Africa - West


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CONTEXTE

La fin de l'ère Mobutu

A la mi-mai 1997, au terme d'une campagne de sept mois, les rebelles de l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (A.F.D.L.) parvenaient à mettre fin à trente années de dictature corrompue imposée au Zaïre par Mobutu Sese Seko. La décision de Mobutu de retirer leur nationalité aux Banyamulenge, les Tutsi de la province du Sud Kivu, et de les expulser du pays fut le geste qui finalement le mena à sa perte. Ceux qu'il souhaitait expulser prirent les armes, furent rejoints par d'autres et leur entreprise initiale, assurer la survie ethnique, se métamorphosa en un projet d'une envergure bien différente visant à renverser le gouvernement de la lointaine capitale Kinshasa.

En réalité, la guerre ne fit que marquer la fin "technique" de l'ère Mobutu. Le pays était déjà en voie de désintégration bien avant que le conflit n'éclate. L'incapacité de Mobutu à placer le Zaïre sur les rails de la démocratie, notamment au cours des sept dernières années de son règne, contribua à cette désintégration. La situation économique était catastrophique, l'armée échappait à tout contrôle, le mandat du président avait expiré depuis trop longtemps et le parlement siégeant n'avait pas été élu. Comme l'indique un rapport de Human Rights Watch publié en avril 1997, c'est en fait l'incapacité des gouvernements successifs et de la classe dirigeante en général à respecter les promesses de démocratisation pacifique qui, finalement, créa le climat propice à l'explosion de la violence. (3)
 

Un ensemble complexe de crises régionales contribua à aggraver les problèmes internes du Congo. En 1994, le pays dut à contrecoeur accueillir environ un million de réfugiés rwandais, fuyant leur pays après la victoire du Front Patriotique Rwandais sur les forces gouvernementales des Forces Armées Rwandaises (FAR). A ces réfugiés se joignirent entre vingt et trente mille soldats de l'armée vaincue (l'ex-FAR), des membres de milices armées, ainsi que des leaders politiques et membres de l'administration, responsables d'un génocide qui coûta la vie à plus de 500.000 Tutsi et à des milliers de Hutu liés aux Tutsi.

Grâce à la collaboration active du gouvernement de Mobutu, les membres de l'ex-FAR purent se réarmer et se mirent à recruter et entraîner des milliers de jeunes, trouvés dans les gigantesques camps de réfugiés situés le long de la frontière avec le Rwanda. A partir de 1995, les ex-FAR et les milices purent ainsi, à partir de ces camps, attaquer des cibles situées au Rwanda.

Des leaders de l'ex-FAR et d'anciens responsables gouvernementaux se servirent également des camps pour diffuser des messages incitant à la haine ethnique. Cette propagande "déborda" des camps et se répandit également dans les provinces du Kivu, habitées par des communautés ethniques multiples, notamment des Hutu et Tutsi zaïrois. Les tensions entre ces groupes ethniques s'intensifièrent de manière évidente. Le gouvernement de Mobutu fit également de nombreux efforts pour ne pas coopérer avec le Tribunal International (Rwanda), en refusant d'appréhender et d'extrader les individus accusés d'avoir participé au génocide. 

Dans un tel contexte, le soulèvement des Banyamulenge fut pour le gouvernement rwandais une occasion de disperser les réfugiés des camps situés à la frontière et de détruire l'ex-FAR et Interahamwe. Pendant les mois précédant leur mouvement de révolte, des Banyamulenge s'étaient rendu au Rwanda pour y suivre une formation militaire. Lorsque les violences éclatèrent, en octobre 1996, des troupes de l'Armée Patriotique Rwandaise (A.P.R) appuyèrent l'offensive des rebelles. Ils prirent part aux batailles décisives et aidèrent l'A.F.D.L. à consolider sa mainmise sur le pouvoir une fois la victoire acquise.

