Africa - West

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LES LIBERTES BAFOUEES


L'institution de l'état mobutiste s'étant pratiquement effondrée, l'une des fonctions que les militaires continuèrent à exercer fut la fonction de police. La population était, cependant, profondément affectée par le climat de criminalité « militaire » généralisée, les soldats étant les principaux responsables des actes de violence. Les nombreuses violations des droits et des libertés politiques fondamentales dont se rendaient coupables les forces de sécurité et militaires ne laissaient que peu d'espoir à la population quant à l'attitude que ces derniers adopteraient pendant le processus de transition. Des unités de l'armée et divers services de sécurité étaient très souvent impliquées dans la dispersion violente de manifestations pacifiques, le harcèlement des leaders de l'opposition et des militants des droits de l'homme, ainsi que les arrestations de journalistes.


Protection de la Personne Humaine Contre les Arrestations et Détentions Arbitraires

Le Zaïre a ratifié les principaux instruments de protection des individus contre les arrestations arbitraires. (92) L'article neuf du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (P.I.D.C.P.), ratifié par le Zaïre, stipule que:


1. Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire l'objet d'une arrestation ou d'une détention arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n'est pour des motifs, et conformément à la procédure prévus par la loi.

2. Tout individu arrêté sera informé, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation et recevra notification, dans le plus court délai, de toute accusation portée contre lui.


Les articles 13, 14 et 15 de l'Acte Constitutionnel de la Transition garantissent les droits de tout individu arrêté ou détenu. La loi zaïroise n° 78-289 du 3 juillet 1978, relative aux procédures en matière d'arrestation et de détention, garantit la protection spécifique de ces droits. Elle prévoit la possibilité d'arrêter sans mandat tout individu suspecté d'avoir commis un délit grave--punissable d'une peine supérieure à six mois d'emprisonnement--lorsque « des preuves concrètes de la culpabilité » du suspect ont été présentées, lorsque l'on craint qu'il n'échappe à la justice ou encore en cas de doute quant à son identité. Les représentants de la loi doivent présenter tout suspect arrêté à un magistrat dans les quarante-huit heures qui suivent l'arrestation. Seuls les représentants de la loi ayant le statut d'officier de police judiciaire (O.P.J.) sont habilités à procéder à des arrestations.


Malgré ces dispositions légales, de nombreux représentants de la loi procèdent couramment à des arrestations arbitraires et des détentions illégales en toute impunité. Il faut savoir, à cet effet, que la loi accorde le statut d'officier de police judiciaire à de nombreux militaires et officiels civils, qui disposent selon les cas de pouvoirs limités ou des pleins pouvoirs qui accompagnent le statut. Par exemple, les officiers et sous-officiers de la Gendarmerie Nationale et de ses brigades spécialisées sont officiers de police judiciaire et disposent des pleins pouvoirs. La gendarmerie a remplacé en 1972 la police nationale et est présente sur l'ensemble du territoire. En vertu d'une loi de 1984, des pouvoirs de police ont également été donnés aux officiers supérieurs de la Garde Civile. (93) Les officiers supérieurs du Service National d'Intelligence et de Protection (S.N.I.P.) disposent eux de pouvoirs de police judiciaire limités. En ce qui concerne les civils, l'Ordonnance-Loi n° 82-006, du 25 février 1982, accorde des pouvoirs généraux de police judiciaire aux chefs communaux, aux commissaires de zone et à leurs assistants, ainsi qu'aux préfets de région et de sous-région et à leurs assistants. Une loi de l'époque coloniale (Ordonnance du 21 mars 1924), encore en vigueur, accorde des pouvoirs de police judiciaire limités aux hauts fonctionnaires de presque tous les services administratifs gouvernementaux, notamment ceux en charge de l'agriculture, du commerce, de l'industrie, du travail, des douanes, de l'hygiène, des postes et télécommunications, des affaires financières et économiques, de l'aviation et de la justice.


Deux notes officielles récentes dénoncent cependant, en des termes d'une franchise assez inhabituelle, le recours généralisé aux arrestations arbitraires et les mauvais traitements infligés aux prisonniers par l'ensemble des services de police judiciaire. Lors de l'ouverture d'une session de recyclage de la police judiciaire, tenue à Kikwit du 27 au 29 avril 1996, un magistrat supérieur du ministère de la justice signalait diverses violations des droits de l'homme commises de manière routinière par la police judiciaire, et particulièrement la gendarmerie. L'un des participants résuma cette intervention dans les termes suivants:


1. Arrestations arbitraires, y compris dans le cadre d'affaires purement civiles. En cas de plainte, la police judiciaire ou la gendarmerie arrête purement et simplement la personne accusée, sans l'entendre ni l'informer du motif de son arrestation. Une des variantes de cette technique consiste à arrêter des membres de la famille de l'accusé, en cas d'absence de celui-ci, et à les utiliser comme otages.

2. Torture, pratiquée dans « certains amigos de la ville », pourr obtenir des aveux ou une libération contre paiement.

3. Imposition systématique d'amendes, accompagnées de confiscations.

4. Etablissement de procès-verbaux d'interrogatoires falsifiés, destinés à tromper les magistrats. (94)

Dans son allocution, le magistrat reprocha également aux officiers de police judiciaire leur « allergie » à toute inspection, par les officiels du Ministère de la Justice, des lieux de détention, ainsi que leur tendance à faire obstruction à la libération de détenus par le ministère public. (95)

En réaction à des pratiques similaires enregistrées à Kinshasa, le ministre de la justice ordonna, par une circulaire datée du 27 décembre 1995, la fermeture de 26 des 73 centres officiels de détention de la capitale, arguant du fait qu'une commission composée de militaires et de civils les avait jugés « incompatibles avec la dignité humaine ». Le ministre ajoutait que:


De nombreuses dispositions de la loi n° 78-289 du 3 juillet 1978, relative à l'exercice de leur autorité par les officiers et agents de la police judiciaire, font l'objet de violations systématiques. Les officiers de police judiciaire coupables de tels actes les commettent en toute impunité; les officiels du Ministère de la Justice compétents à cet égard font preuve d'une totale passivité. Chose plus grave encore, certains de ces mêmes officiels commettent eux-mêmes de tels actes. Les dispositions les plus fréquemment transgressées sont celles relatives aux arrestations, aux détentions et aux amendes. (96)

La circulaire énumérait diverses transgressions courantes:


