Africa - West

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LES OCCASIONS MANQUÉES : UNE ÉVALUATION DU PROGRAMME DU P.N.U.D.

"Les blessures ont été guéries par le temps, non par le P.N.U.D."

--ancien employé du P.N.U.D., Nakuru, 8 août 1996.

Il convient de reconnaître au P.N.U.D. le mérite d'avoir lancé un programme, créé un forum national pour le dialogue, assuré le secours des populations déplacées et servi d'intermédiaire modérateur dans une situation tendue, toutes choses qui permirent à des milliers de Kenyans de rentrer chez eux. Il n'est pas question d'ignorer ces faits et Human Rights Watch/Afrique reconnaît les contributions de ce programme et le rôle joué en matière de réinsertion. Cependant, le Programme pour les Personnes Déplacées au Kenya n'était pas parfait. Le Représentant Résident du P.N.U.D. au Kenya, Frederick Lyons, l'a lui-même souligné:

Considérons l'expérience comme un tout. Douze millions de dollars ont été dépensés au bout du compte et ce chiffre correspond aux 170.000 à 180.000 personnes réinsérées. Il s'agit de beaucoup d'argent. Certes, tout n'a pas été parfait mais nous avons tiré les leçons de nos erreurs. Nous avons joué un rôle positif dans l'établissement de contacts entre les communautés, les bailleurs de fonds et les autorités locales et nationales. Ce succès s'est reflété dans les événements. Les choses se sont calmées. Il est facile d'être pessimiste, mais si vous considérez que la bouteille est à moitié pleine, notre rôle a été prépondérant. Le P.N.U.D. a servi d'intermédiaire précieux et a joué pleinement sa fonction de facilitateur à un moment où les tensions étaient élevées. (125)

Bien que le P.N.U.D. ne puisse être tenu pour responsable de la mauvaise volonté du gouvernement kényan, il est néanmoins en partie responsable des milliers de personnes qui demeurent déplacées aujourd'hui. Divers facteurs identifiables auraient pu renforcer la contribution du P.N.U.D. Ce dernier n'a pas mis sur pied un accord de fait avec le gouvernement, qui aurait permis d'instaurer les conditions de fonctionnement fondamentales du programme. Le P.N.U.D. a mal interprété la situation et n'a pas créé les mécanismes permettant de prévenir les abus gouvernementaux. Il n'a pas considéré le rassemblement de données comme l'une de ses priorités. Dans le cadre des dispersions forcées orchestrées par le gouvernement, l'absence de contrôles et de rapports empêchait tout suivi prolongé ou moyen d'identifier les populations déplacées qui étaient, par la suite, expulsées de camps ou de lieux de rassemblement similaires. D'autre part, le P.N.U.D. n'a pas défendu et protégé de manière vigoureuse et ferme les populations déplacées contre les violations des droits de l'Homme. Le P.N.U.D. s'est tu sur le besoin de rendre des comptes et s'est empressé d'accepter -et de proposer- l'idée que quelques fonctionnaires récalcitrants étaient responsables des violations des droits de l'homme, au lieu de s'attaquer à la véritable cause des problèmes, à savoir la trahison gouvernementale des principes mêmes du programme. Ce programme ne soutenait pas et ne renforçait pas l'ensemble des O.N.G. locales. Suite à ces omissions et à l'opposition du gouvernement, le P.N.U.D. a été obligé de mettre prématurément un terme au programme sans aborder les solutions à long terme, comme la réforme agraire, et d'abandonner ainsi des milliers de personnes à leur sort. Un examen de ces facteurs, s'il est effectué par le P.N.U.D., pourrait éviter la répétition des mêmes erreurs dans d'autres programmes.

Ce dont le Kenya avait besoin était un programme du P.N.U.D. allant de l'aide humanitaire d'urgence aux solutions durables: un programme qui alliait l'assistance immédiate et la protection aux stratégies de réhabilitation et de développement à long terme. Le P.N.U.D. aurait dû coordonner l'aide humanitaire avec les O.N.G. prodiguant déjà une aide sur le terrain, tout en se concentrant essentiellement sur les obstacles fondamentaux de politique et des droits de l'Homme. De tels obstacles devaient être éliminés afin d'assurer une transition réussie vers une réinsertion totale. Travaillant dans un contexte extrêmement explosif dans lequel les accusations d'implication gouvernementale étaient monnaie courante, le P.N.U.D. devait prendre quelque peu ses distances par rapport aux autorités et jouer un rôle de chien de garde pour empêcher et affronter les exactions du gouvernement contre les populations déplacées. Même si la responsabilité finale du retour des personnes déplacées sur leurs terres incombait au gouvernement kényan, l'un des rôles du P.N.U.D. aurait dû être de défendre ces populations et de faire pression pour réunir les conditions favorables à leur retour.

Le P.N.U.D. a agi comme si la seule nécessité était d'assurer l'aide humanitaire afin de permettre aux personnes de retourner construire leur maison et cultiver leurs terres, tout en se contentant d'accepter les causes du déplacement et les violations consécutives qui devaient être combattues. Un agent humanitaire international ayant travaillé avec les personnes déplacées a déclaré:

ce programme semblait être conçu sur le modèle d'un programme similaire élaboré en 1992 pour les victimes de la sécheresse et de la famine. Non seulement nous pensions que ce programme avait échoué parce qu'il encourageait la corruption mais aussi parce qu'il s'agissait d'une situation dans laquelle le gouvernement avait créé et profité de la violence. N'importe qui aurait pu vous dire que la situation à laquelle nous étions confrontés n'avait rien à voir avec celle provoquée par une sécheresse. (126)

Divers documents du P.N.U.D. concernant le programme pour les populations déplacées au Kenya attestent et reconnaissent ce fait, et mentionnent qu'il est important d'aborder divers problèmes se rapportant aux droits de l'Homme, à la primauté du droit, à la protection et au développement. Ces facteurs critiques ont finalement été négligés lors de la phase de mise en oeuvre du programme. Le P.N.U.D. a concentré ses efforts sur l'aide humanitaire d'urgence -collaborant d'ailleurs à ce niveau avec les O.N.G. et les groupes d'Eglise-, mais n'a jamais rempli sérieusement le rôle de protection ou de développement qu'il était le plus à même de jouer, tant au titre d'agence numéro un présente sur le terrain, dans ce cas, qu'en tant qu'agence faisant partie d'une organisation comme l'O.N.U., parfaitement à même de gérer des situations très problématiques.

Le second rapport Rogge de 1994, publié à la mi-programme, a contribué à donner l'impression que la situation était meilleure que ce qu'elle n'était réellement, et que le retour s'effectuait à un rythme rapide sous les auspices du gouvernement. De nombreux membres d'O.N.G. locales estiment que le second rapport Rogge était l'occasion pour le P.N.U.D. de redéfinir ses orientations, à un moment où il pouvait jouer un rôle déterminant, mais qu'on laissa passer cette chance. Ernest Murimi, de la Commission Catholique Justice et Paix, estime que "dans le second rapport, Rogge a péché par excès de précipitation. Il semblait avoir des idées préconçues concernant les événements. Il a aussi publié les chiffres des personnes réinstallées sans aucune consultation. Ces chiffres ne reflétaient pas ce que nous voyions sur le terrain. Dès 1994, le P.N.U.D. était devenu un organe du gouvernement." (127) Les bailleurs de fonds ont également exprimé leurs préoccupations en constatant que le rapport Rogge ne présentait aucune évaluation détaillée du P.N.U.D. et que les recommandations formulées n'étaient pas réalisables sur le terrain, en raison du manque de moyens du P.N.U.D. Si le rapport Rogge de 1994 avait mis davantage en garde contre les problèmes du programme à l'époque, il aurait peut-être pu indiquer au P.N.U.D. les mesures à prendre, et ce avant qu'il ne soit trop tard.

La manière selon laquelle le P.N.U.D. a appliqué le programme kényan a eu plusieurs effets négatifs. Premièrement, le programme du P.N.U.D. a permis au gouvernement de détourner les critiques internationales portant sur sa politique de discrimination ethnique et de bénéficier du financement des bailleurs de fonds et des investisseurs, arguant du fait qu'un processus de réinsertion était en cours (tout en continuant d'entraver le retour des déplacés et d'institutionnaliser la nouvelle distribution agraire en falsifiant le cadastre). Tout au long du programme, le gouvernement kényan a utilisé sans cesse le programme du P.N.U.D. pour prouver à la communauté internationale que la situation s'était normalisée, sans pour autant interrompre sa politique de persécution ethnique. Plutôt que d'exercer, avec les bailleurs de fonds, une pression constante et multilatérale sur le gouvernement, le P.N.U.D. a contribué à donner à tous l'impression que la réinsertion se poursuivait sans heurts. Lors d'une conférence des investisseurs à Londres en novembre 1994, les donneurs d'aide bilatérale et multilatérale expliquèrent qu'une réunion sur les investissements à réaliser au Kenya pouvait être organisée parce que le gouvernement mieux soutenait les communautés touchées par les violences ethniques. (128) Lors de la déclaration de clôture de la réunion du Groupe Consultatif des bailleurs de fonds (15 et 16 décembre 1994), le Président constata que des "développements positifs" avaient été enregistrés concernant les tensions ethniques et les problèmes des droits de l'Homme. (129)

