et il a lancé une action mettant en question la constitutionnalité de ce tribunal et d'un autre tribunal constitué pour juger dix-neuf autres militants ogoni. Il a été arrêté le 30 janvier de cette année, juste avant de prononcer un discours à l'occasion d'un rassemblement à l'Université de Lagos. Les autorités militaires l'avaient déjà arrêté à de nombreuses reprises dans le passé pour le travail qu'il effectuait.

Après avoir été détenu au quartier général du SSS à Shangisha, près de Lagos, le Chef Fawehinmi a été transféré dans une prison de l'Etat de Bauchi, dans le nord du Nigéria. Bien que Fawehinmi souffre d'hypertension et qu'il soit déjà tombé gravement malade lors d'un précédent séjour en prison, les autorités militaires n'ont pas respecté les décisions de justice ordonnant qu'il puisse recevoir des médicaments de sa famille. Bien que son épouse ait pu lui rendre visite en une occasion, il a été depuis lors maintenu au secret: le 4 juin, la Cour d'Appel siégeant à Lagos a ordonné que l'épouse du Chef Fawehinmi, Ganiat Fawehinmi, et son médecin personnel puissent lui rendre visite. Lorsque ces derniers sont arrivés à la prison de Bauchi, son accès leur a été refusé. D'après l'Association Nigériane des Médecins, la santé de Fawehinmi se serait beaucoup détériorée.


Femi Aborisade, vice-président du Parti de la Conscience Nationale. Suite à l'arrestation de Gani Fawehinmi, le NCP avait fait campagne pour sa libération et avait également protesté contre le fait que les élections locales avaient été organisées sans partis politiques à la fin mars. Le 13 février, le gouvernement annonçait qu'il avait promulgué le Décret relatif à la Transition vers un Régime Civil qui, entre autres, établissait comme délit pénal le fait de "faire quoi que ce soit pour prévenr ou nuire à la réalisation du programme politique." Le 14 février, Femi Aborisade était arrêté. Le lieu où il est détenu n'est pas connu.


Femi Falana, président de l'Association Nationale des Juristes Démocratiques (NADEL - National Association of Democratic Lawyers) et avocat des droits de l'homme qui a travaillé avec le Chef Fawehinmi pour la défense de Ken Saro-Wiwa. Il a été arrêté le 14 février 1996, après que les agents de la sécurité aient saisi des dossiers à son cabinet, notamment des dossiers concernant des poursuites entamées au nom de Fela Anikulapo Kuti, musicien et frère du militant bien connu de la cause démocratique, Beko Ransome-Kuti, contre l'Agence Nationale d'Application de la Législation anti-drogue pour avoir été emprisonné pendant cinq jours par cet organisme. Il est détenu à la prison d'Hadejia dans l'Etat de Jigawa, au nord du Nigéria.


George Onah, correspondant pour les affaires de défense pour le quotidien The Vanguard, arrêté par le bureau des Services Secrets de l'Armée (DMI - Directorate of Military Intelligence) le 17 mai, un jour après la publication d'un article intitulé "l'Armée met à la porte 220 officiers," et détenu au siège du DMI à Apapa, Lagos. Relâché plus tard dans la journée, il a dû se présenter au rapport chez son éditeur le lundi suivant. Le journal a présenté ses excuses à l'armée. Onah, lui-même ancien militaire, a alors été de nouveau arrêté le 22 mai et est toujours emprisonné à ce jour. Le Directeur des Informations de la Défense, le Brig. Fred Chijuka a déclaré qu'Onah était maintenu en détention afin de vérifier si son retour à la vie civile s'était fait dans les règles et non pour une raison liée à l'article sur les congédiements.


Abraham Adesanya, Ayo Adebanjo et Ganiyu Dawodu, dirigeants de la NADECO, arrêtés le 17 juin 1996. Alors que la police a indiqué qu'elle se proposait de les inculper dans le cadre de l'assassinat de Kudirat Abiola, rien n'a été fait en ce sens jusqu'à présent (voir plus haut).


Ont été récemment libérés après de longues périodes de détention: Tunji Abayomi, président de Human Rights Africa, une organisation des droits de l'homme, détenu de juillet 1995 à juin 1996; Abdul Oroh, directeur de la CLO, détenu de juillet 1995 à juin 1996; Fred Eno, assistant du Chef Abiola, détenu d'août 1994 à juin 1996; Mohammed Sule, écrivain et cinéaste, détenu de février 1995 à juin 1996; et Nosa Igiebor, rédacteur à l'hebdomadaire très engagé Tell, détenu de décembre 1995 à juin 1996. D'autres ont été libérés en janvier 1996 après une année ou plus d'emprisonnement: Sylvester Odion-Akhaine, secrétaire général de la CD, détenu depuis janvier 1995; Fidelis Aidelemo et Wariebi Agamene, tous deux de la NUPENG, détenus depuis août 1994; Olawale Oshun de la NADECO, détenu depuis août 1994; et Ademola Adeniji-Adele, assistant d'Abiola, détenu depuis août 1994.


On sait également que le gouvernement nigérian a annoncé des libérations qui n'ont pas eu lieu dans la réalité, cherchant apparemment à influencer l'opinion internationale pour qu'elle réduise les pressions exercées sur le Nigéria en matière de respect des droits de l'homme. La libération du Chef Ayo Opadokun, secrétaire national de la NADECO, emprisonné depuis octobre 1994, a été annoncée en juin 1996, en même temps que la libération d'Abdul Oroh, Tunji Abayomi, Fred Eno et Nosa Igiebor, coïncidant exactement avec la réunion du Groupe d'Action Ministériel du Commonwealth à Londres. Cependant, il n'a pas encore pris contact avec son épouse ou aucun membre de la NADECO et sa famille et ses collègues supposent qu'il est toujours en prison. La libération de trois étudiants avait aussi été annoncée en juin 1996: deux d'entre eux, Charles Titiloye et Hilary Ojukwu, avaient été relâchés en janvier 1996 après deux mois de détention; le troisième, Matthew Popoola, faisait partie des personnes accusées d'avoir pris part à la soi-disant préparation d'un coup d'Etat en 1995, et est probablement toujours en prison.

De nombreux militants sont détenus sans chef d'accusation pendant de courtes périodes, puis ils sont relâchés et à nouveau arrêtés, en raison de leurs activités en faveur des droits de l'homme ou de la démocratie. Parmi ceux qui ont été dans ce cas cette année figurent:


Nnimmo Bassey, directeur de l'Environmental Rights Action (ERA), un projet de la CLO, emprisonné du 5 juin au 19 juillet 1996 au bureau de police d'Alagbon Close à Lagos, après avoir été intercepté à l'aéroport international alors qu'il se rendait à une conférence sur les droits en matière d'écologie au Ghana. On lui a dit que son arrestation était liée aux manifestations estudiantines de Benin city en 1994, auxquelles il avait participé.