1. De nombreux officiers de police judiciaire maintiennent des suspects en détention pendant des périodes de plus de 48 heures et parfois même pendant plusieurs semaines, en contradiction avec l'article 73 [de la loi n° 78-289];

2. Des personnes en détention se sont vu refuser le droit d'être examinées rapidement par un médecin, en violation des dispositions de la loi;

3. Dans de nombreux lieux de détention, hommes et femmes partagent les mêmes cellules;

4. Lors d'arrestations, de nombreux officiers de police judiciaire ne respectent pas l'obligation légale d'informer immédiatement la famille du suspect de l'arrestation;

5. Plusieurs officiers de police judiciaire ont pris l'habitude d'arrêter les membres de la famille du suspect qu'ils doivent appréhender, afin de forcer celui-ci à se rendre aux forces de police. Les officiers usant de cette technique agissent en toute impunité;

6. Les officiels du ministère de la justice ont cessé d'effectuer des visites régulières dans les centres de détention afin de vérifier la salubrité des lieux et les conditions matérielles, légales et morales de détention des suspects. (97)

Une enquête indépendante menée cinq mois plus tard par La Voix des Sans Voix, une organization de défense des droits de l'homme, montra que des vingt-six centres dont le ministre avait ordonné la fermeture, onze continuaient à fonctionner, sans tenir compte d'aucune façon de la directive ministérielle, et trois fonctionnaient de manière partielle, étant fermés la nuit. (98)

Droit d'Association et de Réunion Pacifique

L'un des principaux obstacles à la participation politique a été la limitation, imposée par le gouvernement zaïrois, du droit d'association et de réunion pacifique. L'article 22 (1) du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques stipule que:


Toute personne a le droit de s'associer librement avec d'autres, y compris le droit de constituer des syndicats et d'y adhérer pour la protection de ses intérêts.


L'article 22 (2) fixe lui les limites acceptables de la restriction dudit droit:


L'exercice de ce droit ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l'ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d'autrui. . . .


L'article 21 stipule que:


Le droit de réunion pacifique est reconnu. L'exercice de ce droit ne peut faire l'objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l'ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d'autrui. (99)

L'article 10 de l'Acte Constitutionnel de la Transition garantit le droit d'association et de réunion et soumet l'exercice de ces droits et d'autres libertés et droits individuels ou collectifs au « respect de la loi, de l'ordre public et des bonnes moeurs. » (100)

Bien que les partis politiques, les syndicats et les O.N.G. aient pu, à partir de 1990, acquérir un statut légal et donc une certaine reconnaissance officielle, les rassemblements publics organisés par de telles organisations continuèrent à dépendre de l'obtention d'un permis, en vertu d'une loi coloniale restrictive s'appliquant à toutes les réunions publiques. Obtenir ce permis s'est toujours cependant révélé extrêmement difficile et n'a jamais empêché les forces de sécurité d'interrompre ou de perturber l'événement en cours.


L'Emergence de la Société Civile

A partir de 1990, les associations de défense des droits de l'homme et des droits civils purent fonctionner au Zaïre dans des conditions qui auraient été totalement inimaginables au cours des vingt-cinq années de domination du parti unique. Dans de nombreuses régions, les premières associations furent créées par les Eglises, après le succès des manifestations nationales du 16 février 1992 organisées à leur initiative dans le but de demander la reprises des travaux de la Conférence Nationale Souveraine. Les Commissions Justice et Paix de l'Eglise Catholique, la Non-Violence Evangélique et la Commission de Vulgarisation des Libertés Fondamentales de l'Eglise Evangélique Luthérienne furent parmi les partenaires de cette union sacrée historique entre églises. Grâce à cette collaboration, des groupes locaux de militants des droits de l'homme purent se former, sur une base paroissiale, et organiser la population dans les quartiers. Diverses actions furent ainsi menées afin de faire face à l'insécurité et à l'habitude prise par nombre de fonctionnaires de s'enrichir en gonflant artificiellement les factures des services publics. Des groupes professionnels, tels que l'Association Zaïroise de Défense des Droits de l'Homme, la Voix des Sans Voix et le Centre des Droits de l'Homme et du Droit Humanitaire du Shaba fonctionnent aujourd'hui sur base de membres inscrits, recrutés principalement dans les milieux professionnels urbains. La direction de ces organisations se compose généralement de personnes actives dans les milieux académiques ou juridiques.


La couverture territoriale reste cependant limitée. Certains groupes nationaux, tel l'AZAHDO, ont créé des antennes régionales, la V.S.V. préférant établir des liens d'échange formels et de partenariat avec des groupes régionaux disposant de leur propre structure et programme. Le mouvement des droits de l'homme en général est surtout à base urbaine, même si de timides efforts sont réalisés afin d'établir des programmes et une présence dans les campagnes.


Les groupes de défense des droits de l'homme sont aujourd'hui capables, par le biais de rapports indépendants, d'examiner de près les violations et de critiquer le gouvernement. L'une des techniques utilisées couramment à cet effet est basée sur l'envoi de lettres aux autorités civiles et militaires, dans le but d'établir les faits et de dénoncer les abus des officiels du gouvernement. Certains groupes publient également des communiqués de presse et conscientisent la population au niveau des groupes de base et par le biais des médias.


Ce militantisme a donné lieu à diverses représailles--intimidations et harcèlement--à l'encontre de dirigeants et de militants, certaines autorités locales et des membres des forces de sécurité ayant laissé libre cours à leur colère. A la mi-1995, le gouverneur de la région de Maniema, par exemple, refusa que l'antenne locale de l'AZHADO organise une conférence sur les droits de l'homme et menaça de dissoudre l'organisation. (101) Plus récemment, le 28 octobre 1996, des agents du Service d'Action et de Renseignements Militaires (S.A.R.M.) arrêtèrent le président du V.S.V., ainsi que le coordinateur et un consultant, censés rencontrer le conseiller juridique du S.A.R.M. et recevoir des informations quant à la situation des prisonniers de guere rebelles. En lieu et place de participer à la réunion, ils furent accusés d'espionnage et emprisonnés pendant six jours dans les mêmes cellules que les prisonniers de guerre et de droit commun. (102)

