Africa - West

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VII. LES ÉCHECS DANS LA RÉPONSE DE L'ÉTAT

Assurer un retour sans encombre est l'une des principales obligations que les états ont envers les enfants victimes de la traite. De manières diverses, les pays d'Afrique de l'Ouest ne respectent pas cette obligation221.

« Sauvetage » des enfants victimes de la traite
En aucun cas, Human Rights Watch n'a recueilli d'informations sur le « sauvetage » d'un enfant victime de la traite à l'initiative des autorités togolaises ou de celles d'un autre pays. A en juger plutôt par les entretiens conduits par Human Rights Watch, la première rencontre entre les filles et les autorités a typiquement eu lieu après qu'elles eurent trouvé leur chemin jusqu'à un poste de police, souvent avec l'aide de civils alors que les garçons ne se souvenaient pas avoir reçu d'aide dans leur voyage de retour.

Il a été rapporté, cependant, que la police au Gabon procède périodiquement à des rassemblements d'enfants victimes de la traite et organise leur rapatriement, par le biais de l'ambassade de leur pays d'origine. Cette action a été décrite comme « la seule régulation existant [au Gabon] pour résoudre le problème des enfants victimes de la traite222. »

Les initiatives togolaises officielles pour le rapatriement et la réintégration
Les enfants togolais dont on découvre qu'ils ont été victimes de la traite à destination de l'étranger sont censés être amenés à l'ambassade togolaise, sur place et rapatriés selon un accord entre le Togo et le pays de destination223.

Une fois aux mains des autorités togolaises, les enfants victimes de la traite doivent être réunis avec leurs familles selon un protocole défini par le Ministère togolais des Affaires Sociales. Selon le Juge Emanuel Edorh, magistrat en chef du Tribunal pour enfants du Togo, le ministère des Affaires Sociales aide les enfants à localiser leurs familles et quand nécessaire, obtient une autorisation judiciaire pour placer un enfant victime de la traite dans un centre géré par une ONG224. Les centres pour enfants victimes de la traite gérés par le gouvernement n'existent pas au Togo. Un mécanisme formel pour héberger les enfants victimes d'abus, de négligence ou d'abandon fait également défaut. La principale installation utilisée à cet effet, basée à Lomé, est dirigée par l'ONG Terre des Hommes et est connue sous le nom de Centre Oasis. Avant que le gouvernement ne commence à coopérer avec des ONG comme Terre des Hommes, les autorités avaient pour habitude de placer les enfants victimes de la traite en détention, avec les enfants aux prises avec la loi. Cette pratique a officiellement été interrompue au Togo en 1998225. Cependant, comme décrit plus bas, le Togo ne dispose pas d'installations suffisantes pour que soient accueillis tous les enfants qui veulent rentrer chez eux et qui ont besoin d'une prise en charge institutionnelle.

La personne responsable des enfants victimes de la traite aux Affaires Sociales est le directeur ou la directrice du Département pour la protection et la promotion de la famille et des enfants. Suzanne Aho, qui occupait cette position au moment où Human Rights Watch a réalisé cette recherche, a affirmé à Human Rights Watch qu'elle se chargeait de tâches particulières telles que l'identification des familles des enfants, la délégation d'une garde temporaire des enfants rapatriés à des ONG locales et l'ouverture de comptes bancaires pour les enfants qui reviennent avec de l'argent226. Elle conserve également des données détaillées sur les enfants victimes de la traite et supervise un personnel d'agents au niveau préfectoral et villageois. Avec un financement de U.S.$302 000 en provenance de la Banque Mondiale partagé avec l'ONG CARE-Togo, Aho a développé un système de formation de « Comités locaux de vigilance » pour assurer un suivi des enfants victimes de la traite, une fois qu'ils sont rentrés chez eux et les aider en matière d'éducation et de formation professionnelle. Les comités de vigilance ont également pour objectif de prévenir de nouveaux cas de traite d'enfants par, entre autres choses, l'éducation des parents aux dangers du travail des enfants et la dénonciation à la police de toute activité douteuse.

La journaliste Birgit Schwarz qui a accompagné neuf filles victimes de la traite dans leur voyage de retour chez elles, du Gabon au Togo avec l'aide d'une ONG gabonaise a décrit son expérience du processus togolais de réintégration comme « un panier de crabes, tout le monde se disputant avec tout le monde227. » Schwarz a dit à Human Rights Watch qu'après l'accueil des filles au Centre Oasis, de Terre des Hommes, le Département des Affaires Sociales avait transféré quatre des neuf enfants au poste de police. « Ces enfants redoutaient déjà d'être enfermées par des étrangers après leur expérience dans le delta du Niger, » a dit Schwarz228. Mais lorsqu'en compagnie d'un employé d'une ONG, elle s'est rendue au poste de police pour vérifier comment allaient les enfants, ils auraient été interrogés sans avoir été formellement arrêtés et auraient été harcelés. « On nous a dit qu'on verrait les enfants, » se souvient Schwarz, « mais les policiers nous ont alors raccompagnés à notre hôtel, ont tout fouillé et nous ont interrogés pendant plusieurs heures. Nous avons récupéré notre film parce que l'ambassadeur [d'Allemagne] a contacté directement le président pour qu'il nous soit rendu229. » Plusieurs officiels d'ONG togolaises se sont plaints d'un manque de coordination entre le gouvernement et les acteurs non gouvernementaux dans le processus de réintégration. Ceci a pu conduire dans certains cas à l'interruption des services fournis aux enfants victimes de la traite230.

