Africa - West

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IX. LES NORMES DU DROIT INTERNATIONAL

Le génocide a violé les droits des enfants dans des proportions inimaginables. Il a aussi campé le décor pour leur violation systématique et à long terme. Des centaines de milliers d'enfants qui se sont retrouvés privés de leurs parents sont les victimes régulières d'abus et d'exploitation. Des milliers d'autres qui ont gagné les rues des villes subissent les violences des forces de l'ordre. Des milliers d'autres encore, qui ne sont déjà plus des enfants, languissent dans les prisons sans jugement pour les crimes de génocide qu'ils sont accusés d'avoir commis alors qu'ils étaient des mineurs.

Le Rwanda est partie à la Convention relative aux droits de l'enfant et à la Charte Africaine pour les droits et le bien-être des enfants. Il revient au Gouvernement rwandais de protéger les droits de tous ces enfants et jeunes gens. Il ne suffit pas de s'en remettre sur ce point au traditionnel filet de sûreté de la société qui a déjà été étiré au-delà de ses limites. De même, leur sort ne peut être imputé aux inévitables conséquences de la pauvreté. Le Gouvernement rwandais doit placer leur intérêt premier au centre des efforts qu'il engage en faveur de la reconstruction et de la réconciliation et doit profiter de ces efforts pour promouvoir des mesures qui protègeront les droits des enfants à l'avenir.3

La Justice pour mineurs
Les garanties d'une procédure en bonne et due forme, accordées aux enfants en vertu des règles internationales de respect des droits humains, s'appliquent aux enfants accusés de génocide comme de n'importe quel autre crime. La gravité du crime ne justifie en aucun cas la suspension ou la violation des droits fondamentaux des enfants ni des normes légales.4

Les enfants accusés de crime ont le droit de ne pas être détenus de façon illégale ou arbitraire.5 La détention d'un enfant doit constituer une mesure en dernier ressort et pour une durée la plus courte possible.6 L'objectif premier du placement des mineurs dans une institution doit être d'assurer leur "prise en charge, leur protection, leur éducation et leur formation", de façon à leur permettre "d'assumer un rôle constructif et productif au sein de la société."7 Pourtant, des centaines d'enfants qui avaient moins de quatorze ans pendant le génocide, qui étaient donc trop jeunes pour être tenus pénalement responsables, ont été incarcérés durant des années au lieu de bénéficier d'une assistance à la réhabilitation et à la réinsertion dans la société. Des milliers d'autres, âgés de quatorze à dix-huit ans en 1994 ont été gardés en détention préventive pendant des périodes prolongées, souvent sans charge ou sous des accusations non confirmées de génocide. En outre, les enfants des rues ont été arrêtés de façon répétées, arbitrairement et sans procédure.

Les normes internationales reconnaissent par ailleurs que les enfants en délicatesse avec la loi, qui constituent un groupe particulièrement vulnérable, ont droit à des protections particulières au cours de la procédure. Les Etats sont fortement encouragés à mettre en place des Cours spécialisées et des procédures spécifiques aux mineurs.8 Le Rwanda a institué, dans ses textes, des Cours pour mineurs mais les a éludées dans la pratique. Les accusés mineurs n'ont en réalité bénéficié d'aucune protection particulière du système judiciaire, dans la mesure où la seule à laquelle ils aient droit soit la réduction des peines.

Qu'ils aient ou non institué un système séparé de justice pour mineurs, les Etats sont obligés d'accorder aux enfants les garanties de base concernant un procès équitable, y compris le respect de la présomption d'innocence jusqu'à ce que la culpabilité ait été légalement établie; le droit d'être informé rapidement et directement des accusations portées contre eux; le droit de bénéficier d'une assistance juridique ou de toute autre assistance appropriée et de voir leur cause entendue sans retard.9 Aucune de ces dispositions n'a été systématiquement respectée pour les mineurs accusés de génocide ou d'un crime de droit commun.