Les groupes d'églises et de défense des droits de l'homme, les O.N.G. de développement et les syndicats présents à Kinshasa et dans les capitales régionales se réunissent régulièrement afin d'échanger des informations et de coordonner leurs activités. Ces réunions se font dans le cadre d'un forum baptisé, à juste titre, « Société Civile ». Dans plusieurs régions, les groupes de défense des droits de l'homme ont créé des forums parallèles de coordination, qui permettent d'échanger des informations et de coordonner initiatives et campagnes. Ces forums ont servi de moteur à l'émergence d'une base dynamique et bruyante exigeant le respect des droits de l'homme et la tenue d'élections. Les activités militantes de la société civile ont permis de mettre en place des programmes de grande envergure visant à diffuser une culture de la démocratie, à éduquer les électeurs et à former des observateurs indépendants. En réaction à leur exclusion de la Commission Nationale des Elections, les groupes composant la société civile mirent sur pied une structure parallèle, les Commissions Electorales Indépendantes, et se mirent à préparer activement la population aux élections. Ces commissions indépendantes furent au départ considérées d'un mauvais oeil par la Commission Nationale des Elections et le gouvernement, mais diverses initiatives furent entreprises afin de recréer un climat de confiance et de clarifier le rôle respectif des différents acteurs du processus électoral.


Restriction du Droit de Réunion

Avant l'interdiction totale, à la mi-février 1997, de toute manifestation publique sur l'ensemble du territoire, le gouvernement n'avait fourni les permis nécessaires à de tels événements qu'au compte-gouttes. Dans certains cas, des manifestations bénéficiant de toutes les autorisations nécessaires avaient été dispersées sans ménagement par les forces de sécurité. Le 13 janvier 1997, au Shaba, les étudiants de l'Université de Lubumbashi organisèrent une marche pacifique dans le centre de la ville afin de protester contre l'imposition de frais de scolarité semestriels s'élevant à 160 dollars US. Des policiers armés stoppèrent la marche, frappèrent brutalement certains manifestants et en arrêtèrent d'autres. Quelques policiers, soudainement isolés du gros de leur troupe, furent pris à parti par les manifestants. (103) Le 14 février, le gouverneur de Kinshasa interdit une manifestation que la Ligue Zaïroise pour les Droits des Etudiants et des Elèves souhaitait organiser afin de protester contre la décision du gouvernement d'enrôler des jeunes de quinze à dix-huit ans et de les envoyer au combat. Quelques mois auparavant, le dix-huit octobre 1996, une trentaine de soldats de la Garde Civile avaient dispersé une marche pacifique organisée par le syndicat Solidarité. Dirigés par un major, les soldats usèrent de brutalités inutiles et apparemment dépouillèrent certains manifestants de leur argent et de divers objets de valeur. Deux leaders syndicaux furent arrêtés et détenus dans un camp de la Garde Civile où, selon des informations fournies par un groupe de défense des droits de l'homme, on les soumit à un traitement sévère et dégradant. (104)

La guerre fut pour le gouvernement une excuse supplémentaire lui permettant de restreindre davantage le droit de réunion et, un peu plus tard, d'interdire purement et simplement toute manifestation publique sur l'ensemble du territoire. L'événement qui motiva la prise de cette décision fut la journée de désobéissance civile organisée le dix février à l'appel de l'Union Sacrée de l'Opposition Radicale et Alliés (U.S.O.R.). Le mot d'ordre fut particulièrement suivi dans les zones urbaines et, notamment, dans la capitale Kinshasa. (105) Cette action de masse demandait un règlement négocié de la guerre dans l'est du pays et visait à obtenir la démission du premier ministre, compte tenu de sa gestion de l'effort de guerre et de l'enlisement du processus électoral. L'U.S.O.R. demanda également à la population de boycotter les coupures récemment introduites de 100.000, 500.000 et un million de nouveaux zaïres. La manifestation transforma les grandes villes du Zaïre en villes mortes et provoqua, ce qui ne manqua pas d'irriter le gouvernement, la paralysie quasi totale des secteurs publics et privés.


Le 14 février, le Conseil des Ministres, soucieux de mettre fin à l'agitation et aux pressions de plus en plus sensibles des partisans d'une solution négociée au conflit, interdit les manifestations publiques et les grèves de type « ville morte ». Jean-Claude Biebie, porte-parole officiel du gouvernement, prit la parole en ces termes sur les ondes de Voix du Zaïre, la radio nationale:


Le rapport du premier ministre porta sur la situation dans l'est du pays et ses répercussions sur le reste du pays. Etant donné la situation dans cette partie du Zaïre et compte tenu d'informations faisant état de l'organisation imminente de manifestations publiques et d'opérations de style « ville morte » à Kinshasa, le gouvernement souhaite attirer l'attention de tous les citoyens zaïrois sur le fait que notre pays est aujourd'hui confronté à une guerre d'agression que nous infligent des pays voisins. Il est, par conséquent, tout à fait inconcevable que nous puissions autoriser l'organisation de manifestations publiques, sachant ce à quoi elles peuvent mener. Pour cette raison et conformément à des décisions prises précédemment, le gouvernement déclare qu'aucune manifestation publique, de quelque type que ce soit, ne sera autorisée sur le territoire zaïrois pendant la durée du conflit. Quiconque passera outre à cette décision sera considéré collaborateur de l'ennemi et subira les rigueurs de la loi. De la même façon, le gouvernement souhaite attirer l'attention des responsables des services publics, administrations et sociétés d'état sur l'obligation qui leur incombe d'assurer que les travailleurs placés sous leur autorité se présentent effectivement au travail chaque jour, du lundi au samedi. . . . (106)

Le gouvernement, dans son communiqué, précisait que les travailleurs absents seraient licenciés.


Après l'interdiction des manifestations publiques, le Parlement de Transition adoptait à la mi-février un nouveau texte abrogeant la loi coloniale, extrêmement décriée, utilisée jusqu'alors pour interdire les manifestations. La nouvelle loi, qui n'a pour le moment jamais été appliquée, remplace l'obligation d'obtenir un permis officiel par la simple nécessité de notifier les autorités, huit jours à l'avance, de l'intention d'organiser une manifestation. Dans le même temps, le sept mars 1997, des membres fortement armés de la Garde Civile se servirent de matraques pour disperser plusieurs centaines de manifestants réunis à l'initiative du principal parti d'opposition zaïrois, l'U.D.P.S., dans le but de demander une solution négociée au conflit. Selon divers témoins, le secrétaire du parti, Adrian Phongo, ainsi que d'autres responsables, furent d'abord frappés, ensuite arrêtés par des agents de sécurité alors qu'ils s'approchaient du point de départ de la marche. Le gouvernement fit savoir que la marche avait été dispersée parce que contraire à l'interdiction de toute manifestation publique pendant la durée de la guerre. (107)

