Africa - West

Previous PageTable Of ContentsNext Page


LE BLOCAGE DU PROCESSUS DE TRANSITION


Mobutu Se Succède à Lui-même

L'annonce, en avril 1990, d'une transition vers une démocratie pluripartite paraissait être une alternative prometteuse à la domination du Mouvement Populaire de la Révolution (M.P.R.), le parti unique totalement dominé par Mobutu. Depuis son ascension au pouvoir, en 1965, Mobutu avait en effet régné en tant que monarque absolu: l'idéologie de l'état était le mobutisme et la constitution, pendant longtemps, plaça le « Président Fondateur » au-dessus de la loi.


Tout au long de ces années, la domination de Mobutu reposa sur trois piliers: son parti, le Mouvement Populaire de la Révolution, la puissance corruptrice de l'argent et du trafic d'influence et, surtout, les forces armées et de sécurité dont le rôle consista toujours à réduire les dissidents au silence et à imposer un climat de crainte afin de soumettre la population. Le président fit délibérément le choix d'affaiblir et de diviser les corps militaires professionnels afin d'éliminer tout risque de remise en cause de son système de domination. Les Forces Armées Zaïroises (F.A.Z.) furent ainsi soumises à un véritable travail de sape, certains des officiers les mieux formés étant exécutés ou forcés de fuir à l'étranger. Le président créa également des unités d'élite, telles que la Division Spéciale Présidentielle (D.S.P.), la Garde Civile et le Service d'Action et de Renseignements Militaires (S.A.R.M.), dont les structures de commande lui étaient directement subordonnées et dont la toute grande majorité des officiers étaient soit originaires de sa région ou appartenaient à son groupe ethnique. La même stratégie fut appliquée au sein des forces civiles de sécurité, connues sous le nom de Service National d'Intelligence et de Protection (S.N.I.P.).


Le président prit également soin de contrôler tout aussi étroitement les administrations régionales et locales, soumises à l'autorité hiérarchique stricte du système étatique à parti unique. Les gouverneurs de provinces, leurs suppléants et les officiels de haut rang chargé des affaires locales étaient tous choisis en fonction de leur loyauté envers le parti et son chef. Leurs deux rôles les plus visibles étaient de contrôler la population et réprimer certains de ses élans, tâche réalisée en conjonction avec les servies militaires et de sécurité locaux, ainsi que de détourner les richesses nationales vers les membres de l'élite au pouvoir.


Des décennies de gestion douteuse et de pillage des ressources énormes du pays provoquèrent, au début des années 1990, l'écroulement du système économique formel. Le vide ainsi formé fut comblé par un une économie informelle parallèle parvenant à grand-peine à satisfaire les besoins de base de la population et à garantir la survie de quelques services sociaux fondamentaux. En 1994, la Banque Mondiale décrivait en ces termes la situation économique au Zaïre:


Le volume global de l'économie zaïroise est retombé au niveau de 1958, alors que dans le même temps le nombre d'habitants s'est vu multiplié par 2,9. . . La confusion qui règne au niveau des finances publiques est totale. . . . L'état est insolvable; la plupart des entreprises et institutions financières lui appartenant sont de facto en faillite. . . .


Le nombre d'enfants inscrits dans les écoles primaires est passé de 95% en 1972-73 à 77% en 1986-87 et devrait tomber à 50% en l'an 2000 si des mesures énergiques ne sont pas prises. Les écoles, lorsqu'elles sont effectivement ouvertes, fonctionnent dans des conditions déplorables, sans manuels ni matériel pédagogique; les élèves doivent même souvent s'asseoir à même le sol, les pupitres ayant été emportés par des pillards. . . .


Les conditions sanitaires se sont détériorées, faute de financement adéquat et suffisant. En 1986, le gouvernement ne couvrait que 5% des frais généraux du secteur santé, contre 50% ou plus dans la plupart des pays de l'Afrique sub-saharienne. . . . (2)

La devise nationale a perdu toute valeur. En octobre 1993, le « Nouveau Zaïre » (N.Z.) était introduit au taux de 1 N.Z. pour 3 millions d'anciens zaïres (environ l'équivalent d'un dollar US à l'époque). Cette mesure n'a permis en rien de limiter le phénomène d'hyper-inflation. Pire même, l'introduction sur le marché d'une coupure d'un million de N.Z., en décembre 1996, a fait chuter la valeur de change de la devise, qui est passée de 100.000 à 200.000 N.Z. pour un dollar US.