Deuxièmement, le programme du P.N.U.D. a dépensé des sommes considérables qui, avec le recul, auraient pu être utilisées de manière plus efficace si elles avaient été dépensées différemment. Bien que le budget proposé pour le programme fût au départ de USD 20 millions, seuls USD 12 millions ont finalement été rassemblés. (130) En plus d'un fonds renouvelable du P.N.U.D. de USD 800.000, l'aide des bailleurs de fonds promise au P.N.U.D. pour le programme provenait notamment des gouvernements autrichien, danois, finlandais, japonais, néerlandais, suédois, britannique(R.U.), américain et de l'Union européenne (U.E.). Des appels furent lancés à la communauté internationale mais les donateurs tardaient à répondre, invoquant en privé certaines réserves quant à l'engagement du gouvernement kényan dans l'interruption des affrontements. De la même manière, tout en saluant les efforts entrepris par le P.N.U.D., les organisations d'Eglise et humanitaires locales qui aidaient les personnes déplacées exprimaient leurs plus vives préoccupations quant à l'engagement du gouvernement. Le P.N.U.D. n'est jamais arrivé à rassembler l'entièreté de la somme espérée. Plus tard, lorsque le programme commença à patauger, certains donateurs qui s'étaient précédemment engagés à verser des fonds, se rétractèrent. (131) Enfin, lorsque le programme prit fin en septembre 1995, le P.N.U.D. dut rembourser certaines sommes aux bailleurs de fonds. (132)

Troisièmement, la contribution à long terme du P.N.U.D. à l'heure d'aborder les problèmes soulevés par la violence ethnique et les déplacements est discutable. Le programme du P.N.U.D. pour les personnes déplacées a laissé un Kenya dans lequel la violence ethnique pourrait exploser demain aussi facilement que ce ne fut le cas au début des années 90, si telle est la volonté du gouvernement. Si l'on analyse la situation des populations déplacées au Kenya aujourd'hui, on constate que peu de choses ont changé par rapport à la situation décrite dans le second rapport Rogge en 1994. Alors que des milliers de personnes sont rentrées chez elles dans certaines régions, il y en a encore des milliers qui cultivent leur terre le jour et dorment ailleurs la nuit, dans la crainte de représailles s'ils retournent sur leur terre. Il y en a des milliers d'autres qui ne peuvent pas rentrer chez eux du tout en raison de violences craintes ou réelles ou parce que leur terre a été occupée, vendue ou transférée illégalement. De nombreuses personnes vivent aujourd'hui dans les bidonvilles. Les injustices et tensions ethniques qui ont, par la suite, été exploitées par certains, n'ont pas été abordées, pas plus que les questions de justice et de terres qui doivent être réglées si l'on souhaite mettre en oeuvre des solutions durables.

Quatrièmement, le silence du P.N.U.D. face à la discrimination permanente contre les populations déplacées a permis au gouvernement de continuer à consolider ses acquis politiques en permettant à ses partisans de "légaliser" et de profiter de biens mal acquis. Aujourd'hui encore, les terres se trouvant dans les zones d'affrontements sont toujours occupées illégalement ou sont transmises officiellement à des propriétaires Kalenjin et Maasai qui ont obtenu ces terres par la violence, avec la complicité des fonctionnaires locaux du gouvernement. Les ventes et les transferts frauduleux de terres ont été approuvés par les fonctionnaires locaux du gouvernement, et le gouvernement national n'a jamais pris la moindre mesure pour contrecarrer les ventes illégales de terres survenues depuis les affrontements ethniques. Les personnes déplacées qui demandent réparation auprès des fonctionnaires locaux du gouvernement suite à l'occupation ou au transfert illégal de leur terre sont renvoyées sans fin d'un bureau à l'autre jusqu'à ce qu'elles soient finalement obligées d'abandonner.

Enfin, la crédibilité, l'indépendance et l'impartialité du P.N.U.D. ont été affectées par ce programme. Les populations déplacées, les O.N.G. qui les assistent et les bailleurs de fonds sont intimement persuadés que le P.N.U.D. s'est fait le complice du gouvernement kényan au détriment de la protection et du bien-être des personnes déplacées. Bien que le P.N.U.D. puisse être crédité de la coordination d'un programme national, du rassemblement de tous les acteurs impliqués et même du secours et de l'assistance ayant permis à certains de rentrer chez eux, le programme n'a pas été capable d'aborder les problèmes fondamentaux indispensables pour le développement à long terme. Le P.N.U.D. n'a pas réussi à créer un système d'enregistrement qui aurait rendu possible le contrôle suivi des personnes déplacées; il n'a pas fixé les termes explicites d'un accord avec le gouvernement comme condition au programme de protection des droits des personnes déplacées; le P.N.U.D. était peu enthousiaste à critiquer les violations des droits de l'Homme commises par le gouvernement à l'encontre des personnes déplacées ou à aborder les questions de justice et de responsabilité suscitées par ces violations; il n'a pas exercé assez de pression sur le gouvernement kényan afin d'assurer une protection adéquate des populations déplacées, il n'a pas soutenu et renforcé les O.N.G. locales; enfin, il n'a pas réussi à envisager les solutions à long terme, comme les tensions sous-jacentes liées à la distribution des terres. De par ses silences et sa passivité sur ces problèmes, le P.N.U.D. a considérablement nui à sa crédibilité aux yeux de nombreux Kenyans.

Un Projet Bien Conçu

Il est louable de constater que le P.N.U.D. a lancé et créé un programme visant à s'attaquer à un problème de déplacement interne qui ne bénéficiait de pratiquement aucune aide internationale. Les phases préparatoires du projet étaient consultatives et s'inspiraient des contributions d'autres agences de l'O.N.U.; les démarches visant à obtenir l'accord du gouvernement à la mise en oeuvre du programme furent un succès, et le document rédigé par John Rogge en 1993 jeta les bases d'un programme rigoureux qui aurait pu contribuer positivement à la résolution des problèmes que connaissait le Kenya.

Une fois que le gouvernement ait eu accepté le projet, les intentions déclarées du P.N.U.D. étaient d'élaborer un programme tenant compte de diverses variables -les personnes déplacées, les O.N.G. et le gouvernement- et susceptible de résoudre les problèmes d'aide humanitaire, de protection et de réconciliation des populations déplacées. Selon le P.N.U.D.:

Le programme de l'O.N.U. reposait sur le principe suivant: permettre à la communauté de retrouver le chemin menant à une coexistence harmonieuse et privilégier les activités de réinsertion et de développement lancées au niveau local. Il reconnaissait entièrement le rôle essentiel des Eglises et des O.N.G. en matière d'aide humanitaire, étant donné leur acceptation par les diverses communautés et leur contribution majeure au processus de réconciliation. D'autre part, le programme de l'O.N.U. estimait également que le gouvernement devait s'attacher à régler les questions de sécurité, de droit d'accès, d'enregistrement, ainsi que divers problèmes à long terme -principalement de nature foncière. De même, il était conscient de l'importance du soutien constant--mais de préférence discret--des bailleurs de fonds et du contrôle officieux exercé par l'O.N.U. (133)

Aucun Accord avec le Gouvernement

L'une des principales omissions du Programme pour les Personnes Déplacées du P.N.U.D., détectée dès le départ par l'équipe du P.N.U.D. s'occupant du programme, était l'absence de tout accord ferme signé avec le gouvernement kényan. L'implication du gouvernement dans le programme était décisive pour son succès. A aucun moment au cours du programme du P.N.U.D. au Kenya, le moindre document n'a énoncé les responsabilités du gouvernement kényan et ne l'a contraigné à prendre certaines mesures. Un ancien membre de l'équipe du P.N.U.D. a déclaré:

Un contrat clair aurait dû être signé avec le gouvernement kényan. Mais ce ne fut pas le cas pour toute une série de raisons. Du point de vue du P.N.U.D. au niveau central [New York]; il s'agissait d'un projet confus et étrange, parce que totalement nouveau. Un programme qui va de l'aide humanitaire à la réhabilitation n'est pas chose courante pour le P.N.U.D. Nous étions également confrontés à une situation explosive à l'intérieur du pays. En outre, aucun bailleur de fonds ne s'était fermement engagé à financer le programme. Tous ces facteurs nous ont conduits à penser que nous devions procéder lentement et commencer par apaiser les autorités kényanes pour garantir leur participation au processus. Nous savions que nous traitions avec le diable mais nous ne voulions pas les dénoncer ou leur demander des comptes car le pouvoir était entre leurs mains. Notre stratégie était d'abord de calmer les esprits, de susciter leur engagement ensuite et de passer finalement aux responsabilités et à une commission nationale d'enquête. C'était la stratégie à adopter, cela nous a permis de prendre des distances et une certaine réinsertion a été possible. Mais lorsque ce ne fut pas le cas ou lorsque les choses ont mal tourné, nous n'avions aucun soutien, ni de la part du gouvernement kényan, ni de la part du P.N.U.D. à New York. Le problème était toujours celui de l'absence de tout accord de fait. (134)

Dans sa réponse à Human Rights Watch/Afrique, le P.N.U.D. a reconnu les difficultés engendrées et s'est attardé sur les raisons, affirmant que:

L'équipe de l'O.N.U. sur le terrain, dont le Représentant Résident du P.N.U.D., sera d'accord pour affirmer que l'absence d'accord formel entre le P.N.U.D. et le gouvernement a été l'un des facteurs de la confusion. Cette confusion est née en partie de la difficulté d'arriver à un accord avec le gouvernement mais aussi du caractère aléatoire des financements qui a empêché le P.N.U.D. de s'engager de manière spécifique à réaliser certaines choses, ce qui aurait permis d'exiger un engagement formel réciproque de la part du gouvernement kényan. (135)

Le P.N.U.D. a cependant profité de l'occasion offerte par les propositions du Comité National pour les Personnes Déplacées (C.N.P.D.) pour transmettre en 1994 des plans écrits au gouvernement en vue d'un programme continu et élargi. Selon le P.N.U.D., ces plans furent insérés dans l'accord de base entre le gouvernement et le P.N.U.D. Cependant, tout cela ne valait pas un accord formel.