Godwin Uyi Ojo, responsable de projets de l'ERA, arrêté le 25 janvier 1996 à Lagos et emprisonné sans chef d'accusation jusqu'au 10 février au bureau de police de Surulere et ensuite, dans les bureaux du SSS à Shangisha. Il a été interrogé à propos d'un rapport sur les émeutes du 4 janvier en pays ogoni dont il avait une copie sur lui et à propos de ses contacts avec la communauté internationale.


Biodun Olamosu, membre du Parti de la Conscience Nationale de Gani Fawehinmi, arrêté à Kano en mai 1996 et détenu sans chef d'accusation jusqu'au 2 juillet, date à laquelle il a été relâché mais inculpé de sédition pour avoir distribué des affiches du NCP en ville.


Steve Aluko, directeur régional de la CLO, arrêté le 1 février, relâché le 2 février, à nouveau arrêté le 5 février et emprisonné jusqu'au 8 mars par le SSS à Zaria et puis à Kaduna. Il a été interrogé à propos des récentes explosions de bombes à Kano, Kaduna et Zaria.


Bunmi Aborisade, rédacteur au mensuel June 12, arrêté et détenu au quartier général du Bureau des Secrets Secrets de l'Armée à Apapa, Lagos, le 11 avril. Il a été libéré le 6 mai.


John Odion, secrétaire général du Syndicat national des employés de banque, d'assurances et d'institutions financières, détenu sans chef d'accusation du 10 novembre 1995 au 22 février 1996.


D'autres détenus ont été arrêtés pendant quelques heures ou un jour ou deux à la fois. Le 13 juin, Mahmoud Abdul Aminu, représentant de la Civil Liberties Organisation (CLO) à Ijebu-Ode, a été arrêté et emprisonné jusqu'au jour suivant. Il devait alors se présenter au bureau du SSS mais il est parti se cacher. Le 8 mai, Tunde Oladunjoye, responsable de la publicité du Comité pour la Défense des Droits de l'Homme (CDHR), Tunde Olugboji, responsable de projets du Constitutional Rights Project (CLO), ainsi que trois membres de la CLO ont été arrêtés à Jos, lors d'un carrefour sur les églises et les droits de l'homme au Nigéria. Ils ont été détenus au siège du SSS à Jos et relâchés le 11 mai. Le 20 mars, des membres du SSS ont arrêté Yemisi Odukoya, secrétaire au bureau de Femi Falana à Lagos, et l'ont interrogée sur le lieu où se trouvait Jiti Ogunye, secrétaire général du CDHR. Elle a été relâchée plus tard dans la journée. D'autres détentions sont décrites plus loin dans les chapitres sur les attaques menées contre la presse indépendante et sur les événements en pays ogoni. Il est impossible de donner des chiffres exacts concernant le nombre de détentions sans chef d'accusation effectuées pour des raisons politiques quelle que soit la période; d'une part parce que surveiller chaque Etat est impossible pour les organisations locales des droits de l'homme qui sont surtout situées à Lagos; d'autre part parce que les détentions sont souvent de courte durée et il est très difficile d'en faire le relevé précis.


Les "Conspirateurs du Coup d'Etat"

En mars 1995, un certain nombre d'officiers des forces armées et quelques civils ont été arrêtés et accusés d'avoir comploté un coup d'Etat contre le gouvernement militaire nigérian. (29) En juin et juillet 1995, un tribunal militaire a jugé quarante-trois personnes accusées d'être impliquées dans cette affaire, y compris certaines qui avaient simplement publié des informations sur l'arrestation et la détention d'autres censées avoir participé au coup d'Etat. Les accusés n'ont pas été autorisés à disposer du conseil de leur choix, il n'y a pas eu de procédure d'appel, le procès s'est tenu à huis clos et le tribunal, composé uniquement d'officiers de l'armée, avait été spécialement constitué pour traiter la cause en vertu du Décret No. 1 de 1986 sur la Trahison et Autres Délits (Tribunal Militaire Spécial). Beaucoup de Nigérians étaient sceptiques quant à l'existence réelle d'un complot, se demandant si le procès n'était pas simplement un moyen de se débarasser d'officiers et autres personnes qui représentaient une menace pour le maintien au pouvoir du gouvernement Abacha. La plupart des "conspirateurs" ont été condamnés en juillet 1995, certains à la peine de mort ou à un emprisonnement à perpétuité, bien que les peines capitales aient été commuées en emprisonnement et les peines d'emprisonnement à perpétuité aient été réduites en octobre 1995, suite aux appels internationaux. Dans les rangs des condamnés se trouvaient l'ancien chef d'Etat, le Général Olusegun Obasanjo et son adjoint le Com. Shehu Musa Yar'Adua. Parmi les civils emprisonnés pour leur prétendue implication dans le coup d'Etat figurent:


Le Dr. Beko Ransome-Kuti, président de la Campagne pour la Démocratie (CD) et militant bien connu en faveur du rétablissement d'un régime civil. Il a été arrêté par les Services Secrets (DMI) le 27 juillet 1995, cinq jours après avoir pris la parole lors d'une conférence de presse sur la condamnation des prétendus conspirateurs. Il avait auparavant fait circuler dans les associations internationales de droits de l'homme la déposition faite pour sa défense par le Col. R.S.B. Fadile, chef du Conseil de l'Armée pour les Affaires Juridiques et l'une des personnes prétendument impliquées dans le complot. Le Tribunal Militaire spécial a été spécialement reconvoqué pour traiter cette affaire, et il a été condamné le 2 août, après un procès de quinze minutes, pour avoir été "complice par assistance" dans l'acte de trahison en ayant "obtenu illégalement des documents sensibles relatifs à la tentative de coup d'Etat, documents qu'il a faxés à l'étranger, à ses collaborateurs au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, en vue de renverser et menacer le Gouvernement Militaire fédéral." Il a été condamné à la prison à perpétuité, peine commuée ensuite en quinze ans d'emprisonnement. Il a également été condamné à deux ans de prison en tant que "complice d'une forfaiture par assistance" pour avoir faxé à l'étranger en date du 12 juillet une lettre de Shehu Sani (voir plus bas). Les deux condamnations ont été réduites à quinze ans en octobre 1995.


Le Dr. Ransome-Kuti est détenu à la prison de Katsina, au nord du Nigéria. Il serait actuellement en très mauvaise santé. Il n'a pas été autorisé à recevoir la visite d'un médecin autre que celui de la prison, et il n'a pas pu consulter d'avocat. Sa famille a obtenu l'autorisation d'une visite par mois, celle de son épouse ou de l'une de ses filles, mais toujours en présence de quatre gardiens de prison, notamment le Directeur Adjoint des Prisons. Si le Directeur Adjoint n'est pas libre, la visite ne peut avoir lieu. Autrement, il est soumis au régime cellulaire et ne peut recevoir de correspondance. Le régime n'a pas tenu compte des décisions de justice ordonnant qu'il soit traduit devant un tribunal.


