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RD Congo : L’armée doit répondre de crimes de guerre

Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait insister auprès du gouvernement pour qu’il exige des comptes aux soldats responsables d’exactions

(New York) - Les délégués du Conseil de sécurité des Nations Unies, dont la visite en République démocratique du Congo débute aujourd'hui, devraient condamner vigoureusement les crimes de guerre commis par des soldats de l'armée congolaise dans la partie est du pays, a déclaré Human Rights Watch.

Human Rights Watch a exhorté le Conseil de sécurité à faire dépendre le soutien de l'ONU aux opérations militaires congolaises de l'exclusion des auteurs connus d'atteintes aux droits humains des postes de commandement.

« L'armée congolaise est responsable d'exactions répandues et cruelles contre ses propres concitoyens qui équivalent à des crimes de guerre », a indiqué Anneke Van Woudenberg, chercheuse senior pour la division Afrique à Human Rights Watch. « Le gouvernement devrait entreprendre une action urgente pour mettre fin à ces exactions. Une opération militaire qui prend pour cible les personnes que le gouvernement prétend justement protéger ne peut que conduire au désastre. »

Depuis fin janvier 2009, des soldats des forces armées congolaises, les FARDC, menant des opérations militaires dans l'est du Congo, ont attaqué des villages et tué au moins 19 civils dans la province du Nord Kivu, dont deux femmes et deux hommes âgés. Des soldats de l'armée ont aussi violé plus de 143 femmes et filles durant la même période, soit plus de la moitié des 250 cas de viols documentés par Human Rights Watch. Certaines femmes ont été emmenées comme esclaves sexuelles par des soldats et sont détenues dans des positions militaires.

Dans au moins 24 villages de la province du Nord Kivu, notamment Miriki, Bushalingwa et Kishonja dans les territoire de Lubero et et de Walikale, des soldats ont réduit en cendres des centaines de maisons ainsi que de nombreuses écoles et centres de santé. Ils ont saccagé et pillé des maisons et arrêté arbitrairement au moins 85 personnes qu'ils ont accusées de soutenir les forces rebelles. Nombre de ces personnes ont été détenues sans chef d'accusation, passées à tabac, et souvent relâchées seulement après que des sommes importantes aient été payées. Des civils ont déclaré à Human Rights Watch qu'ils craignaient les soldats de l'armée tout autant que les milices rwandaises que l'armée est censée neutraliser.

A la mi-janvier, l'armée congolaise a déclenché une opération militaire conjointe avec les forces armées rwandaises contre les groupes de milices rwandais, le Rassemblement pour l'unité et la démocratie (RUD) et les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), dont certains dirigeants ont participé au génocide rwandais en 1994. L'opération « Umojo Wetu » (« Notre unité ») a fait suite à un rapprochement entre les deux pays et la disparition d'un groupe rebelle congolais soutenu par les Rwandais, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), qui a abandonné sa lutte contre le gouvernement congolais et s'est joint à l'opération.

Au cours d'un rapide processus d'intégration, au moins 12 000 combattants du CNDP et d'autres groupes rebelles qui ont accepté de se joindre aux opérations militaires sont entrés dans les rangs de l'armée congolaise. L'intégration a gonflé les effectifs de l'armée dans l'est du Congo jusqu'à environ 60 000 soldats, exacerbant les problèmes de discipline, de salaire et de contrôle du commandement qui l'affectent depuis de nombreuses années.

L'opération Umojo Wetu s'est terminée fin février, quand les soldats rwandais ont quitté l'est du Congo à la suite d'un accord selon lequel l'armée congolaise poursuivrait les opérations militaires contre les milices rwandaises avec le soutien de la mission de maintien de la paix de l'ONU au Congo (MONUC). Cette seconde phase, connue sous le nom de Kimia II, a commencé au Nord Kivu à la mi-avril et elle s'étend maintenant dans la province du Sud Kivu.

