Africa - West

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II. LE GOUVERNEMENT LIBERIEN

Violations des droits humains commises par les Forces du Gouvernement libérien et les milices
Les forces du Gouvernement liébrien et les milices ont commis des abus à grande échelle contre les civils, en particulier dans les comtés de Lofa et de Cape Mount, dans le nord-ouest du pays. Ces forces comprennent l'armée régulière connue comme les Forces armées du Libéria (Armed Forces of Liberia, AFL), ainsi que l'Unité para-militaire anti-terroriste (Anti-Terrorist Unit, ATU) et diverses milices (voir ci-dessous). Selon de nombreuses victimes et de nombreux témoins interrogés par Human Rights Watch, ces violations sont généralement commises selon le même modèle. Après avoir chassé les forces du LURD d'une zone, les forces gouvernementales pourchassent et arrêtent la population locale qu'elles sont allées rechercher dans la brousse, dont les civils. Ceux qui sont soupçonnés d'avoir soutenu le LURD sont battus, torturés ou sommairement exécutés, parfois en les regroupant dans des maisons que les soldats incendient, brûlant vives leurs victimes. Les jeunes femmes et les filles sont souvent violées et forcées de devenir les "épouses" des soldats ; les jeunes gens sont soumis au travail forcé, obligés de porter le butin des pillages et les armes saisies ; et les villages sont systématiquement rasés. Les forces gouvernementales usent à la violence pour rassembler les civils qui tentent de fuir les combats et séparent les jeunes gens enrôlés pour la conscription en recourant à des méthodes contraires aux droits humains. Parfois, des garçons sont concernés par la conscription. Ces conscripts sont ensuite envoyés au front, souvent sans entraînement approprié.

Au cours des ses recherches pour l'élaboration de ce rapport, Human Rights Watch a recueilli des témoignages de première main sur les nombreux incidents au cours desquels les forces gouvernementales ont commis de massives violations des droits humains. Certaines sont bièvement décrites ci-dessous ; des extraits des dépositions de témoins oculaires de certains des événements sont également consignés dans la dernière partie du rapport :

· En avril 2001, les troupes des AFL ont mené une opération contre une petite clinique de Sasahun et exécuté six adultes, dont un patient qui se remettait d'une appendicite.
· En juillet 2001, les troupes des AFL ont rassemblée des centaines de civils et immolé au moins une quinzaine d'entre eux à Kamatehun.
· En septembre 2001, de nombreux civils de l'ethnie Gbandi qui avaient été capturés dans la brousse par les forces des AFL ont été emmenés à Kamahetun où les soldats ont jeté de force une trentaine d'entre eux dans des maisons auxquelles ils ont mis le feu, les brûlant vifs. Les troupes ont tué quinze autres civils en leur tranchant la gorge.
· Toujours en septembre 2001, trois jeunes accusés de soutenir le LURD ont été détenus par les soldats des AFL à Masambalahun et plus tard ont été tués.
· En octobre 2001, les soldats des AFL ont forcé les civils qu'ils avaient attrapés dans leurs cachettes à porter des caisses de munitions jusqu'à Vahun et ensuite à se mettre en rang, tuant six d'entre eux ; ensuite ils ont enfermé six autres dans une maison et les ont brûlé vifs.
· En décembre 2001, les soldats des AFL qui venaient de déloger les forces du LURD de Kolahun ont ouvert le feu sans discrimination sur des maisons de la ville, tuant des civils et ont collectivement violé six femmes et filles dont une fillette de douze ans et une femme enceinte. Quand les soldats ont quitté la ville, ils ont obligé les civils à porter les biens qu'ils avaient pillés jusqu'à Foya, à deux heures et demi de marche de là.
· Le même mois, entre Yenahun et Kamatehun, les soldats gouvernementaux ont violé de nombreuses femmes et exécuté une famille qui tentait de partir en guise d'exemple.
· En janvier 2002 à Sawmill, les soldats des AFL ont tué à bout portant une femme de trente ans et ont blessé son fils de quatre ans quand elle a ouvert la porte de sa maison.
· En février 2002, les officiers de l'ATU à Klay ont arrêté et torturé trois hommes qu'ils accusaient d'être des rebelles, avant de les relâcher le lendemain matin.