Shehu Sani, vice-président de CD, région de Kaduna, arrêté en mars 1995 par le DMI. Il a été reconnu coupable et d'abord condamné par le Tribunal Militaire Spécial à sept ans de prison pour avoir "dirigé une société illégale" - bien que CD n'ait pas été déclarée illégale. Puis le 14 juillet, il a été condamné à la prison à vie, peine communée en quinze ans par la suite, pour avoir été complice de trahison par assistance, sur base d'une lettre écrite le 12 juillet à propos de sa condamnation imminente, laquelle a été faxée à l'étranger par le Dr. Ransome-Kuti. Il est détenu à la prison d'Aba et n'est pas autorisé à recevoir de visites.


Rebecca Ikpe, belle-soeur du Col. R.S.B. Bello Fadile, reconnue coupable de complicité de trahison par assistance, pour avoir remis au Dr. Ransome-Kuti la déposition faite par le Col. Fadile pour sa défense. Au moment de son arrestation, elle était dans un grave état d'anémie. Elle serait détenue à la prison de Zaria. Personne ne sait si elle reçoit les soins médicaux que son état requiert.


Christine Anyanwu, Kunle Ajibade, George Mbah et Ben Charles Obi, tous journalistes. Chris Anyanwu, rédacteur en chef et éditeur de TSM ("The Sunday Magazine"), George Mbah, rédacteur adjoint de la revue Tell, Kunle Ajibade, rédacteur de la revue The News, et Ben Charles Obi, rédacteur de la revue Classique, ont été condamnés à des peines d'emprisonnement dans le cadre de la tentative de coup d'Etat. Les preuves citées contre eux étaient uniquement des articles publiés à propos du procès, qui visaient soi-disant "à monter le public contre le Gouvernement Militaire Fédéral du Nigéria." Ils sont détenus dans différentes prisons situées à une bonne distance de Lagos. Kune Ajibade serait en mauvaise santé et souffrirait d'un problème rénal.


A maintes reprises, le gouvernement nigérian a nié qu'il existait des prisonniers politiques au Nigéria. Par exemple, dans une communication au Groupe de Travail de l'ONU sur les Détentions Arbitraires en juillet 95, il a déclaré que "le Nigéria nie toute détention arbitraire et réitère que toutes les personnes détenues le sont uniquement dans les cas reconnus et permis par la loi. L'une des pierres angulaires sur laquelle se fonde le corps politique est le respect des droits de l'homme." (30)



Confiscation des Documents de Voyage

Sortir du pays est devenu extrêmement difficile pour les militants des droits de l'homme. Un certain nombre de militants bien connus se sont vu confisquer leur passeport en rentrant ou en quittant le pays, ce qui les empêche de voyager à l'avenir, notamment:


Olisa Agbakoba, ancien président de la Civil Liberties Organization, dont le passeport a été confisqué le 3 février 1996, alors qu'il rentrait d'un voyage au Canada et en Europe;


Ayo Obe, actuel président de la CLO, dont le passeport a été confisqué le 29 mars 1996, alors qu'elle quittait le pays pour assister à une réunion du Comité des Droits de l'Homme de l'ONU à New York;


Tunde Olugboji, responsable de projets au Constitutional Rights Project, dont le passeport a été confisqué le 9 avril 1996, alors qu'il quittait le pays pour participer à la réunion de la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU à Genève;


Glory Afi-Kilanko, présidente des Femmes du Nigéria (WIN - Women in Nigeria), dont le passeport a été confisqué le 30 juin 1995, alors qu'elle rentrait d'une conférence de la Fondation du Commonwealth organisée en Nouvelle-Zélande et qui avait pour thème: "Le Chemin pour sortir de la pauvreté". Elle y avait parlé publiquement du besoin d'aborder le problème de la "pauvreté politique", point qui n'était pas à l'ordre du jour, et elle avait distribué des documents que lui avait remis la Fédération des Femmes Ogoni.


Autres personnes dont les passeports auraient été confisqués: le Chef Gani Fawehinmi; Kola Abiola; le Chef G.O.K. Ajayi, conseil du Chef Abiola; le Prof. Wole Soyinka, lauréat du prix Nobel en exil; Odia Ofeimun, chroniqueur et président de l'Association des Auteurs Nigérians; Eziuche Ubani, rédacteur politique du quotidien This Day; le Dr. Ore Falomo, médecin du Chef Abiola; le Col. Abubakar Umar; le Gén. Joshua Dogonyaro; le Brig. Gén. Halilu Akilu; le Lt Gén. Aliyo Gusau; le Chef Sobo Sowemimo, légiste; le Sénateur Bola Tinubu, militant de la NADECO; Wale Oshun, secrétaire de la NADECO; le Dr. Doyin Okupe, docteur en médecine; le Sénateur Abraham Adesanya, militant de la NADECO; le Chef Olu Adebanjo, militant de la NADECO; Alhaji Ganiyu Dawodu, militant de la NADECO; et le Chef Alao Aka-Bashorun, dirigeant d'Alternative Démocratique. (31)


Le Comité des Droits de l'Homme de l'ONU a critiqué cette pratique dans ses observations de juillet 1996, après avoir examiné le premier rapport présenté au Comité par le Nigéria en vertu de l'Article 40 du Pacte international relatif aux Droits Civils et Politiques, faisant remarquer qu'il avait appris que des membres de la CLO avaient été empêchés d'assister à sa session précédente, alors que "les représentants des organisations non gouvernementales, internationales ou locales, sont autorisées à assister aux réunions où les rapports sont examinés et à apporter des informations aux membres du Comité de façon informelle." Le Comité a recommandé que "le Gouvernement du Nigéria veille à ce qu'on n'empêche pas les particuliers (y compris les membres d'organisations non gouvernementales) de quitter le Nigéria pour assister aux sessions du Comité." (32)


De nombreux militants des droits de l'homme choisissent de quitter le pays par voie de terre, afin d'éviter les contrôles de sécurité à l'aéroport international de Lagos; pourtant, même aux frontières, ils courent de sérieux risques en se rendant aux conférences et autres réunions. Anyakwee Nsirimovu, de l'Institut pour les Droits de l'Homme et le Droit Humanitaire à Port Harcourt, a été arrêté à la frontière avec le Bénin le 15 juillet 1996 alors qu'il rentrait au Nigéria par voie terrestre après un voyage au Canada pour une formation sur les droits de l'homme. Il a été détenu pendant deux jours, sérieusement brutalisé et accusé d'avoir planifié des activités subversives.