L'absence de normes fermes de fonctionnement entre le P.N.U.D. et le gouvernement kényan a permis à ce dernier de passer outre au programme du P.N.U.D. lorsque cela lui convenait et d'éviter de se voir tenu responsable du sort des personnes déplacées. Le P.N.U.D. aurait dû disposer d'un accord de fait avec le gouvernement kényan, signé avant le lancement du programme, et contraignant le gouvernement à certaines mesures minimales: liberté d'accès aux personnes déplacées à tout moment; avertissement préalable de tout mouvement des populations déplacées orchestré par le gouvernement; analyse préalable par les Nations unies des régions désignées par le gouvernement pour la réinsertion; supervision par l'O.N.U. de mouvements de populations vers des régions "raisonnable" et avec avis préalable; pas d'enregistrement par le gouvernement de personnes déplacées sans la présence de l'O.N.U.; aucun harcèlement des autorités à l'encontre des populations déplacées; aucune destruction des camps; et mise en oeuvre de mesures disciplinaires à l'encontre de fonctionnaires gouvernementaux impliqués dans des mauvais traitements contre les personnes déplacées.

La Création d'un Forum National Réunissant toutes les Parties

L'un des rôles du programme du P.N.U.D. était d'organiser un forum réunissant toutes les agences concernées par les populations déplacées afin d'assurer la coordination et le contrôle de la mise en oeuvre globale du programme et éviter la répétition des efforts. Cette entreprise a permis d'approfondir le dialogue et la réconciliation, à l'instar des efforts visant à mettre sur pied des réunions des communautés locales et régionales pour aborder les problèmes. Ces forums ont instauré un dialogue régulier entre les représentants de la communauté locale, les fonctionnaires du gouvernement, les O.N.G. et le P.N.U.D.

Depuis le début des affrontements et avant le programme du P.N.U.D., certaines O.N.G. et organisations d'Eglise avaient aidé les personnes déplacées. Il n'existait cependant peu ou pas de coordination ou de coopération au sein du secteur non-gouvernemental, et encore moins entre ces ONG locales et les ONG internationales ou le gouvernement. Les tensions ont toujours été vives entre le gouvernement et l'ensemble des O.N.G. locales, les membres de ces dernières étant victimes en permanence des harcèlements et intimidations du gouvernement lorsqu'elles décidaient de porter secours aux personnes déplacées.

En juillet 1994, le P.N.U.D. instaura un Comité National pour les Personnes Déplacées (C.N.P.D.) composé de représentants du Bureau du Président, des bailleurs de fonds, du P.N.U.D. et de l'ensemble des O.N.G. locales et internationales. (136) Le rôle affirmé du groupe de travail du C.N.P.D., présidé par le Cabinet présidentiel, était de "structurer la politique devant être appliquée dans certaines zones définies en mettant l'accent sur les administrations gouvernementales au niveau local et des districts, afin de coordonner et d'assister les O.N.G. et les groupes d'Eglise dans la mise en oeuvre locale de leurs programmes et activités."

Bien que le C.N.P.D. ne se soit rencontré au complet que deux fois, il est communément admis qu'il s'agissait d'une création utile à plusieurs égards. D'abord, le C.N.P.D. a permis la tenue d'un forum pour un meilleur échange d'informations et a offert aux O.N.G. quelques mesures de protection afin de pouvoir soulever des problèmes et émettre des critiques sans craindre de faire l'objet de représailles gouvernementales. Selon Ephraim Kiragu du C.N.E.K., "le rôle véritablement positif joué par le P.N.U.D. a été d'organiser un forum pour que se rencontrent les acteurs principaux. C'était la première fois que nous nous asseyions face-à-face autour d'une table pour discuter de ce problème avec le gouvernement. Et ce fut utile." (137) Irungu Houghton du Conseil des O.N.G. partageait le même avis et faisait remarquer que: "les réunions du C.N.P.D. ont donné l'occasion à chacun de s'exprimer et d'aborder toutes les questions au sein d'un forum. Les réunions ont permis de recueillir et de partager des informations, et nous avons compris quelle était la position du gouvernement. La présence de pays bailleurs de fonds lors des réunions était très positive. Les donneurs étaient là et le gouvernement voulait des fonds, ils ne pouvaient donc intimider la population." (138)

Deuxièmement, le C.N.P.D. a aussi instauré une plus grande transparence, notamment dans le chef du gouvernement, qui était appelé à répondre des événements lors de chaque réunion. Faire participer les fonctionnaires gouvernementaux à un dialogue élargi, avec tous les autres acteurs, a forcé le gouvernement à coopérer au processus de réinsertion et à s'exprimer comme nous attendions qu'il le fasse, publiquement, à propos du besoin de paix et de réconciliation. De plus, même la coopération limitée du gouvernement aux réunions de niveau national a été transmise aux niveaux locaux et les O.N.G. travaillant avec les personnes déplacées dans certaines régions ont réussi à obtenir une plus grande coopération des fonctionnaires locaux du gouvernement, qui auraient sinon hésité à coopérer sans les ordres explicites du gouvernement national. "La participation du gouvernement était constructive," fit remarquer Tecla Wanjala, qui travaillait avec les personnes déplacées dans la Province de l'Ouest. "Nous avons ainsi pu faire participer certains fonctionnaires locaux qui étaient hostiles." (139)

Les réunions du C.N.P.D. ont également permis d'attirer et d'intéresser les bailleurs de fonds au projet. Un diplomate déclarait que:

Le P.N.U.D. n'était pas véritablement capable de tenir les bailleurs de fonds informés de ce qui se passait. Le manque d'informations ne fit qu'ajouter à notre réticence à collaborer à un programme que nous considérions déjà comme problématique. Lorsque Killian Kleinschmidt [ancien Conseiller technique principal du P.N.U.D.] entra en scène, il fit tout ce qui était en son pouvoir pour améliorer l'échange d'informations et rendre plus efficaces les réunions du C.N.P.D. C'est en grande partie grâce à ses efforts que nous avons contribué financièrement au programme. (140)

Un des autres avantages des réunions du C.N.P.D. fut l'intensification des communications entre les diverses O.N.G. Bien que l'aide humanitaire et les activités visant à la réinsertion à long terme mises en oeuvre par les ONG et, notamment, par les organisations d'Eglise, ait été sans nul doute fondamentale pour la plupart des personnes déplacées, l'ensemble des O.N.G. connaissait aussi des problèmes de concurrence interne et de manque de transparence. Par conséquent, des régions étaient parfois occupées par deux ou plusieurs groupes, ce qui rendait les efforts superflus dans certaines zones et insuffisants dans d'autres. Grâce à des comptes rendus sur le travail de chaque groupe, le C.N.P.D. a pu faciliter la rationalisation des efforts des O.N.G. et la division des zones opérationnelles et s'occuper davantage des régions négligées. Le C.N.P.D. a également atténué quelque peu la concurrence entre les O.N.G. et a favorisé une meilleure diffusion des informations entre ces dernières.

Aucun Rassemblement Exhaustif des Données

Le rassemblement et la vérification des données, malgré les pertes de temps et d'argent qu'ils engendrent, sont un aspect important de tout programme d'aide aux populations déplacées. Sans accès à des informations et des données fiables, il est difficile d'évaluer les besoins de la situation et de proposer des stratégies réussies. Des données précises peuvent fournir une indication importante sur l'efficacité du programme et permettre d'analyser de manière suivie si le programme répond aux besoins des personnes toujours déplacées. Ceci étant dit, les données sur les personnes déplacées dans leur pays sont souvent difficiles à réunir. Dresser des listes trop complètes peut même parfois mettre en danger certaines personnes. Malgré ces inconvénients, le P.N.U.D. a reconnu la nécessité de meilleurs systèmes d'information relatifs aux personnes déplacées à l'intérieur de leur pays. (141)

Depuis le début des violences "ethniques," en 1991, l'absence d'informations précises sur la situation a permis au gouvernement de se dérober à ses responsabilités vis-à-vis des personnes étant toujours déplacés et a rendu pratiquement impossible toute aide des O.N.G. aux nombreuses personnes qui restaient éloignées de leurs terres. Les conséquences du manque de données précises, tant sur le plan quantitatif que qualitatif, ont été tragiques pour les populations qui sont toujours déplacées au Kenya aujourd'hui. Même si un programme international pour les personnes déplacées devait être réentrepris, il serait presque impossible d'identifier ou de contacter les nombreuses personnes ayant encore cruellement besoin d'aide pour reconstruire leur vie.