L'aggravation de la crise économique eut de multiples conséquences. L'approvisionnement en nourriture des forces de sécurité, y compris les unités d'élite, fut suspendu pendant plusieurs mois, ainsi que le paiement des soldes. La discipline militaire se mit à souffrir de sérieuses violations. Les soldats s'attaquèrent aux populations locales, leur extorquant de quoi survivre. Dans le passé, Mobutu, face à des dissensions internes et des rébellions régionales risquant de menacer sa suprématie, avait toujours pu jouer sur les rivalités est-ouest et compter sur le soutien militaire et diplomatique des ses alliés occidentaux, notamment la France, la Belgique et les Etats-Unis, ainsi que sur l'appui d'alliés régionaux comme le Maroc, l'Egypte, le Sénégal et Israel. Depuis 1991, aucun de ces pays n'a ouvertement proposé le moindre soutien militaire au régime de Mobutu, mais il est à noter qu'aucune véritable rupture n'est cependant jamais intervenue.


Confronté à une population exigeant de plus en plus fortement l'instauration de la démocratie, Mobutu accepta en 1990 que soient organisées des « consultations populaires. » Les forces pro-démocratiques, s'engouffrant dans la brèche, rompirent le silence forcé auquel elles avaient du se résigner pendant vingt-cinq années et s'empressèrent d'exprimer leur façon de voir l'avenir. L'avalanche de réactions prit Mobutu par surprise, le forçant à prendre des mesures supplémentaires et à annoncer, le 24 avril 1990, le début d'une phase de transition devant mener le Zaïre vers une démocratie « à trois partis. » La population, unie, exigea que soit créée une conférence nationale, composée de représentants de tous les secteurs de la société et qui aurait à décider de l'avenir du pays. Après deux ans de mobilisations de tous types, pendant lesquels plus d'un million de zaïrois descendirent dans les rues de Kinshasa, le Président Mobutu accepta que soit mise en place la « Conférence Nationale Souveraine. » Celle-ci se pencha sur le passé et l'avenir du Zaïre et rédigea divers textes devant permettre de guider le pays vers la démocratie. Ces textes sont, aujourd'hui, les seuls éléments susceptibles de servir de base à la traduction auxquels une majorité de zaïrois accorde une véritable légitimité.


Malgré les nombreuses ingérences des autorités, la Conférence Nationale Souveraine réussit, en août 1992, à mettre sur pied un gouvernement et un parlement de transition, avec Etienne Tshisekedi pour premier ministre. Le nouveau gouvernement avait à peine pris ses fonctions que le niveau de violence se mit à augmenter. Dans la province méridionale du Shaba, des bandes de jeunes, encouragés par le gouverneur (3)

nommé par Mobutu, s'attaquèrent aux immigrés originaires de la province voisine du Kasaï, provoquant la fuite de milliers d'entre eux. En décembre 1992, la Conférence suspendait ses travaux et déclarait transmettre la tâche de mener le pays vers la transition à un corps législatif appelé « Haut Conseil de la République » (H.C.R.). Les 453 membres du Conseil continuèrent à soutenir Tshisekedi mais de nombreuses interventions des forces armées eurent lieu dans les mois qui suivirent et le travail dut être stoppé.


Le mois de janvier 1993 fut marqué par des pillages à grande échelle, menés par les soldats de l'armée zaïroise. En mars, le Président mit un point final au processus de transition de la Conférence Nationale Souveraine. Il rétablit l'Assemblée Nationale, alors totalement discréditée et composée exclusivement de membres soigneusement choisis de son parti, et lança un processus de transition parallèle, le Conclave, qui rédigea sa propre constitution et nomma Faustin Birindwa au poste de premier ministre.


