Terrorisés et abandonnés

L’anarchie, le viol et l’impunité dans l’ouest de la Côte d’Ivoire

Terrorisés et abandonnés

L'anarchie, le viol et l'impunité dans l'ouest de la Côte d'Ivoire

Carte de la Côte d'Ivoire
Carte de l'extrême ouest de la Côte d'Ivoire
Résumé
Recommandations
Méthodologie
Contexte
Prélude à la crise
Guerre civile
Accords de paix
Institutions de l'État de droit affaiblies
Échec du programme de Désarmement, démobilisation et réinsertion
Violence et anarchie dans l'ouest de la Côte d'Ivoire
Criminalité généralisée commise par les «coupeurs de route»
Attaques dans les villes et les villages
Violences sexuelles généralisées
Identifier les criminels
Défaillance de l'État : Insécurité et impunité
Défaillance des autorités de l'État relative à la protection contre des dommages aux particuliers
Défaillance des autorités de l'État relative au devoir d'enquêter sur les crimes qui leur sont signalés
Faillite du système judiciaire
Recours à la sécurité d'autodéfense : l'embauche de Dozos
Actes d'extorsion et de racket commis par les autorités de l'État et les Forces nouvelles
Le Moyen Cavally, région contrôlée par le gouvernement
Les Dix-Huit Montagnes, région contrôlée par les Forces nouvelles
Remerciements

Carte de la Côte d'Ivoire

© 2010 John Emerson / Human Rights Watch

Carte de l'extrême ouest de la Côte d'Ivoire

© 2010 John Emerson / Human Rights Watch

Résumé

Alors que la Côte d'Ivoire s'achemine vers une élection présidentielle longtemps retardée et prévue désormais pour le 31 octobre 2010, l'extrême ouest du pays connait une situation proche de l'anarchie. Ici, le pouvoir des armes l'emporte et l'État de droit s'est tout simplement désintégré dans un contexte croissant de violences politiques, liées au conflit et criminelles. Les gangs criminels, les policiers, les gendarmes et les forces rebelles infligent à la population un flux incessant d'exactions, notamment des actes de banditisme, des agressions, des extorsions et le viol de femmes, de filles et même de bébés. Les institutions de l'État chargées de la prévention et de faire rendre des comptes aux auteurs de ces violences se sont largement abstenues d'agir, permettant à une dangereuse culture de l'impunité de s'installer.

Les zones les plus touchées sont les régions administratives de l'ouest du Moyen Cavally et de Dix-Huit Montagnes où les gangs criminels attaquent la population et lui font subir de façon généralisée des exactions dans les maisons, sur les trajets menant au marché ainsi que pendant les déplacements entre les villages et les villes régionales principales.

Le droit international des droits humains fait obligation au gouvernement de la Côte d'Ivoire de respecter le droit à la vie, le droit à l'intégrité physique, le droit à la liberté et la sécurité de la personne et le droit d'être libre de toute discrimination, qui comprend une obligation pour les États de prendre les mesures appropriées afin d'éliminer la violence sexuelle et basée sur le genre. En conséquence, l'État -dirigé par le président, qui est également commandant en chef des forces armées- doit prendre toutes les mesures raisonnables pour protéger les personnes se trouvant sur son territoire ou relevant de sa juridiction, notamment en soutenant les enquêtes et les poursuites menées contre les individus qui enfreignent ces droits. Mettre fin à l'impunité qui permet la prolongation des violences et d'autres pratiques criminelles exige une autorité exercée aux plus hauts niveaux de l'État. Des patrouilles préventives effectuées par la police et les gendarmes, en particulier les jours de marché et pendant la saison des récoltes, pourraient également contribuer grandement à améliorer la sécurité.

Les problèmes de la région plongent leurs racines dans la crise sociale, politique et militaire qui déchire la Côte d'Ivoire depuis 2000, accélérant le déclin économique, creusant les divisions politiques et ethniques et aboutissant à de graves atteintes aux droits humains. Après la fin des hostilités actives en 2003, le pays s'est installé dans un état de «ni paix ni guerre», et s'est retrouvé divisé entre le nord contrôlé par les rebelles et le sud contrôlé par le gouvernement. En 2007, les parties belligérantes ont signé l'Accord politique de Ouagadougou, qui prévoyait des dispositifs pour l'identification des citoyens, l'inscription sur les listes électorales, le désarmement et la réunification du pays. Toutefois, il y a eu des retards immédiats dans la mise en application : les élections présidentielles ont été reportées six fois ; le désarmement s'est avéré un échec presque total ; et le pays est resté divisé. En outre, l'échec du gouvernement à restaurer l'État de droit dans l'ouest -la région la plus touchée par le conflit et avec la plus forte concentration d'armes- a permis à des bandes d'anciens combattants armés et autres jeunes armés de gagner leur vie en se livrant au banditisme et à d'autres formes de criminalité.

Un problème particulier, notamment dans les régions sujettes à la violence du Moyen Cavally et de Dix-Huit Montagnes, est celui du système judiciaire gravement compromis. Il n'y a pas de tribunal de première instance en fonctionnement ni de prison dans tout le Moyen Cavally, ce qui oblige les victimes à se déplacer entre 70 et 250 kilomètres jusqu'au palais de justice de Daloa, situé dans la région voisine du Haut-Sassandra. Si un tribunal de première instance existe bien à Man, ville principale de Dix-Huit Montagnes, il demeure pour l'essentiel non-opérationnel en raison d'un manque de personnel judiciaire essentiel de l'État et de l'autorité de fait des forces rebelles connues sous le nom de Forces nouvelles(FN). La corruption et le manque de personnel font que les quelques affaires qui sont jugées aboutissent souvent à la libération prématurée de détenus qui sont en détention provisoire ou même condamnés. Le gouvernement a échoué à prendre des mesures adéquates pour améliorer la sécurité et l'accès à la justice, alors même que des partenaires internationaux comme l'Union européenne et la Banque mondiale déversent des centaines de millions de dollars pour le développement du secteur judiciaire et sécuritaire.

Les fonctionnaires de police et de gendarmerie présentent un autre problème, celui de faillir régulièrement à leurs devoirs de protéger, d'enquêter ou d'empêcher l'anarchie. Les victimes ont décrit comment à maintes reprises les agents de la sécurité ont refusé d'engager des poursuites et des enquêtes contre des éléments criminels, même quand des attaques étaient signalées à des points de contrôle distants de quelques kilomètres à peine de la scène de violences physiques et sexuelles brutales. Au contraire, en fait, les autorités de l'État exigent souvent des pots-de-vin des victimes pour recueillir leurs plaintes, dont la plupart trainent auprès d'autorités qui manifestent peu d'intérêt à enquêter ou à arrêter les criminels. Et même lorsque des arrestations ont lieu, les auteurs présumés sont souvent libérés dans les 24 ou 48 heures -ce qui laisse les victimes déçues par les autorités et terrifiées par l'éventualité d'une vengeance.

Policiers et gendarmes se livrent aussi à des actes systématiques d'extorsion aux postes de contrôle et aux barrages routiers. Dans le Moyen Cavally contrôlé par le gouvernement, des agents de l'État s'en prennent régulièrement aux personnes en pratiquant l'extorsion et parfois, en frappant, volant et détenant arbitrairement des habitants sous prétexte qu'ils n'ont pas de cartes d'identité correctes. Les populations d'immigrants du nord de la Côte d'Ivoire et des pays voisins sont les cibles de traitements particulièrement brutaux. Pendant ce temps, dans la région de Dix-Huit Montagnes contrôlée par les Forces nouvelles, les forces rebelles se dispensent complètement de ce prétexte et réclament simplement de l'argent aux habitants et aux commerçants par la menace, l'intimidation ou la force. Les rebelles, qui accumulent une manne financière par le biais de cette extorsion de fonds, maintiennent activement leur contrôle en dépit du redéploiement de nombreuses autorités de l'État dans la moitié nord du pays -y compris aux Dix-Huit Montagnes dans l'ouest du pays.

Tous les niveaux de l'autorité de l'État et des rebelles semblent être soit directement impliqués dans ces actes d'extorsion, soit complices de ces pratiques du fait qu'ils s'abstiennent de réprimander, et encore moins de punir, leurs subordonnés. En outre, la fréquence des points de contrôle affaiblit encore la situation sécuritaire déjà précaire en réduisant la confiance de la population à l'égard des forces respectives et en incitant les personnes à emprunter des routes secondaires avec moins de points de contrôle, où la criminalité est omniprésente.

Au Moyen Cavally et dans les Dix-Huit Montagnes, les désormais tristement célèbres «coupeurs de routes», ou bandits de grand chemin, s'en prennent en particulier aux personnes se déplaçant lors de la récolte de cacao et les jours de marché, lorsque les victimes transportent généralement de plus grosses sommes d'argent. Nombre d'habitants et de victimes ont fait état d'attaques pratiquement quotidiennes durant la récolte de cacao, et routinières les jours de marché tout au long de l'année.

Des groupes de bandits établissent des barrages routiers improvisés puis encerclent leurs victimes qui marchent le long des routes ou voyagent en transport en commun. Presque toujours masqués, ils sont armés de kalachnikovs, de fusils de chasse, de longs couteaux et de machettes. Les routes secondaires entre les villes et les villages environnants sont notoirement dangereuses. Les bandits travaillent avec minutie, déshabillant souvent leurs victimes complètement pour s'assurer qu'ils trouvent jusqu'à la dernière pièce de monnaie, infligeant des sévices corporels et parfois tuant les personnes qui refusent de renoncer à leur argent ou qui tentent de les identifier.

Des centaines de femmes et de filles ont été agressées sexuellement, violées et violées en groupe lors de ces actes criminels. Les femmes et les filles sont systématiquement sorties des véhicules de transport, une par une, et emmenées dans la brousse où elles sont violées tandis que d'autres bandits montent la garde. On compte parmi les victimes des enfants très jeunes, y compris des bébés, et des femmes de plus de 70 ans. Lors d'attaques à domicile, des maris sont ligotés et forcés à regarder tandis que leurs épouses, leurs filles et d'autres parentes sont violées. Des femmes sont parfois enceintes à la suite de ces agressions, même si le non-signalement et des avortements à risques et clandestins masquent probablement de nombreux autres cas.

Des chauffeurs routiers, des producteurs de cacao et des femmes se rendant au marché ont du mal à joindre les deux bouts tandis qu'ils négocient entre les bandits armés, qui perpètrent des actes criminels violents de façon constante, et les forces de sécurité qui non seulement ont peu de chances d'enquêter sur ces crimes, mais se livrent de plus à leurs propres comportements prédateurs.

Leur peur irrésistible de se déplacer le long des routes a amené certains habitants à modifier considérablement leur mode de vie ; pour nombre d'entre eux, cette peur a gravement compromis ou détruit leurs moyens de subsistance. D'autres vivent simplement avec la crainte qu'une attaque se produise la prochaine fois qu'eux ou bien un proche se rendra à pied au marché ou voyagera pour vendre du cacao. Si voyager de nuit est totalement impossible dans la plupart des régions en raison de la situation sécuritaire, de jour c'est à peine mieux. La grande majorité des dizaines d'attaques de route que Human Rights Watch a documentées a eu lieu pendant la journée.

Au moins quelques criminels au Moyen Cavally appartiennent aux milices, ou à d'anciennes milices, qui ont été activement armées et soutenues par le gouvernement ivoirien lors du conflit armé de 2002-2003 et de ses suites. Le désarmement prévu de ces groupes, et des rebelles des Forces nouvelles, a été un échec presque total, autorisant une utilisation généralisée et persistante des armes à feu, en particulier des kalachnikovs. Des gangs de jeunes hommes ont exploité la disponibilité des armes et la détérioration de l'État de droit pour exercer des ravages contre la population.

Tandis que les autorités ivoiriennes, l'ONU et la communauté diplomatique se sont concentrées principalement sur l'organisation des élections du 31 octobre, la population continue de subir une criminalité galopante avec peu ou pas de recours à la justice. Les citoyens ivoiriens n'ont guère confiance dans la volonté ou la capacité des autorités à stopper effectivement les auteurs d'exactions, et encore moins de leur demander des comptes. Tant que les structures étatiques ne fonctionnent pas, et que les autorités de l'État donnent la priorité à l'extorsion sur la protection, la population dans l'ouest de la Côte d'Ivoire continuera à souffrir.

Recommandations

Au ministre de l'Intérieur, au ministre de la Défense, au Major Général de la Gendarmerie, et au Directeur Général de la Police Nationale

  • Enquêter sur les lacunes en matière de sécurité pour la population locale dans l'ouest de la Côte d'Ivoire, et fournir une meilleure protection aux communautés contre les attaques menées par des bandits.
    • Renforcer la réponse aux plaintes présentées aux points de contrôle concernant des attaques de bandits survenues à proximité, notamment en recherchant activement les criminels.
    • Assurer une allocation efficace des ressources pour des postes de contrôle, y compris la dotation en personnel et en équipement, et sanctionner les fonctionnaires qui refusent de répondre aux plaintes.
    • Renforcer les patrouilles les jours de marché et pendant la saison des récoltes, en particulier sur les routes secondaires autour de Duékoué et Guiglo.
    • Mettre au point des plans d'action pour éliminer plus systématiquement les éléments criminels, notamment en menant des opérations dans les communautés et les quartiers où il est avéré que des bandits et des gangs criminels sont implantés.
  • Augmenter considérablement la dotation en personnel et logistique de la police, des gendarmes et des forces des brigades mixtes déployées dans l'ouest de la Côte d'Ivoire, afin qu'ils puissent répondre plus efficacement à la forte incidence des actes criminels perpétrés contre les habitants.
  • Émettre des directives claires à l'intention de la police, des gendarmes et des fonctionnaires des douanes occupant des postes de contrôle dans toute la Côte d'Ivoire de s'abstenir de corruption passive, d'extorsion et d'autres pratiques de corruption.
    • Mettre en place un point focal dans les postes de police et de gendarmerie, ainsi qu'une ligne téléphonique directe, pour que les victimes puissent porter plainte contre des pratiques abusives par les forces de sécurité de l'État.
    • Veiller à ce que ces plaintes fassent l'objet d'une enquête approfondie, et mettre en place des mesures disciplinaires internes au sein des forces de l'ordre afin de prendre des mesures contre les membres des services de sécurité qui commettent des abus à l'encontre de la population.
    • Enquêter de façon préventive et régulière sur le comportement des forces de sécurité aux points de contrôle, même en l'absence de plaintes des habitants.
  • Mettre en place un comité de surveillance indépendant au sein des services et dans tout le pays pour surveiller et évaluer la réaction de la police et de la gendarmerie à tous les crimes, avec un accent particulier sur les cas de violence sexuelle. Inclure des femmes de la société civile locale dans le comité de surveillance.
  • Mener une campagne d'information publique sur le mandat et les emplacements de toutes les forces du Centre de commandement intégré. S'assurer que ces forces portent des uniformes ou des insignes distincts de sorte que la population puisse les distinguer des soldats des Forces nouvelles.

Au ministre de la Justice et des Droits de l'homme, au ministre de l'Intérieur, et au pouvoir judiciaire

  • Mettre en place immédiatement des institutions juridiques fonctionnelles dans la région du Moyen Cavally, notamment par la réhabilitation du bâtiment du tribunal de Guiglo et la construction d'installations de détention. Finaliser sans délai l'accord avec l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI) qui décrit son aide, et les obligations du gouvernement, à remplir ces tâches.
  • Redéployer immédiatement des fonctionnaires judiciaires et pénitentiaires en attente dans le territoire des Forces nouvelles, notamment le personnel carcéral et les officiers de la police judiciaire à la prison et au tribunal de première instance de Man, garantissant au moins un retour à la capacité antérieure au conflit. Veiller à ce que la prison soit sous le contrôle de l'État et non des Forces nouvelles.
  • Améliorer la réponse des forces de l'ordre et du pouvoir judiciaire aux violences sexuelles et basées sur le genre, notamment en recrutant davantage de femmes agents de police agissant comme points focaux dans les postes de police, et en formant le personnel judiciaire et de la sécurité sur la réponse aux violences sexuelles.
  • Conformément aux normes internationales de procès équitable, engager des poursuites contre les membres des forces de sécurité, de la défense et rebelles qui se livrent à des activités criminelles, notamment la sollicitation de pots-de-vin, les arrestations et détentions arbitraires, ou les atteintes physiques contre les personnes qui refusent de payer un pot-de-vin.
  • Enquêter sur les cas de banditisme et de violence sexuelle dans l'ouest de la Côte d'Ivoire, et poursuivre les auteurs conformément aux normes internationales de procès équitable. Poursuivre de manière impartiale les cas impliquant des milices dans le Moyen Cavally et des rebelles des Forces nouvelles dans la région de Dix-Huit Montagnes.

Au ministre de la Santé et de l'Hygiène publique et au ministre de la Famille, de la Femme et des Affaires sociales

  • Améliorer les services aux victimes de violence sexuelle, notamment les services médicaux et de conseil.
    • Mettre en place des services d'urgence médicale gratuite pour les victimes de viol dans tous les hôpitaux publics et centres de santé en Côte d'Ivoire, notamment l'accès à des examens médicaux, à des traitements prophylactiques et antibiotiques post-exposition, des soins psychosociaux et des consultations de suivi.
    • Assurer une couverture suffisante dans les zones sans infrastructures sanitaires adéquates, à travers la formation d'équipes mobiles et des guérisseurs traditionnels.
  • Diffuser l'information sur le traitement des victimes de viol aux centres de santé et aux professionnels à l'échelle nationale.

Au Président et à l'Assemblée nationale

  • Promulguer une loi qui élimine les frais de certificat médical en cas de viol et veiller à ce qu'elle soit appliquée intégralement.
  • Ratifier le Protocole à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique et mettre en œuvre ses dispositions, en particulier en ce qui concerne la violence sexuelle.

Au Président, au Premier ministre et au Centre de commandement intégré

  • Finaliser le processus de désarmement et s'assurer que les armes sont collectées auprès de tous les anciens combattants qui ne sont pas intégrés de façon formelle dans les entités étatiques de l'armée et de la police, notamment des milices et des Forces nouvelles.
  • Autoriser l'inspection et les rapports indépendants de l'ONUCI sur les armes collectées.

Aux Forces nouvelles

  • Cesser les actes d'extorsion et de racket contre les particuliers et les entreprises dans le nord.
  • Conformément à l'Accord politique de Ouagadougou et à son Quatrième accord complémentaire, abandonner le contrôle de la fiscalité, des douanes, du système judicaire et du système pénitentiaire aux fonctionnaires redéployés responsables de ces fonctions. Déclarer publiquement que les fonctions d'État restantes seront immédiatement restituées dès le redéploiement des autres fonctionnaires.
  • Céder le contrôle sur la sécurité et les points de contrôle dans le nord aux forces du Centre de commandement intégré, là où elles sont stationnées, et démanteler tout autre point de contrôle non autorisé.
  • Conformément au Quatrième accord complémentaire à l'Accord de Ouagadougou, remettre au Centre intégré de commandement, en présence des soldats de maintien de la paix de l'ONUCI et des inspecteurs des armes, les armes collectées par les commandants de zones auprès des soldats rebelles. Fournir des statistiques à l'ONUCI, au Centre de commandement intégré et au Programme national pour le Désarmement, la démobilisation et la réinsertion (PNDDR) sur le nombre d'armes collectées et encore en circulation.
  • Permettre au Groupe d'experts des Nations Unies un libre accès pour inspecter toutes les armes sous le contrôle des Forces nouvelles.
  • Veiller à ce que les ex-soldats et les soldats démobilisés des Forces nouvelles ne portent plus d'uniformes militaires, ni d'armes.

À l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire

  • Engager la Division de l'ONUCI chargée des droits humains à entreprendre des enquêtes de terrain sur les atteintes aux droits humains subies par les populations au Moyen Cavally et aux Dix-Huit Montagnes. Veiller à ce que les rapports de ces enquêtes soient accessibles au public.
  • Diffuser publiquement tous les rapports relatifs aux violations des droits humains en Côte d'Ivoire, notamment en publiant régulièrement des mises à jour et des rapports périodiques en ligne.
  • En collaboration avec les forces de sécurité ivoiriennes, augmenter les patrouilles de police de l'ONU autour de Duékoué et Guiglo les jours de marché, surtout en ajoutant des patrouilles qui accompagnent les femmes venant à Duékoué et Guiglo le jour du marché depuis les villages environnants.
  • Encourager et appuyer les autorités ivoiriennes à entreprendre un programme complet et approfondi de Démobilisation, désarmement et réinsertion (DDR) en accord avec les Normes intégrées de DDR (IDDRS) et autres meilleures pratiques reconnues internationalement.
  • Fournir un soutien technique et logistique pour aider les autorités de l'État dans la conduite d'enquêtes approfondies sur les violations des droits humains, en accordant une attention particulière aux violences commises contre les femmes et les filles, comme énoncé dans le mandat de l'ONUCI.

Aux partenaires étrangers du gouvernement ivoirien et aux agences d'aide internationales, notamment l'Union européenne et la Banque mondiale

  • Exiger que le gouvernement ivoirien s'attaque à la situation fragile des droits humains dans le pays, qui a été largement ignorée durant la longue route vers les élections.
  • Exiger que l'ONUCI entreprenne davantage d'enquêtes et de rapports préventifs sur le climat des droits humains en Côte d'Ivoire, et assure un suivi plus poussé auprès du gouvernement au sujet de violations avérées de droits humains et de préoccupations dans ce domaine.
  • Renforcer et élargir le financement des programmes de soutien aux victimes de violence sexuelle, notamment les soins médicaux ainsi que le soutien psychologique et juridique.
  • Entreprendre des campagnes de sensibilisation du public sur la façon et les lieux où les victimes de violences sexuelles peuvent accéder à un traitement confidentiel et gratuit.
  • Dans le cadre du financement ou de la mise en œuvre de programmes concernant l'État de droit, exiger que le gouvernement ivoirien fournisse des résultats tangibles, notamment en augmentant les effectifs et l'infrastructure des principales institutions judiciaires et des tribunaux, et en réduisant la corruption et l'extorsion pratiquée aux points de contrôle par les forces de sécurité. Financer et utiliser des mécanismes indépendants de contrôle et évaluation, tels que les rapports trimestriels de l'Initiative pour l'amélioration de la gouvernance des transports routiers (Improved Road Transport Governance, IRTG), pour déterminer la réussite de l'État dans la lutte contre l'extorsion.

Méthodologie

Ce rapport est basé sur une mission qui s'est déroulée en Côte d'Ivoire durant trois semaines en juillet et août 2010. Il examine principalement les événements survenus dans l'ouest de la Côte d'Ivoire entre janvier 2009 et août 2010.

Deux chercheurs de Human Rights Watch ont mené des entretiens auprès de plus de 80 victimes et témoins d'actes de violence et d'extorsion, ainsi qu'auprès de fonctionnaires du gouvernement ivoirien, de membres des forces de l'ordre et de l'armée, de soldats rebelles, de fonctionnaires de l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire, de représentants d'organisations non gouvernementales ivoiriennes et internationales, de journalistes et de diplomates. Human Rights Watch a aussi recueilli et étudié des preuves documentaires fournies par des victimes, des témoins et des organisations non gouvernementales.

Les recherches ont été menées dans la capitale financière, Abidjan, ainsi que dans les villes de Duékoué, Guiglo, Bangolo, Man, Danané et Daloa. Ces recherches de terrain se sont accompagnées d'un examen approfondi de documents publics et d'études non publiées portant sur la situation des droits humains dans l'ouest de la Côte d'Ivoire et plus généralement sur la crise politico-militaire dans ce pays.

Tous les témoins et les victimes ont été interrogés individuellement lors de conversations en profondeur. La plupart des entretiens ont duré environ une heure. Ils se sont généralement déroulés dans des lieux sûrs convenus avec le témoin ou la victime afin de garantir la sécurité et de répondre à leur peur de représailles. La plupart des victimes de violence sexuelle ont été interrogées en privé, en présence seulement d'une interprète et d'une chercheuse. Dans quelques cas, du personnel appartenant à des organisations locales de femmes et de défense des droits humains était présent pour soutenir les femmes. Seules des femmes étaient présentes pour les entretiens avec des victimes de violence sexuelle. Les entretiens ont été menés en français, ou avec l'aide d'un(e) interprète du français à l'anglais. Lorsque la personne interrogée l'a souhaité, les entretiens ont été menés en dialectes locaux avec une traduction en anglais ou en français.

Les noms des victimes et des témoins ont été modifiés ou dissimulés afin de garantir leur sécurité et celle de leurs familles. Certains détails, tels que les noms de villes et les particularités d'une attaque, ont été supprimés quand ils auraient pu permettre aux criminels d'identifier les personnes interrogées. Cela a été fait souvent à la demande de l'intéressé(e). Les noms de membres du personnel des organisations ivoiriennes et internationales ont également été dissimulés à leur demande pour protéger leur identité, leur vie privée et leur sécurité.

Dans l'ensemble du rapport, les montants monétaires sont calculés selon le taux fixe de 656 francs CFA pour un euro.

Contexte

Pendant plusieurs décennies après son accession à l'indépendance de la France en 1960, la Côte d'Ivoire -un pays diversifié comptant environ 20 millions d'habitants sur la côte sud de l'Afrique de l'Ouest- a prospéré économiquement, même si des parties de sa population sont restées exclues politiquement.

Sous la présidence de Félix Houphouët-Boigny (1960-1993), la Côte d'Ivoire est devenue une puissance économique en Afrique de l'Ouest comme premier pays producteur de cacao et de café. Houphouët-Boigny a mené une politique d'immigration de porte ouverte qui, couplée avec la croissance rapide de l'économie ivoirienne, a attiré des travailleurs migrants venus de toute la région et qui représentent désormais environ un quart de la population.[1] Pendant cette période, le président a dirigé le pays comme un État à parti unique basé sur une coalition ethnique de groupes issus du nord et du centre du pays, laissant de côté de nombreux groupes ethniques du sud et de l'ouest.[2]

À la fin des années 80, l'effondrement des prix du cacao, la rareté des terres et l'augmentation de la dette extérieure ont conduit à une récession économique qui a laissé un nombre croissant de jeunes instruits dans l'incapacité de trouver du travail.[3] Nombre d'entre eux sont retournés dans leurs villages, notamment dans l'ouest du pays, mais pour constater souvent que leurs parents avaient loué les terres à des immigrants et qu'il n'existait pas d'autres terres arables disponibles, ce qui a occasionné de grands nombres de personnes sans emploi dans les villages. Avec la montée du chômage et du mécontentement politique, les partis d'opposition et la société civile ont réclamé une démocratie pluripartite et d'autres réformes, mais les partis nouvellement créés se sont bientôt scindés en fonction de facteurs ethniques et géographiques.