Le jour où fut organisée la campagne ville morte, le Garde des Sceaux adressa une lettre au Parlement de Transition, lui demandant de lever l'immunité parlementaire de Joseph Olenga Nkoy, président du groupe parlementaire de l'U.S.O.R. et considéré comme le principal organisateur de la manifestation, afin de permettre au gouvernement de le poursuivre en justice. Des agents de sécurité gouvernementaux prirent les devants, sans attendre la réaction du parlement. Le 16 février, seize soldats du Service d'Action et de Renseignements Militaires prirent d'assaut le domicile d'Olenga Nkoy et découvrirent que celui-ci avait réussi à traverser le fleuve Congo pour se réfugier à Brazzaville, en République du Congo. (108) Depuis Brazzaville, le parlementaire en exil fit la déclaration suivante sur les ondes de Radio Africa N° 1:


Les articles 10 et 18 de la loi transnationale accordent à tout citoyen le droit de manifester et d'exprimer sans crainte son opinion. Nous nous sommes contentés d'exercer ce droit en appelant à une opération ville morte, dans le but de voir si le peuple a ou non véritablement confiance dans le gouvernement. [. . .] Chaque fois que vous défendez les intérêts du peuple, ils envoient des soldats vous cueillir. Si de tels comportements ne cessent pas, la crise que traverse le pays va s'aggraver. (109)

Aziz Kundeli, Prosper Ndumbe et Lisanga Bonganga, trois autres parlementaires de l'opposition eux aussi activement recherchés par des commandos militaires pour leur rôle dans la manifestation, durent entrer dans la clandestinité. (110) Deux autres militants de l'opposition, membres du Parti Lumumbiste Unifié (P.A.L.U.), Jean Mazulu Metila et Edison Ndeke furent détenus pour les mêmes raisons. Des gendarmes les arrêtèrent le douze février à Kinshasa, alors qu'ils informaient de petits groupes de la position de leur parti quant à la guerre et de l'impact de celle-ci sur l'ordre du jour électoral. (111)

Liberté d'Expression

L'article 19 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques garantit le respect de la liberté d'expression. Le paragraphe deux stipule que:


Toute personne a droit à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.


Le paragraphe 3 stipule que les restrictions à l'exercice de ce droit ne sont acceptables que si elles:


sont expressément fixées par la loi et sont nécessaires

a) Au respect des droits ou de la réputation d'autrui;

b) A la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.


L'interprétation faite de l'Article 19 est que la critique pacifique de la politique et de l'action du gouvernement n'est pas de nature à menacer la sécurité nationale.


L'article dix-huit de l'Acte Constitutionnel de la Transition stipule que « tout Zaïrois a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'exprimer des opinions et des sentiments oralement, par écrit ou par le biais d'images » et conditionne son exercice au respect de « l'ordre publique, des droits d'autrui et des bonnes moeurs. »


Les Médias et Journalistes Pris pour Cible

Bien que, depuis 1990, des progrès significatifs aient été réalisés en matière de respect de la liberté d'expression, le gouvernement n'a jamais cessé de tenter d'empêcher les médias de le critiquer et de limiter l'accès des partis politiques aux moyens de radiodiffusion privés et publics. La promesse faite de créer une commission médias indépendante, chargée de gérer ce secteur et d'assurer un accès égal à tous les partis, n'a pas encore été tenue.


Médias Ecrits

Les débats politiques vibrants qui secouent Kinshasa et certaines autres capitales provinciales ne doivent pas faire oublier les réelles limites en matière de débat qui règnent encore dans le reste du pays et qui auraient sans aucun doute bloqué le processus électoral, même si la guerre dans l'est n'avait pas déclenché la chute de l'ancien régime. A Kinshasa, par exemple, le débat politique avait principalement lieu dans la presse écrite. Les foules amassées devant les points de vente, tentant de lire les unes des journaux (un journal coûte environ un demi-dollar US), attestaient de l'intérêt porté au débat par la population. La presse écrite, cependant, n'atteint qu'un pourcentage limité de la population sachant lire et écrire, et très peu de journaux sont distribués dans l'intérieur du pays. De plus, certains sujets ont toujours été tabous, à la fois pour la presse écrite et dans le cadre d'autres types de discours publics. « Nous pouvons dire qui a fait quoi à qui », déclarait José Ndjomote de l'AZADHO, « mais nous ne pouvons remettre le système en question. » (112)

La guerre dans l'est fut le prétexte qui permit au gouvernement de décréter l'interdiction totale de toutes formes d'expression libre et de manifestations publiques. La liste des sujets considéré sensibles fut allongée. Le dix février, jour où une grève organisée par l'opposition paralysait l'activité économique à Kinshasa et dans les grandes villes du pays, le Général Likulia, Ministre de la Défense, organisait une réunion avec les rédacteurs de la presse écrite et les responsables de stations de radio et de télévision privées. Il les exhorta à « s'engager dans la défense de la patrie » et fit remarquer, en parlant du gouvernement, que « bien que prêt à s'entretenir avec la presse et à lui fournir toutes les informations qu'elle jugerait utiles », les médias devraient se comporter de manière responsable. Il dit qu'il ne voulait pas « lire ou entendre des mensonges, des informations fausses ou de nature à démoraliser l'armée et la population, des articles visant à la désinformation de l'opinion internationale ou à vanter les mérites de l'ennemi et qui cacheraient les multiples atrocités commises par les rebelles. » (113)

En janvier 1997, des groupes locaux de défense des droits de l'homme se firent l'écho de l'arrestation du journaliste Emanuel Kachunga. Il avait, dans un article publié par le journal La Tempête des Tropiques, dénoncé les abus commis par la Division Spéciale Présidentielle (D.S.P.) au Kasaï. Il fut arrêté et torturé par une unité de cette même D.S.P., avant d'être relâché grâce aux pressions exercées par divers groupes de défense des droits de l'homme. (114) Dans une déclaration rendue publique le 12 février 1997, la V.S.V. affirmait que le journaliste Nepa Bagili Mutita, président national du Mouvement National Congolais-Lumumba, avait été arrêté la veille et accusé de faire circuler de fausses rumeurs, ce qui pouvait lui valoir jusqu'à trois ans d'emprisonnement. Le mensuel de Mutita, La Voix de l'Islam, avait publié ce qu'il avait appelé une liste des personnes recherchées par Kabila, le chef des rebelles, qui comprenait notamment les noms du président et du premier ministre. (115)

