Rapports de Human Rights Watch

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Un phénomène global

Les questions portant sur le type de relations que le mouvement des droits humains devrait entretenir avec les communautés religieuses sont particulièrement difficiles car elles surgissent dans un contexte fortement explosif, marqué par la montée du “fondamentalisme,” de l'extrémisme religieux, par la fusion entre religion et identité ethnique dans de nombreux conflits armés,5 par l'impact partout dans le monde du terrorisme mené au nom de Dieu et par les réponses qu'il suscite.

Le flux d'informations qui circulent dans le village global a donné à ces phénomènes une visibilité et une puissance. Les attaques contre les chrétiens au Pakistan ou contre les musulmans en Inde, les nouveaux incidents antisémites en Europe occidentale et les crimes de haine contre des musulmans aux Etats-Unis ou en Europe acquièrent immédiatement une dimension internationale. Les ondes de choc provoquées par la polémique sur le “foulard” en France—manifestations de rue dans les pays arabes, désaveu diplomatique et même viles pressions exercées lors de l'enlèvement de deux journalistes français en Irak6—soulignent de façon éclatante à quel point les questions religieuses affectent les sensibilités dans le village global.

La religion joue effectivement un rôle envahissant et souvent prépondérant sur l'échiquier mondial. Les problèmes à caractère religieux touchent fréquemment à la sécurité internationale et aux droits humains. La liberté religieuse et le sort des minorités religieuses tendent à occuper une place de plus en plus importante dans la diplomatie internationale, tendance qui n'est pas sans rappeler la déclaration faite en 1649 par le Roi Louis XIV qui proclamait la protection par la France de la communauté maronite du Liban, ou encore les “interventions humanitaires” des puissances européennes contre l'Empire ottoman au 19e siècle pour “protéger les chrétiens persécutés.”

En 1998, sous la pression de groupes chrétiens et de représentants d'un certain nombre d'autres confessions, le Congrès américain a promulgué la Loi sur la liberté religieuse dans le monde. Cette loi a créé au sein du Département d'Etat un Bureau de la liberté religieuse dans le monde et une Commission indépendante, bipartite sur la liberté religieuse dans le monde et elle les a chargés de surveiller et de faire rapport sur l'incidence des persécutions religieuses partout sur la planète. Sur base du rapport annuel de ces organes, le président des Etats-Unis peut prendre des sanctions diplomatiques et économiques contre des “pays particulièrement préoccupants,” faisant d'un droit particulier—la liberté de religion—la seule norme prise en compte dans les relations extérieures.

L'équation religion/droits humains et son rôle dans la politique mondiale sont d'autant plus complexes qu'il existe de sérieuses différences entre les démocraties à propos de la place de la religion dans la vie publique. Le fossé entre une “Europe post-religieuse” et les Etats-Unis est particulièrement significatif et il a des conséquences sur les priorités et approches du mouvement international des droits humains. Une enquête menée en 2002 par le Pew Forum on Religion and Public Life concluait que, parmi les nations riches, les Etats-Unis étaient les seuls à accorder une place aussi grande à la religion. Cinquante-neuf pour cent des Américains interrogés déclaraient que la religion jouait un rôle important dans leur vie, contre 30 pour cent au Canada, 33 pour cent en Grande-Bretagne, 21 pour cent en Allemagne et 11 pour cent en France.7

Les différences s'étendent à la définition même de la religion. En France, en Belgique, en Allemagne et en Argentine, par exemple, certains groupes religieux considérés comme des confessions religieuses légitimes aux Etats-Unis ont été dénoncés comme étant des “sectes” ou des “cultes psychologiques,” des menaces aux fondements de la liberté démocratique et, par conséquent, ils ont fait l'objet de ce que ces groupes estiment être de la discrimination ou du harcèlement injustifiés. De telles différences, soulevées principalement dans le cadre des réunions de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), sont abordées avec un malaise certain par les diverses composantes du mouvement international des droits humains.



[5] Voir Harold R. Isaacs, Idols of the Tribe, Group Identity and Political Change (Cambridge, Massachusetts: Harvard University Press, 1989).

[6] Le groupe qui a enlevé Georges Malbrunot, Christian Chesnot et leur chauffeur syrien réclamait au départ l'abrogation de la loi française sur les signes religieux ostentatoires.

[7] “Among Wealthy Nations…U.S. Stands Alone in its Embrace of Religion,” The Pew Research Center for the People & the Press, 19 décembre 2002, p. 2.


<<précédente  |  index  |  suivant>>January 2005