Les soldats gouvernementaux et les miliciens ont été aussi responsables de pillages de grande ampleur à la fois dans les villes et les villages qu'ils occupaient et aux barrages sur les routes. Les habitant sont souvent de porter le butin des pillages et les armes saisies par l'armée sur de longues distances. Alors que les civils fuient les zones de conflit, ils sont régulièrement rançonnés par les soldats pour pouvoir passer les contrôles en toute sécurité et pour traverser la frontière avec la Sierra Leone.

Bien que le Vice-Ministre de la défense et le commandant en chef des AFL l'aient nié devant Human Rights Watch, des centaines d'hommes civils et parfois des garçons ont été obligés de combattre pour le compte du gouvernement. Les procédures et les critères de la conscription n'ont pas été clairement établis ni publiés ; les recrues ne sont pas averties à l'avance de leur enrôlement, ni de sa durée, ni du lieu où ils vont être entrainés puis envoyés combattre. Human Rights Watch a obtenu copie d'un "rapport d`activités" datant d'octobre 2001 établi par un certain Capitaine Bill Dunbar (Opérations Spéciales Jungle Lion, à Foya) et confirmant l'existence d'une politique d'enrôlement forcé de la part des AFL dans le comté de Lofa. Selon le rapport, "...les jeunes gens, parmi les civils récupérés dans la brousse, sont sélectionnés et recrutés pour être envoyés dans des base où ils sont soigneusement sélectionnés". En annexe du rappport, figuraient les noms de quelques 350 civils capturés par le Gouvernement.

Le recrutement forcé de jeunes gens et parfois de garçons par le Gouvernement s'accompagne souvent d'abus tels que la détention arbitraire et les mauvais traitements, puis les recrues sont déployées sans aucun avis préalable, ni à eux ni à leurs familles et avec peu ou pas de formation. En février 2002, après que le Président Taylor eut accusé les habitants de certains quartiers de Monrovia d'abriter des rebelles, les policiers de la Division des Opérations Spéciales (Special Operations Division, SOD) ont fouillé les maisons l'une après l'autre et systématiquement regroupé les hommes. Des centaines de jeunes gens et même des garçons ont été arbitrairement détenus, battus et accusés de soutenir les rebelles. Beaucoup se sont vus sommer de choisir entre verser un pot-de-vin ou être envoyés au front. Ceux qui ne pouvaient payer ont été enrôlés de force. Human Rights Watch a interrogé un réfugié libérien qui avait reconnu cinq civils : ceux-ci avaient été regroupés et détenus à Monrovia avant d'être déployés aux points de contrôle du Gouvernement du comté de Cape Mount, sans qu'il leur soit donné la possibilité de prévenir leurs familles et sans non plus un entraînement adéquat. Human Rights Watch a également les preuves d'autres cas dans lesquels des déplacés qui fuyaient les combats ont été ainsi abusés, regroupés par la force dans les forêts ou aux barrages. Les jeunes gens étaient ensuite séparés de leurs familles et emmenés pour être enrôlés par l'armée.

Face à la reprise des opérations rebelles et à la publicité internationale négative, le Gouvernement Taylor est devenu de plus en plus intolérant. Notamment, il a intensifié le harcèlement et les intimidations de la presse indépendante, des groupes de la société civile et des groupe d'opposition politique légaux. Depuis l'imposition de l'état d'urgence en février 2002, le gouvernement a effectué de nombreuses arrestations avec clairement l'intention de réduire ses critiques au silence :

· Les journalistes Stanley Seekor, J. James et Ellis Togba, du journal The Analyst ont été brièvement détenus et menacés après que leur journal eut publié un article contestant l'état d'urgence.
· Les autorités ont également détenu plusieurs heures durant Frances Johnson Morris, directrice de la Commission catholique du Libéria pour la justice et la paix, au milieu de prisonniers mâles à la prison du quartier-général de la police à Monrovia, officiellement sur la base d'une "confusion d'identité", mais quelques jours seulement après qu'elle eut publiquement soulevé des interrogations sur l'état d'urgence.
· Le 27 mars, Nipla Wiaplah, président du parti du New Deal Movement, a été détenu sans charge plusieurs jours par la police, le temps que celle-ci décide si un article qu'il avait signé dans The News constituait ou non une menace à la sécurité nationale. Le rédacteur en chef de The News Jerome Dalieh et le directeur de l'information Nill Jarkloh ont été également brièvement détenus pour le même article.
· Après que le Centre national pour les droits humains au Libéria, coalition de neuf organisations non gouvernementales de défense des droits humains, eut émis plusieurs communiqué de presse pour protester contre les abus commis par le Gouvernement, cinq de ses membres -- Aloysius Toe, Tunny Zeogar, Peter Nickoson, John Okai et Sam Nimely -- ont été arrêtés le 28 mars et détenus sans charge pendant plusieurs jours. Bien qu'ils aient été relâchés sur ordre du tribunal, ils ont été de nouveau arrêtés peu après et accusés de "malveillance criminelle" et "placés en détention préventive et déchargé de leurs devoirs".
· Augustine Toe de la Commission Justice et Paix a été arrêtée le 28 mars et détenue sans charge pendant plusieurs heures.
· Le 24 avril, un avocat des droits humains, Tiawan Gongloe, a été arrêté sans charge par la police et battu si fort qu'il a été incapable de se tenir debout et a dû être hospitalisé. Il s'était élevé contre les abus des forces de sécurité et autres violations des droits humains. Le journal The Analyst qui s'était fait l'écho d'une déclaration récente de Gongloe lors d'une conférence sur la paix dans la région de l'Union du fleuve Mano a été fermé sur ordre des autorités.