Dans le cadre d'une campagne gouvernementale d'intimidation et d'humiliation à l'encontre de journalistes indépendants, des agents de sécurité détinrent dans plusieurs cas des membres de la famille de certains journalistes, et la fille de l'un d'eux fut violée. Le Comité de Protection des Journalistes (C.P.J.), organisation basée aux Etats-Unis, écrivit le 30 janvier 1997 au Premier Ministre afin de protester contre l'arrestation de Jean Mbenga Muagianvita, journaliste free-lance indépendant travaillant pour les journaux privés La Tempête des Tropiques, Umoja et l'Exemple. Le 23 janvier, des soldats du Service d'Action et de Renseignements Militaires prirent d'assaut son domicile, sur ordre du Général Bolozei Ngbudu et le placèrent en détention dans leur quartier général de Kitambo, parce qu'il avait écrit un article traitant des lobbyistes agissant aux Etats-Unis pour le compte de Mobutu. Quelques heures après l'arrestation, sept soldats du S.A.R.M. emmenèrent Muagianvita chez lui pour fouiller la maison et violèrent sa fille de 14 ans, en présence du journaliste. (116) Le même jour, le C.P.J. envoyait une autre lettre au premier ministre afin de protester contre l'arrestation, trois semaines plus tôt, de la femme et des trois enfants de Benjamin Sham Lapong, journaliste en exil collaborateur du journal indépendant La Tempête des Tropiques. Trois semaines après l'arrestation, les autorités continuaient à refuser de révéler où se trouvait la famille du journaliste. (117)

Un certain nombre de correspondants étrangers couvrant la guerre furent arrêtés et expulsés. Un journaliste suisse, correspondant du quotidien français Libération, fut expulsé le 23 février 1997 pour avoir décrit, dans plusieurs articles, l'état de démoralisation de l'armée zaïroise dans la région du Shaba. Il fut arrêté le 20 février à Lubumbashi, capitale du Shaba, et envoyé le lendemain à Kinshasa afin d'être expulsé du pays. Des représentants officiels lui dirent qu'il « n'avait pas respecté le protocole d'usage » et l'accusèrent d'avoir menti dans ses articles. (118) Il avait, sur les ondes de la B.B.C. World Service, décrit la fuite des soldats du Nord Shaba, face à l'avancée des troupes rebelles, et les pillages auxquels ils s'étaient livrés dans les villages bordant la voix ferrée qu'ils utilisèrent pour s'éloigner du front. Dix jours plus tôt, les correspondants de Radio France Internationale et du Monde avaient été expulsés de Kisangani, où se déroulait à l'époque la contre-offensive de l'armée zaïroise.


Radio et Télévision

Au Zaïre, le gouvernement est propriétaire de la radio nationale et des réseaux de télévision. Cependant, il est quasiment impossible de capter les programmes en dehors de la capitale Kinshasa, étant donné le délabrement des installations techniques existantes. Les radios et télévisions régionales sont jalousement contrôlés par les autorités régionales. Comme on peut s'y attendre, étant donné le gigantisme du pays et le taux élevé d'analphabétisme, la population a accès aux informations nationales surtout par le biais de la radio. Les programmes régionaux et internationaux transmis en français par Radio Africa n° 1, une station gabonaise, Radio France Internationale, V.O.A. et la B.B.C. sont extrêmement suivis.


Les personnalités des radios ou télévisions d'état ayant ouvert leur antenne à l'opposition ou à des groupes de défense des droits de l'homme firent l'objet de nombreuses mesures disciplinaires, comme le révèle une enquête indépendante réalisée à la mi-1995 par La Voix des Sans Voix. Dans la région de l'Equateur, par exemple, un journaliste radio fut licencié pour avoir interviewé en direct le président d'un forum regroupant des organisations de défense des droits de l'homme. (119) Selon une autre enquête réalisée par la même organisation, José Menga, journaliste radio de la région du Haut-Zaïre, fit l'objet de mesures disciplinaires pour avoir lu une déclaration de l'U.D.P.S. relative aux nouveaux billets en circulation. Un autre journaliste fut suspendu de ses fonctions pour avoir, sur les ondes, souhaité une joyeuse fête de Pâques au président de l'U.D.P.S. à Kisangani. (120)

Les stations privées de radio et de télévision, encore peu nombreuses, sont elles extrêmement contrôlées. La plupart d'entre elles appartiennent à des églises ou des hommes d'affaires proches du pouvoir. Notons cependant que les stations de radio du Kivu, région aujourd'hui occupée par les forces rebelles, se sont récemment mises à traiter plus activement de thèmes liés au droit de l'homme et aux élections.


Le quinze février, le Ministre zaïrois de l'information et de la presse interdisait par décret aux radios et télévisions privées de « produire, diffuser ou relayer des programmes politiques. » Le décret interdisait également aux médias électroniques privés de diffuser des revues de presse ainsi que des bulletins d'information reçus de radios et télévisions. Le gouvernement justifiait ces mesures drastiques par l'émergence du conflit armé et la nécessité d'endiguer le flot de la propagande ennemie. (121)

La station de télévision privée Télé-Kin Malebo (T.K.M.) défia l'interdiction en poursuivant la diffusion de ses débats politiques, très suivis, auxquels sont généralement invités des hommes politiques de tous bords, ainsi que celle de ses bulletins informatifs et revues de presse. Ces différents programmes sont considérés comme « à forte connotation politiques » par les autorités zaïroises. Le 3 mars, le ministre de l'information et de la presse imposait à T.K.M. une suspension de diffusion de trois mois. Le propriétaire, Ngogo Luwow, également membre du Parlement de Transition, déclara à la presse qu'il considérait illégale la décision du gouvernement et qu'il avait intention de l'ignorer. (122)

Confiscation de la Littérature Politique

L'une des limitations les plus révélatrices du débat politique concerne l'accès aux rapports et aux conclusions de la Conférence Nationale Souveraine, que l'Acte Constitutionnel de la Transition lui-même considère comme la base des lois de transition. L'Acte Constitutionnel de la Transition exige du Parlement de Transition qu'il suive et supervise la mise en oeuvre des lois votées par la Conférence Nationale Souveraine et du gouvernement qu'il « mette en oeuvre les lois votées par la Conférence Nationale Souveraine et les lois de la République. » (123) Malgré ces dispositions, la plupart des documents produits par la Conférence Nationale Souveraine sont virtuellement inaccessibles au public, y compris le projet de constitution et les rapports des différents groupes de travail. En fait, toutes les tentatives visant à reproduire et distribuer ces textes ont été bloquées par les forces de sécurité qui traitent ces documents comme étant des « textes subversifs. » L'exemple le plus flagrant de ce comportement fut donné en 1995, lorsque le gouvernement belge tenta de soutenir la traduction en langues nationales et la distribution des textes constitutionnels proposés par la Conférence Nationale Souveraine.


