Africa - West

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III. RAPPELS

En avril 1994, un groupe d'extrémistes Hutu a pris le contrôle du gouvernement du Rwanda et a déclenché le génocide de la minorité Tutsi qui représentait alors environ dix pour-cent de la population rwandaise. En l'espace de trois mois, ils avaient massacré au moins un demi-million d'hommes, de femmes et d'enfants, Tutsis et Hutus modérés, avec une cruauté inouïe pour certains d'entre eux.1

Le Président Juvénal Habyarimana et un petit cercle de proches gouvernaient le pays depuis 1973, date à laquelle Habyarimana était arrivé au pouvoir par un coup d'Etat. Lui-même Hutu, il a été au départ très populaire au sein de la majorité Hutu du pays, qui constituait environ 90 % de la population rwandaise. Mais vers la fin des années 80, la popularité du groupe au pouvoir a commencé à baisser, en partie du fait de sa corruption et de la répression croissante, en partie aussi en raison du déclin de l'économie nationale. Sous les pressions conjuguées de l'opposition intérieure et des donateurs internationaux, Habyarimana a vu poindre la fin de son monopole exclusif du pouvoir et de son contrôle sur son parti, le Mouvement National Républicain Démocratique (MRND). Au même moment, son régime a commencé d'être la cible des attaques du Front Patriotique Rwandais (FPR), basé en Ouganda voisin et constitué pour l'essentiel de réfugiés Tutsis. Les Tutsis avaient dirigé le Rwanda avant et pendant l'époque coloniale, puis avaient été écartés du pouvoir à la faveur d'une révolution en 1959 qui avait causé la mort de plus de 20.000 Tutsis et en avait poussé des centaines de milliers vers l'exil. Face au refus persistant du Rwanda de les autoriser à rentrer, ces réfugiés se sont organisés en véritable armée pour franchir la frontière. En 1990, le Gouvernement rwandais avait entamé des pourparlers qui semblaient devoir résoudre le problème des réfugiés, mais le FPR a quand même lancé son offensive le 1er octobre de la même année.

Habyarimana et ses partisans ont tenté de mettre à profit l'attaque du FPR pour consolider un pouvoir qui leur échappait en ralliant la majorité Hutu contre les Tutsis. Ils ont ainsi lancé une campagne visant à présenter tous les Tutsis et leurs soutiens Hutus comme des ibyitso, des « complices » du FPR. Le Gouvernement a arrêté quelque 8.000 Tutsis et Hutus de l'opposition immédiatement après l'invasion du FPR et des milliers d'autres dans les semaines qui suivirent. Mi-octobre, les autorités locales ont commencé à ordonner le massacre de Tutsis, les premiers d'une série de tueries qui allaient paver la voie et culminer avec le génocide de 1994.

La guerre s'est poursuivie pendant près de trois ans, interrompue à l'occasion par des cessez-le-feu et des négociations. En 1991, sous l'effet des pressions internationales en faveur de la démocratisation, le régime a autorisé la création de partis politiques d'opposition dont plusieurs étaient alliés au FPR et ont ensuite contribué à saper le pouvoir de Habyarimana et de son entourage immédiat. En 1993, les extrémistes déterminés à conserver le pouvoir avaient mis en place tous les éléments requis pour un génocide : une machine de propagande essentiellement relayée par la presse écrite et la radio nationale puis, ultérieurement, par une soi-disant radio privée, la Radio Télévision Libre des Mille Collines (RTLM); des groupes de miliciens organisés - dont les plus fameux étaient les Interahamwe - en partie recrutés parmi les jeunes gens sans emploi et entraînés à tuer ; des réserves d'armes et de munitions distribuées clandestinement ; et un réseau de fonctionnaires, militaires et responsables politiquées dévoués, prêts à lancer l'attaque sur la minorité Tutsie.

La communauté internationale a fermé les yeux sur les massacres plus circonscrits de 1990 et de 1993 et sur les préparatifs du génocide. Elle a préféré consacrer ses efforts à en finir avec la guerre entre le Gouvernement rwandais et le FPR, ce qui semblait chose faite en août 1993 avec la signature des Accords d'Arusha. Comme stipulé dans ces Accords, les Nations Unies ont fourni une force de maintien de la paix, la Mission des Nations Unies d'Assistance au Rwanda (MINUAR) afin de faciliter la transition vers un gouvernement élu et de superviser l'intégration des combattants du FPR aux Forces armées rwandaises (FAR). Mais l'ONU voulait réussir à moindre coût et n'a conféré à cette force ni le mandat ni les effectifs requis pour assurer une transition calme et rapide.

Habyarimana avait signé les Accords sous la contrainte et était bien déterminé à en empêcher la mise en _uvre. Il a donc dressé un obstacle après l'autre à l'installation du gouvernement de transition, jouant habilement la carte des divisions au sein de l'opposition censée composer le nouveau gouvernement avec les gens de Habyarimana et le FPR. Le FPR pour sa part a contré toutes les tentatives de modifier l'accord et le processus a ainsi traîné d'août 1993 en avril 1994. Pendant ce temps, les deux parties se préparaient chacune à la reprise des hostilités. Les extrémistes de l'entourage de Habyarimana ont parachevé leurs préparatifs du génocide, conçu semble-t-il à la fois comme une arme pour gagner la guerre contre le FPR et pour reprendre le contrôle de la scène politique rwandaise.