Harcèlement des Proches des Membres de l'Opposition

Les membres des familles de personnes impliquées dans des activités en faveur des droits de l'homme ou de la démocratie font aussi souvent l'objet de harcèlements de la part des autorités. Les épouses et enfants reçoivent fréquemment des menaces et la pression est mise pour que les personnes visées cessent leurs activités.


Le fils de douze ans de Glory Afi-Kilanko, présidente du WIN, a été harcelé à l'école par des hommes qui lui ont dit que sa mère avait des problèmes à cause de ce qu'elle avait écrit; un jour, des individus sont arrivés à l'école et lui ont dit qu'ils avaient été envoyés par sa mère pour le ramener chez lui alors que ce n'était pas vrai (le jeune garçon a heureusement averti la direction de l'école qui ne l'a pas laissé partir). Depuis, le jeune garçon et sa soeur de dix ans ont changé d'école.


Bose Lijadu, la fille de dix-sept ans du président de Campaign for Democracy dans l'Etat d'Ogun, a été arrêtée en juin 1996 alors que les autorités recherchaient son père, Olanrewaju Lijadu. A l'heure actuelle, elle serait toujours en détention. En juillet 1996, Christina Lijadu, l'épouse d'Olanrewaju Lijadu, a déclaré que son mari n'avait pas été vu depuis le 10 juin, soit le jour avant que les membres du SSS ne fouillent leur maison et n'emmènent sa fille. (33)


John Paul Mokuolu, un garçon de treize ans ayant la double nationalité britannique et nigériane, a été détenu pendant trente-et-un jours en avril et mai 1996 alors qu'il était venu en vacances pour rendre visite à son père, un frère de l'ancien chef d'Etat emprisonné Olusegun Obasanjo. Il a été arrêté lorsque des membres du DMI sont arrivés à la résidence de son père et a apparemment été retenu comme otage au quartier général du DMI à Opapa, dans l'espoir que son père essaierait d'obtenir sa libération. Il a finalement été relâché, seulement après que le gouvernement britannique ait exercé des pressions diplomatiques.


Attaques contre les Habitations et les Biens des Opposants en Exil

Le gouvernement nigérian a pris pour cible les exilés politiques nigérians qui continuent à parler contre le régime militaire d'Abuja.


Le 5 décembre 1995, la maison du lauréat du prix Nobel, le Prof. Wole Soyinka, à Abeokuta a été fouillée par des soldats armés sans qu'aucune explication ne soit donnée;


Le 1 mai 1996, des cocktails Molotov ont été lancés contre la maison à Lagos de l'ancien général et homme politique de la NADECO en exil, Alani Akinrinade, détruisant l'intérieur de la maison. (34)


Les biens d'opposants nigérians dans d'autres pays ont également été la cible d'attaques:


Le 15 juin, la maison à Brooklyn, New York, de Jumoke Ogunkeyede, président du United Committee to Save Nigeria (Comité uni pour sauver le Nigéria) a été entièrement décimée par le feu. Les pompiers et la police de New York ont déclaré qu'ils penchaient pour la thèse de l'incendie criminel. (35)


Les personnalités de l'opposition en exil font état de nombreuses autres menaces contre leur vie et leurs biens. A Londres, par exemple, il est courant que les opposants de la NADECO, du MOSOP, de la CD et autres soient suivis et reçoivent des menaces téléphoniques en lien avec leurs activités. Des voitures ont fait l'objet de vandalisme ou ont été volées dans des circonstances suspectes, et des vols ont été commis au cours desquels des documents et des objets de valeur ont été emportés. (36)


Attaques contre la Presse Indépendante

La presse indépendante au Nigéria a été forcée d'adopter un mode d'opération appelé "journalisme de guérilla", ses rédacteurs et journalistes opérant souvent dans la clandestinité et étant constamment sur leurs gardes quant à une possible arrestation. En dépit de ces précautions, des journalistes sont régulièrement interpellés pour être interrogés. Quatre journalistes sont toujours en prison à cause de leur reportage sur la prétendue tentative de coup d'Etat de 1995. George Onah, correspondant de The Vanguard est détenu depuis mai 1996 en vertu du Décret No. 2. Nosa Igiebor, rédacteur de l'hebdomadaire engagé Tell, l'un des critiques les plus virulents du gouvernement, a été libéré le 24 juin 1996, après six mois d'emprisonnement. A deux reprises en décembre 1995, tous les exemplaires de Tell ont été saisis par le SSS: 55.000 exemplaires d'un numéro qui avait pour grand titre "Liberté pour Abiola: le monde attend Abacha"; et 20.000 exemplaires de l'édition de Noël avec un grand titre en couverture: "Abacha est inflexible: il terrorise l'opposition". En juin 1996, la direction de Tell a communiqué que plus de 300.000 exemplaires de la revue avaient été saisis au cours des huit derniers mois. (37)


En décembre 1995, des incendiaires ont bouté le feu aux bureaux de la compagnie Independent Communications Network Limited, les éditeurs de The News, Tempo et d'autres journaux indépendants; le même mois, des individus non identifiés ont pénétré dans les locaux du quotidien The Guardian et ont mis le feu à une partie du bâtiment. (38) Le 8 février 1996, Alex Ibru, éditeur de The Guardian et ancien ministre de l'intérieur, a été blessé par balles par des hommes non identifiés, mais il a survécu à ses blessures. La responsabilité de l'attentat a été revendiquée au nom du Mouvement Révolutionnaire pour l'Intérêt des Hausa-Fulani dans un fax envoyé à une agence de presse internationale à Lagos et qui déclarait que le mouvement appuyait le programme de transition du Gén. Abacha et était "totalement opposé au 12 Juin et à tous ceux du sud qui s'attachent à défendre l'hypothèse stupide, bornée et pernicieuse que les Hausa-Fulani vont être renversés au Nigéria." (39) De juin 1994 à juin 1995, The Guardian a été interdit par décret militaire; par ailleurs, les interdictions décrétées contre The National Concord, un quotidien appartenant au Chef Abiola, et la revue The Punch sont restées en vigueur jusqu'au 1 octobre 1995.


