Africa - West


Table des matières || précédent || suivant

NON-RESPECT DES DROITS

Le droit à la vie

Normes légales

L'Article six (1) du Pacte International Relatif aux Droits Civils et Politiques (P.I.R.D.C.P) stipule que: "Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie."

L'Article quatre de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples prévoit une protection similaire: "La personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l'intégrité physique et morale de sa personne. Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit."

Les soldats de l'A.F.D.L. ont, dans le cadre de leurs fonctions, fait preuve d'une tendance à abuser de la force, provoquant ainsi la mort de plusieurs personnes. Il est vrai que la bataille de Kinshasa, que beaucoup craignaient, dans les derniers jours du conflit, n'eut finalement pas lieu. Il est également vrai, d'après de nombreux témoignages récoltés par Human Rights Watch, que l'insécurité générale qui régnait dans les centres urbains sous Mobutu, insécurité due largement à la conduite répréhensible des soldats des FAZ, a fortement diminué depuis l'arrivée de l'A.F.D.L. Il n'en reste pas moins que le 22 mai, une semaine après la chute de Kinshasa, la Croix-Rouge locale trouva 318 corps dans les rues de la capitale. Les victimes, identifiées par les groupes locaux de défense des droits de l'homme, étaient surtout d'anciens soldats de la Division Présidentielle Spéciale et de la Garde Civile, des prisonniers qui s'étaient échappés et quelques civils qu'on avait apparemment pris en flagrant délit de pillage et exécutés sur le champ. Comme nous l'expliquons plus avant dans le texte, la dispersion brutale de manifestants réunis à Uvira, le 26 mai 1997, se conclut par un bilan éloquent: au moins 38 morts et de très nombreux blessés. D'autres personnes perdirent la vie lorsque des soldats, manquant apparemment de formation, utilisèrent leurs armes pour tenter de contrôler des foules. Le trente août, des soldats tirèrent en l'air afin de tenter de contrôler un nombre important d'adolescents réunis à la piscine municipale de N'Sele, à Kinshasa. La panique qu'ils provoquèrent coûta la vie à 24 de ces jeunes.

Des soldats indisciplinés et mal supervisés ont également eu recours à une violence aveugle, en toute impunité, dans le cadre d'actions menées en dehors de leur fonctions. Dans la nuit du six au sept juillet 1997, une patrouille de soldats A.F.D.L. se livra à des actes de pillage, après avoir passé la soirée à se saouler. Quinze personnes furent ainsi tuées sans raison. L'incapacité du gouvernement à payer à temps la solde des hommes de troupes a contribué à aggraver le problème de l'indiscipline. Les soldats ne recevant pas leur solde se sont mis à extorquer des fonds et à recourir à des actes de banditisme. Dans un communiqué de presse rendu public le quatorze août 1997, l'Association Zaïroise de Défense des Droits de l'Homme citait douze attaques à main armée commises par des soldats entre le 29 juillet et le onze août 1997. (20)
 

Dans certains cas, il semble que le gouvernement ait pris des mesures drastiques afin de lutter contre l'indiscipline dans l'armée. Le 25 septembre 1997, Konyongo Kisase, un soldat de garde à la résidence du ministre de la santé, tira en direction d'un groupe d'étudiants, en tuant deux. La fusillade eut lieu après qu'une altercation ait éclaté entre le garde du corps et les étudiants. Konyongo fut jugé immédiatement par un tribunal militaire, sur les lieux, en présence d'avocats commis par le tribunal, et condamné à la peine capitale. (21)

Human Rights Watch a également reçu plusieurs rapports faisant état de l'exécution publique, en octobre, de quatre ou cinq soldats, dans un camp militaire de Lubumbashi. Nous ne savons toujours pas aujourd'hui si ces soldats avaient été jugés par un tribunal militaire, mais il est sûr qu'ils ont été exécutés pour assassinat. Deux d'entre eux avaient en effet tué leurs commandants respectifs après que ceux-ci les aient réprimandés. (22)
 

Arrestation et détention arbitraire

Normes légales

L'Article neuf de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme stipule que "nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ni exilé." L'Article neuf du Pacte International Relatif aux Droits Civils et Politiques (P.I.R.D.C.P) traite également de la question de la protection face aux arrestations et détentions arbitraires. Il stipule que:

2. Tout individu arrêté sera informé, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation et recevra notification, dans le plus court délai, de toute accusation portée contre lui; et que

3. Tout individu arrêté ou détenu du chef d'une infraction pénale sera traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, et devra être jugé dans un délai raisonnable ou libéré.

Les états parties au Pacte International Relatif aux Droits Civils et Politiques ne peuvent, en vertu du paragraphe (1) de l'Article neuf, priver quiconque de liberté "si ce n'est pour des motifs, et conformément à la procédure prévus par la loi." Cette disposition, selon laquelle les motifs et procédures d'arrestation et de détention doivent être spécifiés par la législation, a pour objet d'exclure toute possibilité de voir un policier ou un fonctionnaire de l'état décider en toute liberté de qui peut être arrêté et pourquoi.

L'Article six de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples stipule que:

Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans des conditions préalablement déterminés par la loi; en particulier nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement.

La procédure pénale congolaise limite elle aussi de manière stricte le pouvoir d'arrestation et de détention des officiels de l'état. l'Article 27 du code de procédure pénale exige des officiers ayant arrêté un suspect qu'ils présentent celui-ci pour inculpation par le Ministère Public dans les 48 heures qui suivent l'arrestation. Si la mise en détention préventive est jugée nécessaire, le Ministère Public doit alors saisir le juge compétent le plus proche dans les cinq jours qui suivent l'arrestation.

Les autorités ont arrêté et détenu des dizaines d'individus dans les mois qui ont suivi la prise de pouvoir de l'A.F.D.L. Parmi les personnes détenues pour des raisons politiques, on comptait des dignitaires de l'ère Mobutu (des "mobutistes", selon l'appellation locale), des leaders et militants de partis politiques d'opposition, ainsi qu'un grand nombre de militants étudiants, de défenseurs des droits de l'homme et de journalistes. La plupart de ces individus furent arrêtés arbitrairement. Les arrestations furent réalisées en violation des normes internationales, des lois nationales et des procédures d'arrestation et de détention. Dans la majorité des cas, elles furent menées à bien sans mandat d'arrestation, par des soldats qui en vertu des lois congolaises n'étaient pas habilités à les réaliser. La plupart des individus détenus ne furent pas inculpés ni jugés. Ils furent souvent détenus dans des centres de détention non-officiels et privés de contact avec leurs familles, leur avocat ou un représentant du corps médical. Ils furent souvent torturés et victimes de mauvais traitements.

La détention de mobutistes

Le Président Mobutu Sese Seko, sa famille et ses proches fuyèrent Kinshasa peu de temps avant que la ville ne tombe aux mains des troupes de l'A.F.D.L. Après ses trois décennies de pouvoir, le dictateur en exil laissa derrière lui un nombre important d'anciens ministres, d'officiels du parti et de partenaires d'affaires qui ne purent tous quitter le pays à temps ou ne se sentirent pas obligés de le faire. L'A.F.D.L. considéra avec beaucoup de suspicion tous ceux qui avaient été associés à l'ancien gouvernement. Dans ses discours et déclarations, le Président Kabila rappela régulièrement le rôle joué par l'entourage de Mobutu dans le pillage du pays et la destruction de ses ressources.

Pendant ses premières semaines d'activité à la tête du pays, le gouvernement A.F.D.L. saisit les maisons, voitures et autres objets de valeur de mobutistes de premier plan, et alloua ces biens, étiquetté voitures ou demeures de fonction, aux membres du nouveau gouvernement et aux commandants de son armée. De nombreux mobutistes furent arrêtés et placés en détention préventive.

Le 28 juillet 1997, un groupe d'environ quinze prisonniers, détenus dans les cellules du Bureau du Ministère Public de la zone de Gombe, Kinshasa, fit parvenir au président de la république une liste de revendications et demanda à être inculpés ou remis en liberté. Ils soulignaient également les irrégularités de leur détention, notamment le fait que le Ministère Public ne les avait pas présenté pour inculpation dans les 48 heures ayant suivi leur arrestation, comme le prévoit la loi, et qu'ils n'avaient comparu devant un juge que bien après le délai légal de cinq jours de détention préventive (cinq jours, renouvelable deux fois). Les individus arrêtés qui avaient occupés des postes ministériels indiquaient également que, dans leur cas, les dispositions légales mandatant la seule Cour Suprême à autoriser leur détention préventive n'avaient pas été respectées.

Ces violations semblent être typiques des détentions de mobutistes. Human Rights Watch a eu l'occasion, lors d'une visite de l'ancien quartier-général de la gendarmerie nationale réalisée en août, à Kinshasa, de rencontrer deux anciens ministres, deux officiels du parti, un ancien gouverneur et le directeur d'une entreprise publique. Ces personnes étaient détenues avec environ quinze autres mobutistes. Tous affirmèrent avoir été arrêtés sans mandat et présentés à un magistrat après la fin du délai légal de 48 heures. Certains se plaignirent également de la confiscation sans ordre de justice de leurs maisons et véhicules. L'un d'entre eux fit même remarquer que deux de ses véhicules étaient garés dans la cour intérieure du bâtiment et qu'ils étaient utilisés par la police.

L'"Office des Biens Mal Acquis", créé spécialement par le gouvernement afin de retrouver la trace des biens acquis illégalement par d'anciens responsables de l'état, ajouta encore à la complexité de la situation lorsque certains de ses dirigeants se servirent de leur autorité pour forcer des mobutistes à leur céder certains objets de valeur. Les choses allèrent tellement loin que le Président lui-même intervint. Ainsi, le onze novembre, Kabila ordonna que les biens confisqués soient rendus à leurs propriétaires. Le ministre de l'information expliqua sur les ondes de la radio nationale que le président "avait interdit à tous les officiels du gouvernement de profiter de leur position pour spolier d'autres individus de leurs biens." (23)
 

Torture et traitement cruel, inhumain ou dégradant

Normes légales

Le droit international interdit la torture, les traitements ou punitions cruels, inhumains ou dégradants. L'Article 7 du Pacte International Relatif aux Droits Civils et Politiques stipule que:

Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou scientifique. 

L'Article dix (1) stipule que "toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine."

L'Article cinq de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples interdit "toute forme d'exploitation et d'avilissement de l'homme notamment l'esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants."

Quelques mois après la prise de Kindu, Lubumbashi, Kinshasa et d'autres villes et villages, l'euphorie de la victoire commença à s'évaporer, laissant la place à un sentiment trouble fait d'incertitude et résignation. La population, en particulier, fut choquée d'assister au retour en force de séances publiques de flagellations et de punitions corporelles, une méthode utilisée pendant l'époque coloniale afin de provoquer chez les populations congolaises un sentiment collectif d'humiliation et d'infériorité.

Les femmes furent particulièrement visées. Des soldats de l'A.F.D.L. se mirent à arrêter des femmes portant des pantalons ou des jupes courtes, deux tenues jugées culturellement inacceptables, et leur administrèrent des coups de fouet, en public. Dans de nombreux cas, ils forcèrent les femmes à se déshabiller et à se présenter devant la foule en sous-vêtements et parfois même complètement nues. Lorsque, le neuf avril 1997, des femmes militant au sein du Centre des Droits de l'Homme et du Droit Humanitaire de Lubumbashi (C.D.H) tentèrent de couvrir les corps dénudés de plusieurs femmes qui venaient d'être battues et déshabillées par des soldats, dans la rue, elles furent repoussées sous la menace des armes. (24)
 

La vague de réaction que provoquèrent ces actes et les protestations formelles qu'émirent les groupes de défense des droits de l'homme, la presse et les parents des jeunes femmes visées poussa l'A.F.D.L. à nier avoir jamais donné la moindre instruction officielle relative à la tenue vestimentaire des femmes. Le nombre d'incidents de ce type chuta rapidement, et les femmes purent recommencer à s'habiller comme bon leur semblait.

Les chauffeurs de bus et de taxi furent eux aussi soumis à des bastonnades et flagellations publiques, les soldats leur reprochant de charger un nombre de passagers trop élevé par rapport à la capacité de leurs véhicules. Ils étaient généralement stoppés et recevaient des coups de bâton ou de fouet, dans l'estomac ou sur le dos. Les soldats mirent d'ailleurs au point une méthode permettant de déterminer le nombre de coups à donner lors de telles séances, méthode basée sur l'âge de la victime.

Les enfants des rues, petits délinquants et criminels pris en flagrant délit avaient eux affaire à une "justice" rapide, faite de passages à tabac et d'exécutions extrajudiciaires. A plusieurs reprises, des foules ont rendu leur propre justice et brûlé vif des suspects ou des criminels pris en flagrant délit, en leur attachant de vieux pneus autour du cou avant d'y mettre le feu. Des soldats ont souvent assisté à de telles scènes sans intervenir.

Comme le montre ce rapport, la torture, les passages à tabac et d'autres formes de traitement cruel, inhumain ou dégradant ont souvent été utilisés à l'encontre de prisonniers politiques ou de simples criminels détenus par les services de sécurité.

