Les attaques contre les civils et autres violations des droits humains ont continué avec une fréquence inquiétante en 2010. L'armée congolaise a poursuivi ses campagnes militaires contre les groupes armés étrangers et domestiques dans l'est et dans le nord du pays, et lancé une nouvelle campagne à l'ouest pour réprimer une insurrection locale. Comme par le passé, toutes les parties belligérantes ont pris pour cible les civils, qui ont été tués, violés, arrêtés arbitrairement, contraints au travail forcé et victimes de pillages. Les violences persistantes ont entraîné le déplacement de près de 2 millions de personnes à l'intérieur du pays, tandis que 145 000 autres ont dû se refugier dans des pays voisins.
La mission de maintien de la paix de l'ONU a été rebaptisée Mission de l'ONU pour la stabilisation de la RDC (MONUSCO) à la suite d'appels à son retrait par le gouvernement congolais, qui avait hâte d'annoncer des améliorations de la sécurité à l'approche du 50ème anniversaire de l'indépendance de la RD Congo. Le nouveau nom de la mission n'a toutefois fait que peu de différence dans la lutte pour protéger les civils. Certains auteurs de violations de droits humains ont été arrêtés pour crimes de guerre, mais beaucoup d'autres sont restés en position de pouvoir, tout particulièrement Bosco Ntaganda, un général recherché sur mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale (CPI). Le nombre d'attaques violentes à l'encontre des journalistes et des défenseurs des droits humains a augmenté.
Attaques de l'Armée de résistance du seigneur dans le nord de la RD Congo
Les plus graves attaques contre les civils ont été perpétrées dans le nord de la RD Congo, où l'Armée de résistance du seigneur (Lord's Resistance Army, ou LRA), un groupe rebelle ougandais, a poursuivi sa campagne brutale. 604 personnes de plus ont été tuées en 2010, et 473 ont été enlevées, ce qui a porté le nombre de morts en RD Congo à plus de 2 000 et le nombre d'enlèvements à 2 600 depuis que la LRA a commencé sa dernière campagne de violences en 2008. La LRA a également attaqué des civils de l'autre côté de la frontière, en République centrafricaine et au Sud-Soudan. La principale attaque en RD Congo a été perpétrée dans la région reculée de Makombo dans le district du Haut Uélé, où en décembre 2009, les combattants de la LRA ont matraqué à mort au moins 345 civils et en ont enlevé 250 autres. Cette attaque a été l'une des pires jamais perpétrées par le groupe rebelle durant ses 24 ans d'histoire sanglante. La LRA a également procédé à de nombreux enlèvements dans le district du Bas Uélé, prenant délibérément pour cible des enfants que le groupe a enrôlés de force comme soldats.
L'armée ougandaise -en coopération avec les forces armées congolaise, centrafricaine et du Sud-Soudan- a poursuivi sa campagne militaire contre la LRA. L'opération a eu un certain succès pour ce qui est d'affaiblir le groupe rebelle, mais la capacité de la LRA à attaquer les civils est restée intacte. Aucun progrès n'a été réalisé en ce qui concerne l'arrestation de trois des hauts dirigeants de la LRA recherchés par la CPI pour des crimes commis dans le nord de l'Ouganda. Les efforts de l'armée congolaise et de la MONUSCO pour protéger les civils dans les zones touchées par la LRA sont restés insuffisants, avec des ressources limitées pour répondre à la menace.
Opérations militaires dans l'est et l'ouest du pays
L'armée congolaise a poursuivi ses opérations militaires dans les provinces du Nord et Sud-Kivu dans l'est de la RD Congo contre les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), un groupe rebelle rwandais à dominance Hutu, dont certains dirigeants ont participé au génocide de 1994. Dans le même temps, l'armée a cherché à intégrer dans ses rangs près d'une vingtaine d'anciens groupes armés, ce qui était une condition des accords de paix signés en mars 2009. Le processus d'intégration a été problématique. Un certain nombre de groupes armés ont abandonné, mécontents que leurs ennemis aient reçu des grades plus élevés ou des postes plus lucratifs. D'autres groupes, tels que le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), ont mené leurs propres opérations militaires sous la couverture de l'armée congolaise, mais sans l'approbation de la hiérarchie militaire. La confusion a affecté les chaînes de commandement et le contrôle des troupes.