Le nouveau gouvernement fut immédiatement rejeté par la population et la plupart des gouvernements étrangers. Dans le même temps, le gouvernement Thsisekedi, impuissant, continuait à mettre en avant sa propre légitimité. Afin de tenter de sortir de l'impasse et en l'absence de toute pression étrangère à l'encontre de Mobutu, les opposants de l'Union Sacrée de l'Opposition Radicale et Alliés (U.S.O.R.) acceptèrent de transiger avec les Mobutistes. Des négociations commencèrent à la fin de 1993 et aboutirent à ce que l'on appela le Protocole d'Accord, un arrangement plutôt bancal consacrant le partage du pouvoir entre les deux principales familles politiques, d'une part les mobutistes des Forces Politiques du Conclave (F.P.C.) et d'autre part l'U.S.O.R. (4)

L'opposition accepta la fusion de l'Assemblée Nationale et du Haut Conseil de la République (le successeur de la Conférence Nationale Souveraine). Fut ainsi créé une structure énorme, composée de 738 membres et dominée par les Mobutistes, qu'on appela le Haut Conseil de la République-Parlement de Transition (H.C.R.-P.T. ou encore Parlement de Transition). En échange, l'opposition obtint le droit de nommer le premier ministre et reçut des garanties quant à la survie politique (5)

de celui-ci. De plus, le Protocole d'Accord prévoyait que toutes les décisions d' « importance nationale, » y compris les affaires relatives à la « souveraineté nationale et l'ordre institutionnel de la transition, » seraient prises sur base du consensus. (6)

Bien que les pouvoirs de la Conférence Nationale Souveraine aient été singulièrement réduits, on affirma que ses lois et décisions formeraient la base théorique de toute législation adoptée par le gouvernement et le parlement de transition. (7)

Le Gouvernement Kengo

Le 14 juin 1994, le Parlement de Transition nommait un nouveau gouvernement, dans un climat de controverse généralisé. L'Acte Constitutionnel de la Transition fut adoptée le neuf avril 1994, selon les termes prescrits par le Protocole d'Accord. Cependant, l'unité de l'opposition éclata au tout début des négociations relatives au choix d'un premier ministre. Contrairement aux termes du Protocole et de l'Acte Constitutionnel de la Transition, la décision fut prise par le biais d'un vote du Parlement de Transition. Soutenu par les Mobutistes, Léon Kengo wa Dondo, ancien premier ministre et ministre de la justice de plusieurs gouvernements précédents, fut élu par 332 voix sur 738 possibles. Ce qui restait de l'opposition, groupée autour de la personne d'Etienne Tshisekedi, avait boycotté le scrutin. Après de longs atermoiements, une Cour Suprême manifestement intimidée déboutait l'opposition et entérinait l'élection de Kengo. (8)

Tout au long de cette période, l'opposition continua à dénier toute légitimité au Premier Ministre Kengo et à, tour à tour, obstruer et participer à contrecoeur aux travaux du Parlement de Transition.


Le Premier Ministre Kengo s'assura rapidement le soutien des gouvernements occidentaux et des institutions financières internationales en se présentant sous les traits d'un réformateur pris entre, d'une part, un Mobutu récalcitrant et, d'autre part, une opposition radicale et peu coopérative. Pendant les premiers mois de son mandat, il réussit à remettre un peu d'ordre dans le système de production de devises et la Banque Centrale, qui étaient devenus des instruments totalement au service des intérêts de Mobutu et de sa clique. Il sembla même s'intéresser aux violations des droits de l'homme, cherchant timidement à tempérer les excès des chefs militaires mobutistes. En juillet 1994, lors d'une visite à Goma, il promit de déplacer deux unités accusées par la population locale de s'être rendues coupables de violations des droits de l'homme. La promesse ne fut jamais tenue.