Une semaine après la libération de Nosa Igiebor en juin 1996, la direction de Tell a publié une déclaration faisant savoir que d'autres membres du personnel de la revue avaient été suivis par des agents de la sûreté, qu'ils avaient reçu des menaces téléphoniques et que leurs maisons avaient fait l'objet de fouilles. (40) En réponse, le directeur fédéral des Informations du ministère de la défense, le Gén. de Brigade Fred Chijuka, a déclaré que seuls les journalistes écrivant des articles qui pouvaient "déstabiliser le pays" devaient craindre les actions de la sûreté de l'Etat: "Tout ce que les services secrets militaires peuvent faire pour empêcher d'écrire des articles subversifs et des histoires qui suscitent des tensions partout, ils doivent le faire. C'est leur travail." (41)


Deux publications nigérianes indépendantes ont été obligées de fermer au début juin 1996, d'une part le TSM ("The Sunday Magazine") publié par Chris Anyanwu, emprisonnée dans le cadre de la "tentative de coup d'Etat", d'autre part le quotidien A.M. NEWS. Le directeur d'A.M. News, Bayo Onanuga, a été arrêté le 19 juin, une semaine après la suspension de la publication, ainsi que quatre autres employés de l'independent Communication Network qui publie A.M. News. Les arrestations étaient apparemment liées à un article de la revue The News, publiée par la même compagnie, sur l'enquête menée à propos de l'assassinat de Kudirat Abiola. Les journalistes ont dû passer la nuit en prison et ont été relâchés le lendemain. Bayo Onanuga et Babafemi Ojudu, un journaliste de The News, ont de nouveau été arrêtés le 12 août en raison de l'article principal de The News consacré au ministre du pétrole, Dan Etete, et intitulé "L'homme auquel Abacha ne peut pas toucher." Ojudu a été libéré le 13 août et Onanuga le 17 août.


Les journalistes n'ont pas besoin de faire des reportages sur des sujets politiques sensibles pour faire l'objet de harcèlements. Human Rights Watch a parlé à un journaliste qui, un soir de juin 1996, avait voulu faire un reportage sur une femme qui était expulsée de sa maison par des officiers de la marine qui prétendaient agir sur les instructions d'un officier supérieur de la marine avec qui la femme était en litige. Il a vu les officiers de la marine arrêter six jeunes qui se trouvaient dans la maison et il a été lui-même arrêté après que son sac ait été fouillé et qu'ils aient trouvé sa carte de presse et son carnet de notes. Il a été emmené à la base navale où il a vu les jeunes recevoir de violents coups de poing et de pied. Il a finalement été relâché vers minuit. Il n'a pas publié l'histoire dans le journal pour lequel il écrit. Il avait déjà eu des expériences similaires précédemment: en octobre 1995, alors qu'il couvrait une émeute dans un marché organisé sur des terres appartenant aux forces armées, il avait été emmené dans les locaux des forces armées et un officier lui avait dit "s'il y a des nouvelles intéressantes ici, nous enverrons quelqu'un vous chercher pour assurer le reportage," et il avait ajouté que s'il écrivait quoi que ce soit à propos des émeutes, il serait considéré comme un émeutier lui-même. (42)


En juin 1996, la conférence annuelle du Syndicat National des Journalistes (NUJ), prévue au centre de presse du NUJ à Ibadan, n'a pu avoir lieu en raison d'une décision prise le 24 juin par la Haute Cour Fédérale d'Abuja. Dix journalistes avaient entamé une action en justice pour empêcher la dissolution du conseil d'administration national existant et l'élection de nouveaux administrateurs. Le président en exercice du NUJ, Bonny Iwuoha, était entré en fonction en mars 1996, après avoir gagné un procès pour l'éviction de Ladi Lawal, un militant élu président en 1994. La presse indépendante avait l'impression que les différentes actions en justice avaient été organisées par le gouvernement fédéral, dans un souci d'empêcher un véritable porte-parole des journalistes d'émerger au sein du NUJ. (43) Le 13 août 1996, le secrétaire national adjoint du NUJ, John Bagu, était arrêté à Abuja et emprisonné pendant plusieurs jours.


La presse parlée au Nigéria est entièrement contrôlée par le gouvernement nigérian. La télévision, et surtout la radio d'où la plupart des gens tirent leurs informations, diffusent en permanence des émissions partiales où le point de vue de l'opposition est exclu. Depuis le 12 juin 1996, une radio créée par des exilés nigérians, Radio Democrat International Nigeria (RDIN) a commencé à émettre au Nigéria sur les ondes courtes, à des heures qui correspondent aux principaux journaux parlés de la radio gouvernementale, Radio Nigeria. (A partir de juin 1995, une autre radio indépendante, Radio Freedom Frequency, a émis pendant quelques mois en FM à Lagos). Le gouvernement nigérian a indiqué qu'il essaierait de bloquer les transmissions de la RDIN, maintenant renommée Radio Kudiratu en l'honneur de Kudirat Abiola, mais il semble qu'il ne dispose pas encore de la technologie appropriée pour le faire.


Des journalistes travaillant pour des publications étrangères ont aussi été victimes de harcèlements. Le 15 février 1996, la nouvelle correspondante de BBC World Service, Hilary Andersson, était arrêtée et devait passer la nuit en prison. Les nombreux correspondants locaux du service Hausa de la BBC sont régulièrement interpellés par le SSS pour être interrogés. Le 9 mai, Ray Power 100 FM, une radio privée, recevait l'ordre de ne plus diffuser le programme de la BBC World Service Network Africa, ce qu'elle avait commencé à faire quotidiennement. (44). Le 1 juillet, un reporter égyptien travaillant pour l'Agence de Presse du Moyen-Orient quittait le Nigéria pour rentrer dans son pays après avoir été incarcéré pendant une semaine par les autorités nigérianes qui le soupçonnaient vaguement d'avoir été impliqué dans des activités autres que le journalisme. (45) La détention d'une semaine en janvier 1996 du correspondant du Financial Times de Londres, Paul Adams, est décrite ci-dessous.


Violations de la Liberté d'Enseignement

Le 15 mai 1996, le ministère fédéral de l'éducation annonçait dans une déclaration que les activités au niveau national de tous les syndicats existant dans les universités nigérianes étaient interdites: désormais, seules les activités limitées à chaque université seraient autorisées, étant donné que les syndicats au niveau national "représentaient un obstacle au maintien de la paix et de l'harmonie sur les campus." (46) Les syndicats touchés par cette mesure étaient l'union du personnel enseignant des universités (ASUU - Academic Staff Union of Universities), l'association nationale des étudiants nigérians (NANS - National Association of Nigerian Students), l'union du personnel non enseignant des universités (NASU - Non-Academic Staff Union of Universities) et l'association des professeurs des universités nigérianes (SSANU - Senior Staff Association of Nigerian Universities). L'ASUU et la NANS en particulier étaient depuis des années des foyers de résistance face à la répression gouvernementale et elles avaient participé pleinement aux manifestations de 1993 et 1994 en faveur de la démocratie et des résultats des élections du 12 juin 1993. L'interdiction faisait suite à une grève totale lancée par l'ASUU le 9 avril - après les grèves d'un jour des 18 et 25 mars et du 1 avril - pour réclamer de meilleurs salaires et de meilleures conditions pour les assistants d'université, un meilleur financement des universités et le respect de l'autonomie dans l'administration des universités. Apparemment cette interdiction visait à empêcher le syndicat de poursuivre des buts qui ne seraient pas simplement liés aux salaires et aux conditions. Peu après l'annonce de l'interdiction, le gouvernement a fait parvenir une circulaire aux conseils d'administration des universités, les chargeant de négocier directement avec les sections locales des syndicats, mais uniquement en ce qui concerne les conditions de salaires et les conditions de service: "les questions telles que le financement, l'autonomie de l'université, la composition des conseils et la nomination des présidents d'université qui sont la prérogative du gouvernement peuvent être abordées pour générer de nouvelles idées, mais elles ne peuvent pas faire partie d'un protocole d'accord." (47)


