Le 31 octobre, à la suite d'une élection présidentielle longtemps différée, le président Laurent Gbagbo et l'ex-Premier ministre Alassane Ouattara se sont retrouvés en lice pour un second tour fixé au 28 novembre. L'optimisme des Ivoiriens et des partenaires internationaux quant à une possible réunification du pays après un premier tour calme a été tempéré par le clivage de l'électorat selon des critères ethniques et régionaux, ainsi que par la crainte que les discours incendiaires des partisans des candidats puissent engendrer des actes de violence intercommunautaire et politique. Les élections, si elles étaient réussies, auraient pu mettre un terme à l'incertitude politique qui affectait le pays depuis plus de cinq ans.
Cependant la focalisation quasiment exclusive de l'attention du gouvernement ivoirien et de ses partenaires internationaux sur ces élections a contribué à une forte insuffisance des efforts visant à aborder les questions du désarmement, des violations des droits humains et des infractions aux règles d'un État de droit. Les Ivoiriens continuent de souffrir du niveau élevé de violence sexuelle, du banditisme et des litiges fonciers, et de n'avoir qu'un accès restreint à la justice qui, par ailleurs est souvent corrompue, partisane et sans ressources suffisantes. Les institutions de l'État chargées de protéger la population, d'enquêter sur les crimes graves et de contraindre leurs auteurs à rendre des comptes, continuent de manquer de professionnalisme et d'exhiber un comportement prédateur, par exemple en extorquant ouvertement les citoyens aux postes de contrôle dans l'ensemble du pays.
Élections et poursuite de l'impasse politico-militaire
Lors du premier tour des élections présidentielles, presque 80 pour cent des Ivoiriens en droit de voter ont déposé leur bulletin dans un processus qualifié de libre et d'équitable par les observateurs internationaux. Ni l'un ni l'autre candidat en tête n'ayant obtenu 50 pour cent des voix, un second tour a été organisé entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara. Les électeurs ont clairement voté en fonction de critères ethniques et régionaux durant le premier tour. Laurent Gbagbo contrôlait le sud et l'ouest du pays, tandis que Ouattara contrôlait le nord. Nombreux sont ceux qui craignaient qu'un second tour contesté ne parvienne pas à mettre un terme à l'incertitude politique qui touche le pays depuis des années.
En 2010, les autorités ivoiriennes n'ont pas fait beaucoup d'efforts pour désarmer les anciens combattants. Les armes abondent toujours, en particulier dans le nord contrôlé par les rebelles et dans le bastion des milices anciennement pro-gouvernementales à l'extrême ouest du pays. En août, le programme de désarmement des rebelles et des milices, piloté par l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI), n'avait récupéré que 715 armes alors que le gouvernement avait avancé un chiffre de 70 000 combattants dont 30 000 avaient déjà été démobilisés. Les forces rebelles se sont montrées de plus en plus réticentes à coopérer avec les inspecteurs du Groupe d'experts de l'ONU chargés de contrôler le respect d'un embargo sur les armes datant de 2004. La Garde républicaine du gouvernement a toujours catégoriquement refusé de se plier à cet embargo.
État de droit
Le système judiciaire reste caractérisé par la corruption et le manque d'indépendance. Bien que plusieurs tribunaux et prisons aient pu rouvrir après avoir été entre les mains des rebelles durant sept ans, le redéploiement d'officiers judiciaires prévu dans le nord n'a que lentement progressé en 2010. Toutefois le refus des rebelles des Forces nouvelles de renoncer à leur contrôle de fait d'une grande partie du nord, dont les prisons et la sécurité, a nui au fonctionnement efficace et indépendant du système judiciaire.
