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Côte d’Ivoire

Événements de 2008

Fin 2008, l'espoir de voir l'accord de paix de mars 2007 mettre fin à six ans d'impasse politico-militaire entre les forces gouvernementales et les rebelles basés dans le nord a été anéanti par le manque de progrès opérés sur le plan du désarmement, des préparatifs des élections et du rétablissement de l'autorité de l'État dans le nord ; par l'intensification des violences criminelles et politiques ; et par le nouveau report de l'élection présidentielle prévue pour novembre 2008.

Les forces gouvernementales et les rebelles des Forces nouvelles continuent de se livrer, pratiquement en toute impunité, à des pillages et à des exactions, notamment à des actes d'extorsion généralisés aux postes de contrôles et à des violences sexuelles contre les filles et les femmes. La culture de l'impunité, de plus en plus enracinée, a fait naître de sérieuses inquiétudes quant aux possibilités d'élections pacifiques et d'une stabilité à long terme.

Les partenaires principaux de la Côte d'Ivoire, en particulier les Nations unies, l'Union européenne, la France et la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), se sont montrés peu disposés à exercer publiquement des pressions sur le gouvernement ou sur les rebelles face à la lenteur des préparatifs des élections, et encore moins face à la situation alarmante des droits humains dans le pays.

Des efforts pour sortir de l'impasse politico-militaire

Depuis l'éclatement de la crise, l'ONU, la France, la CEDEAO et l'Union africaine ont toutes été les fers de lance d'initiatives visant à sortir la Côte d'Ivoire de l'impasse politico-militaire où elle se trouve.

Suite à une série d'accords de paix non respectés et à l'expiration en octobre 2005 du mandat constitutionnel de cinq ans du Président Laurent Gbagbo, le Conseil de sécurité de l'ONU a reporté d'un an les élections en vertu de la résolution 1633 (2005). Les efforts du premier ministre de l'époque, Charles Konan Banny, pour mettre en œuvre une « feuille de route » ont rapidement abouti à une impasse. En réponse, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1721 (2006) prolongeant de douze mois les mandats de Gbagbo et de Banny et octroyant des pouvoirs considérables au premier ministre. Toutefois, peu après son adoption, le Président Gbagbo a bien fait comprendre qu'il n'accepterait pas les principales dispositions de la résolution.

En mars 2007, Gbagbo et le dirigeant rebelle Guillaume Soro ont signé un accord de paix négocié sous les auspices du Président burkinabé Blaise Compaoré. L'Accord de Ouagadougou, le premier à avoir été négocié directement par les belligérants du pays, a débouché sur la nomination de Soro au poste de premier ministre dans un gouvernement d'union nationale et a établi un ambitieux calendrier de dix mois qui, s'il avait été suivi, aurait abouti à une élection présidentielle début 2008.

La mise en œuvre de l'Accord de Ouagadougou

Tout au long de l'année, les dates butoirs fixées pour l'exécution des principales dispositions de l'Accord de Ouagadougou-désarmement et réinsertion des combattants, réunification des forces de défense et de sécurité, rétablissement de l'autorité de l'État dans le nord et inscription sur les listes électorales-n'ont pas été respectées et n'ont cessé d'être repoussées.

Au moment de la rédaction du présent rapport, seuls 11 364 rebelles sur environ 35 000 et 1 000 miliciens sur approximativement 24 000 avaient été désarmés. Scandaleusement, seules dix armes en état de fonctionner ont été recueillies pendant l'opération. Les observateurs ont imputé ce retard au manque de volonté politique des deux parties, au désaccord sur le nombre de rebelles haut gradés à incorporer au sein de l'armée nationale et au financement insuffisant des programmes de réinsertion. Pendant ce temps, de violentes manifestations organisées par des ex-combattants et des miliciens mécontents ont créé l'instabilité dans le nord et l'ouest. En fait, les progrès insuffisants enregistrés sur le plan du désarmement ont, à leur tour, retardé les projets de réincorporation de plusieurs milliers de rebelles dans les rangs de l'armée nationale et des forces de police.

Les efforts déployés par le gouvernement pour rétablir son autorité dans le nord ont été en grande partie infructueux. Bien que certains maires et des membres du personnel soignant et enseignant soient parvenus à y retourner, le redéploiement du personnel policier, judiciaire et pénitentiaire a en fait été bloqué par les autorités rebelles.

