Africa - West

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VIII. LE RÔLE DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

« Pourquoi y a-t-il encore des enfants en prison, pourquoi continue-t-on de rafler les enfants des rues, pourquoi n'y a-t-il pas de Tribunaux pour mineurs, ni de cadre légal propre pour la garde des orphelins ? », s'interrogeait début 2002 un représentant d'une agence donatrice devant Human Rights Watch.245 Depuis 1994, les donateurs internationaux ont fourni près de 4 milliards de dollars d'aide au Rwanda.246 Bien que de nombreux diplomates et agents humanitaires étrangers sachent parfaitement que de vastes violations des droits des enfants continuent de se produire, la communauté internationale est dans son ensemble restée muette sur ce point. Quand les donateurs ont fait pression sur le gouvernement pour qu'il agisse sur certaines des violations exposées dans ce rapport, ils ne l'ont fait qu'occasionnellement et n'ont pas surveillé les suites de leurs interventions.

L'UNICEF, principal donateur multilatéral pour les questions relatives aux enfants, estime qu'il est intervenu auprès de plus de 30.000 orphelins et enfants vulnérables ces dernières années et tentent d'en atteindre beaucoup d'autres qui ont besoin de protection.247 Au Rwanda, le Fonds des Nations Unies pour l'enfance a pu compter approximativement sur un budget annuel de 10 millions de dollars ces trois dernières années, en partie pris sur son budget général et en partie financés par des dons séparés des Etats Membres.248 L'UNICEF a prévu de dépenser environ 25 millions de dollars au Rwanda pour la période 2002-2006, dont 5 millions pour la gouvernance et la justice, 5 millions pour la lutte contre le SIDA et les programmes de santé reproductive et 15 millions pour la réduction de la pauvreté, la question des droits humains étant traitée à l'intérieur de chacune de ces catégories.249

L'UNICEF bénéficie de la plus vaste expertise et, en tant que premier contributeur financier dans ce domaine, travaille étroitement avec le gouvernement sur les droits de l'enfant. Cependant, d'autres donateurs bi- et multilatéraux ont contribué à de plus grands chantiers du gouvernement comme la décentralisation ou la réforme du système judiciaire qui bénéficient également, bien qu'indirectement, aux enfants et ont donc aussi le pouvoir d'influencer le comportement du Gouvernement rwandais. La Banque Mondiale a financé un programme américain de 5,2 millions de dollars, le Projet de réinsertion communautaire et de développement pour soutenir la « Protection sociale.» A l'heure actuelle, la Banque Mondiale ne finance pas le secteur éducatif au Rwanda, bien qu'elle l'ait fait avant le génocide.250 Le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l'Homme, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et le Programme de développement des Nations Unies ont également assuré le financement et l'assistance technique du gouvernement. L'Union Européenne (UE) a financé des ONG locales s'occupant d'enfants des rues à Kigali.

Le Département britannique pour le développement international (British Department for International Development, DFID) est le principal donateur bilatéral au Rwanda, avec plus de 40 millions de dollars par an en soutien au budget général depuis 2000, soit plus du double par rapport à l'année précédente et nettement plus que le deuxième principal donateur. Le DFID a suggéré que 35 % de cette somme aille à l'éducation mais garantit au Gouvernement rwandais la libre utilisation de ces fonds.251 L'Agence des Etats-Unis pour le développement international  (USAID), deuxième principal donateur, fournit environ 25 millions de dollars par an dont l'essentiel est affecté aux programmes de lutte contre le VIH/SIDA.252 En mai 2002, l'USAID a annoncé une augmentation de 2,8 millions de dollars sur deux ans, deux millions devant être alloués à l'éducation de 6.000 rescapés.253 Les autres donateurs importants sont l'Allemagne, les Pays-bas et la Belgique.

Il est clair que même des montants élevés d'aide étrangère ne sauraient éliminer la pauvreté au Rwanda en une nuit. Et avec des besoins apparemment infinis, chaque décision de financer un programme suppose en pratique d'en laisser tomber un autre. Certains travailleurs humanitaires ont expliqué qu'ils devaient d'abord s'assurer que les besoins de base des enfants étaient couverts avant de se soucier de leur accès à l'éducation ou à leurs droits d'héritage. De la même façon, des experts internationaux qui ont travaillé sur le système judiciaire rwandais pendant des années ont fait valoir qu'ils devaient d'abord s'occuper des faiblesses de l'ensemble du système avant de se consacrer à la justice pour mineurs.

Mais ces arguments étaient plus convaincants dans les années qui ont immédiatement suivi le génocide. Dès 1995, comme on l'a vu plus haut, la communauté internationale a appelé le gouvernement à faire des enfants accusés de génocide sa priorité et a apporté des ressources en conséquence. En 1996, Gerald Gahima, qui était alors chef du personnel au Ministère de la justice, a déclaré à Human Rights Watch que l'argent n'était pas le problème dans le cas des mineurs accusés de génocide. « En ce qui concerne les enfants, il y a tout l'argent qu'il faut. Les gens sont heureux de donner pour les enfants, » expliquait-il.254 Pourtant, le gouvernement n'a pas réalisé grand chose dans ce domaine avant la fin 2000 et il lui reste encore à traduire en justice environ 4.000 mineurs accusés de génocide.