Le gouvernement Kengo finit cependant par cautionner les violations des droits de l'homme commises par le régime. Les relations du gouvernement avec la Commission des Droits de l'Homme de l'O.N.U. et le rapporteur spécial illustrent parfaitement l'évolution du gouvernement. Roberto Garretón fut invité au Zaïre après sa nomination, à l'automne 1994, au poste de rapporteur spécial en charge du Zaïre. Il fut reçu par divers officiels zaïrois, notamment le Premier Ministre, qui discutèrent très ouvertement avec lui de divers problèmes liés, par exemple, à la composante ethnique des forces armées. (9)

En ce qui concerne le problème « flagrant » de l'impunité, le rapporteur spécial notait en décembre 1994 que:


Jusqu'à présent, le Gouvernement Kengo s'est révélé incapable d'exercer un véritable contrôle sur cette situation, dont il ne nie pas l'existence. Le Premier Ministre a déclaré au Rapporteur Spécial que l'un des objectifs de son gouvernement était de restaurer l'autorité de l'état, en ce compris le contrôle des forces armées qui, à son avis, « devraient être purgées. » (10)

Le rapporteur notait la bonne volonté du gouvernement mais concluait que les violations des droits de l'homme se poursuivaient et que le « Gouvernement du Premier Ministre Kengo n'exerçait pas la moindre pression afin de mettre fin aux excès ou d'éviter qu'ils ne soient commis, et encore moins afin de punir les coupables. . . . » (11)

Il insistait également sur plusieurs violations très graves étant intervenues depuis la création du nouveau gouvernement, notamment l'assassinat de deux journalistes.


Pendant l'année qui suivit, le gouvernement Kengo évita de répondre aux demandes d'informations, transmises de façon systématique par le rapporteur spécial lorsque des violations des droits de l'homme étaient commises. Il empêcha également celui-ci de se rendre à nouveau au Zaïre. Le rapporteur proposa plusieurs dates mais ne reçut une réponse du gouvernement que le huit novembre 1995, trop tard pour que la mission puisse avoir lieu avant que ne se réunisse la Commission des Droits de l'Homme. La rapporteur nota « une hostilité plus sensible que celle ressentie l'année précédente, clairement démontrée par l'absence de réponse à [sa] demande d'autorisation de se rendre sur place, l'envoi extrêmement tardif de l'invitation à le faire, l'absence de réaction--et même d'un simple accusé de réception--aux communications relatives à des plaintes, les nombreuses questions posées quant à [son] mandat et les reproches constants adressés à l'O.N.U., accusés de soumettre le Zaïre à un traitement taxé de 'spécial'. » (12)

Après la publication de son second rapport, le rapporteur se vit soumis à une attaque en règle de la part du gouvernement. Lors du Conseil des Ministres du 14 mars 1996, le premier ministre déclara que le « caractère injuste » du rapport n'avait inspiré que le « dégoût. » (13)

Cette réaction fut largement publiée. Le premier ministre exigea également que M. Garretón « répare le préjudice causé au Zaïre en corrigeant [le rapport] avant de le présenter » (14)

. Lors de la session de la Commission des Droits de l'Homme, le Ministre de la Justice zaïrois Nsinga Udjuu, autre ministre mobutiste indéboulonnable, défendit le gouvernement de son pays et rejeta en bloc toutes les critiques émises.


Le premier ministre critiqua en particulier la manière dont M. Garretón avait traité les problèmes de citoyenneté des Banyamulenge, zaïrois de langue Kinyarwanda apparentés aux Tutsi du Ruanda et du Burundi. Le rapporteur spécial fut l'un des premiers à aborder le sujet, six mois avant que n'éclate les violences dans l'est du Zaïre. Le gouvernement ne chercha pas à se dissocier des cas de violations cités dans le rapport mais émit des doutes sérieux quant aux sources d'information de M. Garretón. Le ministre de l'intérieur en particulier, Kamanda wa Kamanda, critiqua le fait que le rapporteur ait fait confiance à des O.N.G. zaïroises de défense des droits de l'homme.


L'avenir montra également que le gouvernement ne souhaitait pas mettre fin au cycle d'impunité dénoncé dans le rapport. Malgré ses promesses, aucune mesure ne fut prise afin de poursuivre en justice les responsables de violences, notamment ceux ayant pris pour cibles les activistes politiques.