Le processus d'identification des citoyens qui a pris fin en septembre 2008 a abouti à la délivrance de quelque 750 000 jugements supplétifs tenant lieu de certificats de naissance. Néanmoins, le processus d'inscription sur les listes électorales qui a débuté le 15 septembre a été interrompu à plusieurs reprises à cause d'attaques menées par des groupes de jeunes pro-gouvernementaux contre des bureaux d'inscription.

Des violences motivées par des considérations politiques

Plusieurs cas de violence à caractère politique ont été relevés. Ils étaient le fait de groupes pro-gouvernementaux qui ont pris pour cible des personnes membres de l'opposition politique ou perçues comme telles. Dans l'ouest de la Côte d'Ivoire, plusieurs citoyens se sont vus empêchés d'assister aux audiences foraines sur la citoyenneté en raison de la présence de miliciens armés. En août 2008, des jeunes pro-gouvernementaux ont pris d'assaut l'hôtel où logeait la secrétaire générale du RDR (Rassemblement des Républicains, parti de l'opposition). En octobre et novembre, à Abidjan, la capitale commerciale, ainsi que dans l'ouest du pays, de nombreuses attaques ont eu lieu contre des centres d'inscription des électeurs, au cours desquelles des jeunes ont harcelé et menacé les agents électoraux et les personnes qui faisaient la file. Ils ont également volé des ordinateurs et autre matériel servant aux inscriptions. Ces attaques ont perturbé le processus et l'une d'elles a provoqué une suspension temporaire de l'inscription sur les listes électorales.

Cependant, à quelques exceptions près, les responsables politiques de tous les partis ont parcouru le pays sans entraves. En mai, le Président Gbagbo a appelé publiquement un groupe d'étudiants connu pour sa position pro-gouvernementale, impliqué dans des actes de violence en faveur du parti au pouvoir, à s'abstenir de perpétrer de tels actes.

Rares ont été les cas de discours xénophobes au vitriol comparables à ceux qui avaient prévalu au plus fort de la crise en 2002-2003. En août, l'Assemblée nationale a adopté une loi criminalisant le racisme, la xénophobie et le tribalisme, prévoyant des peines pouvant aller jusqu'à 20 ans si l'infraction est commise dans les médias, à l'occasion d'un rassemblement politique ou par un fonctionnaire du gouvernement. Les détracteurs de la loi ont relevé que certaines de ses dispositions sont rédigées de façon si générale qu'elles menacent la liberté d'expression.

Extorsion et racket

Partout dans le pays, tant les rebelles que les membres de la police, de la gendarmerie, de l'armée et des services douaniers se sont fréquemment livrés à des actes d'extorsion, de racket, d'intimidation ainsi qu'à des agressions physiques aux postes de contrôle routiers. Les initiatives prises par le gouvernement-entre autres une reconnaissance publique du problème et une enquête parlementaire à ce sujet, des opérations traquenards et des efforts limités pour poursuivre en justice les auteurs présumés-n'étaient pas parvenues, à la fin de l'année, à réduire de façon considérable l'ampleur de ces crimes. Le racket a été accusé de faire monter les prix déjà élevés des denrées alimentaires. Les efforts déployés par l'ONU pour démanteler les nombreux postes de contrôle ont généralement été suivis par l'érection de nouvelles barricades.

Criminalité et État de droit

Tout au long de l'année, les Ivoiriens ordinaires ont fréquemment été victimes de délits violents, notamment de vols à main armée, d'attaques perpétrées par des bandits de grand chemin, de meurtres, de torture et d'abus sexuels, pour lesquels leurs auteurs ont joui d'une impunité quasi-totale. Ces incidents sont le plus souvent survenus dans l'ouest, dans la région nord contrôlée par les rebelles et dans la zone tampon autrefois occupée par les forces internationales de maintien de la paix. Au cours de l'année 2008, ni le gouvernement ni les dirigeants rebelles n'ont pris de mesures significatives pour ouvrir des enquêtes ou réclamer des comptes aux responsables de ces actes.

