Fin 2008, tout espoir de voir le mouvement de protestation nationale de 2007 conduire à une meilleure gouvernance et à un plus grand respect des droits humains s'était envolé, faisant place à une inquiétude croissante au sujet des retombées qu'aura sur les droits humains l'émergence de la Guinée en tant que plaque tournante du trafic de drogue. Les problèmes persistants de corruption endémique, une armée querelleuse et encline aux exactions, l'expansion du trafic de drogue et l'implication d'agents de l'État dans ce trafic menacent d'éroder davantage encore l'État de droit et la capacité du gouvernement à répondre aux besoins élémentaires de ses citoyens.
Pendant ce temps, la violence chronique à laquelle se livrent les membres des services de sécurité avec le soutien de l'État se poursuit, notamment les actes de torture, les agressions ainsi que l'extorsion. Pour les citoyens ordinaires, l'espoir d'une réparation est mince car le gouvernement n'a pris aucune mesure visant à s'attaquer à l'impunité pour les exactions commises par les forces de sécurité. La Commission nationale d'enquête, mise sur pied pour enquêter sur les meurtres et exactions commis par les forces de sécurité lors des grèves de janvier et février 2007, n'est pas encore opérationnelle à cause d'un manque de soutien du gouvernement. Néanmoins, le premier ministre récemment nommé a donné son appui à la création d'un Observatoire national des droits de l'homme qui est prometteur s'il est autorisé à fonctionner en toute indépendance.
Les acteurs internationaux, en particulier la France et l'Union européenne, se montrent réticents à exercer publiquement des pressions sur le gouvernement, mettant leurs espoirs de changement dans les élections législatives. Cependant, en octobre, celles-ci ont été reportées une troisième fois, assénant un nouveau coup à la bonne gouvernance.
L'insécurité et les exactions des forces de l'ordre
En mai, le mécontentement au sein de l'armée guinéenne à propos des conditions salariales et de la diminution des subventions sur le riz a dégénéré en mutinerie. Des soldats ont tiré en l'air au hasard, tuant ou blessant des dizaines de civils avec des balles perdues. Ils ont enlevé un officier supérieur, occupé l'aéroport et pillé des magasins. Quelques semaines plus tard, les policiers et agents des douanes qui tentaient de mener une « grève » similaire ont été violemment réprimés par l'armée et huit policiers au moins ont perdu la vie. Dans l'intervalle, plusieurs mouvements de protestation contre la montée en flèche des prix des denrées alimentaires et des carburants ainsi que contre les coupures d'électricité et les pénuries d'eau ont été violemment réfrénés par les forces de sécurité. En octobre, des soldats qui réprimaient des mouvements de contestation contre les compagnies minières ont tué deux personnes, dont un garçon de treize ans, et violé trois femmes. En novembre, au moins quatre personnes ont perdu la vie et quarante ont été blessées lorsque les forces de sécurité présentes dans la capitale Conakry ont ouvert le feu sur des manifestants qui réclamaient une baisse des prix des combustibles.
La gouvernance et les élections législatives
Les grands mouvements de protestation de 2007 contre la corruption généralisée, la mauvaise gouvernance et la détérioration de la situation économique ont amené le Président despotique Lansana Conté à faire quelques concessions. En février 2007, il a notamment nommé un premier ministre de consensus, Lansana Kouyaté, qui, au cours de son mandat, est parvenu à modérer la spirale inflationniste qui touchait la Guinée et à restaurer la confiance des bailleurs de fonds internationaux. En mai 2008, le Président Conté a démis Kouyaté de ses fonctions et l'a remplacé par Ahmed Tidiane Souaré, assénant un sérieux coup à ceux qui espéraient que les grands mouvements de contestation et le « pouvoir du peuple » pourraient déboucher sur une réforme. Toutefois, depuis son entrée en fonction, le Premier Ministre Souaré a nommé plusieurs ministres réformistes au sein de son gouvernement. Néanmoins, étant donné l'obstruction faite par le Président Conté ainsi que par sa famille et ses proches extrêmement influents, nul ne sait réellement si les réformes proposées par Souaré seront mises en œuvre.