Droits fonciers
Les violents conflits concernant les droits fonciers persistent dans le sud et l'ouest de la Côte d'Ivoire. Ils sont exacerbés par l'incapacité endémique du système judiciaire à les résoudre. Bon nombre de ces conflits opposent les populations indigènes aux communautés d'immigrés. En mai, au moins dix personnes ont été tuées lors d'un affrontement près du Mont Péko, l'une des nombreuses régions forestières protégées où les terres sont vendues en toute illégalité et transformées en champs de cacao. Plus de 20 personnes ont également été grièvement blessées lors d'une confrontation à Fresco, en septembre. A l'extrême ouest, près de 900 déplacés burkinabés restent dans un camp à l'extérieur de Guiglio car ils craignent les représailles des populations indigènes s'ils venaient à retourner dans leur pays.
Extorsion et racket
Ces dernières années, le gouvernement n'a pris aucune mesure importante pour enrayer l'extorsion et le racket perpétrés à grande échelle par les rebelles comme par les forces de sécurité. Dans le sud contrôlé par le gouvernement, la police, les gendarmes et les douaniers réclament systématiquement des pots-de-vin aux postes de contrôle. Les gens qui refusent de payer se voient refuser le passage, sont menacés et souvent battus ou arrêtés arbitrairement. Les immigrés et autres étrangers présumés sont particulièrement maltraités.
L'extorsion est un problème encore plus grave dans le nord du pays, où les rebelles des Forces nouvelles continuent d'exercer un contrôle économique presque total sur la population. Les rebelles empochent l'équivalent de centaines de millions d'euros chaque année aux postes de contrôle et rackettent les entreprises, en s'attaquant plus particulièrement au négoce lucratif du cacao et du bois de construction. À la fin du mois d'août, les chefs rebelles avaient promis que les forces resteraient dans leur caserne durant les deux mois précédant les élections. Cependant, au moment où nous écrivons, ils sont encore nombreux à tenir illégalement des postes de contrôle.
Violence politique
Peu de cas de violence ou d'intimidation ont été signalés lors du premier tour des élections présidentielles. Toutefois, à l'approche du second tour entre les candidats Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, les organes d'informations des partis ont accumulé les discours incendiaires et les provocations des mouvements de jeunesse des partis se sont multipliées. À l'heure de la rédaction de ce chapitre, les craintes de voir la violence et l'intimidation dérégler le processus électoral du second tour et perturber l'annonce des résultats étaient de plus en plus vives.
Les tensions ont éclaté début février suite à un différend au sujet de la liste électorale. Les manifestations ont tourné à la violence dans plusieurs villes de la Côte d'Ivoire à l'annonce que les autorités judiciaires retiraient, de façon controversée, des noms des listes électorales. Plusieurs personnes ont trouvé la mort lors de ces affrontements et beaucoup d'autres ont été grièvement blessées. Les bâtiments du gouvernement ont été saccagés dans les villes de Man, Bouaké et Vavoua. Le 12 février, le président Laurent Gbagbo a dissous le gouvernement et la commission électorale, invoquant les protestations et les accusations de fraude contre le président de la commission électorale, ce qui a provoqué de nouvelles manifestations dans l'ensemble du pays. Le 19 février, les forces de l'ordre ont tiré sur les manifestants à Gagnoa, tuant cinq personnes. Une enquête menée par la division des droits de l'homme de l'ONUCI a révélé que les forces de sécurité et de défense avaient commis de graves exactions en réprimant brutalement les manifestants et les émeutiers, notamment par des exécutions extrajudiciaires, des actes de violence physique ainsi que des arrestations et détentions illégales.
Violence sexuelle
La violence sexuelle reste omniprésente dans l'ensemble du pays. Les problèmes sont particulièrement graves à l'extrême ouest de la Côte d'Ivoire, où des hommes armés agressent sexuellement des femmes et des filles dans leur maison, lorsqu'elles travaillent aux champs, quand elles vont et reviennent des marchés et après avoir été extirpées des moyens de transport. Les vols accompagnés de viols sont courants. Les attaques sont particulièrement plus fréquentes pendant les récoltes de cacao et les jours de marchés. L'accès des victimes aux services de santé et à la justice reste extrêmement limité. Les tentatives d'enquêtes et d'inculpation pour violence sexuelle sont entravées par le manque de volonté politique de la part de la police et des auxiliaires de justice et aggravées par de sérieuses carences du système judiciaire, en particulier dans le nord et l'ouest du pays.