Le 14 novembre 1995, des agents du S.A.R.M. confisquèrent les traductions du projet de constitution et tous les documents s'y rapportant, y compris les supports informatiques. Selon un rapport détaillé de la V.S.V., Kongolo Mobutu, le fils du président Mobutu, était directement impliqué dans la saisie. Pendant que la saisie avait lieu, des agents arrêtèrent M. Kabila Kakule, un employé de la Bibliothèque Nationale qui avait participé au projet et se trouvait dans son bureau à ce moment là. Il fut interrogé par le chef du S.A.R.M., le Général Bolozi, membre de la famille de Mobutu et très proche de ce dernier. Seule sa femme fut autorisée à le voir et elle dut d'ailleurs payer pour bénéficier de cette faveur. Il fut relâché le 26 décembre. Pendant ce temps, selon la V.S.V., le Parlement de Transition reconnaissait être responsable du projet de traduction et intervenait auprès du S.A.R.M., malheureusement sans résultat. Après cette intervention, sur ordre du Garde des Sceaux, la plus haute autorité civile en matière de justice, les officiers du S.A.R.M. saisirent chez l'imprimeur le reste des documents ainsi que les plaques devant servir à leur impression. (124) Les documents, les plaques d'impression et les supports informatiques n'ont toujours pas été rendus.


Liberté de Mouvement

L'article 12 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques stipule que la liberté de mouvement est l'une des libertés fondamentales de la personne humaine:


1. Quiconque se trouve légalement sur le territoire d'un Etat a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence.

2. Toute personne est libre de quitter n'importe quel pays, y compris le sien.

3. Les droits mentionnés ci-dessus ne peuvent être l'objet de restrictions que si celles-ci sont prévues par la loi, nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l'ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d'autrui, et compatibles avec les autres droits reconnus par le présent Pacte.

4. Nul ne peut être arbitrairement privé du droit d'entrer dans son propre pays.


Le droit de voyager et de circuler librement est aujourd'hui soumis à de sévères restrictions, malgré les dispositions de l'article 10 de l'Acte Constitutionnel de la Transition qui le garantissent. Le gouvernement du Zaïre exige des citoyens, résidents et réfugiés qu'ils possèdent une carte d'identité, alors même que les bureaux régionaux chargés de les délivrer n'en disposent bien souvent pas. Les citoyens qui ne possèdent pas de carte, même s'ils ne sont en rien responsables de ce fait, s'exposent au harcèlement des autorités et à des amendes. Les soldats et les agents civils qui gardent les points de contrôle sur les quais d'où partent les ferries, dans les aéroports ou en cas de barrage routier menacent souvent les passagers, parfois de leur arme, et s'emparent de leur argent ou marchandises. Lorsqu'ils prennent la peine d'inventer un prétexte, ils parlent de taxes ou d'amendes, purement imaginaires et ne donnant bien sûr pas droit à une quittance officielle. L'état ayant cessé depuis plusieurs mois de payer les salaires déjà maigres des soldats et d'autres agents officiels, ceux-ci en sont arrivés à ne compter que sur ce genre de pratiques pour survivre. L'assassinat, dans la région de Kisangani, de plusieurs zaïrois incapables de présenter des documents d'identité à des mercenaires, avant que la ville ne soit capturée par les rebelles, est discuté plus avant dans ce rapport.


Un rapport réalisé en 1995 par La Voix des Sans Voix dans la région du Haut-Zaïre note que « les villageois tentant de se rendre à Kisangani pour vendre leurs produits éprouvent de nombreuses difficultés à pénétrer dans la ville. Les barrages routiers et les contrôles de tous types sont tellement nombreux qu'ils évitent de quitter leur bateau [. . .] par crainte d'être arrêtés ou d'être dépouillés de leur argent. » (125) Dans la région du Shaba, des troupes de la marine zaïroise stationnées à Kalemie, ville importante du Nord Shaba qui allait ensuite tomber aux mains des rebelles, profitaient de leurs patrouilles sur le lac Tanganyika pour extorquer de l'argent aux pêcheurs, sur le lac même, ou au moment où ils retournaient au port pour vendre leurs prises. (126) Une enquête réalisée par Human Rights Watch/Afrique sur la situation des droits de l'homme à Kikwit, dans la région de Bandundu, décrit comment fonctionnait un point de contrôle, situé sur le pont de la rivière Kwilu:


Les femmes qui reviennent des champs situés hors de la ville sont rançonnées et même les enfants n'y échappent pas. A Kilomba, situé à quelques dix kilomètres au sud-ouest de Kikwit, tous les personnes qui veulent passer doivent laisser un quart ou même la moitié de ce qu'ils transportent aux commandos et fantassins du camp Colonel Ebeya. Ceux qui n'ont rien à donner aux soldats sont punis et doivent rester debout, en plein soleil, pendant 45 minutes. Dans la zone d'Idiofa, tous les véhicules doivent payer l'équivalent de trois dollars. Aucune quittance n'est délivrée au conducteur. Des points de contrôle sont également mis en place au niveau des ponts. Si la rivière correspond à la frontière entre deux zones, deux enveloppes séparées doivent être préparées. Au passage du pont sur le Loanga, qui sépare la région de Bandundu du Kasaï occidental, un pourcentage en nature est prélevé sur les marchandises (par exemples, six tasses de riz par sac). Toutes ces taxes illégales sont collectées par les gendarmes de la Brigade Routière, par les membres du Service National d'Intelligence et de Protection et par d'autres agents de l'état encore. A Tembo, près de la frontière avec l'Angola, il faut payer 100 dollars US pour pouvoir traverser. (127)

