Le Président Zine al-Abidine Ben Ali et le parti au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique, dominent la vie politique en Tunisie. Le gouvernement utilise la menace du terrorisme et de l'extrémisme religieux comme prétexte pour réprimer la contestation non violente. Des informations persistantes et fiables font état d'un recours à la torture et aux mauvais traitements pour obtenir des déclarations de la part de suspects en détention.
Au pouvoir depuis 1987, Ben Ali a annoncé qu'il briguerait un cinquième mandat en 2009. Les autorités maintiennent en position de faiblesse les quelques partis d'opposition du pays et les marginalisent par le biais de mesures répressives et en les empêchant d'avoir accès à une couverture médiatique.
Le 5 novembre 2008, le président a procédé à la libération conditionnelle des 21 derniers membres emprisonnés du parti islamiste interdit Al-Nahdha. Ceux-ci se trouvaient en prison depuis qu'un tribunal militaire avait reconnu 265 membres et sympathisants du parti coupables d'un complot pour renverser l'Etat, à l'issue d'un procès entaché d'irrégularités en 1992. Toutefois, le nombre total de prisonniers politiques a augmenté ces dernières années car les autorités ont inculpé des dizaines de jeunes hommes en vertu de la loi antiterroriste de 2003. Les autorités ont rendu la vie difficile aux prisonniers politiques relâchés, les surveillant étroitement, leur refusant des passeports et la plupart des emplois, et menaçant d'arrêter à nouveau ceux qui s'exprimaient à propos des droits humains ou de questions politiques.
Défenseurs des droits humains
Les autorités ont refusé d'accorder une reconnaissance légale à toute organisation véritablement indépendante de défense des droits humains qui en a fait la demande au cours de la dernière décennie. Elles ont ensuite invoqué le statut « illégal » de l'organisation pour entraver ses activités.
La Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH), groupe indépendant reconnu légalement, continue à faire face à des actions en justice intentées par des membres dissidents. Or un examen du contexte a montré que ces plaintes soi-disant privées s'inscrivaient dans une démarche répressive : les tribunaux ont systématiquement pris des décisions favorables aux plaignants, donnant un vernis légal à des opérations de police de grande ampleur pour empêcher la plupart des réunions de la Ligue dans ses bureaux de sections dans tout le pays.
Les défenseurs des droits humains et les opposants sont en butte à la surveillance, à des interdictions arbitraires de voyager, à des licenciements, à des perturbations de services téléphoniques et à des agressions physiques. Le 28 juillet 2008, la police a arrêté Mohamed Ben Saïd, membre de la LTDH résidant à Bizerte, sur la base d'une accusation douteuse de défaut d'obéissance à un agent de la circulation, ce qui lui a valu deux mois de prison après un procès inéquitable. Le 28 septembre, les autorités ont incarcéré Tarek Soussi, lui aussi de Bizerte, deux jours après qu'il ait accusé les forces de sécurité « d'enlèvements » sur la chaîne de télévision Al Jazeera à cause de la façon dont elles auraient passé outre les procédures légales d'arrestation. Le tribunal a inculpé Tarek Soussi, membre de l'Association internationale de soutien aux prisonniers politiques, une organisation non reconnue basée à Tunis, pour « avoir répandu avec malveillance de fausses informations susceptibles de troubler l'ordre public » et l'a relâché provisoirement le 25 septembre dans l'attente de son procès.
Le système judiciaire
Dans les affaires ayant un caractère politique, les tribunaux ne garantissent pas aux accusés un procès équitable. Les procureurs et les juges ferment habituellement les yeux sur les présomptions de torture, même lorsque les avocats de la défense demandent officiellement une enquête. Les juges d'instance condamnent les accusés uniquement ou essentiellement sur la base d'aveux extorqués, ou sur les déclarations de témoins auxquels l'accusé n'est pas confronté au tribunal.