Le Protocole d'Accord

Le but affirmé du Protocole d'Accord et de l'Acte Constitutionnel de la Transition était de poser les bases d'une transition pacifique, démocratique et rapide. Les documents relatifs à la transition introduisaient à cet effet une série de conditions et d'accords de base, visant à réformer les forces armées, dépolitiser l'administration nationale et permettre à tous de participer à la vie politique du pays sur un pied d'égalité. Il apparaît aujourd'hui que le calendrier de quinze mois fixé à l'origine n'aurait sans doute jamais permis d'atteindre l'ensemble de ces objectifs, et cela même si une véritable volonté politique avait existé. Il est à noter, ceci expliquant peut-être cela, que rien ne fut accompli pendant les premiers mois de l'administration Kengo. Huit mois après la nomination de celui-ci, le rapporteur spécial notait qu' « aucune mesure n'avait été prise. » (15)

Un an plus tard, il concluait que 1995 avait été « une année perdue pour le processus de transition. » (16)

Aucune initiative ne fut prise afin de contrôler les forces militaires et de sécurité, de réformer l'administration du territoire ou d'approuver un projet de constitution. (17)

Le gouvernement proposa cependant en mai 1995 un projet de loi visant à instituer la « Commission Nationale des Elections » (C.N.E.). Le texte de loi entérinait la distinction--de plus en plus fictive, étant donné les loyautés changeantes de Kengo la division qui allait se déclarer au sein de l'opposition--entre les mobutistes et l'opposition. La Commission devait être composée de 44 membres, provenant en nombre égal des deux blocs politiques. Les groupes d'église et les O.N.G. s'opposèrent fortement à cette disposition, qui faisait de cette structure la chasse gardée des deux alliances politiques et interdisait toute participation aux représentants de la société civile. Cet argument était d'une pertinence encore plus grande dans le cadre des antennes locales de la commission, étant donné le manque total de structures politiques dignes de ce nom dans l'intérieur du pays.


En juillet 1995, le Parlement de Transition prolongeait de deux ans le processus de transition, donnant ainsi l'impression de vouloir avant tout préserver ses propres prérogatives. Le gouvernement retarda la mise en place de la Commission des Elections jusqu'à la fin de l'année et ne fournit aucun financement lui permettant de fonctionner une fois créée. Les membres de la commission prirent cependant les choses en main et, de manière très déterminée, établirent un bureau interne et se mirent au travail.


Au cours des mois qui suivirent, le niveau d'activité fut relativement bas. La commission ne disposait en effet ni du financement ni des textes légaux lui permettant de travailler, les projets de constitution et de loi électorale étant restés bloqués au niveau du parlement. Notons au passage qu'ils n'ont toujours pas été votés. (18)

Pendant ce temps, le ministre de l'intérieur établit un comité électoral interministériel, sans consulter ni demander la participation de la commission électorale. Le vice-président de la commission électorale de l'époque, le Professeur George Nzongola-Ntalaja, déclara à cet égard que le comité interministériel « avait été créé dans le but d'empiéter sur les prérogatives de la Commission Nationale des Elections. » (19)

En septembre 1996, le Professeur Nzongola démissionnait, notant le manque total de consensus et l'absence d'une volonté politique d'aller jusqu'à des élections. « Quant au gouvernement », déclarait-il, « personne aujourd'hui ne peut plus douter de son manque de sincérité lorsqu'il affirme soutenir le processus électoral. » (20)

Conditions Requises pour la Tenue d'Elections

Le protocole qui sert de document de base à la transition est très explicite quant aux conditions à réunir pour pouvoir procéder aux élections. De ces diverses conditions préalables « impératives », acceptées par toutes les parties en présence, citons notamment:


  • garantir la sécurité de la population en dépolitisant l'armée et en augmentant le contrôle exercé par le gouvernement sur la Garde Civile et la police;


  • garantir le respect des libertés politiques de base, y compris la liberté d'expression, notamment en ouvrant la radio et la télévision publique à tous les types de points de vue;


  • dépolitiser l'administration régionale et locale.