Indépendance du judiciaire

Au Congo, les victimes d'abus ne peuvent toujours pas aujourd'hui espérer recevoir protection et réparation du judiciaire. Dire que les tribunaux fonctionnent mal au Congo est une affirmation en dessous de la vérité. Depuis 1960, date à laquelle la colonie belge du Congo devenait indépendante, les constitutions successives ont toutes affirmé l'indépendance de la branche judiciaire. Le décret-loi constitutionnel 003/97 réaffirme cette notion. En pratique, certains obstacles ont depuis toujours empêché que cette indépendance théorique devienne réalité: manque d'autonomie financière des institutions judiciaires, tendance des autorités législatives et exécutives à faire pression sur le judiciaire, dans un contexte de corruption généralisée, corruption des juges et magistrats, mal payés ou ne recevant aucun salaire pendant de longues périodes.

Un magistrat du Parquet de Grande Instance de la commune de Ndjeli (Kinshasa), a expliqué à Human Rights Watch, en août 1997, qu'il recevait un salaire mensuel équivalent à 20 USD, alors que son seul loyer s'élevait à 120 USD. Il affirma "être obligé de mendier" auprès des personnes comparaissant face à lui.

Cette situation rappelle celle, caractérisée par un niveau constant de corruption, qui régnait pendant l'ère Mobutu. Lors d'une visite dans la province du Katanga (l'ancien Shaba), au sud du pays, Human Rights Watch avait demandé à plusieurs juges et avocats comment des tribunaux fonctionnant sur base de paiements réalisés par les plaignants pouvait être équitable. Le président d'un tribunal fit la réponse suivante: "Nous examinons le dossier et déterminons qui est dans son droit. C'est celui-là que nous ennuyons un peu." (25)

"Les juges viennent souvent me voir," dit l'un des avocats, "et me disent, 'Maître, le dossier de votre client est très solide. Dites-lui de venir me voir." (26)

Dans le jargon légal de la province, on dit qu'un mauvais juge "mange à tous les râteliers", ou met le jugement aux enchères, "et rend un jugement favorable à la partie qui l'a le mieux nourri." (27)

La corruption, confirma un avocat, est l'un des principaux obstacles à l'indépendance du judiciaire.

Depuis la prise de pouvoir de l'A.F.D.L., les responsables militaires et politiques ont montré une tendance certaine à intervenir directement dans l'administration de la justice, mettant ainsi l'indépendance théorique du judiciaire à rude épreuve. Des arrestations ont été réalisées par des soldats n'ayant pas reçu la formation dont disposent les officiers de police judiciaire, les seuls légalement habilités à arrêter et interroger des suspects. Etant donné cette absence de formation, fit remarquer un avocat, les soldats ignorèrent les textes légaux et violèrent la loi à de multiples reprises au cours d'arrestations, d'interrogations et de détentions. Les passages à tabac et mauvais traitements, courants dans les centres de détention, vont également à l'encontre des droits légalement reconnus des personnes détenues.

Le neuf juillet 1997, le ministre de la justice et de l'intérieur prirent une mesure surprenante en co-signant une lettre ouverte, adressée à tous les membres de l'appareil militaire et politique de l'A.F.D.L. La lettre avait pour objet de rappeler une évidence à ses destinataires: la justice ne peut être rendue que par les magistrats et les juges. Cette initiative pertinente fut prise après plusieurs incidents au cours desquels des juges et magistrats furent détenus, et parfois battus, par des soldats soutenant la cause d'un plaignant ayant à comparaître face à ces juges.

Une équipe de Human Rights Watch passa la journée du treize août 1997 dans les bureaux du Parquet de Grande Instance de la commune de Ndjeli (Kinshasa) et garda des lieux le souvenir du total mépris professé par les soldats à l'encontre de l'indépendance du judiciaire. Koko Temissa, un magistrat, nous dit qu'un commandant militaire local, appelé Shaddar, avait ordonné son arrestation afin de l'empêcher de rendre une décision de justice concernant une affaire de vol. Les soldats le kidnappèrent, alors qu'il était dans son bureau, et le retinrent pendant plusieurs jours. Trois autres magistrats nous parlèrent du passage à tabac dont ils furent victimes en juillet. Ils se trouvaient dans un bus lorsqu'une collision avec un véhicule militaire se produisit. Les soldats emmenèrent tous les hommes voyageant dans le bus jusqu'à un centre de détention non-officiel, appelé Villa Ma Campagne, et leur administrèrent une violente série de coups, utilisant des barres de métal et leurs ceintures. Un colonel assista à la scène sans intervenir. Les magistrats produisirent leurs cartes professionnelles, mais n'échappèrent cependant pas aux coups et humiliations.

Le Magistrat Cinanca Roger ordonna l'arrestation d'un suspect, un adolescent qui avait pris un taxi et refusé de payer la course. Il invita la famille du jeune homme à venir payer sa caution. Celle-ci préféra se plaindre auprès d'un groupe de soldats de l'A.F.D.L., qui tenta de trouver le magistrat. Celui-ci n'étant pas dans son bureau, il demandèrent son adresse privée et promirent de revenir plus tard pour "lui donner une leçon." Les soldats libérèrent ensuite le suspect, sans y être le moins du monde habilités. (28)
 

Liberté d'association

Normes légales

La suspension des partis et l'interdiction des activités politiques imposée par le gouvernement viole clairement l'Article 22 (1) du Pacte International Relatif aux Droits Civils et Politiques, qui stipule que: "Toute personne a le droit de s'associer librement avec d'autres, y compris le droit de constituer des syndicats et d'y adhérer pour la protection de ses intérêts."

Le droits à la libre association est également inscrit dans la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, dont l'Article dix (1) stipule que: "Toute personne a le droit de constituer librement des associations avec d'autres, sous réserve de se conformer aux règles édictées par la loi."

Ce droit permet aux citoyens de s'unir avec d'autres pour poursuivre des buts sociaux, culturels, économiques ou politiques, dans le cadre d'associations formelles ou informelles. Il prévoit spécifiquement le droit de s'associer dans le cadre de partis politiques. Ce droit peut faire l'objet de certaines restrictions, citées dans l'Article 22 (2) du Pacte International Relatif aux Droits Civils et Politiques. Elles doivent être prévues par la loi, "nécessaires dans une société démocratique" et être mises en oeuvre "dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l'ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d'autrui." Le droit d'organiser des partis politiques dérive également du droit des citoyens de prendre part à la direction des affaires publiques et à des élections libres, reconnu par l'Article 25 du P.I.R.D.C.P. (29)

La "suspension" des partis politiques et l'interdiction de leurs activités décrétées par les autorités congolaises ne peuvent que difficilement être jugées comme "nécessaires dans une société démocratique", l'exercice de la démocratie étant historiquement lié à l'existence de partis luttant pour le pouvoir, dans un contexte de liberté d'association et d'expression.

Pendant sa campagne de reconquête du pays, l'A.F.D.L. a, dans de nombreuses régions, décrété le gel de toute activité politique des partis d'opposition, et ce "jusqu'à la fin du conflit". Toutes les énergies devaient, selon l'A.F.D.L., se concentrer sur l'objectif immédiat consistant à libérer le pays de la dictature mobutiste.

L'alliance accepta cependant une certaine participation de la population dans le choix des responsables gouvernementaux locaux. Le maire et six responsables communaux de Kisangani, la troisième ville du pays, furent ainsi "élus" en mars par un collège électoral composé de membres de l'élite intellectuelle et des leaders de la communauté. Dans d'autres localités, des officiels furent élus lors de meetings tenus dans des stades, par vote à main levée. A Kisangani et Mbuji Mayi, capitale de la province du Kasai, riche en ressources minérales, la population a profité de cette relative liberté pour élire au gouvernement local des candidats de l'Union pour la Démocratie et le Progrès Social (U.D.P.S).

L'A.F.D.L. utilisa une tactique différente à Lubumbashi, conquise au début du mois d'avril. Apparemment, elle considéra comme une menace la forte popularité du parti régional, l'Union des Fédéralistes et Républicains Indépendants (UFERI), et nomma son propre vice-secrétaire général au poste de gouverneur.

Après sa prise du pouvoir, le gouvernement de Kabila étendit jusqu'à à Kinshasa l'interdiction des activités politiques et des manifestations publiques. Pendant les premières semaines, la population de la capitale ignora les injonctions du nouveau gouvernement et organisa plusieurs manifestations dans les rues de Kinshasa, demandant l'ouverture du gouvernement aux représentants de l'opposition civile à Mobutu et exigeant une participation politique plus large. Le 26 mai, le gouvernement réitérait l'interdiction en publiant un communiqué en cinq points dans lequel il rappelait à la population que "tous les partis politiques du territoire de Kinshasa étaient suspendus jusqu'à nouvel ordre." (30)
 

L'A.F.D.L. affirmait que l'interdiction n'était qu'une mesure temporaire, qu'elle ne serait maintenue que jusqu'à la stabilisation de la situation, et que seules les activités politiques étaient interdites, non les partis politiques eux-mêmes. En même temps, les leaders de l'A.F.D.L. affirmaient que la lutte populaire qu'ils avaient mené pour mettre fin à la dictature de Mobutu leur donnait le droit de déterminer le paysage et le calendrier politiques de l'après-Mobutu. L'interdiction faite aux partis d'engager des activités politiques s'explique par le peu de confiance que les dirigeants de l'A.F.D.L. accordent à la classe politique qui a participé au processus de transition lancé par Mobutu, processus qu'ils jugent marqués par la corruption et l'opportunisme. Elle s'explique également par le dédain que ces mêmes dirigeants ressentent vis-à-vis des vestiges de l'appareil politique de Mobutu.

Une déclaration faite par Bizima Karaha, ministre des affaires étrangères, résume parfaitement la rhétorique de l'A.F.D.L. en ce qui concerne l'opposition civile:

La démocratie est impossible sans la paix. Le développement est impossible sans la paix. Quiconque souhaitant fomenter l'instabilité est donc un ennemi de la démocratie, un ennemi du développement, un ennemi des forces de progrès. Ces forces sont des forces réactionnaires, et nous ne permettrons à personne de provoquer le chaos. (31)
 

Le gouvernement applique l'interdiction de manière sélective. Celle-ci affecte cependant tous les groupes politiques, qu'ils soient ou non favorables à Kabila. Les paragraphes qui suivent présentent un bref aperçu du paysage politique congolais et de la situation de chacun des principaux partis indépendants.

Quelques partis, qui s'étaient montré prêts à accepter l'A.F.D.L. ou avaient exprimé leurs critiques avec beaucoup de discrétion, furent épargnés par les attaques du gouvernement: le Front Patriotique, le Parti Démocrate et Social Chrétien, l'Union des Fédéralistes et Républicains Indépendants (UFERI). Certains virent leur loyauté récompensée: le premier gouvernement de Kabila incluait deux membres du Front Patriotique. Cependant, il semble que le prix de cette relation privilégiée ait été la dissolution du Front Patriotique dans l'A.F.D.L.

L'opposition à l'A.F.D.L. se compose des principaux partis qui formaient également l'opposition sous Mobutu, à savoir l'Union pour la Démocratie et le Progrès Social (U.D.P.S), le Parti Lumumbiste Unifié (P.A.L.U) et les Forces Novatrices pour l'Union et la Solidarité (F.O.N.U.S). Ces partis luttèrent pour préserver leurs identités spécifiques et continuer à exercer les libertés démocratiques fondamentales, telles que le droit d'association, de réunion et d'expression. Ils furent alors pris pour cible par le gouvernement, dont les mesures de répression furent à ce point efficaces qu'elles équivalurent rapidement à une véritable mise hors la loi de ces partis. L'A.F.D.L. a, cependant, collaboré avec certaines personnalités de ces formations politiques, et a même confié à quelques leaders de l'U.D.P.S des responsabilités gouvernementales, sur des bases individuelles. Au moment où nous rédigeons ce rapport, l'interdiction des activités politiques continue à peser sur le pays et est même mise en oeuvre avec une vigueur accrue.