En 1996, un représentant de l'UNICEF avait indiqué à Human Rights Watch que l'objectif de son agence était de travailler avec le gouvernement, pas de dénoncer les violations des droits humains.255 Les donateurs s'en sont dans l'ensemble tenu à la même attitude envers le Rwanda. Mais cette approche, purement fondée sur la collaboration et souvent utile, doit se doubler de critiques ouvertes quand il n'y a pas de progrès ou quand les violations des droits sont sérieuses et continuelles.

Comme indiqué plus haut, la communauté internationale a continué de rendre hommage aux progrès du gouvernement en matière de justice pour mineurs bien qu'il n'ait pas rempli ses engagements. Par exemple, des diplomates étrangers et le Représentant spécial du Haut Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme ont félicité le gouvernement parce qu'il avait finalement libéré 400 enfants qui étaient trop jeunes au moment du génocide pour être tenus pénalement responsables, mais ont oublié de l'appeler à libérer les centaines d'autres qui restaient en prison. De la même façon, les donateurs ont salué la création de groupes mobiles pour traiter des dossiers des mineurs en août 2000, mais n'ont pas réagi quand le gouvernement les a suspendus un mois plus tard, paraît-il en raison du manque d'argent, sans qu'un seul dossier ait été transmis aux tribunaux. Et quand finalement des progrès ont été réalisés sur ces deux points, la communauté internationale avait consacré pratiquement toute son attention aux gacaca, ce qui signifie que les procès des mineurs accusés de génocide ne sont de nouveau plus considérés comme une priorité.

Lors des regroupements forcés des enfants des rues, l'UNICEF n'a pas dénoncé la politique du gouvernement ni l'action vigoureuse qui était menée parce que le Ministère du gouvernement local avait clairement prévenu qu'il ne voulait entendre aucune critique et qu'il créerait des problèmes à quiconque tenterait d'entraver son action.0 Les autres donateurs bi- et multilatéraux ont eux-aussi gardé le silence, même si leurs représentants à Kigali ne pouvaient ignorer que les enfants des rues qui leur demandaient l'aumône habituellement avaient disparu de leur vue. Réagissant aux informations selon lesquelles les enfants avaient été raflés et illégalement détenus au poste de police de Muhima en juin 2001, une représentante de l'UE a demandé au gouvernement de fournir des détails sur le sort des enfants. Les responsables gouvernementaux l'ont assurée que l'on prenait soin d'eux et l'ont emmenée en visiter quelques-uns uns qui venaient d'être transférés du poste de police à un centre de réhabilitation où on leur avait donné de nouveaux vêtements. Convaincue que le gouvernement visait à protéger les enfants, l'UE a choisi de ne pas critiquer la police ni les autorités municipales de Kigali pour les regroupements forcés, les coups et la détention illégale d'enfants qui continuaient de se produire.1 L'UNICEF et les ONG internationales déplorent maintenant d'avoir eu du mal à financer les programmes de protection des enfants des rues, qui visaient notamment à prévenir de futures rafles.2

245 Entretien conduit par Human Rights Watch, Kigali,18 mars 2002.

246 Ministère des finances et de la plannification économique, Département des statistiques, Rwanda: Development Indicators 2001, no. 4, juillet 2001.

247 "Rwanda: Interview avec le représentant de l'UNICEF Théophane Nikyema," IRIN, 10 juin 2002.

248 Réseau régional intégré d'information des Nations Unies (IRIN), 29 novembre 2001.

249 Nations Unies, Rwanda: United Nations Development Assistance Framework, Kigali, octobre 2001 (version abrégée), p. 24.

250 Voir http://www.worldbank.org (site vérifié le 27 mars 2002).

251 DFID, Departmental Report 2001: The Government's Expenditure Plans 2001/2002 to 2003/2004 and Main Estimates 2001/2002, p. 159; DFID, Rwanda: Country Strategy Paper or 1999; entretiens conduits par Human Rights Watch, Kigali, 18 mars 2002.

252 United States Agency for International Development (USAID), "Rwanda Mission Program Data Sheet," 2002.

253 "USAID grants US $2 million for genocide orphans, flood victims," IRIN, 29 mai 2002.

254 Entretien conduit par Human Rights Watch, Kigali, 27 février 1996.

255 Entretien conduit par Human Rights Watch avec Ray Torres, responsable de projet, UNICEF, Kigali, 21 mars 1996.

0 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Kigali, 7 novembre 2000, 28 juin 2001et 15 août 2001.

1 Entretiens téléphoniques avec Human Rights Watch, Kigali, 26 et 28 juin 2001.

2 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Kigali, 18 mars 2002.

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