Les attaques à l'encontre des civils par l'armée et les groupes armés ont été endémiques. Des centaines de civils ont été tués et violés tandis que chaque partie belligérante accusait les populations locales de soutenir ses ennemis. Par exemple, au moins 105 civils ont été tués dans le territoire de Masisi dans l'ouest du pays lorsque les anciennes troupes du CNDP récemment intégrées dans l'armée ont mené des opérations unilatérales contre le FDLR et ses alliés. Dans un autre incident sur le territoire de Walikale au début d'août, les combattants du FDLR et un groupe armé local, les Maï Maï Tchéka, ont systématiquement violé en groupe au moins 303 civils dans 13 villages. Les assaillants ont accusé leurs victimes de soutenir l'armée congolaise.
Comme en 2009, les Casques bleus de l'ONU ont fourni un soutien logistique et opérationnel aux opérations militaires congolaises contre le FDLR. Suite aux critiques antérieures selon lesquelles les Casques bleus n'avaient pas réussi à mettre en place les conditions adéquates pour assurer le respect des droits humains, la MONUSCO a renforcé sa politique de conditionnalité et a cherché à ne soutenir que les bataillons qu'elle avait examinés au préalable. Mais les chaînes de commandement nébuleuses ont rendu la mise en œuvre de la politique extrêmement difficile. Un grand nombre d'officiers ayant des antécédents connus de violations des droits humains sont restés à des postes de commandement. L'exemple le plus flagrant a été le général Bosco Ntaganda, recherché sur mandat d'arrêt de la CPI, qui a continué de jouer un rôle de sous-commandant de facto des opérations militaires conjointes. Bosco Ntaganda a également continué de perpétrer des violations de droits humains et été impliqué dans les assassinats et les arrestations arbitraires de personnes qui s'opposaient à lui.
En plus des problèmes dans l'est du pays, l'armée congolaise a également été déployée dans la province d'Équateur dans l'ouest pour lutter contre une insurrection menée par le groupe ethnique Enyele, après qu'un conflit de pêcheurs locaux a dégénéré. Les insurgés ont attaqué les opposants d'autres groupes ethniques, ainsi que des policiers et des soldats. Bien qu'elles aient réprimé l'insurrection, les forces de sécurité congolaises elles-mêmes se sont rendues coupables de nombreuses violations de droits humains. L'ONU a estimé que 100 civils ont été tués dans les affrontements.
Violences sexuelles, orientation sexuelle et identité de genre
Les violences sexuelles en RD Congo se sont poursuivies à un rythme alarmant. Plus de 15 000 cas de violences sexuelles ont été signalés en 2009. En 2010, il n'y avait aucun signe de diminution de cette tendance. Durant les six premier mois de l'année, 7 685 cas ont été signalés. Plus de la moitié des victimes étaient âgées de moins de 18 ans.
En octobre, un projet de loi émanant d'un membre anonyme a été présenté à l'Assemblée nationale proposant une peine de trois à cinq ans d'emprisonnement pour « relations homosexuelles » et interdisant toutes les publications et les films qui mettent en évidence « des pratiques sexuelles contre nature ». Le projet de loi vise également à condamner les membres et les bailleurs de fonds d'organisations qui encouragent ou défendent « des relations sexuelles contre nature » à des peines de six mois à un an de prison.
Menaces contre des journalistes et des défenseurs des droits humains
Les défenseurs des droits humains et les journalistes congolais ont été de plus en plus pris pour cible en 2010. Un défenseur éminent des droits humains, Floribert Chebeya Bahizire, directeur exécutif de La voix des sans voix, a été trouvé mort le 1er juin, suite à une visite au poste de police à Kinshasa, la capitale. Son chauffeur, Fidele Bazana Edadi, est toujours porté disparu au moment où nous écrivons. Le chef de la police nationale a été suspendu et d'autres hauts fonctionnaires de la police ont été placés en détention à la suite de l'assassinat, bien qu'aucun n'ait été inculpé au moment où nous écrivons. Dans l'est de la RD Congo, le 30 juin, un défenseur des droits humains travaillant pour Le Bon Samaritain a été tué par des hommes armés en uniforme près de Beni, dans le Nord-Kivu. Sylvestre Bwira Kyahi, président de la société civile du territoire de Masisi, a été enlevé par des soldats de l'armée le 24 août et détenu pendant une semaine dans une prison secrète, où il a été battu à plusieurs reprises pour avoir écrit une lettre ouverte dénonçant les exactions commises par des soldats sous le commandement de Bosco Ntaganda et appelant à son arrestation.
