Africa - West

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IV. PERSPECTIVES DE PAIX DURABLE DANS LA REGION DU FLEUVE MANO

Les dynamiques du conflit dans la sous-région
Le conflit en cours au Libéria est particulièrement complexe en raison d'un réseau d'alliances politiques et militaires fluctuantes, fondées sur l'ethnicité et autres facteurs, qui se sont nouées au cours des dernières années entre les gouvernements du Libéria, de Sierra Leone et de Guinée et les divers mouvements d'opposition armée. En conséquence, les conflits dans les trois pays se sont enchevêtrés et sont déjà potentiellement à même de submerger les pays voisins et de les déstabliser.

Charles Taylor, tant comme dirigeant du NPFL que comme Président du Libéria depuis 1997, en est le principal responsable pour avoir instigué une aggression de longue haleine et la violence dans la sous-région, au Libéria et -par son soutien au RUF- en Sierra Leone. Pendant la guerre civile libérienne d'avant 1997, le NPFL de Taylor apportait un soutien militaire et logistique significatif au RUF de Foday Sankoh afin de l'aider à faire la guerre contre le gouvernement de Sierra Leone. Le RUF a commis des atrocités de grande ampleur contre les civils sierra-léonais, les tuant et mutilant par milliers et signant ses méfaits en amputant les mains de ses victimes. Taylor a continué de soutenir le RUF bien après qu'il fut devenu président du Libéria en 1997, en violation des deux embargos décrétés par les Nations Unies à l'encontre du Libéria et du RUF. En retour, quand Taylor s'est retrouvé en but à des attaques des rebelles libériens en 1999, 2000 et 20001, les forces du RUF l'ont aidé à les repousser hors du Libéria.

Le soutien de Taylor au RUF a été contré par la Sierra Leone et la Guinée. Pendant la guerre civile au Libéria, ces deux pays, avec le soutien de la force de maintien de la paix ouest-africaine dirigée par le Nigeria, l'ECOMOG, ont apporté leur soutien à une faction rebelle anti-Taylor, le Mouvement Uni de Libération pour la Démocratie au Libéria (United Liberation Movement for Democracy in Liberia, ULIMO). Les forces de l'ULIMO entraient au Libéria par la Sierra Leone et comptaient sur la Sierra Leone pour le soutien logistique. En retour, les combattants de l'ULIMO ont apporté leur aide au Gouvernement sierra-léonais en guerre contre le RUF.

Depuis juin 2000, les combattants du LURD basés et financés par la Guinée ont lancé des attaques éclairs répétés contre les villes du noirs-ouest du Libéria. En représailles, entre septembre 2000 et avril 2001, les forces combinées des troupes gouvernementales libériennes, du RUF et de rebelles guinéens ont mené des raids en territoire guinéen, attaquant des villes et des camps de réfugiés sierra-léonais et libériens, obligeant des milliers d'entre eux à se déplacer de nouveau, tuant et blessant des centaines de de ces réfugiés et de civils guinéens.

Ces incursions dirigées par les Libériens en territoire guinéen ont été contrées par les forces gouvernementales guinéennes, avec le soutien de membres des milices de défense civile de Sierra Leone et des combattants du LURD basés en Guinée. Ils ont repoussé les forces du Libéria et de Sierra Leone, tandis que l'armée guinéenne déclenchait des raids héliportés, mais aussi des attaques à l'artillerie et au sol dans les zones tenues par le RUF dans le nord de la Sierra Leone, tuant de nombreux civils et incendiant des villages.

Alors que le conflit en Sierra Leone baissait d'intensité, grâce au déploiement sur son territoire d'une force de maintien de la paix des Nations Unies, à la démobilisation des combattants et aux élections prévues en mai 2002, le conflit au Libéria même a été exacerbé à partir de septembre 2001 par l'arrivée, comme mercenaires, de nombreux anciens combattants de la guerre civile sierra-léonaise. Parmi eux se trouvent des anciens du RUF, des milices de défense civile (essentiellement des Kamajors) et des West Side Boys (comprenant notamment d'anciens soldats de l'armée sierra-léonaise) qui ont signé soit du côté du Gouvernement libérien, soit du ôté du LURD.

Ce sont les civils qui ont supporté le poids de la violence et des abus commis lors des conflits du Libéria et dans les autres pays de l'Union du Fleuve Mano et il est clair qu'il continuera d'en être ainsi si le conflit actuel doit continuer de s'étendre. Il est donc impératif que tous les efforts possibles soient entrepris par la communauté internationale pour mettre fin aux combats et pour créer les conditions d'une paix durable et protéger les droits humains.

Dans ce contexte, la priorité doit être de maintenir et renforcer les mandats de l'ONU sur le contrôle des trafics armes qui pourraient déstabiliser la sous-région ; de créer les institutions et mécanismes nécessaires pour briser le cycle de l'impunité ; et de s'assurer que les responsables des violations des droits humains seront tenus de rendre des comptes. Pour y parvenir, la communauté internationale devra adopter une approche sous-régionale globale, seul espoir de parvenir à une paix durable au Libéria.