Dans chacune des régions touchées, le P.N.U.D. aurait dû effectuer des estimations, aussitôt que possible, afin d'enregistrer et de dresser des listes reprenant le nombre de personnes déplacées, leurs noms, le numéro d'inscription au cadastre des parcelles abandonnées et le lieu d'origine de chaque personne déplacée de force. De plus, des entretiens avec les populations déplacées sur leurs besoins et leur condition auraient considérablement amélioré la capacité du P.N.U.D. à adapter le programme à la situation spécifique. Etant donné que le Kenya dispose d'un système de carte d'identité nationale, il aurait été relativement aisé pour le P.N.U.D. de créer une base de données nationale en utilisant le numéro de carte d'identité nationale et le numéro de parcelle correspondant de la personne déplacée. Dans certaines régions, l'Eglise locale et les O.N.G. avaient déjà commencé à utiliser les numéros de carte d'identité nationale afin d'éviter le double enregistrement. Les chiffres pouvaient cependant différer d'une O.N.G. à l'autre dans la même région. Le P.N.U.D. aurait pu charger ses agents de terrain de rassembler les données; ils auraient obtenu des estimations, recueilli des noms et envoyé ces informations à Nairobi pour créer une base de données nationale. Cette base de données n'aurait certainement pas été exacte à cent pour cent, étant donné que le P.N.U.D. intervenait deux ans après le début des violences. En outre, certaines personnes ne souhaitaient pas être reprises sur des "listes," d'autres étaient dispersées chez des parents ou ne se trouvaient pas dans la région, et n'auraient pu être comptabilisées, même si le P.N.U.D. avait tenté de le faire. Néanmoins, des données exactes, même incomplètes, auraient constitué une base pour le tri et le traitement des renseignements pouvant être utilisés durant le programme et ultérieurement. Pour les personnes déplacées lors d'épisodes violents survenus après le lancement du programme du P.N.U.D. (entre 1993 et 1995), le P.N.U.D. aurait pu se rendre sur les lieux où étaient rassemblées les populations déplacées pour recueillir des données exactes.

Le P.N.U.D. était l'organisation la mieux placée pour recueillir des renseignements sur le nombre et les besoins des personnes déplacées à l'intérieur de leur pays et pour prendre les mesures nécessaires pour répondre à ces besoins. Le programme du P.N.U.D. pour les personnes déplacées était le principal et le seul programme national du pays. Le P.N.U.D. était le seul acteur à pouvoir accéder à des informations provenant du plus grand nombre de sources, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du gouvernement. En raison de son partenariat affirmé avec les autorités elle était probablement l'organisation qui aurait rencontré le moins de résistance gouvernementale. Bien que la plupart des données que le P.N.U.D. aurait recueillies seraient dues au travail des O.N.G. locales, aucun de ces groupes n'aurait pu entreprendre seul le travail de manière aussi efficace. Tous les groupes locaux menaient des programmes dans certains domaines, mais malgré la coopération, les consultations et même le dédoublement du travail parmi les groupes, aucun groupe n'était idéalement placé pour mener des actions à l'échelon national en raison des contraintes de ressources et probablement des obstacles gouvernementaux. Les fréquentes variations de chiffres entre les groupes étaient dues notamment à la difficulté d'enregistrement précis des populations déplacées, à des enregistrements frauduleux ou dédoublés et même au gonflement des chiffres par certains groupes locaux, probablement à des fins de financement.

La collecte et la distribution régulières de données sur la situation des personnes déplacées à l'intérieur de leur pays auraient maintenu la pression sur le gouvernement kényan. Si le P.N.U.D. avait instauré une procédure d'établissement des rapports, recueillant et rassemblant les rapports rédigés par ses propres équipes et ceux en provenance d'autres sources, le programme aurait été davantage en mesure d'identifier et d'enregistrer les personnes déplacées ainsi que de vérifier et de suivre leur parcours, jusqu'à leur réinsertion. Les agents de terrain du P.N.U.D. furent priés de soumettre des rapports bihebdomadaires au P.N.U.D.; cependant, ces rapports n'étaient pas régulièrement transmis, même aux bailleurs de fonds. Un diplomate basé au Kenya à l'époque faisait remarquer:

C'était révélateur du problème plus large de leur mauvaise communication des rapports. Lors des réunions du Comité Exécutif, le P.N.U.D., comme de nombreuses agences de l'O.N.U., ne savait pas rédiger de rapports corrects. Ils ne donnaient pas de comptes rendus exacts de leurs activités ou des événements. Ainsi, au cours du mois de septembre [1994], ils ont simplement annoncé qu'ils étaient occupés avec la visite de Rogge. (142)

Des conclusions sur la situation auraient dû être publiées à intervalles réguliers et de manière à être accessibles pour les personnes présentes au Kenya et la communauté internationale. Des rapports publics réguliers du P.N.U.D. auraient pu décourager les violations à l'encontre des personnes déplacées commises par un gouvernement sensible à la publicité négative et à son impact sur le renouvellement de l'aide étrangère.

Le P.N.U.D. n'était pas sans savoir que le manque d'informations sur les populations déplacées était un problème. Dans l'un de ses premiers rapports, le P.N.U.D. fit remarquer que les chiffres présentés n'étaient pas exacts ou trop généralisés et que des données devaient être recueillies. (143) Le premier rapport Rogge rappelait que:

Le nombre de personnes touchées demeure incertain et peut donner lieu à toutes les spéculations, comme c'est inévitablement le cas pour des populations déplacées à l'intérieur de leur pays. Les administrations locales du gouvernement disposent de peu ou pas de données substantielles sur le nombre de personnes touchées, hier ou aujourd'hui, ou nécessitant actuellement de l'aide. Personne n'a entrepris un enregistrement systématique des personnes déplacées ou concernées. Les O.N.G. et les groupes d'Eglise qui assurent l'aide humanitaire des personnes touchées ont fait des efforts considérables pour enregistrer les personnes dont elles s'occupent, mais la plupart admettent que leurs chiffres ne sont que des approximations. Il est clair qu'il y a des cas de double-enregistrement et que de nombreuses personnes non-concernées réussissent à se faire enregistrer comme bénéficiaires. D'autre part, de nombreuses personnes déplacées ne sont pas enregistrées du tout car elles ont quitté les régions touchées pour retourner sur leurs terres ancestrales demander l'aide de la famille ou des amis. D'autres ont tout simplement "disparu" dans les zones urbaines. Ailleurs, les personnes déplacées qui sont rentrées, ou sont sur le point de rentrer dans leur ferme, sont demeurées en dehors du réseau d'aide des O.N.G. et n'ont donc pas été dénombrées. (144)

Le manque de données a également rendu possible les demandes répétées ou frauduleuses d'assistance alimentaire et d'indemnités par des personnes prétendant avoir été déplacées. Inversément, l'ignorance des programmes d'assistance ou la crainte des enregistrements a influencé certaines personnes qui ne se sont pas inscrites du tout. Elles ont quitté la région pour aller vivre avec leur famille, ont été absorbées par la misère des villes, ou sont demeurées par choix en dehors du réseau d'aide alimentaire et n'ont donc pas été comptabilisées.

Malheureusement, le P.N.U.D. n'a pas considéré le rassemblement de données comme faisant partie des priorités, et ce ni dans le cas des personnes déplacées avant le lancement du programme ni dans le cas des personnes chassées par la terreur de leurs terres au milieu du programme. Le P.N.U.D. s'est plutôt appuyé sur une approximation de 250.000, (145) qui était l'estimation donnée par le premier rapport Rogge. (146) Le P.N.U.D. a affirmé que:

Les estimations n'étaient que des estimations. Cela était évident dans les deux rapports Rogge et le P.N.U.D. a toujours indiqué que le chiffre de 250.000 avancé n'était rien d'autre qu'une estimation grossière. Le chiffre se basait cependant exclusivement sur des données fournies aux rapports Rogge par les O.N.G. et les Eglises; à aucun moment des estimations gouvernementales n'ont été utilisées. (147)

Le P.N.U.D. continua à utiliser les mêmes chiffres, même si, d'après ses propres calculs, les violences à grande échelle d'octobre 1993 à Enosupukia, district de Narok, avaient déplacé 20.600 personnes en plus (7.090 adultes et 13.551 enfants) (148) et 10 à 12.000 autres en mars 1994 à Burnt Forest. (149) Ce qui aurait porté le total estimé à 280.000, même selon les calculs du P.N.U.D., qui de son propre aveu pèche par excès de prudence. Cependant, le P.N.U.D. a continué jusqu'à ce jour à utiliser le chiffre de 250.000, inférieur d'au moins 30.000 au total estimé. (150)

A mesure que le programme se déroulait, le P.N.U.D. a de moins en moins pris la responsabilité du rassemblement des données nationales. Le second rapport Rogge a explicitement découragé les enregistrements affirmant qu'ils susciteraient des espoirs et qu'il ne fallait donc pas les accentuer. Rogge a plutôt insisté pour que le programme soit axé sur des régions ou des zones dans lesquelles les personnes étaient toujours déplacées, expliquant qu'il était sans intérêt d'obtenir des chiffres exacts. (151) Au contraire, recueillir et vérifier les noms des personnes déplacées aurait fourni une base permettant d'identifier les personnes dispersées ou habitant désormais les bidonvilles. Un fonctionnaire du P.N.U.D. a expliqué à Human Rights Watch/Afrique que:

Rétrospectivement, nous aurions dû accorder plus d'attention à l'enregistrement des personnes déplacées. Mais nous avons fait ce que nous estimions être la meilleure solution à l'époque. Il nous semblait qu'il y avait des problèmes plus pressants et nous pensions alors que cette approche nous permettrait d'obtenir davantage de résultats. (152)

Réalisant qu'un manque de données ou d'informations sur la situation des populations déplacées non seulement provoquerait la perte d'intérêt -au niveau national et international- pour la situation des déplacés mais bouleverserait aussi en permanence les efforts de réinsertion, le gouvernement dispersa systématiquement les regroupements de personnes déplacées qui étaient facilement visibles pour les journalistes, et les associations de défense des droits de l'Homme et d'aide humanitaire. Le gouvernement profita de l'absence de ces données pour disperser les regroupements de personnes déplacées en faisant usage de menaces, d'intimidations et parfois de la force, rendant ainsi impossible toute estimation de la situation en cours ou localisation des populations déplacées. Ainsi, fin décembre 1994, le gouvernement ordonna aux victimes des affrontements se trouvant au centre communautaire du C.N.E.K., à Eldoret, de rentrer dans leurs fermes. L'Officier de district de Uasin Gishu, Daniel Lotoai, fit comprendre clairement que le gouvernement n'aiderait les victimes des affrontements que si elles rentraient dans leur ferme et non si elles restaient dans les centres et dans les camps. (153) Un autre exemple fut celui de la dispersion et de milliers de personnes réfugiés dans le camp de Maela, que le gouvernement abandonna dans plusieurs sites de la Province du Centre, sans nourriture ni abri. L'absence de données dans le chef du P.N.U.D. facilita grandement le travail du gouvernement étant donné que les populations dispersées n'étaient plus identifiables, même si elles n'étaient pas réinsérées. Nombre d'entre eux ont rejoint la classe ouvrière urbaine et ont disparu dans l'anonymat des villes.