Lors de l'examen de la Tunisie en mars 2008 par le Comité des droits de l'homme de l'ONU, les autorités tunisiennes ont annoncé qu'elles accèderaient à la demande que Human Rights Watch formule depuis longtemps déjà de visiter les prisons du pays ; le ministère de la Justice et Human Rights Watch négociaient encore les termes de ces visites lors de la rédaction de ce rapport. Si l'accord est mené à bien, ce sera la première fois depuis 1991 que la Tunisie ouvrira ses prisons à une organisation indépendante de défense des droits humains. Le Comité international de la Croix-Rouge se rend dans les prisons tunisiennes mais, en accord avec son mandat, il délivre ses conclusions seulement au gouvernement et non au grand public.
Selon les organisations et les avocats spécialisés dans la défense des droits humains, les formes de torture et de mauvais traitements les plus courantes pendant les interrogatoires de police sont la privation de sommeil ; les menaces de violer le détenu ou des femmes de sa famille ; les coups, surtout sur la plante des pieds (falaka) ; et la position du « poulet rôti » dans laquelle les détenus sont attachés et suspendus au plafond ou à une barre.
La Tunisie a ratifié la Convention contre la torture et a adopté une législation sévère qui criminalise les actes de torture. Toutefois, en dépit du dépôt de plaintes officielles par des avocats au nom d'accusés dans des centaines de cas ces dernières années, aucun cas dans lequel les autorités auraient exigé des comptes à un agent de l'Etat pour avoir torturé des personnes détenues pour des délits ayant des motifs politiques n'a été porté à la connaissance de l'opinion publique.
Liberté des médias
Aucun des médias de la presse écrite et audiovisuelle ne propose de couverture critique des politiques gouvernementales, en dehors de quelques magazines de faible tirage comme al-Mawkif, un organe du parti d'opposition, qui font l'objet de saisies occasionnelles. La Tunisie a des chaînes de radio et de télévision privées, mais la propriété privée n'est pas synonyme d'indépendance éditoriale. Le gouvernement bloque l'accès à certains sites Web nationaux et internationaux politiques ou des droits humains exposant une couverture critique de la Tunisie, par exemple www.kalimatunisie.com, dont les autorités ont refusé de légaliser l'édition imprimée.
Le journaliste Slim Boukhdir, originaire de Sfax, a écrit des articles en ligne critiquant le président et sa famille pour népotisme. Le 26 novembre 2007, la police l'a obligé à descendre d'un taxi et l'a arrêté. Un tribunal l'a condamné un mois plus tard pour insultes à l'officier de police qui l'a fait arrêter, refus de présenter ses papiers d'identité et « atteinte aux bonnes mœurs », accusations que Boukhdir a rejetées. Les autorités ont affirmé que cette affaire n'avait rien à voir avec la liberté d'expression, mais ce n'était pas la première fois qu'elles emprisonnaient des détracteurs pour des motifs de droit commun qui semblaient non fondés. Elles ont mis Boukhdir en liberté provisoire le 21 juillet 2008, mais ont continué à lui refuser un passeport, situation qu'il subit depuis 2003.
Mesures antiterroristes
Depuis 1991, la Tunisie a fait l'objet d'une seule attaque terroriste meurtrière: en avril 2002, un camion piégé a pris pour cible une synagogue sur l'île de Djerba, acte qui a été revendiqué par Al-Qaïda. Les forces de sécurité ont également affronté des militants armés en décembre 2006 et janvier 2007, en dehors de la capitale.
La Loi de 2003 relative au soutien des « Efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d'argent » donne une définition vague du terrorisme que le Comité de l'ONU des droits de l'homme a critiquée le 28 mars 2008, pour son « manque de précision ». La définition englobe les « actes d'incitation à la haine ou au fanatisme racial ou religieux quels que soient les moyens utilisés à cette fin ». Les autorités ont condamné plusieurs centaines d'hommes, ainsi que quelques mineurs, en vertu de cette loi. Presque tous les condamnés étaient accusés de se préparer à rallier des groupes djihadistes à l'étranger ou d'inciter d'autres personnes à le faire, et non d'avoir projeté ou commis des actes spécifiques de violence.