Prélude à la crise

Les questions d'ethnicité et de nationalité ont dominé la campagne électorale qui a précédé les premières élections présidentielles pluripartites en 1995. Les principaux candidats étaient le successeur d'Houphouët-Boigny au sein du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI), Henri Konan Bédié, membre du groupe ethnique des Baoulés du centre géographique de la Côte d'Ivoire ; Laurent Gbagbo, le leader du Front populaire ivoirien (FPI), membre de l'ethnie Bété et originaire du sud du pays ; et Alassane Dramane Ouattara, ancien Premier ministre d'Houphouët-Boigny se présentant alors à la tête du Rassemblement des républicains (RDR), dont les électeurs se trouvent surtout chez les Ivoiriens du nord du pays.[4]

Plusieurs hommes politiques, en particulier Bédié, ont employé les arguments de l'«ivoirité» -un discours politique ultranationaliste axé sur l'identité ivoirienne qui marginalisait les immigrants et autres personnes considérées comme étrangères- pour recueillir des partisans et évincer leurs rivaux politiques. Après qu'Ouattara a été empêché de se présenter à cause de questions relatives à sa citoyenneté, le RDR a boycotté les élections.[5] Gbagbo et le FPI se sont ensuite retirés du fait de préoccupations relatives à la transparence, et Bédié remporta facilement les élections. Durant ses six années au pouvoir, Bédié s'est appuyé fortement sur le favoritisme ethnique des Baoulés et de petits groupes ethniques du centre de la Côte d'Ivoire pour garder le contrôle. La combinaison de l'effondrement des prix du cacao, de la corruption généralisée et des détournements de fonds a mené au ralentissement économique dramatique du pays.

En décembre 1999, le Général Robert Gueï, ancien chef d'état-major de l'armée, s'est emparé du pouvoir grâce à un coup d'État militaire et s'est engagé à superviser un retour à un gouvernement civil avec des élections en 2000.Les promesses initiales de Gueï d'éliminer la corruption et de mettre en place un gouvernement ouvert à tous les Ivoiriens ont été largement saluées par les Ivoiriens, mais elles ont été rapidement éclipsées par ses ambitions politiques personnelles, les mesures répressives contre les membres réels ou supposés de l'opposition et une impunité quasi-totale pour les atteintes aux droits humains commises par le personnel militaire.[6]

En 2000, année des élections, la politique ivoirienne a été divisée de plus en plus selon des facteurs ethniques, régionaux et religieux.[7] Plusieurs semaines avant l'élection présidentielle du mois d'octobre, la junte militaire a estimé qu'une majorité de candidats, notamment Ouattara et l'ancien président Bédié, étaient inéligibles, ce qui a abouti à une compétition entre le Général Gueï et Gbagbo du parti FPI. Après la victoire de Gbagbo aux urnes, le Général Gueï a tenté de ne pas tenir compte des résultats et de rester au pouvoir, ce qui a conduit à des manifestations massives de protestations et à la perte de son soutien militaire. Il a fui le pays le 25 octobre 2000. Gbagbo est devenu président dès le lendemain.

Les sympathisants du RDR ont immédiatement appelé à la tenue de nouvelles élections comprenant tous les candidats et se sont affrontés avec les partisans du FPI et les forces de sécurité de l'État dans toute la Côte d'Ivoire. Les violences, y compris des massacres perpétrés par l'armée et les gendarmes, se sont poursuivies tout au long des élections parlementaires du mois de décembre, faisant plus de 200 morts.[8] La tension politique est restée forte, en particulier dans l'ouest où les discours explosifs à caractère ethnique des dirigeants politiques et de la jeunesse ont exacerbé les conflits fonciers préexistants. Des groupes de jeunes appartenant à divers groupes ethniques et nationaux dans l'ouest de la Côte d'Ivoire, dont les Bété, les Gueré, les Yacouba et les Burkinabé, ont mis le feu à leurs villages respectifs en juin et juillet 2002, entraînant le déplacement vers Daloa et Duékoué de milliers de personnes appartenant à tous les groupes ethniques.[9]

Guerre civile

Le 19 septembre 2002, des rebelles du Mouvement patriotique de Côte d'Ivoire (MPCI), dont les membres provenaient en grande partie du nord musulman du pays, attaquèrent Abidjan, la capitale commerciale de la Côte d'Ivoire, ainsi que les villes de Bouaké et Korhogo dans le nord du pays. Bien que les rebelles n'aient pas réussi à s'emparer d'Abidjan, ils parvinrent rapidement à contrôler la moitié nord du pays. Peu après, le MPCI a été rejoint par deux factions rebelles de l'ouest, le Mouvement populaire ivoirien du Grand Ouest (MPIGO) et le Mouvement pour la paix et la justice (MPJ), formant une alliance politico-militaire appelée les Forces nouvelles, sous la direction de Guillaume Soro.

La partie occidentale du pays a été la plus durement touchée par la guerre, qui a détruit les infrastructures et fait des ravages parmi les populations locales. Certains groupes rebelles libériens utilisaient depuis longtemps l'ouest de la Côte d'Ivoire comme base pour faire entrer des armes et des combattants au Liberia, où la guerre civile ruinait la population depuis plus d'une dizaine d'années ; avant la fin de 2002, des milliers d'armes, en particulier des AK-47 («kalachnikovs»), s'écoulaient dans l'autre sens. En outre, tant le gouvernement ivoirien que les Forces nouvelles recrutaient d'anciens combattants des guerres civiles du Liberia et de la Sierra Leone pour se battre dans l'extrême ouest, où ils ont commis nombre des crimes de guerre brutaux du même type que ceux perpétrés dans ces conflits armés voisins.[10]

Tandis que les Forces nouvelles progressaient vers le sud depuis Man et Danané à travers le Moyen Cavally, le gouvernement ivoirien a réagi en formant et armant un réseau de milices pour appuyer les forces de sécurité ivoiriennes clairsemées.[11] Le Général Denis Maho Glofieï, président des Forces de résistances du Grand Ouest (FRGO), composées d'au moins cinq milices qui ont combattu durant le conflit, a affirmé avoir plus de 25 000 miliciens sous son contrôle dans la région du Moyen Cavally.[12] Les deux parties belligérantes -les rebelles ainsi que les forces gouvernementales et les milices soutenues par le gouvernement - ont commis de graves atteintes aux droits humains, notamment des massacres, des exécutions extrajudiciaires, des actes de torture, ainsi que le recrutement et l'utilisation d'enfants soldats.[13] Les belligérants ont perpétré des actes fréquents de punition collective prenant pour cible des civils considérés comme fidèles à l'autre partie. Tous les belligérants ont commis de façon systématique des violences sexuelles, dont des viols individuels et collectifs, des agressions sexuelles brutales, des incestes forcés et de l'esclavage sexuel.[14]

Un accord de cessez-le-feu a mis fin au conflit armé actif entre le gouvernement et les Forces nouvelles en mai 2003, bien que le recrutement de mercenaires et de graves violations des droits humains contre les populations civiles ont continué.Les violences sexuelles contre les femmes et les filles sont restées généralisées en raison de la faiblesse des institutions légales et sécuritaires qui ont échoué à empêcher les violences, à en poursuivre les auteurs ou à soutenir les victimes.[15] Le pays est resté de fait scindé en deux, les Forces nouvelles contrôlant le nord et le gouvernement contrôlant le sud.

Accords de paix

Depuis la fin officielle des hostilités, les belligérants ont signé un certain nombre d'accords de paix. Aucun de ces accords n'a pu aboutir au désarmement ni à l'unification du pays, ni encore à des améliorations substantielles de l'État de droit. La France, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), l'Union africaine et les Nations Unies ont toutes mené des initiatives pour mettre fin à l'impasse.

Ces efforts ont abouti à une «zone de confiance» divisant le pays en deux moitiés, nord et sud ; à l'engagement français de la Force Licorne, une force militaire de plus de 4 000 soldats au plus fort de la crise, pour aider à stabiliser le pays et surveiller la zone de confiance ; à la mise en place de l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI), qui a culminé à plus de 11 000 soldats du maintien de la paix ; et à l'imposition d'un embargo de l'ONU sur les armes, ainsi que des sanctions économiques et des interdictions de voyager.[16]

En mars 2007, le Président Gbagbo et le chef rebelle Guillaume Soro ont signé l'Accord politique de Ouagadougou (APO), approuvé ensuite par l'Union africaine et le Conseil de sécurité des Nations Unies.[17]L'APO était le premier accord à avoir été négocié directement par les principaux belligérants du pays de leur propre initiative. Il a débouché sur la nomination de Soro au poste de Premier ministre dans un gouvernement d'union nationale, et à l'espoir que la Côte d'Ivoire se dirigeait vers une situation de «ni paix, ni guerre».

L'accord réitérait des objectifs précédemment définis, tels que le désarmement, la réunification du pays (y compris des forces armées et des autorités de l'État unifiées), l'identification des citoyens et l'inscription sur les listes électorales, qui ont été marquées parfois par des violences de faible intensité tandis que les problèmes de citoyenneté et d'ethnicité continuaient de couver.[18] L'APO appelait également à la tenue d'élections présidentielles avant début 2008. Les retards ont été presqu'immédiats. Plus de trois ans après l'Accord de Ouagadougou, et après six reports électoraux, les élections présidentielles n'ont toujours pas eu lieu, même si elles sont prévues pour le 31 octobre 2010.[19]

Institutions de l'État de droit affaiblies

À l'heure actuelle, le pouvoir des armes -brandies par les milices, les rebelles des Forces nouvelles et les bandits criminels- a largement remplacé l'État de droit. Plusieurs facteurs tant dans le nord contrôlé par les rebelles que dans le sud contrôlé par le gouvernement ont entraîné un affaiblissement important des institutions ayant pour mandat de maintenir l'ordre public, à savoir la police et la gendarmerie, ainsi que les systèmes judiciaire et correctionnel.

Dans le nord, l'échec de la réunification du pays a joué le rôle le plus important dans la persistance de l'anarchie. Après des retards persistants dans la mise en application de l'APO, les principaux acteurs ont signé le Quatrième accord complémentaire à l'Accord politique de Ouagadougou le 22 décembre 2008, qui les engageait à prendre des mesures immédiates pour la réunification du pays, y compris le redéploiement des autorités de l'État au nord.[20] Les policiers, les fonctionnaires et les juges étaient censés commencer à travailler dans le nord avant le 15 janvier 2009. Cependant, un manque de volonté politique des deux côtés a entraîné des retards supplémentaires dans leur redéploiement. Le résultat est que les commandants rebelles continuent à exercer un contrôle quasi-complet sur les affaires économiques, sécuritaires et judiciaires au sein de leurs zones.[21] Le rapport périodique de mai 2010 du Secrétaire général de l'ONU sur l'ONUCI constate :

[L]a Côte d'Ivoire reste un pays divisé, les Forces nouvelles maintenant dans le nord une administration, une économie, un Trésor, des services de sécurité et un système judiciaire parallèles…. [L]es commandants de zone [des Forces nouvelles] de cette formation, les maires qu'elle a nommés et d'autres autorités locales continuent d'exercer réellement le pouvoir et de percevoir des recettes fiscales dans le nord…. [D]e nombreux tribunaux
dans le nord et l'ouest du pays ne sont pas opérationnels…. [L]es tribunaux de Man et de Katiola restent fermés depuis que les membres du personnel ont abandonné leur poste en février à la suite des violents troubles qui
y ont eu lieu.[22]

En outre, le Quatrième accord complémentaire demandait aux Forces nouvelles et aux forces armées ivoiriennes de mettre immédiatement des fonctionnaires à disposition pour le Centre de commandement intégré (CCI) -une force conjointe de sécurité et de défense créée par l'APO et conçue pour développer la confiance entre les deux parties. Le CCI devait se déployer principalement dans le nord et l'ancienne zone de confiance, et était mandaté pour assurer la sécurité, superviser le désarmement et faciliter la réémergence des institutions de l'État, notamment du pouvoir judiciaire. Plus d'un an plus tard, les progrès sont restés lents, comme indiqué par le rapport de l'ONU :

Les brigades mixtes déployées par le Centre de commandement intégré, qui sont notamment chargées de maintenir l'ordre, ne disposent pas suffisamment de ressources et de personnel, et ne sont donc pas en mesure de protéger les populations et les institutions rétablies de l'État. Elles entretiennent des rapports de coexistence difficiles avec l'appareil de sécurité des Forces nouvelles qui est lourdement armé et mieux financé.[23]

Dans les zones sous contrôle du gouvernement, l'État de droit est tout aussi faible. Les organisations locales de défense des droits humains travaillant sur les questions de justice ont dénoncé la corruption généralisée dans le système judiciaire, ainsi que le manque d'indépendance par rapport à l'exécutif. Les forces de sécurité en particulier ont bénéficié d'une impunité de longue date, et les extorsions qu'elles continuent de faire subir à la population aux postes de contrôles dans tout le pays ont affaibli la confiance du public dans leur rôle de protection.

Nulle part l'échec des institutions juridiques n'est plus évident que dans l'extrême ouest. Policiers et gendarmes refusent systématiquement de poursuivre des criminels connus ou d'enquêter sur les crimes, réclamant parfois des pots-de-vin simplement pour déposer une plainte. Aucun tribunal ni prison n'existe dans la région du Moyen Cavally contrôlée par le gouvernement, ce qui oblige les habitants à se déplacer à plus de 100 kilomètres à Daloa, dans la région du Haut-Sassandra, pour trouver les institutions légales opérationnelles les plus proches. Aucun personnel judiciaire -ni de procureur ni d'officier de police judiciaire- n'est donc stationné au Moyen Cavally, ce qui gêne considérablement les enquêtes qui y sont entreprises. En pleine désintégration des structures étatiques, les hommes armés sont omniprésents.

Échec du programme de Désarmement, démobilisation et réinsertion

Plus de trois ans après l'Accord de Ouagadougou, le gouvernement ivoirien n'a toujours pas désarmé diverses factions combattantes, tandis que les Forces nouvelles et les milices ont ignoré et détourné les tentatives de désarmement. Les habitants de l'ouest du pays, qui abrite des dizaines de milliers de soldats rebelles et miliciens armés, ont souffert en conséquence de manière disproportionnée.

Selon l'Accord, le CCI est chargé de superviser le processus de désarmement. Toutefois, comme indiqué ci-dessus, le CCI pour l'essentiel n'est pas opérationnel en raison d'un manque de volonté politique d'engager des ressources pour ce faire. En outre, le manque de volonté de désarmer de la part des Forces nouvelles et des milices -combiné avec la méfiance de chaque parti vis-à-vis de l'autre- a donné lieu à peu de progrès.

Un fonctionnaire de la division de l'ONUCI chargée du programme de Désarmement, de démobilisation et de réinsertion (DDR) a confié à Human Rights Watch que depuis 2007, l'ONUCI n'avait recueilli auprès des rebelles et des miliciens que 715 armes au total.[24] Ceci en dépit des comptes du gouvernement selon lesquels 70 000 ex-combattants ont été profilés et 29 207 sont déjà considérés comme ayant été démobilisés.[25] Dans l'ouest, les autorités ivoiriennes ont organisé une cérémonie médiatisée marquant le désarmement des milices en mai 2007. Toutefois, l'ONU n'a pas été autorisée à vérifier avec précision le nombre d'armes remises aux représentants du gouvernement, qui contrôlaient la manifestation.[26] Un fonctionnaire de l'ONU qui était présent lors de la cérémonie a confié à Human Rights Watch :

Il y a eu une grande cérémonie, mais c'était une mascarade. Les miliciens n'ont apporté que leurs armes les plus anciennes. Peu d'entre eux ont remis les véritables armes avec lesquelles nous les avons vus déambuler dans les rues.[27]

Le Groupe d'experts de l'ONU, chargé de contrôler l'embargo sur les armes décidé par le Conseil de sécurité de l'ONU en 2004, a constaté la présence générale de kalachnikovs et de munitions dans les milices au Moyen Cavally, tout en observant qu'en général les armes légères étaient obsolètes et de qualité médiocre.[28] Dans son rapport de mai 2010, l'International Crisis Group a signalé également une forte présence d'armes au sein des milices au Moyen Cavally, et l'arrivée persistante de nouvelles armes par les chemins forestiers en provenance du Liberia.[29]

Les Forces nouvelles elles aussi restent bien armées, notamment dans la région de Dix-Huit Montagnes. Sur les 715 armes collectées par l'ONUCI, celles provenant des Forces nouvelles ont été encore moins nombreuses que celles des milices. De nombreux soldats des Forces nouvelles à Man portent toujours des treillis militaires, équipés ouvertement de kalachnikovs et autres armes à feu. De fait, le Groupe d'experts de l'ONU a signalé en octobre 2009 que des commandants rebelles du nord importaient de nouvelles armes en violation de l'embargo de l'ONU sur les armes.[30]

Violence et anarchie dans l'ouest de la Côte d'Ivoire

La population est souvent la cible de violences et d'exactions graves dans l'ouest de la Côte d'Ivoire. Cela est dû à la défaillance ou à la non-existence des structures étatiques censées protéger et garantir la justice contre les abus, à la prolifération généralisée des armes, et au manque de volonté politique pour améliorer l'État de droit des deux côtés de la fracture politico-militaire.

Comme indiqué plus haut, plusieurs régions de l'ouest de la Côte d'Ivoire ont été le théâtre d'une violence généralisée au cours de la période la plus active des hostilités de 2002 à 2003. Cependant, alors que le niveau de violence a diminué progressivement ailleurs, les abus dans l'Ouest -en particulier dans les régions du Moyen Cavally et des Dix-Huit Montagnes- sont restés à des niveaux proches de la crise et, dans certaines zones, peuvent même être en augmentation.

Un fonctionnaire des Nations Unies basé dans l'ouest de la Côte d'Ivoire a décrit la situation de la sécurité à Human Rights Watch:

Il n'y a pas eu de réelles améliorations pour la situation des droits humains ici, parce que la situation sécuritaire a empiré. Dans cette zone nous avons les forces armées du gouvernement, les Forces nouvelles et les milices. De ce mélange résultent d'énormes problèmes de sécurité.
La situation avec le banditisme continue de s'aggraver. En plus des attaques sur les routes, il y a eu un nombre croissant d'incidents dans les maisons. Chaque jour au moins je reçois un rapport sur des gens armés qui attaquent une maison dans un village ou un camp, ou qui attaquent sur la route.[31]

Human Rights Watch a documenté des dizaines d'incidents au cours desquels des individus lourdement armés, agissant généralement en petits groupes, ont commis des actes de banditisme le long des routes de la région ainsi que des cambriolages dans des maisons. Au cours de ces attaques, les victimes ont souvent été battues, poignardées avec des couteaux et des machettes, et tuées avec des armes à feu.

Les hommes armés ont également commis des actes fréquents de violence sexuelle contre les femmes et les filles, notamment des agressions sexuelles aggravées, des viols individuels ou en groupe, et des viols collectifs. Human Rights Watch a interrogé 23 femmes et filles qui avaient été victimes de viols et de violences sexuelles dans le Moyen Cavally ou les Dix-Huit Montagnes depuis janvier 2009, et a recensé au moins 86 cas supplémentaires grâce à des témoins, parmi lesquels des chauffeurs de véhicules de transport et des membres des familles. Ces victimes ainsi que d'autres dont les cas ont été documentés par Human Rights Watch, ont été attaquées alors qu'elles travaillaient aux champs, en allant ou en revenant des marchés et de leurs lieux de travail, ou pendant qu'elles dormaient chez elles. Elles étaient âgées de sept mois à 78 ans.

La fréquence des attaques à main armée a plongé les habitants de la région dans une peur constante. Nombre d'entre eux ont réduit ou fortement limité le nombre de leurs déplacements et leurs activités quotidiennes. En effet certaines zones sont considérées comme trop dangereuses pour s'y aventurer à cause de leur quasi totale anarchie.

Criminalité généralisée commise par les «coupeurs de route»

Les coupeurs de route, un terme utilisé pour décrire des groupes d'individus armés qui attaquent les véhicules et volent ensuite aux passagers leur argent et leurs biens, caractérisent l'anarchie dans l'ouest de la Côte d'Ivoire.

Un habitant d'un village près de Guiglo a dit à Human Rights Watch: «Au cours des trois derniers mois, il ne s'est pas écoulé une seule semaine sans qu'il y ait au moins deux vols à main armée touchant seulement des gens de mon village. La plupart sont commis par les coupeurs de route[32] De même, un habitant de Duékoué a dit que du banditisme routier avait eu lieu dans les zones alentours au moins chaque semaine, même en dehors de la saison des récoltes où il y a moins de banditisme routier.[33]

En outre, il y a des indications que le phénomène est en augmentation. Des habitants dans tout le Moyen Cavally ont dit à Human Rights Watch que les incidents de banditisme routier datent de peu après le conflit, mais ont constamment augmenté depuis 2008. Une représentante d'une organisation locale qui porte assistance à des victimes de violence sexuelle, y compris les victimes violées au cours d'attaques armées contre des voitures et des véhicules de transport, a expliqué :

Les incidents de banditisme et de viol ont commencé en 2005, mais c'est en 2008 et en 2009 qu'ils ont vraiment augmenté. Quand la population a recommencé à vendre du cacao, [les coupeurs de route] ont commencé à voler les personnes car ils savaient qu'elles avaient de l'argent. Alors maintenant ils dévalisent les gens et prennent leur argent. Parfois ils tuent le mari ou le blessent ou le battent, et ils violent les femmes.[34]

Human Rights Watch a interrogé 10 chauffeurs de véhicules de transport public dans l'ouest qui ont été victimes d'une ou de plusieurs attaques sur la route, en plus de 18 passagers et d'autres personnes qui avaient été victimes d'actes de banditisme armé. En ce qui concerne les seuls chauffeurs, ils ont vécu 17 attaques séparées entre novembre 2009 et juillet 2010 ; un chauffeur avait été victime de quatre attaques au cours de ces neuf mois. Ils ont indiqué être informés de dizaines d'attaques similaires contre d'autres chauffeurs.

Selon les chauffeurs et les passagers qui ont subi des actes de banditisme routier, les attaquants placent fréquemment un grand morceau de bois en travers de la route, ou choisissent un endroit où les chauffeurs doivent ralentir en raison de virages serrés ou de trous dans la route. Alors que le chauffeur freine, des bandits -au nombre de trois à neuf selon les cas documentés par Human Rights Watch- sortent de la végétation environnante. Ils sont toujours lourdement armés, le plus souvent avec des kalachnikovs, mais parfois avec des fusils de chasse et des petits pistolets que les victimes disent avoir l'air d'être fabriqués localement. De nombreux bandits sont munis également de couteaux et de machettes, et sont habillés avec des tenues de camouflage ou des vêtements noirs.[35] Toutes les victimes interrogées par Human Rights Watch ont mentionné que leurs assaillants portaient des cagoules ou des masques, ou parfois des masques de fortune faits de tissu de t-shirt troué pour les yeux et la bouche. Les attaquants parlent presque exclusivement français, avec ce que les victimes ont souvent décrit comme un accent ivoirien.

Les assaillants forcent les passagers à quitter la route, menaçant d'ouvrir le feu si le véhicule s'éloigne. Ensuite ils volent rapidement et minutieusement l'argent de chacun des passagers. Un chauffeur de Guiglo qui avait été attaqué trois fois depuis décembre 2009 a décrit une embuscade typique qui a eu lieu en janvier 2010 :

A environ 10 kilomètres de Guiglo sur la route en direction de V15 [un village du Moyen Cavally], il y a un carrefour. Juste avant ce carrefour, il y avait un grand morceau de bois mis en travers. Dès que j'ai appuyé sur les freins, quatre individus sont sortis de la brousse, pointant des armes sur la voiture. Deux d'entre eux avaient des kalachnikovs, deux tenaient des fusils de chasse. Ils avaient aussi tous de longs couteaux. Ils nous ont crié de sortir du véhicule. Il y avait 14 passagers, en plus de moi et d'un apprenti. Ils nous ont fait marcher environ 10 mètres dans la brousse et nous ont forcés à nous mettre à terre. Ils étaient tous habillés comme des ninjas, entièrement recouverts de noir. Ils portaient des masques au travers desquels on pouvait à peine voir, avec des petits trous pour les yeux et la bouche. Et ils avaient tous des manches longues et des gants.
Une fois que nous étions à terre, ils ont déchiré nos vêtements avec des couteaux, en essayant de trouver tout notre argent et pour s'assurer qu'on ne leur en avait pas caché. Ils m'ont pris 22 000 francs CFA (34 euros) et mon téléphone portable. Ils n'arrêtaient pas de nous hurler de garder la tête baissée et de ne pas les regarder, que si on essayait de les regarder ils nous tueraient. C'est arrivé si vite, ça a duré à peu près 30 minutes. Ils ont pris notre argent et ont ensuite disparu à nouveau dans la brousse.[36]

Comme décrit ci-après, les attaques se produisent le plus souvent au cours de la récolte de cacao et les jours de marché quand les gens voyagent avec des sommes d'argent plus importantes. En outre, plusieurs chauffeurs et un fonctionnaire de l'ONU de la région ont indiqué à Human Rights Watch que les bandits semblaient opérer avec des informateurs à la plate-forme de transport interurbain, au moins à Duékoué, pour cibler les véhicules transportant les passagers les plus riches.[37]

Les attaquants armés ont souvent perpétré de graves violences physiques contre les chauffeurs et les passagers. Une victime d'une attaque survenue en janvier 2010 a déclaré :

Quand les bandits ont trouvé que nous n'étions pas descendus du camion assez vite, ils ont commencé à nous frapper. Ils m'ont frappé au visage avec le dos de leur fusil et m'ont fait tomber les dents de devant. Trois d'entre eux me frappaient, un avec le dos de son fusil, puis deux autres avec leurs poings. Ça a duré plusieurs minutes. J'ai essayé de me protéger, mais ils ont fait tomber mes dents de devant d'un coup violent au visage. Je ne me suis toujours pas remis et j'ai des maux de tête tout le temps à cause de ça.[38]

De nombreuses victimes et témoins ont estimé que les violences physiques les plus brutales ont eu lieu après que des victimes aient essayé d'identifier les assaillants, comme l'explique un chauffeur dont le trajet va de Guiglo au village de V15:

Vous ne pouvez pas essayer de regarder les bandits. Une fois, quand les coupeurs de route ont dévalisé mon camion, l'un des passagers a regardé le visage d'un bandit, ou le bandit a pensé qu'il le regardait, même s'il portait un masque. Le bandit a crié: «Pourquoi tu me regardes?» et ensuite il a frappé le gars très fort avec le dos de sa machette -pas avec la lame- et ensuite avec son fusil. Il a frappé le gars encore et encore jusqu'à ce que son visage ruisselle de sang.[39]

D'autres ont subi un traitement particulièrement cruel après avoir refusé de remettre l'argent. Un agriculteur près de Guiglo a décrit comment il avait perdu une main en se défendant contre ses attaquants :

Je rentrais chez moi après le marché lorsque je suis tombé sur quatre hommes qui avaient coupé des feuilles piquantes de palmier et les avaient placées sur la route. Ils m'ont dit de m'allonger sur les feuilles pointues, alors je me suis couché près des bouts pointus, mais pas dessus. L'un d'eux a dit: «Couche-toi» et il m'a coupé à la hanche droite avec la machette. Mon téléphone portable était dans ma poche et a bloqué la machette mais ça m'a quand même coupé -la blessure était assez grande pour pouvoir mettre deux doigts à l'intérieur. Ils ont dit: «Donne-nous de l'argent», et j'ai dit: «Vous m'avez dit de me coucher alors je me suis couché, si vous voulez de l'argent prenez-le…. Pourquoi vous me faites du mal comme ça? Quel argent je vais utiliser maintenant pour soigner ma blessure?»…
L'un d'eux m'a pris par le cou et a poussé sa machette dans mon dos. Un autre homme face à moi a commencé à ouvrir mon pantalon, et je lui ai donné un coup de pied dans les jambes et il est tombé à terre. J'ai essayé de l'attraper à la gorge pour pouvoir lui retirer son masque. Ensuite celui qui était derrière moi a essayé de me couper la tête avec la machette, alors j'ai levé mon bras droit pour me protéger et il m'a coupé la main. Elle pendait par seulement quelques centimètres de chair…. Ceci s'est passé à 2 heures [de l'après-midi], et j'étais là dans le champ jusqu'à 6 heures lorsque quelqu'un m'a trouvé et m'a amené à l'hôpital.
Quand nous sommes arrivés à l'hôpital il n'y avait pas de docteur alors je suis resté jusqu'au matin. Lorsque le médecin est venu, il a dit que ma main était morte et qu'il fallait donc l'enlever entièrement. L'hôpital a bien pris soin de moi, mais maintenant la question c'est de savoir comment je peux travailler ?[40]

Human Rights Watch a reçu des informations crédibles sur quatre meurtres commis au cours d'attaques sur les routes en 2010. Un planteur d'un village à environ 15 kilomètres de Guiglo a déclaré que son oncle et son cousin avaient tous deux été tués dans des attaques de bandits séparées, en janvier et avril 2010. Ce parent a vu les corps plus tard, qui présentaient des blessures par balles à la tête.[41] Plusieurs chauffeurs ont signalé le meurtre d'un passager dans un véhicule de transport qui partait de Duékoué quand des bandits ont ouvert le feu après que le chauffeur ait refusé de s'arrêter à un barrage de fortune.[42] Enfin, plusieurs chauffeurs ont aussi décrit le meurtre à la fin 2009 d'un passager dans le véhicule d'un de leurs collègues après qu'il ait refusé de remettre de l'argent à des bandits lors d'une attaque près de Bangolo.[43] D'innombrables filles et de femmes ont aussi été soumises par des criminels armés à des agressions sexuelles, y compris le viol et le viol collectif, comme décrit ci-après.