L'absence de données exactes a aussi été utilisée de manière douteuse par le P.N.U.D. pour enjoliver au maximum son programme au Kenya. Le P.N.U.D. a été accusé en permanence de sous-estimer le nombre total de personnes déplacées tout en gonflant ses estimations de personnes réinsérées. La première tentative du P.N.U.D. d'estimation des chiffres des personnes étant rentrées chez elles eut lieu un an après le lancement du programme. Dans son second rapport, publié en septembre 1994, le consultant pour le P.N.U.D. John Rogge expliquait que:

Pour l'ensemble de l'ouest du Kenya, on peut estimer avec optimisme qu'un tiers de la population touchée est retournée sur ses terres et est en train de reconstruire les maisons…Une proportion beaucoup plus importante, peut-être la moitié du total des personnes déplacées se trouvant à l'ouest du Kenya, se trouve dans un processus transitoire de retour. (154)

Ces mêmes mots furent répétés par l'ancien Représentant Résident pour le P.N.U.D. au Kenya, David Whaley, lors d'une réunion du C.N.P.D. Cette affirmation a été soutenue en haut lieu au P.N.U.D. lorsque l'Administrateur James Gustave Speth, en visite au Kenya en septembre 1994, a affirmé publiquement, lors d'une conférence de presse, que "trente pour cent des 250.000 victimes des affrontements ont été réinstallées; cinquante pour cent se sont rapprochées de leurs shambas [fermes en swahili], les vingt pour cent restants étant eux confrontés à des problèmes de propriété foncière." (155) Lors d'un dîner tenu en son honneur par le gouvernement, Monsieur Speth souligna qu'il était impressionné par les efforts du gouvernement en vue de rétablir la paix et d'aider les personnes déplacées, affirmant que "dans un monde marqué par les luttes ethniques, nous avons vu lors de la visite à Molo un gouvernement prenant des mesures afin de réconcilier des tribus en conflit." (156) Monsieur Speth ne fit aucune référence aux menaces continues ou la violence bien réelle contre les populations déplacées, aux dispersions forcées, à la destruction des campements par la police administrative ou au harcèlement des groupes humanitaires par le gouvernement. (157) Monsieur Speth a également affirmé que le Kenya serait toujours un ami du P.N.U.D. et que ce dernier continuerait de plaider pour une assistance accrue en faveur du Kenya. (158)

Selon le P.N.U.D., les estimations de 1994 concernant les personnes réinsérées étaient:

basée[s] sur les dires des O.N.G. présentes sur place, dont la Commission Justice et Paix [sic] de Nakuru. Le rapport Rogge déclarait qu'un tiers des personnes déplacées peut-être était de retour dans leur région et que la moitié du nombre total environ cultivaient leurs terres sans nécessairement y vivre, tandis que l'autre moitié était toujours déplacée. John Rogge présenta ces "chiffres," peu avant son départ, à l'occasion d'un séminaire d'ONG relatif aux personnes déplacées; aucune des O.N.G. présentes ne contesta la validité de ses assertions. L'équipe de l'O.N.U. utilisa donc ces chiffres comme estimations de base pour l'élaboration du programme. (159)

Cependant, l'affirmation du P.N.U.D. selon laquelle son programme avait permis de réinsérer environ un tiers des personnes déplacées déclencha un véritable tollé parmi les organisations humanitaires et d'Eglise locales. Les estimations du P.N.U.D. des personnes encore déplacées étaient de 30 pour cent inférieures aux 240.000 estimées par les organisations humanitaires locales. (160) Les défenseurs des personnes déplacées accusèrent le P.N.U.D. et le gouvernement de sous-estimer le nombre de personnes encore déracinées.

Lorsque le P.N.U.D. fut invité à apporter les preuves de ce chiffre, il chercha rapidement à prendre ses distances par rapport à ses propres estimations des personnes réinstallées. A l'instar du gouvernement kényan qui rejette constamment la responsabilité de la violence ethnique sur les autres (y compris la presse), le P.N.U.D. accusa de manière déloyale la presse kényane, qui avait avancé le chiffre de 75.000 en calculant un tiers du total estimé du P.N.U.D. de 250.000, de manipuler le chiffre et de le sortir de son contexte. Le P.N.U.D. prétendit qu'il n'avait jamais utilisé ce chiffre (ce qui est techniquement correct étant donné qu'il avait employé l'expression 'un tiers'). (161)

Fin 1995, lorsque le P.N.U.D. mit un terme à son programme aux personnes déplacées, il annonça qu'environ 180.000 personnes avaient été réinstallées grâce au programme. Bien que Human Rights Watch/Afrique ne soit pas en mesure de vérifier le nombre exact des personnes encore déplacées à cette époque, les entretiens avec les agents humanitaires locaux et internationaux qui aidaient et aident encore les populations déplacées laissent apparaître que l'estimation du P.N.U.D. est grandement exagérée. David Round-Turner, ancien conseiller en politique pour le programme du P.N.U.D., pense également que les chiffres sont élevés. Il déclare que: "le P.N.U.D. incluait parmi les personnes "réinsérées" celles qui demeuraient dans les quartiers commerciaux mais qui retournaient cultiver leur terre pendant la journée. On obtient dans ce cas un chiffre bien supérieur à la réalité." (162) Ernest Murimi de la Commission Catholique Justice et Paix a catégoriquement rejeté les estimations du P.N.U.D. selon lesquelles le programme avait permis le retour d'environ 180.000 personnes:

Ce chiffre nous a surpris. Les gens de terrain n'ont pas été consultés. D'où venait ce chiffre? Du gouvernement? Nous avons demandé au P.N.U.D. de nous remettre les noms des personnes qui avaient été réinstallées, on nous a dit de demander au Commissaire de district. Le P.N.U.D. aurait dû prioritairement créer un système d'enregistrement fiable. Il est à présent trop tard. Le P.N.U.D. a agi lamentablement. Où ont-ils réinstallé les personnes? Où est leur évaluation? Demandez-leur d'où sortent les chiffres qu'ils avancent. Où se trouve la liste de noms? De quelles régions proviennent-ils? Nous [la Commission Justice et Paix] pouvons vous montrer notre liste de personnes. D'où ils viennent, où ils sont, s'ils sont retournés sur leurs terres. Le P.N.U.D. n'a pas fait preuve de transparence. (163)

Un diplomate déclarait:

Même si le P.N.U.D. voulait aujourd'hui corriger les dégâts qu'il a provoqués, il serait impossible de localiser toutes les personnes déplacées en raison de l'absence de documents. Le P.N.U.D. n'a jamais suivi les personnes qui avaient été expulsées du camp de Maela. Ils n'ont pas non plus pris la peine de retrouver les gens transportés dans des camions, dont le carburant avait été payé par le P.N.U.D., et abandonnés au bord de la route dans la Province du Centre. Qui sait où se trouvent ces personnes à présent? Certainement pas le P.N.U.D. et peut-être même personne. (164)

Si le P.N.U.D. avait créé une base de données nationale pour enregistrer les personnes déplacées et déterminer le lieu où elles se trouvent, il aurait été davantage possible d'aider les personnes encore déplacées aujourd'hui.

Réticence à Dénoncer les Violations des Droits de l'Homme Perpétrées par le Gouvernement

"Le P.N.U.D. a réalisé un travail remarquable au Kenya"

--Le Président Daniel arap Moi, septembre 1994

L'une des critiques principales adressées au P.N.U.D. portait sur son absence de volonté de dénoncer le rôle du Gouvernement qui, par le passé et actuellement encore, a contribué à intimider, à harceler, voire à terroriser les personnes déplacées. Si le P.N.U.D. ne peut en aucun cas être tenu pour responsable du comportement récalcitrant du Gouvernement Kényan, il peut lui être reproché de ne pas avoir construit le programme en l'assortissant de garanties contre la violation des droits de l'Homme, de ne pas avoir pris l'initiative de dénoncer les violations commises, et de ne pas avoir aidé les personnes déplacées à obtenir réparation des préjudices subis. Le P.N.U.D. aurait dû examiner un grand nombre de questions liées aux droits de l'Homme. Parmi celles-ci, on compte notamment le refus d'appliquer les droits de l'Homme les plus fondamentaux aux personnes déplacés; le harcèlement, l'intimidation et la dispersion par la contrainte des populations déplacées; l'impunité totale des auteurs et des instigateurs des violences; et l'expropriation et la falsification arbitraire des titres de propriété dans le but de déposséder les personnes déplacées des terres qui leur appartiennent. Le fait que le P.N.U.D. ait passé ces problèmes sous silence a donné la fausse impression que la mise en oeuvre du programme se déroulait sans heurts et a contrecarré et compromis le processus de réinsertion.