Les suspects arrêtés dans le cadre de la loi antiterroriste sont généralement en butte à une série d'abus de procédure, à savoir l'absence de notification rapide à leur famille par les autorités, en violation du droit tunisien, la prolongation de la détention avant la mise en accusation au-delà de la limite légale de six jours, et le refus des juges et des procureurs de donner suite aux requêtes pour que le suspect passe un examen médical, un moyen de détecter les signes de torture.
Troubles socioéconomiques
Des troubles sporadiques en réaction à la corruption, au chômage et à la hausse des prix ont éclaté en janvier 2008 dans la région minière touchée par la crise qui entoure la ville de Redhayef, au sud du pays, et ils ont couvé tout au long de l'année. Les autorités ont déployé des forces de sécurité en grand nombre pour réprimer les manifestations, s'emparer de leurs leaders et isoler la région des journalistes et autres personnes essayant de s'y rendre. Le 21 juin, elles ont arrêté le porte-parole du mouvement de protestation, le syndicaliste Adnane Hajji, et l'ont inculpé de « constitution de bande de malfaiteurs » et d'autres délits. Adnane Hajji était toujours en détention provisoire au moment où nous écrivons. Les tribunaux ont prononcé des peines de prison de plusieurs mois à l'encontre de dizaines d'autres personnes pour leur rôle dans les manifestations. Par exemple, les autorités ont arrêté le 27 juillet la militante des droits humains et d'un parti d'opposition Zakia Dhifaoui et six autres personnes qui avaient défilé pacifiquement ce jour-là à Redhayef pour demander la libération des personnes arrêtées pendant les manifestations en cours. Le 15 septembre, une cour d'appel a condamné Zakia Dhifaoui à quatre mois et demi de prison et les six autres à trois mois. Le Président Ben Ali lui a accordé la liberté conditionnelle début novembre, ainsi qu'à une vingtaine d'autres personnes condamnées pour leur rôle dans les manifestations.
Acteurs internationaux clés
En 2008, la Tunisie a annoncé qu'elle accepterait les visites des rapporteurs spéciaux de l'ONU sur la torture et sur la promotion et la protection des droits humains dans la lutte antiterroriste, mais elle n'a encore jamais conduit de mission au moment où nous écrivons.
La France est le principal partenaire commercial de la Tunisie et son quatrième investisseur étranger. En avril 2008, le Président Sarkozy, pour sa deuxième visite officielle en Tunisie, a déclaré lors d'un diner de réception offert par le Président Ben Ali : « Aujourd'hui, l'espace des libertés progresse [en Tunisie]....J'ai pleinement confiance dans votre volonté de vouloir continuer à élargir l'espace des libertés en Tunisie ». Ni Sarkozy, ni sa secrétaire d'Etat aux droits de l'homme, Rama Yade, qui l'accompagnait lors de ce voyage, n'ont formulé de critiques publiques à propos des droits humains. En revanche, la présidence française a annoncé au cours de sa visite l'achat par Tunisair de plusieurs avions Airbus.
Les Etats-Unis entretiennent de bonnes relations avec la Tunisie et la saluent comme un allié contre le terrorisme, tout en insistant sur les progrès à réaliser en matière de droits humains dans ce pays d'une voix plus forte qu'ils ne le font dans la plupart des autres pays de la région. Au cours de sa première visite en Tunisie comme secrétaire d'Etat, Condoleezza Rice a rencontré Ben Ali le 6 septembre et a dit plus tard aux journalistes qu'en dépit de certaines réformes politiques, « nous avons été très clairs sur le fait que nous espérons que la Tunisie en fera plus ». Elle a exprimé son souhait que « l'accès aux médias, la liberté de l'internet, l'accès à la télévision pour l'opposition seraient réellement inclus » dans les préparatifs de l'élection de 2009.
Si les Etats-Unis n'apportent qu'une aide financière minime à la Tunisie, le Département de la Défense fournit une formation à la lutte contre le terrorisme et des programmes d'échange à l'armée.