De la même façon, un rapport récemment réalisé au Shaba par le Centre des Droits de l'Homme et du Droit Humanitaire (Lubumbashi) montrait qu'entre Kolwezi et Lubumbashi, séparées de seulement 250 kilomètres, on trouvait six barrages routiers où passagers comme transporteurs devaient s'acquitter de sommes exorbitantes auprès des officiels civils et militaires. (128) Un procureur de Kalemie a décrit à Human Rights Watch/Afrique le traitement dur et dégradant réservé à ceux qui refusaient de payer. Deux juges, stoppés à un barrage parce qu'ils roulaient de nuit sans avoir allumé leurs phares, refusèrent de payer pour avoir le droit de reprendre leur route. Ils furent détenus pendant plusieurs heures sur place et virent comment les soldats, ayant arrêté deux autres hommes et une femme qui refusèrent également de payer, punirent les hommes en les déshabillant de force. (129)

Le Droit à la Nationalité

La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme garantit le droit de tout individu à une nationalité et stipule que nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité. (130) Le respect de ce droit est obligatoire pour toutes les nations, dans le cadre du droit coutumier international. La Convention sur la Réduction des Cas d'Apatridie de 1961 fournit une interprétation qui fait autorité du droit à la nationalité garanti par la Déclaration Universelle, et donne diverses indications quant aux mesures spécifiques que les états doivent adopter afin de réduire les cas d'apatridie. Citons, entre autres dispositions:


  • « Tout Etat contractant accorde sa nationalité à l'individu né sur son territoire et qui, autrement, serait apatride. » [Article 1]


  • « Les Etats contractants ne priveront de leur nationalité aucun individu si cette privation doit le rendre apatride. » [Article 8, paragraphe 1]


  • « Les Etats contractants ne priveront de leur nationalité aucun individu ou groupe d'individus pour des raisons d'ordre racial, ethnique, religieux ou politique. » [Article 9]


    La problématique de la nationalité montre l'extrême complexité des relations entre la dynamique de transition politique et celle du conflit. Comme il a été expliqué plus avant, le mouvement de rébellion armée qui a éclaté dans l'est du Zaïre à la fin de l'année 1996 est né du déni de nationalité que les autorités ont opposé aux Banyamulenge, un groupe d'ethnie Tutsi dont les ancêtres vécurent pendant de nombreuses générations dans la province du Kivu.


    Le début des années 1990, marqué par la préparation des élections à venir, vit se développer des rivalités politiques de plus en plus aiguës entre les divers groupes du Kivu, à la fois au nord et au sud de la région. La Conférence Nationale Souveraine avait fixé diverses conditions préalables à des élections libres et impartiales: l'identification méthodique des nationaux, le recensement de la population zaïroise et l'enregistrement des électeurs. Un décret, adopté en août 1996 par le Parlement de Transition stipulait que l'établissement de listes électorales, la définition précise des frontières électorales et la détermination du nombre de sièges à pourvoir par circonscription, toutes actions nécessaires dans le cadre du référendum constitutionnel et des élections, seraient basées sur une opération unique consistant à réaliser un recensement, délivrer des cartes d'identité et enregistrer la population. (131) L'article 23 du décret stipulait que pour être identifié en tant que zaïrois, un individu devait respecter l'un des critères prévus par la loi de 1981 sur la nationalité, particulièrement restrictive. De plus, un individu affirmant être zaïrois devait demander au chef de la communauté locale ou de sa zone de résidence de confirmer ce fait. L'article six stipulait qu'un individu, pour apporter la preuve de son identité, devait soit fournir un certificat de nationalité ou sa carte d'identité.


    Si elles avaient été appliquées dans la région du Kivu, les dispositions du décret d'août 1996 relatives à l'identification des citoyens, au recensement national et à l'enregistrement des électeurs auraient eu pour conséquence d'éliminer des listes électorales des Banyarwanda, c'est-à-dire les Tutsi et les Hutu vivant au Zaïre. Ceci aurait constitué une violation de leur droit à la nationalité et de leurs droits électoraux, au regard de l'Acte Constitutionnel de la Transition et de l'article 25 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques. Les Banyarwanda avaient voté lors des élections municipales de 1957-58 et des élections législatives qui menèrent à l'indépendance du Zaïre en 1960. Certains d'entre eux furent élus au Parlement, d'autres occupèrent des postes importants après l'indépendance du pays. Après l'entrée en vigueur de la législation de 1981 en matière de nationalité, les zaïrois d'ethnie Tutsi du Sud-Kivu ne purent plus ni être candidat ni voter lors des élections législatives de 1982 et 1987, ce qui provoqua les premières manifestations de protestation populaire, dans la zone de Mwenga en 1982, ensuite à Uvira et Fizi en 1987, au cours desquelles des urnes électorales furent brûlées. (132)



    92. Le Zaïre a ratifié,inter alia, le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (P.I.D.C.P.); le Protocole Facultatif se rapportant au Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques, le Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels; la Convention Internationale sur l'Elimination de toutes les Formes de Discrimination Raciale, les Conventions BIT n°29, 105 et 98; les quatre Conventions de Genève de 1949 et le Protocole I Additionnel aux Conventions de Genève.

    93. Ordonnance-Loi du 28 août 1984

    94. Interview réalisée par Human Rights Watch/Afrique à Kikwit, en juillet 1996.

    95. Interview réalisée par Human Rights Watch/Afrique à Kikwit, en juillet 1996.

    96. Circulaire n° 007/CAB/MIN/RI J et GS/95 Portant mesures de contrôle et de fermeture des cachots et amigos, Ministre de la Justice, Kinshasa, 27 décembre 1995.

    97. Circulaire n° 007/CAB/MIN/RI J et GS/95 Portant mesures de contrôle et de fermeture des cachots et amigos, Ministre de la Justice, Kinshasa, 27 décembre 1995.

    98. V.S.V., « Rapport d'enquête sur l'application de la mesure de fermeture des cachots à Kinshasa », Kinshasa, avril 1996.

    99. Article 21 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques

    100. L'article 10 de l'Acte Constitutionnel de la Transition prévoit que « la République du Zaïre garantit l'exercice des droits et libertés individuels et collectifs, notamment les libertés de circulation, d'entreprise, d'information, d'association, de réunion, de cortège et de manifestation, sous réserve du respect de la loi, de l'ordre public et des bonnes moeurs ».

    101. V.S.V., « Aperçu sur l'état des droits de l'homme dans les onze provinces (régions) du Zaïre », Kinshasa, juin 1995, p. 11.