L'A.F.D.L. put aussi compter sur l'aide militaire et diplomatique de certains gouvernements de la région désireux de régler leurs comptes avec Mobutu, celui-ci ayant en effet fourni des bases arrières, du soutien logistique et de l'aide militaire directe à certains groupes dissidents étrangers. L'Ouganda, par exemple, souhaitait contenir les assauts de l'Alliance des Forces Démocratiques (AFD) qui, depuis 1996 et à partir de ses bases de l'est du Congo, avait intensifié ses attaques dans la région du Kasese. Le gouvernement angolais fournit également des soldats à l'A.F.D.L., notamment dans l'espoir de pouvoir ainsi attaquer les bases congolaises de l'UNITA (Union Nationale pour l'Indépendance Totale de l'Angola). Les angolais renvoyèrent également chez eux des congolais installés en Angola depuis trente ans, notamment d'anciens gendarmes katangais et autres séparatistes qui dans les années 1960 avaient fui le Congo et Mobutu. A l'époque, ces katangais s'étaient rendu en Angola après que l'armée de Mobutu, qui avait bénéficié du soutien décisif de certains mercenaires et de l'appui logistique des ses alliés occidentaux, avait réduit à néant leurs espoirs de faire de leur province, riche en minerais divers, une nation indépendante.

Les leaders érythréens et éthiopiens, au pouvoir après des guerres de libération livrées contre des dirigeants despotes, décidèrent qu'il était stratégiquement opportun de soutenir les efforts militaires et diplomatiques de l'A.F.D.L. Le Burundi, la Zambie et le Zimbabwe arrivèrent à la même conclusion. Le soutien le plus significatif, à la fois au niveau politique et militaire, fut fourni par le Rwanda.

La faillite économique et morale du régime Mobutu fit d'un pays extrêmement riche en ressources naturelles une nation en quasi perdition. La chute de Mobutu, cependant, raviva l'espoir de voir le Congo repartir sur la voie de la reconstruction économique et de voir l'ensemble de la région renaître économiquement et politiquement. Les puissances régionales qui aidèrent Kabila à renverser Mobutu étaient également motivées par les perspectives de relance économique qu'un Congo plein d'une nouvelle vigueur ne manquerait pas d'offrir à l'ensemble des sous-régions d'Afrique Centrale et Australe. La guerre au Congo marqua ainsi le début d'un nouveau chapitre dans l'histoire post guerre froide de l'Afrique, caractérisé par l'abandon du principe de non-intervention dans les affaires intérieures d'un pays voisin prêché par l'Organisation de l'Unité Africaine (O.U.A). 

Les combats forcèrent environ 600.000 réfugiés à retourner au Rwanda. Des centaines de milliers d'autres s'enfoncèrent davantage à l'intérieur du Congo, y compris plusieurs dizaines de milliers d'exilés armés utilisant les camps de réfugiés et l'aide humanitaire pour promouvoir leurs ambitions politiques et leurs projets de conquête militaire. L'UNHCR estimait à 213.000 le nombre de réfugiés dont le sort restait inconnu au quatrième trimestre 1997. Des recherches réalisées par Human Rights Watch et d'autres organisations ont montré que de nombreuses violations des droits de l'homme ont été commises à l'encontre de réfugiés en fuite, et ce par l'ensemble des parties au conflit (4)

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Les soldats des anciennes Forces Armées Zaïroises, connus pour leurs abus, se livrèrent à de nombreux pillages et viols de civils alors qu'ils fuyaient l'avancée des troupes de l'A.F.D.L. Ils sont responsables de la destruction d'écoles, d'églises et de cliniques sur l'ensemble du territoire. Des soldats armés, membres de l'armée hutu de l'ancien gouvernement rwandais et des milices tuèrent un nombre encore inconnu de civils pendant leur fuite, dans le but d'empêcher d'autres réfugiés de retourner au Rwanda et de forcer les civils congolais à leur donner de la nourriture et autres objets de valeur. Il semble également que les troupes de l'ancien gouvernement se servirent de réfugiés comme boucliers humains lors de confrontations avec les rebelles, provoquant ainsi la mort de nombreux civils, tués lors de fusillades.

