Africa - West

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V. LE ROLE DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

Au cours de la décennie écoulée, les interventions de la communauté internationale au Libéria, essentiellement sous les auspices des Nations Unies et de la CEDEAO, se sont surtout attachées à rétablir la paix à court terme, sans traiter de manière adéquate des causes profondes de la guerre, notamment l'impunité assurée aux auteurs de graves violations des droits humains et le mépris flagrant de l'état de droit au Libéria.

Les exemples abondent, en voici quelques-uns : pendant la guerre civile d'avant 1997, l'ECOMOG a activement contribué au Libéria à la prolifération des factions rebelles anti-Taylor qui ont été à l'époque responsables de graves abus et qui refont surface aujourd'hui, notamment parmi les combattants du LURD ; la présence des Nations Unies au Libéria pendant la guerre s'est limitée à une petite mission d'observation sans l'autorité nécessaire pour traiter des interférences politiques régionales ou des abus commis par l'ECOMOG, le Gouvernement libérien ou les forces rebelles ; l'ONU a soutenu l'accord de paix qui garantissait une amnistie générale aux combattants factieux et n'a pas créé de mécanisme international qui aurait demandé des comptes aux auteurs d'atrocités ; par crainte d'une reprise des combats, l'ONU s'est hâté d'organiser les élections nationales de 1997 avant même que d'importantes dispositions de l'accord de paix n'aient été mises en oeuvre, notamment la restructuration des forces de sécurité et le retour des réfugiés ; depuis les élections de 1997, le Bureau d'appui des Nations Unies pour la consolidation de la paix au Libéria (BANUL) est resté silencieux sur l'érosion continuelle de l'état de droit sous le Gouvernement Taylor.

Avec le Libéria de nouveau au bord du précipice, il est vital que la communauté internationale engage davantage d'efforts concertés pour empêcher la guerre de faire tâche d'huile et le déclenchement d'une nouvelle catastrophe pour les droits humains en Afrique de l'Ouest. La crise qui se développe au Libéria, si elle n'est pas traitée ni résolue, menace de saper la paix fragile et la stabilité difficilement établies en Sierra Leone et peut aussi déstabiliser la Guinée et l'ensemble de la région. Un engagement et une action internationale sont par conséquent urgents et devraient s'attacher à la fois aux abus de l'appareil sécuritaire du Gouvernement Taylor et à la répression qu'il mène au plan intérieur et aussi à la nature régionale du conflit.

En mai 2002, deux éléments significatifs pourraient jouer un rôle important dans l'évolution ce conflit : (1) La détermination du Conseil de sécurité des Nations Unies à renouveller ou non les sanctions contre le Libéria ; (2) Le début de l'aide militaire des Etats-Unis au Gouvernement de Guinée.

Les sanctions de l'ONU contre le Libéria

En mai 2002, le Conseil de sécurité va envisager d'étendre son embargo sur les armes à destination du Gouvernement du Libéria imposé en mai 2001, si ce Gouvernement n'a pas cessé de soutenir militairement et financièrement le RUF ni mis fin aux importations et à la vente des diamants non-taillés de Sierra Leone, en violation des sanctions de l'ONU.

L'action du Conseil de sécurité de l'ONU face au rôle déstabilisateur du Libéria dans la sous-région s'est fondée sur les conclusions du Groupe d'experts des Nations unies sur la Sierra Leone, créé en 2000 pour surveiller les violations de l'embargo sur les armes imposé au RUF en 1997 et les liens entre ces trafics d'armes et l'exportation des diamants de Sierra Leone3. Dans un rapport daté de décembre 2000, le Groupe avait conclu que le Libéria fournissait aux combattants du RUF entraînement, soutien logistique, base arrière et base de repli sûr, en échange des diamants extraits dans les mines sierra-léonaises. Ce rapport faisait le point sur les violations de l'embargo sur les armes à destination de la Sierra Leone et sur les liens entre le commerce des armes et celui des diamants et notait : ""Le président Charles Taylor est directement à l'origine de la violence qui sévit en Sierra Leone. C'est lui en effet qui, avec une petite coterie de responsables gouvernementaux et d'hommes d'affaires, contrôle un système occulte de contournement des sanctions qui donne lieu à des activités criminelles internationales visant à armer le RUF."4