    Le protocole prévoit également diverses conditions relatives au processus électoral lui-même. Citons, entre autres:


  • assurer la présence d'observateurs internationaux pendant et après les élections;

  • achever l'identification des citoyens;

  • achever le processus de recensement de la population;

  • compléter les listes électorales;

  • obtenir, en quantité suffisante, des urnes transparentes, des bulletins de vote, des véhicules, du matériel de télécommunications et l'ensemble des documents nécessaires.


    Bien avant que la guerre ne lui fournisse le prétexte rêvé pour retarder le processus, le gouvernement Kengo avait cessé de faire le moindre effort pouvant permettre de remplir ces conditions.


    Réforme de l'Armée et des Services de Sécurité

    Le contrôle de l'armée et des forces de sécurité est l'un des thèmes centraux du Protocole d'Accord, ce qui n'est guère surprenant étant donné l'habitude prise au Zaïre, au cours des trente dernières années, d'utiliser la violence pour étouffer dans l'oeuf tout processus démocratique. Les articles 17 et 41 du Protocole insistent sur « la nécessité » de dépolitiser l'armée et de soumettre la Gendarmerie Nationale, la Garde Civile et les services de sécurité au contrôle du gouvernement. Les auteurs du Protocole craignent manifestement que les forces de sécurité ne perturbent les élections; l'article 17 demande expressément au gouvernement de prendre des mesures afin d'éviter cela.


    Les représentants d'O.N.G. actives dans les onze régions du Zaïre, consultés dans le cadre d'une enquête organisée par La Voix des Sans Voix, une organization de défense des droits de l'homme, affirmèrent eux que l'insécurité constituait la préoccupation principale de la population et que les coupables des nombreuses exactions étaient des soldats libres de toute discipline et agissant en toute impunité. (21)

    Des équipes internationales chargées d'étudier les conditions d'organisation de possibles élections ont toutes noté la crainte qu'inspirent à la population les forces de sécurité. (22)

    Les allégeances ethniques et régionales à Mobutu réduisent la possibilité de voir ces forces se comporter de manière neutre, particulièrement dans le cadre de certaines des tâches vitales qui découlent d'une élection, telles que la protection des bureaux de vote, le transport des urnes et la protection des candidats et électeurs des diverses tendances.


    La Conférence Nationale Souveraine décréta, au début du processus de transition, que la réforme des forces militaires était indispensable si l'on souhaitait organiser des élections libres et impartiales et rassurer la population et les groupes d'opposition. Depuis lors, ceux-ci ont à de nombreuses reprises demandé que cette réforme ait lieu, les forces de sécurité et l'armée étant à leur avis fortement politisées et mal équilibrées au niveau ethnique, par conséquent favorables à l'alliance du président et fortement tentées de s'attaquer aux militants de l'opposition.


    Le gouvernement Kengo a lui-même reconnu la nécessité d'une réforme, notamment lors des premiers contacts avec le rapporteur spécial, mais n'a pris aucune mesure en ce sens. En mars 1996, Kengo réagissait au rapport sur les droits de l'homme du Département d'Etat américain en affirmant que divers textes de loi, notamment ceux prévoyant la création d'un Conseil Supérieur de la Défense et une réforme des forces de sécurité, permettraient de régler une partie des problèmes. Aucun des ces projets de loi n'a jamais été rendu public ni débattu au sein du Parlement de Transition. (23)

    Réforme de l'Administration Territoriale

    Rien n'a été fait pour réformer les administrations locales et régionales, qu'on appelle au Zaïre les territoriales. Jusqu'à l'éclatement de la guerre dans l'est du pays, chacune d'entre elles était totalement sous l'emprise du régime et du parti.