Le rapport publié par Human Rights Watch en octobre, intitulé "What Kabila is Hiding: Civilian Killings and Impunity in Congo," fournit de nombreuses informations montrant que les troupes de l'A.F.D.L. et leurs alliés au sein du gouvernement rwandais ont, de manière systématique et à grande échelle, perpétré des massacres de réfugiés, après les avoir poursuivis alors qu'ils fuyaient ou pendant qu'ils se trouvaient dans des camps temporaires. (5)

Dans de nombreux cas, les populations locales, témoins involontaires de ces meurtres, étaient ensuite forcées par les soldats à nettoyer les sites où avait eu lieu le massacre.

A la mi-1997, la guerre civile avait repris au Nord et au Sud Kivu. Les opposants de l'A.F.D.L., jouant sur des ressentiments ethniques profondément ancrés dans l'esprit des populations, présentèrent le changement de gouvernement comme une occupation par des "forces étrangères", à savoir l'armée à dominante tutsi de l'A.F.D.L. et ses alliés au sein du gouvernement rwandais. Ce qui restait de l'armée de Mobutu se joignit à l'armée hutu rwandaise en exil et aux milices locales afin de s'attaquer à la fois aux soldats de l'A.F.D.L. et aux populations tutsi locales.

Le nouvel ordre

La Charte de l'A.F.D.L.

La Charte de l'A.F.D.L. fut présentée comme la base légale sur laquelle reposaient à la fois l'exercice du pouvoir et le gouvernement provisoire de salut national créé juste après l'accession de l'Alliance au pouvoir (voir ci-dessous). Il est donc important de s'intéresser à la composition de l'A.F.D.L., à ses règles de base et à l'idéologie politique qu'elle propage avec une certaine agressivité. Ces éléments peuvent en effet durablement affecter l'avenir des droits politiques et de l'homme dans le pays.

Quatre partis de l'est du Congo formèrent l'A.F.D.L., le dix-huit octobre 1996, à Lemera (province du Sud Kivu):

  • le Parti de la Révolution Populaire (PRP), fondé par Kabila en 1967, au coeur de la révolte Lumumbiste, qualifié à l'époque de parti d'"orientation marxiste". Le PRP a survécu dans la lointaine région des monts Fizi et Barka, à l'est du pays;
  • l'Alliance Démocratique du Peuple (ADP), dirigée par le secrétaire général de l'A.F.D.L., Deogratias Bugera, de Rutshuru, composé principalement de Tutsi congolais, les Banyamulenge;
  • le Mouvement Révolutionnaire pour la Libération du Zaïre (MRLZ), dirigé par Masusu Nindaga, composé principalement de Bashi, dans la région de Bukavu au Sud Kivu;
  • le Conseil National de Résistance pour la Démocratie (CNRD), dirigé par André Kisase Ngandu (aujourd'hui décédé), composé principalement de Kasaïens de la tribu Luba, du Kasaï oriental.

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La charte signée par les quatre partis définit l'alliance comme une structure d'action politico-militaire, dont l'objectif consiste à démanteler le gouvernement dictatorial en place au Congo et à le remplacer par un gouvernement réellement démocratique, basé sur une légitimité véritable et populaire. En tant que mouvement politique, l'alliance est, selon les termes du préambule de la charte, ouverte à tous les partis politiques, organisations de la société civile et congolais déterminés à mettre en oeuvre les mesures militaires, politiques et autres permettant de réaliser les objectifs des forces démocratiques de changement. (6)

La charte proclame l'adhésion de l'A.F.D.L. à toutes les dispositions relatives aux droits de l'homme inscrites dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et la charte de l'Organisation de l'Unité Africaine (O.U.A.).