Le 6 avril 1994, l'avion du Président Habyarimana était abattu alors qu'il rentrait d'une conférence de paix en Tanzanie. Les proches du chef de l'Etat, dont ceux qui oeuvraient à la RTLM, accusaient aussitôt le FPR de cet attentat mais sans offrir de preuves concluantes à l'appui de cette thèse. L'identité des responsables de cette attaque contre l'avion n'est toujours pas déterminée. La mort de Habyarimana allait toutefois servir de prétexte pour déclencher des tueries massives, planifiées depuis des mois, contre les Tutsis et les Hutus d'opposition.

Peu après le début des massacres, les soldats de l'armée rwandaise tuèrent dix Casques bleus belges, semble-t-il en réaction aux informations selon lesquelles les Belges avaient participé à l'opération contre l'avion de Habyarimana. Les extrémistes ont répandu des informations sur la complicité supposée des Belges pour déclencher l'attaque contre leurs soldats, les mieux entraînés et les mieux équipés de la MINUAR. Cinq jours plus tard, la Belgique retirait son contingent, comme les extrémistes avaient espéré qu'elle le ferait, et commença de faire pression sur les membres du Conseil de sécurité pour qu'ils décident du retrait de la force de maintien de la paix. Le 21 avril, le Conseil de sécurité décida donc le retrait des Casques bleus de la MINUAR, à l'exception de quelques centaines d'hommes qui protégeaient alors 20.000 personnes en danger, pour la plupart Tutsies.

Quelques jours après le déclenchement des tueries, les organisateurs du génocide étaient assez confiants que la communauté internationale n'interviendrait pas. Ils ont étendu et intensifié les massacres après le départ des forces de la MINUAR. Suivant les consignes des responsables nationaux, politiques, administratifs et militaires, les autorités locales ont dirigé les opérations visant à éliminer les Tutsis et les Hutus modérés. En beaucoup de communautés, les soldats et les gendarmes (rattachés officiellement à l'armée) ont déclenché et dirigé les massacres. Les responsables des partis politiques ont donné ordre à leurs milices de s'y joindre, les dispersant à travers le pays pour déclencher et intensifier les tueries. Les citoyens ordinaires se sont également mis à attaquer les Tutsis et les Hutus modérés, suivant ainsi les ordres de leurs leaders ou des chefs de milices. Nombre de ces civils ont été poussés par la peur, à la fois celle des Tutsis, tant on leur avait assuré qu'ils viendraient pour les tuer, et par peur aussi des autorités et des milices qui menaçaient de représailles quiconque ne se joignait pas au carnage.

Une fois le génocide lancé, le FPR a repris son offensive militaire contre le gouvernement, déclenchant à la fin avril de vastes mouvements de réfugiés, essentiellement hutus, en direction de la Tanzanie. Craignant que ces vagues de réfugiés ne déstabilisent toute la région, et horrifiées par les massacres qui continuaient, les Nations Unies décidèrent le 17 mai la création d'une nouvelle force de maintien de la paix au Rwanda, aux effectifs renforcés, la MINUAR II. En raison des lenteurs administratives de l'ONU et du manque de volonté politique de la plupart de ses états membres, la nouvelle force ne fut pas en mesure d'arriver avant le mois d'août. A ce moment-là, le FPR avait chassé le gouvernement génocidaire et mis en place un nouveau régime.

En juillet 1994, le gouvernement défait et l'armée ont encadré l'exode massif de quelque deux millions de Hutus vers les pays voisins. Lors de cette crise d'une ampleur sans précédent, quelque 50.000 réfugiés, Hutus pour la plupart, ont trouvé la mort en quelques semaines au Zaïre voisin, de maladie, de faim ou faute d'eau potable. Des centaines de milliers d'autres, se jugeant en danger du fait de l'avancée des troupes du FPR, ont rejoint des camps de déplacés dans la zone du sud-ouest du Rwanda sous protection des troupes françaises puis, plus tard, de la MINUAR.