Le P.N.U.D. déclare avoir sans cesse soulevé de problèmes liés aux droits de l'Homme au cours de rencontres privées (165) avec des membres du gouvernement kényan. Les démarches silencieuses du P.N.U.D. étaient acceptables. Toutefois, comme le gouvernement kényan continuait de les ignorer, il était de la responsabilité du P.N.U.D. de dénoncer plus ouvertement la situation afin de prendre ses distances par rapport au gouvernement aux yeux des Kényans et de la communauté internationale. L'approche du P.N.U.D. convenait au gouvernement kényan, car elle lui permettait de poursuivre sa politique consistant à persécuter certaines ethnies et à leur interdire de regagner certaines terres, conforté par la certitude que le P.N.U.D. s'abstiendrait d'une condamnation publique qui l'obligerait à réparer les torts commis. En réalité, le P.N.U.D. ne s'est pas borné à s'abstenir de dénoncer les violations. Dans des déclarations publiques au sujet gouvernement kényan et du programme, particulièrement lors de la visite de l'Administrateur James Gustave Speth (166) en septembre 1994, le P.N.U.D. a rendu hommage au gouvernement et a donné la fausse impression que le retour des personnes déplacées ne serait plus qu'une question de temps. L'apparente indifférence du P.N.U.D. à l'égard des violations des droits de l'Homme a fini par compromettre les perspectives à long terme des populations déplacées et a permis au gouvernement de se servir du P.N.U.D. pour couvrir des violations des droits de l'Homme.

Certaines des raisons pour lesquelles le P.N.U.D. au Kenya est apparu peu enclin ou disposé à traiter cet aspect incontournable du travail auprès des populations déplacées sont abordées ci-dessous. Toutefois, quelles que soient ces raisons, le fait est que le contrôle et la défense des droits de l'Homme ne constituaient pas un volet important du programme. Le P.N.U.D. n'a entrepris aucun effort de sensibilisation aux droits de l'Homme de ses employés ou de ceux du gouvernement kényan affectés au programme. Aucun effort n'a été entrepris pour établir des dossiers sur les violations des droits de l'Homme, les dénoncer et les faire connaître au public; pour alerter l'opinion publique internationale au sujet de la situation des personnes déplacées; ou, le cas échéant, pour obliger, en dénonçant son action, le gouvernement à respecter le processus de réinsertion. Si le P.N.U.D. déclarait qu'il était nécessaire que le gouvernement mette en place un cadre favorable, aucun effort n'a été fourni dans le sens de la promotion de règles articulées qui constitueraient les conditions minimales présidant au déroulement du programme destiné aux personnes déplacées. Plutôt que d'exercer des pressions sur le gouvernement kényan afin qu'il adopte des politiques susceptible de créer un cadre favorable, les responsables du P.N.U.D. se sont abstenus de dénoncer les violations.

Dans une large mesure, le silence du P.N.U.D. peut s'expliquer par le fait qu'il n'a aucune expérience des situations auxquelles il est actuellement confronté dans le cadre des programmes d'urgence. Si son adaptation à un monde en pleine mutation est louable, certaines de ses méthodes de travail n'ont pas encore fait l'objet d'une mise à jour. En tant qu'institution, le P.N.U.D. a toujours travaillé en étroite collaboration avec des partenaire gouvernementaux. D'aucuns supposent que la décision du P.N.U.D. de s'aligner sur le gouvernement résultait d'une décision politique délibérée, comme pour l'ensemble des programmes qu'il administre. En outre, le P.N.U.D. ne s'est jamais perçu comme défenseur des droits de l'Homme. Devant les violations commises par le gouvernement, son instinct institutionnel n'est pas de soulever les problèmes liés aux droits de l'Homme, comme d'autres agences de l'O.N.U., telles que l'UNHCR, seraient davantage portées à le faire. Les responsables du P.N.U.D. ont justifié leur silence public lors d'une réunion avec Human Rights Watch/Afrique en janvier 1995, en le présentant comme le prix à payer pour assurer plusieurs objectifs opérationnels qui, en fin de compte, bénéficieraient aux personnes déplacées. (167)

En raison de son histoire, le P.N.U.D. ne disposait pas de nombreux employés qualifiés en la matière. Sur le terrain, l'expérience et le savoir-faire permettant de déterminer la manière la plus efficace d'aborder ces aspects délicats semblaient faire défaut. En conséquence, plutôt que de dénoncer les actions du gouvernement portant préjudice aux personnes déplacées, le personnel du P.N.U.D. sur le terrain les a souvent justifiées d'une manière qui atténuait la responsabilité du gouvernement. Par exemple, les responsables du programme pour le Kenya ont justifié la passivité du Président, en présentant les échecs essuyés par le programme comme le résultat d'initiatives isolées de membres du gouvernement qui échappaient à son contrôle, tels que le Commissaire Provincial de la Vallée du Rift, Ismael Chelanga ou les Ministres Nicholas Biwott et William Ntimama, qui ont continué a faire des déclarations incendiaires sur les populations déplacées. Si l'analyse du P.N.U.D. selon laquelle certaines personnes, au sein du gouvernement, portent la responsabilité des affrontements est exacte, la conclusion selon laquelle le Président Moi et l'État dans son ensemble n'exerçaient plus aucun contrôle et ne sauraient donc être tenus pour responsables est erronée, car elle exonère le gouvernement de son devoir d'agir. C'est au Président Moi et à son gouvernement qu'incombe, en dernière instance, la responsabilité de la réinsertion des personnes déplacées, que des membres individuels du gouvernement incitent isolément à la violence ou non.

Les responsables du P.N.U.D. ont également cherché à minimiser la nature politique du conflit ethnique, le présentant comme un problème africain complexe et inextricable que les étrangers ne pourraient comprendre. En outre, on a tenté de minimiser l'importance du fait qu'il existait des victimes et des agresseurs et de décrire le problème en termes d'anéantissement d'ethnies, en faisant fi des question des justice et de responsabilité qui se posaient pour les victimes des violences, qu'ils soient Kikuyu, Luo, Luhya ou Kalenjin. (168)

Il est également reconnu que le silence du P.N.U.D. au sujet des agissements du gouvernement était dû au fait que ses responsables assimilaient généralement toute critique du gouvernement à un soutien de l'opposition, dont ils tenaient à se démarquer. Certains ont attribué cela au fait que le Représentant Résident du P.N.U.D. estimait à l'époque que le gouvernement agissait en toute bonne foi, en raison notamment de ses prises de position publiques en faveur de celui-ci. Un universitaire qui a interrogé des responsables du P.N.U.D. au cours de recherches au Kenya a formulé la remarque suivante sur les programmes du P.N.U.D.:

À mon sens, d'une manière générale, le P.N.U.D. a accepté ou s'est trouvé empêtré dans une situation où son autonomie était limitée, voire inexistante. L'autonomie dont il jouissait semblait se confiner à l'espace intermédiaire entre les "deux parties," à savoir le gouvernement kényan (ou Kalenjin) et l'opposition (Kikuyu). Les deux parties étaient considérées comme aussi coupable l'une que l'autre, mais le P.N.U.D. était plus proche du gouvernement, dans le mesure où il était son partenaire dans le programme. Ses liens avec l'opposition étaient faibles et empreints de méfiance. Lors de nos entretiens, le P.N.U.D. cherchait, à mon sens, à nous convaincre que l'opposition constituait un problème de taille, sinon le problème principal. Il semblait également se considérer comme partageant quasiment l'exercice du le pouvoir. (169)

Une autre explication du silence du P.N.U.D. sur les droits de l'Homme sur le terrain--ainsi que le refus de dénoncer la situation au Kenya--réside dans la structure institutionnelle du P.N.U.D., qui n'encourage ni ne favorise l'initiative personnelle en matière de protection des droits de l'Homme. Premièrement, la double désignation du Représentant Résident et du Coordonnateur Résident pose problème. Dans le cadre de leur mission, les Représentants Résidents du P.N.U.D. sont censés favoriser l'établissement de relations de travail étroites avec le gouvernement du pays d'accueil. Cette même personne est ensuite désignée Coordonnateur Résident pour diriger un programme d'urgence, tel que le programme destiné aux personnes déplacées à l'intérieur de leur pays, qui peut exiger une attitude critique vis-à-vis de la politique du gouvernement. Cette double fonction comporte des tensions inhérentes pour le Représentant Résident. Dans le cas du Kenya, cette tension existait sans aucun doute. Selon un responsable du P.N.U.D.:

David Whaley [ancien Représentant Résident du P.N.U.D. au Kenya] a failli être déclaré persona non grata et privé d'une promotion car il avait pris le risque de se prononcer sur le programme des personnes déplacées au Kenya. De plus, New York ne l'a pas soutenu dans certains dossiers importants, tels que la réforme du droit et des baux fonciers. Parfois, les personnes qui travaillent sur le terrain ont l'impression de ne pas recevoir le soutien nécessaire de New York. Lorsqu'ils souhaitent s'engager dans une certaine direction ou s'exprimer, il en sont empêchés par des fonctionnaires basés à New York qui ne sont pas aussi bien informés de la situation ou souhaitent renforcer la tradition de bonnes relations entre l'agence et le gouvernement. (170)

