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Tunisie : Il faut mener une enquête sur la fusillade mortelle de la police

Deux morts lors d'un recours à la force apparemment illicite

(Tunis) – Les autorités tunisiennes devraient mener une enquête complète et indépendante au sujet de la fusillade impliquant la police et ayant entraîné la mort de deux jeunes femmes le 23 août 2014. Tout agent ayant eu recours à la force létale illégalement devrait être tenu de rendre des comptes.

Les deux femmes sont mortes après que la police a ouvert le feu sur une voiture tard dans la nuit à Kasserine, une ville proche de la frontière tunisienne avec l'Algérie. Une troisième femme se trouvant dans la voiture a été blessée et une autre a affirmé avoir été battue par la police après la fusillade. Un communiqué émis par le ministère de l'Intérieur le jour-même a indiqué que les policiers ont ouvert le feu à un barrage routier lorsque la voiture a accéléré en se dirigeant sur eux bien qu’ils lui aient fait signe de s'arrêter et qu’ils aient fait des tirs de sommation. Mais les passagers qui ont survécu ont confié à Human Rights Watch que les policiers ne se sont pas identifiés en tant que tels et ils ont ouvert le feu sans le moindre avertissement.

« Les autorités tunisiennes affirment avoir réformé les forces de sécurité du pays après qu’elles ont commis des centaines d'homicides illégaux pendant le soulèvement de 2011 », a déclaré Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Mais ces derniers décès démontrent le besoin urgent d'une enquête publique et indépendante pour s'assurer que les agents ayant la gâchette facile soient tenus de rendre des comptes. »

La déclaration du ministère de l'Intérieur a précisé que la police avait érigé un barrage sur la route de Laariche, à Kasserine après avoir reçu l'information que des membres d'un groupe armé se déplaçaient en voiture dans la région. « Les forces de sécurité ont d'abord fait des appels de phares et fait des tirs de sommation en direction du véhicule », a indiqué le communiqué, avant d’ouvrir le feu directement sur la voiture et de la forcer à s'arrêter.

Cependant, trois passagères survivantes ont expliqué à Human Rights Watch lors d’entretiens séparés que la voiture avait sept occupants, cinq femmes et deux hommes, tous membres de la même famille élargie revenant d'un mariage dans un parc d’attractions à Kasserine au moment de la fusillade mortelle. Les témoins ont affirmé que cinq à dix hommes vêtus de noir, que les passagers avaient pris pour des malfrats dans l’obscurité, ont surgi des roseaux bordant le côté gauche de la route et ont tiré sur la voiture sans sommation.

Sondous Dalhoumi a déclaré qu'elle conduisait lentement, en raison des crevasses sur la route, mais qu’elle a accéléré lorsque les hommes en noir ont surgi du bord de la route. « Il était évident que nous sommes des filles », a-t-elle expliqué. « Nous chantions. J'ai les cheveux longs et ma sœur était à côté de moi. La voiture était pleine de filles. »

Elle a affirmé qu'elle aurait arrêté la voiture immédiatement si elle avait su que les hommes appartenaient aux forces de police. Elle s'est arrêtée dès que les tirs ont commencé, mais à ce moment-là, sa sœur, Ahlem Dalhoumi, et sa cousine, Ons Dalhoumi, avaient été atteintes de balles dans la tête et une autre cousine, Yasmine Soula, avait été blessée.

Après la fusillade, « nous avons vu les hommes s’approcher », a déclaré Sondous Dalhoumi. « C’est seulement à ce moment-là que nous nous sommes rendu compte qu’il s’agissait de policiers parce qu'ils avaient « police » écrit sur leurs chemises noires. »

Sondous Dalhoumi et deux des passagères, Shouour Dawahi et Achref Hendiri, ont déclaré à Human Rights Watch que les policiers ont refusé d’emmener les corps à l'hôpital ou d’aider leur cousine blessée, et qu’ils ont brusquement quitté les lieux dans une voiture de police.

Shouour Dawahi a indiqué avoir demandé à la police : « Pourquoi ne nous emmenez-vous pas à l'hôpital ? ». « Je leur criais : Pourquoi nous avez-vous tiré dessus ? Puis, l'un d'eux a commencé à me frapper avec une matraque sur mon flanc et à la jambe. Je l'ai frappé au dos avec une pierre. Puis il m'a frappée à nouveau jusqu'à ce que je perde connaissance. Ils nous ont laissées et se sont enfuis. »

Un chercheur de Human Rights Watch qui s’est rendu sur le site de la fusillade le 30 août a constaté que la route était dans un état de délabrement avancé, comme les témoins l’avaient décrit, pleine de trous profonds sur lesquels il serait impossible qu’une voiture progresse à grande vitesse.

Un homme du voisinage a déclaré à Human Rights Watch que dans la nuit du 23 août, il avait entendu de la musique et vu une voiture Golf 4 contenant plusieurs personnes passer devant lui à une vitesse lente et tourner sur la route de Laariche, puis qu’il avait entendu peu après une rafale de coups de feu. Il a affirmé n'avoir entendu aucun avertissement. Quand il est arrivé sur les lieux, selon lui, toutes les personnes impliquées étaient déjà parties mais il y avait des taches de sang frais et des bouts de cervelle, qu'il a photographiés. Human Rights Watch a pu consulter les photos.

Le ministère de l'Intérieur a annoncé le 24 août qu'il avait ouvert une enquête administrative interne, et l'ambassade d'Allemagne à Tunis a déclaré qu'elle prêterait une attention particulière aux enquêtes étant donné qu’Ahlem Dalhoumi et sa sœur Sondous sont de double nationalité allemande et tunisienne. Le juge d'instruction du tribunal de première instance de Kasserine mène également une enquête judiciaire. Le porte-parole du ministère de l'Intérieur, Mohamed Ali Laaroui, a déclaré à Human Rights Watch le 1er septembre que le ministère n'avait pas suspendu à titre provisoire les agents de police impliqués dans la fusillade.

Les groupes armés dans la région de Kasserine ont mené une série d'attaques au cours desquelles ils ont tué plus de trente policiers et soldats tunisiens depuis avril 2013. Au cours d’un des incidents les plus meurtriers, quinze soldats ont été tués lors d’une attaque près de la montagne Chaambi, à proximité de la frontière algérienne.

Les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois exigent des membres de la police et d’autres forces de sécurité de n’utiliser leurs armes à feu avec une intention létale que lorsque cela est « absolument inévitable pour protéger des vies humaines. » Ces principes exigent également un contrôle effectif et une enquête indépendante sur l'utilisation des armes à feu par la police, en particulier lorsque celle-ci provoque la mort.

« Les autorités tunisiennes doivent sans tarder aller au bout de cette affaire et s’assurer que tous les agents qui ont utilisé leurs armes de manière illégale soient tenus pleinement responsables », a conclu Eric Goldstein.

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