En quelques mois, les soldats vaincus de l'armée rwandaise (désormais appelés les ex-FAR), les miliciens, les fonctionnaires et les responsables politiques qui avaient dirigé le génocide ont commencé à se réorganiser au Zaïre. Se servant des camps de réfugiés zaïrois comme bases militaires - en violation du droit international - ils ont lancé leurs premières incursions contre le Rwanda.2 En l'absence de toute action internationale efficace pour mettre fin à ces attaques, le Gouvernement rwandais s'est allié aux forces d'Alliance des Forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL), mouvement hostile au président du Zaïre Mobutu Sese Seko créé pour l'occasion. Avec le soutien du Rwanda et de l'Ouganda, l'AFDL a renversé Mobutu, installé un nouveau gouvernement et rebaptisé le Zaïre en République démocratique du Congo (RDC, ici évoquée comme le Congo). Au cours de cette guerre, les forces armées du nouveau Gouvernement rwandais, l'Armée patriotique rwandaise (APR), 3 ont détruit les camps de réfugiés de l'Est du Congo, tué des dizaines de milliers de civils sur place ou plus tard, les pourchassant dans la forêt. Au même moment, des dizaines de milliers de réfugiés furent rapatriés au Rwanda, certains contre leur gré. Des milliers d'autres rentrèrent au pays par la suite ; mais en 1999, quelque 173.000 personnes, selon les estimations, manquaient toujours par rapport aux effectifs initiaux des camps.4

Au cours des années 1997 et 1998, les ex-FAR et les anciens miliciens ainsi que de nouvelles recrues qui n'avaient pas participé au génocide lancèrent des attaques en territoire rwandais, surtout dans le Nord-Ouest du pays. L'APR y répondit sans pitié. Dans ces opérations, les deux camps s'en prenaient aux civils, provoquant de nombreuses victimes. Cherchant à couper les assaillants de tout soutien de la population, les autorités rwandaises ont obligé de nombreux habitants à rejoindre des camps surveillés par le gouvernement. Près de la moitié de la population du Nord-Ouest se trouvait ainsi déplacée à la fin 1998, dans des camps ou dans les forêts du Rwanda ou du Congo.

A la fin 1998, l'APR avait largement réussi à repousser au Congo les rebelles rwandais qui, soutenus par le Gouvernement de Kinshasa, ont continué de combattre le Rwanda et son nouvel allié local, le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) aux prises avec le gouvernement congolais.5 Dans ce conflit, les officiers de l'armée rwandaise, les hommes politiques et les hommes d'affaires ont profité des hostilités pour exploiter les innombrables richesses naturelles du Congo, dont l'or, les diamants, le bois et le coltan, un minerai utilisé notamment dans la fabrication des téléphones cellulaires.6: En 2002, le Rwanda a retiré la plupart de ses forces stationnées au Congo mais la situation demeurait tendue.

1 Pour un rapport détaillé sur le génocide, voir Human Rights Watch, Leave None to Tell the Story: Genocide in Rwanda (New York: Human Rights Watch, 1999). Selon un récent décompte effectué par le Gouvernement rwandais, le génocide a fait plus d'un million de morts. "Government Puts Genocide Victims at 1.07 Million," Réseau d'information régional intégré des Nations Unies (IRIN), 19 décembre 2001. Pour une analyse des questions statistiques, voir Leave None to Tell the Story , pp.15-16.

Le terme "enfant" s'applique dans ce rapport à toute personne âgée de moins de dix-huit ans. L'Article 1 de la Convention relative aux droits de l'enfant définit comme enfant "toute personne humaine en dessous de dix-huit ans, à moins qu'en vertu de la loi, la majorité soit plus précoce." La Charte Africaine pour les droits et le bien-être des enfants définit l'enfant comme un être humain de moins de dix-huit ans (Art. 2).

2 Human Rights Watch, Projet sur les armes, "Rwanda / Zaïre: Rearming with Impunity: International Support for the Perpetrators of the Rwandan Genocide," Rapport de Human Rights Watch, vol. 7 no. 4, Mai 1995, p. 3; HCR Inspection and Evaluation Service, Refugee Camp Security in the Great Lakes Region, Avril 1997.

3 En 2002, le Rwanda a changé le nom de son armée en Force de Défense du Rwanda.

4 HCR, notes de briefing, Rwanda: Rapatriements depuis la RDC, 4 mai 1999. Voir également Human Rights Watch, "Democratic Republic of Congo, What Kabila is Hiding: Civilian Killings and Impunity in Eastern Congo,"; Rapport (en anglais) de Human Rights Watch, vol. 9 no. 5(A), Octobre 1997. En 2001, plus d'un millier de réfugiés sont rentrés pratiquement chaque mois au Rwanda depuis le Congo. La plupart d'entre eux avaient fui le Rwanda en 1994, mais d'autres avaient les avaient rejoints plus récemment, en 1997-1998 ou lors de période d'insécurité qui ont suivi.

5 Laurent Désiré Kabila a été assassiné en janvier 2001 et son fils, Joseph Kabila, lui a succédé à la présidence de la RDC. L'APR continue de lutter contre le nouveau gouvernement de Kabila.

6 Voir le Rapport du Comité d'experts sur l'exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesses de la République démocratique du Congo, transmis par le Secrétaire général au Conseil de sécurité dans une lettre datée du 12 avril 2001, Document ONU publié sous la cote S/2001/357; Additif au Rapport du Comité d'experts sur l'exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesses de la République démocratique du Congo, transmis par le Secrétaire général au Conseil de sécurité dans une lettre datée du 13 novembre 2001, Document ONU S/2001/1072.

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