Les violences politiques continuent à déstabiliser le Tchad et la situation des droits humains reste médiocre. Plus de 400 000 civils vivent dans des camps de réfugiés et de personnes déplacées le long de la frontière avec le Soudan, à l'est du Tchad, exposés au risque d'atteintes aux droits humains, tels que le recrutement d'enfants soldats et les violences sexistes. Nombre de civils touchés par le conflit vivent dans des parties rurales et reculées de l'est du Tchad que l'insécurité met hors de portée des acteurs humanitaires, dont certaines zones sous le contrôle de groupes rebelles tchadiens.
L'année écoulée a vu une terrible escalade du conflit par procuration qui oppose depuis trois ans le Tchad et le Soudan. Une tentative de coup d'Etat des rebelles tchadiens soutenus par le Soudan a failli renverser le gouvernement du président tchadien, Idriss Deby Itno, et une attaque menée en mai par des rebelles soudanais appuyés par le Tchad a porté les combats jusque dans les rues d'un faubourg de Khartoum. Les efforts de l'Union africaine pour améliorer les relations entre N'Djamena et Khartoum se sont avérés infructueux.
Tentative de coup d'Etat de février 2008
Les rebelles tchadiens soutenus par le Soudan ont envahi le Tchad à partir de bases situées au Darfour en janvier. Le 2 février, les forces rebelles et gouvernementales s'affrontaient à N'Djamena, capitale du Tchad. Les chars et les hélicoptères du gouvernement ont causé de graves destructions aux installations civiles, dont le marché central. Plus de 400 civils ont été tués et plus de 1 000 ont été blessés avant que les rebelles ne se retirent au Darfour le lendemain. Les conséquences du conflit ont amené les rebelles tchadiens dans le nord du Cameroun, en même temps que 30 000 réfugiés tchadiens.
Juste après la tentative de coup d'Etat, trois dirigeants éminents de l'opposition ont été arrêtés. Deux d'entre eux ont ensuite été relâchés, mais Ibni Oumar Mahamat Saleh, le porte-parole d'une coalition de partis d'opposition, a « disparu ». Des sympathisants présumés des rebelles ont fait l'objet d'arrestations arbitraires par les forces de sécurité, tout comme des membres de groupes ethniques associés aux mouvements rebelles. Au cours de leur détention, de nombreux civils ont été torturés et la plupart n'ont pas bénéficié de procès équitables.
En mars, le gouvernement a réuni une Commission d'enquête pour mener des investigations sur les crimes commis à la suite de la tentative de coup d'Etat de février. La Commission a remis un rapport en septembre qui impliquait la Garde Présidentielle du Président Deby dans la disparition d'Ibni Oumar Mahamat Saleh et qui concluait que des membres des forces de sécurité tchadiennes étaient responsables de crimes tels que des arrestations arbitraires, des assassinats, des actes de torture et des viols. Les hélicoptères du gouvernement tchadien ont été incriminés pour des attaques indiscriminées contre des civils. Le rapport de la Commission représente un pas important vers l'obligation de rendre des comptes, mais il n'identifiait pas d'auteurs spécifiques de ces exactions. L'organisme de suivi créé par le gouvernement pour poursuivre le travail de la Commission est composé de 10 ministres et du Premier ministre, un manque d'indépendance qui traduit une volonté politique limitée de faire avancer les investigations.
Force UE-ONU de protection des civils
En septembre 2007, le Conseil de sécurité de l'ONU a approuvé une opération hybride de l'Union européenne et des Nations Unies chargée de la protection des réfugiés et des personnes déplacées internes dans l'est du Tchad. Le déploiement de la composante humanitaire de l'ONU, la Mission des Nations Unies en République Centrafricaine et au Tchad (MINURCAT), a subi des retards importants, et ses activités de protection dans les camps de réfugiés et de personnes déplacées ont été négligeables en 2008.