Depuis le début des opérations militaires engagées contre elles, les milices des FDLR  et du RUD ont commis des crimes de guerre lors d'attaques brutales menées « en représailles » dans le Nord Kivu et le Sud Kivu, attaquant et tuant délibérément au moins 200 civils. Lors d'une attaque les 9 et 10 mai, environ 60 civils auraient été tués et beaucoup d'autres blessés à Busurungi, dans le territoire de Walikale. Les informations communiquées par des fonctionnaires locaux et des témoins indiquent que les FDLR étaient les agresseurs et que les soldats de l'armée congolaise basés à Busurungi ont battu en retraite, ou ont été tués, laissant la population civile sans protection.

Au cours des deux phases des opérations militaires, des soldats de l'armée congolaise ont tué, violé et pillé.

Après que les milices rwandaises ont attaqué l'armée congolaise à Miriki (territoire de Lubero) le 8 mars, tuant au moins 12 soldats, dont un officier, l'armée congolaise a envoyé des renforts. Selon des autorités locales et des résidents de Miriki, des soldats de l'armée congolaise ont alors exécuté sommairement le chef de la police locale, qui aurait été arrêté ainsi que 39 autres civils après avoir été accusés de collaborer avec les milices FDLR. Les soldats de l'armée congolaise se sont alors livrés au pillage et ont brûlé 155 maisons. Des témoins ont déclaré à Human Rights Watch qu'ils avaient vu deux camions chargés de soldats bien armés qui retournaient à Kirumba plus tard ce même jour avec le produit de leur pillage de Miriki.

A Bwavinyo, également dans le sud du territoire de Lubero, des soldats de l'armée congolaise ont arrêté le chef de village le 8 mars, l'accusant d'avoir eu connaissance d'une attaque des FDLR contre Bwavinyo plus tôt ce jour-là et de ne pas en avoir informé l'armée congolaise. Il a été relâché quelques jours plus tard, après le paiement de plus de 1000 dollars américains aux autorités de l'armée congolaise. Les soldats ont ensuite pillé le village, disant que toutes les provisions avaient appartenu aux FDLR. Le 12 mars, ayant été prévenus que les FDLR étaient tout proches, les soldats de l'armée se sont mis à tirer au hasard, tuant quatre civils qui rentraient à Bwavinyo de leurs champs à proximité.

Des soldats de l'armée congolaise ont commis des viols de façon réitérée lors des opérations, accusant souvent les femmes de soutenir les FDLR ou d'être mariées à des combattants. Beaucoup de femmes et de filles ont subi des viols collectifs. A Kihonga (Sud Kivu), une femme a été violée chez elle par deux soldats, qui ont ensuite enlevé son mari et l'ont forcé à transporter leur butin. Il n'est toujours pas rentré chez lui. Quelques jours plus tard, une jeune fille de 15 ans a été violée dans le même village par deux soldats, tandis que quatre autres soldats pillaient la maison puis enlevaient sa mère, qui n'est toujours pas revenue. D'autres femmes ont été enlevées par des soldats pour servir d'esclaves sexuelles dans leurs camps ; on leur a dit que si jamais elles essayaient de résister quand les soldats voulaient avoir des rapports sexuels avec elles, elles seraient tuées.

Les soldats du maintien de la paix de l'ONU qui soutiennent l'armée congolaise dans ces opérations militaires ont essayé de freiner certaines des exactions commises par les soldats de l'armée, mais ils n'en ont pas été capables dans de nombreuses circonstances. Au cours d'un incident récent au moins, des soldats du maintien de la paix de l'ONU ont tiré des coups de semonce au-dessus des têtes des soldats de l'armée congolaise pour tenter de contenir leur comportement abusif.