Le Tribunal pour enfants du Togo qui a compétence sur les enfants victimes d'abus, de négligence ou qui sont orphelins fait face à de nombreux défis quand il s'agit de protéger les enfants victimes de la traite. Le Juge Emanuel Edorh, magistrat en chef du Tribunal pour enfants, a affirmé à Human Rights Watch que les deux obstacles majeurs auxquels se heurte actuellement le tribunal sont le placement non autorisé des enfants dans des institutions et un manque de ressources pour enquêter sur les situations familiales des enfants. « Vous ne pouvez pas juste placer un enfant dans une institution sans l'autorisation d'un juge, » a déclaré Edorh. « Cette règle est faite pour protéger les enfants231. » Edorh a poursuivi en expliquant que le Ministère des Affaires Sociales est supposé amener au tribunal les enfants rapatriés afin qu'une investigation puisse être judiciairement ordonnée mais « ce n'est pas toujours ainsi que les choses se passent en pratique232. » Dans certains cas, par exemple, les officiels du gouvernement invitent les enfants chez eux ou les conduisent dans des ONG, sans autorisation judiciaire. Bien qu'il n'ait pas suggéré que cela soit fait en toute mauvaise foi de la part de ces officiels, Edorh a insisté pour dire qu'il était dans l'intérêt de l'enfant d'être placé dans une institution choisie par le tribunal dans l'attente d'une investigation sur sa situation familiale.

Comme nous l'avons déjà noté, il est à mettre au crédit du Togo que ce pays a adopté une politique interdisant la détention des enfants victimes de la traite. Cependant, cette interdiction a été violée dans le cas des filles togolaises détenues dans une cellule d'un poste de police à leur retour au Togo, comme décrit plus haut. Ceci constitue une violation du droit de l'enfant à ne pas être détenu arbitrairement selon l'article 37(b) de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Celle-ci affirme que la détention d'un enfant « doit être en conformité avec la loi, n'être qu'une mesure de dernier ressort et être d'une durée aussi brève que possible.233» 

Les efforts de réintégration décrits ici constituent des interventions gouvernementales positives qui, si elles sont mises en _uvre correctement peuvent protéger les droits humains des enfants victimes de la traite et leur garantir un retour vers leurs familles en toute sécurité. De tels efforts peuvent aussi empêcher que des enfants ne tombent dans d'autres formes de travail dangereux ou pire, qu'ils ne soient victimes de la traite une seconde fois. Le système en place au Togo, cependant, s'appuie exclusivement sur la coopération avec des ONG locales et est loin de respecter les normes internationales relatives au retour et à la réintégration des enfants victimes de la traite. Ces normes exprimées à la fois dans des conventions internationales et dans des rapports d'experts234, mettent l'accent sur une réintégration humaine de tous les enfants victimes de la traite, incluant des conseils sociaux, médicaux et psychologiques, une action pour supprimer l'opprobre qui pèse sur les enfants victimes de la traite et la promotion de la scolarité et de la formation professionnelle. Le témoignage des enfants victimes de la traite interrogés par Human Rights Watch, en particulier leur vulnérabilité à l'exploitation sexuelle s'ils sont livrés à eux-mêmes, souligne l'importance d'établir un protocole cohérent pour un retour en toute sécurité des enfants victimes de la traite au Togo et d'appliquer un tel protocole universellement.

Services relatifs à l'hébergement et au rapatriement dans les pays de destination
Au Gabon, le gouvernement a seulement récemment initié un programme de protection contre la traite des enfants, établissant en mars 2002, un centre d'accueil pour leur offrir une assistance légale, médicale et psychologique. Le gouvernement gabonais fournit également des services de protection en coopération avec des ONG locales, dont une dirigé par un ancien professeur de lycée originaire du Togo.

Bien que le Nigeria ait élaboré une législation anti-traite et manifesté son engagement à poursuivre en justice les trafiquants (voir ci-dessous), la protection qu'il assure aux enfants victimes de la traite est tout au plus modeste. Une unité de police à Lagos aide au rapatriement des enfants victimes de la traite et fournit un hébergement de courte durée. Cependant, de nombreux enfants victimes de la traite n'arrivent jamais jusqu'à Lagos et des services n'ont pas été mis en place dans les zones rurales où l'on sait que les enfants sont victimes de la traite.

Au Bénin et en Côte d'Ivoire, deux pays de destination pour les enfants togolais, le gouvernement s'appuie sur les ONG et les organisations internationales pour rapatrier les enfants victimes de la traite et leur fournir l'assistance dont ils ont tant besoin. La Côte d'Ivoire est également connue pour le succès de son accord bilatéral avec le Mali grâce auquel des milliers d'enfants étrangers victimes de la traite ont été rapatriés depuis 2000.