Le déploiement du volet militaire, la Force de l'Union européenne (EUFOR Tchad/RCA), a commencé en février 2008, et les 3 300 soldats de l'EUFOR ont réussi à entretenir un sentiment de sécurité dans quelques zones de l'est du Tchad, en particulier dans les grandes villes, les camps de réfugiés et les sites de personnes déplacées internes. Toutefois, les personnes déplacées internes et d'autres civils affectés par le conflit en dehors des grandes villes ont reçu peu de protection de l'EUFOR, et les attaques contre les acteurs humanitaires dans l'est du Tchad ont augmenté en dépit de la présence de l'EUFOR sur le terrain.
En décembre, le Conseil de sécurité de l'ONU devrait étendre l'opération en ajoutant jusqu'à 3 000 membres et en remplaçant les soldats de l'Union européenne par des soldats de maintien de la paix de l'ONU.
Réfugiés et personnes déplacées internes
Plus de 220 000 réfugiés du Darfour et plus de 180 000 personnes déplacées internes se trouvent dans l'est du Tchad. La plus grande partie de cette population est concentrée dans des camps « officiels » de la zone frontalière Tchad-Soudan, mais des milliers d'autres personnes déplacées internes vivent dans des sites reculés « non officiels ».
En dépit des violences et de l'insécurité actuelles, les agences d'aide humanitaire ont réduit les rations alimentaires des personnes déplacées internes. Venant s'ajouter à la hausse des prix des produits de base, cette réduction a poussé ces personnes à retourner dans leurs villages pour cultiver leurs terres. Les camps pour personnes déplacées internes et réfugiés se sont militarisés. Il y a une fréquence élevée d'exactions sexistes dans les camps, à savoir des violences domestiques, des viols, des mariages précoces, des mariages forcés, et de la traite d'enfants. Les tâches quotidiennes, par exemple la collecte de bois pour le feu, exposent les femmes et les filles aux violences sexuelles. Les menaces et les attaques contre les travailleurs de l'aide humanitaire ont incité de nombreuses organisations à se retirer de la région, laissant de nombreux civils privés d'accès à l'aide humanitaire.
L'utilisation et le recrutement d'enfants soldats
L'utilisation et le recrutement d'enfants soldats par les forces gouvernementales et les groupes paramilitaires alliées se poursuivent. Le recrutement d'enfants dans l'Armée nationale tchadienne (ANT) est courant dans les sites où se réfugient de personnes déplacées internes de la zone de Goz Beida dans l'est du Tchad. Les enfants se trouvant dans les camps de réfugiés soudanais dans l'est du Tchad font aussi l'objet de recrutement, principalement par le Mouvement pour la justice et l'égalité (en anglais JEM), un groupe rebelle soudanais qui reçoit l'appui du gouvernement tchadien.
Le gouvernement est parvenu à un accord formel avec le Fonds des Nations Unies pour l'enfance pour démobiliser tous les enfants de l'ANT en mai 2007, mais plus de 93 pour cent des 512 enfants libérés de l'armée gouvernementale jusqu'ici étaient d'anciens membres de factions rebelles qui avaient rejoint l'ANT sous les auspices d'accords de paix.La démobilisation d'enfants soldats de l'ANT elle-même a été négligeable. En août 2008, le groupe de travail du Conseil de sécurité de l'ONU sur les enfants dans les conflits armés a confirmé la poursuite de l'utilisation et du recrutement d'enfants soldats par toutes les parties. Le groupe de travail a noté que ses recommandations énoncées dans un rapport de septembre 2007 n'avaient pas été mises en pratique par le gouvernement.
Projet d'oléoduc de la Banque mondiale
En 1998, la Banque mondiale a prêté 1,2 milliard USD pour un oléoduc entre les champs de pétrole dans le sud du Tchad et une installation de chargement en mer au Cameroun, donnant une impulsion à l'industrie pétrolière du Tchad. Le très controversé Programme de la Banque mondiale pour la gestion des revenus obligeait le gouvernement à consacrer la majorité de ses revenus pétroliers à des secteurs prioritaires tels que la santé et l'éducation. En septembre, au milieu d'accusations selon lesquelles les fonctionnaires n'avaient pas la volonté de respecter ces conditions, le Programme de gestion des revenus a été arrêté. Invoquant le non respect par le gouvernement des conditions du prêt, la Banque mondiale a obtenu le remboursement anticipé du solde restant dû, mettant fin à l'implication de la Banque dans le projet d'oléoduc et libérant le gouvernement de son obligation d'affecter des revenus à la réduction de la pauvreté. Les recettes du gouvernement pour la durée du projet de la Banque mondiale s'élevaient à au moins 2,5 milliards USD.