Les élections législatives initialement prévues en juin 2007 ont été reportées une troisième fois en octobre 2008. Elles devraient maintenant avoir lieu au plus tôt au cours du premier trimestre 2009. Cet ajournement est dû à des lacunes extraordinaires dans les préparatifs, à un énorme retard dans la mise sur pied de la commission électorale nationale et à un manque de soutien du gouvernement au processus. Selon les rumeurs, le Président Conté, âgé de 74 ans, serait gravement malade et les observateurs craignent une prise du pouvoir par l'armée s'il venait à décéder avant la fin de son mandat en 2010.
Le trafic de drogue
Les nouvelles faisant état de l'implication dans le trafic de drogue de politiciens guinéens, de hauts responsables de l'armée, de la police et de la garde présidentielle, ainsi que de membres de la famille du président, suscitent une inquiétude considérable chez les partenaires internationaux de la Guinée. Les efforts visant à combattre ce problème croissant sont sapés par la corruption généralisée qui règne au sein de l'appareil judiciaire et par les rivalités entre les différentes forces de sécurité pour le contrôle du trafic de drogue. En juin, l'armée a saccagé les bureaux de l'unité antidrogue guinéenne, détruisant les archives et le matériel de bureau. Le Premier Ministre Souaré a pris quelques mesures pour combattre le trafic de drogue et, suite à une visite du directeur exécutif de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime en juillet, il a déclaré la « guerre » à ce fléau.
La Commission d'enquête sur les exactions commises lors des mouvements de grève de 2007
La mise sur pied d'une commission d'enquête opérationnelle chargée d'investiguer sur les violences commises lors des grèves de 2007, qui s'étaient soldées par au moins 137 morts et plus de 1 700 blessés, n'a suscité auprès du gouvernement qu'un intérêt limité. Lors de la répression, les forces de sécurité-en particulier la garde présidentielle-avaient ouvert le feu directement sur les groupes de manifestants non armés. En mai 2007, l'Assemblée nationale a adopté une loi créant une commission nationale d'enquête sur les violences et en septembre 2007, 19 membres de la commission ont prêté serment. Toutefois, au moment de la rédaction du présent chapitre, la commission devait encore recevoir un financement ou un soutien logistique du gouvernement. Bien que la France et l'Union européenne aient promis un appui financier, le versement de leur aide est soumis à la condition que le gouvernement mette en place la commission avec succès et lui apporte son soutien.
Un Observatoire national de la démocratie et des droits de l'homme
Fin juillet, le Premier Ministre Souaré a appuyé la création d'un Observatoire National des Droits de l'Homme chargé d'enquêter sur les atteintes aux droits humains et de proposer une éducation aux droits humains, avant tout aux forces de sécurité. À la fin de l'année, l'Observatoire n'était pas encore pleinement opérationnel et nul ne sait clairement jusqu'à quel point le gouvernement est prêt à le financer, à le soutenir et à lui permettre de fonctionner en toute indépendance.
L'État de droit
L'appareil judiciaire guinéen est miné par de nombreuses carences, notamment un manque d'indépendance de la branche exécutive, des ressources inadaptées, la corruption, des magistrats et autres membres du personnel mal formés, ainsi qu'un nombre insuffisant d'avocats. Beaucoup de personnes n'ont pas accès à la justice car elles ne peuvent pas se permettre de soudoyer les juges, les magistrats et autres représentants de l'État.
En octobre, le gouvernement a reconnu, pour la première fois, une responsabilité dans les violences politiques commises sous la présidence d'Ahmed Sékou Touré entre 1958 et 1984 mais il s'est mis en défaut de réitérer l'engagement pris antérieurement par le Premier Ministre Kouyaté. Celui-ci avait promis de mettre en place une commission vérité chargée de se pencher sur le cas de milliers de Guinéens-dont des ministres, des ambassadeurs, des juges, des hommes d'affaires et des officiers de l'armée-tués sous le régime de Sékou Touré.