Récompenses aux partis amis

A. Le Front Patriotique

Le Front Patriotique, un parti progressiste disposant à Kinshasa d'une base solide, bien que minoritaire, et membre de l'opposition radicale à Mobutu depuis les années 70, est la seule formation politique à laquelle l'A.F.D.L. ait proposé deux postes ministériels, en juin. Il semble qu'en échange de cette position privilégiée le Front Patriotique devait accepter de s'auto-dissoudre. A la question de savoir s'il était disposé à abandonner la direction du F.P. et à dissoudre le parti, Paul Kinkela, président du F.P. et ministre des postes et télécommunications du gouvernement Kabila, répondit de la manière suivante:

Je ne le ferais pas de gaieté de coeur, mais je le ferais tout simplement parce que cela permettrait au parti et à moi-même de transcender nos aspirations et nos idéaux, pour ainsi arriver à quelque chose de plus grand, de plus noble, qui ait un sens plus grand, qui ne nous divise pas, quelque chose pour lequel nous serions prêts à fondre nos différences, pour ainsi faire progresser la révolution dans le pays. Je crois qu'il s'agit d'une raison valable. (32)
 

Jean-Baptiste Sondji, l'un des fondateurs du F.P. et le nouveau ministre de la santé et des affaires sociales, expliqua comment le Front avait acquis la confiance de l'A.F.D.L.:

Nous avons contacté l'A.F.D.L. et offert notre assistance [au début de la campagne de reconquête]... La veille de la chute de Kinshasa, les membres du F.P. ont préparé avec beaucoup de soin l'arrivée de l'A.F.D.L. dans une ville dont la plupart de ses hommes ignoraient la configuration. (33)
 

Sondji, cependant, parlait de la dissolution du parti en des termes bien différents de ceux de son président, affirmant que "le F.P. refuse de disparaître en tant que parti indépendant. Nous fonctionnons de manière normale, même s'il n'y pas pour le moment de grands rassemblements publics..." (34)

B. Le Parti Démocrate et Social Chrétien (PDSC)

Avec l'U.D.P.S et l'UFERI, le Parti Démocrate et Social Chrétien fut l'un des principaux fondateurs et acteurs de l'opposition pendant la transition manquée lancée par Mobutu. Questionné quant à l'attitude du PDSC vis-à-vis de la prise de pouvoir de l'A.F.D.L. et de son monopole en matière d'activités politiques, le secrétaire du parti la qualifia d'attitude "d'ouverture et de collaboration." (35)

Il ajouta que le PDSC observait de plein gré l'interdiction d'entreprendre des activités politiques en évitant d'organiser des manifestations de rue mais qu'interdire les partis politiques per se était "hors de question". Il souligna le fait que l'interdiction avait été rendue publique par le biais de la radio, non par décret, et que le PDSC, en tant que parti politique, n'avait reçu aucune communication formelle du gouvernement à cet égard. Le PDSC considéra donc que l'interdiction concernait uniquement les activités publiques et non les partis politiques.

Son discours se fit cependant contradictoire lorsqu'il entreprit d'expliquer comment le parti avait été accueilli lorsqu'il tenta de contacter l'A.F.D.L., après la prise de pouvoir. Le PDSC avait, selon lui, engagé un double dialogue avec le gouvernement. Ils furent reçus au Ministère de l'Intérieur, qui supervise les partis politiques, et prirent part à trois sessions de travail avec le secrétariat général de l'A.F.D.L. L'attitude de ce dernier, lors de chaque session, fut une attitude "... de fausse ouverture. Ils nous écoutaient, affirmaient avoir pris bonne note de nos commentaires, mais ajoutaient que l'A.F.D.L. ne pouvait travailler qu'avec des individus. L'A.F.D.L. ne travaille pas avec des organisations." (36)
 

Le PDSC veut que le processus de démocratisation se poursuive et que la préparation des élections reprenne là où elle a été stoppée, sous Mobutu. Le parti souhaite également que tous les partis participent aux nouvelles structures de la transition, notamment la commission constitutionnelle. Dans l'attente de la réalisation de ces objectifs, le parti continuera, selon son secrétaire, à conscientiser la population en distribuant sa littérature dans les églises et les paroisses et évitera d'organiser des activités publiques.

A la mi-juillet, André Bo-Boliko, président du PDSC, appela le Président Kabila et l'A.F.D.L. à permettre une véritable participation et leur lança un message d'avertissement: "L'élan d'enthousiasme généré par ... la libération, qui aurait dû galvaniser toutes les énergies et contribuer à la reconstruction du pays, perd progressivement de sa force et cède le pas au scepticisme, à la démobilisation et parfois même à un sentiment de révolte vis-à-vis de certaines pratiques peu démocratiques." (37)
 

C. UFERI - Katanga

Lorsque Human Rights Watch lui demanda ce qu'il pensait de la décision prise par l'A.F.D.L. d'interdire les activités politiques, Gabriel Kyungu wa Kumwanza, le populaire ancien gouverneur du Katanga et leader fédéral de la principale faction de l'UFERI répondit qu'il n'y voyait aucun inconvénient. L'UFERI, ajouta-t-il, était prête à accorder "le bénéfice du doute" aux nouvelles autorités et acceptait l'idée qu'une période de stabilisation du pays était nécessaire avant de pouvoir revenir sans désordres au pluripartisme. (38)

Il ajouta avoir confiance en la capacité de son parti à rattraper le temps perdu une fois cette décision prise. L'UFERI remontera rapidement à la hauteur de l'A.F.D.L., affirma-t-il, puisqu'il aura été le seul parti habilité à opérer au niveau du Katanga et du pays tout entier pendant l'interdiction. Il conclut en disant que l'UFERI était prête à attendre que soit levée l'interdiction, même si l'A.F.D.L. mettait trois ans pour le faire, "parce que nous connaissons les aspirations du peuple." (39)
 

Le gouvernement, en guise de récompense face à la position adoptée par l'UFERI, autorisa l'ancien gouverneur à tenir une conférence de presse à Lubumbashi, le 29 septembre. Il apparaît également qu'il reçut par la suite l'autorisation de se rendre à Kinshasa pour y rencontrer le président et se joindre à son "entourage". (40)

Dans d'autres circonstances, ces deux événements auraient représenté de graves violations de l'interdiction des activités politiques. Le traitement préférentiel accordé à l'UFERI semble avoir été motivé par une question d'opportunisme politique. L'A.F.D.L. disposait en effet d'une base populaire naturelle au Katanga mais ne pouvait, pour la consolider et l'étendre, se passer de l'électorat de l'UFERI. Le temps dira qui des deux formations obtiendra effectivement la confiance des katangais.

Paralyser les partis de l'opposition

A. Parti Lumumbiste Unifié (P.A.L.U.)

Le P.A.L.U est considéré comme l'un des plus importants partis de l'opposition et le principal groupement politique à se réclamer de l'enseignement politique de Patrice Lumumba; premier à avoir été élu Premier ministre du Congo, celui-ci fut tué dans les premiers jours qui suivirent l'indépendance du pays. Antoine Gizenga, le secrétaire général du parti, dirigea l'une des quatre formations de gauche qui avaient constitué le gouvernement de Lumumba. Percevant l'opposition du président de droite Kasavubu et confronté à un tissu de conspirations internationales orchestrées par la Central Intelligence Agency - qui s'était servie du soldat Mobutu, dont le pouvoir allait croissant, pour réprimer ce qu'elle jugeait être une menace communiste en Afrique centrale - Gizenga nous déclara qu'il avait d'abord suggéré l'unification des quatre groupes en un seul parti. Lumumba signa un protocole d'accord en ce sens mais ne survécut pas assez longtemps pour assister à la proclamation effective du nouveau parti à Stanleyville, sous la direction de Gizenga. Depuis lors, Gizenga se pose en seul héritier légitime de Lumumba. (41)
 

Dans le cadre d'une interview avec Human Rights Watch, Gizenga accusa l'A.F.D.L. d'avoir usurpé les symboles du P.A.L.U afin de s'assurer le soutien de la population lors de sa campagne à travers le pays, notamment en utilisant l'étendard lumumbiste et en rétablissant l'ancien nom du pays. Le jour où Kabila se proclama président, un tract du P.A.L.U aurait été distribué à Kinshasa. Ce feuillet l'accusait d'établir un calendrier électoral fictif de vingt-quatre mois, d'avoir réduit les partis politiques au silence afin de mettre en place l'A.F.D.L. et d'avoir utilisé les ressources de l'Etat pour accélérer cette installation. Le P.A.L.U rejeta également le plan économique triennal, car ce dernier avait été élaboré par l'A.F.D.L. seul, sans le moindre consensus démocratique. Lorsque le P.A.L.U décida d'exprimer ses opinions divergentes dans la rue à travers une marche de protestation pacifique, les locaux du parti furent saccagés et ses militants violemment battus, comme nous l'expliquons ci-après.

B. Autres factions lumumbistes

Dès le dernier trimestre de l'année 1997, les observateurs basés à Kinshasa et les médias avaient identifié les " Lumumbistes " qui soutenaient le combat du président Kabila depuis les trois dernières décennies comme son cercle le plus influent de collaborateurs et de conseillers. (42)

Malgré tout -et le cas du P.A.L.U en est la preuve- l'étiquette " lumumbiste " semble incapable d'offrir une protection suffisante lorsque son détenteur adopte une position divergente. Ismail Tutw'Emmoto et Dunia Lumingangulu, deux dirigeants du Mouvement National du Congo-Lumumba (MNC - Lumumba Cohcolico), auraient été enlevés à Kinshasa et détenus à l'Agence Nationale de Renseignements (A.N.R) le 1er juillet 1997, sur l'ordre du président Kabila en personne. (43)

Tous deux étaient rentrés au pays deux semaines plus tôt, après un bref séjour en Belgique où ils avaient vécu exilés de nombreuses années. Dès le début de leur exil, ils avaient adhéré au mouvement de rébellion de l'A.F.D.L. et reprirent la lutte dans ses rangs lors des débuts difficiles de 1996-1997. Ils se seraient attiré la colère du président pour avoir émis des critiques à son égard le trente juin -date anniversaire de l'indépendance du Congo, ancienne colonie belge- en lui reprochant de nommer un trop grand nombre de parents et d'amis personnels aux postes à responsabilités, ainsi que de continuer à faire appel à des soldats d'origine tutsi. Ismael Tutw'Emmoto aurait été libéré le 24 août 1997. Dunia Lumingangulu resta en détention à l'Agence Nationale de Renseignements. (44)
 

C. Forces Novatrices Pour l'Union et la Solidarité (F.O.N.U.S.)

Joseph Olenghankoy, président du F.O.N.U.S et ancien président du groupe parlementaire de l'opposition, qui est considéré comme un proche allié d'Etienne Tshisekedi, fut arrêté à maintes reprises sous Mobutu, en dépit de son immunité parlementaire. Lorsque l'ancien gouvernement était encore au pouvoir, il fut libéré le treize décembre 1996 après avoir été détenu secrètement, grâce à l'intervention du parlement qui insista pour qu'il soit remis en liberté. Au début du mois de février 1997, les autorités de Mobutu l'accusèrent de désobéissance civile pour avoir incité les habitants de Kinshasa à observer une opération "ville morte " (grève générale) et écrivirent au parlement en demandant l'autorisation de l'arrêter. Bien que le parlement ne levât pas son immunité, les soldats du S.A.R.M, le Service d'Action et de Renseignements Militaires de Mobutu, (45)

effectuèrent une descente à son domicile de Kinshasa, mais Olenghankoy s'était enfui pour la ville voisine de Brazzaville afin d'échapper à cette arrestation. Il déclara à un journaliste qu'il avait fui les soldats qui entouraient le bâtiment du parlement pour l'arrêter: "Chaque fois que vous défendez les intérêts du peuple, on envoie les soldats vous chercher. De telles mesures ne font qu'aggraver la crise qui sévit dans le pays. " (46)
 

Ces "mesures" n'étaient pas prêtes à disparaître, même après la chute de Mobutu. Le lundi 8 septembre 1997, les forces de sécurité de l'A.F.D.L. l'arrêtèrent. Décrivant l'arrestation aux journalistes, un assistant expliqua: " une vingtaine de soldats armés ont fait irruption dans nos locaux et emmené notre président " jusqu'à leur quartier général. (47)

Il fut ensuite envoyé dans le camp militaire de Tshatshi. De là, les soldats le conduisirent à la résidence du commandant Masasu Nindaga, le dirigeant non-officiel de l'armée congolaise. Selon le groupe de contrôle La Voix des Sans Voix, le commandant le soumit à un " interrogatoire musclé " afin de savoir pourquoi son groupe, le F.O.N.U.S, avait mis son drapeau en berne après l'annonce de la mort de Mobutu, deux jours plus tôt.

Libéré après une autre nuit de détention le mois suivant (cfr. ci-dessous), le leader du F.O.N.U.S. déposa une plainte contre les ministre et vice-ministre de l'Intérieur, déclarant avoir fait l'objet " d'attaque et de coups délibérés, d'arrestation arbitraire, de cambriolage, de dénonciation calomnieuse et de violation des droits du citoyen garantis par la Constitution. " (48)
 

La plainte pour dénonciation calomnieuse déposée par Olenghankoy faisait référence à une déclaration du ministre adjoint des Affaires intérieures à la suite de sa libération, déclaration dans laquelle ce dernier accusait le leader du F.O.N.U.S de recruter 40.000 jeunes pour les entraîner dans un camp de l'UNITA. Le ministre adjoint avait également affirmé que des armes de guerre avaient été saisies dans les deux résidences d'Olenghankoy, lors des fouilles menées par la police. Human Rights Watch n'a pas eu la possibilité d'enquêter sur l'une ou l'autre affirmation. La plainte du président du F.O.N.U.S était encore en suspens au moment de rédiger le présent rapport.

D. L'Union pour la Démocratie et le Progrès Social (U.D.P.S) - Katanga

S'il faut en croire ses dirigeants, la branche de l'U.D.P.S à Lubumbashi prépara la population à la chute de la ville aux mains de l'A.F.D.L. afin de faciliter la prise du pouvoir et de faire en sorte que les troupes de l'A.F.D.L. soient accueillies en " libératrices. " (49)

Les membres de l'U.D.P.S furent nombreux à assister au rassemblement organisé par l'A.F.D.L. dans le stade de la ville, le dix-neuf avril 1997, s'attendant à participer à l'élection du gouverneur de la province. Au lieu de cela, les agents de la sécurité confisquèrent les bannières de l'U.D.P.S et le vote populaire attendu n'eut pas lieu.

