Africa - West

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I. RESUME

Les forces du Gouvernement libérien qui combattent les rebelles du mouvement des Libériens Unis pour la réconciliation et la démocratie (Liberians United for Reconciliation and Démocraty, LURD) ont commis des crimes de guerre et autres graves violations des droits humains, dont des exécutions sommaires sur de nombreux civils, des viols à grande échelle de femmes et jeunes filles, ainsi que des pillages et incendies de villages. Des centaines de civils ont été enrôlés de force et envoyés au front de façon autoritaire, sans notification préalable ni autre forme de procédure et, souvent, avec peu ou même aucun entraînement militaire. Les forces du LURD ont également commis de sérieuses violations des droits humains, même si furent moins répandues, se livrant à des exécutions sommaires sur de présumés collaborateurs du Gouvernement, à des viols et au recrutement forcé de civils, dont des enfants.

Moins de cinq ans après que le Libéria eut entamé une fragile transition vers la paix, le pays se retrouve de nouveau plongé dans la guerre. Des dizaines de milliers de Libériens ont été forcés de quitter leurs maisons en raison de la persistance des combats dans le nord-ouest, où une incursion rebelle a commencé en juillet 2000. Cette incursion a déclenché la cinquième explosion de violence depuis les élections nationales de 1997 qui avaient mis fin à sept ans de guerre civile. Des attaques rebelles plus proches de la capitale Monrovia, au début de 2002, ont provoqué de nouveaux flux de réfugiés et déplacés. Cette situation a amené le Président Charles Taylor à déclarer l'état d'urgence le 8 février 2002 et entraîné l'arrestation de centaines de personnes à Monrovia, soupçonnées de soutenir le LURD.

De nombreux témoignages recueillis par Human Rights Watch entre juin 2001 et mars 2002 au Libéria et dans les pays voisins, Sierra Leone et Guinée, ont apporté les preuves irréfutables qu'à la fois les forces du Gouvernement libérien et celles du LURD avaient commis des crimes de guerre et autres graves violations des droits humains contre des civils. Pendant son enquête pour établir ce rapport, Human Rights Watch a interrogé plus de trois cents victimes et témoins de ces abus, des responsables de l'armée libérienne et du Ministère de la Défense, ainsi que des commandants du LURD.

Le tableau qui en émerge montre des troupes gouvernementales et des milices pro-gouvernementales qui assassinent sommairement, torturent et violentent les civils, violent les femmes et les filles et enlèvent des civils pour les forcer à travailler ou à se battre dans le nord-ouest. Elles ont systématiquement pillé et incendié des villages et, dans certains cas, les troupes gouvernementales postées aux points de contrôle ont empêché les déplacés civils de se mettre en sécurité. Des soldats du Gouvernement ont systématiquement extorqué de l'argent ou autres biens à ceux qui cherchaient un refuge. Au nom de la menace rebelle, le Gouvernement du Libéria est en train de remilitariser la société, remobilisant les anciens combattants et laissant proliférer les groupes miliciens. Le Gouvernement a recruté de force des centaines de jeunes gens sans tenir compte de leurs droits. Aucune règle, aucun critère publiquement énoncé, ne régisse la circonscription nationale et les conscrits ne reçoivent aucune notification préalable, aucune indication sur la durée pendant laquelle ils seront forcés de servir, ni n'ont la moindre idée sur le lieu où ils vont être formés ou emmenés combattre. Dans de nombreux cas, ils n'ont de fait reçu aucune formation avant d'être déployés sur le terrain. Et au cours des combats, ils ont souvent reçu l'ordre de commettre des abus des droits humains.

Les forces rebelles du LURD ont elles aussi commis de massives violations des droits humains, parmi lesquelles des exécutions sommaires, des enlèvements, des viols et autres abus dans le cadre des recrutements forcés d'hommes et de garçons et du travail forcé. Les abus commis par les rebelles apparaissent toutefois moins étendus et moins systématiques que ceux commis par les forces gouvernementales. Une forte proportion de combattants du LURD était auparavant affiliée aux deux factions de l'ancien mouvement rebelle de l'ULIMO, Mouvement à Uni de libération pour la démocratie au Libéria (United Liberation Movement for Democracy in Liberia, ULIMO) avant la guerre civile de 1997.

Après cinq ans au pouvoir, le Gouvernement du Président Charles Taylor continue de fonctionner sans rendre les moindres comptes, exacerbant les divisions et le ressentiment nourris par la guerre. Le Président Taylor n'a cessé de renforcer et centraliser son pouvoir en récompensant ses fidèles et intimidant ses critiques. L'autorité de l'Etat est régulièrement dévoyée par des responsables de haut-rang pour atteindre les objectifs politiques du pouvoir exécutif, pour éviter de rendre des comptes ou dans le souci d'un enrichissement personnel. Les institutions de l'Etat qui pourraient assurer un contrôle indépendant de l'administration Taylor, tels le système judiciaire, la législature, la Commission des droits de l'homme ou la Commission pour la réconciliation, sont en réalité faibles et intimidées. En particulier, la Commission nationale des droits de l'homme, créée par le Gouvernement en 1997, pâtit du manque de personnel qualifié, d'un financement suffisant et d'un mandat mal conçu. Et les voix indépendantes, dans les medias ou au sein de la communauté des défenseurs des droits humains, sont régulièrement réduites au silence.