    Dans un mémorandum remis en 1996 à une délégation de l'O.N.U. en mission au Zaïre, la branche du Shaba de l'Union pour la Démocratie et le Progrès Social (U.D.P.S.), principal parti d'opposition, affirmait que « la répartition juste et équilibrée des postes dans les administrations régionales et la diplomatie, ainsi que des portefeuilles ministériels » (24)

    était une des conditions en fonction desquelles l'U.D.P.S. déciderait de sa participation aux élections. Le gouvernement réagit à cette attente en promettant une « bipolarisation » rapide des postes dans les administrations territoriales, notamment les postes de gouverneurs, vice-gouverneurs et gouverneurs de sous-régions, afin de garantir la représentation des deux groupes politiques. (25)

    Elections Différées

    En décembre 1996 - janvier 1997, date de la mission de Human Rights Watch au Zaïre, respecter les délais fixés par le calendrier électoral était déjà devenu impossible, et ce même dans l'hypothèse ou une préparation sérieuse du scrutin était mise en oeuvre sans tarder. Le retard accumulé était évalué à environ trois ou quatre mois. Le calendrier prévoyait la tenue du référendum constitutionnel le 14 février 1997. Le premier des tour des élections présidentielles et législatives devait avoir lieu le 12 avril, le second tour le 11 mai et les élections locales le sept juillet 1997, le mandat du Parlement de Transition prenant fin à cette même date. Le référendum constitutionnel devait être précédé du recensement et de l'inscription des électeurs sur les listes électorales. Un projet pilote de recensement devait être lancé le quinze janvier 1997. Selon les autorités zaïroises--tous les observateurs étrangers ne partageaient pas cet avis--le recensement était nécessaire puisqu'il devait permettre de situer les 42.000 bureaux de vote, de déterminer le nombre de sièges à pourvoir par district électoral et d'établir des listes électorales définitives. La procédure de recensement et l'inscription des électeurs sur les listes en sont toujours au point mort.


    Au début du mois de février, le Premier Ministre Kengo déclarait qu'à cause du conflit les élections devraient être différées jusqu'à une date ultérieure. La décision de retarder les élections prolongeait automatiquement la durée de validité de l'Acte Constitutionnel de la Transition et par conséquent le mandat du président qui, sans cette loi, aurait dû prendre fin cinq années auparavant. Cette décision remit en question la légitimité du processus de transition. La prolongation du mandat du Président Mobutu, en particulier, plongea les zaïrois dans un état de désenchantement encore plus grand que celui qui était le leur jusqu'alors.




    2. Banque Mondiale, Zaïre: Orientations Stratégiques pour la Reconstruction (Zaire: Strategic Orientations for reconstruction), cité dans J.C. Willame et autres, Zaïre: Difficultés et Perspectives, Rapport au Groupe de Défense des Droits des Minorités (USA) (Zaire: Predicament and Prospects, A Report to the Minority Rights Group, (USA)), (Washington, United States Institute of Peace, Peaceworks n°11, Janvier 1997, p. 9)

    3. Cf. section ci-dessous « Shaba, perspective régionale »

    4. Roberto Garretón, rapporteur spécial de l'O.N.U., écrivit: « Un étranger ne pourrait qu'être surpris de l'évolution politique: l'accord. . . transforma le débat sur les affaires publiques en une 'affaire familiale.' » Voir O.N.U., Rapport sur la situation des droits de l'homme au Zaïre, présenté par M. Roberto Garretón, rapporteur spécial, conformément à la résolution 1995/69 de la Commission (New York, United Nations Publications, 1996), E/CN.4/1996/66; 29 janvier 1996, p. 16.

    5. Une majorité de 75% est requise au cas où le Parlement de Transition souhaite censurer le gouvernement, intenter au procès au Président de la République ou modifier la Constitution. Article 11 du Protocole d'Accord.

