Le Président Alpha Condé, élu dans le cadre d’un scrutin organisé en grande partie dans des conditions libres et démocratiques en décembre 2010, a opéré des progrès limités en ce qui concerne la résolution des graves problèmes de gouvernance et de droits humains dont il a hérité. Cette élection a mis fin à la période de profonde instabilité politique qui avait commencé en décembre 2008, lorsque le Capitaine Moussa Dadis Camara s’était emparé du pouvoir lors d’un coup d’État perpétré à la suite du décès de Lansana Conté, président qui avait gouverné le pays de manière autoritaire pendant 24 ans.
Les progrès réalisés sur la voie d’une transition totale vers un régime démocratique et un plus grand respect de l’État de droit ont été minés par des retards dans l’organisation des élections législatives, des tensions ethniques croissantes, le recours fréquent du président aux décrets présidentiels, ainsi que par des avancées insuffisantes au niveau du renforcement d’un appareil judiciaire constamment négligé.
L’indiscipline persistante des membres des services de sécurité, ainsi que la tentative d’assassinat du Président Condé en juillet, laquelle aurait été perpétrée par des militaires mécontents, ont mis en lumière la fragilité des récents acquis démocratiques. Néanmoins, certains efforts ont été déployés pour professionnaliser et réduire les effectifs du secteur de sécurité fort de 45 000 hommes, au sein duquel prévaut depuis longtemps la culture de l’indiscipline et de l’impunité.
Des progrès insuffisants ont été réalisés en ce qui concerne la lutte contre l’impunité pour les atrocités passées, en particulier les massacres de manifestants non armés commis en 2007 et 2009 par les forces de sécurité. Les démarches préliminaires entreprises en vue de mettre sur pied une commission de réconciliation et un organe indépendant des droits humains ont constitué des mesures positives ; cependant, le manque de concertation avec la société civile à propos de la composition et du mandat de ces institutions a menacé de saper leur efficacité. Le Président Condé a adopté quelques mesures concrètes visant à améliorer l’état de l’appareil judiciaire et à combattre la corruption endémique.
Les acteurs internationaux—notamment la France, les États-Unis, l’Union européenne, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union africaine—ont exercé des pressions sur le Président Condé afin qu’il organise des élections législatives, mais ils n’ont pratiquement pas évoqué le besoin de rendre justice pour les crimes passés.
La Commission Vérité et Réconciliation et l’institution indépendante des droits humains
En juin, Condé a promulgué un décret présidentiel créant une « Commission de réflexion » chargée de promouvoir la réconciliation, et en août, il a nommé deux personnalités religieuses de premier plan à la coprésidence. Néanmoins, la société civile n’a pas été suffisamment consultée à propos du mandat, de la composition et des pouvoirs de la commission. Alors que le président a semblé limiter le mandat de l’institution à la promotion de la réconciliation, les associations locales de défense des droits humains ont prôné la mise en place d’une commission habilitée à s’attaquer véritablement à l’impunité, notamment par l’inclusion de dispositions permettant de recommander les noms de certains individus aux fins de poursuites.
Les violences communautaires dans le sud-est qui ont causé la mort de quelque 25 personnes au mois de mai, la nomination par le président d’un nombre disproportionné de hauts fonctionnaires originaires de son groupe ethnique malinké, ainsi que les tensions croissantes entre les communautés malinké et peuhle, ont été l’illustration du besoin urgent d’un mécanisme de vérité et de réconciliation habilité à formuler des recommandations visant à s’attaquer aux causes profondes des conflits communautaires.
La nouvelle constitution de 2010 a prescrit l’établissement de la toute première institution nationale indépendante des droits humains en Guinée. En juillet, l’organe parlementaire ad hoc a adopté une loi portant création de la Commission Nationale des Droits de l’Homme, laquelle sera composée de 20 membres émanant de la nation entière. Les groupements de la société civile se sont inquiétés du manque de concertation à propos du mandat et de la composition de la commission.