Le 27 mai 1997, les nouvelles autorités en place ordonnèrent l'arrestation d'Antoine Kazadi, un ancien maire de la ville et l'une des figures de proue de l'U.D.P.S. Les agents de l'ANR, la police politique qui avait vu le jour peu avant, l'interrogèrent à deux reprises, le 27 et le 28 mai. Lors du premier interrogatoire, on lui demanda d'expliquer pourquoi il restait populaire au Katanga, s'il accepterait de collaborer avec l'A.F.D.L. et quelle était l'opinion du dirigeant national de l'U.D.P.S, M. Tshisekedi, à propos de la suppression des partis politiques. Antoine Kazadi fut détenu pendant trois mois.

Lorsque le Centre des Droits de l'Homme et du Droit Humanitaire (C.D.H), un important groupe de défense des droits de l'homme implanté à Lubumbashi, rendit une visite officieuse au centre de détention où Kazadi était emprisonné et dénonça publiquement les conditions de détention extrêmement rudes dans une lettre adressée aux autorités, Kazadi déclara que d'autres prisonniers politiques furent placés dans sa cellule, dont Kapapa, l'ancien vice-gouverneur et président du parti de Mobutu, le Mouvement Populaire pour la Révolution (M.P.R), ainsi que Mujeddo, le président du M.P.R.

C'est essentiellement grâce à la campagne menée par les groupes de droite à Lubumbashi que ceux-ci et d'autres prisonniers politiques -dont l'ancien gouverneur Kyungu, détenu à domicile depuis le quinze mai- furent relâchés au début du mois d'août 1997.

Kazadi expliqua à Human Rights Watch qu'en guise de condition préalable à sa libération, il avait été contraint de signer un engagement dans lequel il acceptait de cesser ses activités politiques, d'apparaître dans des lieux publics et de se trouver dans des endroits où plus de trois personnes étaient présentes. On lui enjoignit également l'ordre de ne pas quitter Lubumbashi pendant un mois. Au début du mois de juin, l'ANR arrêta également d'autres membres du comité de l'U.D.P.S-Katanga et les retint en détention pendant une brève période; elle leur ordonna ensuite de ne pas organiser de réunions à quelque niveau que ce soit, sous peine de risquer un nouvel emprisonnement. Ces menaces réussirent à paralyser toutes les activités de l'U.D.P.S dans la ville. (50)
 

E. Forces du Futur

Le 25 novembre 1997, au début de l'après-midi, une équipe de la Police de Déploiement Rapide cerna le domicile d'Arthur Z'Ahidi Ngoma à Kinshasa. Le leader du parti de l'opposition Forces du Futur avait en effet bravé l'interdiction frappant les activités politiques en organisant une conférence de presse. Z'Ahidi fut contraint de tenir cette conférence de presse chez lui, après que les soldats eurent empêché ce matin-là la conférence annuelle de son parti, qui devait se dérouler au Memling Hotel du 24 au 28 novembre. (51)
 

Les soldats tirèrent en l'air lorsqu'ils franchirent le mur, afin d'arrêter l'homme politique et une dizaine de ses partisans. Un groupe de dix journalistes, qui avaient apparemment assisté à la conférence de presse, furent eux aussi arrêtés. Au quartier général de la Police de Déploiement Rapide, les journalistes et les hommes politiques furent dévêtus, contraints de se coucher à même le sol et reçurent chacun quarante coups de fouet. Les soldats piétinèrent les corps étendus et leur donnèrent des coups de pieds dans la nuque et la tête. Les journalistes et quelques autres détenus furent relâchés vers vingt heures. Dix membres des Forces du Futur furent libérés au cours des jours suivants, mais Ngoma resta en détention -et l'était toujours au moment de rédiger le présent rapport- alors qu'aucune charge spécifique n'avait été déposée à son encontre. Les questions posées par la police aux membres des Forces du Futur portaient essentiellement sur l'interdiction relative aux activités politiques et à la suspension des partis politiques, deux décisions gouvernementales pour l'infraction desquelles ils étaient manifestement punis.

Défenseurs et organisations des droits de l'homme

Une puissante société civile avait émergé pendant le règne de Mobutu, après que la kleptocratie eut provoqué l'effondrement de l'économie formelle et des institutions de l'Etat. Les organisations communautaires, les Eglises, les groupes d'aide au développement et humanitaire comblèrent ce vide en soutenant les secteurs de l'enseignement et de la santé et en guidant les efforts de développement locaux. Les organisations de défense des droits de l'homme sont apparues au début des années 90 lorsqu'un remarquable mouvement populaire contraignit Mobutu à mettre en place un programme de transition vers la démocratie. Elles renforcèrent leur présence à travers le pays en faisant pression pour protéger la population contre les militaires de Mobutu, les principaux responsables de la violence, et pour dénoncer publiquement la corruption et l'inefficacité du système judiciaire. Les groupes d'éducation civique tentèrent de préparer la population aux élections que Mobutu promettait -en mettant tout en œuvre pour les différer- et à renforcer la connaissance des citoyens à propos de leurs droits. (52)

Au départ, aucune véritable animosité ou tension ne marqua les relations entre les nouvelles autorités et la société civile. Au contraire, l'A.F.D.L. tenta d'attirer dans ses rangs des membres appartenant aux groupes de la société civile, et y réussit d'ailleurs souvent. Par conséquent, lorsque l'alliance lança vers la mi-mai son ultime manœuvre au départ de Lubumbashi en vue de prendre le contrôle du gouvernement à Kinshasa, elle invita plusieurs défenseurs des droits de l'homme de la ville à se joindre à elle. Le vice-président et le président de l'Association Zaïroise de Défense des Droits de l'Homme (A.Z.A.D.H.O / Lubumbashi) furent recrutés pour assumer les fonctions respectives de ministre des Transports et de président de la principale société de transports du secteur public. Deux des membres fondateurs du Centre des Droits de l'Homme et du Droit Humanitaire (C.D.H) devinrent les conseillers juridiques des ministres des Mines et des Affaires intérieures. Les deux organisations conservèrent cependant leur autonomie et continuèrent à surveiller les abus, à les dénoncer publiquement et à exiger que les soldats et les dirigeants de l'A.F.D.L. impliqués dans des actes de violation des droits de l'homme soient amenés à rendre des comptes devant la justice. (53)

Elles maintinrent la pression sur le système judiciaire, effacé et inefficace, afin de préserver les droits (même si l'exercice de ces droits restait interdit) de la population.

A la mi-octobre, le ministre de l'Information Raphael Gendha proposa d'interdire l'acheminement des aides extérieures au Congo via les ONG. Il annonça à la télévision congolaise l'intention du gouvernement de ne plus coopérer avec des " intermédiaires " tels que les ONG. Il déclara ainsi que le gouvernement traiterait directement avec les autres gouvernements et organisations internationales dans le cas d'affaires touchant à la coopération économique. Aucun communiqué officiel ne suivit à ce propos.

André Kapanga, ambassadeur du Congo auprès des Nations Unies, expliqua ultérieurement le raisonnement sous-tendant cette orientation. Il argua que le fait d'octroyer exclusivement des aides aux ONG et à la société civile délégitimait l'Etat et récusa l'affirmation des donneurs d'aide selon laquelle les ONG étaient mieux qualifiées que l'Etat pour servir les citoyens. Il prétendit que les ONG étaient commandées de l'extérieur et risquaient de créer un vide politique si elles tentaient de s'approprier les pouvoirs de l'Etat. (54)

Cette déclaration, comme bien d'autres déclarations similaires faites par des représentants officiels congolais, n'admettait pas que les organisations d'aide au développement et les groupes de défense des droits de l'homme étaient apparus dans le pays lorsque l'Etat était totalement paralysé et incapable d'assumer son rôle de soutien au développement, tandis qu'il excellait à opprimer la population. Le besoin des ONG reste aussi fondamental aujourd'hui que dans le passé récent du Congo.

Un membre d'une ONG du Sud-Kivu affirma qu'au début du mois de mai, il fut contraint de rallier le Bureau d'Etude et d'Investigations (B.E.I), l'un des nouveaux services de sécurité, puisqu'il s'agissait d'une condition posée par l'A.F.D.L. pour sa libération. Lors d'un entretien téléphonique, Ambroise Bulambo Katambu, le président du Collectif d'Action pour le Développement des Droits de l'Homme (CADDHOM) déclara que sa position au sein du B.E.I était rapidement devenue intenable.

Il expliqua que l'une de ses premières tâches faisait suite aux pressions exercées par une société minière étrangère, qui voulait obtenir un accès à deux mines d'or situées à Mabale et Lujushwa dans sa concession du Sud-Kivu et disposer des garanties de sécurité nécessaires pour les exploiter. Dans un rapport de mission interne remis à un supérieur à la mi-juin, il déclara avoir constitué un dossier relatif à un projet élaboré conjointement par des responsables militaires et civils de l'A.F.D.L. afin de détourner l'or des deux mines, pour leur compte personnel ainsi que celui de représentants officiels de retour à Kinshasa et dont le nom n'a pas été mentionné. Peu après, il aurait reçu des menaces de mort émanant de responsables de l'A.F.D.L., rendus furieux par cette dénonciation. Il expliqua que ces menaces étaient suffisamment sérieuses pour le contraindre à fuir la ville de Bukavu et le pays au début du mois de juillet. (55)

Cet incident et la publication par le CADDHOM d'un rapport de contrôle " non-censuré " sur la situation observée dans la province (56)

en matière de droits de l'homme furent apparemment à l'origine des problèmes rencontrés par l'organisation à la fin du mois d'août 1997; celle-ci fut en effet fermée et trois de ses militants furent arrêtés et maltraités (cfr. ci-dessous).

Les autorités gouvernementales du Congo perpétrèrent une série d'actes d'intimidation à l'encontre des défenseurs et des associations des droits de l'homme à Kinshasa et dans diverses régions du pays. Lorsque le gouvernement déclencha une vague d'arrestations concernant les dignitaires de l'ancien régime en juin 1997, la communauté de défense des droits de l'homme dans la capitale décida de lutter et mobilisa ses organisations membres afin de veiller à ce que les droits des prisonniers soient respectés et à ce que ceux-ci bénéficient d'un traitement humain. Plusieurs groupes de défense des droits de l'homme dirigèrent les visites coordonnées des centres de détention afin d'établir une liste des détenus et d'enquêter sur la manière dont ils étaient traités, ainsi que sur les poursuites judiciaires dont ils faisaient l'objet ou sur l'absence de telles poursuites.

Le 28 juin, l'activiste William's Kalume de la Voix des Sans Voix pour les Droits de l'Homme (V.S.V) fut lui-même arrêté alors qu'il rendait une visite officieuse à un ancien représentant officiel de l'ère Mobutu, détenu au quartier général de l'Agence Nationale de Renseignements. Pendant son interrogatoire, les questions s'orientèrent sur la V.S.V, sa situation financière, sa structure de direction, son personnel et ses bureaux régionaux. (57)

Kalume fut relâché sans être inculpé deux jours plus tard.

Le 4 juillet 1997, ce fut au tour de l'activiste Laurent Kantu, de l'Association des Cadres Pénitentiaires, d'être arrêté dans des circonstances similaires dans le camp militaire de Kokolo à Kinshasa, où il s'était rendu pour obtenir des nouvelles des détenus de l'U.D.P.S. Kantu et Kalume furent tous deux soumis à de pénibles interrogatoires assortis de menaces pour ingérence dans " les affaires de l'Etat ". Kantu fut questionné pendant douze heures avant d'être relâché tard dans la soirée. (58)
 

Roger Sala Nzo Badila, secrétaire général du Centre National pour les Droits de l'Homme (CENADHO), basé à Kinshasa, fut arrêté le 23 novembre 1997 et était toujours retenu prisonnier au moment d'écrire ce rapport. Il était suivi et menacé par des agents de la sécurité depuis la publication en juillet du bulletin d'information du CENADHO, Le Messager, qui se penchait sur les actes du gouvernement en matière de droits de l'homme. Selon la V.S.V, des soldats armés fouillèrent consciencieusement sa maison à la recherche de " documents séditieux " avant de l'emmener. Deux autres membres d'une organisation d'éducation des électeurs furent relâchés le dix novembre après avoir été détenus pendant deux semaines à Kinshasa, en raison de leurs activités de défense des droits de l'homme. (59)
 

Dans les régions les plus reculées de l'intérieur du Congo, des représentants officiels ordonnèrent la fermeture des organisations de défense des droits de l'homme, l'arrestation des activistes, qui furent battus et torturés. Le six août, des soldats en armes arrêtèrent Bertin Lukanda, le président de l'antenne de Maniema d'une organisation de coordination des ONG nationales, le Conseil Régional des Organisations Non-Gouvernementales du Développement (CRONGD), ainsi qu'un de ses collègues, Diomba Ramazani. Tous deux furent emmenés au camp militaire de Lwama, à Kindu. Après avoir été violemment battu pendant plusieurs jours, Ramzani fut conduit à l'hôpital de la ville, dans un état proche du coma. Les soldats du camp auraient accusé les deux activistes d'" espionnage " pour le compte d'une mission d'enquête des Nations Unies sur les massacres de réfugiés dans l'Est du Congo, ainsi que d'activisme en faveur de l'U.D.P.S, le principal parti de l'opposition.