    102. Communiqué de presse du V.S.V., Kinshasa, 5 novembre 1996.

    103. Centre des Droits de l'Homme et de Droit Humanitaire, « Communiqué de Presse n° 001/97 », Lubumbashi, jenvier 1997. Des manifestants, après avoir tabassé un soldat, lui prirent son arme. Ils n'acceptèrent qu'après négociation de le remettre aux autorités militaires.

    104. AZADHO, « Communiqué de presse n° 16/96: Des syndicalistes de la Direction Générale des Contributions à nouveau arrêtés et molestés sur ordre de Monsieur Mongbond », Kinshasa, 22 octobre 1996

    105. « Participation massive à la grève organisée par l'opposition zairoise » (« Wide Support for Zaire Opposition Strike »), Reuter, Kinshasa, 10 février 1997.

    106. Voix du Zaïre, Kinshasa, Foreign Broadcast Information Service (F.B.I.S.), Afrique Sub-Saharienne, « Réunion du Conseil des Ministres au Zaïre: interdiction des manifestations et d'une opération ville morte » (« Zaire: Cabinet Meets, Bans demonstrations, Ghost City Operation »), 15 février 1997.

    107. Voice of America, 7 mars 1997, 12h03 PM Eastern Standard Time.

    108. Le dix-huit novembre 1996, à l'occasion d'un autre incident, Olenga Nkoy fut kidnappé par des agents du S.N.I.P. et du S.A.R.M. et détenu pendant trois semaines dans les cellules du S.N.I.P. à Kinshasa/Maziere. Il affirme avoir été soumis à un traitement inhumain, cruel et dégradant. Cf. V.S.V., « Communiqué de presse n° 7/Z/V.S.V./CD/97: Poursuites contre M. Joseph Olenga Nkoy », Kinshasa, 12 février 1997.

    109. Radio Africa N°1, F.B.I.S., « Zaïre: un parlementaire de l'opposition échappe à son arrestation et se réfugie au Congo » (« Zaire: Parliamentary Leader Escapes Arrest, Takes Refuge in Congo »), Libreville, F.B.I.S.-AFR-97-032, 16 février 1997.

    110. Radio Africa N°1, F.B.I.S., « Zaïre: un parlementaire de l'opposition échappe à son arrestation et se réfugie au Congo » (« Zaire: Parliamentary Leader Escapes Arrest, Takes Refuge in Congo »), Libreville, F.B.I.S.-AFR-97-032, 16 février 1997.

    111. V.S.V., « Communiqué de presse n° 8/Z/V.S.V./CD/97: Libération de deux militants du P.A.L.U. », Kinshasa, 13 février 1997.

    112. Interview réalisée par Human Rights Watch, Kinshasa, Décembre 1996

    113. AZADHO, « Nouvelles du Zaïre », mise à jour de l'AZADHO, Kinshasa, 20 février 1997.

    114. Interview téléphonique réalisée par Human Rights Watch, New York-Kinshasa, 4 mars 1997.

    115. V.S.V., « Communiqué de presse n° 006/Z/V.S.V./CD/97: la presse toujours dans le collimateur du pouvoir », 12 février 1997.

    116. « Zaïre: le C.P.J. dénonce l'arrestation de M. Muagianvita »(« CPJ protests the arrest of Mr. Muagianvita - Zaire »), lettre du C.P.J. au Premier Ministre Léon Kengo wa Dondo, 30 janvier 1997.

    117. « Zaïre: le C.P.J. dénonce l'arrestation de la femme et des enfants d'un journaliste » (« CPJ protests arrest of journalist's wife and children - Zaire »), lettre du C.P.J. au Premier Ministre Léon Kengo wa Dondo, 30 janvier 1997.

    118. « Un journaliste suisse expulsé du Zaïre » (« Swiss journalist expelled from Zaire »), Reuter, Kinshasa, 23 février 1997.

    119. V.S.V., « Aperçu sur l'état des droits de l'homme dans les onze provinces (régions) du Zaïre », Kinshasa, Juin 1995, p. 17.

    120. V.S.V., « Etat de lieu des droits de l'homme dans la région du Haut-Zaïre - rapport réalisé à l'issue d'une mission de la V.S.V. dans cette région », Kinshasa, Juin 1995, p. 2 et p. 4.

    121. Voix du Zaïre, Kinshasa, F.B.I.S., « Zaïre: Interdiction aux radios et télévisions privées de relayer les bulletins d'information et autres » (« Zaire: private radio, TV's banned from relaying newscasts, others »), (F.B.I.S.-AFR-97-032), 15 février 1997.

    122. Voix du Zaïre, F.B.I.S., « Le ministre de l'information suspend pour trois mois une télévision privée », (« The information minister suspends private TV for 3 months »), Kinshasa, (F.B.I.S.-AFR-97-063), 4 mars 1997. Cf. également: « Le Zaïre interdit une station de télévision privée » (« Zaire orders ban on private TV station »), Reuter, Kinshasa, 5mars 1997.

    123. Le rôle du Parlement de Transition consiste, notamment, a « poursuivre et superviser la mise en oeuvre des lois votées par la Conférence Nationale Souveraine. . . », Article 58 de l'Acte Constitutionnel de la Transition. Le Gouvernement met en oeuvre les « lois votées par la Conférence Nationale Souveraine et les lois de la République », Article 75. 

    124. V.S.V., « Rapport sur la détention de M. Kabila Kakule et la saisie des textes constitutionnels de la C.N.S. traduits en langues nationales », Kinshasa, Janvier 1996.

    125. V.S.V., « Etat de lieu. . . », Juin 1995, p. 4.

    126. Interview réalisée par Human Rights Watch/Afrique, Lubumbashi, Décembre 1996.

    127. Interview réalisée par Human Rights Watch/Afrique, Kikwit, Juillet 1996.

    128. Centre des Droits de l'Homme et du Droit Humanitaire, « Communiqué de presse n° 001/97 », Lubumbashi, janvier 1997.

    129. Interview réalisée par Human Rights Watch/Afrique, Lubumbashi, Décembre 1996.

    130. Article 15.

    131. Article 3 du « Décret n° 0021 du 2 août 1996 portant organisation de l'identification des nationaux, du recensement de la population nationale et de l'enrôlement du corps électoral en République du Zaïre ».

    132. Département des Affaires Humanitaires de l'O.N.U., Réseau Intégré d'Information Régionale, « Briefing: le conflit au Sud-Kivu (Zaïre) et ses implications régionales » (« Briefing: the conflict in South Kivu, Zaire and its regional implication »), 7 octobre 1996.

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