Les 3 000 soldats du maintien de la paix supplémentaires autorisés par le Conseil de sécurité de l'ONU en novembre 2008 ne sont toujours pas arrivés dans l'est du Congo, en dépit des promesses de membres du Conseil selon lesquelles ils encourageraient un déploiement rapide. Les hélicoptères et le soutien en matière de renseignement, dont la mission a désespérément besoin, ne se sont pas non plus concrétisés. Le 9 avril à New York, Alan Doss, le chef de la force de maintien de la paix de l'ONU, a averti le Conseil de sécurité que, sans ces aides, la « capacité [de la MONUC] à répondre rapidement aux menaces émergeantes et à protéger les civils serait réduite. »

« Les civils sont pris au piège, pris pour cible par toutes les parties dans ce conflit », a observé Anneke Van Woudenberg. « Au cours de leur visite au Congo, les membres du Conseil de sécurité devraient informer le Président Joseph Kabila que les soldats du maintien de la paix de l'ONU ne peuvent pas appuyer des opérations militaires au cours desquelles des crimes de guerre sont commis, et que la poursuite de leur appui dépendra de l'action concrète entreprise par le gouvernement congolais pour faire cesser ces crimes. »

Human Rights Watch a de nouveau exprimé ses préoccupations quant au rôle joué par des auteurs connus d'atteintes aux droits humains dans des opérations militaires soutenues par des soldats du maintien de la paix de l'ONU, notamment Bosco Ntaganda, qui s'est vu attribuer un rôle de dirigeant dans l'armée congolaise en dépit d'un mandat d'arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI), et Jean-Pierre Biyoyo, nommé colonel dans l'armée congolaise bien qu'il ait été reconnu coupable par un tribunal militaire congolais de recrutement d'enfants dans une milice en mars 2006.

Human Rights Watch a aussi recommandé vivement au Conseil de garantir que Ntaganda soit retiré immédiatement de ses fonctions militaires et de conditionner le futur soutien opérationnel de la MONUC à son arrestation.

« La MONUC et le Conseil de sécurité ne peuvent pas fermer les yeux quand des auteurs connus d'atteintes aux droits humains occupent des postes haut placés dans des opérations militaires qu'ils soutiennent », a insisté Anneke Van Woudenberg. « Les civils congolais ont besoin de toute urgence de protection contre les milices et les auteurs d'exactions de leur propre armée. Si le Conseil n'agit pas, il se rendra lui aussi complice en mettant les civils en danger. »

Sélection de témoignages

Une femme de 27 ans de Bitonga (territoire de Masisi, Nord Kivu) qui a été enlevée fin mars 2009 par des soldats de l'armée congolaise, et détenue comme esclave sexuelle dans leur camp pendant un mois :

« J'étais dans ma ferme avec neuf autres femmes quand les soldats sont arrivés et nous ont emmenées de force. J'étais avec eux dans leur camp près de Bitonga pendant un mois, et pendant tout ce temps, tous ceux qui le voulaient venaient m'obliger à avoir des relations sexuelles avec eux. Ils m'ont dit que si jamais j'essayais de résister, ils me tueraient. Il y avait environ 18 soldats dans le camp, un mélange de Tutsis et d'Hutus. J'ai fini par réussir à m'échapper quand les soldats m'ont envoyée chercher du bois pour le feu toute seule. J'étais enceinte de quatre mois quand ils m'ont enlevée, et maintenant j'ai mal tout le temps et je n'arrive pas  marcher. Je ne crois pas que le bébé arrive à son terme. Les gens de mon village se sont tous enfuis pendant que je n'étais pas là, à cause des exactions commises par les mêmes soldats des FARDC qui m'avaient enlevée. »

Une femme de 40 ans violée par quatre soldats de l'armée congolaise dans sa maison à Chebumba (territoire de Kalehe, Sud Kivu) le 15 avril :

« Ils sont venus pendant la nuit quand je dormais. Nous avons entendu un coup sur la porte, puis ils l'ont enfoncée, ils ont sorti mon mari du lit et ils l'ont attaché. Quatre soldats se sont mis alors à me violer, l'un après l'autre, pendant que trois autres soldats pillaient toutes les provisions de la maison. J'étais enceinte de quatre mois, mais beaucoup de sang s'est mis à couler pendant qu'ils me violaient et j'ai perdu le bébé maintenant. Les soldats parlaient le lingala, et je ne comprenais pas ce qu'ils disaient. Trois autres maisons ont été visitées la même nuit dans mon village. Les soldats qui m'ont violée ont été déployés depuis plus au Sud, après Numbi. »