L'ASUU a été fondée en 1978 dans le but de restaurer l'autonomie des universités, de défendre la liberté de l'enseignement et d'améliorer les conditions du personnel et des étudiants. Depuis lors, elle a eu de nombreux conflits avec le gouvernement fédéral. En 1986, l'ASUU a été forcée de se désaffilier du National Labour Congress (Congrès national du travail), la principale organisation syndicale; elle a été interdite en 1988, à nouveau autorisée en 1990 et une nouvelle fois interdite en 1992. Le 9 septembre 1992, suite à une période d'agitation soutenue dans les universités qui avait causé sa dernière interdiction, l'ASUU concluait un accord avec le gouvernement fédéral, en vigueur depuis juin 1992, qui restaurait partiellement l'autonomie des universités après des dizaines d'années d'effritement, et qui réformait également l'administration des universités de façon à ce que le personnel enseignant ait une influence sur les nominations et les promotions. Jusqu'alors, le conseil d'administration de chaque université, responsable de la gestion globale, était composé en grande partie de personnes nommées par le gouvernement; après l'accord, les membres du conseil élus par les instances internes de l'université avaient une majorité de 50% + 1. Les conseils d'université ont aussi été démocratisés, n'étant plus formés presque exclusivement de délégués des présidents d'université; les facultés ont subi des réformes similaires. Les postes de présidents d'université (considérés comme des postes réservés aux amis du gouvernement) ont été communiqués par voie d'annonce, et un comité-conseil a été mis sur pied pour évaluer les candidats, le conseil faisant alors une recommandation à l' "invité" de l'université (dans toutes les universités fédérales, il s'agit du chef de l'Etat; dans les universités d'Etat, il s'agit du gouverneur de l'Etat. L'invité est l'arbitre suprême dans tous les différends concernant les statuts de l'université et il a le pouvoir de faire des recommandations suite à une enquête sur tout aspect de la vie universitaire). (48) L'accord a été mis en oeuvre par le Décret No. 11 de 1993.


L'accord de 1992 comprenait une disposition qui prévoyait sa révision après trois ans. En mai 1995, l'ASUU a fait de nouvelles propositions pour apporter des changements dans les domaines du financement et des conditions de service et a fait des démarches auprès du gouvernement pour négocier ces conditions et réviser l'accord. Le gouvernement a refusé de rencontrer l'ASUU pour discuter de ces propositions, avançant tout d'abord que l'accord était caduc alors que l'ASUU affirmait qu'il restait en vigueur jusqu'à ce qu'il soit révisé. En novembre 1995, l'ASUU lançait un ultimatum pour le début des négociations concernant la révision. Le 6 janvier, conformément à la législation du travail applicable dans ce cas, l'ASUU annonçait l'existence d'un différend entre les parties, mais les actions de grève allaient être reportées à plusieurs reprises par le comité national exécutif pour donner au gouvernement l'occasion de résoudre le différend. Les grèves d'un jour par semaine allaient débuter le 18 mars, une grève au finish étant prévue à partir du 9 avril. Le 4 avril, le gouvernement annonçait la formation d'une équipe de négociation qui devait rencontrer l'ASUU, bien que l'ASUU n'ait été informée officiellement de cette décision que le 15 avril. Les négociations entre l'équipe du gouvernement fédéral et les représentants de l'exécutif national de l'ASUU - au cours desquelles les représentants du gouvernement avaient indiqué que leurs objections portaient sur les dispositions de l'accord de 1992 concernant l'autonomie des universités et le rôle octroyé aux universitaires dans l'administration de l'université - étaient en cours au moment de l'interdiction du 15 mai visant les activités nationales menées par les syndicats universitaires. La grève s'est poursuivie malgré l'ultimatum posé par le gouvernement à tous les professeurs les sommant de reprendre le travail le 19 juin, faute de quoi ils seraient licenciés, et malgré les harcèlements et intimidations auquels le SSS a soumis les membres de l'exécutif national de l'ASUU considérés comme les meneurs du mouvement de grève. (49) Le personnel en grève a effectivement été licencié dans un certain nombre d'universités et des actions en justice ont été entamées dans plusieurs Etats en lien avec les grèves et les licenciements. Le 23 août 1996, le gouvernement annonçait qu'il interdisait l'ASUU, la SSANU et la NASU, tant au niveau local que national, et qu'il confisquait leurs biens. Le 26 août, quatre professeurs d'université et membres du comité de l'ASUU à l'Université Tafawa Balewa à Bauchi étaient arrêtés et emprisonnés pendant deux jours. Le 28 août, une réunion des membres de l'ASUU à l'Université de Bayero à Kano était interrompue après que le président de l'université ait appelé la police. Le Dr. Frank Dinowo, président de la section de l'ASUU à l'Université de Jos, et le Dr. Ozo Eson, membre de l'équipe de négociation nationale, auraient été arrêtés à Jos le 4 septembre. Quelques jours plus tard, trois étudiants de l'Université de Lagos accusés de travailler avec des membres de l'ASUU, étaient interpellés à leur tour.


Violations de la Liberté d'Association et de Réunion

Les groupes de l'opposition ou non-gouvernementaux sont souvent empêchés de se réunir. La levée de l'interdiction sur les activités politiques, annoncée le 1 octobre 1995, n'a apporté aucun changement pour les opposants qui veulent organiser des rassemblements pour protester contre la politique gouvernementale ou même se réunir à huis clos pour discuter de la situation politique du pays. Par ailleurs, l'article 6 du Décret relatif à la Transition vers un Régime Civil transforme en délit presque toute activité de protestation contre le programme de transition. Le 17 novembre 1995, Campaign for Democracy (CD) a organisé un rassemblement à Ebute Metta, Lagos, pour marquer l'anniversaire du coup d'Etat qui avait amené Abacha au pouvoir et protester contre l'exécution de Ken Saro-Wiwa. Les manifestants se sont dispersés à l'arrivée d'une patrouille de police armée de fusils d'assaut. (50) Le 19 décembre 1995, un rassemblement convoqué par la CD a été interdit par les autorités et la police a été déployée pour empêcher les gens de se réunir. Plusieurs milliers de personnes se sont néanmoins réunies et ont été dispersées à l'aide de gaz lacrymogènes. (51) Le 27 décembre, la police nigériane a réaffirmé l'interdiction applicable à tous les rassemblements publics dans l'Etat d'Ogun, après que la CD ait annoncé une marche de protestation prévue pour le 28 décembre à Abeokuta, la ville dont sont originaires le Chef Abiola, le Dr. Beko Ransome-Kuti et le Gén. Obasanjo, tous trois emprisonnés. (52) Le 15 janvier 1996, la police a mis en garde la population de ne pas assister au rassemblement organisé par la CD et la NADECO et par la suite, elle a dispersé le rassemblement qui avait lieu au terrain de sport de Shitta à Lagos, près du stade national. (53) En mars 1996, des membres du SSS ont empêché la réalisation de deux séminaires financés par le US Information Service à Jos et Kaduna, l'un sur le processus politique au Nigéria et l'autre sur les études américaines, auquel étaient invités des participants de différents pays d'Afrique. Un certain nombre de séminaires financés par la Fondation Friedrich Ebert en mai et juin 1996 ont aussi été annulés et en juin 1996, la Fondation a été convoquée par le SSS à une réunion sur le campus de l'Université de Lagos (où se trouvent ses bureaux), en présence du vice-président de l'université. Les représentants de la Fondation ont été avisés que la Fondation ne devait pas appuyer les groupements en faveur des droits de l'homme et de la démocratie. Le représentant du SSS a refusé de décliner son nom. (54)


