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LE ROLE DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE


Le 10 novembre 1995, les exécutions de Ken Saro-Wiwa et de huit autres militants ogoni ont suscité les protestations de la communauté internationale. Les sanctions mises en place depuis l'annulation des élections de 1993 et le coup d'Etat militaire qui s'était ensuivi ont été renforcées au cours des semaines qui ont suivi les exécutions. Suite au "meurtre judiciaire" de l'un de ses militants les plus notoires, le Nigéria s'est retrouvé isolé comme il ne l'avait jamais été auparavant. Cependant, l'attention internationale accordée au Nigéria s'est relâchée en 1996, tandis que les principaux partenaires commerciaux du Nigéria s'en sont retournés protéger leurs intérêts économiques à court terme une fois que le procès de cette personnalité charismatique et mondialement connue n'occupait plus les esprits. Bien que les sanctions existantes aient été maintenues, aucune nouvelle mesure concrète n'a été prise pour accélérer le retour du régime civil. Le gouvernement nigérian a pu d'une certaine façon maintenir un dialogue avec différents organismes internationaux, malgré le fait qu'il ait empêché plusieurs missions d'enquête de se rendre au Nigéria pour étudier la situation sur le terrain. Bien que des représentants envoyés au Nigéria par le secrétaire général de l'ONU et un groupe parraîné par l'American Center for International Leadership aient été autorisés à entrer dans le pays et à rencontrer plusieurs détenus, les missions du Commonwealth, de la Commission Africaine et des rapporteurs spéciaux thématiques des Nations Unies ont toujours été reportées à des dates indéterminées. En dépit de ce fait, le Commonwealth a suspendu l'imposition des sanctions recommandées en avril 1996 contre le Nigéria, la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU n'a pas décidé en avril de nommer un rapporteur spécial sur le Nigéria, et les autres pressions semblent s'être atténuées, bien que les problèmes fondamentaux restent les mêmes.


Confronté aux sanctions existantes et aux menaces de nouvelles sanctions des pays occidentaux, le gouvernement nigérian a accru ses contacts avec les pays de l'est tels que la Chine, la Corée et l'Iran. Pour que les sanctions soient plus efficaces, il est nécessaire que les mesures soient prises au niveau du Conseil de Sécurité de l'ONU afin que tous les Etats soient obligés de s'y conformer. Il faut systématiquement intensifier les pressions, et non pas les réduire, pour forcer le gouvernement nigérian à prendre au sérieux ses responsabilités internationales en matière de droits de l'homme.


Le Commonwealth

La Réunion des Chefs de Gouvernement du Commonwealth (RCGC), qui a eu lieu à Auckland en Nouvelle Zélande au moment des exécutions, a immédiatement exprimé son immense indignation en suspendant le Nigéria du Commonwealth, mesure prise pour la première fois. Le Nigéria a deux ans pour se conformer à la Déclaration d'Harare du Commonwealth qui engage les membres du Commonwealth à avoir un régime civil, faute de quoi ils s'exposent à une expulsion. (114) La même RCGC a aussi adopté le Programme d'Action du Commonwealth en lien avec la Déclaration d'Harare, lequel comprend un engagement à prendre des mesures face aux violations des principes d'Harare. Un Groupe d'Action Ministériel du Commonwealth (GAMC) a été nommé pour s'occuper des violations persistantes et il s'est engagé à examiner en premier lieu les cas du Nigéria, de Sierra leone et de la Gambie, les trois pays du Commonwealth sans gouvernement démocratiquement élu. (115)