L'arrestation de Bertin Lukanda, qui était également l'un des dirigeants de l'organisation locale de défense des droits de l'homme Haki Za Binadamu (HZB), semblait faire figure de représailles à la suite d'une lettre adressée aux autorités par le HZB, qui dénonçait la détention illégale et les mauvais traitements infligés au camp militaire de Kindu à nombre de suspects impliqués dans des affaires civiles et criminelles ordinaires. Cinq jours avant l'arrestation de Lukanda, le 1er août 1997, le commandant militaire avait ordonné au HZB de cesser ses activités et dépêcha des soldats avec l'ordre de fermer le bureau de l'organisation. (60)

Les soldats perquisitionnèrent également sans mandat au siège du CRONGD/Maniema à Kindu et arrêtèrent Asumani Dieudonné, un secrétaire du CRONGD, le quatorze août. (61)

Ce dernier était soupçonné d'avoir alerté la communauté internationale via la radio à propos de la situation critique vécue par ses deux collègues.

Dans le cadre d'une série d'événements similaires à l'arrestation et aux brutalités infligées aux activistes de défense des droits de l'homme à Kindu, des soldats de l'A.F.D.L. arrêtèrent le 23 août Didi Mwati Bulambo, le coordinateur général du groupe de défense local, le Collectif d'Action pour le Développement des Droits de l'Homme (CADDHOM) à Kamituga, dans le district de Mwenga (province du Sud-Kivu). C'était la deuxième fois que l'A.F.D.L. arrêtait Bulambo. Celui-ci avait été retenu en détention une première fois en juillet 1997 pour avoir publié toute une série d'articles dénonçant la corruption de la procuratie locale de Kamitagu; il reçut des coups de fouet et on lui refusa tout soin médical lorsqu'il tomba malade. (62)

Le 26 août, les soldats arrêtèrent Kylosho Kyalondawa, un autre activiste du CADDHOM, et Donatien Mazombi, le secrétaire de l'organisation, deux jours plus tard. Ces trois défenseurs des droits de l'homme furent retenus prisonniers dans le camp militaire et roués de coups tous les jours dans le cadre de ce que les soldats appelaient la " Morale ". Celle-ci consistait à administrer 100 à 200 coups de fouets trois fois par jour, jusqu'à ce que la victime reconnaisse l'autorité de l'A.F.D.L. (63)

Tous trois avaient été accusés d'inciter la population locale à se rebeller contre l'A.F.D.L. Il est cependant clair -et les menaces dont il a été question précédemment, proférées à l'encontre du président de l'association, le prouvent- qu'ils étaient en fait punis pour leur activisme en faveur des droits de l'homme.

Tous trois furent ensuite transférés à Bukavu, la capitale de la province du Sud-Kivu, et bénéficièrent d'une mise en liberté provisoire le 27 octobre 1997. Ils reçurent l'ordre de ne pas quitter Bukavu et de se présenter chaque lundi au siège local de l'A.F.D.L. On les avertit également qu'ils étaient placés sous la "surveillance " de l'Agence Nationale de Renseignements.

Les autorités congolaises ne montrèrent aucune ardeur à intervenir promptement, comme le leur avaient demandé les associations de défense locales à Kinshasa et les agences internationales, afin de mettre un terme à la détention et aux mauvais traitements subis par les défenseurs des droits de l'homme dans les régions reculées du pays.

Liberté de réunion

Normes légales

L'Article 21 du P.I.R.D.C.P (Pacte International Relatif aux Droits Civils et Politiques) déclare :

Le droit de réunion pacifique est reconnu. L'exercice de ce droit ne peut faire l'objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l'ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d'autrui.

La Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, qui reconnaît pareillement le droit de réunion pacifique dans l'Article 11, déclare :

Toute personne a le droit de se réunir librement avec d'autres. Ce droit s'exerce sous la seule réserve des restrictions nécessaires édictées par les lois et règlements, notamment dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté d'autrui, de la santé, de la morale ou des droits et libertés des personnes.

La plupart des attaques lancées à l'encontre des partis politiques au Congo visaient à paralyser leur capacité à exercer leur droit à la liberté de réunion, que ce soit lors de réunions politiques publiques ou lorsqu'ils organisaient des manifestations de rue. Contrairement aux obligations du Congo définies dans le P.I.R.D.C.P et à leur propre décret-loi constitutionnel qui prévoit une garantie étendue de l'exercice des "droits individuels et collectifs," les autorités congolaises frappèrent la liberté de réunion d'une interdiction extrêmement stricte. Lorsque des réunions et des manifestations pacifiques non-autorisées avaient lieu, les autorités envoyaient des soldats les disperser. Les responsables de l'application de la loi firent souvent usage d'armes à feu contre des manifestants désarmés, causant ainsi la mort de dizaines de personnes dont le seul crime était d'avoir tenté d'exercer leur droit à la liberté de réunion pacifique.

La manifestation d'Uvira, juin 1997

Le 26 juin 1997, dans la nuit du dimanche au lundi, les forces de sécurité d'Uvira, une ville située à l'Est du pays dans la province du Sud-Kivu, auraient enlevé dix individus pour les exécuter extrajudiciairement. Le lendemain matin, la découverte de leurs corps dans la rue déclencha une manifestation spontanée de la population civile, qui envahit les rues afin de protester contre ces tueries. Les manifestants réclamaient la fin des enlèvements et des exécutions extrajudiciaires qui rongeaient la ville, la première à être tombée aux mains de l'A.F.D.L. en septembre 1996. (64)

Les manifestants étaient principalement des femmes et des enfants. Les soldats de l'A.F.D.L. réprimèrent violemment la manifestation, tuant et blessant plusieurs dizaines de personnes. Trente-huit manifestants pacifiques, des enfants pour la plupart, tombèrent sous les coups de feu et une centaine de personnes furent blessées. (65)

Lorsque le commissaire civil de la zone d'Uvira tenta d'intervenir pour mettre un terme au carnage, il fut lui-même grièvement blessé.

Selon un ancien responsable de l'A.F.D.L. qui accepta de faire des déclarations à Human Rights Watch à condition de conserver l'anonymat, les familles ne furent pas autorisées à enterrer leurs morts. Les soldats de l'A.F.D.L. les jetèrent dans des fosses communes. Selon cette même source d'information, le nombre de victimes était nettement supérieur aux trente-huit morts reconnus par le gouvernement. D'après ce témoin, la crainte des représailles gouvernementales empêcha nombre de familles de venir déclarer la perte d'un parent. Une dizaine de victimes auraient été enterrées dans le cimetière de l'Eglise catholique d'Uvira. De nombreux autres corps auraient été emmenés en camion dans des zones rurales éloignées afin d'y être enterrés anonymement.

Les autorités de Kinshasa promirent d'enquêter sur la violente répression de la manifestation d'Uvira. Parmi les responsables qui insistèrent pour qu'une enquête ait lieu figurait le général Anselme Masasu Ningaba, le chef d'état-major non-officiel de l'armée de l'A.F.D.L.; lui-même natif d'Uvira, il connaissait paraît-il personnellement un grand nombre des familles touchées par le deuil. Il n'y eut finalement aucune enquête et les commandants militaires responsables de l'incident ne furent ni interrogés ni mutés.

Manifestations d'étudiants, Lubumbashi, août 1997

Dans l'après-midi du lundi onze août, une fusillade éclata à proximité du campus de l'université de Lubumbashi entre deux groupes de soldats de l'A.F.D.L. Le premier était composé de " Kadogos " recrutés dans l'Est du Congo, l'autre comptant parmi ses rangs d'anciens " gendarmes katangais ". Outre les soldats blessés et tués lors de cet incident, un groupe de civils qui attendaient le bus fut pris dans les tirs croisés. Sylvie Tshibola, une étudiante, fut grièvement blessée et dut plus tard être amputée d'un bras faute d'avoir reçu les soins adéquats. Martine Punga Nkuba décéda sur-le-champ des suites de ses blessures. Bien qu'elle ne fût pas étudiante, elle se rendait régulièrement à l'université où étudiait son fiancé. (66)
 

Saisis de colère face à cette tuerie, les étudiants commencèrent à scander des slogans anti-A.F.D.L., brûlèrent son drapeau et chantèrent la " Zaïroise ", l'hymne national officiel sous Mobutu. Les autorités envoyèrent des soldats afin de réprimer la manifestation. Les étudiants leur jetèrent des pierres et refusèrent de rendre le corps de la victime avant le matin du douze août.

Le douze août à cinq heures du matin, les soldats encerclèrent le campus et firent irruption dans les résidences d'étudiants, tirant en l'air alors qu'ils se frayaient un chemin jusqu'aux chambres. Après avoir fouillé les chambres l'une après l'autre, ils arrêtèrent neuf étudiants et les emmenèrent à l'Agence Nationale de Renseignements pour les interroger. Ils furent relâchés tard le treize août, après avoir été violemment battus. Des contrôleurs appartenant aux groupes de défense des droits de l'homme de Lubumbashi visitèrent les chambres et relevèrent minutieusement les impacts des munitions non-explosées tirées le matin dans les murs et les châssis de fenêtre. Un étudiant déclara que les soldats l'avaient immobilisé et avaient tiré dans un seau d'eau, à moins de dix centimètres de sa tête. (67)
 

D'autres fouilles se déroulèrent dans la nuit du mercredi et la nuit du seize au dix-sept août. Les soldats se tinrent en retrait lorsque les administrateurs de l'université vérifièrent les reçus fournis par les étudiants afin de prouver leur identité et leur droit à disposer des chambres. Un contrôle physique eut lieu dans les bâtiments de la faculté le lundi dix-huit août sur des milliers d'étudiants, y compris les étudiants qui effectuaient la navette.

Ces fouilles systématiques engendrèrent un climat de crainte qui aurait incité des dizaines d'étudiants à quitter le campus et la région. Dans une lettre adressée au gouverneur et datée du dix-huit août, les associations locales et leur organisation de coordination, la Concertation des Associations des Droits de l'Homme du Katanga (CADHOK), dénonçaient l'élaboration d'une liste d'étudiants suspects par les membres d'une "Chembe Chembe ", une cellule de l'A.F.D.L. implantée depuis peu sur le campus. La CADHOK lui rappelait que la suppression des activités politiques sur les campus, sous Mobutu, avait atteint son paroxysme en 1990 avec le fameux massacre d'étudiants, qui avait fortement contribué à catalyser la résistance opposée à son régime. Ce désastre faisait suite à une opération militaire menée sur ce même campus de Lubumbashi et ordonnée par un gouverneur. (68)
 

Chaque étudiant reçut l'ordre de se présenter à l'Agence Nationale de Renseignements peu après l'imposition des contrôles. Parfois, les administrateurs des universités interrompirent les cours pour distribuer des convocations aux étudiants. Seize étudiants furent ainsi arrêtés et accusés d'avoir fomenté les troubles. Contrairement au premier groupe, ils furent détenus pendant plusieurs semaines dans les cellules de l'Agence Nationale de Renseignements. Les pressions continues exercées par la CADHOK, sous forme de lettres de protestation et de délégations auprès de l'Agence Nationale de Renseignements, parvinrent finalement à les faire libérer le dix octobre.

La nuit où ils furent relâchés, les étudiants furent emmenés directement de leur cellule jusqu'aux stations de radio et de télévision locales pour être interrogés à l'antenne par des inspecteurs de l'Agence Nationale de Renseignements. Ils reconnurent avoir provoqué l'agitation anti-A.F.D.L., demandèrent le pardon et promirent de ne plus s'engager à l'avenir dans de telles activités. Il s'agissait vraisemblablement des conditions à satisfaire pour leur libération. Plus tard, certains révélèrent à des organisations membres de la CADHOK qu'ils avaient également été contraints de devenir les " ambassadeurs de l'A.F.D.L. " sur le campus, un rôle pour lequel on leur avait promis une rémunération mensuelle de 100 USD. (69)
 

Manifestations de l'U.D.P.S, Kinshasa

Au cours des sept mois que dura la guerre civile, l'U.D.P.S avait organisé d'immenses manifestations et des opérations " ville morte " à Kinshasa, Kisangani, et d'autres villes, afin d'exprimer leur soutien à la cause rebelle et d'exiger des négociations visant à régler le conflit. Les gardes civils de Mobutu réprimèrent violemment ces manifestations. A la mi-février, son dernier gouvernement interdit les manifestations et les grèves générales et menaça d'appliquer la " loi avec une rigueur implacable " pour toute personne prenant part à ces manifestations. (70)

Durant les jours qui précédèrent la chute de Kinshasa, la capitale fut paralysée par une grève de l'opposition orchestrée par l'U.D.P.S afin d'accélérer la chute de Mobutu. Un reporter cita un militant de l'U.D.P.S qui mobilisait les partisans en vue d'une manifestation en mars et criait, " Hello Kabila. Tu as pris Tingi Tingi. Tu es en train de prendre Kisangani. Nous t'attendons à Kinshasa. " (71)
 

Les militants de l'U.D.P.S ne durent pas attendre longtemps. L'A.F.D.L. s'empara de Kinshasa en mai; l'un de ses premiers actes fut d'interdire les partis et les activités politiques. Avides d'exercer leur liberté de s'associer et de se réunir pacifiquement, les membres de l'U.D.P.S et d'autres groupes de l'opposition découvrirent très rapidement que les militaires de l'A.F.D.L. et la police anti-émeute n'avaient rien à envier aux gardes civils en ce qui concernait la répression violente des manifestations. Les listes de personnes arrêtées, emprisonnées et violentées après la période de libération ressemblaient étrangement à celles de l'ère Mobutu.