Bien que le gouvernement ait annoncé diverses initiatives de réconciliation en pays ogoni et dans le Delta du Niger, tout effort pour discuter des problèmes auxquels sont confrontées les minorités du Delta du Niger mais qui n'est pas officiellement organisé à l'initiative du gouvernement est régulièrement torpillé par les forces de sécurité. Par exemple, le Southern Minorities Movement (Mouvement des minorités du sud), organisation rassemblant des dirigeants de divers groupes minoritaires ethniques du Delta du Niger, avait essayé d'organiser un colloque pour discuter des problèmes des minorités les 1 et 2 mars 1996. L'un des intervenants prévus était le Chef Anthony Enahoro, un homme politique chevronné et dirigeant de la NADECO qui avait fui le Nigéria. Le SMM avait écrit à la police pour demander l'autorisation d'organiser le colloque et obtenir des mesures de sécurité à la rencontre. L'autorisation a été refusée. (55) Le SMM a essayé d'organiser une autre conférence pour le 13 juin 1996. Les intervenants prévus étaient entre autres le Chef Harold Dappa Biriye, un homme politique octogénaire de la région, et le Dr. Nwala, professeur et délégué à la conférence constitutionnelle. Le SMM a été avisé de ne pas organiser la conférence car la date était trop proche de celle du 12 juin (anniversaire de l'annulation des élections de 1993). Des véhicules blindés sont arrivés à l'hotel où la conférence devait avoir lieu et des agents de la sécurité ont empêché les participants de pénétrer dans l'hotel. (56)


Les syndicats ne peuvent pas non plus s'organiser librement. Une structure syndicale unique a été mise en place par la loi. En d'autres termes, tout syndicat reconnu est obligatoirement affilié au Nigeran Labour Congress (NLC) et un nombre maximum de syndicats affiliés, désignés par catégorie de travailleurs, est également déterminé. En 1986, il a été fixé à quarante-et-un. En 1994, en réponse aux grèves nationales organisées par les travailleurs de l'industrie du pétrole, le gouvernement nigérian a dissout les conseils exécutifs du NLC et les conseils exécutifs des syndicats du pétrole NUPENG et PENGASSAN, les remplaçant par des administrateurs uniques (Décrets No. 9 et 10 de 1994). En vertu du Décret (Amendement) No. 4 de 1996 relatif aux Syndicats, le gouvernement s'est attelé à une nouvelle restructuration du système syndical, réduisant le nombre de syndicats autorisés de quarante-et-un à vingt-neuf, et empêchant les permanents syndicaux élus de remplir leur fonction dans les syndicaux individuels ou le NLC. Un bon nombre de dirigeants syndicaux sont en prison, comme nous l'avons dit plus haut. Cette situation a été condamnée à maintes reprises par l'Organisation Internationale du Travail (OIT), et tout dernièrement à la conférence générale de l'OIT qui s'est tenue en juin 1996, au cours de laquelle le Comité sur les Normes de la conférence a fait remarquer qu'il "n'avait pu constater aucune amélioration en dépit des observations émises pendant un laps de temps assez long par le Comité d'Experts [sur la Convention 87 relative à la liberté d'association] et en dépit des nombreuses discussions qui ont eu lieu au sein du Comité de la conférence sur les contradictions importantes entre la loi et la pratique et la Convention." Le Comité "a insisté sur le fait que le Gouvernement devait prendre des mesures immédiates en vue du respect absolu des libertés civiles indispensables aux droits syndicaux." (57)



23. Amnesty International, Urgent Action, UA 282/94, 21 juillet 1994; "Abiola's Travails," Constitutional Rights Journal (Lagos), octobre-décembre 1994.

24. Pini Jason, "Abiola in Hock," New African (Londres), mai 1996; Reuter, le 6 mai 1996.

25. Pan African News Agency (PANA), le 8 mai 1996.

26. PANA, le 8 mai 1996.

27. D'autres assassinats ou tentatives d'assassinat de personnalités politiques ont eu lieu au Nigéria l'année dernière: le 6 octobre 1995, Alfred Rewane, homme politique chevronné du sud-ouest du pays et principal bailleur de fonds de la NADECO, était abattu dans sa maison à Lagos; le 2 février 1996, Alex Ibru, éditeur du journal indépendant The Guardian et ancien ministre de l'intérieur, était blessé par balles dans sa voiture à Lagos.

28. Groupe de Travail sur la Détention Arbitraire, Décision No. 2/1996 (concernant Meshack Karanwi, Batom Mitee et Lekue Loolo) et Décision No. 6/1996 (concernant le Gén. Olusegun Obasanjo et dix-neuf autres personnes, le Dr. Beko Ransome-Kuti, le Dr. Tunji Abayomi et Chima Ubani), adoptées les 22 et 23 mai respectivement. Dans aucun des cas, le gouvernement nigérian n'a donné de réponse réfutant les allégations reprises dans les communications pendant la période de dix-neuf jours accordés pour répondre avant que les décisions ne soient publiées. Une communication sur une autre affaire a été envoyée suite à une réunion du Groupe de Travail en juillet et attend toujours une réponse du gouvernement nigérian.

29. Voir Amnesty International, "A Travesty of Justice: Secret Treason Trials and Other Concerns," AI Index AFR 44/23/95, 26 octobre 1995.

30. Communication du gouvernement nigérian au Centre des Nations Unies pour les Droits de l'Homme datée du 26 juillet 1995.

31. Liste fournie par Campaign for Democracy, bureau de Londres.

32. Comité des Droits de l'Homme, Consideration of Reports Submitted by States Parties under Article 40 of the Covenant: Concluding Observations by the Human Rights Committee, Document ONU CCPR/C/79/Add.65 (Genève: Nations Unies, le 24 juillet 1996).