Procès d'Hissène Habré
Le parlement sénégalais a adopté un amendement constitutionnel en juillet supprimant le dernier obstacle légal aux poursuites judiciaires contre l'ancien président tchadien Hissène Habré, qui est mis en accusation pour crimes contre l'humanité et torture durant l'exercice de son mandat de 1982 à 1990. La nouvelle législation a modifié une loi de 2007 qui permettait d'engager des poursuites dans les cas de génocide, de crimes contre l'humanité, de crimes de guerre et de torture, y compris les crimes commis hors du Sénégal. La nouvelle loi comprend les crimes commis antérieurement à la promulgation de la loi de 2007.
Les procureurs procèdent aux auditions des victimes et des anciens fonctionnaires du régime d'Hissène Habré et ils examinent quatorze plaintes déposées en septembre, en même temps que des preuves documentaires contenues dans les dossiers de la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), l'ancienne police politique du Tchad. En s'appuyant sur un examen des preuves, le ministère public décidera de porter ou pas des accusations formelles.
En août, les procureurs du Tchad ont accusé Hissène Habré d'avoir soutenu des groupes rebelles impliqués dans l'attaque manquée contre N'Djamena en février, et ils l'ont condamné à mort par contumace. Le ministre de la Justice du Sénégal a exprimé sa préoccupation sur le fait que cette décision puisse interférer avec les poursuites engagées par le Sénégal contre Hissène Habré, mais les autorités tchadiennes ont insisté sur le fait que le jugement concernait seulement les événements de février 2008.
Acteurs internationaux clés
La France a plus de 1 000 soldats stationnés en permanence au Tchad et elle a fourni des renseignements militaires, une assistance logistique, des services médicaux et des munitions à l'armée tchadienne. Pendant la tentative de coup d'Etat en février, des conseillers militaires français ont fourni des renseignements à leurs homologues tchadiens et la France a organisé la livraison de munitions pour les chars des forces gouvernementales encerclées dans la nuit du 2 février. A la suite des événements de février, les pressions exercées par la France ont grandement contribué à contraindre le gouvernement à créer la Commission d'enquête pour mener des investigations sur d'éventuels crimes de guerre. La France, aux côtés d'autres acteurs internationaux, jouera un rôle essentiel pour garantir que la commission de suivi soit composée de façon plus appropriée qu'au moment de la rédaction de ce rapport et qu'elle travaille avec rigueur et efficacité.
Les Etats-Unis continuent de former les commandos tchadiens pour la lutte contre le terrorisme dans le cadre de l'Initiative transsaharienne de lutte contre le terrorisme. Toutefois, en 2008, l'assistance en matière de sécurité au Tchad a fait l'objet d'un examen au Congrès américain : en septembre, le sénateur Richard J. Durbin a écrit à la secrétaire d'Etat des Etats-Unis, Condoleezza Rice, en mettant en cause le fait que les Etats-Unis ont fourni une assistance militaire au Tchad malgré son bilan médiocre en matière de droits humains. La Loi sur l'obligation de rendre compte en matière d'utilisation d'enfants soldats (Child Soldiers Accountability Act), qui a été signée en octobre, permet de poursuivre sur le sol américain tout individu pour l'utilisation et le recrutement d'enfants soldats, même si les enfants ont été recrutés ou ont servi en tant que soldats hors des Etats-Unis. Etant donné l'utilisation systématique d'enfants soldats dans les forces gouvernementales tchadiennes, la nouvelle loi américaine pourrait potentiellement être appliquée à des fonctionnaires tchadiens.
Le Tchad doit être examiné dans le cadre du mécanisme d'Examen périodique universel du Conseil des droits de l'homme de l'ONU en mai 2009.