Obligation pour les auteurs d'exactions passées de rendre des comptes
L'impunité pour les auteurs de crimes graves commis en Côte d'Ivoire reste très préoccupante. Le Conseil de sécurité des Nations Unies n'a toujours pas rendu publiques les conclusions de sa Commission d'enquête sur les graves violations des droits humains et du droit international humanitaire depuis septembre 2002. Elles ont été remises au Secrétaire général des Nations Unies en novembre 2004. En 2003, le gouvernement ivoirien a accepté la juridiction de la Cour pénale internationale sur les crimes graves commis en violation du droit international. Toutefois, depuis lors, le gouvernement montre une réticence persistante à apporter son concours au CPI pour qu'il évalue les mesures prises afin que les auteurs de ces crimes rendent des comptes à la justice. Le gouvernement ne s'est toujours pas prononcé sur l'opportunité d'une enquête du CPI sur ces crimes.
La Commission nationale des droits de l'homme, qui a entamé son travail en juillet 2008, a remis son second rapport annuel en août 2010. La Commission ne s'est toujours pas conformée aux critères de fonctionnement établis dans les Principes de Paris : elle est toujours politisée, elle n'est pas réellement indépendante de l'exécutif et elle ne bénéficie pas d'un financement adéquat.
Acteurs internationaux clés
Les partenaires clés de la Côte d'Ivoire - dont l'ONU, la Communauté économiques des États de l'Afrique de l'Ouest, l'Union européenne et la France - ont réagi avec une impatience croissante face aux multiples reports des élections, et ont exercé toute l'année une pression considérable sur le gouvernement ivoirien pour qu'il tienne des élections en 2010. Ils ont également apporté un soutien financier significatif pour la préparation de ces élections. Cependant, ils sont restés peu disposés à critiquer publiquement le gouvernement sur ses résultats en matière de respect des droits humains ou à faire pression pour que les responsables de crimes de guerre, de la violence politique et de la criminalité endémique rendent des comptes à la justice.
À l'exception notable du rapport du mois d'août sur les violations des droits humains durant les manifestations de février, l'ONUCI n'est toujours pas parvenue à rendre publiques ses statistiques et ses rapports sur les abus des droits humains.
La résolution 1933, adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies en juin, avait prorogé le mandat de l'ONUCI jusqu'en décembre, avec un contingent de plus de 8 400 militaires et policiers. Á l'approche des élections, le Conseil de sécurité avait accepté de déployer 500 soldats de la paix supplémentaires. L'ONUCI a par ailleurs reçu un mandat plus clair en ce qui concerne la protection des civils. Toutefois, les efforts annoncés pour éradiquer la violence endémique, notamment la violence sexuelle, n'ont eu d'effet que sur le papier. La France a maintenu 900 soldats en Côte d'Ivoire pour soutenir l'ONUCI.
Le Conseil de sécurité a prorogé un régime de sanctions jusqu'au 30 avril 2011. Ce régime comprend un embargo sur les armes, une interdiction d'importer des diamants ivoiriens, des interdictions de voyager et des gels des avoirs pour trois individus, dont deux étaient impliqués dans des attaques perpétrées contre le personnel de l'ONU en 2006. Dans son rapport datant du mois d'août, l'ONUCI a recommandé une exception autorisant le gouvernement ivoirien à importer des équipements antiémeutes. L'absence de cet équipement, selon l'ONUCI, a contribué à la violence sans retenue des forces de sécurité en février.
En janvier 2010, le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies a publié un rapport sur la Côte d'Ivoire dans le cadre de l'Examen périodique universel. La Côte d'Ivoire s'est engagée à mettre en œuvre les recommandations sur l'État de droit et à mettre un terme à l'impunité dont bénéficient les auteurs de violence sexuelle en traduisant en justice les auteurs de ces crimes. Cependant, pratiquement aucun effort n'a été fait cette année pour atteindre ces objectifs.