Attaques généralisées dans l'extrême ouest du pays

Human Rights Watch a documenté au moins deux attaques de bandits depuis novembre 2009 sur cinq routes distinctes dans les régions des Dix-Huit Montagnes et du Moyen Cavally. Plusieurs chauffeurs ont noté que l'incidence des attaques avait diminué sur la route principale reliant les plus grandes villes de l'ouest, bien que des attaques sporadiques y aient encore lieu, particulièrement dans l'ancienne zone de confiance entre Duékoué et Bangolo.

Un chauffeur dont le trajet allait de Man à Daloa, par exemple, a rapporté comment son véhicule transportant 18 passagers a été attaqué par des bandits près de Bangolo en décembre 2009.[44] Un autre chauffeur d'un véhicule avec 18 passagers a été attaqué vers 10 heures du matin en avril 2010 entre Bangolo et Duékoué.[45] En général, cependant, la sécurité sur la route principale s'est améliorée par rapport à l'immédiat après guerre, comme l'a expliqué un chauffeur :

Au moins un axe s'est amélioré en termes de sécurité depuis la guerre -la route principale de Guiglo à Bangolo. Par le passé, c'était une zone interdite, surtout de Duékoué à Bangolo. Si vous n'aviez pas une escorte de l'ONUCI, vous ne pouviez tout simplement pas conduire sur cette route, quel que soit le moment de la journée. Maintenant c'est possible, bien sûr pas la nuit. Il y a quelques incidents, quelques actes de banditisme, mais les problèmes ont diminué.[46]

Plusieurs chauffeurs et d'autres membres de la communauté ont attribué cette baisse aux convois et aux patrouilles que l'ONUCI avait mis en vigueur autrefois le long de la route principale, particulièrement entre Duékoué et Man.

En dépit de quelques améliorations sur les routes principales à la suite de patrouilles et escortes par l'ONUCI, les routes secondaires de la région restent l'objet d'attaques fréquentes. Ces routes sont en général des chemins de terre menant des villes principales de la région aux villages alentours. Des chauffeurs interrogés par Human Rights Watch avaient été les victimes d'attaques multiples le long des routes entre Duékoué et Gbapeur, Guiglo et Nguya, et Duékoué et Kuassikro. La plus dangereuse semblait être la route entre Guiglo et V15, où Human Rights Watch a documenté au moins sept incidents distincts survenus entre décembre 2009 et mai 2010. Un fonctionnaire des Nations Unies qui surveille la situation de la sécurité dans l'ouest a également décrit les problèmes comme étant à présent prédominants sur les routes secondaires.[47]

Le résultat final est un niveau d'insécurité et de peur qui incite de nombreuses personnes à ne pas voyager à moins que ce ne soit absolument nécessaire. La circulation de nuit est complètement exclue, comme l'a expliqué un chauffeur qui avait été attaqué de nombreuses fois:

Les vols sont le quotidien des chauffeurs ici. C'est dur, mais que puis-je faire d'autre ? J'ai perdu quelques apprentis après des attaques -ils disaient qu'ils ne pouvaient tout simplement pas le faire, et je ne pouvais pas le leur reprocher. Je suis trop vieux pour changer. Pour moi, le plus gros problème c'est qu'il y ait si peu d'heures dans la journée où les gens peuvent voyager, où je peux travailler et gagner de l'argent. À l'heure actuelle, compte tenu de la situation sécuritaire, il est seulement possible d'être sur les routes à partir de 7 heures du matin jusqu'à 6 heures du soir -en poussant un peu, peut-être jusqu'à 7 heures. C'est assez dangereux pendant la journée, mais c'est carrément impossible après. Il n'est pas possible de se déplacer sans que quelque chose n'arrive.[48]

Période pendant et après la récolte

Des chauffeurs, des agriculteurs, des vendeurs de marché et d'autres victimes ont indiqué qu'il y a une augmentation notable du nombre d'attaques de route entre novembre et mars, lorsque le cacao est récolté et vendu sur le marché. Un cultivateur de cacao a expliqué :

Le problème des coupeurs de routeexiste tout le temps, mais c'est bien pire lors de la récolte du cacao. Tout le monde a de l'argent et les gens se déplacent. Les agriculteurs viennent en ville pour vendre leur récolte et reçoivent ensuite du liquide avant de retourner au village. Les acheteurs [de cacao] circulent entre les camps avec du liquide, achetant aux agriculteurs. Les voleurs sortent en force à cause de l'argent disponible. À aujourd'hui [à la fin juillet], nous avons tous épuisé l'argent de la récolte de l'année précédente, alors ça arrive moins souvent.[49]

Une nette majorité des attaques commises par les coupeurs de route qu'a recensées Human Rights Watch ont eu lieu entre novembre 2009 et mars 2010. Des dizaines de personnes interrogées par Human Rights Watch se sont plaintes de la faible réaction de l'État à ce qu'elles craignaient être un problème qui s'intensifierait au cours de chaque période de récolte de cacao. Un planteur de cacao près de Duékoué a expliqué :

Nous entendons dire déjà dans la communauté que les bandits vont à nouveau augmenter quand viendra la récolte. Ça ne s'est pas arrêté pour le moment, mais ça a diminué comparé à l'époque de la récolte. Cependant, quand les gens commenceront à recevoir de l'argent de la récolte, ça se reproduira à nouveau à moins que quelqu'un ne fasse quelque chose pour les arrêter. À aujourd'hui, ils ont toujours les armes et ils peuvent continuer à faire ce qu'ils veulent.[50]

Jours de marché

Human Rights Watch a documenté de nombreuses attaques les jours de marché où les villageois convergent pour acheter et vendre des marchandises. La concentration d'attaques ces jours-là, pendant comme après la période de récolte, a été confirmée par presque toutes les personnes interrogées -beaucoup d'entres elles ont déclaré que les attaques avaient lieu chaque semaine, au minimum.

Le petit commerce qui a lieu les jours de marché est principalement le fait des femmes et, par conséquent, elles sont touchées de façon disproportionnée par les attaques et les violences qui ont lieu ces jours-là. Plusieurs chauffeurs et d'autres membres de la communauté ont déclaré à Human Rights Watch que la plupart des attaques les jours de marché ont lieu dans la dernière partie de la journée, quand les villageois rentrent chez eux avec des marchandises et l'argent gagné grâce à la vente de produits. Ils ont également noté que les attaques avaient lieu à la fois sur les routes principales mais aussi sur les routes secondaires reliant les grandes villes comme Duékoué et Guiglo aux villages alentours.

Bien que la nature systématique de ces attaques soit bien connue, les villageois n'ont pas vraiment d'autre choix que de prendre le risque du vol et du viol pour pouvoir acheter des provisions et gagner leur vie. Un chauffeur qui avait été victime à deux reprises du banditisme routier a expliqué à Human Rights Watch à propos du problème général, ainsi qu'à propos d'une attaque particulière en février 2010:

Conduire les jours de marché c'est le pire, même si nous devons le faire car ce ne sont plus que les rares jours où les gens voyagent. Les bandits sont toujours prêts à attaquer les commerçants qui ont vendu leurs marchandises, [alors] le retour du marché est toujours le trajet le plus dangereux.
En février, j'ai conduit des marchands au marché du vendredi le jeudi après-midi. On ne peut pas se déplacer quand il fait nuit, alors il faut les amener tôt et passer la nuit sur place. Sur le trajet du retour le vendredi après-midi, des bandits nous ont forcés à quitter la route…. Ils étaient six et ils avaient des kalachnikovs. Ils n'étaient pas contents quand les gens leur remettaient de petites sommes d'argent. Ils savaient que les gens avaient plus, alors ils ont commencé à se mettre en colère, en criant: «Nous savons que vous revenez du marché. Donnez-nous le reste, ou on vous tuera.» La plupart des gens leur ont donné le reste, mais l'un des passagers a dit qu'il n'en avait plus. Deux des voleurs l'ont frappé avec leurs fusils pendant environ cinq minutes. J'ai dû le conduire à l'hôpital.[51]

Les attaques ne se limitent pas aux chauffeurs sur la route. Les femmes qui marchent pour se rendre au marché ou pour en revenir sont également des cibles fréquentes. Un habitant de Guiglo a expliqué:

On entend parler d'une attaque presque tous les mardis. C'est le jour du marché ici à Guiglo, alors les femmes des villages environnants viennent à la ville. Certaines viennent en transport, mais la plupart marchent, partant au lever du soleil. Elles sont souvent en groupe ; les hommes ont repris le travail dans les champs. Sur plusieurs des routes secondaires qui mènent à la ville, il y a presque toujours une attaque. L'argent des femmes est volé et souvent certaines d'entre elles sont violées.[52]

En effet, la semaine précédant l'arrivée des chercheurs de Human Rights Watch à Guiglo, des bandits ont attaqué plusieurs groupes de femmes qui se rendaient au marché de Guiglo, violant au moins une femme.[53] Une femme a expliqué à Human Rights Watch comment elle avait été dépouillée de 40 000 francs CFA (61 euros) plus tôt au cours du mois de juillet alors qu'elle rentrait à son village du marché de Duékoué.[54]

Malgré le caractère systématique des attaques et la corrélation connue avec le jour du marché, les victimes et les membres de la communauté ont déclaré à Human Rights Watch qu'il n'y avait pas eu de riposte de la part des forces de sécurité ivoiriennes, ce qu'a reconnu un policier ivoirien à Guiglo.[55] Après une série d'attaques médiatisées début 2010, dont plusieurs impliquant des viols de groupes, des Casques bleus des Nations Unies dans la zone ont mis en place une patrouille pour accompagner les femmes vivant à Guiglo qui se rendaient au marché dans les villages environnants, en particulier le marché du vendredi au village de Gpapleu. Toutefois, il n'existe encore aucune patrouille pour les femmes qui se déplacent depuis les zones environnantes vers Guiglo pour le marché du mardi -un manque de protection important pour les communautés vivant à l'extérieur de Guiglo.

Attaques dans les villes et les villages

La violence continue même si la récolte est terminée. Simplement, elle continue en ville. Ils attaquent les maisons et les commerces. Chaque jour il y a encore des violences et des viols en ville…. Cela devient la façon de vivre ici. Il y a des violences récurrentes contre les jeunes filles. Les gens ne le signalent pas parce qu'ils ont peur des représailles.
–Une dirigeante d'une organisation locale de femmes, Moyen Cavally, 25 juillet 2010

Les habitants de la région ouest de la Côte d'Ivoire sont fréquemment la cible de violations de propriétés violentes, perpétrées par ce qui semble être les mêmes groupes de bandits lourdement armés que les coupeurs de route. Parfois, les assaillants s'en prennent aussi aux personnes qui travaillent dans les champs à proximité de leur maison.

Comme pour le banditisme routier, les attaques à l'intérieur et autour des maisons sont plus courantes dans la région autour et entre Bangolo et Guiglo, bien qu'elles se produisent aussi à l'intérieur et aux alentours des villes de Man et Danané contrôlées par les rebelles, quoique sous une forme moins violente. L'intensité des violations de propriétés semble également saisonnière, plus élevée pendant les mois où le banditisme routier est moins fréquent, selon de nombreux habitants de Duékoué et Guiglo.[56] Nombre de ces attaques comportent des agressions sexuelles et des viols brutaux contre des femmes et des filles, comme exposé ci-après.

Human Rights Watch a interrogé 16 victimes de violations de propriétés, toutes impliquant des groupes d'hommes lourdement armés. La victime d'une de ces attaques survenue en janvier 2010 a dépeint un cas typique :

Je dormais, et à 3h30 du matin il y a eu un grand bruit et des gens ont pénétré dans la maison, enfonçant notre porte d'entrée. Ils étaient huit. Ils ont réclamé nos téléphones portables puis nous ont obligés à nous coucher par terre. L'un d'eux criait: «Si vous ne nous donnez pas tout votre argent, nous vous tuerons.» Ils ont pris 170 000 francs CFA (260 euros) à ma femme, et 250 000 francs (380 euros) à moi -presque tout l'argent que nous avions. Ils s'en sont pris à moi parce qu'ils savaient que nous avions de l'argent. L'un d'eux a dit mon nom accidentellement, alors ils devaient faire partie de la communauté.
Les trois qui sont entrés dans ma chambre étaient tous masqués et recouverts de noir, et ils portaient tous des kalachs [fusils d'assaut kalachnikov]. On pouvait deviner que c'étaient des jeunes, probablement entre 22 et 25 ans. Cinq autres sont restés dans la pièce principale, où se trouvaient mes enfants, comme pour monter la garde. Eux aussi avaient tous des kalachs. Ils ont fouillé toute la maison, ils ont même éventré mes valises. Ils ont dit qu'ils allaient me tuer si je bougeais. Ils ne m'ont jamais frappé, mais ils ont frappé et menacé mon fils -parce qu'il a reconnu l'un d'entre eux.[57]

Il est fréquent que les hommes armés frappent, poignardent et parfois tuent les hommes de la famille dans le cadre de vols à main armée. Human Rights Watch a reçu des informations crédibles sur deux meurtres distincts liés à des violations de propriétés. Dans les deux cas, des parents vivant dans le même village ont vu les corps et décrit les blessures par balles. Dans un cas, la victime était seule quand l'attaque s'est produite, alors que dans l'autre, d'autres membres de la famille étaient présents et ont dit au proche interrogé par Human Rights Watch que le père avait été tué après avoir tenté de résister.[58]

Human Rights Watch a documenté de nombreux cas dans lesquels les criminels ont sévèrement battu ou brûlé des victimes hommes, et dans un des cas ont amputé la victime de ses membres. Un témoin qui était présent lors d'une attaque survenue en janvier 2010 au Moyen Cavally a décrit comment les criminels ont coupé les deux bras de son oncle lorsque celui-ci a essayé de résister.[59] Human Rights Watch a aussi interrogé une victime d'une violation de propriété survenue en janvier 2009 qui a indiqué avoir été témoin des brutalités à l'encontre des hommes dans la maison, avant et pendant qu'elle-même ainsi qu'une autre femme étaient violées :

C'est arrivé à 1 heure du matin. Ils étaient sept bandits, six avec des kalachs et un avec un couteau. Ils ont dit à mon mari: «Donnez-nous votre argent.» Quand mon mari a dit: «Attendez, attendez», ils avaient un couteau et ils l'ont poignardé une fois dans la fesse et deux fois à l'épaule droite. Le fils de sa première femme a 26 ans, et ils lui ont entaillé profondément la jambe avec un couteau d'un côté à l'autre de la cuisse…. Ils ont aussi ligoté dans une autre pièce les trois ouvriers qui travaillent dans notre ferme. Ils ont mis le feu à un sac en plastique et ont brûlé les ouvriers au visage et dans le dos. Je les ai vus juste après.[60]

Human Rights Watch a aussi documenté quatre cas d'attaques par des gangs criminels contre des personnes travaillant dans les champs à l'intérieur ou à proximité de leur village. Il y a eu également des informations crédibles selon lesquelles des bandits armés ont tué un homme en avril 2010 alors qu'il revenait au camp à pied depuis ses champs de cacao. Des planteurs dont les champs se trouvaient à proximité ont entendu des coups de feu et, alors qu'ils se dirigeaient sur les lieux, ont indiqué avoir vu des hommes masqués s'en allant à travers la végétation. La victime avait été dépouillée, selon les planteurs, signe que les agresseurs étaient à la recherche d'argent.[61]

Étant donné que ce sont souvent les femmes qui s'occupent des champs, et font pousser des fruits et des légumes près du village, elles semblent souffrir de manière disproportionnée de ces attaques. Human Rights Watch a documenté des cas de violences sexuelles, abordées en détail ci-après, perpétrées contre des femmes travaillant dans les champs près de leurs maisons.

La peur écrasante qu'une telle criminalité rampante instille chez les personnes se manifeste de diverses manières. De nombreuses personnes interrogées ont refusé de divulguer leur nom, malgré les garanties de confidentialité, en disant être terrifiées par les répercussions si on apprenait qu'elles avaient parlé des attaques. D'autres regardaient constamment autour d'elles au cours des entretiens avec les chercheurs de Human Rights Watch, faisant attention à qui pourrait écouter. Un habitant de Guiglo a expliqué: «Les éléments criminels sont partout. On n'est en sécurité nulle part. Nous essayons simplement de survivre, mais partout il y a ces gens avec des fusils[62]

Violences sexuelles généralisées

Les victimes et les témoins, ainsi que le personnel médical et les travailleurs sociaux des organisations humanitaires locales et internationales, ont fait état de violences sexuelles généralisées commises à l'encontre des femmes et des filles dans l'ouest de la Côte d'Ivoire. Des victimes ont été violées chez elles ; alors qu'elles se rendaient à pied au marché ou en revenaient, s'occupaient de leurs champs ou cherchaient de la nourriture dans la forêt ; et après avoir été tirées hors de véhicules de transport public. Les femmes interrogées par Human Rights Watch ont décrit un climat de peur paralysant, où aucun lieu n'était sûr, chaque femme et fille était vulnérable aux attaques et où les criminels attaquaient en toute impunité.

Human Rights Watch a documenté 109 cas spécifiques de viol au Moyen Cavally et aux Dix-Huit Montagnes depuis janvier 2009. Vingt-trois cas ont été signalés par les victimes, et 86 par des témoins.[63] La grande majorité des viols documentés, soit 81, a eu lieu pendant les attaques de coupeurs de routecontre des véhicules de transport, suivis de 11 cas documentés au cours de cambriolages, 8 cas contre des nourrissons et des petites filles soit dans leurs maisons soit dans les champs, et 9 cas de femmes et filles agressées dans l'exercice de leurs activités quotidiennes à proximité de leur village.[64] Human Rights Watch a documenté le viol de fillettes n'ayant pas plus de 7 mois et de femmes ayant près de 80 ans.

Human Rights Watch a également recueilli des récits faisant état de violences basées sur le genre auprès de multiples organisations offrant des soins et des services aux victimes dans le Moyen Cavally et les Dix-Huit Montagnes. Ces informations indiquaient 676 cas de violences sexuelles et basées sur le genre entre 2009 et 2010, bien que le nombre total de cas survenus au cours de cette période est susceptible d'être plus élevé car ces organisations n'ont pas cherché à établir un système de rapports complets et les cas de violences sexuelles et basées sur le genre sont souvent non déclarés. En effet, les deux tiers des 23 cas que Human Rights Watch a documentés directement à partir des victimes n'étaient pas reflétés dans ces statistiques, car les victimes n'avaient pas signalé les incidents aux autorités de l'État ni à d'autres organisations.[65]

Violences sexuelles contre des femmes dans des véhicules de transport

Vous avez si peur que vous voudriez être un oiseau pour vous envoler.
–Une victime de viol, Guiglo, 25 juillet 2010

Les coupeurs de route commettent régulièrement et systématiquement des violences sexuelles contre les femmes et les filles lors des attaques contre des véhicules de transport.[66] Dans des entretiens avec les victimes de viols, les chauffeurs et les autres passagers, Human Rights Watch a documenté au moins 12 cas distincts dans lesquels des femmes avaient été agressées sexuellement au cours d'attaques de bandits de grand chemin. Au moins 81 femmes et filles ont été agressées sexuellement au cours de ces 12 attaques, qui ont eu lieu entre janvier 2009 et août 2010. Des informations communiquées par des chauffeurs qui avaient connaissance d'attaques similaires contre des véhicules de leurs collègues, ainsi que par des membres de la communauté connaissant des voisines qui avaient été violées lors d'attaques similaires, ont indiqué qu'il existait beaucoup plus de cas. Une organisation locale de femmes dans une ville du Moyen Cavally a montré à Human Rights Watch des données portant sur 40 cas de viol qu'elle avait documentés entre janvier et juillet 2010, dont 26 avaient eu lieu lors d'attaques de bandits de grand chemin (voir l'encadré ci-après sur la sous-déclaration des violences sexuelles).[67] Une mère de cinq enfants âgée de 31 ans du Moyen Cavally a évoqué une de ces attaques survenue en juin 2010:

Nous allions au marché et nous sommes montées dans un camion -du type utilisé pour le transport du cacao. Il y avait beaucoup de [femmes] à l'arrière du camion. Nous avons terminé au marché vers trois heures de l'après-midi et nous rentrions chez nous quand nous avons été attaqués par les coupeurs de route…. Ils étaient sept, dont une femme…. Ils ont arrêté le camion, et nous sommes descendus et nous sommes allongés face contre terre, et ils ont frappé les hommes. J'avais 7 000 francs CFA (11 euros) cachés dans quatre morceaux de tissu. L'un d'eux m'a demandé d'approcher. J'ai hésité mais j'y suis allée. Mon mari était là ainsi que mon beau-père…. [Le bandit] a déchiré mes sous-vêtements avec un couteau et il a pris mon pagne et l'a jeté par côté. Devant mon mari et mon beau-père, il m'a violée…. J'ai perdu ma dignité ce jour-là.[68]

La plupart des incidents documentés par Human Rights Watch concernaient le viol de plusieurs femmes; dans certains cas jusqu'à 20 femmes et filles ont été violées lors d'une seule attaque. Les femmes sont en général tirées hors du véhicule une par une et violées dans la végétation environnante. Une victime de 41 ans d'une telle attaque survenue en janvier 2010 a raconté à Human Rights Watch:

Le vendredi est jour de marché dans le village et nous allons y acheter des choses. Nous étions dans un camion Kia et il y avait une vingtaine de femmes. Quand nous sommes arrivés juste à la sortie de Guiglo, il y avait des branches sur la route et le camion ne pouvait pas passer…. Alors les coupeurs de route sont sortis, ils ont attrapé le chauffeur et l'ont jeté par terre.
Ils ont pris les femmes une par une [hors du camion] dans la brousse et ils ont fait ce qu'ils voulaient avec elles -ils les ont violées. Il y avait de nombreux assaillants, une dizaine je pense. Je me trouvais au milieu du groupe sur le camion et il m'a prise et m'a entraînée dans les buissons puis il a pointé le fusil sur moi et il a dit: «Enlève ton pagne et couche-toi.» Il avait un fusil et j'avais peur. Je ne pouvais rien faire. L'un des hommes a dit aux femmes de se dépêcher ; ils emmenaient toutes les femmes dans la brousse et les violaient. Beaucoup de femmes pleuraient et [lescoupeurs de route] ont dit: «Taisez-vous ou je vais vous tuer….» Ma sœur se trouvait dans le véhicule venant du marché la semaine suivante -ils ont attaqué le véhicule et ma sœur a été violée. Il y avait beaucoup de femmes avec ce groupe aussi.[69]

Nombre de femmes et de filles tirées hors de véhicules de transport ont indiqué avoir subi un viol collectif. Un chauffeur de 36 ans de Man qui avait été victime de multiples attaques de bandits a décrit la «pire d'entre elles», qui s'est déroulée en avril 2010 :

Ils ont violé une fille… c'était juste devant moi. Quand ils ont fini de prendre l'argent, ils ont pris la jeune fille -elle ne pouvait pas avoir plus de 18 ans, et je dirais environ 16- et ils l'ont séparée du reste d'entre nous. Mais pas loin, juste cinq ou dix mètres. Elle était la plus jolie et la plus jeune des femmes dans la voiture -je pense que c'est pour ça qu'ils l'ont choisie. Deux d'entre eux la violaient tandis que trois autres surveillaient le reste d'entre nous. Nous ne pouvions rien faire, les fusils étaient pointés sur nous. Elle hurlait, elle hurlait si fort, elle pleurait. C'était horrible. Quand l'un a eu fini, l'autre a commencé. Elle n'a pas cessé de hurler tout le temps. Et nous étions tous là, à l'écouter…. Nous l'avons emmenée à l'hôpital après, c'était la seule chose que nous pouvions faire.[70]

Sous-déclaration des violences sexuelles

Déterminer l'étendue complète des violences sexuelles dans l'ouest de la Côte d'Ivoire est un défi pour de multiples raisons.

Dans le vide laissé après le conflit armé, il n'y a toujours pas de système judiciaire en fonctionnement au sein duquel des affaires puissent être jugées ou de la documentation recueillie. Des victimes de violences sexuelles ainsi que des représentants d'organisations locales de femmes ont indiqué à Human Rights Watch que des policiers et des gendarmes réclamaient souvent des pots-de-vin et, qu'ils soient versés ou non, ne prenaient généralement que peu ou pas de mesures quand des femmes déposaient des plaintes. En conséquence, les femmes ont déclaré qu'elles n'avaient pas confiance dans la police et la gendarmerie pour enquêter, et qu'elles se sentaient dissuadées de signaler les incidents de viol en raison de l'absence d'un système judiciaire qui fonctionne. En outre, les femmes ne signalent pas les cas de violences sexuelles de peur de représailles de la part des criminels, en raison de tabous culturels et sociaux ainsi que d'un manque de ressources financières pour payer les services de santé ou les pots-de-vin à la police -tout ceci constituant des obstacles à la capacité supposée et réelle des femmes à signaler les crimes et à obtenir assistance et justice. En particulier, de nombreuses femmes ont déclaré que les policiers et les gendarmes réclamaient un certificat médical, qui devait être obtenu dans un hôpital pour un coût de 30 000 francs CFA (46 euros), afin d'enregistrer une plainte -bien que cela ne soit pas exigé par la loi. Ce coût est exorbitant pour la grande majorité des femmes dans l'ouest de la Côte d'Ivoire.[71]

Les organisations humanitaires et de défense des droits humains qui portent assistance aux victimes de violences sexuelles, ainsi que les groupes de femmes de proximité, ont indiqué à Human Rights Watch que les cas réels de violences sexuelles ne peuvent pas être mesurés exactement par les statistiques tenues par les organisations et les institutions gouvernementales parce qu'elles ne comprennent généralement que quelques femmes qui trouvent les moyens, le courage et l'aide nécessaires pour signaler le crime et demander de l'aide.[72]

En dépit du manque de données, les cas documentés par Human Rights Watch et les déclarations d'un grand nombre de témoins et de membres de la communauté qui étaient au courant d'incidents non signalés fréquents dans leurs communautés, indiquent clairement que les viols et autres formes d'agressions sexuelles sont largement répandus dans l'ouest de la Côte d'Ivoire.