L'Article huit définit la base idéologique de l'A.F.D.L., à savoir la conviction que le pouvoir émane du peuple et se fonde sur l'inaliénabilité des droits de l'homme. Dans l'Article 23, l'A.F.D.L. se donne le droit de gérer l'ensemble des possessions, fonds et capitaux de l'état, ainsi que tout ce qui se trouve sur et sous le territoire national, y compris les ressources minérales et naturelles de l'ensemble des territoires libérés.

Directives de politique générale

Les membres de l'Alliance signèrent le seize octobre 1997 un document intitulé "Ligne de Politique Générale de l'Alliance", qui présente aux membres une série de directives relatives à la politique de l'Alliance. (7)

En matière de politique interne, ce document recommandait aux membres d'adopter une attitude positive vis-à-vis des partis politiques de l'opposition et des individus qui avaient lutté pour un changement radical de régime. Les opposants de l'alliance devaient être considérés comme ayant choisi le camp de Mobutu. En ce qui concernait le référendum électoral, l'alliance informait ses membres qu'elle ne se sentait pas obligée de respecter les décisions prises par la Conférence Nationale Souveraine ou le Haut-Conseil de la République -le parlement de transition-, dont les membres avaient, selon l'A.F.D.L., été cooptés par Mobutu. L'A.F.D.L. optait pour des élections libres et démocratiques, à organiser en dehors du système de pouvoir en place à l'époque. Le choix entre un état fédéral ou unitaire devait être fait par le peuple, après la libération. (8)
 

La "Déclaration de Prise de Pouvoir" de l'A.F.D.L.

Après la prise de la capitale Kinshasa, à l'aube du dix-sept mai 1997, l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo rendit public un message solennel intitulé "Déclaration de Prise de Pouvoir", depuis son siège temporaire de Lubumbashi. Etant donné le vide laissé au sommet de l'état par la fuite de Mobutu et la déroute de son armée, le "Grand Conseil de l'A.F.D.L." déclarait qu'il "avait pris le pouvoir sous la direction de son président, Laurent Désiré Kabila." (9)
 

Se référant à la charte de l'A.F.D.L., qualifiée d'autorité statutaire, la déclaration en neuf points prévoyait notamment:

  • la nomination du président de l'A.F.D.L. au poste de chef de l'état;
  • la formation dans les 72 heures d'un gouvernement provisoire de salut national;
  • la convocation avant soixante jours d'une assemblée constituante, chargée de rédiger une constitution provisoire permettant de gérer la période de transition;
  • la suspension de toutes les lois "pseudo-constitutionnelles" existantes, et des institutions qui en dépendent;
  • la reconnaissance des accords bilatéraux et multilatéraux de la république qui servent les intérêts de la nation. (10)
Cette déclaration eut force de constitution jusqu'au 28 mai, date de la proclamation d'un décret-loi constitutionnel. Elle marqua la fin de la Deuxième République de Mobutu et le début d'une ère nouvelle dans l'histoire du Congo. Elle fut accompagnée de plusieurs changements concrêts:
  • abandon de l'appellation "Zaïre" et retour au nom donné à la république à l'indépendance, "République Démocratique du Congo";
  • révocation de la loi constitutionnelle de transition et de la distinction qu'elle établissait entre deux formes de groupements politiques: le "mouvement présidentiel" et l'opposition;
  • dissolution du Haut Conseil de la République - Parlement de Transition (HCR-PT);
  • dissolution du gouvernement de transition établi par Mobutu, de toutes les cours de justice et tribunaux, de la Commission Electorale nationale.

De plus, la reconnaissance des accords internationaux de la république signifiait clairement que le Congo respecterait les lois et traités relatifs aux droits de l'homme et au droit humanitaire auxquels était partie le Zaïre.