Élections législatives et gouvernance
L’insistance du président pour réviser les listes électorales et une crise de leadership au sein de la commission électorale nationale ont retardé la tenue des élections législatives (les premières depuis 2002) et engendré un sentiment de profonde frustration au sein de la société civile guinéenne et chez les partenaires internationaux de la Guinée. Des avancées ont été enregistrées sur le plan de la lutte contre la corruption, notamment la suppression des fonds discrétionnaires au sein de plusieurs ministères, l’adoption d’un nouveau code minier visant à améliorer la gestion des vastes ressources naturelles de la Guinée, ainsi que la mise en place d’une ligne téléphonique d’urgence pour signaler les cas de pots-de-vin et de corruption de fonctionnaires.
À diverses reprises, le président a semblé recourir aux forces de sécurité et à l’appareil judiciaire à des fins partisanes. En avril, le gouvernement a interdit un rassemblement prévu pour accueillir le retour en Guinée d’un dirigeant de l’opposition. Plusieurs partisans de l’opposition ont par la suite été jugés et reconnus coupables d’avoir participé au rassemblement. En juillet, tous les médias se sont vu interdire de relater l’attaque visant le président, et en septembre, le gouvernement a refusé d’autoriser une cérémonie planifiée par des associations de défense des droits humains et une marche organisée par l’opposition politique pour commémorer le massacre de 2009. En l’absence d’un parlement en état de marche, le président a fréquemment émis des décrets présidentiels.
L’appareil judiciaire et les conditions de détention
Des décennies de négligence et de manipulation de l’appareil judiciaire par les régimes successifs ont donné lieu à des lacunes évidentes dans ce secteur et permis aux auteurs de tous types d’atteintes aux droits humains de jouir de l’impunité pour leurs crimes.
Depuis plusieurs années, y compris en 2011, les fonds alloués au système judiciaire se sont élevés à moins de 0,5 pour cent du budget national. Cela a débouché sur de graves pénuries de personnel judiciaire et sur un manque d’infrastructures et de ressources qui, conjugués à une conduite non professionnelle et à une mauvaise tenue des dossiers, ont contribué à des violations généralisées des droits des détenus, notamment à des périodes prolongées de détention préventive et à de piètres conditions carcérales. Les prisons et les centres de détention sont fortement surpeuplés, les prisonniers et les détenus souffrant d’une alimentation, de conditions d’hygiène et de soins médicaux insuffisants. Le plus grand centre de détention—conçu pour 300 détenus—en héberge plus de 1 000. En Guinée, entre 80 et 90 pour cent des prisonniers se trouvent en détention préventive prolongée.
Quelques progrès concrets ont été opérés dans le secteur judiciaire, notamment la révocation de plusieurs juges et autres membres du personnel judiciaire impliqués dans des pratiques de corruption, la prestation de serment en juillet de 38 nouveaux juges près la Cour d’appel de Conakry, et la libération en mai de nombreux détenus qui se trouvaient en détention préventive prolongée pour des délits mineurs.
L’obligation de rendre des comptes pour le massacre du 28 septembre 2009 et autres crimes
Des progrès insuffisants ont été accomplis dans la traduction en justice des membres des forces de sécurité impliqués dans le massacre de quelque 150 personnes et le viol de plus de 100 femmes le 28 septembre 2009 sous le régime militaire de Dadis Camara. Un rapport publié en 2009 par la Commission internationale d’enquête mise sur pied sous l’égide des Nations Unies a conclu que les exactions commises par les forces de sécurité étaient très probablement constitutives de crimes contre l’humanité. En 2010, le gouvernement en place à l’époque s’était engagé à traduire en justice les auteurs de ces actes et avait nommé trois juges d’instruction pour s’occuper de l’affaire.
Au moment où ont été rédigées ces lignes, pratiquement aucun élément rendu public ne permettait de croire que l’enquête progressait, et rien n’indiquait que le gouvernement s’employait à retrouver la centaine de corps qu’auraient fait disparaître secrètement les forces de sécurité. Le refus du gouvernement de garantir la sécurité des juges d’instruction pendant la majeure partie de l’année et la nomination, par le Président Condé, de deux hommes impliqués dans le massacre à des fonctions de haut niveau au sein de son administration ont soulevé des questions quant à son engagement à rendre justice pour les crimes perpétrés.