Violences sexuelles commises lors de violations de propriétés

Les violences sexuelles accompagnent souvent les cambriolages de domiciles perpétrés par des gangs d'origine criminelle, exacerbant le sentiment des habitants de l'ouest de la Côte d'Ivoire qu'ils ne sont nulle part en sécurité. Human Rights Watch a documenté 11 de ces cas de viols au Moyen Cavally et aux Dix-Huit Montagnes commis entre janvier 2009 et juillet 2010.

Dans certains cas, les victimes pensaient que les violences sexuelles avaient pour but de faire peur à leurs maris afin qu'ils donnent tout l'argent gardé dans la maison. Les agressions sexuelles sont en général perpétrées contre toutes les femmes présentes dans la maison. Une victime d'attaque à domicile à Guiglo âgée de 25 ans a décrit ce qui était arrivé à sa famille :

Deux hommes sont entrés -un avec une kalash et l'autre avec un pistolet. Il y en avait d'autres dehors…. J'étais couchée à côté de mon mari en train de dormir et ils m'ont attrapée par le pagne. L'un des hommes m'a emmenée dehors, [où] j'ai vu deux autres hommes en train de violer ma nièce. Il m'a dit d'enlever mon pagne et j'ai dit que j'avais mes règles. Il a dit: «Tu mens», et il a jeté mon pagne au loin et m'a violée. Puis le deuxième homme est arrivé et a vu le sang, et il a dit qu'il ne me toucherait pas parce que j'étais sale, il m'a dit ensuite d'aller dire à mon mari de leur donner tout son argent sinon il verserait notre sang.[73]

Certaines victimes ont indiqué avoir été victimes de viols collectifs, comme cette veuve de 61 ans et mère de six enfants qui a été victime d'une attaque en janvier 2009 :

Il faisait nuit et je dormais et ils sont venus frapper à ma porte. J'avais une lampe dans ma chambre et ils ont poussé la porte et cassé la lampe. Il y avait quatre hommes. Ils m'ont demandé: «Où est l'argent?» Quand j'ai dit que je n'en avais pas, l'un d'eux m'a poussée et il est tombé sur moi. Je suis tombée sur le dos et il s'est couché sur moi et il a enlevé mon pagne et l'a jeté de côté. Il m'a dit de ne pas parler et il m'a mis la main sur la bouche. Il a eu des relations sexuelles avec moi. Tous les quatre m'ont violée et ont pris la fuite. Ils ne m'ont pas volée puisque je n'ai rien à prendre.[74]

Dans un incident distinct en juillet 2009 aux Dix-Huit Montagnes, une femme de 35 ans a décrit une intrusion violente à son domicile au cours de laquelle elle-même et son mari ont été brutalement agressés, et où elle a été attachée et violée collectivement. Elle a été incapable de voir ses agresseurs parce que sa tête était couverte d'une taie d'oreiller, et donc elle ne pouvait pas être sûre du nombre exact d'hommes qui l'ont violée :

Ils ont poussé la porte et mon mari et moi avons été bouleversés quand ils sont entrés. Le premier voleur a frappé mon mari sur le côté de la tête et le second à la taille. Il saignait beaucoup. Mon mari m'a dit de me placer derrière lui…. L'un d'eux m'a agrippée par mon chemisier et il a placé une machette contre mon cou. Il a dit à mon mari: «Si tu n'arrêtes pas d'être brave, je tuerai ta femme.» … Ils ont pris un drap et ils ont couvert la tête de mon mari. Ils m'ont ordonné de m'allonger et ont dit: «Donnez-moi de l'argent.» Mon mari a dit qu'il n'avait pas encore reçu son salaire, et le bandit a dit: «Dans ce cas, nous allons vous tuer.» … Je leur ai dit que j'avais beaucoup de pièces de tissu et qu'ils devraient les prendre, mais ils ont dit que ça ne suffisait pas. J'ai dit: «Prenez ma boite de bijoux», mais ils ont dit que ce n'était pas assez…. Finalement ils m'ont couvert la tête et avec une machette ils ont tailladé mes sous-vêtements et mes vêtements…. Avec mon mari à côté de moi, ils ont commencé à me violer. Je n'ai rien dit et j'avais simplement mal à l'intérieur. Ma tête était couverte ; je ne sais pas combien d'entre eux m'ont passé dessus et m'ont violée. J'étais couverte de sang. Il y en a encore sur le mur de ma chambre.[75]

Violences sexuelles commises lors d'activités quotidiennes

Human Rights Watch a aussi documenté les cas de femmes et de filles qui ont été agressées et violées alors qu'elles rentraient chez elles à pied du travail ou du marché, qu'elles prenaient soin de leurs champs et se trouvaient dans la forêt à la recherche de nourriture ou de bois. À Danané, une jeune fille de 15 ans a confié à Human Rights Watch avoir été violée par deux hommes en mai 2010 alors qu'elle rentrait chez elle depuis le lieu de son apprentissage :

Je venais du travail et je m'apprêtais à traverser la rivière -je dois prendre une route secondaire pour cela. Il était 7 heures du soir. J'ai descendu la route et quatre hommes sont arrivés derrière moi et m'ont sauté dessus. Deux d'entre eux m'ont attrapée et ils me tenaient pendant que les deux autres me violaient. Je ne pouvais rien faire.[76]

Dans plusieurs cas documentés par Human Rights Watch, les attaquants ont violé des femmes portant des enfants sur leur dos alors qu'elles rentraient chez elles depuis le marché local. Une femme de 32 ans a décrit ce qui lui était arrivé ainsi qu'à quatre autres femmes alors qu'elles revenaient du marché en janvier 2010 :

Nous étions loin de chez moi dans la forêt ; j'avais mon bébé avec moi quand [les bandits] nous ont arrêtées au milieu de la route. Ils m'ont attrapée et ils ont dit : «Enlève le bébé», et ils ont pris mon bébé et l'ont jeté par terre. Ils m'ont battue encore et encore avec l'extrémité de la kalach [fusil d'assaut kalachnikov]. Mon bébé était dans les buissons et ils me violaient…. Quand ils ont eu fini, je suis allée ramasser mon bébé. Ils m'ont frappée, et mon bébé est tombé de nouveau.[77]

Au cours du même incident, une femme de 20 ans qui était alors enceinte de trois mois a raconté avoir été violée bien qu'elle ait imploré les agresseurs :

Il m'a attrapée et m'a dit: «Je vais coucher avec toi.» Je lui ai dit que c'était un sacrilège parce que j'étais enceinte, mais il n'a rien répondu. Quand j'ai dit que ne pouvais pas le faire, il a dit: «Si tu ne le fais pas, je te tuerai[78]

Personne n'est épargné: Les femmes et filles de tous âges sont en danger

Human Rights Watch a documenté huit cas de filles violées par des bandits et autres agresseurs non identifiés, dont trois adolescentes qui ont été violées au cours d'une violation de propriété et sont arrivées à un centre de soins aux Dix-Huit Montagnes alors que Human Rights Watch menait son enquête.[79] Parmi ces huit cas, Human Rights Watch a documenté des violences sexuelles commises contre des bébés n'ayant pas plus de sept mois.[80] La tante de ce nourrisson a expliqué à Human Rights Watch que ses deux nièces, -âgées de sept mois et de deux ans- ont été violées par un agresseur non identifié en janvier 2010 alors qu'elles dormaient dans un champ, pendant que leur tante s'occupait de ses récoltes à seulement quelques mètres de là.[81] Dans un autre cas aux Dix-Huit Montagnes, une jeune fille de 16 ans a expliqué à Human Rights Watch comment elle avait été violée alors qu'elle cherchait de la nourriture en février 2009 :

J'étais juste en train de marcher, pas loin de chez moi, et un homme, je ne le connaissais pas … il m'a violée. Il n'a rien dit, il était habillé tout en noir et il m'a violée et il est parti. Je me suis mise à pleurer et je suis allée à la maison mais je n'ai rien dit à personne. J'avais peur parce que j'étais seule. Je n'avais jamais eu de relations sexuelles avant et j'ai été enceinte après ça et maintenant j'a un bébé.[82]

Human Rights Watch a aussi documenté plusieurs cas de viols commis contre des femmes de plus de 60 ans. L'une d'elles a été agressée chez elle, tandis que deux autres ont dit avoir été violées alors qu'elles se rendaient au marché. Josie (nom d'emprunt), une femme de 78 ans, a expliqué à Human Rights Watch dans quelles circonstances elle avait été violée en janvier 2010 alors qu'elle se rendait à pied à la ville :

Je prends des céréales et des noix de palmiste et je les apporte à la ville pour les vendre, afin d'aider ma famille à subsister. Un jour sur le trajet j'ai rencontré quatre hommes. Je pensais qu'ils allaient au village aussi. Quand je suis arrivée plus près, ils ont dit: «Vieille femme, ta vie est finie aujourd'hui.» J'ai dit: «Jeune homme, je suis vieille, ne me tuez pas.» Ils ont dit: «Grand-mère tu crois que nous allons nous contenter de te tuer ? Nous allons faire plus que juste te tuer.» … Ils ont pris mon panier et l'ont jeté dans la rivière. Ils m'ont prise et traînée dans les buissons … et ils ont fait tout ce qu'ils voulaient avec moi, ils m'ont violée…. Deux d'entre eux violaient et deux autres montaient la garde.[83]

Conséquences des violences sexuelles

Les femmes et les filles interrogées par Human Rights Watch ont décrit de graves séquelles physiques et émotionnelles à la suite des violences sexuelles qu'elles avaient subies, y compris l'incapacité de concevoir. D'autres ont indiqué que la peur d'être agressées les avait conduites à modifier considérablement leur façon de vivre. Une femme burkinabé de 39 ans qui avait été violée par des coupeurs de route en revenant du marché en janvier 2010 a expliqué :

Au village nous avons besoin de beaucoup de choses pour cuisiner… [que] nous devons nous procurer en ville. Après l'agression, nous ne pouvons pas aller acheter les choses dont nous avons besoin pour cuisiner. Nous avons trop peur.[84]

Plusieurs femmes ont expliqué que la restriction des déplacements a entraîné une perte considérable de revenus et une incapacité à assurer la subsistance de leurs familles. Une femme de 29 ans a expliqué :

Je ne peux pas me rendre au marché en toute sécurité. Je n'ai pas le choix, je dois aller au marché… mais nous avons peur. Je ne vais plus à Duékoué, je vais au marché plus petit [dans un autre village]. Ma vie a été touchée. Je vends moins parce que le marché est petit [dans ce village]. Quelques femmes vont encore à Duékoué, mais beaucoup n'y vont pas.[85]

Un certain nombre de femmes ont déclaré être incapables de concevoir après avoir été violées. Dans d'autres cas, des femmes ont été enceintes après l'attaque, et certaines d'entre elles ont subi des avortements à risque. À Danané, Human Rights Watch a documenté le cas d'une jeune fille de 15 ans qui a été enceinte après avoir été violée en mars 2009 et a accouché en décembre 2009.[86] D'autres femmes ont expliqué avoir été contraintes par des membres de la famille à interrompre leur grossesse dans des centres médicaux ; dans un cas, une jeune fille de 15 ans a indiqué à Human Rights Watch qu'elle avait pris des mesures mettant sa vie en danger pour provoquer un avortement à la maison après avoir été violée et qu'elle n'avait pas pu accéder à des soins appropriés.[87] Toutes les victimes ont déclaré souffrir de dépression et d'isolement à la suite des violences qu'elles avaient subies. Deux femmes ont indiqué que leur mari les avaient quittées à cause du viol.[88]

À l'exception d'un petit nombre de femmes qui avaient été aidées par des organisations locales et internationales qui ont soit payé, soit fourni gratuitement, des soins médicaux et un soutien psychologique, très peu de victimes ont pu obtenir des soins de santé appropriés après l'attaque. Peu de structures médicales sont présentes dans la région, et le coût des traitements est souvent prohibitif, notamment l'achat de médicaments pour prévenir les infections sexuellement transmissibles, y compris le VIH. Une femme de 41 ans violée par un coupeur de routeau Moyen Cavally a expliqué :

Je suis allée à l'hôpital, mais ils ne se sont pas occupés de mon cas, ils m'ont juste donné deux ordonnances, mais je n'avais pas les moyens de payer. J'ai essayé d'emprunter de l'argent pour acheter le médicament le moins cher mais je n'ai pas pu.[89]

L'aide apportée par l'État en matière de soins destinés aux victimes de viol, ainsi que de soins de suivi, notamment de consultations de soutien psychologique et de services de soutien, est faible.[90] Les femmes ont aussi mentionné les obstacles logistiques ou financiers à l'accès aux soins dans les quelques hôpitaux et cliniques situés loin de leurs domiciles.[91]

Identifier les criminels

L'identité, l'affiliation et le nombre de bandits opérant dans la région ont été difficiles à évaluer. Comme décrit ci-dessus, les assaillants portent presque toujours des masques et ne semblent pas employer des tactiques distinctives. Les victimes ont été interrogées sur la langue parlée par les attaquants, les marques, les vêtements et autres signes distinctifs potentiels, mais les groupes semblent fonctionner de façon similaire.

La grande majorité des habitants interrogés par Human Rights Watch estime que les coupeurs de route perpétrant les attaques contre les véhicules de transport et les gangs armés qui attaquent les maisons et les villages ne faisaient qu'un. Ils ont remarqué la façon dont les deux types d'assaillants étaient organisés, qu'ils étaient habillés de façon similaire -presque toujours avec des cagoules ou des masques de fortune- et portaient tous deux des fusils AK-47.

Les habitants ont souvent lié la criminalité rampante aux milices soutenues par le gouvernement Gbagbo pendant le conflit armé, en raison de la conviction que les forces de la milice possédaient l'écrasante majorité des AK-47 de la région, remontant au conflit armé.[92] Tout en ne prétendant pas que les gangs criminels sont appuyés par le gouvernement, les habitants ont lié la hausse de la criminalité à la prolifération des armes lorsque le gouvernement avait précédemment soutenu les milices, ainsi qu'à l'échec actuel du désarmement. Un habitant de Guiglo, la capitale de fait des forces de la milice dans le Moyen Cavally, a exposé à Human Rights Watch une opinion partagée par d'autres :

Les bandits sont souvent d'anciens membres des milices. Ils n'ont pas de travail, donc c'est ce qu'ils font pour gagner de l'argent. Ils ont des fusils de la guerre, c'est facile. Qui d'autre ici possède autant d'armes, autant de kalachs ? ... Et s'ils ont des problèmes, il y a tellement d'autres membres de milices ici, et ils sont si bien armés qu'ils sont tout simplement relâchés. Même s'ils sont masqués, nous savons qu'ils commettent un grand nombre de ces crimes.[93]

Plusieurs victimes interrogées par Human Rights Watch ont été en mesure d'identifier directement les criminels -soit au cours d'attaques sur la route ou de maisons- comme des hommes qui faisaient autrefois partie d'une milice. Une victime d'une violation de propriété a reconnu un assaillant non masqué, ancien membre de milice, qui avait déjà été arrêté plusieurs fois pour vol à main armée mais avait chaque fois été libéré.[94] Le doyen d'un village a décrit une bande d'au moins sept personnes, comprenant plusieurs anciens membres de milices, qui opéraient à partir d'un village voisin et avaient été identifiés lors de la perpétration de plusieurs attaques de routes au cours des derniers mois.[95] Une victime d'un cambriolage à son domicile en mars 2010 a expliqué à Human Rights Watch comment il a découvert que l'un de ses agresseurs avait appartenu à la milice :

La police n'a rien fait, mais j'ai fait ma propre enquête et découvert qui m'avait volé…. Un voisin a entendu l'homme se vanter de l'attaque, puis je l'ai vu avec [plusieurs de mes possessions]. Il vit à proximité, il est membre d'une milice et c'est un coupeur de routeconnu. J'ai vu ses armes, son masque, je l'ai vu dépenser des tas d'argent bien qu'il n'ait pas d'emploi.[96]

Certaines milices qui n'ont pas encore été démobilisées ou désarmées peuvent aussi être indirectement impliquées dans certaines attaques, même sans les avoir menées directement elles-mêmes. Un fonctionnaire de l'ONU travaillant de près sur les questions sécuritaires et de droits humains dans le Moyen Cavally a indiqué à Human Rights Watch qu'ils avaient documenté de multiples cas où des individus avaient loué des armes auprès des milices pour se livrer au banditisme.[97]

Cependant, dans l'écrasante majorité des cas que Human Rights Watch a documentés, aucun lien connu avec les milices n'a pu être établi, car les victimes ne pouvaient tout simplement pas identifier les criminels en raison des masques et des vêtements portés. Le lien est essentiellement spéculatif, basé sur la concentration d'armes et quelques cas isolés, et exige une enquête à mener par les autorités étatiques.

Quand il a été interrogé par Human Rights Watch au sujet de la relation entre les milices et la criminalité dans le Moyen Cavally, le Général Denis Maho Glofieï -qui a affirmé que 25 000 miliciens dans la région sont directement sous son contrôle- a seulement indiqué que la criminalité n'était plus un problème dans la région, et tout particulièrement que les attaques des coupeurs de route ne se produisaient plus.[98]

Que ce soient les milices ou autres bandes de criminels, l'opinion répandue parmi les habitants de la région était que la criminalité mettait en cause plus que quelques petits groupes, car les attaques des coupeurs de routeet les attaques armées à domicilese produisent sur un rayon d'au moins 100 kilomètres s'étendant de Bangolo jusqu'à Blolequin, englobant à la fois les villes principales et les villages environnants. Les victimes et les habitants de chaque ville ont estimé que les attaques dans leur région étaient menées par de grands groupes d'hommes armés qui vivaient dans des quartiers bien connus dans et aux environs de leur ville.[99] Un habitant de Duékoué, par exemple, a déclaré à Human Rights Watch :

Tout le monde sait qui sont les assaillants et où ils vivent. Cela est de notoriété publique. Ils sont connus comme les « jeunes des carrefours » -il y a un quartier où ils vivent tous. Ils sont armés, généralement de kalachs, et ils sont dangereux. Il y en a des centaines, même des milliers. Même s'ils ne sont pas tous des coupeurs de route, ils font tous partie du même groupe -des ex-combattants des milices. Trois groupes d'ex-miliciens vivent dans ce même quartier. Personne ne peut les dénoncer parce que nous savons tous qu'ils nous puniront, qu'ils se vengeront, qu'ils nous tueront.[100]

D'autre part, dans chaque ville de l'ouest visitée par Human Rights Watch -Duékoué, Guiglo, Bangolo et Man- les habitants ont désigné un ou plusieurs quartiers comme complètement interdits. Ce sont des quartiers où on ne peut pas pénétrer en toute sécurité, selon les habitants, en raison de grands groupes de jeunes armés qui sont généralement décrits soit comme des membres ou des anciens membres de milices d'autodéfense, soit comme des combattants des Forces nouvelles, selon la région. Ils ont également été décrits comme des plateformes d'activité criminelle que les autorités étatiques ne combattaient pas. Comme l'a souligné un fonctionnaire de l'ONU dans la région: «Avec une arme, ils peuvent racketter, ils peuvent vivre facilement comme ça. Personne ne les arrête ; les autorités étatiques sont complices par leur passiveté. Cela ne changera pas tant que ceci existe.»[101]

Défaillance de l'État : Insécurité et impunité

La violence est devenue le principal moyen d'expression dans cette région. Si vous n'êtes pas soutenu par les armes, personne ne vous écoute, parce que l'État ne fait rien.
–Un représentant d'une organisation locale de défense des droits humains de la région des Dix-Huit Montagnes, juillet 2010

Human Rights Watch s'est entretenu avec des dizaines de victimes et de témoins d'actes criminels qui ont décrit une négligence dans le service quasi-complète de la part des policiers et gendarmes qui se sont ont à maintes reprises abstenus d'enquêter activement sur des actes criminels, d'appréhender des criminels connus ou de prendre des mesures pour empêcher les actes criminels en effectuant des patrouilles régulières dans les zones durement touchées. En outre, le manque de ressources allouées par l'État aux forces de sécurité semble avoir encouragé les individus qui se livrent à des activités criminelles. Les actes d'extorsion généralisés contre les villageois perpétrés par des policiers et des gendarmes occupant des postes de contrôle ont conduit à des souffrances et des difficultés économiques encore plus grandes pour les habitants, et ont diminué encore plus le peu de confiance des personnes pour signaler des crimes à la police.

Dans l'ouest de la Côte d'Ivoire, le gouvernement a presque entièrement manqué aux obligations qui lui incombent au regard du droit international des droits humains de respecter le droit à la vie, le droit à l'intégrité physique, le droit à la liberté et à la sécurité de la personne, et le droit d'être libre de discrimination, qui comporte une obligation pour les États de prendre les mesures appropriées pour éliminer la violence sexuelle et basée sur le genre.[102] Conformément à ces obligations, l'État doit prendre toutes les mesures raisonnables pour protéger les personnes se trouvant sur son territoire ou relevant de sa compétence, notamment en engageant des poursuites contre les individus qui sont responsables de violations de ces droits lorsque ces violations constituent des crimes.[103] Mais dans l'extrême ouest de la Côte d'Ivoire, comme nous l'avons décrit, des hommes armés commettent des actes de violence souvent d'une grande brutalité sans crainte apparente de faire l'objet d'enquêtes, et encore moins de devoir rendre compte de leurs crimes.

De nombreuses défaillances et obstacles de la part des autorités de l'État laissent les victimes de violences sexuelles, d'actes de banditisme et d'autres exactions dans l'ouest de la Côte d'Ivoire sans aucun accès à la justice, et avec peu ou pas de protection immédiate. Les efforts déployés par les victimes pour réclamer protection contre un danger immédiat et pour signaler des crimes à la police, aux gendarmes ou à d'autres autorités se heurtent généralement à l'inaction des agents de l'État, et même à l'extorsion. Les rares cas qui donnent lieu à des enquêtes et aboutissent à des poursuites judiciaires sont jugés au sein d'un système criblé de déficiences, notamment des tribunaux inaccessibles, des officiers judiciaires corrompus et absents et la non existence de programmes de protection des témoins. En même temps, des lacunes dramatiques au sein du système carcéral, notamment la corruption ainsi que des installations et un nombre de gardiens insuffisants pour contenir les suspects, ont conduit à la libération prématurée ou illégale des auteurs présumés qui sont en détention provisoire ou même de criminels condamnés. Une fois libérés, ils sont libres de se venger de leurs victimes pour les avoir dénoncés. Dans certains cas, le manque de confiance envers les mécanismes officiels de l'État a conduit les Ivoiriens à se tourner vers des groupes d'autodéfense pour se protéger.

Défaillance des autorités de l'État relative à la protection contre des dommages aux particuliers

Selon le droit international, l'État a l'obligation de prendre des mesures raisonnables pour protéger l'exercice de leurs droits par les personnes contre des dommages tant étatiques que privés. Si le niveau et le degré d'obligation d'agir pour un État varient lorsqu'il s'agit d'actes commis par des groupes ou des personnes privées, il est très probable qu'il s'agit d'une violation des droits humains quand les autorités se montrent tout à fait incapables de fournir -ou refusent tout simplement de fournir- même un minimum de sécurité, permettant ainsi directement d'autres attaques. Il s'agit là d'une défaillance extrême de l'État, quel que soit le seuil employé.

Des dizaines de victimes, y compris les chauffeurs, les passagers et les femmes et filles qui ont été violées dans les transports en commun, ont déclaré à Human Rights Watch que les policiers et les gendarmes ne font aucune contribution à leur sécurité. Les victimes ont expliqué s'être rendues aux postes de contrôle -théoriquement mis en place pour apporter la sécurité dans des zones présentant des taux élevés de criminalité- immédiatement après une attaque et avoir demandé que les policiers et les gendarmes poursuivent les criminels qui venaient juste de les agresser ou qui étaient en train d'en agresser d'autres.

Bon nombre de ces victimes ont dit qu'elles avaient signalé l'incident dans les 30 minutes après l'attaque, qui s'était produite à quelques kilomètres à peine du poste de contrôle de la police ou de la gendarmerie. Pourtant dans l'écrasante majorité des cas, ces demandes sont restées lettre morte : les policiers ou les gendarmes ont refusé de quitter leurs poste de contrôle, de demander des renforts par téléphone ou radio, ou d'offrir les premiers soins aux victimes. Un chauffeur de 36 ans qui a été victime d'une attaque de bandits au cours de laquelle une jeune fille a été violée a décrit une réaction typique des autorités :

[Après l'attaque], nous sommes arrivés au poste de contrôle situé à l'entrée de Duékoué. Là, nous avons expliqué aux gendarmes ce qui s'était passé, à propos de l'attaque et de l'endroit où se trouvaient les bandits [à moins de cinq kilomètres]…. L'un d'eux a dit: «Vous avez de la chance, il n'y a aucun mort parmi vous.» Il a dit ça alors que la jeune fille qui avait été violée se tenait juste à côté, après sue nous leur avions fait part de l'ampleur de ce qui s'était passé. Et ils n'ont même pas bougé. Je suis resté là pendant un certain temps et ils ne sont jamais partis. Puis je suis revenu par là [le poste de contrôle] après que nous avons emmené la jeune fille à l'hôpital, et ils étaient tous encore là. J'ai demandé à une personne qui vendait des articles à proximité et qui avait vu tout ce qui s'était passé, et elle a dit qu'ils n'avaient quitté le poste à aucun moment, qu'ils n'avaient même pas appelé quelqu'un. Ils se sont contentés de rester assis là. C'est tout ce qu'ils font.[104]

Lors d'un autre incident au Moyen Cavally en 2010, un groupe de cinq femmes qui avaient échappé à pied à une attaque de criminels armés et avaient réussi à arriver jusqu'à un poste de contrôle, ont signalé le viol de quatre autres femmes dont elles pensaient qu'elles étaient toujours détenues par leurs agresseurs. Ces femmes ont expliqué comment elles avaient supplié en vain les policiers et les gendarmes qui gardaient le poste de contrôle pour qu'ils poursuivent les assaillants. Au lieu de cela, comme l'a rapporté l'une des victimes faisant partie du groupe: «Les policiers n'y sont pas allés. Ils ont dit: 'Ce n'est pas notre travail, notre travail se limite à la garde du poste de contrôle'[105]

De nombreuses victimes pensaient que les hommes qui les avaient agressées vivaient dans des quartiers bien connus pour abriter les membres de gangs criminels. Et pourtant aucune des personnes interrogées n'avait jamais entendu parler d'une seule action de la part d'un gendarme ou d'un policier pour recherches des armes ou des biens volés, encore moins pour appréhender les suspects criminels connus pour y résider.