Les 19 et 20 décembre 1995, le GAMC s'est réuni pour la première fois, il a pris note des restrictions existant contre le Nigéria suite à la suspension de son adhésion au Commonwealth et a demandé une étude sur de possibles mesures supplémentaires. Le 23 avril 1996, suite à sa deuxième réunion, le GAMC a recommandé plusieurs mesures que les membres du Commonwealth devraient appliquer contre le Nigéria, notamment des restrictions en matière de visa et de possibilités d'études pour les membres du régime nigérian et leurs familles, retrait des attachés militaires et cessation de l'entraînement militaire, embargo sur l'exportation d'armes, refus d'accorder des visas pour les rencontres sportives, réduction des liens diplomatiques et culturels. Il a aussi été recommandé de consulter l'U.E., les Etats-Unis et d'autres membres de la communauté internationale en vue de l'application d'un embargo sur les liaisons aériennes et d'autres mesures complémentaires, notamment le gel des avoirs financiers et des comptes bancaires à l'étranger des membres du régime et de leurs familles. Cependant, lors d'une réunion ultérieure qui a eu lieu les 24 et 25 juin 1996, l'imposition des sanctions décidées en avril, qui avait été reportée pour laisser le temps au Nigéria d'engager un dialogue avec le GAMC à propos de la situation des droits de l'homme dans le pays, a une nouvelle fois été ajournée, bien que les mesures mises en place suite à la suspension de l'adhésion du Nigéria du Commonwealth soient restées en vigueur. Le GAMC et la délégation nigériane composée de hauts responsables n'ont pu aboutir à un consensus sur le chemin à suivre par le Nigéria - à tel point que le communiqué de presse final de la réunion a uniquement fait état d'une décision de se retrouver en septembre - mais les membres du GAMC ne sont même pas parvenus à un consensus entre eux en ce concernait les mesures à prendre contre le Nigéria. Après la réunion, le Canada a annoncé qu'il irait de l'avant et imposerait de façon unilatérale les sanctions décidées en avril et déjà appliquées par l'Union Européenne et les Etats Unis (voir plus loin). La Jamaïque a également adopté une position dure vis-à-vis du Nigéria, mais le Ghana, la Malaisie et le Zimbabwe se sont montrés compréhensifs envers la position du gouvernement nigérian.


En janvier 1996, le Nigéria a refusé de laisser entrer une mission d'enquête du Commonwealth que le GAMC avait désigné lors de sa réunion de décembre 1995 pour se rendre au Nigéria, prétendant qu'il était injustement montré du doigt au sein du Commonwealth. La mission n'a toujours pas été autorisée à visiter le Nigéria bien qu'en août 1996, le gouvernement nigérian ait indiqué qu'il avait invité des représentants du GAMC à se rendre au Nigéria les 29 et 30 août. Un certain nombre de ministres des affaires étrangères du GAMC se sont réunis pour considérer la proposition et sont tombés d'accord pour envoyer une délégation de hauts responsables du Secrétariat du Commonwealth à Abuja "en vue de discussions avec les responsables nigérians sur les modalités et de nouvelles dates pour une visite du GAMC au Nigéria." (116)


Les Nations Unies

L'Assemblée Générale des Nations Unies a adopté une résolution sur le Nigéria le 22 décembre 1995, dans laquelle elle condamne les exécutions de Ken Saro-Wiwa et des autres condamnés, elle se réjouit des mesures prises par le Commonwealth et exprime "l'espoir que ces mesures et autres mesures que pourraient prendre d'autres Etats" encourageront le Nigéria à rétablir un régime démocratique, encourageant donc (ce qui n'est pas dans ses habitudes) les Etats membres à imposer leurs propres sanctions, même sans mesures du Conseil de Sécurité. (117)


La Commission des Droits de l'Homme de l'ONU a adopté une résolution le 22 avril 1996 dans laquelle elle demande que deux rapporteurs spéciaux thématiques (sur l'indépendance des juges et avocats et sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires) présentent un rapport à la prochaine session de la Commission en 1997 et un rappport provisoire à la réunion de l'Assemblée Générale de l'ONU à la fin 96. Cependant, un paragraphe demandant la désignation d'un rapporteur spécial sur le Nigéria, proposé par les Etats membres de l'Union Européenne et appuyé par les Etats-Unis, n'a pas été adopté, en grande partie en raison du refus des pays africains d'appuyer la mesure (voir plus bas). Bien qu'il ait indiqué qu'il acceptait une mission de rapporteurs spéciaux thématiques, conformément à la décision de la Commission des Droits de l'Homme, le gouvernement nigérian n'a pas encore donné son accord sur une date précise de visite et il a rejeté une série de dates, considérant qu'elles ne convenaient pas. Les rapporteurs spéciaux thématiques ont indiqué qu'ils prépareront leurs rapports, que le gouvernement nigérian leur accorde ou non un visa pour se rendre au Nigéria.


Comme il est dit plus haut, le Comité des Droits de l'Homme de l'ONU, qui surveille l'application du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques, a condamné les violations au Nigéria en avril et juillet 1996, lorsqu'il a examiné le rapport initial du Nigéria présenté au Comité conformément au pacte; le Groupe de Travail sur les Détentions Arbitraires a dénoncé à maintes reprises la pratique des détentions sans procès au Nigéria; différents organes de la conférence de l'OIT ont aussi adopté des résolutions condamnant les violations du droit à la liberté d'association au Nigéria; et en mars et avril 1996, une mission d'enquête envoyée par le secrétaire général de l'ONU a effectué une visite au Nigéria. Aucune mesure n'a été prise contre le Nigéria par le Conseil de Sécurité.