La Cour pénale internationale (CPI), qui en octobre 2009 a confirmé que la situation en Guinée faisait l’objet d’un examen préliminaire, s’est rendue dans le pays en mars, avril et octobre afin d’évaluer les progrès opérés sur le plan des enquêtes nationales. La CPI a fait part de sa volonté de se charger de l’affaire si le gouvernement guinéen venait à se mettre en défaut de le faire. Entre-temps, aucune mesure n’a été prise par les autorités guinéennes pour ouvrir une enquête, et encore moins pour engager des poursuites, à l’encontre des membres des forces de sécurité responsables du massacre de quelque 130 manifestants en 2007.
Conduite des forces de sécurité
L’attaque du 19 juillet contre la résidence du Président Condé, qui aurait été menée par des militaires mécontents, a donné lieu à l’arrestation d’au moins 38 personnes, dont 25 soldats. L’arrestation et la détention de certains membres du personnel militaire ont été accompagnées de mauvais traitements physiques et, dans quelques cas, d’actes de torture. Cette attaque a mis en lumière les divisions persistantes régnant au sein de l’armée en fonction des critères ethniques et régionaux, ainsi que la fragilité du processus politique.
Les accusations de recours excessif à la force meurtrière à l’encontre de manifestants ont diminué en 2011, mais il n’en demeure pas moins que les forces de sécurité ont tué au moins cinq protestataires lors des marches organisées par l’opposition en avril et en septembre. Au cours des violences, les forces de sécurité se sont également livrées à des vols, y compris à main armée, à des violences sexuelles et à des voies de fait. Selon des sources fiables, tout au long de l’année, des soldats ont été impliqués dans de nombreux actes criminels. Aucune mesure n’a été prise pour ouvrir une enquête, sanctionner ou poursuivre les individus impliqués. L’émergence d’une milice recrutée au sein du groupe ethnique du président a également suscité l’inquiétude.
Les efforts déployés par la hiérarchie militaire pour professionnaliser l’armée ont débouché sur une présence réduite de soldats dans les rues, et certaines responsabilités qui étaient assumées depuis longtemps par l’armée ont été cédées à la police et à la gendarmerie.
Pendant ce temps, la police a été à maintes reprises impliquée dans des affaires d’extorsion et de sollicitation de pots-de-vin. Les victimes de délits se voient fréquemment obligées de payer pour qu’une enquête soit ouverte, tandis que les autorités s’abstiennent souvent de mener les enquêtes comme il convient et, dans certains cas, elles libèrent de présumés criminels. Les responsables de la police n’ont fait aucun effort pour s’attaquer à ces problèmes.
Acteurs internationaux clés
Les partenaires internationaux clés de la Guinée—notamment l’UE, la CEDEAO, le Bureau des Nations Unies en Afrique de l’Ouest, la France et les États-Unis—se sont principalement focalisés sur le besoin d’opérer des progrès sur le plan des élections législatives reportées depuis longtemps. Ils sont toutefois restés passablement silencieux en ce qui concerne le besoin de réclamer des comptes aux auteurs des violences du 28 septembre 2009. Ils ont néanmoins exercé avec succès des pressions sur le gouvernement pour qu’il suspende l’interdiction pour les médias de relater la tentative d’assassinat à l’encontre d’Alpha Condé.
Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et l’UE ont pris l’initiative de renforcer le système judiciaire guinéen. Toutefois, le soutien de l’UE était en grande partie subordonné à la tenue d’élections législatives transparentes. Lors d’une visite effectuée en mars, la Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Navi Pillay, a vivement recommandé au gouvernement d’intensifier ses efforts pour lutter contre l’impunité. Le Bureau de l’ONU en Afrique de l’Ouest a poussé les autres partenaires internationaux à conseiller le gouvernement guinéen sur la façon de réformer le secteur de la sécurité.