    6. Article 11 du Protocole d'Accord.

    7. Articles 58 et 75 de l'Acte Constitutionnel de la Transition.

    8. Le jugement fut rendu en 1996, un an et demi après que le gouvernement Kengo soit entré en fonctions.

    9. O.N.U., Rapport sur la situation des droits de l'homme au Zaïre. . ., (E/CN.4/1995/67), p. 14.

    10. O.N.U., Rapport sur la situation des droits de l'homme au Zaïre. . ., (E/CN.4/1995/67), p. 17

    11. O.N.U., Rapport sur la situation des droits de l'homme au Zaïre. . ., (E/CN.4/1995/67), p. 49.

    12. O.N.U., Rapport sur la situation des droits de l'homme au Zaïre. . ., (E/CN.4/1995/67), p. 6.

    13. Gouvernement du Zaïre, « Compte-rendu de la réunion du conseil des ministres du Jeudi 14 Mars 1996 », p. 2.

    14. Gouvernement du Zaïre, « Compte-rendu de la réunion du conseil des ministres du Jeudi 14 Mars 1996 », p. 2.

    15. E/CN.4/1995/67, p. 24.

    16. E/CN.4/1996/66, p. 29.

    17. L'ordre du jour législatif du Parlement de Transition dépend entièrement des désirs du gouvernement. A l'instar de nombre d'autres institutions publiques zaïroises, le Parlement de Transition est fortement influencé par la corruption et les pots-de-vin. Le salaire des députés, qui varie, est aujourd'hui d'environ 200 dollars US par mois. Un député a affirmé à Human Rights Watch/Afrique que le gouvernement Kengo devait ajouter à ce salaire la somme de 200 dollars US mensuels pour garantir la fidélité de sa majorité. « Récemment, certains députés se sont plaints », a-t-il ajouté, « lorsque Kengo ne payait pas ». Pour les scrutins spéciaux, tels que les motions de censure, le gouvernement va, selon nos sources, jusqu'à payer 500 dollars US par voix.

    18. Lorsque le gouvernement a finalement soumis au parlement le projet de constitution, celui-ci a été refusé, le texte ne correspondant pas à celui qu'avait rédigé la Conférence Souveraine. Le texte présenté accordait au Président de nombreuses prérogatives que la Conférence Nationale Souveraine proposait elle d'éliminer. Lorsque le Parlement de Transition transmit à Mobutu le texte original accompagné de la Loi de Référendum Constitutionnel, celui-ci signa la loi mais renvoya au Parlement le projet de constitution sans l'avoir signé.

    19. Déclaration faite par le Professeur Georges Nzongola-Ntalaja lorsqu'il démissionna de la Commission Nationale de Elections, le 3 septembre 1996. Une équipe américaine chargée d'évaluer le processus électoral émit un jugement plus modéré, notant que « des déclarations contradictoires faites par les hauts responsables du CIM [Comité Interministériel] ont provoqué une certaine confusion quant aux mandats respectifs de la commission interministérielle et de la commission électorale en matière de politique ainsi que de planification et de réalisation de divers événements pré-électoraux et électoraux ». Cf.: Consortium for Elections and Political Process Strengthening, « Zaire: joint pre-election assessment mission - septembre/octobre 1996 ».

    20. Déclaration faite par le Professeur Georges Nzongola-Ntalaja lorsqu'il démissionna de la Commission Nationale de Elections, le 3 septembre 1996. Cf.: Consortium for Elections and Political Process Strengthening, « Zaire: joint pre-election assessment mission - septembre/octobre 1996 ».

    21. Cf. La Voix des Sans Voix (V.S.V), « Aperçu sur l'état des droits de l'homme dans les onze provinces (régions) du Zaïre », Kinshasa, Juin 1996.

    22. Cf., par exemple, Consortium for Elections and Political Process Strengthening, « Zaire: joint pre-election assessment mission, septembre/octobre 1996, p. 53: « L'équipe a noté chez tous les zaïrois une appréhension considérable quant au rôle que pourrait jouer l'armée pendant les élections. Beaucoup de nos interlocuteurs ont affirmé craindre que les forces de sécurité ne se comportent de manière indisciplinée, violente et n'intimident les hommes politiques et les électeurs ».

    23. Ces projets de loi sont cités dans le compte-rendu officiel de la réunion du Conseil des Ministres du jeudi 14 mars 1996.

    24. U.D.P.S., Shaba, « Mémorandum remis ce jeudi, 11 juillet 1996, à la délégation de l'O.N.U. en mission politique à Lubumbashi ». Copie fournie à Human Rights Watch/Afrique par l'U.D.P.S..

    25. Consortium for Elections and Political Process Stregthening, « Zaire: joint pre-election assessment mission. . . », P. 18.

    Previous PageTable Of ContentsNext Page