L'Union Européenne et ses Etats Membres

Tous les Etats membres de l'Union européenne ont rappelé leurs ambassadeurs pour consultation suite aux exécutions. Avec les Positions Communes du Conseil de l'Union européenne datées du 20 novembre 1995 et du 4 décembre 1995, les Etats membres de l'Union européenne ont décidé d'imposer des restrictions en matière de visa aux membres (y compris civils) du Conseil de Gouvernement Provisoire et du Conseil Fédéral Exécutif et à leurs familles (en plus des membres de l'armée et des forces de sécurité nigérianes et leurs familles envers qui des restrictions ont été imposées en 1993); d'expulser tout le personnel militaire attaché aux missions diplomatiques du Nigéria dans les Etats membres et de retirer tout le personnel militaire attaché aux missions diplomatiques des membres de l'U.E. au Nigéria; de refuser les visas aux délégations officielles sportives et aux équipes nationales; d'introduire un éventuel embargo sur les armes, les munitions et l'équipement militaire (mais permettant l'exécution des contrats existants); et de suspendre la coopération au développement à l'exception de projets réalisés par les ONG et les autorités civiles locales. Ces sanctions ont été prolongées en juin 1996, sans aucune objection; elles seront réexaminées et prolongées ou modifiées en novembre 1996. Le 1 juillet 1996, l'Irlande a commencé à assumer la présidence de l'Union européenne pour une période de six mois. En mai 1996, une délégation de parlementaires irlandais s'est vue refuser les visas nécessaires pour une visite au Nigéria arrangée par Trócaire, l'Agence Catholique pour le Développement Mondial dont le siège est à Dublin.


Le 10 novembre 1995, le Premier Ministre britannique John Major, interrogé à la télévision sur ce qu'il pensait de l'affaire Saro-wiwa, a déclaré qu'il s'agissait "d'un faux procès, d'un verdict déplorable, d'une condamnation injuste et qu'il avait été suivi d'un meurtre judiciaire." (118) En tant que membre de l'Union européenne, le Royaume-Uni a appliqué les mesures contre le Nigéria adoptées en 1993 et les mesures complémentaires prévues par les Positions Communes des 20 novembre et 4 décembre 1995. Néanmoins, depuis novembre 1995, la position adoptée par le Royaume-Uni est de s'opposer à un plus grand isolement du Nigéria. Le Nigéria est le deuxième partenaire commercial sub-saharien du Royaume-Uni, après l'Afrique du Sud, les exportations britanniques annuelles s'élevant à environ 400 à 450 millions de £ selon la Chambre de Commerce anglo-nigériane, même si elles ont eu tendance à diminuer au cours des dernières années. (119) L'une des maisons mères de la Royal Dutch/Shell, la plus grande compagnie pétrolière du Nigéria, a son siège en Grande-Bretagne. Par conséquent, le gouvernement britannique s'est opposé à de nouvelles sanctions économiques contre le gouvernement nigérian dans diverses instances internationales. A l'initiative du Ministère Britannique du Commerce et de l'Industrie (DTI), une délégation commerciale s'est rendue au Nigéria en février 1996 et une autre délégation est prévue pour novembre 1996.


Dans la liste des licences d'exportation accordées et refusées au cours du premier semestre 1996, liste que le DTI publie en vertu de l'Arrêté de 1994 relatif au contrôle des exportations de marchandises et de la Réglementation de 1995 sur le contrôle des exportations de biens à double usage, un certain nombre de licenses d'exportation pour le Nigéria entraient dans les catégories qui semblent enfreindre l'embargo de l'UE, notamment les licenses pour les "petites armes, les mitrailleuses et accessoires," "les véhicules spécialement conçus ou modifiés pour un usage militaire, entre autres les chars et les véhicules blindés," et les "armes de petit calibre". Dans une lettre à Human Rights Watch, le DTI déclare: "Bien que les administrations successives n'aient pas eu pour règle de révéler des informations concernant les licences d'exportation, je peux dire que les utilisateurs finaux des biens couverts par ces licences ne sont en aucune manière associés au régime nigérian... Dans l'intérêt du public, le Ministère est prêt à dire que deux des licences, délivrées en février 1996... concernaient des fusils de sport destinés à deux diplomates étrangers résidant temporairement au Nigéria. L'autre licence en question, délivrée en mars 1996, concernait deux remorques qui avaient été utilisées par le Ministère de la Défense et qui doivent servir de lieu sûr de stockage à un entrepreneur étranger sur un chantier au Nigéria." (120) Human Rights Watch estime que les procédures d'octroi de licences d'exportation pour les armes et le matériel à double usage doivent être transparentes, surtout lorsque les licences sont apparemment en violation de l'embargo sur les armes. Des procédures strictes de contrôle doivent être mises en place par l'U.E. ou les autres instances ayant imposé des embargos, afin de veiller à ce que la procédure d'octroi de licences soit publique et indique dans chaque cas qui sera l'utilisateur final.