Les Règles minima des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté et les Règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus détaillent précisément les conditions dans lesquelles les enfants peuvent être emprisonnés.10 Elles définissent les normes de base en matière de santé, de conditions sanitaires et d'alimentation. En outre, elles obligent les Etats à fournir aux enfants en détention instruction et formation. Le droit international impose également que les enfants soient séparés des adultes dans les lieux de détention.11 Les conditions en vigueur dans les prisons et cachots rwandais et dans le Centre de rééducation pour enfants de Gitagata se situent bien en deçà des normes internationales qui ne sont censées requérir que le strict minimum. Parfois, les traitements infligés ont été tellement inhumains qu'ils ont contrevenu à l'interdiction des tortures et autres mauvais traitements.12

Protection contre les abus et l'exploitation
Des centaines de milliers d'enfants au Rwanda vivent sans l'un ou sans leurs deux parents. Les parents ont été tués pendants le génocide et la guerre; les enfants ont été séparés de leurs parents à un si jeune âge que leurs familles n'ont pas pu retrouver leur trace; les parents sont en prison à attendre leur procès pour génocide, ou ils sont morts du SIDA, l'épidémie ayant empiré en raison de la violence sexuelle répandue pendant le génocide et après. Certains enfants vivent avec des membres de leur famille, d'autres dans des familles d'accueil et beaucoup vivent sans adulte du tout. L'article 20 de la Convention relative aux droits de l'enfant stipule qu'ils ont droit à une protection spéciale en tant qu'enfants privés de leur milieu familial.

Les enfants privés de leurs parents, comme tous les enfants, ont droit à être protégés de toute forme d'abus et d'exploitation.13 L'article 19 de la Convention relative aux droits de l'enfant rend les Etats responsables de la protection des enfants contre toute forme de violence, d'abandon ou de négligence, de mauvais traitements, ou d'exploitation pendant qu'ils sont sous la garde de leurs parents, de leurs représentants légaux ou de toute autre personne à qui ils sont confiés.14 Le Gouvernement rwandais n'a pas assuré la protection des droits de ces enfants contre l'exploitation de leur travail, pour préserver leur droit à l'éducation ou à l'héritage.

En vertu de l'article 19 de la Convention, le Rwanda a le devoir de prendre toutes les mesures législatives, administratives et autres pour protéger les droits de l'enfant. Malgré ses déclarations répétées depuis 1995, le Gouvernement rwandais n'a pas adopté de normes légales pour assurer la protection des enfants placés. Les autorités locales, à qui il revient de protéger les enfants vulnérables placés sous leur juridiction, ont manqué des ressources nécessaires et de la volonté politique pour s'acquitter de leurs devoirs.

Les formes de travail domestique relevant de l'exploitation sont interdites par la Convention relative aux droits de l'enfant et par le droit du travail international. Bien qu'il ne soit pas explicitement mentionné, le travail domestique peut tomber dans certains cas sous le coup de la définition des pires formes du travail des enfants.15 Les enfants, au Rwanda et ailleurs, sont souvent requis pour travailler dur dans les maisons du matin jusque tard dans la nuit, ou peuvent être appelés à n'importe quelle heure du jour et de la nuit. Alors qu'ils effectuent des tâches qui ne sont pas habituellement dangereuses, les longues heures de labeur exacerbent l'impact négatif qu'elles ont sur la santé des enfants. Les filles sont exposées au risque d'abus physiques et sexuels de la part de leurs employeurs. Les petits domestiques sont rarement dédommagés au juste prix de leur peine. En outre, travailler comme domestique peut entraver leur développement à long terme. Les attitudes serviles que réclament souvent les employeurs ou, comme c'est souvent le cas au Rwanda, les familles d'accueil, entraînent une perte d'estime de soi - en particulier quand d'autres enfants du foyer sont traités différemment et sont, par exemple, autorisés à manger davantage ou à aller à l'école. De plus, les enfants domestiques sont invisibles: on en trouve dans les maisons partout dans le pays mais il est difficile de les identifier et de les surveiller, par conséquent plus difficile encore de les protéger.

Tous les enfants ont droit à une éducation, notamment à l'enseignement primaire gratuit, sans distinction.16 Ce droit est progressif, c'est-à-dire que les gouvernements doivent le faire respecter en fonction des moyens dont ils disposent; mais la pauvreté n'est pas la seule raison pour laquelle on leur refuse le droit à l'éducation. Le Gouvernement du Rwanda n'a pas pris suffisamment de mesures pour s'assurer que les enfants qui ne vivent pas avec leurs deux parents ont accès à l'école. Une loi nationale rend théoriquement l'enseignement scolaire obligatoire et gratuit.17 Mais les coûts de l'enseignement primaire peuvent s'avérer prohibitifs pour de nombreux enfants rwandais, en particulier pour les orphelins.