De nombreuses victimes ont indiqué que les policiers et les gendarmes ont justifié leur manque de réaction par la quantité insuffisante de véhicules, de carburant ou d'armes nécessaires pour intervenir. Un villageois a rapporté à Human Rights Watch la réponse qu'il a reçue lorsqu'il s'est adressé aux policiers et aux gendarmes à un poste de contrôle après une attaque de bandits à l'extérieur de Duékoué :

Les forces qui se trouvaient au poste de contrôle m'ont demandé s'ils [les bandits] avaient des kalachs. J'ai répondu oui alors il a dit: «Nous n'avons pas assez d'armes, et nous n'avons aucun matériel ni de véhicules pour les poursuivre ou les combattre.» [L'attaque] se déroulait à seulement deux kilomètres. Plus tard j'ai vu [les gendarmes] marcher dans la rue…. Au bout d'un moment, j'ai vu qu'ils avaient fait demi-tour et revenaient au poste de contrôle.[106]

Bien que les gendarmes aient affirmé à cette victime qu'ils n'avaient pas suffisamment d'armes, Human Rights Watch a fréquemment observé des gendarmes et autres autorités de l'État à des postes de contrôle munis d'armes semi-automatiques ainsi que de pistolets.

Le refus des agents de l'État de riposter aux attaques dans une zone donnée semble avoir encouragé les criminels à mener de nouvelles attaques. Les entretiens menés par Human Rights Watch auprès des victimes et des témoins de deux attaques criminelles survenues le même jour en janvier 2010 -dont ils pensaient qu'elles avaient été perpétrées par le même groupe- illustrent cette dynamique. À l'extérieur de Duékoué, un matin, un groupe de femmes ont été tirées hors d'un véhicule de transport public et violées. La nouvelle de l'incident et son emplacement précis se sont propagés dans la communauté, y compris jusqu'aux policiers et aux gendarmes se trouvant à un poste de contrôle à proximité. Ils se sont abstenus de poursuivre les bandits ou même d'effectuer une patrouille dans la zone. Vers 14 heures ce même jour, un camion transportant du cacao a été attaqué alors qu'il passait dans la même région par des bandits qui, d'après les descriptions de nombreuses victimes, étaient les mêmes criminels qui avaient mené l'attaque du matin.[107] Au cours de cette seconde attaque, une quinzaine de femmes ont été violées, et plusieurs passagers de sexe masculin ont été grièvement blessés.[108] Même s'ils n'avaient pas attrapé et arrêté les bandits après la première attaque, effectuer une patrouille et mettre en place une présence physique dans cette zone auraient fortement réduit la probabilité de la seconde attaque.

En outre, en dépit de preuves manifestes suggérant que les attaques criminelles sont à leur apogée durant la saison des récoltes et sont plus susceptibles de se produire les jours de marchés hebdomadaires, les forces de sécurité se sont abstenues d'effectuer des patrouilles préventives. Les jours de marché en particulier, un minimum d'efforts de la police et des gendarmes pourrait vraisemblablement réduire les violences qui ont lieu étant donné les trajets connus que les gens empruntent principalement. Pourtant les forces de sécurité de l'État n'ont pas fait de tels efforts.

Dans de telles situations, le Comité des droits de l'homme de l'ONU, l'organisme expert qui surveille l'application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, a estimé que l'État viole son obligation de protéger les personnes «contre des actes commis par des personnes privées, physiques ou morales, qui entraveraient l'exercice des droits énoncés dans le Pacte» -notamment les droits à la vie et à l'intégrité physique.[109] Le Comité de l'ONU pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes a établi la même obligation de protéger les femmes contre les violences sexuelles, notamment le viol, commises par des acteurs privés, et le Comité de l'ONU des droits de l'enfant a déclaré que «les États parties ont le devoir de protéger les enfants contre toutes formes de violence et de mauvais traitements susceptibles de se produire au foyer, à l'école ou dans d'autres établissements, ou au sein de la communauté.»[110]

Défaillance des autorités de l'État relative au devoir d'enquêter sur les crimes qui leur sont signalés

Il n'y a pas de justice en Côte d'Ivoire.
–Doyen de village, Moyen Cavally, juillet 2010
Pourquoi est-ce que je porterais plainte ? Cela va seulement me causer des problèmes. Vous ne faites pas cela quand il s'agit de ces gars, il faut juste laisser tomber.
–Une victime de cambriolage, Guiglo, 25 juillet 2010

Les autorités de l'État dans l'extrême ouest du pays, notamment la police, les gendarmes et les procureurs, enquêtent rarement sur les plaintes déposées par les victimes. La conduite non professionnelle des fonctionnaires, des ressources insuffisantes et un manque évident de volonté de poursuivre les auteurs présumés sont à la source de ce défaut d'enquêtes de la part des autorités. De plus, l'extorsion ainsi que le coût élevé des certificats médicaux requis pour déposer plainte, tout comme les frais élevés exigés pour commencer une enquête, limitent encore l'accès des victimes à la justice.

Des dizaines de victimes d'attaques criminelles et de vols avec violences, y compris des victimes de violences sexuelles, ont expliqué que lorsqu'elles ont signalé les crimes aux autorités, elles ont été accueillies avec peu d'intérêt ou des réactions dédaigneuses. Une victime de viol qui s'est rendue au poste de police de Duékoué en janvier 2010 a exprimé des sentiments repris par de nombreuses personnes interrogées par Human Rights Watch :

Je suis allée à la police et ils nous ont posé des questions, ils écrivaient, ils ne disaient rien. Je n'ai plus jamais entendu parler de rien.[111]

Dans des dizaines de cas documentés par Human Rights Watch, les victimes de violences tant au Moyen Cavally qu'aux Dix-Huit Montagnes ont déclaré que les policiers ou les gendarmes leur avaient réclamé de l'argent lorsqu'elles avaient déposé leur plainte. Au Moyen Cavally, les agents de l'État réclament régulièrement 2 000 francs CFA (3 euros) pour enregistrer une plainte, selon les victimes de violences sexuelles et les organisations travaillant auprès de ces victimes. Dans d'autres cas, les policiers et les gendarmes refusent d'enquêter tant qu'ils n'ont pas reçu de certificat médical -qui coûte 30 000 francs CFA (46 euros)- document que les victimes ont rarement les moyens de payer. Encore une fois, le résultat est l'inaction de l'État, comme l'a expliqué une personne appartenant à une organisation qui travaille auprès des victimes de violences sexuelles :

Souvent, les filles viennent ici chercher de l'aide après avoir tenté de signaler leur cas à la gendarmerie. Elles viennent demander de l'aide parce que les gendarmes leur ont demandé 2 000 francs CFA pour enregistrer leur plainte et elles n'ont pas du tout d'argent…. Nous avons aussi de nombreux cas qui ne vont pas plus loin que la gendarmerie parce qu'on demande aux filles des certificats médicaux…. Ce n'est pas correct. On ne réclame pas un certificat médical pour enregistrer une plainte.[112]

Certains des suspects qui ont été arrêtés alors qu'ils commettaient des actes de banditisme ont été relâchés par la police dans les 24 ou 48 heures. Un ancien membre des forces de sécurité a expliqué comment un coupeur de route, qui était facilement identifiable par ses victimes en raison de caractéristiques physiques particulières, a été appréhendé et remis à la police -seulement pour être relâché quelques heures plus tard. Il a depuis lors été identifié comme l'auteur de nouveaux actes de criminalité.[113]

À certains moments, il semble que l'auteur présumé se trouvant dans la communauté peut influencer la réticence des autorités, voire le refus d'enquêter et de procéder à des arrestations. Un doyen du village dans la région de Moyen Cavally a fait part à Human Rights Watch d'une série de cambriolages perpétrés par le même homme fin juin et début juillet 2010, que les autorités ont refusé d'arrêter en dépit du fait qu'il y avait des témoins qui l'avaient impliqué dans des crimes :

On nous a dit que les autorités ne permettront jamais que ce gars-là soit arrêté et enfermé [parce qu'il est parent d'une autorité locale étatique de haut niveau]. Alors plutôt, le commandant de gendarmerie nous dit de l'attraper nous-mêmes. Comment sommes-nous censés attraper quelqu'un qui a une kalach ? Donc ce gars-là, celui qui a commis ces vols, il se promène encore librement dans le village. Il vient boire ici presque chaque soir. Il est le chef d'un gang, un gang de coupeurs de route … plusieurs qui étaient avant dans les milices.[114]

Une victime d'un vol à main armée à Guiglo a décidé de ne pas porter plainte à la police au sujet de l'attaque de sa maison, bien que cet homme ait identifié l'un des coupables, pour des raisons similaires :

Ce gars-là, celui qui l'a fait, a déjà été arrêté à plusieurs reprises. Mais chaque fois qu'il est arrêté, un homme puissant de la milice pousse la police à le relâcher -et, bien sûr, il l'est. Plusieurs fois il a été arrêté puis relâché dans la journée, deux jours maximum. Alors à quoi ça sert ?[115]

Des criminels invincibles : Confusion et peur des représailles aux Dix-Huit Montagnes

Les victimes dans la région des Dix-Huit Montagnes contrôlée par les rebelles sont confrontées à des obstacles supplémentaires qui ne font tous que garantir l'impunité pour les auteurs de crimes. Dans de multiples zones considérées comme étant le territoire des Forces nouvelles, il est difficile de savoir quelles autorités ont le véritable contrôle. De nombreuses victimes et leurs familles à Man ont expliqué à Human Rights Watch qu'elles étaient incapables de faire la distinction entre les membres en uniformes des Forces nouvelles et les membres légitimes du Centre de commandement intégré -mandaté pour prendre en charge la sécurité à Man en vertu de l'Accord politique de Ouagadougou de 2007.[116] Une victime de viol à Man a confié à Human Rights Watch : «Nous ne savons pas à qui nous adresser. Ils portent tous des uniformes semblables. Nous les appelons tous des 'rebelles'[117]

Cette confusion est aggravée par le total manque de confiance des victimes envers la capacité des forces intégrées à réagir aux crimes signalés et à mettre les victimes à l'abri de représailles, en particulier dans les cas de violence sexuelle. Bien que Human Rights Watch n'a pas pu déterminer si les forces rebelles actuelles ou anciennes étaient les principales responsables de viols, les victimes ainsi que les organisations locales ont clairement indiqué que la majorité des viols n'étaient pas signalés aux autorités parce que les victimes craignaient des représailles si l'auteur du viol était un ancien rebelle ou bien s'il avait des liens passés ou présents avec les Forces nouvelles. La personne représentant une organisation locale qui porte assistance à des victimes de violences sexuelles a expliqué à Human Rights Watch : «Ce n'est pas facile de le signaler. Les gens ont peur…. Si vous êtes violée par quelqu'un qui appartenait aux Forces nouvelles ou qui connaît quelqu'un qui en fait partie et que vous le dénoncez, ils ne vont pas l'arrêter ou bien ils vont l'arrêter pour le relâcher le lendemain, et la personne peut s'en prendre à la victime[118]

En effet, le sens de l'anarchie est si profondément ancré aux Dix-Huit Montagnes que les criminels se sentent libres de terroriser et narguer leurs victimes. Une victime de viol âgée de 17 ans a décrit à Human Rights Watch l'impudence de son agresseur :

Il m'a traînée dans sa maison, m'a poussée sur le lit et m'a cognée dans le dos et les côtes pendant longtemps…. Puis il a commencé à me violer. Je criais et il a dit: «Tu peux crier tant que tu veux, mais il n'y a personne ici, et même si les rebelles arrivent, je leur donnerai de l'argent et ils me relâcheront. Tu perds ton temps[119]

Faillite du système judiciaire

Dans les rares cas où la police ou les gendarmes font une enquête et arrêtent un auteur présumé, l'affaire se poursuit à travers un système judiciaire qui, dans l'extrême ouest, est presque entièrement brisé. Effectivement, par le biais d'entretiens menés auprès de plus de 80 victimes, Human Rights Watch n'a pu documenter qu'un seul cas dans lequel l'auteur a été emprisonné : un violeur d'enfants en série, qui avait été mis en détention préventive pendant plusieurs mois dans l'attente de son procès.[120]

Avant le conflit armé, l'un des sept tribunaux de première instance nationaux se trouvait à Man, où les délits mineurs et graves étaient jugés ainsi que les affaires civiles pour les régions des Dix-Huit Montagnes et du Moyen Cavally.[121] Un juge du tribunal de paix de Danané, avec des centres de détention élémentaires contigus, supervisait également les affaires criminelles et civiles triviales dans ces régions.[122] Cependant, les autorités judiciaires ont fui quand les rebelles ont occupé le Moyen Cavally en 2002, laissant les tribunaux et les prisons aux mains des rebelles. Le redéploiement des fonctionnaires judiciaires d'État à Man a commencé en février 2009, mais le tribunal est encore largement inactif quand il s'agit de poursuivre des affaires pénales. Bien que les tribunaux aient été inactifs, le régime de la loi s'est effondré au cours de la dernière décennie -une période qui a vu une augmentation marquée de criminalité répandue selon les habitants.

Pour la population du Moyen Cavally, aucun tribunal de première instance, ni même de tribunal de justice de paix, n'existe dans la région. Bien qu'il y ait un bâtiment vacant en guise de tribunal de première instance à Guiglo, il n'a jamais été opérationnel -les affaires ont été historiquement envoyées à Man, car il n'y avait pas de prison à Guiglo. Des fonctionnaires de l'ONU ont indiqué à Human Rights Watch que le gouvernement a promis de construire une prison à Guiglo en échange de la restauration du tribunal par l'ONUCI. Cependant, au moment de la rédaction de ce rapport, le gouvernement n'a pas encore signé l'accord, qui avait été en préparation pendant des mois.[123] Un haut représentant d'une organisation internationale travaillant sur la question a déclaré que le gouvernement avait omis de prendre des mesures concrètes pour la construction de la prison, et au lieu de cela, a donné la priorité aux préparatifs et à la campagne pour les élections à venir. Le représentant a affirmé qu'il en allait de même pour de multiples questions relatives aux droits humains et à l'État de droit.[124]

Par conséquent, les victimes doivent voyager entre 70 et 250 kilomètres pour atteindre le tribunal le plus proche, situé dans la ville de Daloa dans la région voisine du Haut-Sassandra. La police judiciaire et les juges d'instruction chargés d'enquêter sur le crime doivent également parcourir des distances similaires pour atteindre des zones du Moyen Cavally. Les victimes, les représentants des organisations communautaires et les fonctionnaires de l'ONU ont tous déclaré à Human Rights Watch que le tribunal de Daloa était peu pratique compte tenu de l'insécurité à laquelle ils seraient soumis et du coût que cela représenterait s'ils effectuaient des allers retours à Daloa.[125]

D'autre part, de nombreuses personnes vivant dans le Moyen Cavally ont signalé que les autorités judiciaires de Daloa relâchaient les malfaiteurs présumés dans les jours qui suivaient leur arrestation, sans suivi ultérieur, laissant les victimes tout aussi affectées par la crainte de représailles qu'elles sont découragées à propos de l'efficacité du système judiciaire. Un doyen du village a exprimé un sentiment partagé par des dizaines d'autres : «La justice n'existe pas ici ; ils les envoient à Daloa, et la semaine suivante nous les voyons revenir ici.»[126]

Selon les victimes, les témoins et les observateurs, l'échec de la restauration d'un système judiciaire qui fonctionne à Dix-Huit Montagnes a rendu impossible de faire rendre compte de leurs actes aux soldats rebelles anciens ou présents, ou à ceux qui sont liés aux Forces nouvelles par le biais d'amis ou de membres de leur famille. Le système judiciaire de Dix-Huit Montagnes était censé devenir opérationnel au début de 2009 à la suite du redéploiement complet des autorités judiciaires et carcérales, conformément à l'Accord de Ouagadougou de 2007 et au Quatrième accord complémentaire de 2008. Comme indiqué plus haut, certains représentants du gouvernement n'ont pas encore été redéployés, cependant, notamment ceux prévus pour diriger la prison. Selon un fonctionnaire de l'ONU travaillant sur la question, le gouvernement a fait preuve de peu de volonté de faire du redéploiement une priorité, et n'avait toujours pas fourni de budget pour ces fonctions en août 2010. Sans salaires et le soutien nécessaire, les fonctionnaires nommés ont estimé qu'il y avait peu de chance qu'ils puissent exécuter leur travail tandis que les Forces nouvellescontrôlent toujours la région.[127]

Des victimes et des représentants d'organisations locales de défense des droits humains ont indiqué que les auteurs présumés sont souvent tout simplement relâchés après avoir commis des crimes graves.[128] Après le viol d'une jeune fille de 17 ans en novembre 2009 à Man, l'auteur reconnu a été arrêté et traduit devant quelqu'un que la victime a décrit comme un «juge». La victime a déclaré à Human Rights Watch que bien que reconnaissant l'homme comme auteur du crime, le juge a déclaré: «Vous avez de la chance qu'il n'y ait pas de prison ici. Un homme comme vous ne devrait pas être libéré. S'il y avait une prison, vous prendriez 10 ans.» Mais faute de prison et d'un pouvoir judiciaire fonctionnel, le juge a seulement ordonné au violeur de rembourser les objets -assiettes et couteaux- qu'il avait également volés.[129]

Le Centre de commandement intégré (CCI) n'a pas encore eu d'impact sur le système judiciaire défaillant. Il est censé mener des enquêtes criminelles à Man, mais, comme indiqué ci-dessus, l'unité est confrontée à de graves problèmes budgétaires et de personnel. Dans le territoire des Forces nouvelles, le CCI semble également réticent à s'impliquer compte tenu de la présence et de l'autorité évidentes des rebelles, comme l'a fait remarquer une victime à Man : «Que ferait le CCI ? Soit ils sont des FN [Forces nouvelles], soit ils sont terrifiés par les FN ! Le CCI ne fait rien ici, ils ne quittent pas leurs bureaux…. Nous sommes en territoire FN.»[130] Un fonctionnaire de l'ONU a simplement déclaré: «Le tribunal de Man ne fonctionnera pas tant que le CCI ne sera pas complètement opérationnel, ce qui est loin d'être le cas».[131]

L'échec de la restauration d'un système judiciaire fonctionnel dans l'extrême ouest, notamment par le redéploiement des fonctionnaires judiciaires et carcéraux, semble être principalement le résultat d'un manque de volonté de la part du gouvernement -comme exprimé par les organisations locales et internationales travaillant sur les questions de justice. L'Union européenne à elle seule fournit 256 millions d'euros entre 2008 et 2013 pour les programmes de développement du secteur de la justice et de la sécurité, pourtant peu de progrès ont été réalisés.[132]

Les efforts minimes des autorités étatiques à l'extrême ouest pour punir les criminels vont à l'encontre du droit des droits humains. Selon le Comité des droits de l'homme de l'ONU, un État viole ses obligations internationales s'il «s'abstient de prendre des mesures appropriées ou d'exercer la diligence nécessaire pour prévenir et punir de tels actes commis par des personnes privées, physiques ou morales, enquêter à leur sujet ou réparer le préjudice qui en résulte en sorte que lesdits actes sont imputables à l'État partie concerné.»[133]

En ce qui concerne tout particulièrement les violences sexuelles généralisées, le droit régional et international exige que le gouvernement de Côte d'Ivoire prévienne, enquête, poursuive et sanctionne la violence contre les femmes et les filles.[134] Cette obligation est fondée sur le droit à la non-discrimination, le droit à la sécurité de la personne et le droit de ne pas être soumis à la torture. Ces droits figurent dans divers traités ratifiés et acceptés par la Côte d'Ivoire,[135] et qui imposent aux États d'enquêter efficacement chaque fois que de telles violences se produisent.[136] Les États doivent également assurer un traitement approprié pour les victimes, notamment des conseils, des services de soutien, un traitement médical et une prise en charge psychologique.[137] En omettant de prendre des mesures pour poursuivre les criminels ou de fournir un soutien significatif aux femmes victimes de violences sexuelles dans l'extrême ouest, le gouvernement ivoirien a totalement omis de répondre à ces obligations.

Recours à la sécurité d'autodéfense : l'embauche de Dozos

Les autorités de l'État n'ont rien fait pour résoudre ce problème. Elles ne poursuivent jamais les bandits. Nous devons faire quelque chose ne serait-ce que pour être en mesure de nous déplacer, à quoi vous attendiez-vous ?
–Un chauffeur, Duékoué, juillet 2010

Afin de lutter contre la violence et l'insécurité généralisées dans la région, les habitants de certains villages dans les zones contrôlées par le gouvernement se sont tournés vers les groupes d'autodéfense. Ceux-ci comprennent notamment les Dozos, un groupe de chasseurs traditionnels, armés de fusils de chasse qui sont soupçonnés d'avoir des pouvoirs mystiques. Les Dozos proviennent de régions plus au nord de la Côte d'Ivoire, qui sont désormais sous le contrôle effectif des Forces nouvelles. Ce phénomène démontre clairement le manque de confiance des habitants locaux envers les autorités étatiques pour maintenir la sécurité dans la région.

L'assistance sécuritaire fournie par les Dozos est formalisée par le biais de contrats signés, ou d'accords d'autodéfense, passés entre les Dozos et les autorités locales. Les chefs de village, les planteurs et les représentants des jeunes, entre autres personnes, signent l'accord au nom du village en accordant une indemnisation aux Dozos en échange de leur défense armée et du maintien de l'ordre dans le village et les routes environnantes. Human Rights Watch a examiné deux de ces accords entre les Dozos et les doyens de deux villages aux environs de Duékoué. Les doyens des deux villages, ainsi qu'un journaliste local à Duékoué, ont déclaré à Human Rights Watch que des dizaines de villages dans la région avaient signé des accords similaires.[138] Un doyen de la localité de Fengolo a raconté :

Nous avions de gros problèmes avec des bandits le long d'une route secondaire qui va d'ici à Blolequin. Mais nous avons créé nos propres points de contrôle d'autodéfense … pourvus principalement par les Dozos, mais aussi par des membres des communautés burkinabé, malienne et ivoirienne. Nous avons conclu un accord formel avec les Dozos, qui utilisent des fusils de chasse courants et leurs pouvoirs [mystiques] pour tenir les voleurs à l'écart.[139]

Au moins un syndicat de travailleurs des transports de la région a également chargé les Dozos de protéger les routes contre le banditisme, comme l'a raconté un chauffeur de Duékoué :

Il y a certains endroits où vous ne pouvez pas aller, mais maintenant nous avons les chasseurs traditionnels [les Dozos] qui nous aident pour la sécurité le long des routes. Les chasseurs sont en train de prendre le contrôle [dans certains endroits] et, lentement, les coupeurs de route se déplacent en ville, où ils causent désormais davantage de problèmes.[140]

Bien que le doyen du village et les chauffeurs aient estimé que les Dozos avaient réduit la criminalité rampante au moins dans certaines zones, les stratégies d'autodéfense armée peuvent augmenter l'anarchie et même la violence dans la région. Plusieurs personnes interrogées estimaient que les Dozos auraient probablement recours à des moyens extrajudiciaires pour sanctionner un criminel présumé, notamment la détention et l'exécution.[141] Comme indiqué plus haut, l'ouest de la Côte d'Ivoire déborde déjà d'armes en grande partie à cause de la prolifération des milices avant et pendant le conflit armé de 2002-2003. Les individus d'au moins plusieurs de ces anciens groupes de défense communautaires sont impliqués dans le banditisme dans la région. Les autorités étatiques doivent s'acquitter de leur responsabilité d'assurer la sécurité de la population, de sorte que ces groupes d'autodéfense ne soient pas jugés nécessaires.

Actes d'extorsion et de racket commis par les autorités de l'État et les Forces nouvelles

Les forces de sécurité ivoiriennes et les rebelles des Forces nouvelleschargés de protéger la population sont impliqués dans des extorsions généralisées, dans du racket à petite et à grande échelle, et dans d'autres atteintes aux droits humains.

Les lieux les plus communs où sont commises les extorsions sont les barrages routiers et les postes de contrôle. Officiellement mis en place pour lutter contre la criminalité endémique décrite dans ce rapport, ces mécanismes sont au contraire devenus une entreprise lucrative pour les policiers, les gendarmes et autres fonctionnaires dans les zones contrôlées par le gouvernement, ainsi que pour les forces rebelles dans les zones contrôlées par les Forces nouvelles. Ces personnes réclament des pots-de-vin aux habitants, les harcèlent, et s'en prennent à eux de diverses façons pour en soutirer un profit financier personnel. Human Rights Watch et d'autres groupes ont documenté de nombreux cas d'exactions liés à l'extorsion, notamment des discriminations, des passages à tabac, des arrestations arbitraires et des détentions illégales.[142]

Si ces exactions se produisent dans toute la Côte d'Ivoire, elles sont particulièrement fréquentes dans les régions occidentales du Moyen Cavally et des Dix-Huit Montagnes en raison de la multiplicité des postes de contrôle, selon les chauffeurs et d'autres habitants.[143] Les exactions liées aux postes de contrôle ont non seulement entamé la confiance de la population dans les forces de sécurité, mais ont aussi poussé la population à prendre des routes secondaires sans postes de contrôle, s'exposant ainsi à de plus grands risques de banditisme.

Les villageois qui passent par les postes de contrôle à pied, à vélo, ou en véhicules de transport privé ou public, sont généralement obligés de payer 1 000 francs CFA (1,50 euros) et plus, tandis que les chauffeurs transportant des passagers et des marchandises payent entre 2 000 et 15 000 francs CFA (3 et 23 euros). En 2008, une étude financée par la Banque mondiale a estimé le coût pour l'économie ivoirienne des extorsions commises aux postes de contrôle à entre 200 millions et 300 millions de dollars par an -un montant qui représenterait entre 35 et 55 pour cent des dépenses d'investissement du gouvernement en 2007.[144] De la même manière, en 2010, l'Agence américaine de développement international USAID a financé une étude réalisée par l'Initiative pour l'amélioration de la gouvernance des transports routiers (Improved Road Transport Governance, IRTG), qui a rassemblé et analysé des données à partir d'une route principale traversant le centre de la Côte d'Ivoire. Cette étude a démontré que le retard moyen causé par les postes de contrôle ainsi que les pots-de-vin réclamés en moyenne chaque 100 kilomètres en Côte d'Ivoire, étaient significativement plus élevés que dans les cinq autres pays de l'Afrique de l'ouest examinés.[145] Pour un chauffeur transportant du café en grains, une femme artisane en route pour le marché, et des milliers d'autres voyageurs sur la route, ce niveau d'extorsions ne fait que détruire leurs moyens de subsistance.

Dans l'ouest de la Côte d'Ivoire, les personnes officiant aux postes de contrôle font peu d'efforts pour dissimuler leurs réclamations de pots-de-vin, révélant au grand jour le manque quasi-total de volonté politique d'exiger des comptes aux auteurs de ces exactions. Dans le Moyen Cavally, les autorités de l'État réclament régulièrement des pots-de-vin pour des cartes d'identité «non conformes» ou des permis de résidence pour les immigrés, tandis que dans la région des Dix-Huit Montagnes contrôlée par les Forces nouvelles, les forces rebelles se dispensent totalement de tels prétextes et réclament carrément de l'argent. Ceux qui ne veulent pas payer ou en sont incapables se voient dans la plupart des cas refuser le passage au poste de contrôle et sont parfois soumis à des passages à tabac et autres brutalités, ou à des détentions illégales. Dans le territoire contrôlé par le gouvernement comme dans celui contrôlé par les rebelles, il semblerait qu'aucun niveau d'autorité ne sanctionne jamais les subordonnés qui se livrent ouvertement à ces pratiques. Dans certains cas, les supérieurs hiérarchiques sont eux-mêmes impliqués directement dans les pratiques d'extorsion de la population.