La France, l'Allemagne, les Pays-Bas et l'Espagne ont aussi des intérêts commerciaux importants au Nigéria: dans le cas de la France, de l'Italie et des Pays-Bas, ces intérêts impliquent une participation dans l'industrie pétrolière (à travers les compagnies pétrolières Elf, Agip et Royal Dutch/Shell, respectivement). (121)


Les Etats-Unis

Les Etats-Unis ont également répondu aux exécutions en rappelant leur ambassadeur, Walter Carrington, pour consultation. Par ailleurs, ils ont élargi les restrictions existantes touchant les relations militaires (entre autres la fin en juillet 1993 de toute assistance et entraînement militaires) en interdisant la vente et la réparation de matériel militaire. Ils ont élargi l'interdiction de délivrer des visas aux officiers supérieurs de l'armée et aux hauts responsables du gouvernement et leurs familles de façon à englober "tous les officiers de l'armée et les civils qui élaborent de façon active, mettent en oeuvre ou profitent de la politique qui empêche le retour du Nigéria à la démocratie"; et ils ont introduit une condition selon laquelle les représentants du gouvernement nigérian effectuant une visite aux Nations Unies ou aux institutions financières internationales situées sur le territoire américain ne peuvent se déplacer à plus de vingt-cinq milles de ces organisations. Ils ont déclaré qu'ils entameraient immédiatement des consultations à propos de mesures appropriées à prendre par l'ONU. (122) Depuis avril 1994, date à laquelle le certificat de lutte contre le trafic de stupéfiants délivré en vertu de l'article 481 du Foreign Assistance Act (123) a été refusé au Nigéria, les Etats-Unis ont été invités à voter contre le Nigéria dans six banques multilatérales de développement, notamment la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement et la Banque Africaine de Développement; ils ont mis fin à toute assistance au Nigéria en vertu du FAA et du Arms Control Export Act (Loi sur les exportations et le contrôle des armes); de plus, ils ont réduit le budget américain pour le développement, tout en reprogrammant l'assistance américaine exclusivement par le biais du secteur non-gouvernemental.


En 1996 cependant, les Etats-Unis comme d'autres pays ont été plus forts en parole qu'en action. Alors que l'Ambassadeur américain au Nigéria et de hauts responsables de l'administration ayant effectué une visite au Nigéria avaient fait de dures déclarations condamnant le régime militaire et les violations des droits de l'homme, et alors que la désignation d'un rapporteur spécial sur le Nigéria avait été appuyée dans la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU, aucune nouvelle mesure concrète n'a été adoptée. En juin 1996, le Secrétaire Adjoint John Shattuck s'est rendu au Nigéria et a observé "une sérieuse dégradation de la situation des droits de l'homme au Nigéria depuis 1993." (124) A l'instar de l'Union européenne, les Etats-Unis ont publiquement déclaré que toutes les mesures possibles contre le Nigéria, sans exception, étaient encore à l'étude; mais aucune mesure n'a été annoncée par l'administration pour concrétiser ces déclarations. Les Etats-Unis sont de loin le plus grand importateur de pétrole nigérian, achetant de 40 à 50 pour cent de sa production, et toute mesure impliquant un embargo pétrolier dépend de l'initiative et de la coopération des Etats-Unis.