En outre, New York n'impose aucune exigence formelle de dénonciation des violations des droits de l'Homme. Cette situation a renforcé la tendance à passer sous silence les violations des droits de l'Homme dans le cadre du Programme destiné aux personnes déplacées au Kenya. L'élaboration régulière de rapports permettant de faire l'état de la situation, notamment en matière de violations des droits de l'Homme, figurait dans les attributions des employés du P.N.U.D. sur le terrain. Toutefois, ces rapports sont restés superficiels et n'ont pas permis d'attirer l'attention de l'opinion publique internationale sur la situation la violation des droits de l'Homme des personnes déplacées. Selon le rapport interne d'un bailleur de fonds présentant une évaluation du programme du P.N.U.D. en 1994:

Les informations ne circulaient pas comme il eût été souhaitable. Par exemple, même si, sur le terrain, les responsables avaient été invités à soumettre un rapport toutes les deux semaines, les rapports n'étaient pas transmis aux bailleurs de fonds. La réaction du P.N.U.D. aux déplacements forcés de Maela a d'ailleurs contribué à renforcer les convictions de certains bailleurs de fonds. Cet aspect s'inscrit dans le problème plus large du mauvais fonctionnement du système d'élaboration des rapports au sein du P.N.U.D. Bien qu'il soit sans cesse question d'un manque de moyens, il semble que le problème se pose davantage en termes de réticence à partager tant les problèmes que les succès. (171)

Cette approche a nui à la mise en oeuvre du programme sur le terrain. Le P.N.U.D. n'a pas mis en place les garanties permettant d'éviter que le gouvernement ne manipule le programme, ni de mécanismes permettant de contrôler les personnes déplacées et de les protéger contre le gouvernement. Selon un ancien employé du P.N.U.D. qui a travaillé dans le cadre du programme, "le P.N.U.D. a commis une erreur de jugement politique au sujet des intentions qui animaient le gouvernement kényan lorsqu'il a approuvé le programme." Il a ajouté que:

Le P.N.U.D. a pris un bon départ, mais, rapidement, le programme a quasiment tourné au fiasco total. Les problèmes ont commencé à apparaître lorsque le gouvernement a été autorisé à intervenir activement. Celui-ci a acheminé les fonds via les ministères de l'éducation, de la santé et de l'agriculture. Les Commissaires de district locaux ont été autorisés à présider les comités. Ils ont pris le pas sur les contributions locales. Les Officiers de district étaient responsables des comptes et signaient les chèques. Par le biais de l'administration locale, à l'abri du regard des organismes nationaux et internationaux basés à Nairobi, le gouvernement national exerçait un contrôle sévère sur le programme du P.N.U.D. (172)

Selon un travailleur humanitaire étranger: 

Nous étions constamment déçus de constater que le P.N.U.D. ne s'occupait pas de questions politiques. Nous pensions nous charger des besoins en matière d'assistance et d'urgence médicale, alors que le rôle du P.N.U.D. consisterait à trouver des solutions durables pour permettre aux personnes déplacées de rentrer chez elles - des accords fermes avec le gouvernement. David Whaley [ancien Représentant Résident du P.N.U.D. au Kenya] et Philippe Chichereau [ancien conseiller technique principal du P.N.U.D.] donnaient l'impression d'avoir conclu un accord avec le gouvernement et chaque fois que ce dernier contrecarrait le programme, ils feignaient la surprise. Après un certain temps, nous avons abandonné tout espoir d'obtenir quoi que ce soit du P.N.U.D. (173)

Pour le P.N.U.D., toute possibilité d'exiger des poursuites à la suite de violations a été compromise par la réticence à traiter de questions politiques susceptibles de nuire à la qualité des relations de travail. Il avait été délibérément décidé de ne pas prendre position sur les affrontements eux-mêmes, sur la base du principe selon lequel c'est à la société kényane, et pas aux étrangers, qu'il incombe de décider de la manière dont il y a lieu de traiter les tragédies du passé. Toutefois, lorsque de graves violations des droits de l'Homme constituent la toile de fond d'une crise humanitaire, l'O.N.U. devrait éviter de gérer son programme en faisant table rase du passé. Les violations en matière de droits et de justice resurgissent inévitablement du passé et pèsent lourdement sur toute perspective de réconciliation et de paix. Les programmes de l'O.N.U. pour les personnes déplacées doivent comporter un mécanisme permettant de traiter les violations qui se sont produites, et notamment de traduire les coupables en justice auprès des tribunaux nationaux. Des craintes avaient en outre été exprimées selon lesquelles l'implication du P.N.U.D. permettrait au gouvernement de décrire la situation comme un simple problème de "développement" et de minimiser ainsi l'importance du rôle politique préjudiciable qu'il a joué en incitant à la violence, pour ne pas parler du renforcement du déplacement par les expropriations et la manipulation des titres de propriété foncière.

L'un des premiers moyens utilisés pour mettre un frein aux violations et empêcher leur aggravation aurait dû être l'élaboration de rapports relatifs à la situation des droits de l'Homme. À cet égard, le P.N.U.D. aurait pu faire office de témoin international des violations et agir comme initiateur des mesures de protection nécessaires. Un information régulière du public aurait permis de découpler les droits de l'Homme et les autres considérations d'ordre politique; cette activité aurait dû faire partie intégrante du programme du P.N.U.D. Le P.N.U.D. aurait dû être chargé de publier régulièrement des rapports sous une forme accessible tant pour les Kényans que pour la communauté internationale.

Dans la mise en oeuvre de programmes d'urgence, tels que le programme destiné aux personnes déplacées, le P.N.U.D. doit évoluer et élargir son rôle traditionnel de mise en oeuvre afin d'intégrer des activités de défense et de protection des droits de l'Homme. Par nature, le déplacement de personnes à l'intérieur de leur pays comporte en son sein des aspects liés aux droits de l'Homme et l'agence doit être préparée à s'opposer aux violations perpétrées par le gouvernement. Si les initiatives privées ne suffisent pas pour ramener le gouvernement à l'ordre, alors le P.N.U.D. doit être préparé à donner davantage de publicité à son action ou à mobiliser d'autres milieux. Il est inévitable que cela se traduise par des dissensions avec des membres du gouvernement. Tel doit néanmoins être le prix minimal à payer pour le respect des droits fondamentaux.

Absence d'un Volet sur la Protection

"Le P.N.U.D. n'a pas pris notre défense lorsque nous avions besoin d'être protégés contre le gouvernement."

--Déplacé Kikuyu, Maela, District de Nakuru, le 7 août 1996

La protection et la sécurité n'ont pas figuré au centre des préoccupations des agences humanitaires et des agences pour le développement travaillant auprès de personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays. La protection de la sécurité physique et des droits de l'Homme des populations déplacées doivent constituer des volets des programmes internationaux au même titre que l'aide d'urgence, car la menaces sur la sécurité compromettent souvent le retour des personnes déplacées. La protection est un concept clairement établi par le cadre de la protection des réfugiés et les responsabilités de l'UNHCR. Cependant, étant donné que, souvent, ce sont des agences de l'O.N.U. autres que l'UNHCR qui sont appelées à administrer des programmes destinés aux personnes déplacées, l'absence d'un volet protection adéquat se fait souvent sentir. Le P.N.U.D. ne fait pas exception à la règle. Dans ses activités habituelles, le P.N.U.D. ne considère pas la protection comme une partie habituelle de son mandat. Dans les programmes destinés aux populations déplacées, peu d'employés disposent des compétences nécessaires pour traiter dela sécurité physique des personnes déplacées, même dans des endroits où la protection est d'une importance primordiale. Or, les programmes destinés aux personnes déplacées sont davantage contrariés par des problèmes sécuritaires et politiques liés à la nature du déplacement que de nombreux autres projets de développement auxquels le P.N.U.D. participe dans le monde. (174)

Pour les personnes déplacées au Kenya, la protection consistait tant à assurer leur sécurité physique en les protégeant des menaces de contrainte et de violence qu'à défendre, à plus long terme, leurs droits, qui avaient été violés par les responsables du déplacement. Dans le cadres des activités de protection, le P.N.U.D. aurait dû percevoir son rôle de coordination de la protection pour les organisations d'aide d'urgence nationales et internationales travaillant auprès des personnes déplacées. Cependant, au sein du P.N.U.D., certains ne souhaitent pas que le mandat soit interprété comme incluant des responsabilités de protection, arguant du fait que cette décision serait trop "politique" et compromettrait la capacité de l'agence à fournir une aide d'urgence. Toutefois, en l'absence d'un volet protection, les programmes destinés aux personnes déplacées seront exposés à de sérieux problèmes.