Le Décret-loi Constitutionnel N° 97-003

Le 28 mai 1997, la veille de sa prise de fonction en tant que chef d'état, Kabila signait le Décret-loi Constitutionnel N° 97-003, relatif à l'organisation et l'exercice du pouvoir pendant la période précédant l'adoption, par l'assemblée constituante, d'une nouvelle constitution. Le décret-loi entrait en vigueur le même jour. Il se compose de trois chapitres et cite comme texte de référence la "Déclaration de Prise de Pouvoir" de l'A.F.D.L. du dix-sept mai.

Le premier chapitre, intitulé "Dispositions Générales", fixe le calendrier d'application du décret-loi, qui restera en vigueur jusqu'à l'adoption par l'assemblé constituante d'une constitution de transition. L'Article deux stipule: "En République Démocratique du Congo, l'exercice des droits individuels et collectifs est garanti, sous couvert du respect de la loi, de l'ordre public et des bonnes moeurs." (11)

Cet article est le seul à réaffirmer le respect des droits de l'homme mais, contrairement à l'ancienne constitution, il ne fournit aucun détail quant aux droits spécifiques à garantir.

Le chapitre deux définit en tant qu'institutions de l'état le président de la république, le gouvernement, les cours et tribunaux, et présente leurs pouvoirs respectifs dans trois sections séparées. Le décret-loi accorde au président des pouvoirs considérables dans les domaines législatif et exécutif, et l'investit également d'un rôle clé dans le domaine judiciaire.

L'Article cinq assigne au chef de l'état l'autorité législative: "(...) [il] exerce le pouvoir législatif par le biais de décrets-lois discutés par le conseil des ministres. Il est le chef de l'exécutif et des forces armées (...)". L'Article six l'autorise à nommer et destituer ministres, officiers, fonctionnaires et juges, sur recommandation du Conseil Suprême du Judiciaire, malgré les dispositions prévoyant l'indépendance du judiciaire.

Les "Dispositions Finales" du décret-loi stipulent que les lois et règlements préexistants qui ne sont pas en conflit avec les dispositions du décret-loi restent en vigueur, et révoquent les lois et règlements qui le seraient. (12)
 

Discours d'investiture de Kabila

Dans son discours d'investiture, Kabila souligna sa détermination de ne pas être le président d'un régime qui ne serait que la continuation de la deuxième république de Mobutu. L'A.F.D.L., dit-il, ne faisait pas partie de "la soi-disant Conférence Nationale Souveraine" et la République Démocratique du Congo qu'elle venait de faire renaître ne pourrait être gouvernée qu'en vertu d'une constitution rédigée par une assemblée constituante. (13)

Il ajouta que "lancer le processus de démocratisation en organisant des élections législatives, comme l'auraient souhaité nos détracteurs, aurait des conséquences tragiques à plusieurs points de vue. Cela équivaudrait à une prolongation de l'ancien régime, avec tout ce que cela implique." (14)

Une assemblée législative ordinaire aurait, selon le président, été synonyme de chaos politique, avec une multitude de groupes politiques s'opposant les uns aux autres. L'alternative qu'il proposait était donc de lancer le processus de démocratisation en élisant une assemblée constituante. Cette option avait pour avantage, selon lui, de donner aux nouvelles autorités le temps nécessaire pour établir une nouvelle administration et pour "organiser la première consultation électorale non pas dans une ambiance de confrontations et de divisions mais dans le cadre d'un effort concerté... Tout ceci n'est possible que si l'A.F.D.L. joue un rôle de cadre fédérateur et de réceptacle de la cohésion nationale nécessaire à ce stade." (15)
 

Le discours d'investiture du président fut le premier indice tangible de la volonté de l'A.F.D.L. d'organiser un scrutin unipartite, au lieu des élections pluralistes attendues par les groupes politiques congolais et les partisans de la démocratisation du pays. Dès le début de l'ère A.F.D.L., le président fit allusion au chaos que provoqueraient les "300 partis politiques" dans les rues de Kinshasa, si on leur offrait la possibilité de faire campagne dans le cadre d'une législature ordinaire. De même, il qualifia immédiatement la classe politique de monde "décadent" et "intéressé".