En partie pour encourager l'administration à prendre des mesures plus dures envers le Nigéria, un projet de loi sur la démocratie au Nigéria, le "Nigeria Democracy Act", a été présenté au Sénat et à la Chambre des Représentants en novembre 1995 par le Sénateur Nancy Kassebaum et le Député Donald Payne. Il propose de nouvelles sanctions, notamment un embargo sur les liaisons aériennes et les nouveaux investissements et un gel des avoirs. Il est cependant peu probable que le projet recueille un soutien suffisant pour passer - entre autres à cause de la position divisée de la communauté afro-américaine face à la situation nigériane (au contraire par exemple des pressions conjuguées exercées sur le gouvernement américain pour prendre des mesures sévères contre le gouvernement sud-africain dans les années 80). Par exemple, le Sénateur Carol Moseley-Braun a effectué une visite au Nigéria en août 1996 et a défendu le Nigéria face aux critiques des associations des droits de l'homme; Louis Farrakhan de Nation of Islam s'y est rendu en février 1996 et a invité les Américains à "donner une chance au gouvernement nigérian" et à son programme de transition; et Roy Innis du Congress for Racial Equality a défendu le gouvernement nigérian face aux critiques. Pendant ce temps, Randall Robinson de Transafrica, avec le soutien de personnalités de renom telles que Jesse Jackson, a parraîné une campagne très active pour l'adoption de nouvelles mesures sévères contre le gouvernement nigérian et pour le retour d'un régime démocratique. (125)


Le Japon

Le Japon, anciennement le plus grand bailleur de fonds bilatéral du Nigéria, a suspendu son assistance économique au niveau des gouvernements en mars 1994, supprimant son programme d'aide qui avait atteint les 50 millions de $US en 1992. Aucune autre sanction n'a été imposée depuis lors. Le Japon a appuyé la désignation d'un rapporteur spécial sur le Nigéria à la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU en avril 1996.


L'Organisation de l'Unité Africaine et ses Etats Membres

La coopération active d'autres pays africains dans les efforts faits pour exercer des pressions sur le régime militaire est un élément clef dans l'action menée contre le Nigéria. Si l'Afrique ne montre pas l'exemple, les autres membres du Mouvement des Non Alignés refuseront de prendre des mesures contre le Nigéria, et sans le soutien des pays en voie de développement, il y a peu de chances pour que les sanctions proposées dans les forums internationaux aboutissent et elles pourraient être décrites par le gouvernement nigérian comme un complot de l'Occident. Par exemple, la proposition de désignation d'un rapporteur spécial de l'ONU sur le Nigéria, incluse dans le projet de résolution présenté par les Etats membres de l'Union européenne à la réunion de 1996 de la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU, n'a pas reçu l'appui de la plupart des délégués africains et a dû être supprimée pour que la résolution puisse être adoptée.


En décembre 1995, le Secrétaire Général de l'OUA, Salim Ahmed Salim, a critiqué la réponse de la communauté internationale face la pendaison des neuf Ogoni, déclarant que, bien que l'OUA aimerait voir un Nigéria démocratique avec un plus grand respect des droits de l'homme, "nous ne souscrivons pas à la campagne menée pour isoler le Nigéria... Nous ne voudrions pas d'une action qui aurait pour effet de déstabiliser le Nigéria." (126) Robert Mugabe, président du Zimbabwe et président du GAMC, a écarté toute action contre le Nigéria à la réunion de l'OUA en juin 1996 au Cameroun: "L'esprit de fraternité prévaut même lorsque des torts sont reconnus et l'adoption de mesures contre un Etat frère n'est pas facile... Le Nigéria ne sera pas puni par l'OUA, sauf si certaines sanctions sont imposées par les Nations Unies." (127) Le gouvernement nigérian lui-même tient à souligner - et cela produit apparemment son effet - qu'il contribue à environ un dixième du budget de l'OUA, et fournit aussi de loin le plus grand contingent de casques bleus déployé au Libéria par la Communauté Economique des Etats d'Afrique Occidentale (CEEAO). (128)


Les Etats d'Afrique Occidentale, dont le Ghana, le Niger, le Sénégal et la Gambie, se sont montrés très réticents - pour des raisons évidentes - à appuyer tout type d'action menée contre le Nigéria dans tout forum international, y compris l'OUA, et ils ont même exprimé leur soutien au Nigéria face aux "menaces à sa souveraineté" que représentait la condamnation des exécutions du 10 novembre 1995. Les Etats d'Afrique Australe, qui se sont réunis au sommet de la Communauté pour le Développement de l'Afrique Australe en décembre 1995, n'ont pas non plus adopté de mesures contre le Nigéria. En mars 1996, le président namibien Sam Nujoma a indiqué que l'invitation faite à Abacha en 1995 d'effectuer une visite en Namibie tenait toujours. (129)