Une jeune fille de 15 ans de Kihonga (territoire de Kalehe, Sud Kivu) qui a été violée l'année dernière par des soldats des FARDC qui l'ont mise enceinte. Après avoir accouché fin mars, elle a été à nouveau violée le 5 mai par deux soldats des FARDC:

« Il y avait six soldats qui sont entrés dans ma maison. Ils ont d'abord violé ma petite sœur de trois ans, puis deux d'entre eux m'ont violée tandis que les autres pillaient notre maison. Ils ont jeté mon nouveau-né par terre, et à cause du choc il a très mal si quelqu'un lui touche les jambes. Les soldats portaient des uniformes militaires et ils parlaient le kinyarwanda. Il y avait des Hutus et des Tutsis et d'autres tribus aussi. Après m'avoir violée, ils ont emmené ma mère avec eux. Elle n'est pas encore revenue, et je crois qu'elle doit être morte. Cinq autres maisons de Kihonga ont été visitées la même nuit par les soldats. »

Une femme de 25 ans de Kihonga (territoire de Kalehe, Sud Kivu) qui a été violée dans sa maison par deux soldats des FARDC le 25 avril :

« C'est arrivé pendant la nuit, alors que j'étais à la maison avec mon mari. Nous avons entendu des gens frapper à la porte, et ils nous demandaient d'ouvrir. Nous avons refusé et alors deux soldats ont enfoncé la porte, sont entrés dans la maison et ont ligoté mon mari. Ils m'ont ensuite prise de force et m'ont violée. Ils étaient tous deux armés, en uniforme militaire et ils parlaient le kinyarwanda. L'un était Hutu et l'autre était Tutsi. Après ça, ils ont emmené mon mari avec eux pour qu'il porte tout ce qu'ils avaient pillé dans notre maison. J'ai pensé que mon mari allait revenir, mais il n'est jamais revenu. Sa famille m'a rejetée depuis qu'ils sont au courant de ce qui s'est passé, et maintenant je n'ai nulle part où aller. »

Un homme d'Oninga (territoire de Walikale, Nord Kivu) qui s'est enfui à Kirumba (territoire de Lubero, Nord Kivu) après que les FDLR ont commencé à attaquer les civils:

« Alors que nous fuyions vers la zone contrôlée par le gouvernement, nous avons été stoppés par des soldats des FARDC qui nous ont dépouillés de notre argent et de tous nos biens, et ils nous ont gravement battus, en disant : « Vous venez de là où se trouvent les ennemis, et vous devez être leurs collaborateurs. » Maintenant que nous sommes arrivés jusqu'à Kirumba, nous sommes constamment soumis à « l'opération fenêtre » avec nos familles d'accueil ici : les soldats viennent jusqu'aux maisons pendant la nuit, passent le canon de leur fusil par la fenêtre et nous forcent à leur remettre tout l'argent, la nourriture et les objets qui se trouvent dans la maison. »

Un homme déplacé de Katoyi (territoire de Masisi) à Lushebere:

« Quand je suis allé chez moi pour chercher de quoi manger, j'ai été stoppé par des soldats des FARDC, qui m'ont forcé à porter leurs bagages jusqu'à Kalonge, où ils allaient mener des opérations contre les FDLR. Quand je suis arrivé là, ils m'ont obligé à leur donner mes vêtements et mes chaussures. Ils m'ont laissé alors presque nu, et ils me fouettaient en me traitant d'Interhamwe. »

Un chef local du territoire de Masisi:

« Les FDLR prétendent que c'est nous qui avons dit aux FARDC de venir les chasser de l'est du Congo, tandis que nos soldats nous accusent d'avoir vécu avec les FDLR et disent que nous sommes leurs frères. Nous sommes devenus les ennemis de toutes les parties et ne comprenons plus ce que nous devons penser. »

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