Dans les jours qui suivirent la proclamation du nouveau gouvernement, Etienne Tshisekedi, le chef de l'U.D.P.S et ancien Premier ministre symbolisant l'opposition à la dictature de Mobutu aux yeux d'un grand nombre, déclara lors d'une conférence de presse qu'il ne reconnaissait pas les nouvelles autorités, ajoutant: " Ce nouveau gouvernement n'existe pas pour moi. Je demande à tous de rassembler leur ultime énergie pour résister aux tentatives visant à imposer un gouvernement sans légitimité populaire. " (72)

Son appel fut entendu. Indignés par l'exclusion de leur parti et de son leader du gouvernement de transition, les partisans de l'U.D.P.S organisèrent plusieurs manifestations au cours des jours qui suivirent l'avènement de Kabila. Les soldats dispersèrent les marches de protestation, parfois violemment, et procédèrent à des arrestations. Les protestataires arrêtés furent généralement emmenés dans des camps militaires, où ils firent souvent l'objet de brutalités et furent libérés après quelques jours.

Il faut reconnaître que l'U.D.P.S cherchait, à travers ses protestations, à canaliser les profonds ressentiments ethniques à l'encontre de l'A.F.D.L. en affirmant que le pays était dirigé par des "étrangers "; cet appel au chauvinisme ethnique était déjà apparu précédemment dans le soutien manifesté par l'U.D.P.S aux efforts du gouvernement de Mobutu afin de priver de la nationalité zaïroise les Zaïrois d'origine tutsi. Un militant de l'U.D.P.S déclara à des journalistes: " [Nous] marchons en signe de protestation contre les Rwandais. Tshisekedi sait que le peuple zaïrois ne veut pas être gouverné par des étrangers. " (73)
 

Peu après que Tshisekedi eut participé à un rassemblement politique à l'université de Kinshasa le 26 juin, au cours duquel il s'était adressé à plusieurs milliers de partisans étudiants, cinquante soldats fortement armés étaient descendus à son domicile et l'avaient arrêté, ainsi que sa femme, pendant la nuit. Les observateurs s'interrogèrent quant aux motifs réels sous-tendant son arrestation puisque selon eux, son discours était " extrêmement conciliant " vis-à-vis des nouvelles autorités. Tshisekedi avait en effet déclaré aux étudiants qu'il avait noué des contacts avec le président Kabila pour " harmoniser " leurs points de vue sur les institutions politiques du pays. (74)
 

La libération de Tshisekedi n'empêcha pas une petite centaine de partisans de manifester violemment à proximité de son domicile, dans la commune de Limete à Kinshasa: ceux-ci mirent le feu à de vieux pneus ainsi qu'à cinq véhicules qui passaient par là, et pillèrent une station-service. Lors des affrontements qui s'ensuivirent avec la police anti-émeute, au moins un des manifestants fut grièvement blessé.

Le vendredi quinze août 1997, des éléments paramilitaires de la Police d'Intervention Rapide dispersèrent violemment des militants de la branche jeunes de l'U.D.P.S au terme d'un rassemblement politique organisé en face du quartier général du parti à Limete, Kinshasa. Human Rights Watch observa de loin la violence perpétrée car les Bérets Rouges, -comme les a surnommés la population locale- armés de fusils automatiques, repoussèrent d'abord la masse des spectateurs: une petite centaine de militants resta alors au centre, juste à l'extérieur du siège de leur parti. Ces derniers poursuivirent leur réunion, ignorant la présence menaçante qui les encerclait. Alors que l'assemblée touchait à sa fin, les soldats prirent d'assaut le bâtiment, rouèrent de coups les personnes présentes et arrêtèrent quinze jeunes gens et jeunes femmes, ainsi que le principal orateur, Raymond Kahungu Mbemba. Kahungu, l'un des cofondateurs d'un parti et secrétaire général en charge de la branche jeunes, fut emmené avec les autres vers une destination inconnue. Ils furent libérés le quatorze octobre, après avoir passé un examen de santé à l'hôpital Stella de Kinshasa. (75)
 

Les observateurs de Human Rights Watch présents furent témoins d'une scène de violence non-provoquée, au cours de laquelle les soldats tirèrent en l'air et frappèrent aveuglément les militants et les spectateurs à coups de crosse de fusil. L'U.D.P.S affirma que lors de la fouille systématique des locaux qui s'ensuivit, les soldats emportèrent un coffre-fort contenant 3.000 USD. (76)
 

La branche jeunes de l'U.D.P.S avait déclaré à la fin du mois de juillet 1997 qu'elle organiserait un rassemblement public tous les vendredis afin de " combattre la mise en place d'une nouvelle dictature, par l'A.F.D.L., au Congo. " (77)

La réunion du vendredi quinze août revêtait une importance particulière: elle coïncidait en effet avec le cinquième anniversaire de l'élection du président du parti, Etienne Tshisekedi, au poste de Premier ministre par la Conférence Nationale Souveraine. Les relations entre l'U.D.P.S et l'A.F.D.L. au pouvoir avaient atteint un point critique au moment de la réunion. Les contacts officiels établis entre les deux partis afin d'organiser une rencontre entre Tshisekedi et Kabila furent gelés par le président, qui estimait que Tshisekedi posait des conditions inacceptables pour la réconciliation de leurs partis. Au même moment, l'A.F.D.L. continuait à attirer dans ses rangs d'importants membres de l'U.D.P.S en leur proposant des fonctions ministérielles et d'autres postes à responsabilités.

La dégradation des relations entre l'A.F.D.L. et l'U.D.P.S marqua l'évolution récente de la branche jeunes de l'U.D.P.S. Ses membres auraient été les premiers à créer des comités d'accueil populaires à la mi-mai afin d'accueillir les soldats victorieux de l'A.F.D.L. dans la capitale. Dégrisés par les signes annonciateurs de la mise en place d'un nouveau gouvernement autoritaire sous le contrôle de l'A.F.D.L. -ce qui impliquait l'exclusion de Tshisekedi- la branche jeunes forma un comité de crise pour surveiller le déroulement des événements et trouver des moyens de ramener l'A.F.D.L. sur la voie du processus de démocratisation. Le meeting du quinze août visait également à définir le rôle de la branche jeunes dans les contacts officiels U.D.P.S/A.F.D.L. en cours à ce moment. (78)
 

Le 22 août, Human Rights Watch rendit visite aux quinze détenus de l'U.D.P.S qui avaient été arrêtés pendant le meeting du quinze août et étaient retenus prisonniers au quartier général de la Direction Spéciale d'Investigations et de Renseignements (DSIR). Nous pûmes avoir un entretien privé avec trois d'entre eux. Ils confirmèrent les récits parus dans la presse locale, selon lesquels ils avaient été violemment battus au poste de police où ils avaient été conduits après leur arrestation. Le samedi matin (le seize août), ils expliquèrent avoir été emmenés au Ministère des Affaires intérieures, où ils subirent à nouveau toute une série de brutalités, dont des coups donnés au moyen de bâtons produisant des décharges électriques, dans la cour du bâtiment principal. Ils affirmèrent que le ministre-adjoint des Affaires intérieures se trouvait alors dans son bureau et pouvait entendre leurs cris.

Les membres du groupe ne furent pas relâchés avant la fin du mois d'octobre. Ils ne furent pas autorisés à être entendus par une autorité judiciaire compétente afin de déterminer les motifs de leur arrestation et ne furent jamais inculpés d'un crime identifiable. Fin septembre, l'AZHADO publia un communiqué dans lequel elle exprimait ses craintes de voir " disparaître " deux des partisans de l'U.D.P.S et son inquiétude quant au bien-être des deux autres, qui étaient paraît-il " gravement malades " à ce moment. Comme ce fut le cas dans nombre d'emprisonnements politiques, les détenus de l'U.D.P.S firent l'objet de pressions les contraignant à abandonner leurs activités politiques en guise de condition préalable à leur libération.

Attaque contre la marche du P.A.L.U et mise à sac du domicile de son leader

Quelque deux mille membres du P.A.L.U organisèrent une marche pacifique le vendredi 25 juillet 1997, afin de remettre une pétition à la présidence, au Palais de la Nation (Kinshasa). Le document présentait les exigences politiques du parti :

1. Le respect total des droits de l'homme et des libertés y afférentes par les nouvelles autorités.

2. Des consultations nationales à propos de la période de transition, en vue d'organiser des élections présidentielles, législatives et locales dans les douze mois.

3. Une nette séparation entre les fonctions présidentielles, assumées par le président de l'A.F.D.L. s'il le souhaite, et les fonctions gouvernementales, qui doivent être placées sous l'égide d'un membre éminent du Parti Lumumbiste Unifié (P.A.L.U); la formation rapide d'un gouvernement véritablement national, composé exclusivement d'autochtones et ouvert à toutes les forces vives de la nation congolaise ayant véritablement lutté contre la dictature de Mobutu dans le pays. (79)
 

La police dispersa certains marcheurs, dans la zone du cimetière de Gombe, mais ceux-ci parvinrent à rejoindre le groupe principal devant le palais présidentiel. Une fois la marche terminée, un groupe de participants fut intercepté par des sentinelles militaires postées en face du Ministère des Affaires étrangères, qui ouvrirent le feu sur les militants désarmés.

Quelques heures après la fin de la manifestation, les soldats effectuèrent une descente au domicile d'Antoine Gizenga dans la commune de Limete, tirant sur les militants et en l'air afin de disperser le rassemblement. Des travailleurs permanents du parti furent violemment battus à coups de crosse, de fouet et de barres de fer et contraints de se déshabiller. Les soldats enfermèrent Gizenga et son épouse dans la salle de bains pendant qu'ils mettaient la maison à sac. Ils auraient ainsi emporté tous les biens de valeur, y compris les vêtements des enfants et les ustensiles de cuisine. (80)
 

Selon le P.A.L.U, le nombre de victimes recensées ce jour-là se présentait comme suit: un militant décédé de ses blessures par balles, six membres du parti grièvement blessés par balles et une centaine d'autres présentant des blessures plus légères. (81)
 

Dans une pétition adressée au président, Gizenga fournit une liste détaillée des biens personnels et des biens appartenant au parti emportés par les soldats hors de son domicile, qui faisait également office de siège du parti, et réclama la restitution de ces biens. Il estima leur valeur totale à quelque 300.000 USD. (82)

M. Gizenga expliqua à Human Rights Watch qu'il était particulièrement affecté par la disparition de manuscrits et de documents relatifs à ses mémoires personnelles, qui se trouvaient parmi les objets emportés par les soldats. Il s'agissait à ses yeux d'une tentative délibérée de priver le parti de sa mémoire institutionnelle et il compara l'incident à un événement similaire survenu pendant le règne de Mobutu: lors d'une descente organisée dans son ancien domicile, celui-ci avait été détruit et des manuscrits relatant ses mémoires avaient été brûlés. Un grand nombre de militants furent tués et battus, tandis que des effets personnels - y compris les sièges des toilettes et les prises murales - furent emmenés au cours de l'attaque. (83)
 

Liberté de mouvement

Normes légales

L'Article 12 du P.I.R.D.C.P définit la liberté de mouvement comme un des droit fondamentaux de la personne humaine, essentiel pour jouir véritablement des autres droits de l'homme :

1. Quiconque se trouve légalement sur le territoire d'un Etat a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence.

2. Toute personne est libre de quitter n'importe quel pays, y compris le sien.

3. Les droits mentionnés ci-dessus ne peuvent être l'objet de restrictions que si celles-ci sont prévues par la loi, nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l'ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d'autrui, et compatibles avec les autres droits reconnus par le présent Pacte.

4. Nul ne peut être arbitrairement privé du droit d'entrer dans son propre pays.

Le droit à la liberté de mouvement se voit octroyer une protection similaire dans la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, ainsi que dans l'Article treize de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.

Le nouveau gouvernement limita fortement les déplacements des personnalités politiques et des activistes de la société civile, qui étaient retenus en détention pendant un certain temps puis relâchés sans être inculpés ni jugés: on leur demandait alors de signer un engagement écrit par lequel ils se soumettaient aux restrictions imposées quant à leur lieu de résidence et leurs déplacements internes. Le gouvernement enjoignit également aux anciens prisonniers politiques l'ordre de se présenter régulièrement à la police ou aux agences de sécurité locales. Dans au moins deux affaires, relatées ci-dessous, des leaders de l'opposition furent empêchés de se rendre à l'étranger pour assister à des conférences internationales.
 