Le droit international impose aux Etats de prendre des mesures supplémentaires pour protéger les enfants des abus sexuels et de l'exploitation.18 Ceci implique qu'ils sont responsables des filles vivant dans des familles d'accueil, de celles qui sont chefs de famille et se prostituent pour payer leurs frais scolaires ou leurs biens de base et ces filles des rues qui sont exposées à la violence sexuelle.

3 Graça Machel, Impact of Armed Conflict on Children, Document de l'AG de l'ONU A/51/306, 26 août 1996, Section IV, "Reconstruction and Réconciliation." L'Article 39 de la Convention relative aux droits de l'enfant stipule que les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour faciliter la réadaptation et la réinsertion des enfants victimes de conflit armé.

4 Voir par exemple Graça Machel, Impact of Armed Conflict on Children, para. 251.

5 Convention relative aux droits de l'enfant, Art. 37(b); Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Art. 9.

6 Convention relative aux droits de l'enfant, Art. 37(b). Voir également les Règles minima des Nations Unies concernant l'administration de la justice pour mineurs ("Les Règles de Beijing"), AG de l'ONU, Résolution 40/33, annexe 40; 44 U.N. G.A.O.R. Supp. no. 53, Document de l'ONU A/40/53, Art. 19.1. (1985).

7 Règles de Beijing, Art. 26.1.

8 Convention relative aux droits de l'enfant, Art. 40(3); Règles de Beijing, Art. 1.4.

9 Convention relative aux droits de l'enfant, Art. 40(2)(b); Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Art. 14(5).

10 Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté, Résolution de l'AG. 45/113, annexe, 45 U.N. GAOR Supp. (no. 49A) à 205, Document de l'ONU A/45/49 (1990); Règles minima pour le traitement des détenus, Résolution de l'ECOSOC (ONU) 663C (XXIV), Document de l'ONU E/3048 (1957), amendé par la Résolution 2076 de l'ECOSOC, Document de l'ONU E/5988 (1977). Ces règles, même non contraignantes, ont été reconnues par la communauté internationale lors de l'adoption des résolutions de l'Assemblée générale. Elles constituent d'autorité une déclaration de la communauté internationale s'accordant sur des règles minima acceptables.

11 Convention relative aux droits de l'enfant, Art. 37(c); Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Art. 10 (2)(b); Premier Protocole additionnel aux Conventions de Genève de 1949, Art. 77; Deuxième Protocole additionnel aux Conventions de Genève de 1949, Art. 6; Quatrième Convention de Genève de 1949, Art. 68.

12 Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, AG de l'ONU, Résolution 39/46, 1984. Le Rwanda a signé mais pas ratifié la Convention. Toutefois, l'interdiction de la torture telle que spécifiée dans la Convention est généralement considérée comme une obligation au regard du droit international. La torture est également prohibée par la Convention relative aux droits de l'enfant, Art. 37(a) et par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Art. 10(a), que le Rwanda a ratifiés.

13 Convention relative aux droits de l'enfant, Arts. 19, 32 et 34. Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, Art. 10(3).

14 Voir également les Articles 32, 34 et 36.

15 Convention relative aux droits de l'enfant, Art. 23; Convention 182 de l'Organisation Internationale de Travail (OIT) sur les pires formes de travail des enfants, 1999 (ratifiée par le Rwanda le 23 mai 2000.) L'Article 3(d) entend par pires formes de travail des enfants tous « les travaux qui, par leur nature ou les conditions dans lesquelles ils s'exercent, sont susceptibles de nuire à la santé, à la sécurité ou au bien-être de l'enfant. » Pour de plus amples commentaires de l'OIT sur cette définition, voir la Recommandation No 190 de l'OIT: Recommandation concernant l'interdiction des pires formes du travail des enfants et l'action immédiate en vue de leur élimination.

16 Convention relative aux droits de l'enfant, Art. 28; Charte Africaine, Art. 11; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, Art. 13.

17 Loi relative aux droits et à la protection des enfants contre la violence, Art. 10 (version anglaise: Draft of Law Relating to Rights and Protection of the Child against Violence).

18 Convention relative aux droits de l'enfant, Art. 19 et 34; Charte Africaine, Art.27. Les dispositions anti-discriminatives demandent également aux Etats de protéger les filles des formes sexo-spécifiques d'exploitation et d'abus. Convention relative aux droits de l'enfant, Art. 2; Charte Africaine, Art. 3; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Art.2; Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes.

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