La Guinée et le conflit libérien

Les Gouvernement de Guinée alimente le conflit au Libéria en apportant son soutien logistique, financier et militaire aux rebelles du LURD, même si les combattants du LURD se sont plaints auprès de Human Rights Watch qu'ils recevaient de Guinée des matériels inadaptés. Des preuves attestent que cet aide est apportée en pleine connaissance et avec le soutien de responsables guinéens de haut-rang. Le responsable du LURD Sekou Conneh, un Mandingue du Libéria, a accès au Président guinéen Lansana Conté par l'intermédiaire de sa femme, Ayesha Conneh, qui a été le conseiller spirituel du Président depuis qu'elle a prédit une tentative de coup d'Etat en 1996. Human Rights Watch a interrogé une quinzaine de recrues du LURD originaires de Sierra Leone qui, après avoir gagné Conakry par bateau, ont raconté comment ils avaient été pris en charge sur le quai par des militaires guinéens en uniformes. Ensuite, ils ont été, selon leur récit, hébergé dans des "lieux sûrs" fréquentés par des hommes en uniformes militaires. La plupart disent avoir été transportés de Guinée vers le Libéria par convois militaires, durant lesquels ils recevaient de nouveaux uniformes et de nouvelles armes dont leurs commandants leur disaient qu'ils venaient de Guinée. Quelques témoins ont assuré avoir vu des hommes en uniformes de l'armée guinéenne entrer et sortir des camps du LURD autour de Kolahun et de Voinjama. De nombreux civils utilisés par le LURD comme porteurs ont raconté à Human Rights Watch comment ils avaient été forcés de marcher jusqu'à la frontière avec la Guinée où ils chargeait les armes, les munitions et les fournitures pour retourner ensuite aux bases du LURD dans le comté de Lofa. Des combattants du LURD blessés et des civils libériens ont indiqué avoir été évacués des villes du comté de Lofa vers les hôpitaux de Conakry pour y être soignés.

Compte tenu de ces liens étroits entre le Gouvernement de Guinée et les rebelles du LURD au Libéria, la participation des troupes gouvernementales guinéennes à la Mission de maintien de la paix des Nations Unies en Sierra Leone, la MINUSIL, devrait être considérée avec inquiétude. Le contingent guinéen de la MINUSIL est actuellement déployé dans le district sierra-léonais de Pujehun qui borde la frontière avec le Libéria, faisant craindre que cette région à son tour ne devienne une base d'opérations pour le LURD qui disposerait alors de deux axes pour attaquer le Libéria. Certains problèmes ont déjà été signalés. Le 27 février 2002, une trentaine de soldats guinées de la MINUSIL, sous le commandement du Capitaine John Fadika, ont pénétré dans le camp de réfugiés libériens de Jimmi Bagbo en Sierra Leone, soit disant "en mission" ; ils ont interrogé les réfugiés sur l'origine de la population du camp et ont ordonné à une femme réfugiée de leur faire la cuisine. Cet incident qui a effrayé les réfugiés libériens a constitué une violation des règles de la MINUSIL et des normes internationales de protection des réfugiés, qui garantissent le caractère civil et humanitaire des camps de réfugiés ; cette incursion s'est effectuée sans notification préalable au bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), qui gère le camp. Bien que des mesures punitives aient été immédiatement prises par la MINUSIL et le HCR à l'encontre des troupes guinéennes, cet incident illustre avec quelle facilité le contingent guinéen de la MINUSIL pourrait utiliser sa position à mauvais escient pour accéder aux réfugiés libériens en Sierra Leone et les intimider.

La Sierra Leone et le conflit libérien
Un nombre croissant de réfugiés libériens et de combattants traversent la frontière avec la Sierra Leone. Dans le même temps, les combattants du LURD recrutent clandestinement et installent une ligne d'approvisionnement le long de la frontière entre la Sierra Leone et le Libéria, bien que le Gouvernement sierra-léonais ait refusé d'autoriser le LURD à opérer depuis son territoire. Ceci pourrait compromettre la sûreté et la sécurité des réfugiés libériens et déstabiliser la paix fragile en Sierra Leone.

En février 2000, le UNHCR avait enregistré quelque 10.000 réfugiés libériens dans les camps et estimait que 10.000 autres vivaient sans assistance internationale dans les villes frontalières. Le HCR s'attend à ce que ces chiffres gonflent de façon significative et prépare l'arrivée de 50.000 réfugiés libériens supplémentaires en Sierra Leone dans le courant de l'année. Des efforts sont par ailleurs en cours pour éloigner les réfugiés de la région frontalière conformément aux standards internationaux de protection des réfugiés.

Outre la question des réfugiés, les troupes gouvernementales libériennes, comme les rebelles du LURD, traversent souvent la frontière de la Sierra Leone dans le but de piller, de vendre le butin de leurs pillages, d'acheter des vivres, d'échapper aux combats et, dans certains cas, d'enlever des gens qu'ils forcent ensuite à travailler pour eux comme porteurs. En février 2002, par exemple, les soldats des AFL ont fait leur aparition à Batwono et Bobu, du côté sierra-léonais de la frontière et ont obligé les habitants à leur acheter les biens qu'ils avaient pillés. En mars 2002, les forces du LURD ont attaqué le village de Baladu en Sierra Leone, tuant un civile et en enlevant dix autres comme porteurs. On peut aussi trouver côté sierra-léonais des déserteurs de l'armée libérienne qui pourraient poser une menace supplémentaire à la sécurité. Il semble qu'il n'y ait pas de réelle politique, ni de la part du Gouvernement sierra-léonais ni de celle de la MINUSIL, pour faire face à ce problème. Au cours du premier trimestre de l'année 2002, la police sierra-léonaise a détenu au moins six soldats des AFL, dont un lieutenant-colonel.

Il est urgent de renforcer la sécurité à la frontière, notamment en mettant en place des opérations de tri qui permettent de distinguer les combattants et de les séparer des civils qui cherchent refuge et protection en Sierra Leone. Le Gouvernement de Sierra Leone doit établir une présence policière adéquate le long de la frontière et mettre en place un organisme spécialisé chargé de distinguer les combattants des réfugiés. En outre, il est nécessaire d'améliorer les mesures prises pour garantir que les réfugiés sont convenablement protégés et assurer le caractère civil de tous les camps de réfugiés.

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