Tout comme le Nigéria s'est trouvé au centre du mouvement international contre l'apartheid, l'Afrique du Sud a un rôle important à jouer pour pousser le Nigéria à installer un gouvernement démocratique. Lors de la RCGC de novembre 1995 en Nouvelle-Zélande, l'Afrique du Sud était la première à réclamer l'adoption de mesures sévères contre le Nigéria et le Président Nelson Mandela a parlé à la fois au Premier Ministre britannique John major et au Président des Etats-Unis Bill Clinton pour que des mesures multilatérales soient adoptées en dehors des Etats membres du Commonwealth. L'Afrique du Sud est, depuis lors, devenue moins catégorique, n'appuyant pas par exemple la proposition de désignation d'un rapporteur spécial sur le Nigéria faite à la réunion de 1996 de la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU. En juillet 1996, le Président Mandela, s'exprimant avant le sommet de l'OUA à Yaoundé, au Cameroun, a reconnu que "l'Afrique ne parlait pas d'une même voix" et il a indiqué qu'il avait "reçu des représentations de pays d'Afrique Occidentale ainsi que de Boutros Boutros-Ghali [Secrétaire Général de l'ONU]," qui lui avaient rappelé que "le Nigéria est responsable du maintien de l'ordre en Sierra Leone et au Libéria." (130) Des diplomates sud-africains ont signalé à Human Rights Watch/Africa que l'Afrique du Sud estime qu'elle ne peut agir contre le Nigéria sans le soutien de l'Afrique et que cela ne servirait en fait à rien de le faire, étant donné le manque de mesures effectives que l'Afrique du Sud pourrait adopter seule.


Les 18 et 19 décembre 1995, à la demande d'organisations non gouvernementales nigérianes et internationales, la Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples (un des organismes de l'OUA) a tenu sa deuxième session extraordinaire à Kampala, en Ouganda, pour examiner la situation des droits de l'homme au Nigéria. La Commission comptait parmi ceux qui avaient demandé la clémence lors du procès de Ken Saro-Wiwa et de ses co-accusés après qu'ils aient été condamnés à mort. Outre les démarches effectuées lors de ce procès et lors d'autres procès qui ont eu lieu au Nigéria, la Commission a décidé d'envoyer une mission d'enquête au Nigéria composée du président de la Commission, du vice-président et d'un rapporteur spécial sur les exécutions sommaires et arbitraires. Le rapport de la Commission devait être examiné à la session ordinaire suivante de la Commission Africaine à Ouagadougou, au Burkina Faso, en mars 1996; cependant, les dates de la mission prévues au départ avec le gouvernement nigérian pour février 1996 sont tombées à l'eau. Aucune date alternative n'a encore été décidée et la Commission n'a pas préparé de rapport sur le Nigéria puisqu'il n'y a pas eu de mission.


La Royal Dutch/Shell

Suite à un important travail de lobby de la part des organisations non gouvernementales, C.A.J. Herkströter, le président de la Royal Dutch Petroleum Company, une des sociétés mères du Groupe Royal Dutch/Shell qui possède la Shell Petroleum Development Company (SPDC) du Nigéria, a fait parvenir une lettre personnelle au Gén. Abacha le 9 novembre 1995, plaidant pour la commutation de la condamnation à mort de Ken Saro-Wiwa et de ses co-accusés pour des raisons humanitaires. En même temps, Shell démentait que son intervention était une critique contre les procédures suivies par le tribunal, déclarant que "en tant que société multinationale... interférer dans ce type de procédures, qu'elles soient politiques ou judiciaires, serait une erreur quel que soit le pays." Depuis le procès et les exécutions, Shell a à plusieurs occasions réaffirmé publiquement son engagement envers la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, tout en continuant à déclarer qu'elle ne pouvait pas faire de remarques sur des cas précis. (131) En mai 1996, en réponse aux préoccupations concernant le procès des dix-neuf Ogoni devant le tribunal spécial chargé des troubles sociaux, Shell a fait la déclaration suivante: "Le Gouvernement nigérian a le devoir d'enquêter sur le meurtre des quatre dirigeants ogoni. Et si cette enquête mène à l'arrestation et au procès de suspects, personne n'a le droit de s'opposer à des procédures judiciaires. Mais les procès doivent être équitables. Et on doit s'assurer qu'ils le soient." (132) Elle n'a pas profité de l'occasion pour dire que les procédures devant le tribunal spécial n'étaient pas équitables et qu'elles violaient les normes internationales.