Ayant défendu avec passion l'approche de la démocratisation prônée par l'A.F.D.L., le président proposa un calendrier clairement défini visant à l'organisation d'élections législatives et présidentielles avant le 1er avril 1999, après l'adoption d'une constitution provisoire:

  • 30 juin 1997: le président annonce la formation prochaine d'une commission constitutionnelle, chargée de rédiger la nouvelle constitution;
  • juillet 1997: le président nomme le président de la commission;
  • août 1997: formation de la commission;
  • 1er septembre 1997: lancement formel de la commission;
  • 1er mars 1998: la commission soumet au chef de l'état un projet de constitution et son rapport;
  • juin 1998: appel à l'élection des membres de l'assemblée constituante;
  • juin 1998: mise en place de l'assemblée constituante;
  • octobre 1998: soumission au chef de l'état et du gouvernement de la nouvelle constitution de la république;
  • décembre 1998: référendum sur la constitution;
  • avril 1999: premières élections législatives et présidentielles.

  •  
Kabila s'engagea vis-à-vis de la nation et du monde, affirmant que "ces dates seront respectées, et aucune influence étrangère n'y changera quoi que ce soit." (16)

Il conclut en disant que les priorités de son gouvernement seraient la reconstruction de l'appareil d'état, la réhabilitation de l'infrastructure sociale et économique dans son ensemble, particulièrement le secteur des transports, l'augmentation de la production agricole et la construction d'une industrie alimentaire solide, la fin du chômage, la réunification de la devise nationale.

La force des promesses faites par le président et le haut degré de précision du calendrier qu'il proposait poussèrent un journal de Kinshasa, la Référence Plus, à reproduire quotidiennement, sur une demi-colonne en première page, le calendrier proposé ainsi que la promesse finale du président. Aucun autre commentaire n'était ajouté. Cette technique journalistique originale permit au journal de faire passer son message: toutes les dates prévues en juin, juillet, août et septembre passèrent sans qu'aucune des mesures prévues dans le calendrier et devant mener aux élections promises n'ait été mise en oeuvre.

Le 23 octobre, un décret-loi présidentiel établissait la commission constitutionnelle, composée de 42 membres, y compris un comité directeur de sept personnes. Selon les organisations de la société civile et les partis politiques, aucune consultation ne fut organisée afin de garantir la représentativité de la commission. Les militants non-membres de l'A.F.D.L. ne purent participer ni au processus de création ni aux travaux de la commission. L'A.F.D.L. nomma à la commission ses propres leaders, alliés politiques et ministres, y compris le ministre de l'information et le ministre de la justice. Le fait que les pères de ces derniers furent également nommés en surprit plus d'un. Le 24 octobre, dix groupes de défense des droits de l'homme et de promotion du développement publièrent une déclaration invitant le gouvernement à garantir la transparence et la participation des forces sociales et politiques au processus de démocratisation et à l'élaboration des bases législatives de l'autorité de la loi. La manière dont avait été mise en place la commission menaçait, selon eux, l'indépendance et la crédibilité de cette institution.

Quelle transition?

Le mouvement démocratique, au Congo, bénéficie d'un enracinement populaire très profond. Après plusieurs tentatives manquées, il était parvenu en 1990 à convaincre Mobutu de la nécessité d'organiser des "consultations populaires" afin de définir le chemin à suivre pour arriver à la démocratie. (17)

Suite à de nouvelles pressions populaires, notamment l'organisation d'une manifestation à laquelle participèrent un million de personnes, Mobutu cédait finalement en 1992 et autorisait la création de la Conférence Nationale Souveraine (CNS). Ouvert à des représentants de l'ensemble des secteurs de la société, ce forum débattit des difficultés passées et présentes du pays, de l'avenir de la nation, et rédigea les textes qui devaient servir de base au processus de transition démocratique. Les actes et conclusions de la CNS sont toujours considérés par beaucoup comme une base légitime du processus de transition, malgré les nombreux efforts faits par Mobutu afin de les maintenir dans l'ombre, notamment par le biais de mesures agressives visant à bloquer leur publication et diffusion. Ils sont le fruit de la réflexion collective des congolais et ne peuvent être purement et simplement oubliés aujourd'hui, dans le cadre du nouveau processus de démocratisation lancé par l'A.F.D.L.