Restrictions de mouvement

Joseph Olenghankoy, président du F.O.N.U.S, et son adjoint Jean-Pierre Tchimanga, furent arrêtés le dix octobre 1997, alors qu'ils attendaient un vol pour les Etats-Unis à l'aéroport de Kinshasa. Tous deux devaient participer à une conférence organisée par la diaspora congolaise sur le thème de la reconstruction du Congo. Ils furent emmenés brutalement, ainsi que le garde du corps d'Olenghankoy, et retenus toute la nuit.

A sa libération, Olenghankoy déclara aux reporters qu'on ne lui avait pas fait connaître les raisons de leur arrestation, qu'il avait été " torturé " et souffrait d'une blessure au bras. Son passeport et ses documents de voyage avaient été confisqués. Le secrétaire général du F.O.N.U.S, John Kwet, expliqua également aux journalistes que le domicile d'Olenghankoy dans l'ouest du pays et son appartement de Kinshasa avaient été vidés la nuit par des soldats en uniforme, en présence de hauts responsables du Ministère des Affaires intérieures. (84)

Olenghankoy avait déjà été arrêté au début du mois de septembre et gardé peu de temps en détention dans les quartiers généraux du service de renseignements militaires.

A la mi-novembre, les autorités interdirent au leader de l'opposition chrétienne-démocrate de prendre l'avion pour Paris afin d'assister à une réunion de la Christian Democrat International. (85)
 

Les restrictions de mouvement imposées aux anciens prisonniers politiques semblent être la règle. Antoine Kazadi, le leader de l'U.D.P.S libéré en août après trois mois de détention à Lubumbashi, avait en effet reçu l'ordre de ne pas quitter la ville pendant un mois et de se présenter tous les jours au siège de l'Agence Nationale de Renseignements. De la même manière, des activistes de défense des droits de l'homme relâchés après avoir été détenus à Kindu et Bukavu virent leur liberté de mouvement limitée par des contraintes semblables à celles susmentionnées.

Liberté d'expression et de la presse

Normes légales

L'Article 19 du Pacte International Relatif aux Droits Civils et Politiques protège la liberté d'expression. Il affirme:

1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions.

2. Toute personne a droit à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.

Les critiques pacifiques émises à l'encontre du gouvernement ne peuvent justifier la limitation de la liberté d'expression garantie par l'Article 19 (2). L'Article 19 (3) pose les restrictions admissibles à la liberté d'expression, (86)

exigeant notamment que chacune d'elles soit définie légalement, qu'elle serve l'un des objectifs légitimes expressément cités dans le P.I.R.D.C.P et qu'elle soit "nécessaire." La liberté de la presse se trouve au cœur même du concept de diffusion de l'information et doit dès lors bénéficier d'une protection spécifique.

L'Article neuf de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples déclare simplement:

1. Toute personne a droit à l'information.

2. Toute personne a le droit d'exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements.

L'un des progrès majeurs réalisés par le mouvement démocratique dans l'ancien Zaïre fut la liberté relative que le secteur de la presse et de la radiodiffusion privées arracha au pouvoir répressif du gouvernement de Mobutu Sese Seko, au cours des dernières années d'une transition imparfaite vers la démocratie. Ainsi, on assista à l'émergence d'un réseau de radiodiffusion privé extrêmement populaire, qui comptait cinq radios et cinq stations de télévision privées dans la capitale, Kinshasa. Les principales villes de l'intérieur du pays, dont Lubumbashi, Kisangani et Goma, possédaient chacune leurs stations de radiodiffusion privées. Les nouvelles autorités tentèrent de limiter la liberté de la presse, notamment par des manœuvres d'intimidation contre les journalistes de la presse orale et les journaux émettant des critiques à leur égard. En outre, le gouvernement essaya de préserver le contrôle très strict exercé par son prédécesseur dans le secteur de la radiodiffusion publique.

La pratique du journalisme fut de plus entravée par l'effondrement de l'économie formelle et de l'infrastructure du pays. Par conséquent, la grande majorité des journaux de Kinshasa, qui sont publiés sous la forme de tabloïdes et ne comptent généralement que huit pages, ne disposent pas de téléphone ou de fax en état de fonctionnement, ni de matériel informatique leur appartenant. Ils comptent sur les revenus générés par la distribution directe au public, via leur réseau étendu de vendeurs de rues. Peu d'entreprises placent des publicités dans les tabloïds. Le prix de vente moyen -un dollar par numéro- est hors de portée du grand public. Une scène familière dans les rues du centre de Kinshasa: des petits groupes d'individus se réunissent autour des stands de journaux et lisent à distance les titres des journaux qu'ils ne peuvent se permettre d'acheter.

Attaques contre la presse

Peu après avoir pris Kinshasa, le gouvernement de l'A.F.D.L. annonça une purge massive parmi les journalistes et les travailleurs employés par la société publique de radio et de télévision connue sous le nom d'Office Zaïrois de Radio et de Télévision (OZRT). Le 4 juin, le gouvernement fit savoir que l'OZRT était devenu la " propriété du peuple congolais " et le rebaptisa Radio-Télévision Nationales Congolaises (RTNC). (87)

Les nouvelles autorités fermèrent et remplacèrent également la seule et unique agence de presse du pays, l'Agence Zaïroise de Presse.

L'une des premières décisions du nouveau ministre de l'Information, Raphael Ghenda, fut d'interdire la diffusion de publicités commerciales par les stations de radio et de télévision privées. (88)

Le ministre justifia sa décision par la nécessité de " mettre un terme, sans plus attendre, au désordre et à l'anarchie régnant dans le secteur commercial. " (89)

Le coordinateur de l'information de l'A.F.D.L., Leyka Moussa Nyembo, tenta de justifier cette mesure en soulignant que les stations de radio et de télévision privées appartenaient aux partisans de l'ancien président Mobutu Sese Seko et ne payaient aucune redevance. Il ajouta qu'" une taxe équivalente à 30 % de leur chiffre d'affaires pourrait être introduite et que cet argent servirait à financer les chaînes publiques. " (90)

En juin, les autorités décidèrent de nationaliser Télé Kin Malebo, une station de télévision privée populaire appartenant à Ngongo Luwowo, un ancien responsable de l'ère Mobutu. Elles prétendirent que Luwowo abusait de ses fonctions de ministre de l'Information sous Mobutu pour détourner du matériel destiné à la station de télévision nationale. Les responsables de TKM démentirent en affirmant qu'ils possédaient les documents attestant qu'ils s'étaient procuré ce matériel légalement, mais cette objection ne fléchit en rien la détermination du gouvernement. (91)
 

Dès les débuts de la République Démocratique du Congo, la presse privée très active à Kinshasa garda un ton critique vis-à-vis du nouveau gouvernement, restant ainsi fidèle à l'indépendance héritée de ses luttes passées pendant le règne de Mobutu. Dans un premier temps, les nouvelles autorité affichèrent une certaine tolérance. Celle-ci disparut cependant rapidement lorsque la presse couvrit des affaires jugées "sensibles," telles que les questions relatives à la sécurité et à la corruption dans les rangs du gouvernement.

La presse écrite fut la cible privilégiée d'une répression implacable. Le dix-sept mai 1997, le jour où Kabila se proclama président, les soldats mirent à sac les locaux du groupe de presse Le Soft, qui appartenait à un ancien ministre de l'Information. Le mercredi seize juillet, La Référence Plus, le premier quotidien à Kinshasa, publia un article alléguant l'existence d'un conflit entre deux candidats pour le poste de conseiller de la présidence en matière de sécurité. André Ipakala, le rédacteur en chef de La Référence Plus, expliqua à Human Rights Watch que le lundi suivant, cinq agents de le police politique (l'ANR) vinrent l'arrêter au bureau. Ils n'avaient pu produire de mandat d'arrêt lorsqu'il le leur avait demandé avant de les suivre.

Quatre agents, qui déclarèrent être des hommes de loi, l'interrogèrent dans le bureau du directeur du Département des Affaires intérieures de l'ANR. Ils voulaient connaître l'origine de l'histoire et le menacèrent de représailles s'il refusait de révéler sa source d'information. Ipakala répliqua que juste avant la chute de Mobutu, une nouvelle loi sur la presse avait été promulguée et exigeait que les journalistes dévoilent leurs sources lorsque des " autorités compétentes " le leur demandaient, mais cette loi ne spécifiait pas quelles étaient ces autorités. Ipakala fut relâché tard dans la nuit. Les agents de l'ANR qui l'interrogèrent lui demandèrent de rencontrer le responsable de la publication ainsi que l'auteur de l'article. Ce dernier finit par dévoiler sa source qui, selon Ipakala, était relativement haut placée, de sorte que l'enquête fut bloquée. (92)
 

Ali Kalonga, le directeur de l'Agence de Presse Congolaise officielle, resta en détention pendant plusieurs semaines du mois d'août 1997, pour avoir autorisé la publication d'un article relatant la suspension et la détention à domicile du ministre des Finances, à la suite d'accusations de corruption.

Moise Musangana, le directeur des publications du quotidien Le Potentiel, raconta à Human Rights Watch que l'agence avait reçu régulièrement des visites de personnes prétendant être des agents de la sécurité ou des membres de l'A.F.D.L. au pouvoir. Ils posèrent des questions sur la couverture assurée par le journal à propos de l'A.F.D.L. et donnèrent des avertissements aux journalistes. Musangana était convaincu que ces visites avaient pour but de donner aux articles une orientation pro-A.F.D.L. (93)

La conséquence attendue de ces attaques et de ces visites d'intimidation sembla être une autocensure dans la presse privée.

Les autorités arrêtèrent Polydor Muboyayi Mubanga le 8 septembre 1997, après que Le Phare, un quotidien indépendant dont il était le rédacteur en chef, eut publié un article affirmant que le président Kabila était en train de recruter sa propre garde présidentielle. Il déclara avoir été battu lors de son arrestation. Polydor fut ensuite détenu dans une cellule au Tribunal de Première Instance, la principale cour criminelle de Kinshasa, où les conditions de détention sont réputées extrêmement dures. Le dix-sept septembre, il fut officiellement inculpé de " propager de fausses rumeurs et d'incitation à la haine ethnique, "; il risquait une peine d'emprisonnement maximale de deux ans s'il était déclaré coupable. (94)
 

L'arrestation de Polydor Mubanga déclencha une gigantesque campagne de solidarité et de pressions diverses exigeant sa libération. Le neuf septembre, l'Union des Journalistes et des Travailleurs du secteur des médias, protestèrent contre la détention du journaliste. Le douze septembre, l'AZADHO réclama la libération immédiate de Polydor et insista pour que les autorités abandonnent leurs "stratégies d'intimidation ". Le dix-huit septembre, l'association locale des journalistes Média Libre-Média pour Tous lança une" journée sans journaux ", qui fut respectée par l'ensemble de la presse congolaise. L'organisation déclara que son arrestation constituait une " violation flagrante de la loi, qui garantit la liberté de la presse " en République Démocratique du Congo. Les organismes de surveillance des médias internationaux lancèrent également des appels similaires. Il fallut cependant attendre la mi-novembre avant que le président Kabila ordonne sa libération, en "conseillant" au ministre de la Justice de le relâcher. (95)
 

Alors que Polydor était libéré, les autorités arrêtèrent Bonsange Yema le dix-huit novembre à Kisangani. Rédacteur en chef duMambenga, de L'Essor Africain et de L'Alarme, il était soupçonné "d'espionnage" pour le compte de la Mission d'enquête des Nations Unies. Il fut relâché le 27 novembre. L'arrestation de Bonsange illustrait parfaitement la réaction du gouvernement face à la couverture donnée à ses agissements en matière de droits de l'homme. Tandis que les Nations Unies s'apprêtaient à entamer leurs investigations (fin novembre-début décembre), le gouvernement intensifia les mesures de répression contre les médias, visiblement soucieux d'empêcher ces derniers de prendre part à la recherche de la vérité. Cette censure visait aussi bien les médias nationaux qu'internationaux, comme le prouvent les incidents relatés ci-après.

A la fin du mois de novembre, le réseau de radiodiffusion de l'Etat licencia quatre journalistes travaillant pour des médias locaux et étrangers. Selon les comptes rendus, le chef suppléant du réseau les avait accusés de " n'avoir pas tenu compte des instructions… relatives à la diffusion des nouvelles. " (96)

L'AFP déclara que les quatre journalistes étaient accusés d'avoir "déformé" les faits ultérieurs aux affrontements survenus à Kinshasa entre deux factions rivales de l'armée et l'arrestation du commandant Masasu Nindaga, le chef d'état-major suppléant de l'armée. Le trente novembre, les autorités bloquèrent les émissions des médias internationaux dans le pays. Le ministre de l'Information, Raphael Gendha, déclara que toutes les émissions radiodiffusées sur la bande FM seraient suspendues "pour une période indéterminée"; il précisa que cette décision était motivée par la "campagne de désinformation" menée par "certains médias étrangers" qui tentaient de miner son gouvernement. La décision toucha la BBC, Radio France Internationale et la Voix d'Amérique, dont les bulletins d'information étaient relayés par des stations de radio privées. Cette décision aurait toutefois été annulée quelques jours plus tard à la suite de pressions diplomatiques discrètes.