Dans la partie sud contrôlée par le gouvernement, les lacunes du système judiciaire, telles que la corruption généralisée et le manque d'indépendance de la branche exécutive, constituent un obstacle majeur pour les victimes qui cherchent à obtenir justice et pour rétablir le respect de l'État de droit. Ceux qui ne sont pas en mesure de soudoyer les juges et autres fonctionnaires se heurtent régulièrement à un déni de justice.

Dans le nord, les dirigeants rebelles semblent manquer à la fois de la capacité et de la volonté nécessaires pour réclamer des comptes aux membres de leurs forces de plus en plus fragmentées. Les luttes intestines qui divisent les commandants se sont soldées par de nombreux actes de détention arbitraire et de torture, des disparitions forcées et des meurtres commis par les bandes rebelles rivales. Les commandants de zone font quelques efforts limités pour rendre une justice arbitraire, méprisant totalement les droits les plus élémentaires de la défense. La détention provisoire prolongée est monnaie courante, notamment pour les personnes accusées de délits mineurs, et des sources dignes de foi ont rapporté que les membres des Forces nouvelles recourent au passage à tabac et à la torture pour arracher des aveux.

L'ONU a organisé de nombreuses sessions de formation destinées au personnel policier, judiciaire et pénitentiaire. Par ailleurs, avec l'UE, elle a réhabilité des tribunaux et des établissements pénitentiaires du nord qui avaient été détruits lors des hostilités de 2002-2003.

Dans l'ouest du pays, les conflits intercommunautaires portant sur les droits fonciers ont causé beaucoup de pertes en vies humaines et autres violences et ils ont ralenti le retour des dizaines de milliers de personnes déplacées lors du conflit armé de 2002-2003.

Violences sexuelles

Les cas de violence sexuelle contre les femmes et les filles ont été fréquents, notamment lors d'attaques à main armée dans des transports publics et, dans une moindre mesure, aux postes de contrôle gardés par les rebelles des Forces nouvelles et les forces de sécurité gouvernementales. Dans certains cas, particulièrement dans l'ouest de la Côte d'Ivoire, les victimes de violence sexuelle sont ciblées sur la base de leur nationalité ou groupe ethnique. L'accès des victimes aux soins de santé et à une assistance juridique est extrêmement limité. Les efforts déployés pour engager des poursuites sont entravés par les lacunes dont souffre le système judicaire, surtout dans le nord, et par les non-lieux rendus régulièrement suite aux règlements à l'amiable conclus entre les familles des victimes et les auteurs.

Responsabilité pour les exactions commises par le passé

Le Conseil de sécurité de l'ONU n'a pas encore rendu publics les résultats de la Commission d'enquête de l'ONU sur les violations graves des droits humains et du droit international humanitaire commises depuis septembre 2002. Ces conclusions ont été remises au secrétaire général de l'ONU en novembre 2004. En septembre 2003, le gouvernement ivoirien a reconnu la compétence de la Cour pénale internationale (CPI) pour les crimes graves commis sur son territoire. Néanmoins, comme les années précédentes, il n'a cessé de battre en brèche la mission prévue par la CPI pour évaluer la possibilité d'ouvrir une enquête sur lesdits crimes.

Les acteurs clés au niveau international

Depuis 2004, le parti au pouvoir a eu recours de manière efficace à l'intimidation et aux pressions politiques pour neutraliser les critiques et réduire au minimum l'influence de l'ONU, de l'UE et de la France. Tout au long de l'année 2008, ces partenaires clés ainsi que la CEDEAO se sont montrés réticents à critiquer publiquement les acteurs ivoiriens pour la lenteur avec laquelle ils mettent en œuvre l'Accord de Ouagadougou, et ils ont été encore beaucoup moins enclins à les critiquer pour le rôle qu'ils jouent dans la perpétuation des graves problèmes de droits humains.

Depuis 2004, l'ONU dispose sur le terrain d'une mission de maintien de la paix, l'Opération des Nations unies en Côte d'Ivoire (ONUCI), qui à la fin de l'année comptait 8 000 casques bleus déployés sur l'ensemble du territoire, appuyés par quelque 1 800 soldats français. En 2008, le Bureau d'appui pour la consolidation de la paix et le Fonds pour la consolidation de la paix ont accepté d'affecter cinq millions de dollars aux programmes de réintégration pour ex-combattants et autres programmes.