Le Moyen Cavally, région contrôlée par le gouvernement

Nous sommes allés voir de nombreuses fois les chefs de la gendarmerie et de la police ici. Ils disent comprendre nos frustrations, et que leurs hommes ne nous prendront plus d'argent, cependant ils le font tout le temps. Ça ne change jamais.
-Un chauffeur, Duékoué, 23 juillet 2010

Le Moyen Cavally compte un très grand nombre de postes de contrôle, dont la plus forte concentration se trouve le long de l'axe entre Toulepleu et Bangolo. Ces postes de contrôle sont occupés principalement par des membres de la police et de la gendarmerie, bien que dans de nombreux endroits des fonctionnaires des douanes, de l'immigration, et des gardes forestiers sont aussi présents, comme a pu le constater Human Rights Watch et comme l'a documenté la Banque mondiale dans son étude de 2008.[146] Selon des dizaines de personnes interrogées par Human Rights Watch, les autorités de l'État extorquent ouvertement de l'argent aux chauffeurs et aux passagers qui transitent par presque tous les postes de contrôle de la région. Les véhicules de transport interurbain contenant de 15 à 25 personnes sont particulièrement vulnérables.

Les gendarmes et les policiers utilisent souvent l'absence de cartes d'identité des passagers, ou les irrégularités qu'elles présentent, comme prétextes à l'extorsion. Jusqu'à octobre 2010, de nombreux Ivoiriens n'avaient pas de cartes d'identité valables en raison de la crise politico-militaire.[147] Même pour ceux qui en avaient, les autorités trouvaient immanquablement quelque chose «qui n'allait pas» avec le document pour lequel ils réclamaient une amende officieuse, comme un négociant de Guiglo l'a décrit à Human Rights Watch :

En général c'est: «Pas de carte d'identité, 1 000 francs CFA (1,50 euros).» Mais maintenant, même pour ceux qui ont des papiers, c'est: «Pourquoi n'avez-vous pas signé correctement votre carte? Pourquoi l'empreinte digitale est-elle un peu décalée ? Pourquoi …» tout ce qu'ils peuvent inventer. Et ensuite ils réclament 1 000 francs.[148]

Un habitant de l'ouest de la Côte d'Ivoire a déclaré à Human Rights Watch: «Dans l'esprit des autorités, 1 000 francs, c'est devenu la loi[149] Quand des personnes refusent de payer, les policiers ou les gendarmes ne les laissent pas passer le poste de contrôle. Pour une femme se rendant au marché, ou pour un producteur de cacao apportant sa récolte en ville pour la vendre, il n'y a pas vraiment le choix -ils sont obligés de payer. Un négociant à Duékoué a expliqué à Human Rights Watch :

Que puis-je faire? Ils vont me garder des heures au poste de contrôle si je refuse de payer. Cela m'est déjà arrivé, et je vois ça tout le temps. Ton véhicule de transport s'en va sans toi. Si j'ai des marchandises à vendre au marché, je perdrai plus d'argent si je ne me contente pas de payer. On en a tous assez, mais on ne peut pas refuser sinon ils vous le font regretter.[150]

Les chauffeurs de véhicules de transport interurbain et de camions de marchandise doivent également payer des pots-de-vin pour passer, un phénomène que la Banque mondiale et l'Initiative pour l'amélioration de la gouvernance des transports routiers ont documenté sur l'ensemble du pays.[151] Un chauffeur a expliqué le processus à Human Rights Watch, et sa frustration de voir que les autorités supérieures refusent de s'attaquer au problème :

Quand on arrive à n'importe quel poste de contrôle, le chauffeur doit payer 2000 francs (3 euros) aux policiers et aux gendarmes. On ne peut pas les différencier, ils travaillent ensemble. Les 2 000 francs, c'est quand tout est en règle avec le gouvernement et que chaque papier est absolument parfait. Si le chauffeur ne paye pas, le fonctionnaire lui donnera une amende -ils inventeront n'importe quelle raison pour vous mettre une amende, ce qui forcera le chauffeur à payer un pot-de-vin, en général plus que les 2 000 francs CFA réclamés au début, de sorte que la prochaine fois vous vous contenterez de payer.[152]

Certains membres des forces de sécurité se livrent à des procédés plus élaborés pour réclamer des sommes plus importantes aux chauffeurs de transports. Un chauffeur a expliqué à Human Rights Watch :

Le pire [groupe] c'est l'unité anti drogue de la gendarmerie. Ils travaillent avec des gens qui se font passer pour des passagers et laissent un paquet dans le véhicule. Ensuite ils sortent et appellent la gendarmerie. Les gendarmes vous arrêtent et entrent dans le véhicule. Ils trouvent le paquet et accusent le chauffeur de trafic de drogue. On ne voit jamais la drogue dans le paquet, il n'est jamais ouvert. Parfois on verra le même paquet réutilisé plusieurs fois. Parfois ils menottent le chauffeur et peuvent même vous amener [le chauffeur] en prison, [mais le but c'est l'extorsion]. Le montant qu'ils réclament varie de 150 000 à 500 000 francs CFA (230 à 760 euros). Le prix est aléatoire.[153]

De nombreux habitants à Duékoué et à Guiglo ont expliqué que l'extorsion généralisée avait poussé la population à choisir entre deux maux: d'une part la certitude d'un harcèlement et d'une perte financière causés par les forces de sécurité, et d'autre part le risque d'être victime d'attaques menées par des criminels armés de l'autre. Nombre d'entre eux choisissent la deuxième option, comme l'a expliqué un négociant à Guiglo :

Les gens en ont tellement assez des 1 000 francs CFA extorqués partout, cela rend si difficile pour les villageois de venir en ville acheter des produits de base. Ils veulent éviter ce harcèlement, parce qu'ils ne peuvent tout simplement pas se le permettre, alors maintenant tout le monde prend les routes secondaires [où il y a moins de postes de contrôle]. Alors qu'est-ce qu'il se passe ? À présent ils prennent les routes non goudronnées pour arriver en ville, et les bandits les attendent là-bas.[154]

Un gendarme haut gradé à Guiglo a nié être au courant d'aucune extorsion quand il a été interrogé par Human Rights Watch, alors qu'un fonctionnaire de police dans la même ville a affirmé que c'étaient les fonctionnaires des douanes et des forêts qui imposaient de telles exigences, et non pas la police.[155]

Traitement discriminatoire des populations immigrées

Les membres des forces de sécurité au Moyen Cavally obligent les immigrés et les personnes perçues comme étrangères à verser des sommes d'argent plus élevées que les Ivoiriens, et font subir plus fréquemment des violences physiques à ceux d'entre eux qui ne veulent pas payer. Bon nombre de ces non-Ivoiriens vivent en Côte d'Ivoire depuis des décennies, et dans certains cas depuis toujours.[156]

Les immigrés se voient exiger de détenir des cartes d'identité ainsi qu'un permis de résidence à se procurer auprès de la police ivoirienne.[157] De par la loi, ces documents sont censés garantir la liberté de mouvement. Toutefois, 15 personnes immigrées interrogées par Human Rights Watch au Moyen Cavally, comprenant des citoyens du Burkina Faso, du Mali, du Niger et de Guinée, ont décrit pratiquement la même succession d'événements chaque fois qu'ils parvenaient à un poste de contrôle : au lieu de la somme de 1 000 francs CFA généralement demandée aux Ivoiriens, les immigrés paient jusqu'à 5 000 francs CFA (7,60 euros) pour passer. Un homme malien de Duékoué a déclaré :

À chaque poste de contrôle, d'ici à Toulepleu, c'est la même chose. Ils prennent vos papiers, les tiennent à côté de leur poche, et ils réclament de l'argent -le montant dépend du fonctionnaire et du jour. Certains réclament 1000 francs CFA, d'autres 2 000, d'autres même 5 000. Ils font ça chaque jour, à chaque poste de contrôle, chaque fois que vous passez. Si vous ne payez pas, vous ne passez pas le poste de contrôle, et les gendarmes gardent la carte d'identité. Même avec tous nos papiers en ordre, nous devons encore payer. La seule différence est qu'ils extorquent plus d'argent aux gens qui n'ont pas de papiers en ordre.[158]

En outre, les immigrés risquent même de perdre leur carte d'identité s'ils s'abstiennent de payer le pot-de-vin réclamé, ce qui les expose au risque de se voir réclamer des sommes encore plus exorbitantes ou, potentiellement, d'être expulsés. Human Rights Watch s'est entretenu avec les leaders des communautés immigrées tant à Duékoué qu'à Guiglo qui ont indiqué avoir dû récupérer ces cartes à la gendarmerie. Un leader burkinabé a déclaré à Human Rights Watch :

Vous pouvez aller à la gendarmerie voir des piles de cartes d'identité de gens qui n'ont pas payé, ou n'ont pas pu payer. Certains jours, cela arrive à des dizaines de gens. Je dois passer tant de temps à essayer de les récupérer.[159]

Selon des doyens de village et d'autres habitants des communes, les immigrés qui refusent de payer, ou qui contestent les pratiques des autorités, ont plus de probabilités d'être victimes de violences physiques et de vol de la part des autorités que les victimes ivoiriennes d'extorsion. Un négociant burkinabé âgé de 30 ans a expliqué à Human Rights Watch :

Si je ne paie pas, souvent le fonctionnaire se met très en colère. Très souvent ils vont dire: «Paie ou retourne au Burkina.» Et si vous tombez sur le mauvais fonctionnaire, ils vous obligent à mettre vos mains derrière le dos et ils vous frappent avec leur fusil. Cela m'est arrivé plusieurs fois. Puis ils m'ont fait les poches et ils m'ont pris tout mon argent, en disant: «Peut-être que la prochaine fois tu te souviendras de te contenter de payer[160]

De telles agressions verbales envers les immigrés ont été signalées par presque toutes les personnes immigrées interrogées par Human Rights Watch au Moyen Cavally. Un autre Burkinabé a expliqué avoir été détenu arbitrairement et maltraité parce qu'il avait «contesté» un gendarme à un poste de contrôle :

Il y a environ un mois, j'ai demandé à un gendarme de regarder au moins le document avant de réclamer de l'argent. Il s'est mis très en colère. Il m'a forcé à descendre de la voiture et il s'est mis à me pousser, à me frapper. Son collègue a dit: «Contente-toi de payer -pourquoi causer des problèmes ?» Mais j'en avais assez de tout ça, alors j'ai refusé de payer. Celui qui avait réclamé de l'argent a dit de me jeter en prison. Cela se passait à 7 heures du soir. Ils m'ont gardé toute la nuit, avant de me relâcher le lendemain à 4 heures de l'après-midi.[161]

La plupart des immigrés interrogés par Human Rights Watch estimaient que les policiers et les gendarmes -qui travaillent en général côte-à-côte aux postes de contrôle- commettaient des niveaux d'abus similaires.

Si les membres des forces de sécurité soumettent toutes les classes de personnes au Moyen Cavally à des abus liés à l'extorsion, ils s'en prennent aux populations immigrées avec des degrés plus élevés d'exigences, et peut-être plus de violence. Il n'y a aucune justification pour cette différence de traitement, qui équivaut à de la discrimination affectant les droits économiques et sociaux ainsi que la liberté de mouvement au sein d'un État, au regard de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.[162] Lorsque des individus sont soumis à la détention arbitraire, les autorités ivoiriennes violent aussi l'article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.[163]

Les Dix-Huit Montagnes, région contrôlée par les Forces nouvelles

Ce n'est pas Yamoussoukro. Ce n'est pas Abidjan. Ce n'est pas la même Côte d'Ivoire !
–Un soldat rebelle réclamant de l'argent à un chauffeur à un poste de contrôle à l'entrée de Man, observé par Human Rights Watch, juillet 2010

Depuis huit ans, les rebelles des Forces nouvelles se livrent à des actes généralisés et systématiques d'extorsion et de racket à l'encontre des habitants qui vivent dans les zones sous leur contrôle.[164] Les efforts pour rétablir les autorités de l'État dans la région ont eu peu d'impact sur ces pratiques. Les rebelles des Forces nouvellesextorquent ouvertement de l'argent à des Ivoiriens ordinaires et commettent des abus liés à ces actes, parfois sous les ordres d'officiers supérieurs, et parfois sous les yeux des unités intégrées qui sont officiellement chargées de la sécurité dans la région.

Des membres armés des Forces nouvellesrecourent volontiers aux menaces et à l'intimidation si le paiement n'est pas versé rapidement. Une population appauvrie supporte le fardeau de ces pratiques abusives, perdant la rentabilité de ses entreprises et subissant des prix élevés tandis que les rebelles profitent ainsi de revenus personnels souvent généreux.[165]

Extorsion aux postes de contrôle

Bien que l'extorsion aux postes de contrôle soit commune partout en Côte d'Ivoire, elle est particulièrement répandue sur le territoire des Forces nouvellesdans lenord, notamment dans la région anarchique de Dix-Huit Montagnes, selon la Banque mondiale et d'autres sources.[166] Plusieurs sources de l'ONU ont déclaré que si le gouvernement a fait quelques progrès dans le démantèlement de quelques postes de contrôle dans le sud, les postes de contrôle des Forces nouvellesdemeurent en grande partie intacts tandis qu'ils continuent à extorquer de grandes sommes d'argent à la population.[167]

Selon un officier des Forces nouvelles interrogé par Human Rights Watch, les soldats rebelles reçoivent les instructions explicites de leurs supérieurs de gérer un grand nombre des postes de contrôle dans et aux environs de Man dans le but précis de «gagner» leur salaire.[168] Human Rights Watch a vu des soldats armés de kalachnikovs et d'autres armes occupant des postes de contrôle en uniforme. Des habitants et l'officier des Forces nouvellesont raconté à Human Rights Watch que les rebelles maintiennent le contrôle total des postes de contrôle et y procèdent à l'extorsion, parfois à quelques mètres des membres de l'unité intégrée officiellement responsable du maintien de la sécurité à Man. L'unité intégrée ne prend jamais de mesures contre les Forces nouvellespour mettre un terme à cette pratique abusive.

Les forces rebelles réclament systématiquement et sans vergogne des pots-de-vin aux personnes lors de leur passage aux postes de contrôle. Une dizaine d'habitants ont mentionné des sommes comprises entre 500 et 1000 CFA (0,76 et 1,52 euros) par passager et par poste de contrôle, selon le poste de contrôle et le soldat présent.[169]

Les chauffeurs de véhicules de transport urbain sont particulièrement touchés. Human Rights Watch s'est entretenu avec neuf chauffeurs à Man, qui ont tous décrit comment les exigences de pots-de-vin des Forces nouvelles avaient pratiquement mis un terme à la rentabilité de leur commerce. Le chauffeur d'un véhicule de 18 passagers, qui faisait payer 2000 francs CFA (3 euros) par passager sur son trajet de Man à Bangolo, a déclaré :

Premièrement, nous devons acheter un laissez-passer aux rebelles, qui coûte 4 000 francs CFA (6 euros) et dure deux jours. Cela nous permet de conduire, mais nous devons encore payer aux postes de contrôle. Mon trajet mène à Bangolo -il y a quatre postes de contrôle le long de la route. Quatre sur 41 kilomètres ! Il y avait un seul poste de contrôle entre Man et Duékoué [environ 70 kilomètres] avant la guerre. Au total, je paie environ 15 000 francs (23 euros) dans chaque sens pour franchir les postes de contrôle. Ensuite, pour le transport des bagages, les FN exigent 3 000 francs (4,50 euros) dans les deux sens. Après les frais de carburant, comment pouvons-nous gagner de l'argent ?[170]

Les chauffeurs suivant les parcours de Man à Duékoué, Daloa, Danané et Touba ont décrit des niveaux similaires d'extorsion dans le territoire des Forces nouvelles.[171]

En plus de l'extorsion directe des chauffeurs, chaque chauffeur interrogé a déclaré que l'extorsion des passagers a conduit à ce que les gens voyagent beaucoup moins. Les chauffeurs ont évalué qu'alors que 20 personnes pouvaient auparavant avoir fait un voyage pour acheter ou vendre des biens ailleurs, désormais seulement deux personnes osent se déplacer.[172] Le résultat, selon un chauffeur qui avait travaillé dans la région pendant plus de 20 ans, a été l'effondrement quasiment intégral de leurs moyens de subsistance :

Voyez-vous, la guerre et les rebelle nous ont mis en prison. Avant, nous avons travaillé pour évoluer, nous avons travaillé pour améliorer notre capital, pour acheter de nouveaux camions, pour améliorer notre commerce. Maintenant, nous travaillons pour manger, rien de plus. Avant la guerre, j'avais un compte en banque. Je gagnais 60 000 francs CFA (91 euros) par jour et j'économisais de l'argent. Maintenant, j'ai du mal à récolter 10 000 francs CFA (15 euros) deux fois par semaine. Vous savez combien d'argent il y a sur mon compte bancaire ? Rien. J'ai de la chance si je peux subvenir à la nourriture de ma famille.[173]

Finalement, les soldats des Forces nouvellesprennent leur plus grosse part des transporteurs de marchandise. Le responsable d'un syndicat qui représente les commerçants et les négociants a déclaré à Human Rights Watch que tous les camions de marchandises qui entrent ou sortent du territoire contrôlé par les Forces nouvelles font l'objet d'une «taxe» imposée par les rebelles :

Il s'agit de tous les chauffeurs de marchandises -ceux qui apportent des bonbons, du blé, de l'huile de cuisson, du riz, des outils, du matériel, des poussins vivants. Pour tous les produits qui sont vendus dans les magasins ici, il y a une lourde taxe des rebelles lorsque les marchandises pénètrent dans cette zone.[174]

À Logoualé, les Forces nouvellesont armé des agents qui recueillent la «taxe» forfaitaire auprès de chaque camion de marchandises qui pénètre dans la zone. Le camionneur doit s'arrêter et laisser l'agent inspecter son chargement, payant environ 100 000 francs CFA (150 euros) pour un chargement de 10 tonnes, ou 150 000 francs CFA (230 euros) pour les chargements plus courants de 30 tonnes.[175] Des reçus sont fournis, dans une tentative apparente de donner à l'extorsion un semblant de légitimité. En plus de cette «taxe», les camionneurs doivent présenter un laissez-passer, qui coute 15 000 francs CFA (23 euros) pour deux jours pour les chargements de marchandises, et payer entre 2 000 et 5 000 francs CFA (3 et 7,60 euros) à chaque poste de contrôle qu'ils traversent. Le responsable syndical a dit qu'entre sept et vingt camions de marchandises traversent la zone quotidiennement.[176]

Plusieurs propriétaires de commerces ont déclaré à Human Rights Watch que ces «taxes» créent une inflation importante sur presque tous les produits parce qu'ils sont obligés de répercuter les coûts sur leurs clients. En effet, l'étude de 2008 de la Banque mondiale a révélé que les prix alimentaires élevés étaient le résultat direct de l'extorsion des véhicules de marchandises.[177]

Actes de racket visant les commerces

Ils contrôlent ici -ils contrôlent tout ce que nous faisons.
–Un directeur de société de bois de construction, Dix-Huit Montagnes, juillet 2010

Comme pour l'extorsion aux postes de contrôle, le racket des commerces par les Forces nouvellestouche tout le monde, des petits commerçants aux exportateurs dans les commerces lucratifs du cacao et du bois de construction. Human Rights Watch a vu un soldat rebelle pénétrer dans les locaux d'un important exportateur de bois pour extorquer de l'argent, et a également observé les rebelles des Forces nouvellesavec des carnets de récépissés sur le marché, surprenant leurs demandes d'argent auprès des commerçants dans la région. L'extorsion de fonds est menée ouvertement et sous les ordres directs des plus hautes autorités rebelles de la région.[178]

La plupart des propriétaires de commerces remettent simplement l'argent quand il est exigé, hebdomadairement ou mensuellement, car ils ont trop peur de défier les rebelles en l'absence d'une autre autorité étatique effective. Lorsque les gens refusent de payer, soit parce qu'ils sont fatigués de payer ou parce qu'ils n'ont tout simplement pas d'argent, les soldats confisquent les marchandises et autres articles et menacent souvent le propriétaire de violences physiques.[179]

Le propriétaire d'un atelier de réparations à Man a raconté à Human Rights Watch comment, à l'instar de centaines d'autres propriétaires de petits commerces et de vendeurs à l'étalage au marché, il est obligé de payer une taxe hebdomadaire aux Forces nouvelles :

Les rebelles viennent tous les mardis. Un groupe vient recueillir les 500 francs CFA (0,76 euro) par semaine, et puis il y a un deuxième groupe qui vient vérifier vos papiers. Si vous ne payez pas, ou si vos papiers ne sont pas en règle, ils confisquent votre outil de travail et votre matériel et les emportent dans leur camp militaire. Vous devez vous y rendre et payer 5000 francs (7,60 euros) pour les récupérer.
Parfois ils me malmènent, et c'est pour cela que je préfère leur donner de l'argent plutôt que d'acheter de la nourriture pour ma famille…. Nous avons essayé de résister ou de leur dire: «Mon commerce ne fonctionne pas, je ne peux pas me permettre de payer». Parfois les commerces voisins viennent et essayent de vous aider. Lorsque vous avez un groupe pour les dépasser en nombre, ils retournent dans leur camp et reviennent avec beaucoup plus de rebelles. Cette fois avec des morceaux de bois ou des bâtons et peuvent vous blesser. [Le recours à la violence] m'est arrivé deux fois, la dernière en février de cette année. Cela fait deux ans que je paye 500 francs (0,76 euro) chaque semaine.[180]

Bien que les rebelles qui vont à l'atelier de ce réparateur ne soient généralement pas armés, un coiffeur confronté à une intimidation similaire de la part des Forces nouvellesa remarqué que dans sa région: «Quand ils viennent, ils viennent avec des armes. Parfois, les gens résistent et ils viennent avec une kalach pour vous la montrer. J'ai peur,donc je paie».[181]

La source d'argent la plus lucrative des Forces nouvelles dans les Dix-Huit Montagnes, au-delà de ce qui subvient efficacement aux salaires des membres subalternes, provient du cacao et du bois de construction, deux grandes industries largement extorquées.[182] Un soldat des Forces nouvelles a raconté comment en comparaison des sommes «insignifiantes» obtenues auprès des vendeurs du marché, des centaines de millions d'euros sont extorqués chaque semaine à ces industries au cours de certaines périodes de l'année.[183] En effet, étant donné le volume de cacao dans les Dix-Huit Montagnes, ce secteur économique rapporte l'équivalent de millions d'euros chaque année aux forces rebelles, pour la seule région des Dix-Huit Montagnes.[184] Alors que les petits agriculteurs souffrent de l'extorsion, les habitants de Man ont décrit la prolifération de nouvelles maisons pour les commandants de rangs moyen et supérieur.[185]

Pour le cacao, les soldats des Forces nouvellesextorquent de l'argent à chaque étape de la chaine de production et de distribution. Human Rights Watch a interrogé cinq petits producteurs de cacao, qui ont tous déclaré que des agents des Forces nouvellesopéraient dans les zones de plantations. Pendant la récolte, les agents exigent 5 francs CFA (0,008 euro) par kilogramme de cacao avant que l'agriculteur vende à un acheteur.[186] Ensuite, pour amener le cacao à Man, le producteur ou l'acheteur doit payer des pots-de-vin à chaque poste de contrôle, notamment jusqu'à 10 000 francs CFA (15 euros) à l'entrée de Man.[187]

Les rebelles des Forces nouvelles qui visitent l'entrepôt de l'acheteur avant que le cacao ne soit exporté réclament régulièrement un supplément de 175 francs CFA (0,27 euro) par kilogramme.[188] Des producteurs de cacao ont déclaré à Human Rights Watch que la «taxe» a augmenté chaque année, depuis 100 francs CFA (0,15 euro) par kilogramme il y a quatre ans.[189] Un acheteur et exportateur de cacao a expliqué à Human Rights Watch que son camion de taille moyenne contient 30 tonnes, ou 30 000 kilogrammes de cacao, pour lesquels les Forces nouvelles extorqueraient une «taxe» de plus de 5 millions de francs CFA (7620 euros) à ce stade de la distribution.[190] Enfin, pour sortir le cacao hors du territoire des Forces nouvelles, les exportateurs sont tenus de payer un supplément de 200 000 francs CFA (305 euros) ou plus par camion pour une «escorte».[191] En tout, un camion contenant une moyenne de 30 tonnes de cacao quittant le territoire des Forces nouvelles pour l'exporter ailleurs aura fourni au moins 10,6 millions de francs CFA (16160 euros) en taxes officieuses aux Forces nouvelles, sans compter l'extorsion de fonds supplémentaire aux postes de contrôle en bords de route. Pendant la haute saison de la récolte, qui dure de novembre à mars, il y a au moins 20 à 30 camions par jour qui quittent les Dix-Huit Montagnes, selon un soldat rebelle.[192]

Les personnes travaillant à tous les stades de la production et de la distribution du cacao ont évoqué les difficultés économiques liées à l'extorsion de fonds, mais il était clair que les agriculteurs souffrent de manière disproportionnée. Chaque année le gouvernement impose un prix fixe par kilogramme de cacao, mais ce prix est rarement maintenu dans le nord, région contrôlée par les rebelles et où les acheteurs, eux-mêmes accablés par le taux élevé de la «taxation», payent des prix significativement plus faibles aux producteurs. Un agriculteur a déclaré :

C'est mon travail, c'est ce que je sais faire, mais ce n'est plus bon. À cause des taxes rebelles, l'argent de la récolte [se terminant en mars] parvient tout juste au mois de mai pour moi maintenant, même en vivant sur un budget serré. Dans le passé, cela suffisait pour toute l'année. Je ne peux plus payer les frais de scolarité de mes enfants et j'ai du mal à mettre de la nourriture sur la table. J'ai eu un petit enfant qui est décédé cette année ; je ne pouvais pas payer pour les médicaments adéquats parce que les rebelles ont mon argent. Il ne nous reste plus qu'à espérer qu'avec cette élection, cette crise prendra fin.[193]

Le bois de construction, l'autre principale industrie dans l'ouest du pays, est également soumise à l'extorsion rebelle. L'étude de la Banque mondiale de 2008 a constaté que, partout en Côte d'Ivoire, le bois de construction a été le produit soumis aux plus hauts niveaux d'extorsion par kilogramme.[194] Le responsable d'une petite compagnie de bois de construction dans les Dix-Huit Montagnes a décrit la pléthore de «taxes» qui lui était imposée par les autorités rebelles, qu'il a estimées comme s'élevant à plus de 15 millions de francs CFA (22870 euros) chaque mois :

Chaque mois, ils inventent une autre raison pour laquelle nous devons payer. Nous ne pouvons pas dire non. Nous payons pour entrer dans nos propres terres -oui, nous devons payer pour accéder au périmètre où nous coupons le bois, en dépit du fait que nous avons acquis le droit à cette terre ! Nous devons également payer chaque fois que nous amenons une machine sur notre territoire, et puis payer de nouveau pour ramener l'engin ici. Pour qu'un camion chargé de bois franchisse tous les postes de contrôle, nous payons environ 120 000 francs CFA (183 euros). Dans un bon mois, nous chargeons entre 35 et 40 camions. Et puis vous avez à faire au harcèlement sur la route pour une journée ordinaire, et une taxe plus élevée que nous devons payer aux rebelles pour l'essence. Et ainsi de suite. Nous payons plus du triple de ce que les opérations payent dans la zone gouvernementale, mais il n'y a pas d'autre option.[195]

Réquisition de logements sans le moindre paiement

Selon les propriétaires et autres membres de la communauté, depuis le déclenchement de la guerre en 2002, un grand nombre de soldats des Forces nouvelles a réquisitionné des logements dans toute la région des Dix-Huit Montagnes et refusent de payer le loyer. Un propriétaire a déclaré à Human Rights Watch que les soldats des Forces nouvelles avaient occupé cinq de ses maisons depuis le déclenchement de la guerre, en refusant de payer quoi que ce soit et en le menaçant lui et son père quand ils ont demandé aux rebelles de payer ou de partir.[196]

Un autre propriétaire a décrit des problèmes similaires à Human Rights Watch, notamment un sentiment très répandu parmi les Forces nouvelles que le pays est loin d'être unifié :

La plupart des rebelles vit dans le quartier de Domboro [à Man]. Ils occupent des dizaines de maisons, des centaines en fait, et ne paient rien au propriétaire. Le commandant de la zone vit dans le quartier, c'est essentiellement la base des FN à Man, il est donc évidemment au courant.
Je possède des villas que j'ai louées dans le passé. Mais les rebelles les ont prises pendant la guerre, et ils continuent à y vivre et refusent de me payer quoi que ce soit. J'y suis allé plus tôt cette année pour leur demander de payer et l'un d'eux a montré son fusil et a dit: «Nous ne payons rien. C'est le butin de guerre, et la guerre n'est pas encore terminée».[197]

Remerciements

Les recherches et la rédaction du présent rapport ont été assurées par Matthew Wells, chercheur au sein de la division Afrique, et Tirana Hassan, chercheuse à la division Urgences. Le rapport a été revu et révisé par Corinne Dufka, chercheuse senior pour l'Afrique de l'Ouest ; Thomas Gilchrist, assistant senior à la division Afrique ; Lois Whitman, directrice de la division Droits des enfants ; Agnès Odhiambo, chercheuse sur l'Afrique à la division des Droits des femmes ; Joseph Amon, directeur de la division Santé et droits humains ; Clive Baldwin, conseiller juridique senior ; et Danielle Haas, éditeur du Bureau du Programme. Le rapport a été traduit en français par Danielle Serres, avec l'assistance d'Elisa Marrero ; la vérification de la fidélité de la traduction a été assurée par Thomas Gilchrist et Peter Huvos, éditeur du site Web en français. John Emerson a conçu les cartes. Le rapport a été préparé en vue de sa publication par Grace Choi, directrice des publications ; Anna Lopriore, responsable de la création ; et Fitzroy Hepkins, responsable de la gestion du courrier.