33. "Opposition radio says democracy campaigner reported missing," tiré du reportage de Radio Democrat International Nigeria du 18 juillet 1996 et diffusé par SWB AL/2671 A/13, le 23 juillet 1996.

34. Reuters, PANA, 2 mai 1996.

35. Rose Umoren, "Arson Seen in Burning of Activist's House," IPS, 21 juin 1996; Yusef Salaam, "Who torched Nigerian's home? Was it revenge?" New York Amsterdam News, 29 juin 1996.

36. Arien Harris, "Nigerian spies comb London for dissidents," The Observer (Londres), 18 août 1996; témoignages recueillis par Human Rights Watch/Africa auprès de militants nigérians à Londres, août 1996.

37. "U.S. Press Freedom Group Condemns Attacks on Nigerian Independent Press," déclaration faite par le Committee to Protect Journalists, le 6 février 1996; "Not Yet Freedom," Communiqué de Presse de la direction de Tell le 30 juin 1996.

38. "Security Service Disrupts Two Publications," programme de la BBC Focus on Africa, diffusé par le US Government Foreign Broadcast Information Service (FBIS) FBIS-AFR-95-243, 19 décembre 1995.

39. James Jukwey, "Nigeria: Unknown Nigerian Group Claims Attack on Publisher," Reuters, 8 février 1996. Le gouvernement militaire nigérian est dominé par les membres du groupe ethnique du nord , les Hausa-Fulani.

40. "Not Yet Freedom", Communiqué de Presse de la Direction de Tell, le 30 juin 1996.

41. Madu Ouorah, "No need to fear, Chijuka tells media" The Guardian (Lagos), le 3 juillet 1996.

42. Témoignage recueilli par Human Rights Watch, juin 1996.

43. Kehinde Bamegbetan, "Mysterious Agenda", The Week, le 15 juillet 1996. Les conseils exécutifs nationaux de l'Association Nigériane des Médecins et de l'Association Nigériane du Barreau sont également actuellement en plein désarroi, suite à des batailles semblables devant les tribunaux à propos de l'élection des administrateurs. Avec la dissolution du Congrès Nigérian du Travail et l'interdiction du Syndicat du personnel universitaire (voir plus bas), les problèmes du NUJ s'inscrivent dans un contexte de pratique généralisée consistant à semer le trouble dans les directions nationales des organisations susceptibles d'être dérangeantes.

44. Committee for the Defence of Human Rights, Victims, vol. 7, no. 21, avril-juin 1996 (Lagos).

45. "Egyptian reporter released after detention, interrogation in Nigeria," tiré d'un reportage du 2 juillet 1996 de l'agence de presse du Moyen-Orient et diffusé par le SWB AL/2654 A/10 le 3 juillet 1996.

46. "Activites of university unions banned at national level," tiré du reportage réalisé par la radio nigériane le 15 mai et diffusé par le SWB AL2615 A/9.

47. Mohammed Abubakar, "Govt unfolds guidelines on talks with ASUU, others," The Guardian (Lagos), 6 juin 1996.

48. Pour plus d'informations sur les questions concernant la liberté d'enseignement au Nigéria, voir Abdul Raufu Mustapha "The State of Academic Freedom in Nigeria" dans The State of Academic Freedom in Africa 1995 (Dakar: CODESRIA, 1996). Trois universités au Nigéria - Ahmadu Bello University (ABU), Zaria; University of Nigeria, Nsukka (UNN); et la Federal University of Technology, Minna - sont administrées par un seul administrateur; dans le cas de l'ABU, centre de militantisme étudiant, il s'agit d'un administrateur militaire, le général de division (en retraite) Mamman Kontagora.

49. Témoignages recueillis par Human Rights Watch/Africa auprès de membres de l'ASUU à Kano le 3 juillet 1996.

50. "Opposition Rallies Mark Abacha Anniversary," Agence France Press (AFP) le 17 novembre 1995, diffusé par FBIS-AFR-95-223 le 20 novembre 1995.

51. "Forces Deploy to Prevent Rally," BBC World Service, diffusé par FIS-AFR-95-243, 19 décembre 1995; "Rally Held Despite Clashes with Police," BBC world Service, diffusé par FBIS-AFR-95-244, 20 décembre 1995.

52. "Police Ban All Protest Rallies in Ogun State," AFP, le 27 décembre 1995, diffusé par FBIS-AFR-95-250, le 28 décembre 1995.

53. "Police warn against opposition gathering due on 15th January," tiré du reportage de la télévision nigériane du 11 janvier 1996, diffusé par SWB AL/2508 A/7 le 13 janvier 1996; "Police Break Up Campaign for Democracy Meeting," AFP, le 15 janvier 1996, diffusé par FBIS-AFR-96-011 le 17 janvier 1996.

54. Les séminaires portaient sur les thèmes suivants: droits syndicaux et libertés civiles, organisé par la section nord-est de la Civil Liberties Organisation (Maiduguri, 1-2 mai 1996); "Le Nigéria au-delà de l'ajustement" organisé par le Forum du Tiers Monde (Lagos, 9-10 mai 1996), éducation au droits de l'homme, organisé par le Committee for the Defence of Human Rights (Awolowo University, Ile-Ife, 29-31 mai 1996), et sur le playdoyer social, organisé par la Civil Liberties Organisation (Ibadan, 6 juin 1996). Témoignage recueilli par téléphone par Human Rights Watch/Africa auprès de Gerhard Wendler, directeur de la Fondation Friedrich Ebert, bureau de Lagos, le 28 août 1996.

55. Dans une lettre adressée au Southern Minorities Movement et datée du 28 février 1996, le préfet de police de l'Etat de Rivers déclarait: "Ayant attentivement examiné votre demande et au vu des prochaines élections locales organisées hors partis auxquelles s'ajoutent d'autres facteurs liés à la sécurité dans l'Etat et le pays, la préfecture de police vous communique par la présente le rejet de votre demande et vous recommande donc, à vous et aux autres organisateurs, d'annuler le colloque. En fait, la préfecture de police ne permettra pas la tenue de ce type de rassemblements à Port Harcourt ou tout autre lieu dans l'Etat dans un avenir prévisible et immédiat."

56. Témoignages recueillis par Human Rights Watch/Africa, Port Harcourt, le 17 juin 1996.

57. Rapport du Comité sur les Normes de la Conférence de l'OIT, juin 1996. La convention 87 de l'OIT porte sur la liberté d'association et la protection du droit à s'organiser et elle stipule en son article 2 que "Les travailleurs et employeurs, sans aucune distinction, ont le droit d'établir et, sous réserve des seules règles de l'organisation concernée, d'adhérer à des organisations de leur choix sans autorisation préalable."

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