Mais le conflit a également pris une dimension ethnique, le Gouvernement Taylor accusant sans distinction les citoyens des ethnies Mandingue, Krahn et Gbandi de soutenir les incursions des rebelles. Des membres de ces communautés, en conséquence, sont confrontés à une discrimination croissante, à des arrestations arbitraires et à la violence de la part du Gouvernement et de ses partisans, sur la seule base de leur appartenance ethnique. De nombreux combattants du LURD sont Mandingue ou Krahn et auraient combattu avec les anciens rebelles de l'ULIMO lors de la guerre civile avant 1997. Par conséquent, les autres Mandingues et Krahns, comme les Gbandis, sont clairement considérés comme suspects par le Gouvernement et ont été accusés d'être partisans des rebelles. De leur côté, les forces du LURD ont commis parmi les pires abus contre les civils de l'ethnie Kissi, peut-être parce que les rebelles du RUF, en Sierra Leone, alliés de longue date du Gouvernement Taylor, avaient auparavant leur fief dans une zone Kissi de la Sierra Leone. Human Rights Watch a entendu parler de nombreux cas dans lesquels des combattants des AFL avaient escorté des civils Kissi qui fuyaient les combats pour aller se mettre en sécurité en Sierra Leone.

Les responsables des abus chez les forces gouvernementales
L'une des étapes les plus importantes pour la reconstruction du Libéria après sept ans de guerre civile, en 1997, fut la restructuration et la formation des forces armées du pays ainsi que des agences chargées de l'application de la loi. Les AFL avaient une longue histoire de violations des droits humains bien avant et après la guerre civile et de, chaque côté, on comptait des milliers d'anciens combattants à démobiliser et à réintégrer dans la société1. En vertu des Accords de paix d'Abuja qui mettaient fin au conflit, la restructuration devait être conduite par la force de maintien de la paix ouest-africaine, ECOMOG (the Economic Community of West African States Monitoring Group) et la nouvelle armée reconstituée du Libéria ainsi que la police devaient être constituées de toutes les factions démembrées du pays.

L'une des premières décisions politiques du Président Taylor fut de refuser de laisser l'ECOMOG se mêler de ce processus. A la place, il a reconstitué les forces de sécurité et la police en ne recourant qu'à ses anciens combattants, purgeant et marginalisant les troupes des AFL qui s'étaient opposées à lui pendant la guerre et créant des nouvelles forces de sécurité qui n'en référaient qu'à lui-même. Les Libériens ont commencé à avoir des problèmes avec la nouvelle armée et la police pratiquement immédiatement.

Peu après son entrée en fonction en 1997, le Président Taylor a créé deux corps paramilitaire d'élite, l'Unité Anti-Terroriste (ATU) et le Service spécial de sécurité (SSS) ; ces deux unités ne rapportent qu'à Taylor et commettent des abus en toute impunité. L'ATU est dirigé par le fils du président, Charles Taylor Jr et le SSS par Benjmain Yeaten. Aucune de ces deux forces n'a de fondement légal ni de budget de fonctionnement inscrit au budget de l'Etat. Il n'y a aucun mécanisme qui permettrait aux victimes d'abus de ces forces de déposer plainte auprès d'un organe de l'Etat pour obteninr réparation. Les deux forces sont devenues bien connues pour leurs abus, notamment à l'encontre des civils, les extorsions de fonds et les pillages. Il y a également eu des informations selon lesquelles l'ATU se seraient livrée à des exécutions sommaires, à des tortures, notamment sur sa base de Gbatala. Les victimes de ces tortures ont notamment été plongées dans des trous creusés dans le sol et remplis d'eau, brûlées avec du plastic fondu, battues, sexuellement abusées et forcées à boire leur urine ou à manger des mégots de cigarettes. En outre, à l'intérieur de la Police nationale du Libéria, dirigée par Paul Mulbah, la Division des opérations spéciales (SOD), unité d'élite, a été créée après l'arrivée au pouvoir de Taylor et largement composée d'anciens combattants de la faction de Taylor ; cette unité de police a été également responsable d'arrestations arbitraires, de mauvais traitements et d'extorsions.