Le comportement de la police
La police guinéenne continue d'adopter un comportement non professionnel et souvent criminel. Elle se livre régulièrement à des actes de torture et à des mauvais traitements sur des suspects, pratique l'extorsion généralisée à l'encontre des citoyens, se compromet dans le trafic de drogue et, dans certains cas, commet des abus sexuels sur des détenues. Lors des interrogatoires, les suspects sont fréquemment attachés avec des cordes, battus, brûlés avec des cigarettes ou soumis à d'autres sévices corporels jusqu'à ce qu'ils avouent le délit dont ils sont accusés. L'absence de poursuites contre les auteurs de ces actes reste le seul obstacle important qui empêche de mettre fin à ces exactions.
Les violations des droits des détenus
Les centres pénitentiaires et de détention restent extrêmement surpeuplés et fonctionnent bien en deçà des normes internationales. En 2008, la plus grande prison de Guinée abritait près de 900 prisonniers dans un établissement conçu pour 300 personnes. La malnutrition ainsi que les conditions sanitaires et d'hygiène inadaptées ont entraîné le décès de dizaines de détenus. Les autorités pénitentiaires se mettent constamment en défaut de séparer les condamnés des prisonniers non encore jugés et, dans certains centres, les enfants ne sont pas séparés des adultes. Les gardiens de prison non rémunérés extorquent régulièrement de l'argent aux détenus et à leurs familles, exacerbant les problèmes de faim et de malnutrition.
La détention provisoire prolongée constitue encore un grave problème de droits humains, même si en 2008, les organisations locales de défense des droits humains ont poursuivi leurs efforts pour garantir un procès aux prisonniers et assurer la libération de certains d'entre eux qui avaient passé plus de temps à attendre leur procès que la peine maximale prévue pour le délit dont ils étaient accusés. Néanmoins, plus de 80 pour cent des détenus de la principale prison guinéenne située à Conakry ne sont pas passés en jugement ; certains sont en attente de leur procès depuis plus de cinq ans.
Le travail des enfants
Un nombre considérable d'enfants continuent de travailler dans les carrières et les mines d'or et de diamants où ils effectuent des tâches dangereuses pour un salaire dérisoire. Des dizaines de milliers de filles-dont certaines originaires de pays voisins et victimes du trafic d'êtres humains-travaillent comme domestiques, souvent dans des conditions proches de l'esclavage. Il arrive fréquemment que l'accès à l'éducation et aux soins de santé leur soit refusé et qu'elles soient forcées de travailler jusqu'à 18 heures par jour. Aux mains de leurs employeurs, elles sont fréquemment victimes de coups, de harcèlement sexuel et de viol. Le gouvernement a pris quelques initiatives visant à combattre les problèmes du travail et de la traite des enfants. En mai, le parlement a adopté le Code de l'enfant, qui comprend plusieurs mesures de protection élargie en faveur des enfants, et tout au long de l'année, le gouvernement et les organisations internationales ont mené une campagne de sensibilisation du public pour lutter contre le trafic d'enfants. Une unité spéciale de la police chargée d'enquêter sur la prostitution enfantine, le trafic d'enfants et autres abus a permis quelques arrestations ; toutefois, peu de poursuites judiciaires ont été engagées.
Les acteurs clés au niveau international
Les initiatives diplomatiques visant à améliorer la situation des droits humains suscitent toujours un rejet de la part de la Guinée. Pendant ce temps, les principaux partenaires de la Guinée-la France, l'Union européenne, les Nations unies et les États-Unis-affichent une forte réticence à critiquer publiquement le gouvernement au sujet de problèmes urgents de droits humains et de gouvernance.
En 2002, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et la Banque africaine de développement ont suspendu l'assistance économique destinée à la Guinée en raison de sa piètre gouvernance économique et politique. En 2005, s'inquiétant des problèmes de gouvernance et de droits humains, l'UE a invoqué l'article 96 de l'Accord de Cotonou pour suspendre toute assistance, à l'exception de l'aide humanitaire. Bien qu'un montant de 86 millions d'euros ait été libéré du 9e Fonds européen de développement (FED) en décembre 2006, de nouvelles inquiétudes suscitées par la gouvernance ont mené à un ajournement du versement des fonds qui devaient provenir du 10e FED. La tenue d'élections parlementaires libres et équitables est généralement considérée par les partenaires de la Guinée comme étant la stratégie clé à mettre en œuvre pour une meilleure gouvernance et un plus grand respect des droits humains.