La reprise de la guerre au Libéria menace de miner encore davantage les perspectives d'une paix durable dans l'ensemble de la région connue comme région du fleuve Mano et qui regroupe la Guinée, la Sierra Leone et le Libéria. Depuis une décennie, les gouvernements de ces trois pays ont fréquemment abrité les rebelles de leurs voisins et soutenu leurs incursions transfrontalières, provoquant une déstabilisation de grande envergure. Charles Taylor, à la fois comme ancien dirigeant rebelle du Front national patriotique du Libéria (National Patriotic Front of Liberia, NPFL) et comme Président du Libéria depuis 1997, porte la responsabilité première de la violence et des agressions dans la sous région, au Libéria et aussi en Sierra Leone à travers son soutien aux rebelles du Front révolutionnaire uni (Revolutionary United Front, RUF).

A ce moment là, le Gouvernement guinéen joue lui aussi un rôle déstabilisateur en apportant un soutien logistique considérable et un soutien militaire aux rebelles du LURD qui opèrent depuis son territoire. Le soutien de la Guinée au LURD s'est intensifié après que le Gouvernement libérien, soutenu par les combattants rebelles sierra-léonais et des opposants guinéens, eut lancé une série d'attaques en territoire guinéen à la fin 2000 et au début 2001.

En outre, alors que les efforts se poursuivent pour consolider la paix fragile en Sierra Leone, des centaines d'anciens combattants de la guerre civile sierra-léonaise, à la fois anciens rebelles et soldats gouvernementaux, ont traversé la frontière pour entrer au Libéria combattre comme mercenaires pour le compte du Gouvernement libérien ou pour celui du LURD. De nombreux anciens rebelles du RUF sierra-léonais, qui ont reçu un soutien direct de Charles Taylor pendant des années malgré leur sinistre bilan en termes de droits humains, sont désormais intégrés aux forces gouvernementales libériennes et ont été impliqués dans les atrocités commises contre des civils libériens. Depuis au moins janvier 2001, alors que la guerre en Sierra Leone touche progressivement à sa fin, des centaines d'anciens combattants issus des milices de défense civile affiliées au Gouvernement sierra-léonais (telle que la milice de l'ethnie Mende connue sous le nom de Kamajors), de l'armée sierra-léonaise qui s'étaient rebellés pour former la milice des West Side Boys et même du RUF, ont été recrutés comme mercenaires par le LURD. En conséquence, la région frontalière entre le Libéria et la Sierra Leone est menacée d'une instabilité croissante. Il est urgent de garantir la sécurité à la frontière pour empêcher les mouvements de combattants entre la Sierra Leone et le Libéria tout en permettant aux réfugiés qui fuient le conflit libérien de traverser la frontière et d'obtenir une réelle protection en Sierra Leone.

L'extension du conflit libérien est porteur d'inquiétantes perspectives pour l'année à venir. La situation actuelle fait craindre une nouvelle escalade des violations des droits humains contre les civils de la région alors que les combats s'étendent, provoquant des tueries supplémentaires et de nouveaux déplacements. Plus encore, le fragile processus de paix en Sierra Leone pourrait facilement être déstabilisé par l'élargissement du conflit libérien alors qu'un nombre croissant de réfugiés libériens et de combattants traversent les frontières des pays voisins. C'est une terrible perspective pour les populations de la région qui ont déjà tellement souffert de la guerre, de cruels abus et pertes humaines depuis plus d'une décennie.

Human Rights Watch appelle à une action urgente et soutenue de la communauté internationale pour qu'elle aide à régler ce conflit et insiste sur le respect des droits humains avant que la spirale de la guerre du Libéria ne dévaste d'autres zones et ne déstabilise l'ensemble de la région.

Deux élements en particulier pourraient jouer un rôle important sur l'avenir de ce conflit dans la sous-région : en mai 2002, le Conseil de sécurité des Nations Unies doit décider s'il renouvelle l'embargo sur les armes et autres sanctions qui ont été imposées l'an dernier au Gouvernement libérien en raison de son soutien au RUF sierra-léonais. Toujours en mai 2002, le Gouvernement des Etats-Unis doit entamer un programme d'assistance militaire de 3 millions de dollars en faveur du Gouvernement guinéen.

Human Rights Watch n'a pas enquêté sur les liens actuels entre le Gouvernement du Président Charles Taylor et le RUF, qui ont justifié l'imposition des sanctions de l'ONU contre le Libéria. Toutefois, nous avons attesté dans ce rapport que de très graves abus étaient commis contre les populations civiles du Libéria à la fois par le Gouvernement et par les rebelles du LURD et montré l'impact dévastateur du conflit libérien sur la paix et la sécurité dans la sous-région. Pour cette raison, nous pensons que l'embargo sur les armes destinées au Gouvernement libérient doit être maintenu et élargi aux rebelles du LURD. En outre, le Conseil de sécurité des Nations Unies doit renouveller le mandat du groupe d'experts créé en 2000 pour surveiller les violations de l'embargo sur les armes imposé au RUF et étendre ses attributions afin qu'il enquête sur les flux illégaux d'armes dans la sous-région.

Notre rapport soulève également de graves interrogations sur le soutien de la Guinée au LURD et nous pressons le Conseil de sécurité de l'ONU de mandater une commission d'experts pour qu'elle enquête sur le rôle de la Guinée dans la déstabilisation du Libéria et émette des recommandations sur les mesures à prendre pour mettre un terme aux soutiens dont bénéficient les rebelles armés, notamment sur la possibilité de décréter un embargo sur les armes. Human Rights Watch pense aussi que toute assistance militaire à la Guinée, telle que celle prévue par les Etats-Unis à partir de mai 2002, devrait être conditionnée à la fin de son soutien au LURD.

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