Le gouvernement prit également toute une série de mesures qui, si elles venaient à être appliquées intégralement, menaceraient l'existence même de la presse privée. Le dix-huit août par exemple, la police nationale ordonna l'interdiction de la vente de journaux dans les rues principales de Kinshasa. La presse privée y vit une " déclaration de guerre " étant donné que son réseau de distribution repose entièrement sur les vendeurs de rues.

Enfin, le président Kabila enjoignit aux journalistes du pays de faire leur travail de manière "responsable" sous peine d'encourir des sanctions disciplinaires. Lors d'une conférence de presse à Kinshasa, il déclara que l'Etat " était contraint de se défendre contre une section des médias qui était toujours prête à réclamer ses droits mais qui ne se souciait guère d'accomplir ses devoirs. " (97)
 

Le président ne précisa pas quelle "sanction disciplinaire " son gouvernement réserverait aux journalistes dont les écrits seraient jugés "irresponsables." C'est d'ailleurs sans importance. Peu après que Kabila eut lancé cette menace, des soldats battirent violemment dix journalistes et confisquèrent leur matériel, parce qu'ils avaient tout simplement assisté à la conférence de presse organisée le 27 novembre 1997 par les Forces du Futur, un parti de l'opposition. (98)
 


20. "Kinshasa: Recrudescence des Vols à Main Armée," Communiqué de Presse N° 13/97, AZAHDO, Kinshasa, 14 août 1997.

21. "Minister's Bodyguard Kills Two, Sentenced to Death," A.F.P., Kinshasa, 25 septembre 1997.

22. Interview téléphonqiue de Human Rights Watch, New York - Lubumbashi, 3 novembre 1997.

23. "Kabila Orders Return of Property Seized From Mobutu Officials," A.F.P., Kinshasa, 12 novembre 1997.

24. Interview de Human Rights Watch, Lubumbashi, août 1997.

25. Interview de Human Rights Watch, Likasi, décembre 1996

26. Interview de Human Rights Watch, Lubumbashi, décembre 1996.

27. Ibidem

28. Interview de Human Rights Watch, Kinshasa, 13 août 1997.

29. L'Aticle 25 du Pacte International Relatif aux Droits Civils et Politiques stipule que tout citoyen a le droit: "(a) de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis; (b) de voter et d'être élu, au cours d'élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l'expression libre de la volonté des électeurs..."

30. "Zaire: Zaire Government Reiterates Ban on Parties, Demonstrations," A.F.P., Kinshasa, 26 mai 1997, dans FBIS-AFR-97-147, 27 mai 1997.

31. Lynne Duke, "Protesters in Kinshasa Defy Kabila's Ban, Troops Disperse Demonstrators, but Tensions Persist Between New Order, Old Opposition," Washington Post, 29 mai 1997, p. A25.

32. "Zaire: Patriotic Front Says Ready to Work With Kabila," Radio France International, 20 mai 1997, dans FBIS-AFR-97-140, 22 mai 1997.

33. Colette Braeckman, "Health Minister Views Political, Social Situation," Le Soir, 23 juillet 1997.

34. Ibidem

35. Interview de Human Rights Watch, Kinshasa, 15 août 1997.

36. Ibidem

37. Marie-France Cros, "The Democratic and Social Christian Party Wants to Avoid a Crisis," Bruxelles, La Libre Belgique, 14 juillet 1997.

38. Interview de Human Rights Watch, Lubumbashi, 19 août 1997.

39. Ibidem

40. Interview téléphonique de Human Rights Watch, 3 novembre 1997.

41. Interview d'Antoine Gizenga par Human Rights Watch, 16 août 1997. 

42. Colette Braeckman, "Congo : un Homme et Trois Cercles de Pouvoir, " Le Soir, 7 novembre 1997.

43. Colette Braeckman, "Criticize Kabila in Kinshasa and Disappear, "  Le Soir, 15 juillet 1997.

44. "Congo - Kinshasa : Enlèvements Comme Signes Inquiétants de Manque de Maîtrise des Rênes du Pouvoir, " Communiqué de Presse N° 019/C/V.S.V/CD/97, V.S.V., Kinshasa, 15 septembre 1997.

45. Service d'Action et de Renseignements Militaires, S.A.R.M.

46. "Parliamentary Leader Escapes Arrest, Takes Refuge in Congo," Radio Africa N° 1, Libreville, 16 février 1997, dans FBIS-AFR-97-032, 19 février 1997.

47. "DR Congo Authorities detain Opposition Figure : Claim …," AFP, Kinshasa, 8 septembre 1997.

48. "Congo-Kinshasa : DRCongo - Opposition Leader Sues Ministers for Assault," AFP, Kinshasa, 17 octobre 1997.

49. Interviews de Human Rights Watch avec la direction de l'U.D.P.S à Lubumbashi, 19 août 1997.

50. Interviews de Human Rights Watch, Lubumbashi, 19 août 1997.

51. " Bastonnade Contre Forces du Futur et Journalistes, " Voix des Sans Voix, Communiqué de Presse N° 024/C/V.S.V/CD/97, Kinshasa, 27 novembre 1997.

52. Pour plus d'informations, cfr. : Human Rights Watch, " Zaire : Transition, War and Human Rights, " A Human Rights Watch Short Report, vol. 9, n° 2 (A), avril 1997.

53. Cfr. : " La Voix du C.D.H., " N° 13 Spécial, juin 1997, et " Violations et Insécurité, " Supplément au Périodique des droits de l'Homme, A.Z.A.D.H.O/Katanga, avril-juillet 1997, et 

54. Discours de l'ambassadeur Kapanga à la Carnegie Foundation, Washington, 20 novembre 1997. 

55. Entretien téléphonique avec Human Rights Watch, New York - Lausanne, 13/11/97.

56. fr. également : " Déclaration du CADDHOM à la Suite du Scellage de ses Bureaux et de l'Arrestation de ses Activistes dans l'Est de la R.D. du Congo Depuis le 23/08/1997, " CADDHOM, 10 septembre 1997.

57. Interview par Human Rights Watch, Kinshasa, 8 août 1997.

58. Interview par Human Rights Watch, Kinshasa, 7 août 1997.

59. Cfr. " A la Recherche de 'Documents Séditieux' au Sein des ONG des Droits de l'Homme, " V.S.V, Communiqué de presse N° 23/C/V.S.V/CD/97, Kinshasa, 24 novembre 1997.

60. Interview de Human Rights Watch avec un responsable du HZB, Kinshasa, 11 août 1997. Cfr. également : Amnesty International, " Torture / Fear of Torture, Democratic Republic of Congo (DRC), " Urgent Action, 13 août 1997, AI Index : AFR 62/24/97.

61. Cfr. " Human Rights Defenders in Congo (Zaire), " the Observatory for the Protection of Human Rights Defenders, Urgent Action, RDC / 001 / 9708 / OBS 007, Paris, 28 août 1997. 

62. Cfr. l'action urgente d'AI dans cette affaire, en date du 9 septembre 1997, AI Index : AFR 62/27/97.

63. " Déclaration du CADDHOM à la suite du Scellage de ses Bureaux et de l'Arrestation de ses Activistes dans l'Est de la R.D. du Congo Depuis le 23/08/1997, " CADDHOM, 10 septembre 1997.

64. Les tensions ethniques avaient opposé les habitants, qui sont essentiellement issus des groupes ethniques Bavira, Bambebe et Bafulero, à la nouvelle administration, placée sous le contrôle des Banyamulenge. Ceux-ci n'apprécièrent pas d'être considérés comme des étrangers dans cette province où ils avaient aussi leurs racines.

65. " Zaire : Zaire Soldiers Reportedly Kill Thirty in Uvira Demonstration, " AFP, Paris, 2 juin 1997.

66. Interviews de Human Rights Watch, Lubumbashi, 18 août 1997.

67. Pour plus d'informations, cfr. : Communiqué de presse N° 001/CADHOC/97 (Concertation des Associations de droits de l'Homme du Katanga (CADHOK).

68. Pour plus d'informations à propos de ce massacre, cfr. " Zaire : Repression as Policy, " The Lawyers Committee for Human Rights, New York, 1990, pp. 80-91.

69. Entretien téléphonique avec Human Rights Watch, New York - Lubumbashi, 30 octobre 1997.

70. " Zaire : Cabinet Meets, Bans Demonstrations, Ghost City Operations, " Kinshasa, Voix du Zaïre, 15 février 1997, dans FBIS-AFR-97-032, 19 février 1997.

71. " Troops disperse Zaire March to Back Rebels Talks, " Reuter, Kinshasa, 7 mars 1997.

72. " Congo Troops Break up Anti-Governement Protest, " Reuter, Kinshasa, 23 mai 1997. 

73. William Wallis, Reuter, Kinshasa, 28 mai 1997.

74. " Zaire : Zaire-Opposition Supporters Stage Violent Protests, " AFP, Kinshasa, 27 juin 1997.

75. Communiqué de presse N° 019/BIS/C/V.S.V/CD/97, V.S.V., Kinshasa, 22 octobre 1997.

76. " Hier à Limete : la Permanence de l'U.D.P.S mise à sac…, " La Référence Plus, Kinshasa, 16 août 1997.

77. " Principaux Titres de l'Actualité, Vendredi 25 juillet 1997, " CNONGD, Kinshasa.

78. Cfr. le résumé du discours de Raymond Kahungu lors de la réunion dans " Le Meeting de la J.U.D.P.S se Termine par une Rafle…, " Le Potentiel, 16 août 1997.

79. " Motion Politique : A L'Attention du Président de L'A.F.D.L. et Président de la République M. Laurent Désiré Kabila, " PALU, 24 juillet 1997.

80. Interview de Human Rights Watch avec Antoine Gizenga et son épouse, Kinshasa, 16 août 1997.

81. " Communiqué de presse N° 0015/Z/V.S.V/CD/97, " V.S.V, Kinshasa, 27 juillet 1997.

82. Document du PALU PL/SG/LEO/N°237/97, copie à Human Rights Watch.

83. Interview par Human Rights Watch, Kinshasa, 16 août 1997.

84. " Kinshasa Police Release Opposition Leaders, " AFP, Kinshasa, 11 octobre 1997 et " Opposition Party Leaders Arrested at Kinshasa Airport, " AFP, 10 octobre 1997.

85. " Democratic Republic of Congo : Pointers - Political Trip Barre, " Janes Information Group, Foreign Report, 11 novembre 1997. 

86. L'Article 19 (3) du P.I.R.D.C.P : " L'exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires: a) Au respect des droits ou de la réputation d'autrui; b) A la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. "

87. " Zaire : Zaire-Radio, Television Stations Made Property of People, " Kinshasa, Voix du Zaïre, 4 juin, FBIS-AFR-97-157, 6 juin 1997.

88. " Zaire : Zaire Governement Bans Private Radio, TV Commercials, " Kinshasa, Voix du Zaïre, 26 mai, FBIS-AFR-97-147, 27 mai 1997. 

89. Ibidem

90. " Democratic Republic of Congo : Media Purge, " The Reporters Sans Frontières Newsletter, juillet/août 1997 - N° 18, p. 1.

91. " Zaire : Zairian Authorities To Nationalize Private TV Station, " Libreville, Africa N° 1 Radio, 18 juin, FBIS-AFR-97-170, 19 juin 1997. 

92. Interview par Human Rights Watch, Kinshasa, 13 août 1997.

93. Interview par Human Rights Watch, Kinshasa, 15 août 1997.

94. " Request for Action on Behalf of Polydor Muboyayi Mubanga, " Amnesty International Urgent Action, 25 septembre 1997.

95. Cfr. "Democratic Republic of Congo : Kabila Demands Congo Editor be Set Free, " Reuter, Kinshasa, 18 novembre 1997.

96. Mise à jour N° 307 IRIN pour l'Afrique centrale et de l'Est, vendredi 5 décembre 1997, Nations Unies, Département des Affaires Humanitaires, Integrated Regional Information Network for Central and Eastern Africa.

97. Cfr. Mise à jour N° 297 IRIN pour l'Afrique centrale et de l'Est, vendredi 21 novembre 1997, Nations Unies, Département des Affaires Humanitaires, Integrated Regional Information Network for Central and Eastern Africa.

98. Cfr. ci-dessus. Les personnes qui firent l'objet de violences étaient : Kamanda wa Kamanda (correspondant d'Africa N°1), Paulin Tuluma, Musangu Fidele (Le Phare), Kota Jonas (Le Potentiel), Beke Eric, Kasongo Denis (Le Défi Africain), Lubunga (correspondant de la BBC-Swahili), Wamwana Baudoin (La Semaine du Rapporteur), Bonane Ya Nganzi Xavie (La Semaine du Rapporteur), Mosi Mosi (correspondant de la BBC et de la Voix d'Allemagne). Cfr. " Bastonnade Contre Forces du Futur et Journalistes, "V.S.V.