Le caméraman indépendant Patient Chebeya Bankome a été abattu par des soldats devant son domicile à Beni le 5 avril. Radio France Internationale (RFI) a recommencé à émettre en RD Congo le 12 octobre, après avoir été retirée des ondes depuis juin 2009. D'autres stations de radio, notamment au Bandundu et à Kisangani, ont été fermées ou interrompues par les autorités quand elles ont critiqué la politique du gouvernement.
Justice et lutte contre l'impunité
La grande majorité des crimes commis en RD Congo sont restés impunis et, dans de nombreux cas, les malfaiteurs ont été récompensés plutôt que traduits en justice.
Malgré cette triste tendance, il y a eu certains développements positifs. Le 17 novembre 2009, le président du FDLR, Ignace Murwanashyaka, et son adjoint, Straton Musoni, ont été arrêtés en Allemagne par la police allemande pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis par les troupes du FDLR sous leur commandement dans l'est de la RD Congo. Un autre dirigeant du FDLR, Callixte Mbarushimana, a été arrêté en France par la police française le 11 octobre 2010, sur un mandat d'arrêt délivré par la CPI pour des crimes similaires.
Le gouvernement congolais a augmenté le nombre de poursuites judiciaires intentées par les autorités militaires contre les soldats accusés de violations de droits humains, notamment de crimes de violences sexuelles, bien que la majorité de ceux qui ont été poursuivis étaient des subalternes. Dans une exception notable, sous la pression du Conseil de sécurité de l'ONU et d'organisations de défense des droits humains, les autorités judiciaires de Kinshasa ont arrêté le général Jérôme Kakwavu en avril 2010 sur un chef d'accusation de crimes de guerres pour viol et torture. Jérôme Kakwavu est le premier général arrêté sur des accusations de viol dans toute l'histoire de la RD Congo.
Dans une autre étape importante, le bureau du Haut commissaire aux droits humains de l'ONU a publié le 1er octobre son rapport d'un exercice de mapping sur les droits humains en RD Congo, faisant état de 617 cas de violations graves du droit humanitaire international commises entre 1993 et 2003. Le rapport a décrit le rôle des principales parties congolaises et étrangères responsables -notamment des groupes armés ou militaires en provenance du Rwanda, de l'Ouganda, du Burundi et de l'Angola- et a suggéré des options pour rendre la justice pour ces crimes, notamment le projet de création d'une chambre mixte en RD Congo avec des juges internationaux et congolais. Le Rwanda et l'Ouganda, entre autres, ont rejeté le rapport. Dans une importante déclaration, le gouvernement congolais a quant à lui accueilli favorablement ce document et a affirmé son soutien à l'option d'une chambre mixte.
Acteurs internationaux clés
Suite à l'insistance du gouvernement congolais, l'ONU a retiré quelque 1500 Casques bleus et s'est engagée à procéder à une évaluation de sécurité conjointement avec le gouvernement afin de déterminer une future réduction des effectifs.
Suite aux viols généralisés perpétrés au Walikale, l'ONU a dépêché en RD Congo son secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix, Atul Khare, pour évaluer les défis de la protection des civils et recommander des améliorations. La représentante spéciale du secrétaire général de l'ONU sur la violence sexuelle dans les conflits, Margot Wallström, s'est également rendue en RD Congo à deux reprises afin de renforcer les mesures de l'ONU pour lutter contre les violences sexuelles et exiger des comptes à leurs auteurs.
Le 24 mai, le président américain Barack Obama a signé une loi engageant les États-Unis à l'élaboration d'une stratégie globale visant à protéger les civils contre les attaques de la LRA et à mettre fin aux violences du groupe.