Human Rights Watch tient à remercier toutes les organisations et les personnes interrogées dans le cadre de ce rapport pour l'aide précieuse et l'éclairage avisé qu'elles nous ont apportés. Beaucoup des personnes qui ont rendu possibles les recherches à la base de ce rapport ne peuvent être nommées pour des raisons de sécurité, mais nous saluons leur courage et leur détermination face aux grands risques auxquels elles s'exposent.

Human Rights Watch voudrait tout spécialement exprimer sa reconnaissance aux victimes et témoins oculaires des actes de violence, de brutalité et d'extorsion qui ont surmonté leur peur et ont accepté de partager leurs expériences avec nous.

[1] Nordiska Afrikainstitutet, «The Roots of the Military-Political Crises in Côte d'Ivoire», rapport n° 128, 2004, p. 10 (qui note aussi qu'à peine plus de 50 pour cent des immigrants sont venus du Burkina Faso et que le Moyen Cavally était la région comptant le troisième plus haut pourcentage d'immigrants parmi ses habitants).

[2] Pour un exposé de plusieurs épisodes de répression contre les Ivoiriens «du sud» sous la présidence d'Houphouët-Boigny, voir Tiemoko Coulibaly, «Lente décomposition en Côte d'Ivoire»,Le Monde diplomatique, novembre 2002 ; et Jean-Pierre Dozon, «La Côte d'Ivoire entre démocratie, nationalisme et ethnonationalisme»,Politique africaine, n° 78, juin 2000, pp. 45-62.

[3] Voir Richard Banégas, «Côte d'Ivoire: Patriotism, ethnonationalism and other African modes of self-writing», African Affairs, 105/421 (2006), p. 539 ; et Jean Pierre Chaveau, «Question foncière et construction nationale en Côte d'Ivoire»,Politique africaine, n° 78, juin 2000, p. 112.

[4]Quinze ans plus tard, ce sont toujours les principaux candidats aux élections prévues pour le 31 octobre 2010.

[5] L'Assemblée Nationale a adopté un nouveau code électoral qui excluait les candidats présidentiels si l'un de leurs parents était de nationalité étrangère et s'ils n'avaient pas vécu en Côte d'Ivoire pendant les cinq années précédentes. Ouattara a été effectivement écarté au motif qu'il détenait la nationalité burkinabé et n'était pas ivoirien de naissance.

[6] Amnesty International, Cote d'Ivoire : Certains militaires se considèrent impunément au-dessus de la loi, Index AI : AFR 31/003/2000, 18 septembre 2000, http://www.amnesty.org/fr/library/info/AFR31/003/2000/fr (consulté le 3 septembre 2010).

[7] Human Rights Watch, Le nouveau racisme: La manipulation politique de l'ethnicité en Côte d'Ivoire, vol. 13, n° 6(A), août 2001, http://www.hrw.org/fr/node/81537.

[8] Les exactions commises par les forces de sécurité de l'État, notamment les meurtres, les viols et les actes de torture, sont examinées dans le rapport de Human Rights Watch, Le nouveau racisme.

[9] Human Rights Watch, Prise entre deux guerres : Violence contre les civils dans l'Ouest de la Côte d'Ivoire, vol. 15, n° 14(A), août 2003, http://www.hrw.org/fr/node/81548.

[10] Voir Human Rights Watch, Youth, Poverty and Blood: The Lethal Legacy of West Africa's Regional Warriors, vol. 17, no. 5(A), avril 2005, http://www.hrw.org/node/11796 ; Human Rights Watch, Prise entre deux guerres; et International Crisis Group, Côte d'Ivoire: sécuriser le processus électoral, rapport Afrique n° 158, mai 2010, http://www.crisisgroup.org/fr/regions/afrique/afrique-de-louest/cote-divoire/158-cote-d-ivoire-securing-the-electoral-proces.aspx (consulté le 29 septembre 2010), p. 10 (citant aussi un rapport interne de l'ONUCI qui évaluait la présence d'au moins 10 000 mercenaires libériens combattant dans le conflit ivoirien).

[11] Voir International Crisis Group, Côte d'Ivoire: sécuriser le processus électoral, p. 11. Ces groupes sont aussi désignés fréquemment comme des groupes d'autodéfense.

[12] Entretien de Human Rights Watch avec Denis Maho Glofieï, Guiglo, juillet 2010 (notant que les groupes sous son contrôle comprenaient les FLGO, URGO, APWE, MILOCI, F9 Limo et les Groupes d'Autodéfense de Bangolo).

[13] Human Rights Watch, Prise entre deux guerres.

[14]Human Rights Watch, « Mon cœur est coupé » : Violences sexuelles commises par les forces rebelles et pro-gouvernementales en Côte d'Ivoire, vol. 19, n° 11(A), août 2007, http://www.hrw.org/fr/node/10806.

[15] Ibid.

[16] Le Conseil de sécurité de l'ONU a mis en œuvre un embargo sur les armes par le biais de la Résolution 1572, adoptée le 15 novembre 2004, qui a continuelement été renouvelé, encore récemment par la Résolution 1893, adoptée le 29 octobre 2009. Trois individus -Charles Blé Goudé, Eugène Djué et Martin Kouakou Fofié- ont aussi fait l'objet de sanctions individuelles selon la Résolution 1572, à savoir une interdiction de voyager et des gels d'avoirs. Les deux premiers ont été sanctionnés en grande partie pour incitation à la violence contre du personnel des Nations Unies, tandis que Fofié a été sanctionné pour de graves violations des droits humains, notamment l'utilisation d'enfants soldats, durant la crise.

[17]Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine, «Communiqué of the 73rd Meeting of the Peace and Security Council on the Situation in Côte d'Ivoire», PSC/PR/Comm.2 (LXXIII), 19 mars 2007; et Conseil de sécurité de l'ONU, «Presidential Statement: The situation in Côte d'Ivoire», S/PRST/2007/8, 28 mars 2007, http://www.un.org/Docs/sc/unsc_pres_statements07.htm (consulté le 3 septembre 2010).

[18] Voir «Les 'audiences foraines' embrasent la Côte d'Ivoire», Le Figaro, 25 juillet 2006 ; Adam Nossiter, «Many in Ivory Coast May Be Left Out From Vote», New York Times, 7 février 2010 ; et Ange Aboa, «Security forces kill protestors in Ivory Coast», Reuters, 19 février 2010.

[19] Au moment de la date prévue maintenant, le 31 octobre 2010, le Président Gbagbo aura occupé son poste pendant encore cinq ans au-delà de son mandat originel.

[20] Pour le Quatrième accord complémentaire, voir Conseil de sécurité de l'ONU, «Letter dated 30 December 2008 from the Permanent Representative of Burkina Faso to the United Nations addressed to the President of the Security Council»,U.N. Doc. S/2008/834, 31 décembre 2008.

[21] La partie nord de la Côte d'Ivoire contrôlée par les Forces nouvelles est divisée en 10 «comzones», ou zones supervisées par divers commandants des forces rebelles.

[22] Conseil de sécurité de l'ONU, «Vingt-quatrième rapport du Secrétaire général sur l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire», 20 mai 2010, U.N. Doc. S/2010/245, paras. 24 et 26.

[23] Ibid., para. 25.

[24] Entretien de Human Rights Watch avec un fonctionnaire de l'ONUCI, Abidjan, 2 août 2010.

[25] Au mois d'avril 2010, date la plus récente des statistiques publiées, 32 777 Forces nouvelleset 37 451 miliciens avaient été profilés, et 11 900 Forces nouvelles avaient été démobilisés par rapport à 17 307 anciens miliciens. Programme national de réinsertion et de réhabilitation communautaire (PNRRC), République de Côte d'Ivoire, avril 2010, en possession de Human Rights Watch.

[26] Entretien de Human Rights Watch avec un fonctionnaire de l'ONU, Abidjan, août 2010.

[27] Entretien de Human Rights Watch avec un fonctionnaire de l'ONU, ouest de la Côte d'Ivoire, juillet 2010.

[28] Groupe d'experts, «Rapport du Groupe d'experts sur la Côte d'Ivoire établi en application du paragraphe 11 de la résolution 1842 (2008) du Conseil de sécurité'» (Rapport du Groupe d'experts), U.N. Doc. S/2009/521, 9 octobre 2009, paras. 111-121. Le Groupe d'experts a constaté que Denis Maho Glofieï, chef des FRGO, et sa garde personnelle étaient singulièrement équipés de fusils d'assaut et de mitrailleuses Uzi dans cette zone. Ibid., para. 114.

[29] International Crisis Group, Côte d'Ivoire: sécuriser le processus électoral, pp. 11-12.

[30] Rapport du Groupe d'experts, 9 octobre 2009, paras. 122-166. En avril 2010, le Groupe d'experts a aussi constaté que les Forces nouvelles faisaient preuve d'un déclin manifeste de leur bon vouloir à laisser inspecter leurs armes. Groupe d'experts, «Rapport du Groupe d'experts sur la Côte d'Ivoire établi en application du paragraphe 12 de la résolution 1893 (2009) du Conseil de sécurité»,U.N. Doc. S/2010/179, 12 avril 2010, paras. 15, 27-28.

[31] Entretien de Human Rights Watch avec un fonctionnaire de l'ONU, Duékoué, 23 juillet 2010. Un autre fonctionnaire des Nations Unies dans la région a dit à Human Rights Watch que la semaine précédente il avait reçu au moins six rapports d'incidents de sécurité majeurs, indiquant qu'ils impliquaient l'usage d'armes. La semaine encore avant -au cours de laquelle il avait plu, ce qui permettait aux assaillants d'agir plus à couvert, selon le fonctionnaire des Nations Unies -il y avait eu 15 incidents signalés. Entretien de Human Rights Watch avec un fonctionnaire de l'ONU, Duékoué, 23 juillet 2010.

[32] Entretien de Human Rights Watch avec un cultivateur de cacao, Guiglo, 25 juillet 2010.

[33] Entretien de Human Rights Watch avec un habitant de Duékoué et victime d'une attaque de bandits, Duékoué, 23 juillet 2010.

[34] Entretien de Human Rights Watch avec la représentante d'une organisation locale de femmes, Moyen Cavally, 22 juillet 2010.

[35] Les victimes ont dit que les civils ordinaires pouvaient acheter des vêtements faits de toile de camouflage sur les marchés locaux et qu'elles ne pensaient pas que porter des tenues de camouflage était le signe d'une implication par des membres des forces de sécurité.

[36] Entretien de Human Rights Watch avec un chauffeur, Guiglo, 25 juillet 2010.

[37] Entretiens de Human Rights Watch avec un chauffeur, Duékoué, 23 juillet 2010 ; avec un chauffeur, Duékoué, 23 juillet 2010 ; et avec un fonctionnaire des Nations Unies, Duékoué, 23 juillet 2010 (déclarant: «Il est clair que les voleurs, les bandits de grand chemin, sont bien informés. Ils ont des gens qui travaillent à l'intérieur du centre de transport -ils savent quand il y de l'argent qui passe. Ils sont bien informés, et ils s'organisent et peuvent se déplacer rapidement.»).

[38] Entretien de Human Rights Watch avec un planteur d'un camp près de Duékoué, Duékoué, 24 juillet 2010. Human Rights Watch a constaté que la victime n'avait plus de dents de devant.

[39] Entretien de Human Rights Watch avec un chauffeur, Guiglo, 25 juillet 2010. Plusieurs autres témoins ont décrit d'autres passages à tabac graves, ou des menaces de mort, pour les personnes soupçonnées d'avoir regardé les bandits. Entretiens de Human Rights Watch avec un planteur d'un camp près de Duékoué et avec une victime de banditisme routier, Duékoué, 24 juillet 2010 ; avec un marchand et une victime de banditisme routier, Guiglo, 24 juillet 2010 ; et avec un chauffeur et une victime de cinq attaques sur les routes, Guiglo, 26 juillet 2010.

[40] Entretien de Human Rights Watch avec un agriculteur, Guiglo, 25 juillet 2010.

[41] Entretien de Human Rights Watch avec le parent de deux personnes tuées au cours d'attaques de bandits, Guiglo, 25 juillet 2010.

[42] Entretiens de Human Rights Watch avec un chauffeur, Duékoué, 23 juillet 2010 ; et avec un chauffeur, Guiglo, 24 juillet 2010.

[43] Entretiens de Human Rights Watch avec un chauffeur, Man, 28 juillet 2010 ; et avec un chauffeur, Man, 27 juillet 2010.

[44] Entretien de Human Rights Watch avec un chauffeur, Man, 28 juillet 2010.

[45] Entretien de Human Rights Watch avec un chauffeur, Man, 28 juillet 2010.

[46] Entretien de Human Rights Watch avec un chauffeur, Duékoué, 23 juillet 2010.

[47] Entretien de Human Rights Watch avec un fonctionnaire des Nations Unies, Duékoué, 23 juillet 2010 («Les principaux problèmes sont entre Duékoué et Bangolo, et entre Duékoué et Guiglo. Pas sur les routes principales -les routes goudronnées- mais sur les routes secondaires entre les villages. Les attaques restent courantes.»).

[48] Entretien de Human Rights Watch avec un chauffeur, Guiglo, 26 juillet 2010.

[49] Entretien de Human Rights Watch avec un cultivateur de cacao, Guiglo, 24 juillet 2010. Plusieurs chauffeurs ont de la même façon déclaré que la période de la récolte connaissait un pic dans les attaques. Entretiens de Human Rights Watch avec un chauffeur, Duékoué, 23 juillet 2010 ; et avec un chauffeur, Guiglo, 25 juillet 2010.

[50] Entretien de Human Rights Watch avec un planteur, Duékoué, 24 juillet 2010.

[51] Entretien de Human Rights Watch avec un chauffeur, Guiglo, 25 juillet 2010.

[52] Entretien de Human Rights Watch avec un habitant, Guiglo, 25 juillet 2010.

[53] Entretiens de Human Rights Watch avec un chef de la communauté burkinabé et un proche d'une victime de l'attaque, Guiglo, 25 juillet 2010; et avec un habitant de la ville d'où était partie les femmes, Guiglo, 26 juillet 2010.

[54] Entretien de Human Rights Watch avec une victime du banditisme, Fengolo, 24 juillet 2010.

[55] Entretien de Human Rights Watch avec un officier de police ivoirien, Guiglo, 30 juillet 2010.

[56] L'incidence et la localisation des viols et des violences sexuelles suivent aussi cette tendance. Les femmes de Duékoué, Guiglo, Bangolo et des zones environnantes ont déclaré que des viols généralisés persistaient en dehors de la saison de la récolte, mais le seul changement était qu'au lieu de se produire sur les routes et les jours de marché, ils étaient commis dans les villes et les villages au cours de cambriolages de domiciles violents et n'importe quel jour. Entretiens de Human Rights Watch avec des femmes victimes et témoins de violences sexuelles, Duékoué, Guiglo, juillet 2010.

[57] Entretien de Human Rights Watch avec une victime de violation de propriété, Guiglo, 26 juillet 2010.

[58] Entretiens de Human Rights Watch avec un proche d'une personne tuée au cours d'une violation de propriété, Guiglo, 25 juillet 2010 ; et avec un proche d'une personne tuée au cours d'une violation de propriété, Guiglo, 26 juillet 2010.

[59] Entretien de Human Rights Watch avec une victime, Guiglo, 25 juillet 2010.

[60] Entretien de Human Rights Watch avec une victime de violation de propriété, Duékoué, 23 juillet 2010.

[61] Entretien de Human Rights Watch avec deux planteurs de cacao, Guiglo, 25 juillet 2010.

[62] Entretien de Human Rights Watch avec un habitant de Guiglo, victime de banditisme routier, Guiglo, 25 juillet 2010.

[63] Dans le cas des nourrissons et jeunes enfants, le témoignage a été recueilli auprès de la gardienne.

[64] Il y a quelques recoupements entre les attaques commises sur les routes par les coupeurs de route et les attaques perpétrées durant les activités quotidiennes. Au moins quatre des neuf cas classés à «activités quotidiennes» ont été perpétrés par des coupeurs de route-tandis que les femmes rentraient à pied chez elles en traversant la forêt. Ces cas n'ont pas été inclus dans les 81 attaques menées sur les routes et documentées par Human Rights Watch, qui sont limitées ici aux attaques contre des véhicules de transport public.

[65] Ces chiffres tiennent compte des cas documentés directement par Human Rights Watch lors des entretiens menés auprès des femmes elles-mêmes -ou des gardiennes dans le cas de jeunes enfants- par opposition aux témoignages des chauffeurs, des passagers et autres personnes.

[66] Dans le contexte de ce rapport, «filles» désigne des personnes de sexe féminin de moins de 18 ans, conformément avec la Convention des droits de l'enfant de l'ONU, qui stipule: «Au sens de la présente convention, un enfant s'entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable.» Convention des droits de l'enfant, adoptée le 20 novembre 1989, G.A. rés. 44/25, annexe, 44 U.N. GAOR Supp. (n° 49) à 167, U.N. Doc. A/44/49 (1989), entrée en vigueur le 2 septembre 1990, ratifiée par la Côte d'Ivoire le 4 février 1991.

[67] Entretien de Human Rights Watch avec une représentante d'une organisation locale de femmes, Moyen Cavally, juillet 2010.

[68] Entretien de Human Rights Watch avec une victime, Moyen Cavally, 23 juillet 2010.

[69] Entretien de Human Rights Watch avec une victime, Guiglo, 25 juillet 2010.

[70] Entretien de Human Rights Watch avec un chauffeur, Man, 28 juillet 2010. Un autre chauffeur a rapporté une histoire similaire: «D'abord ils ont pris tout notre argent, puis ils ont violé les trois femmes qui se trouvaient dans mon camion ce jour-là. Plusieurs bandits ont violé chacune d'elles, juste devant nous. Nous avions la tête baissée, mais nous pouvions voir ce qui se passait, et nous pouvions entendre les femmes crier. Généralement le vol dure une heure tout au plus … mais cette fois, ils ont pris leur temps avec les femmes.» Entretien de Human Rights Watch avec un chauffeur, Guiglo, 25 juillet 2010.

[71] Si le certificat médical peut jouer un rôle important comme élément de preuve dans les poursuites judiciaires, il n'y a aucune obligation juridique ou de procédure en Côte d'Ivoire selon laquelle les victimes doivent obtenir un certificat avant de signaler un incident de viol.

[72] Entretiens de Human Rights Watch avec des représentants d'organisations locales et internationales qui portent assistance à des victimes de violences sexuelles au Moyen Cavally et à Abidjan, juillet 2010.

[73] Entretien de Human Rights Watch avec une victime, Guiglo, 24 juillet 2010.

[74] Entretien de Human Rights Watch avec une victime, Moyen Cavally, 26 juillet 2010.

[75] Entretien de Human Rights Watch avec une victime, Dix-Huit Montagnes, 29 juillet 2010.

[76] Entretien de Human Rights Watch avec une victime, Dix-Huit Montagnes, 29 juillet 2010.

[77] Entretien de Human Rights Watch avec une victime, Moyen Cavally, 22 juillet 2010.

[78] Entretien de Human Rights Watch avec une victime, Moyen Cavally, 22 juillet 2010.

[79] Entretiens de Human Rights Watch avec des victimes, Dix-Huit Montagnes, 29 juillet 2010.

[80] Human Rights Watch a aussi interrogé les mères de quatre bébés de moins de cinq ans qui avaient été violés par un violeur et pédophile en série. Human Rights Watch a été informé par les parents que l'homme se trouvait actuellement en détention. Entretiens de Human Rights Watch avec les gardiens des enfants victimes de viol, Moyen Cavally, 23 juillet 2010.

[81] Entretien de Human Rights Watch avec la tante d'enfants victimes de viol, Moyen Cavally, 23 juillet 2010.

[82] Entretien de Human Rights Watch avec une victime, Moyen Cavally, 29 juillet 2010

[83] Entretien de Human Rights Watch avec une victime, Moyen Cavally, 25 juillet 2010.

[84] Entretien de Human Rights Watch avec une victime, Moyen Cavally, 23 juillet 2010.

[85] Entretien de Human Rights Watch avec une victime, Moyen Cavally, 23 juillet 2010.

[86] Entretien de Human Rights Watch avec une victime, Danané, Dix-Huit Montagnes, 29 juillet 2010.

[87] Entretien de Human Rights Watch avec une victime, Danané, Dix-Huit Montagnes, 29 juillet 2010.

[88] Entretien de Human Rights Watch avec un dirigeant communautaire qui a servi de médiateur pour des couples après que sept femmes du village ont été violées par des coupeurs de route en janvier 2010, Moyen Cavally, 31 juillet 2010.

[89] Entretien de Human Rights Watch avec une victime, Moyen Cavally, 22 juillet 2010.

[90] Concernant les obligations de l'État à fournir des services aux victimes de violences sexuelles, voir Comité de l'ONU pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (Comité CEDEF), Recommandation générale n° 19, Violence à l'égard des femmes, U.N. Doc. A/47/38 (1992), para. 9.

[91] En examinant d'autres pays africains présentant des niveaux élevés de violences sexuelles, le Rapporteur spécial sur les violences faites aux femmes a appelé les États à garantir un accès suffisant aux soins médicaux et psychosociaux, notamment par la création d'unités de soins mobiles pour atteindre les femmes se trouvant dans les zones les plus éloignées. Voir Rapporteur spécial sur les violences faites aux femmes, Mission en Sierra Leone, 11 février 2002, U.N. Doc./CN.4/2002/83/Add.2 ; Rapporteur spécial sur les violences faites aux femmes, Mission en République démocratique du Congo, 28 février 2008, U.N. Doc. A/HRC/7/6/Add.4., para. 108 ; Rapporteur spécial sur les violences faites aux femmes, Rapport de la mission au Rwanda sur les questions de violence à l'égard des femmes dans des situations de conflit armé, 4 février 1998, U.N. Doc. E/CN.4/1998/54/Add.1, para. 145 ; Rapporteur spécial sur les violences faites aux femmes,Intersections des violences faites aux femmes et du VIH/SIDA, Soixante-et-unième session de la Commission des droits de l'homme, 17 janvier 2005, U.N. Doc. E/CN.4/2005/72, p. 22. Le Rapporteur spécial a aussi appelé les États à fournir suffisamment de soins pour le VIH/SIDA aux victimes de violences sexuelles, notamment l'emploi de médicaments antirétroviraux connus comme prophylaxie post-exposition. Rapporteur spécial sur les violences faites aux femmes, Intersections des violences faites aux femmes et du VIH/SIDA, U.N. Doc. E/CN.4/2005/72, p. 23.

[92] Le Groupe d'experts de l'ONU et l'International Crisis Group ont tous deux observé l'omniprésence des armes légères, en particulier des kalachnikovs, et de munitions au sein des milices au Moyen Cavally. Rapport du Groupe d'experts, 9 octobre 2009, paras. 111-121 ; et International Crisis Group, Côte d'Ivoire: sécuriser le processus électoral, pp. 11 et 12.

[93] Entretien de Human Rights Watch avec un habitant victime de banditisme routier, Guiglo, 25 juillet 2010.

[94] Entretien de Human Rights Watch avec une victime de violation de propriété, Guiglo, 26 juillet 2010.

[95] Entretien de Human Rights Watch avec un doyen de village, Fengolo, 24 juillet 2010. Selon le doyen de village, les membres du gang portaient rarement des masques parce qu'ils craignaient peu de devoir rendre des comptes ; leur chef était un proche d'un haut fonctionnaire de la région.

[96] Entretien de Human Rights Watch avec une victime de violation de propriété, Guiglo, 25 juillet 2010.

[97] Entretien de Human Rights Watch avec un fonctionnaire de l'ONU, Moyen Cavally, juillet 2010.

[98] Entretien de Human Rights Watch avec Denis Maho Glofieï, Guiglo, juillet 2010.

[99] Entretiens de Human Rights Watch avec un journaliste, Duékoué, 23 juillet 2010 ; avec un habitant, Guiglo, 25 juillet 2010 ; avec un chauffeur victime d'une attaque des bandits, Duékoué, 23 juillet 2010 ; et avec un doyen de village, Fengolo, 24 juillet 2010.

[100] Entretien de Human Rights Watch avec un habitant bien informé, Duékoué, 24 juillet 2010.

[101] Entretien de Human Rights Watch avec un fonctionnaire de l'ONU, Duékoué, 23 juillet 2010.

[102] Comité de l'ONU pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (Comité CEDEF), Recommandation générale n° 19, Violence à l'égard des femmes, U.N. Doc. A/47/38 (1992).

[103] Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), adopté le 16 décembre 1966, G.A. rés. 2200A (XXI), 999 U.N.T.S. 171, entré en vigueur le 23 mars 1976, ratifié par la Côte d'Ivoire le 26 mars 1992, art. 2 ; et Comité des droits de l'homme de l'ONU, Observation générale n° 31, La nature de l'obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, U.N. Doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.13 (2004), para. 8.