Le Ministèe de la défense, dirigée par Daniel Chae, supervise les AFL désormais marginalisées mais semble aussi avoir pris certaines mesures pour contrôler les milices. Malgré de nouvelles recrues, les AFL comptent toujours dans leurs rangs de nombreux soldats qui ont servi sous l'ancien Gouvernement du Président Samuel Doe (1990-1989), peut-être pour assurer de leur loyauté le Gouvernement Taylor. Pour cette raison, les AFL n'ont pas l'entière confiance du Gouvernement et leurs soldats ne sont pas bien équipés ni régulièrement payés. Même ainsi, les AFL constituent toutefois la principale force de combat du Gouvernement qui a envoyé un nombre important d'ente elles contrer les incursions rebelles. Ces soldats ont la bride sur le cou pour se payer eux-mêmes grâce aux pillages. En particulier, Human Rights Watch a reçu des témoignages consistants sur des abus commis par des soldats, notamment ceux qui servent dans la division Opération Jungle Lion des AFL et qui portent souvent des tee-shirts jaunes.

Human Rights Watch a recueilli de nombreuses informations troublantes selon lesquelles le Gouvernement libérien a, dès le début des incursions du LURD, créé plusieurs nouvelles milices dont les effectifs, les structures et les dirigeants restent obscurs. Le commandement des AFL comme les responsables du Ministère de la défense ont déclaré à Human Rights Watch que les lignes de front des troupes gouvernementales ne sont pas seulement tenues par les AFL mais de plus par des groupes miliciens composés pour l'essentiel d'effectifs remobilisés d'anciens du NPFL de Charles Taylor pendant la guerre civile. Des centaines d'anciens combattants, dont beaucoup avaient été recrutés enfants à l'origine, sont en train d'être regroupés, organisés et soutenus par d'anciens commandants de Taylor comme Roland Duo, le chef de la sécurité de la National Port Authority, qui dirigerait un groupe de miliciens dans le comté de Lofa, ou encore Melvin Sobandi, vice-Ministre des Transports, ou Siaffa Norman et Adolphus Dolo. Les opérations des milices contre le LURD semblent être placées sous la supervision d'un allié de longue date de Taylor, Kuku Dennis, un homme d'affaires qui a des intérêts dans le bois du comté de Nimba. En mars 2002, Human Rights Watch a interrogé trois jeunes gens, anciens de "l'Unité des Petits Garçons" (Small Boys Unit, SBU) du NPFL, qui étaient en cours d'entraînement pour le compte d'une nouvelle milice qu'ils appelaient l'Unité des opérations spéciales Executive Mansion. Les milices intègreraient également d'anciens membes du groupe rebelle sierra-léonais du RUF, dont beaucoup ont gagné le Libéria pendant et après le processus de désarmement en Sierra Leone.

Les différents organismes chargés de la sécurité et les milices ont des pouvoirs étendus, des mandats mal définis et des fonctions qui se chevauchent les unes les autres. Cette situation suscite des manoeuvres pour le pouvoir entre les différents groupes et contribue au manque de responsabilisation de chacun. L'appareil sécuritaire d'Etat tel qu'il existe aujourd'hui au Libéria sape toute possibilité de respect des droits humains et de consolidation de la paix au Libéria.

1 Les six factions de la guerre de sept ans du Libéria furent : le Front National Patriotique du Libéria (NPFL) dirigé par Charles Taylor; les anciennes Forces armées du Libéria (AFL) du gouvernement ; deux factions rivales du Mouvement uni de libération pour la démocratie au Libéria (ULIMO), l'un dirigée par Al-Haji Kromah et représentant les intérêts de l'ethnie Mandingue et l'autre par Roosevelt Johnson et représentant les intérêts de l'ethnie Krahn ; le Conseil pour la paix au Libéria et la Force de défense Lofa (LPC).

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