En réponse, le Conseil de sécurité a considéré que le soutien du Gouvernement libérien au RUF représentait une menace à la paix internationale et à la sécurité dans la région et des sanctions ont été imposées au Libéria le 7 mars 2001. En mai 2001, le Conseil de sécurité a décrété une interdiction des exportations de diamants libériens (soupçonnés d'être, en fait, essentiellement des diamant produits en Sierra Leone), un embargo sur les armes à destination du Libéria et une interdiction de voyager à l'étranger pour le Président Taylor, les hauts responsables de son gouvernement et leurs familles5. Le 26 octobre 2001, le Groupe d'experts a noté  des "signes significatifs d'amélioration" de la sécurité dans la région depuis l'imposition des sanctions - en particulier le retour à la paix en Sierra Leone et la reprise du dialogue entre le Libéria et la Guinée à propos des raids transfrontaliers. Le rapport concluait que, bien que le Libéria ait pris des mesures pour se plier aux requêtes de l'ONU, notamment en maintenant au sol l'aviation libérienne soupçonnée de servir au contournement des sanctions, les ventes de diamants et d'armes s'étaient poursuivies en dépit de leur interdiction. Les experts indiquaient que "un flot constant de nouvelles armes a continué d'arriver dans le pays" en violation de l'embargo sur les armes et donnaient un compte-rendu détaillé de plusieurs violations de l'embargo en 2001.

Le Gouvernement libérien a rejeté ces conclusions lors du débat devant le Conseil de sécurité le 5 novembre 2001, estimant que les violations supposées s'étaient produites avant l'imposition des sanctions et que l'ONU ne tenait pas compte des nouveaux besoins sécuritaires du Libéria à la lumière des attaques menées par le LURD. Le Conseil de sécurité avait conclu au terme du débat que les conclusions des experts étaient valides et correspondaient aux termes de leur enquête.

Le 11 avril 2002, le Groupe d'experts a soumis son second rapport au Conseil de sécurité. Les experts y recommandaient de maintenir l'embargo sur les armes à destination du Libéria et qu'il soit régulièrement surveillé en raison de "preuves crédibles" selon lesquelles le Gouvernement du Libéria continue de le violer. Toutefois, le panel suggérait la révision des autres sanctions contre le Libéria à la lumière des évolutions positives du processus de paix en Sierra Leone et du relâchement des liens et le Gouvernement libérien et le RUF. Le Groupe recommandait aussi que les pays producteurs et exportateurs d'armes s'asbtiennent de ravitailler tous les pays de l'Union du Fleuve Mano et qu'un embargo à effet immédiat soit imposé à tous les acteurs non-étatiques opérant dans la région de l'Union du Fleuve Mano, dont le LURD.
Ce rapport servira au Conseil de sécurité dans ses débats sur l'opportunité de reconduire l'embargo et les sanctions contre le Libéria au-delà du 7 mai 2002.

L'assistance militaire américaine à la Guinée
Les Etats-Unis jouent un rôle important concernant le soutien apporté par la Guinée au LURD. Au moment où nous écrivons, les Etats-Unis s'apprêtent à entamer un programme, longtemps retardé, d'entraînement de l'armée guinéenne, particulièrement centré sur la sécurité frontalière. En juin 2001, l'administration Bush a averti le Congrès de son intention de fournir à la Guinée des matériels militaires non-mortels et de l'équipement pour une valeur de trois millions de dollars, afin d'aider ce pays à se défendre contre les activités déstabilisatrices du RUF et de Charles Taylor au Libéria. Le Congrès ayant exprimé des inquiétudes concernant des abus commis par l'armée guinéenne, des procédures supplémentaires de contrôle et de surveillance ont été ajoutées. Le programme avait été retardé, notamment parce que les instructeurs, membres des Forces Spéciales américaines, avaient été déployés à la fin de 2001 en Afghanistan, mais il est prévu qu'il soit mis en place en mai 2002. Selon des sources au sein du Département d'Etat, l'entraînement sera constitué de quatre périodes de six semaines pour quatre compagnies, mais une interruption est prévue après les deux premières semaines pour permettre une étude d'impact, comprenant notamment l'examen de la façon dont les troupes se comportent lorsqu'elles sont déployées sur la zone frontalière, ainsi qu'un contrôle de leur respect des droits humains. Selon les mêmes sources, les Etats-Unis ont également demandé au président Conte de réduire son soutien au LURD et ont averti que la seconde phase de l'entraînement ne commencerait que si la Guinée cessait tout soutien au LURD. De plus, le Congrès a approuvé pour l'année fiscale 2002 l'octroi de 26 millions de dollars au Programme de stabilisation pour l'Afrique de l'Ouest (West African Stabilization Program), qui fait partie du budget des opérations américaines de maintien de la paix et comprend 8 millions supplémentaires en entraînement et équipements des troupes préparées aux opérations de maintien de la paix en Sierra Leone, connues comme l'Operation Focus Relief.