Les consultations du CNS ont en particulier permis de définir des dispositions constitutionnelles claires et détaillées visant à garantir les droits fondamentaux de la personne humaine inscrits dans l'Acte Constitutionnel de la Transition. Ces dispositions furent annulées avec l'abrogation de l'Acte et remplacées, dans l'article deux du Décret-Loi Constitutionnel 003/97, par une simple référence, très succinte, à la nécessité de protéger ces droits. Le Protocole d'Accord, autre document clé de la transition mobutiste, présentait lui les conditions de base à respecter afin de garantir une transition pacifique vers la démocratie. Etaient citées, entre autres conditions, la réforme des forces armées, la dépolitisation de l'administration estatale et l'ouverture du champ politique, afin de permettre une véritable participation à la vie politique. (18)

La situation actuelle, reflétée dans le présent document, n'a pas véritablement évolué et les mêmes obstacles à une véritable démocratisation sont encore très présents.

En février 1997, alors que l'A.F.D.L. n'était encore qu'un mouvement rebelle de l'est du Congo, on demanda à Raphaël Ghenda, alors "commissaire" de l'information (aujourd'hui ministre de l'information), si l'A.F.D.L. accepterait la constitution adoptée suite aux travaux de la CNS. Il répondit qu'il existait plusieurs projets de textes constitutionnels. Il promit que des groupes spécialisés seraient créés afin d'étudier ces différents textes et de déterminer lequel s'adaptait le mieux à la nouvelle situation. (19)

A la date où nous rédigeons le présent document, rien ne permet d'affirmer que la commission constitutionnelle ait pour mandat de baser son travail sur les résultats acquis par la CNS.
 
 


3.Voir "Zaire: Transition, War and Human Rights," A Human Rights Watch/Africa Short Report, Vol.9, N°.2(A), Avril 1997 (version française disponible). 

4. Pour obtenir davantage de détails, cfr. Ibidem et cfr. les rapports Human Rights Watch suivants: "Attacked by All Sides: Civilians and the War in Eastern Zaire,", mars 1997; "Forced to Flee: Violence Against the Tutsi in Zaire," Juillet 1997.

5. "What Kabila is Hiding: Civilian Killings and Impunity in Congo," A Human Rights Watch Short Report, Vol.9, N°5 (A), octobre 1997.

6. Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo, Statuts, Préambule.

7. Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo, "Ligne de Politique Générale de l'Alliance," octobre 1996.

8. Ibidem

9. "Déclaration de Prise de Pouvoir," Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (A.F.D.L.), Lubumbashi, 17 mai 1997, Agences de presse.

10. Ibidem

11. Décret-Loi Constitutionnel N° 003 du 27 mai relatif à l'Organisation et l'Exercice du Pouvoir en République Démocratique du Congo, Art. 2. 

12. Ibidem, Chapitre III, Articles 13 à 15.

13. "Discours d'Investiture du Président de la République," Le Potentiel, N°. 1032, p. 2, Kinshasa, Vendredi 30 mai 1997.

14. Ibidem

15. Ibidem

16. Ibidem

17. Cfr rapport Human Rights Watch "Zaire: Transition, War and Human Rights."

18. Ibidem

19. Collette Braeckman, "Interview with Raphael Ghenda, General Information Officer of Laurent Kabila," Le Soir, Bruxelles, 25 février 1997.