La SPDC est responsable de la production d'environ 40 pour cent du pétrole extrait chaque année au Nigéria. Le gouvernement fédéral du Nigéria tire 80 pour cent de son budget du pétrole et le pétrole rapporte 90 pour cent des profits du Nigéria en devises étrangères. (133) Dans ce contexte, il est évident que Shell a la possibilité d'exercer une influence sur le gouvernement nigérian. Il est inutile d'insister, comme Shell continue de le faire, sur le fait que cela serait une erreur pour la compagnie de s'engager: Shell est engagée au Nigéria, en vertu de sa position dominante dans l'industrie pétrolière, et les choix qu'elle a à faire portent sur la façon d'exercer son influence. Human Rights Watch est d'accord sur le fait que ce serait une erreur pour Shell de se mêler de la politique des partis, mais il ressort clairement de la législation internationale que les questions des droits de l'homme concernent toute la communauté internationale et que les Etats ne peuvent se dissimuler derrière des arguments de souveraineté pour échapper à la critique. A l'occasion, Shell a d'ailleurs déjà usé de son influence pour assurer la libération de détenus, donnant donc moins d'importance à ses arguments dans certains cas.


Par ailleurs, Shell a été complice de certaines violations perpétrées par le gouvernement nigérian d'une manière plus directe qu'en n'usant pas de son influence pour encourager le gouvernement à respecter les droits de l'homme. En diverses occasions, des personnes impliquées dans des manifestations contre Shell ont été tuées, incarcérées et battues par la police appelée par la direction de Shell. (134) L'année dernière, il a été démontré que Shell avait récemment négocié l'importation d'armes à l'usage de la police nigériane. En janvier 1996, en réponse aux allégations portant sur l'importation d'armes, Shell a déclaré qu'elle avait dans le passé importé des armes de main et de poing au nom des forces de polices nigérianes, à l'usage des "vigiles" qui sont affectés chez Shell et surveillent les installations de la compagnie (et d'autres compagnies) et les protègent contre la criminalité commune. Le dernier achat d'armes par Shell a eu lieu il y a quinze ans et il s'agissait de 107 armes de poing. (135) Bien que la police ait donné son accord pour l'achat local d'armes en 1994, la SPDC a décidé qu'il serait inopportun de poursuivre les achats. La SPDC a été sensible au fait que l'achat d'armes modernes pour les policiers qui travaillent comme vigiles pour la SPDC pourrait être mal interprété dans les circonstances actuelles." (136) Cependant, des pièces judiciaires jointes à un dossier à Lagos en juillet 1995 et dont la presse britannique a fait état en février 1996 ont révélé que pas plus tard qu'en février 1995, Shell avait négocié l'achat d'armes pour la police nigériane. Shell a reconnu au journal londonien du dimanche l'Observer qu'elle avait mené des négociations mais qu'aucun des achats n'avait été conclu. (137) Les armes ayant fait l'objet d'une commande - fusils semi-automatiques Beretta, fusils à pompe et matériel tel que des gaz lacrymogènes clairement destinés à contrôler les foules - ne semblent pas convenir pour la protection contre des bandits armés et la "criminalité commune" comme le prétend Shell.


114. Le 20 octobre 1991, la Réunion des Chefs de Gouvernement du Commonwealth a adopté la Déclaration d'Harare qui engage les membres du Commonwealth à respecter "certains principes fondamentaux", notamment la liberté de tout individu, l'égalité des droits pour tous les citoyens et "le droit inaliénable des personnes à participer, au moyen de processus politiques démocratiques et libres, à la construction de la société dans laquelle elles vivent."

115. Les huit membres du GAMC sont le Zimbabwe (présidence), la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni, le Canada, le Ghana, la Malaisie, la Jamaïque et l'Afrique du Sud.

116. Communiqué de Presse du Commonwealth, "Fourth Meeting of the Commonwealth Ministerial Action Group on the Harare Declaration: Concluding Statement," Londres, le 28 août 1996.

117. Document ONU A/RES/50/199 du 11 mars 1996 où figure la résolution 50/199 du 22 décembre 1995 de l'Assemblée Générale sur la Situation des Droits de l'Homme au Nigéria.

118. "Statement by the Prime Minister, 10 November 1995," transcription du Ministère des Affaires Etrangères et du Commonwealth.