Les Etats-Unis ont exercé sur le gouvernement libérien de fortes pressions pour qu'il s'attaque au problème des violations des droits humains. L'ambassadeur américain au Libéria a publié le 1er mars 2002 un communiqué condamnant la reprise des affrontements au Libéria et demandant au gouvernement libérien de prendre des mesures pour respecter les droits humains et appliquer les lois. Bien que le communiqué ne cite pas précisemment la Guinée, il appelle "toutes les parties de la région à cesser leur soutien à tout groupe tentant de parvenir à des changements politiques en usant de violence et à respecter les frontières de ses voisins".6

Les relations entre le Libéria et les Etats-Unis se sont détériorées quand le rôle du président Taylor dans la poursuite des combats en Sierra Leone est devenu plus évident. En application des sanctions imposées par les Nations Unies en mai 2001, les Etats-Unis ont interdit l'importation des diamants non-taillés du Libéria. L'administration Bush a poursuivi la politique de l'administration Clinton consistant à isoler M. Taylor politiquement et diplomatiquement, même si cela fût fait moins ouvertement. Les membres de l'administration Bush ont insisté sur le fait que tant que M. Taylor ne mettra pas fin à ses man_uvres de déstabilisation de la sous-région, au nombre desquelles son soutien au RUF sierra-léonais, la position américaine restera inchangée.

Bien que les Etats-Unis aient mentionné leur inquiétude à propos de la situation des droits humains en Guinée dans le rapport annuel au Congrès sur les droits humains, les Etats-Unis n'ont fait aucune déclaration publique condamnant le soutien de la Guinée aux incursions menées par le LURD.7

3 La résolution 1132 (1997) du Conseil de sécurité interdisait les ventes d'armes à la Sierra Leone ; la résolution 1171 (1998) reconduisait l'embargo mais en spécifiant qu'il ne s'appliquait qu'aux forces non-étatiques en Sierra Leone.

4 Rapport du Groupe d'experts constitué en application du paragraphe 19 de la résolution 1306 (2000) du Conseil de sécurité concernant la Sierra Leone, para. 212, disponible sur http://www.un.org/Depts/dpko/dpko/1195.pdf

5 Résolution du Conseil de sécurité 1343 (2001) imposant au Liberia:
1.un embargo sur l'exportation d'armes et matériel approprié vers le Libéria donc des armes, des munitions, des véhicules militaires et des équipements, des équipements para-militaires et des pièces de rechange, ainsi qu'une interdiction de fournir au Libéria toute assistance technique liée ou formation liée à la fabrication, l'approvisionnement ou la maintenance de ces articles ;
2.l'interdiction d'importer des diamants bruts en provenance du Libéria, qu'ils soient ou non d'origine libérienne ;
3. l'interdiction de voyage pour les hauts responsables du Gouvernement libérien et leurs épouses ainsi que des individus apportant soutien financier et militaire aux groupes rebelles armés dans les pays voisins du Libéria, comme précisé par le Comité des sanctions des Nations Unies .
Cette résolution remplaçait l'ancien embargo sur les armes imposé durant la guerre civile à tous les groupes rebelles par la résolution 788 (1992) du Conseil de sécurité. L'embargo sur les armes et l'interdiction d'assurer l'assistance adéquate et la formation sont entrés immdiatement en vigueur pour une période de quatorze mois. L'embargo sur les diamants et les voyages est entré en vigueur deux mois plus tard, le 7 mars 2001, pour une période de douze mois.

6 Service des relations publiques de l'ambassade américaine: "Communiqué de l'ambassadeur Bismark Myrick à propos de la reprise des combats au Libéria", 1er mars 2002.

7 Dans son rapport 2001 sur le respect des droits humains en Guinée, le Département d'Etat note: "Les membres des forces de sécurité commettent fréquemment de sérieuses atteintes aux droits humains, bien qu'il y ait eu moins d'abus qu'au cours des annéees précédentes... Les atteintes sérieuses aux droits humains comprennent : exécutions extra-judiciaires, disparitions, emploi de la torture, coups, viols par des membres de l'armée et de la police, mauvais traitements des détenus et prisonniers par la police. Soldats, policiers et membres des milices ont tué, frappé et violé des citoyens, ainsi que des réfugiés de Sierra Leone et du Libéria. Les forces de sécurité procèdent à des arrestations et à des détentions arbitraires, ils commettent ces abus en toute impunité. Les conditions de détention dans les prisons sont inhumaines et, ajoutés à des soins médicaux inadéquats, mettent la vie des détenus en danger. La détention préventive prolongée pose un problème... » Disponible à l'adresse internet : http://www.state.gov/g/drl/rls/hrrpt/2001/af/8383.htm.

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