Poursuites judiciaires contre les trafiquants
Au Togo, les trafiquants d'enfants ne sont pratiquement pas poursuivis en justice. Dix trafiquants ont été arrêtés ou détenus en 2001, pour être ensuite relâchés dans la plupart des cas pour manque de preuves235. Les poursuites judiciaires sont particulièrement difficiles dans des pays comme le Togo où le pouvoir judiciaire n'est pas complètement indépendant. En janvier 2002, un officier de la section des renseignements criminels d'Interpol a raconté à un service d'informations des Nations Unies que la corruption empêchait souvent les procureurs d'avancer sur les cas de traite d'enfants identifiés par des policiers236. Des poursuites judiciaires très limitées caractérisent également le Gabon, en dépit d'une loi anti-traite élaborée en août 2001237. Au Bénin, également un pays de destination non négligeable pour les enfants togolais, le gouvernement a remporté certains succès en interceptant et en arrêtant des trafiquants mais au moment de cette rédaction, aucun cas n'a été traduit en justice jusqu'à son terme.238 Bien que quelques poursuites judiciaires soient en cours au Bénin, un chef de police béninois a récemment rapporté à un journaliste que sur les quarante-cinq personnes qu'il avait arrêtées et condamnées pour traite d'enfants entre 1997 et 2001, aucune n'était jamais allée en prison239. En Côte d'Ivoire comme au Bénin, l'absence d'une législation spécifique combinée avec un apparent manque de volonté politique rend les poursuites judiciaires contre des trafiquants difficiles si ce n'est impossibles.

En plus d'être un pays qui importe des garçons victimes de la traite, le Nigeria est également un important pays de départ pour les femmes victimes de la traite à destination de l'Europe et du Moyen-Orient. Plusieurs importantes poursuites judiciaires contre des personnes organisant ce commerce ont débuté240.

221 Cette obligation se trouve dans les conventions internationales discutées dans la Section VIII : Protections légales ci-dessous ainsi que dans les lois et pratiques nationales des états pris individuellement.

222 Adihou, « Trafficking of children between Benin and Gabon », p. 13.

223 Le rapatriement ne se produit pas toujours conformément à un accord formel : alors qu'un protocole de lutte contre la traite existe entre le Togo, le Bénin, le Nigeria et le Ghana depuis 1996, aucun accord formel n'existe encore entre le Togo et le Gabon.

224 Entretien conduit par Human Rights Watch avec Emanuel Edorh, Lomé, 13 mai 2002.

225 Ibid.

226 Entretien conduit par Human Rights Watch avec Suzanne Aho, Lomé, 6 mai 2002. Ces comptes sont théoriquement bloqués jusqu'à la majorité des enfants, bien qu'Aho ait reconnu que cette règle était difficile à faire appliquer contre la volonté des enfants et des parents.

227 Entretien conduit par Human Rights Watch avec Birgit Schwarz, New York, 4 juin 2002.

228 Ibid. La référence au Delta du Niger désigne une région côtière du Nigeria où les filles victimes de la traite seraient maintenues dans l'attente d'un transport par bateau vers le Gabon (voir plus haut).

229 Ibid.

230 Une personnalité officielle d'une ONG a raconté un incident au cours duquel son organisation et le Ministère des Affaires Sociales ont conjointement développé un protocole pour réintégrer les garçons victimes de la traite en Côte d'Ivoire. Deux des enfants étaient orphelins. L'ONG a donc mis en place une solution alternative de prise en charge pour eux. « Tout à coup [les Affaires Sociales] ont décidé de les placer, » a raconté la responsable d'ONG à Human Rights Watch. « C'était, `vous allez ici, vous allez là' et c'est tout. » Entretien conduit par Human Rights Watch avec une responsable d'ONG, Lomé, mai 2002.

231 Entretien conduit par Human Rights Watch avec Emanuel Edorh, Lomé, 13 mai 2002.

232 Ibid.

233 Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, art. 37(b).

234 Voir la discussion dans la Section VIII : Protections légales, ci-dessous.

235 Département d'Etat américain, Country Reports on Human Rights Practices for 2001: Togo, à www.state.gov/g/drl/rls/hrrpt/2001/af/8408.htm (consulté le 29 août 2002).

236 IRIN focus on regional efforts against child trafficking, p. 3.

237 Département d'Etat américain, Country Reports on Human Rights Practices for 2001: Gabon, à www.state.gov/g/drl/rls/hrrpt/2001/af/8374.htm (consulté le 29 août 2002) ; Département d'Etat américain, 2002 Trafficking in Persons Report: Gabon, à www.state.gov/g/tip/rls/tiprpt/2002/10679.htm (consulté le 29 août 2002).

238 Communication électronique de Jean-Claude Legrand à Human Rights Watch, 27 janvier 2003.

239 Communication électronique de Birgit Schwarz à Human Rights Watch, 5 juillet 2002.

240 Voir par exemple, « Immigration Service Arrests Three Human Traffickers », This Day, Lagos, 28 mars 2002 ; « Court begins trial of seven human traffickers », The Guardian, Abuja, 3 mai 2002.

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