119. Invitation à la réunion de la Chambre de Commerce anglo-nigériane sur le budget nigérian, le 14 mars 1996.

120. Lettre datée du 11 septembre 1996 envoyée par le Ministère du Commerce et de l'Industrie à Human Rights Watch.

121. Les importations au Nigéria en 1991 étaient estimées à 436 millions de $US, 872 millions de $, 295 millions de $, 296 millions de $, et 58 millions de $ respectivement; les exportations vers l'Europe à 305 millions de $, 412 millions de $, 429 millions de $, 472 millions de $, et 1milliard 106 millions de $. Africa South of the Sahara 1996 (Londres: Europa Publications, 1996).

122. "Statement by the Press Secretary," Bureau du Porte-Parole de la Maison blanche, le 10 novembre 1995.

123. L'article 481 du FAA prévoit l'octroi annuel d'un certificat aux pays qui coopérent pleinement avec les Etats-Unis dans la lutte contre le trafic de stupéfiants. Si le certificat est refusé, comme cela a été le cas du Nigéria en 1994, 1995 et 1996, l'aide financière américaine ne peut pas être versée ou mise

à la disposition du pays en question, et les Etats-Unis doivent voter contre l'aide multilatérale de la banque de développement.

124. Transcription de la conférence de presse, Lagos, 1 juin 1996.

125. Voir Ron Nixon, "Divide and Rule: Selling Nigeria to American Blacks," The Nation, 26 mai 1996.

126. Reuters, le 6 décembre 1996.

127. "Mugabe: OAU Not To Suspend Nigeria at Organization Summit," South African Press Agency, le 9 mai 1996, diffusé par FBIS-AFR-96-092.

128. Par exemple, dans des déclarations à la Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples en décembre 1995 et mars 1996.

129. Chris Ndivanga, "Nujoma sticks to his guns on Nigeria," The Namibian (Windhoek), le 20 mars 1996.

130. "Appeals from UN, West Africa Softened Mandela Stance on Nigeria," AFP, le 2 juillet 1996.

131. "Execution of Ken Saro-Wiwa and his co-defendants," Déclaration du directeur de la SPDC Brian Anderson, le 14 novembre 1995; "Shell reaffirms support for Human Rights and Fair Trial," Communiqué de Presse de la Shell International Limited, le 30 janvier 1996.

132. "Fair Trials for the Ogoni 19," Communiqué de Presse de la Shell International Limited, le 17 mai 1996.

133. "Nigeria Brief: The Ogoni Issue," SPDC, janvier 1995.

134. Dans son rapport sur la crise ogoni de juillet 1995, Human Rights Watch/Africa explique en détail le rôle de la Royal Dutch/Shell dans le conflit. Human Rights Watch/Africa, "The Ogoni Crisis," p.36-40.

135. "Firearms - The Shell Position," Communiqué de Presse de la SPDC, le 17 janvier 1996; "Shell does not import firearms into Nigeria," Communiqué de Presse de la SPDC, le 31 janvier 1996.

136. "Shell and the Supernumerary Police in Nigeria," Communiqué de Presse de la SPDC, le 9 février 1996.

137. Polly Ghazi et Cameron Duodu, "How Shell tried to buy Berettas for Nigerians," The Observer (Londres), le 11 février 1996. Les poursuites ont été entamées by XM Federal Limited, une compagnie négociant des armes et enregistrée à Londres, et sa filiale nigériane contre la SPDC pour rupture de contrat. Human Rights Watch/Africa a vu les copies des pièces judiciaires dans lesquelles les plaignants affirment qu'ils procédaient à des achats pour Shell en vertu d'un contrat concernant la fourniture d'armes et de munitions, lorsque soudain la SPDC a indiqué dans une lettre à la police qu'elle trouvait le prix trop élevé et que "par conséquent, nous risquons de devoir suspendre toute activité de fourniture d'armes jusqu'à nouvel ordre." La SPDC a ensuite fait un nouvel appel d'offres au plaignant pour les mêmes armes. Le directeur général de la filiale nigériane n'a obtenu l'autorisation de l'Inspecteur Général de la Police de moderniser les armes et d'acheter des armes semi-automatiques, ce dont il était question dans le contrat, qu'après intervention personnelle sur ordre de Shell. Dans un courrier à la SPDC, la filiale nigériane a fait remarquer qu' "étant donné que le pays est soumis à un embargo de la part des nations occidentales, nous avons dû arranger une fourniture par le biais d'un tiers." Exposé des motifs de la plainte et annexes dans X.M. Federal Limited and Humanitex Nigeria Limited v. SPDC and Mr. Oteri, Dossier No. FHC/L/CS/849/95.

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