[104] Entretien de Human Rights Watch avec un chauffeur, Man, 29 juillet 2010.

[105] Entretien de Human Rights Watch avec une victime de viol lors d'une attaque de bandits, Duékoué, 22 juillet 2010.

[106] Entretien de Human Rights Watch avec un villageois qui est allé chercher de l'aide en janvier 2010 après une attaque contre un camion au cours de laquelle les bandits ont violé une femme, Moyen Cavally, 31 juillet 2010. Un chauffeur de Guiglo qui a été victime de multiples attaques de bandits a fait état de frustrations similaires : «Chaque fois que j'ai été attaqué, je signalais [aux autorités] les bandits au poste de contrôle suivant…. Par deux fois ils m'ont dit: 'Nous n'avons pas les moyens de nous déplacer pour aller poursuivre des voleurs. Vous pouvez déposer une plainte en ville.' Ainsi ils se contentent de rester assis là sur la route et ils ne font rien ! La seule chose qu'ils font c'est nous extorquer de l'argent quand nous traversons…. Ils sont à seulement un kilomètre tout au plus de l'endroit où se déroule une attaque de bandits, mais ils ne vont tout simplement pas à leur poursuite. Comment cela s'arrêtera-t-il ?» Entretien de Human Rights Watch avec un chauffeur victime de multiples attaques de bandits, Guiglo, 25 juillet 2010.

[107] Les victimes ont mentionné le même nombre d'assaillants et types d'armes employées. Il est à remarquer que les victimes des deux groupes ont indiqué que l'un des bandits était une femme, ce qui est rare dans les attaques de bandits documentées par Human Rights Watch.

[108] Entretien de Human Rights Watch avec une victime de la seconde attaque, Duékoué, 23 juillet 2010.

[109] Comité des droits de l'homme, Observation générale n° 31, La nature de l'obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, para. 8.

[110] Comité CEDEF, Recommandation générale n° 19, Violence à l'égard des femmes, para. 9 ; et Comité de l'ONU des droits de l'enfant, Observation générale n°3, Le VIH/SIDA et les droits de l'enfant, U.N. Doc. CRC/GC/2003/3 (2003), para. 37.

[111] Entretien de Human Rights Watch avec une victime, Moyen Cavally, 22 juillet 2010.

[112] Entretien de Human Rights Watch avec un membre d'une organisation locale qui porte assistance à des victimes de violences sexuelles, Dix-Huit Montagnes, 27 juillet 2010.

[113] Entretien de Human Rights Watch avec un membre des forces de sécurité, Bangolo, juillet 2010.

[114] Entretien de Human Rights Watch avec un doyen du village, Moyen Cavally, juillet 2010.

[115] Entretien de Human Rights Watch avec une victime de cambriolage, Guiglo, 25 juillet 2010.

[116] Entre le 26 et le 29 juillet 2010, les chercheurs de Human Rights Watch a pu observer des dizaines de soldats des Forces nouvelles en uniforme dans la ville de Man occupant des postes de contrôle et prenant des positions autour de la ville.

[117] Entretien de Human Rights Watch avec une victime, Dix-Huit Montagnes, 26 juillet 2010.

[118] Entretien de Human Rights Watch avec un membre d'une organisation locale qui porte assistance à des victimes de violences sexuelles, Dix-Huit Montagnes, 27 juillet 2010.

[119] Entretien de Human Rights Watch avec une victime, Dix-Huit Montagnes, 27 juillet 2010.

[120] Entretien de Human Rights Watch avec les mères de six enfants victimes qui avaient présenté des preuves lors d'une audience préliminaire, Moyen Cavally, 23 juillet 2010.

[121] Entretiens de Human Rights Watch avec une personne représentant une organisation locale de défense des droits humains, Man, 26 juillet 2010 ; et avec un représentant de l'ONUCI, Man, 27 juillet 2010 ; Gouvernement de Côte d'Ivoire, «La cour suprême», http://www.gouv.ci/coursupreme.php (consulté le 5 octobre 2010). Pour une vue d'ensemble du système judiciaire en Côte d'Ivoire, voir Robert E. Landloff, Library of Congress, «Judicial System», dans Ivory Coast: A Country Study, 1991, http://memory.loc.gov/cgi-bin/query/r?frd/cstdy:@field(DOCID+ci0123) (consulté le 13 octobre 2010).

[122] Entretien de Human Rights Watch avec un représentant de l'ONUCI, Man, 27 juillet 2010. Deux autres tribunaux de justice de paix sont sous l'autorité du tribunal de première instance de Man, et sont situés à Touba (région de Touba) et à Séguéla (région de Worodougou) -deux villes du nord.

[123] Entretien de Human Rights Watch avec un fonctionnaire de l'ONU, Abidjan, 2 août 2010.

[124] Entretien de Human Rights Watch avec un représentant d'une organisation internationale, Dakar, 1er août 2010.

[125] Entretiens de Human Rights Watch avec un fonctionnaire de l'ONU, Abidjan, 16 juillet 2010 ; avec une victime d'une attaque de bandits, Guiglo, 26 juillet 2010 ; et avec un membre d'une organisation locale qui porte assistance à des victimes de violences sexuelles, Guiglo, 26 juillet 2010.

[126] Entretien de Human Rights Watch avec un doyen du village, Duékoué, 24 juillet 2010.

[127] Entretien de Human Rights Watch avec un fonctionnaire de l'ONU, Man, 27 juillet 2010.

[128] Entretiens de Human Rights Watch avec un membre d'une organisation de défense des droits humains, Dix-Huit Montagnes, 27 juillet 2010; avec une un membre d'une organisation locale qui porte assistance à des victimes de violences sexuelles, Dix-Huit Montagnes, 27 juillet 2010; et avec une victime de violences sexuelles, Man, 27 juillet 2010.

[129] Entretien de Human Rights Watch avec une victime, Man, 27 juillet 2010.

[130] Entretien de Human Rights Watch avec un habitant et propriétaire, Man, 28 juillet 2010.

[131] Entretien de Human Rights Watch avec un fonctionnaire de l'ONU, Abidjan, 2 août 2010.

[132] Commission européenne, «Relations de l'UE avec la Côte d'Ivoire», actualisé le 15 janvier 2010, http://ec.europa.eu/development/geographical/regionscountries/countries/country_profile.cfm?cid=ci&type=short&lng=fr (consulté le 13 octobre 2010).

[133] Comité des droits de l'homme, Observation générale n° 31, La nature de l'obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, para. 8.

[134] Comité CEDEF, Recommandation générale n° 19, Violence à l'égard des femmes, paras. 9 et 24(t) ; Comité des droits de l'homme, Observation générale n° 31, La nature de l'obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, para. 9 ; et Comité de l'ONU contre la torture, Observation générale n° 2, Application de l'article 2 par les États parties, U.N. Doc. CAT/C/GC/2 (2008).

[135] PIDCP, arts. 2(1) et 26 ; Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDEF), adoptée le 18 décembre 1979, G.A. rés. 34/180, 34 U.N. GAOR Supp. (n° 46) à 193, U.N. Doc. A/34/46, entrée en vigueur le 3 septembre 1981, ratifiée par la Côte d'Ivoire le 18 décembre 1995 ; Charte africaine [Banjul] des droits de l'homme et des peuples, adoptée le 27 juin 1981, OAU Doc. CAB/LEG/67/3 rev. 5, 21 I.L.M. 58 (1982), entrée en vigueur le 21 octobre 1986, adhésion de la Côte d'Ivoire le 6 janvier 1992, art. 5; et Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Convention contre la torture), adoptée le 10 décembre 1984, G.A. rés. 39/46, annexe, 39 U.N. GAOR Supp. (No. 51) à 197, U.N. Doc. A/39/51 (1984), entrée en vigueur le 26 juin 1987, adhésion de la Côte d'Ivoire le 21 février 1997, art. 2. Une résolution de 1993 de l'Assemblée générale de l'ONU a aussi déclaré que l'interdiction de la discrimination de genre incluse l'élimination de la violence basée sur le genre et que les États «devraient mettre en œuvre sans retard, par tous les moyens appropriés, une politique visant à éliminer la violence à l'égard des femmes.» Assemblée générale des Nations Unies, «Déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes», A/RES/48/104, 20 décembre 1993 (publiée le 23 février 1994). Enfin, la Côte d'Ivoire est un État signataire au, mais ne l'a pas encore ratifié, Protocole à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique, qui fait l'obligation spécifique aux États d'adopter les mesures appropriées et efficaces pour promulguer et faire appliquer des lois afin de protéger les femmes et les filles contre le viol et toutes autres formes de violence, notamment les violences sexuelles, et de fournir aux femmes un accès égale à la justice et une protection égale devant la loi. Protocole à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique, adopté par la 2ème Session ordinaire de l'Assemblée de l'Union, Maputo, CAB/LEG/66.6 (13 septembre 2000),entré en vigueur le 25 novembre 2005, arts. 3, 4(2) et 8.

[136] Comité CEDEF, Recommandation générale n° 19, Violence à l'égard des femmes, para. 9 ; Comité des droits de l'homme, Observation générale n° 31, La nature de l'obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, para. 9. Le droit jurisprudentiel international des droits humains requiert une enquête capable de mener à l'identification et à la sanction des individus responsables. Voir les jugements de la Cour européenne des droits de l'homme dans Jordan v. United Kingdom, 4 mai 2001, application n° 24746/94; Finucane v. United Kingdom, 1er juillet 2003, application n° 29178/95; Isayeva v. Russia, 27 juillet 2004, application n° 57950/00; Adali v. Turkey, 31 mars 2005, application n° 38187/97; et Opuz v. Turkey, 9 juin 2009, application n° 33401/02.

[137] Comité CEDEF, Recommandation générale n° 19, Violence à l'égard des femmes, para. 9.

[138]Selon un rapport d'International Crisis Group, un tel accord a effectivement été conclu entre un quartier de Duékoué et les Dozos. International Crisis Group, Côte d'Ivoire : sécuriser le processus électoral.

[139] Entretien de Human Rights Watch avec un doyen de la localité, Fengolo, 24 juillet 2010.

[140] Entretien de Human Rights Watch avec un chauffeur, Duékoué, 23 juillet 2010.

[141] Entretiens de Human Rights Watch avec un journaliste, Moyen Cavally, juillet 2010 ; avec un représentant d'une organisation locale de défense des droits humains, Moyen Cavally, juillet 2010 ; et avec un habitant d'un village où les Dozos ont été engagés, juillet 2010.

[142] Pendant et immédiatement après la guerre, les postes de contrôle se distinguaient aussi par des violences sexuelles et, parfois, par des exécutions extrajudiciaires. Voir Human Rights Watch, « Mon cœur est coupé », pp. 56-60, 75-78 ; et Human Rights Watch, Prise entre deux guerres.

[143] Entretiens de Human Rights Watch avec un chauffeur, Guiglo, 25 juillet 2010 (dont le trajet actuel va de Guiglo à Blolequin ; il empruntait auparavant un trajet vers San-Pédro) ; avec un chauffeur, Man, 28 juillet 2010 (trajet de Man à Daloa) ; et avec un chauffeur, Guiglo, 25 juillet 2010 (qui va souvent à Abidjan). Un leader de la communauté burkinabé qui se rend souvent à Abidjan a également indiqué à Human Rights Watch que ce secteur du Moyen Cavally avait les plus fortes concentrations de postes de contrôle du pays. Entretien de Human Rights Watch avec un leader de la communauté burkinabé, Duékoué, 23 juillet 2010.

[144] Dr. Toure Moustapha Almami, Banque mondiale et Gouvernement de Côte d'Ivoire, Study on Rackets on the Roads in Côte d'Ivoire, mai 2008, p. 9. Les dépenses d'investissement du gouvernement renvoient aux sommes destinées aux biens d'investissement, notamment les hôpitaux, les écoles, les équipements et les routes, par rapport aux dépenses courantes du gouvernement qui comportent les dépenses courantes, telles que les salaires.

[145] Initiative pour l'amélioration de la gouvernance des transports routiers (Improved Road Transport Governance, IRTG), Twelfth IRTG/UEMOA Report, 10 août 2010, pp. 3, 9 et 12. Les autres pays compris dans l'étude étaient le Ghana, le Togo, le Burkina Faso, le Mali et le Sénégal. L'IRTG est largement financée par l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID). Voir aussiIRTG, Eleventh IRTG Report, 25 avril 2010, p. 1.

[146] Banque mondiale et Gouvernement de la Côte d'Ivoire, Study on Rackets on the Roads in Côte d'Ivoire, p. 6 (voir tableau 1).

[147] Avec les préparatifs bien engagés menant à l'élection présidentielle du 31 octobre 2010, le gouvernement a commencé à distribuer de nouvelles cartes d'identité nationale début octobre 2010. Evelyn Aka, «Élection ivoirienne: Gbagbo et Soro fêtent à Bouaké les cartes d'identité», Agence France-Presse, 3 octobre 2010. En raison de la crise et de la division de longue date du pays, le gouvernement de la Côte d'Ivoire n'a pas fabriqué et distribué de cartes d'identité depuis 2000. La date d'expiration de ces cartes d'identité était 2005, ce qui signifie qu'à l'exception de la minorité de personnes détenant d'autres formes valides d'identité, telles que des passeports, les Ivoiriens détenaient des cartes d'identité qui semblaient expirées. Entretiens de Human Rights Watch avec Namizata Sangare, présidente de l'Organisation Femmes Actives en Côte d'Ivoire, Abidjan, 13 juillet 2010 ; avec Drissa Traoré, président du Mouvement ivoirien des droits de l'homme (MIDH), Abidjan, 15 juillet 2010 ; et avec un dirigeant de la communauté burkinabé, Abidjan, 15 juillet 2010. Selon Drissa Traoré du MIDH, le gouvernement a émis un décret en 2005 prolongeant la validité de ces cartes d'identité jusqu'à ce que de nouvelles cartes soient émises. Toutefois, les autorités de l'État ont continué à exploiter fréquemment cette confusion pour extorquer de l'argent à des personnes qui n'étaient pas au courant que les vieilles cartes d'identité restaient valables, qui n'avaient plus les cartes ou qui simplement ne pensaient pas pouvoir discuter avec les autorités. Entretien de Human Rights Watch avec Drissa Traoré, 15 juillet 2010.

[148] Entretien de Human Rights Watch avec un négociant, Guiglo, 24 juillet 2010.

[149] Entretien de Human Rights Watch avec un chauffeur, Duékoué, 23 juillet 2010.

[150] Entretien de Human Rights Watch avec un négociant, Duékoué, 23 juillet 2010.

[151] Banque mondiale et Gouvernement de la Côte d'Ivoire, Study on Rackets on the Roads in Côte d'Ivoire, p. 9 (notant que, à part les Forces nouvelles, les plus grands coupables au niveau national étaient les gendarmes et les policiers) ; Initiative IRTG, Twelfth IRTG/UEMOA Report, 10 août 2010, p. 9 ; Initiative IRTG, Eleventh IRTG Report, 25 avril 2010, p. 7.

[152] Entretien de Human Rights Watch avec un chauffeur, Duékoué, 23 juillet 2010. Ceci a été confirmé par plusieurs autres chauffeurs basés au Moyen Cavally ainsi qu'aux Dix-Huit Montagnes. Entretiens de Human Rights Watch avec un chauffeur, Guiglo, 25 juillet 2010 ; avec un chauffeur, Man, 27 juillet 2010 ; et avec un chauffeur, Duékoué, 23 juillet 2010.

[153] Entretien de Human Rights Watch avec un chauffeur, Duékoué, 23 juillet 2010.

[154] Entretien de Human Rights Watch avec un négociant, Duékoué, 23 juillet 2010.

[155] Entretiens de Human Rights Watch avec un officier de la gendarmerie, Guiglo, 30 juillet 2010 ; et avec un officier de police, Guiglo, 30 juillet 2010.

[156] En Côte d'Ivoire, une personne n'est pas automatiquement citoyenne si elle est née dans le pays. Au regard du Code de la nationalité, une personne doit être la descendante d'un parent ivoirien pour pouvoir prétendre à la citoyenneté. Code de la nationalité, Loi n°. 61-415 du 14 décembre 1961, modifiée par la Loi n° 72-852 du 21 décembre 1972, arts. 6 et 7.

[157] Le permis de résidence, d'une validité de six mois, coûte 2 500 francs CFA (3,80 euros).

[158] Entretien de Human Rights Watch avec un négociant malien, Duékoué, 23 juillet 2010.

[159] Entretien de Human Rights Watch avec un leader de la communauté burkinabé, Duékoué, 23 juillet 2010. Des leaders des communautés malienne et nigérienne ont expliqué avoir dû récupérer des piles similaires de cartes d'identité. Entretiens de Human Rights Watch avec un leader de la communauté malienne, Guiglo, 25 juillet 2010 ; et avec un leader de la communauté nigérienne, Guiglo, 25 juillet 2010.

[160] Entretien de Human Rights Watch avec un négociant burkinabé, Duékoué, 23 juillet 2010. Un planteur burkinabé à Guiglo a fait état de mauvais traitements physiques similaires : «Ceux qui osent contester les policiers ou les gendarmes à propos de ce traitement, ce sont ceux avec qui les autorités s'empoignent. Une fois je n'avais pas assez d'argent, et j'ai demandé pourquoi c'était nécessaire puisque j'avais mes papiers. Un gendarme m'a agrippé par la chemise et m'a frappé. Il a dit: 'Qui t'a donné le pouvoir de venir ici poser des questions ? C'était Blaise [Compaoré] ?' Puis il m'a frappé à nouveau au visage.» Entretien de Human Rights Watch avec un planteur burkinabé, Guiglo, 25 juillet 2010.

[161] Entretien de Human Rights Watch avec un planteur burkinabé, Duékoué, 23 juillet 2010.

[162] Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ICERD), adoptée le 21 décembre 1965, G.A. rés. 2106 (XX), annexe, 20 U.N. GAOR Supp. (n° 14) à 47, U.N. Doc. A/6014 (1966), 660 U.N.T.S. 195, entrée en vigueur le 4 janvier 1969, signée par la Côte d'Ivoire le 4 janvier 1973, arts. 5(d)(i) et 5(e).

[163] PIDCP, art. 9.                                                                       

[164] Entretiens de Human Rights Watch avec des habitants des Dix-Huit Montagnes, juillet 2010. Voir aussi Banque mondiale et gouvernement de Côte d'Ivoire, Study on Rackets on the Roads in Côte d'Ivoire ; Conseil de sécurité des Nations Unies, «Vingt-quatrième rapport du Secrétaire général sur l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire», para. 24; Rapport du Groupe d'experts, 9 octobre 2009, paras. 189-205.

[165] Entretiens de Human Rights Watch avec un soldat des Forces nouvelles, Dix-Huit Montagnes, juillet 2010 ; et avec des habitants des Dix-Huit Montagnes, juillet 2010. Voir aussi le Rapport du Groupe d'experts, 9 octobre 2009, paras. 189-205.

[166] Sur une route principale traversant le centre de la Côte d'Ivoire, l'Initiative pour l'amélioration de la gouvernance des transports routiers a constaté que, en moyenne pour 100 kilomètres, les rebelles des Forces nouvelles réclamaient 3 786 francs CFA (5,77 euros) aux chauffeurs routiers. Ceci équivaut, selon l'IRTG, à presque le double de ce qu'extorquent les forces de sécurité du gouvernement (2 142 francs CFA, soit 3,27 euros) aux chauffeurs routiers sur la même distance. Initiative IRTG, Twelfth IRTG/UEMOA Report, 10 août 2010, pp. 3 et 9. Voir aussi Banque mondiale et gouvernement de la Côte d'Ivoire, Study on Rackets on the Roads in Côte d'Ivoire ; et Initiative IRTG, Eleventh IRTG Report, 25 avril 2010.

[167] Entretiens de Human Rights Watch avec un membre de l'ONUCI, Abidjan, 17 juillet 2010 ; et avec un membre de l'ONUCI, Duékoué, 23 juillet 2010. La banque mondiale a conclu pareillement que les axes routiers vers le nord présentaient généralement les aux de racket les plus élevés par tranche de 100 kilomètres. Banque mondiale et gouvernement de la Côte d'Ivoire, Study on Rackets on the Roads in Côte d'Ivoire, carte page 6.

[168] Entretien de Human Rights Watch avec un soldat des Forces nouvelles, juillet 2010.

[169] Entretiens de Human Rights Watch avec des habitants des Dix-Huit Montagnes, juillet 2010 ; avec un chauffeur, Man, 27 juillet 2010 ; et avec un chauffeur, Man, 28 juillet 2010.

[170] Entretien de Human Rights Watch avec un chauffeur et un responsable syndical, Man, 27 juillet 2010.

[171] Entretiens de Human Rights Watch avec un chauffeur, Man, 26 juillet 2010 ; avec un chauffeur, Man, 26 juillet 2010 ; avec un chauffeur, Man, 27 juillet 2010 ; et avec un chauffeur, Man, 28 juillet 2010.

[172] Ibid.

[173] Entretien de Human Rights Watch avec un chauffeur propriétaire de véhicule, Man, 28 juillet 2010.

[174] Entretien de Human Rights Watch avec un responsable syndical, Man, 27 juillet 2010.

[175] Entretiens de Human Rights Watch avec un responsable syndical, Man, 27 juillet 2010 ; avec un marchand de poussins vivants et d'ustensiles de cuisine, Man, 27 juillet 2010 ; et avec un vendeur d'outils de réparations pour la maison, Man, 27 juillet 2010.

[176] Entretien de Human Rights Watch avec un responsable syndical, Man, 27 juillet 2010.

[177] Banque mondiale et gouvernement de la Côte d'Ivoire, Study on Rackets on the Roads in Côte d'Ivoire, p. 10 (estimant que de 15 à 25 pour cent de l'augmentation du prix du riz, l'aliment de base le plus important en Côte d'Ivoire, était due à l'extorsion pratiquée aux postes de contrôle, ainsi que de 10 à 13 pour cent de l'augmentation du prix de la viande).

[178] Entretien de Human Rights Watch avec un soldat des Forces nouvelles, juillet 2010.

[179] Entretiens de Human Rights Watch avec un réparateur de réfrigérateurs, Man, 27 juillet 2010 ; avec le propriétaire d'un salon de coiffure, Man, 27 juillet 2010 ; et avec un propriétaire de magasin, Man, 28 juillet 2010.

[180] Entretien de Human Rights Watch avec un réparateur de réfrigérateurs, Man, 27 juillet 2010.

[181] Entretien de Human Rights Watch avec le propriétaire d'un salon de coiffure, Man, 27 juillet 2010.

[182] Rapport du Groupe d'experts, 9 octobre 2009, paras. 211-214, 231-248 (avec une déclaration au paragraphe 233 selon laquelle «la production de cacao fournit probablement à elle seule la plus importante source de revenus aux Forces nouvelles») ; entretiens de Human Rights Watch avec un acheteur et exportateur de cacao, Man, 28 juillet 2010 ; et avec le directeur d'une société de bois de construction, Dix-Huit Montagnes, juillet 2010. La Côte d'Ivoire fournit 40 pour cent de la production mondiale de cacao, et l'activité agricole -dont le cacao et le bois de construction représentent respectivement le secteur le plus important et le troisième secteur en importance- représente 25 pour cent du produit intérieur brut de la Côte d'Ivoire. Département d'État des États-Unis, Background Note: Côte d'Ivoire, 16 juillet 2010, http://www.state.gov/r/pa/ei/bgn/2846.htm#econ (consulté le 29 septembre 2010).

[183] Entretien de Human Rights Watch avec un soldat des Forces nouvelles, juillet 2010.

[184] Voir calculs ci-dessous, estimant l'extorsion à plus de 20 000 euros par camion de 30 tonnes de cacao, avec des centaines de camions quittant la région des Dix-Huit Montagnes chaque saison de cacao. Voir aussi Rapport du Groupe d'experts, 9 octobre 2009, para. 233 (estimant à près de 27 millions d'euros de revenus tirés du cacao par les Forces nouvellesdurant la récolte de cacao en 2006-2007) ; et Rapport du Groupe d'experts, 12 avril 2010, para. 47 (notant des prix du cacao significativement plus élevés au cours de la récolte de 2009-2010). Dans le nord en particulier, la production de cacao a aussi augmenté depuis 2006, après une accalmie de la crise politico-militaire suivant l'Accord de Ouagadougou de 2007. Entretiens de Human Rights Watch avec un producteur de cacao, Man, 28 juillet 2010 ; et avec un acheteur et exportateur de cacao, Man, 28 juillet 2010.

[185] Entretiens de Human Rights Watch avec un habitant et propriétaire, Man, 28 juillet 2010 ; avec un habitant et propriétaire, Man, 28 juillet 2010 ; avec un acheteur et exportateur de cacao, Man, 28 juillet 2010 ; et avec un chauffeur, Man, 27 juillet 2010.

[186] Entretiens de Human Rights Watch avec un producteur de cacao, Man, 28 juillet 2010 ; et avec des producteurs de cacao, Danané, 29 juillet 2010. Un petit producteur ayant deux hectares de terre produit en général environ 2 000 kilogrammes de cacao, vendu de 850 à 1 000 francs CFA (1,30 à 1,50 euros) par kilogramme.

[187] Entretiens de Human Rights Watch avec un producteur de cacao, Man, 28 juillet 2010 ; et avec un acheteur et exportateur de cacao, Man, 28 juillet 2010.

[188] Entretiens de Human Rights Watch avec un acheteur et exportateur de cacao, Man, 28 juillet 2010; avec le président d'un syndicat des producteurs de cacao, Dix-Huit Montagnes, 27 juillet 2010 ; avec un producteur de cacao, Danané, 29 juillet 2010 ; et avec un acheteur et exportateur de cacao, Man, 29 juillet 2010.

[189] Entretiens de Human Rights Watch avec un acheteur et exportateur de cacao, Man, 28 juillet 2010; avec le président d'un syndicat des producteurs de cacao, Dix-Huit Montagnes, 27 juillet 2010 ; avec un producteur de cacao, Danané, 29 juillet 2010 ; et avec un acheteur et exportateur de cacao, Man, 29 juillet 2010.

[190] Entretiens de Human Rights Watch avec un acheteur et exportateur de cacao, Man, 28 juillet 2010.

[191] Entretiens de Human Rights Watch avec un acheteur et exportateur de cacao, Man, 28 juillet 2010; avec le président d'un syndicat des producteurs de cacao, Dix-Huit Montagnes, 27 juillet 2010 ; et avec un acheteur et exportateur de cacao, Man, 29 juillet 2010.

[192] Entretien de Human Rights Watch avec un soldat des Forces nouvelles, juillet 2010.

[193] Entretien de Human Rights Watch avec un producteur de cacao, Danané, 29 juillet 2010.

[194] Banque mondiale et Gouvernement de la Côte d'Ivoire, Study on Rackets on the Roads in Côte d'Ivoire, p. 10.

[195] Entretien de Human Rights Watch avec le directeur d'une société de bois de construction, Dix-Huit Montagnes, juillet 2010.

[196] Entretien de Human Rights Watch avec un habitant et propriétaire, Man, 28 juillet 2010.

[197] Entretien de Human Rights Watch avec un habitant et propriétaire, Man, 28 juillet 2010.

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