Le P.N.U.D. était conscient de cette difficulté, mais n'a finalement pas remédié. Le premier rapport Rogge indiquait clairement que:

La question de la sécurité dans l'ensemble des zones d'affrontement est primordiale pour le succès de tout programme de réhabilitation et de reconstruction. Elle passe inévitablement par un engagement ferme et soutenu de la part des plus hauts échelons du gouvernement kényan et de toutes les autorités locales responsables sous sa tutelle, y compris les chefs et les élus locaux. L'agitation au niveau local à l'encontre d'une ethnie doit être réprimée à la source avec vigueur et promptitude. Les auteurs de violences, tels que les pillards, doivent être traités comme des criminels de droit commun et immédiatement faire l'objet des poursuites prévues par la loi. (175)

Dans un rapport de mission rédigé deux années plus tard, le P.N.U.D. soulignait encore la nécessité de la protection:

La mission du gouvernement qui consiste à assurer la sécurité de tous les citoyens est primordiale. Il ne peut y avoir de demi-mesures. Parmi les besoins exprimés par les personnes déplacées ou victimes des affrontements, la sécurité prédomine: la sécurité physique des personnes et des biens; les cultures; la sécurité des titres de propriété et des baux et la sécurité pour exercer des activités économique en toute légalité, indépendamment de l'origine ethnique. (176)

Bien que la sécurité incombe ne dernière instance au gouvernement, le P.N.U.D. doit s'efforcer d'obtenir l'engagement du gouvernement à garantir la sécurité des populations déplacées lors de leur retour. Depuis 1993, un grand nombre de personnes déplacées interrogées par Human Rights Watch/Afrique ont déclaré souhaiter retourner chez eux, si leur sécurité est garantie. La sécurité ne passe pas nécessairement par un renforcement de la présence policière dans la région (surtout lorsque la police est connue pour avoir pris parti lors d'affrontement), mais par une véritable garantie et des mesures tangibles prises par le gouvernement national en vue de convaincre les populations déplacées qu'il ne tolérera aucune intimidation ou violence et interviendra rapidement si des affrontements violents venaient à éclater.

Il était essentiel que le P.N.U.D. prie instamment le gouvernement kényan de garantir la sécurité du programme, de faciliter l'accès aux régions et donne à l'ensemble de l'administration l'instruction d'agir avec efficacité et transparence. Pendant le déroulement du programme du P.N.U.D., le gouvernement kényan a constamment été invité par les bailleurs de fonds à prendre davantage de mesures dans ce sens. (177) Le menace de l'insécurité -réelle ou perçue- demeure aujourd'hui l'un des obstacles principaux au retour. D'emblée, le P.N.U.D. aurait dû coopérer avec les forces de sécurité et les administrations locales et dispenser des formations en matière de droits et de responsabilité légale afin qu'ils perçoivent clairement le rôle qu'ils devraient jouer dans le processus de réinsertion. Des initiatives similaires entreprises par l'UNHCR auprès de la police kényane dans la Province du Nord-Est ont conduit à une diminution sensible des abus policiers à l'encontre les réfugiés et contribué à renforcer la protection des réfugiés par rapport aux attaques extérieures (voir la section relative au renforcement du cadre de l'O.N.U., afin de protéger les personnes déplacées).

Le P.N.U.D. doit mettre au point une politique de protection plus claire aux fins des programmes destinés aux personnes déplacées. Celle-ci devrait s'axer sur la protection de la vie et de la sécurité, la défense des droits de l'Homme et légaux et la promotion de normes internationales. Le P.N.U.D. aurait dû subordonner le programme à l'exigence absolue de garanties minimales en matière de protection.

Tensions dans les Relations avec les Bailleurs de Fonds

Les bailleurs de fonds peuvent souvent contribuer à aborder des questions de violation des droits de l'Homme avec les gouvernements. Dans les cas où il est dans l'intérêt de l'O.N.U. de ne pas amener un problème sur la place publique, les bailleurs de fonds peuvent souvent intercéder en son nom. Pour le P.N.U.D. au Kenya, ceux-ci auraient pu soulever les problèmes que le P.N.U.D. hésitait à aborder. Or, les entretiens entre des membres de Human Rights Watch/Afrique, les bailleurs de fonds et les représentants du P.N.U.D. consacrées au programme se sont souvent soldées par une série d'accusations mutuelles. Les responsables du P.N.U.D. estiment que certains bailleurs de fonds, qui avait au départ demandé le programme du Kenya, n'ont en fin de compte pas fourni le financement nécessaire à son succès; ces derniers, à leur tour, ont accusé le P.N.U.D. de ne pas les avoir informés ou de ne pas avoir attiré leur attention sur les problèmes du programme.

Les bailleurs de fonds au Kenya constituaient un puissant allié potentiel en matière de droits de l'Homme. Même s'il se prononce en public contre l'influence de ces derniers, le gouvernement Moi a souvent, par le passé, cédé à leur pression concernant les réformes économiques et les droits de l'Homme. Cette pression soutenue a permis d'enregistrer des progrès considérables en matière de droits de l'Homme au Kenya; notamment le renoncement, par le gouvernement, au recours à la Loi sur le maintien de la sécurité publique pour maintenir les dissidents en détention pendant une période indéfinie sans chef d'accusation; le rétablissement des baux aux magistrats ainsi que des améliorations importantes dans le domaine des libertés d'expression, de rassemblement et d'association. Même si la situation actuelle du pays est loin d'être idéale, elle s'est relativement améliorée depuis le milieu des années 80, en raison surtout de la pression multilatérale et bilatérale des bailleurs de fonds qui appelaient au changement dans le pays. On ne peut toutefois en conclure que les droits de l'Homme et la protection constituent les facteurs décisifs dans les décisions relatives à l'aide et aux investissements, ni que les bailleurs de fonds aient accordé à ces aspects une priorité plus grande qu'à l'intérêt national. Cependant, ceux-ci ont prêté attention à la situation des populations déplacées au Kenya et se sont montrés préoccupés face à l'hostilité du gouvernement à leur encontre.

Le P.N.U.D. dispose d'un contact direct avec les bailleurs de fonds par le biais du Comité Exécutif du Comité National pour les Personnes Déplacées (C.N.P.D.). Le Comité exécutif était composé de deux membres des instances suivantes: le gouvernement, les donneurs d'aide bilatérale et multilatérale, les organisations religieuses et les O.N.G. L'une des attributions du Comité exécutif figurant dans son mandat était de "débattre de et mettre au point l'approche, la politique et la stratégie du programme à long terme sur la base du rapport Rogge et de ses recommandations ainsi que sur les rapports suivants." Le Comité exécutif constituait une structure utile à travers laquelle les bailleurs de fonds ont été à même d'informer le gouvernement de leurs réactions par rapport aux progrès enregistrés.

Le P.N.U.D. a eu recours au C.N.P.D. et à d'autre mécanismes afin d'informer les bailleurs de fonds. Au cours de la phase de préparation, le Représentant Résident organisait régulièrement des réunions avec des représentants des bailleurs de fonds et le rapport Rogge leur a été distribué. Cependant, selon les représentants des bailleurs de fonds, le P.N.U.D. aurait pu mieux tirer parti de leur présence au sein du Comité exécutif, lequel comportait des représentants des plus grands bailleurs de fonds du pays (dont notamment les U.S.A., le Royaume-Uni, et l'U.E.), pour exercer une pression sur le gouvernement kényan lorsque, pour raison ou pour une autre, le P.N.U.D. n'estimait pas opportun de le faire. Or, certains bailleurs de fonds ont observé que le P.N.U.D. n'informait pas suffisamment leur ambassade et ne répondait pas aux membres du Comité exécutif comme il aurait été censé le faire. Selon un diplomate qui était en poste au Kenya, "Ils [le Programme du P.N.U.D. pour les Personnes Déplacées] semblaient obéir aux plus hauts échelons de la hiérarchie du P.N.U.D. Ils auraient dû être davantage subordonnés au Comité exécutif. Le P.N.U.D. faisait souvent cavalier seul, puis appelait les autres à la rescousse lorsqu'il avait besoin d'agir sous le couvert du Comité exécutif." (178)

Une explication avancée par l'un des responsables du P.N.U.D. chargé du programme consistait à dire que le P.N.U.D. était confronté à un dilemme, car d'une part, il cherchait à obtenir un financement auprès des mêmes bailleurs de fonds et, si le programme semblait être en butte à des difficultés, cela compromettait des possibilités de financement que le P.N.U.D. s'efforçait laborieusement de décrocher. Toutefois, le fait que le P.N.U.D. ne se soit pas, en apparence, prononcé sur les problèmes des droits de l'Homme a nui, à sa manière, sur l'image que les bailleurs de fonds se faisaient du programme. Certains membres du C.N.P.D. ont commencé à se méfier d'une trop grande proximité vis-à-vis du programme et se sont montrés de moins en moins disposés à engager des fonds en raison de l'absence de volonté du P.N.U.D. de dénoncer les violations du gouvernement ou de lancer un appel aux bailleurs de fonds. À la suite des dispersions une réunion du Comité exécutif a été organisée afin d'examiner les événements de Maela. Le gouvernement a refusé de s'y rendre: aucun des deux membres du gouvernement kényan chargés du programme P.N.U.D., Wilfred Kimilat, du Bureau du Président, et Paul Langat, Président du Comité exécutif, ne s'est libéré pour la réunion, des dates alternatives ayant été proposées. Cependant, David Whaley, le Représentant Résident du P.N.U.D. au Kenya, a continué d'excuser le gouvernement en minimisant l'importance de ses agissements. La réunion tenue le 4 janvier 1995 en l'absence du gouvernement a été qualifiée de "réunion informelle" d'information afin d'apaiser le gouvernement, qui aurait été mécontent si une réunion formelle du Comité exécutif avait été organisée. C'est à l'occasion de cette réunion que David Whaley a qualifié la dispersion par la force de milliers d'habitants de Maela de "contretemps momentané" dans le déroulement du programme, ce qui a contribué à renforcer le scepticisme des bailleurs de fonds à l'égard du P.N.U.D. Selon un diplomate qui a participé à la réunion:

Les bailleurs de fonds n'ont jamais cru que l'engagement du gouvernement vis-à-vis du programme était sérieux. Nous n'avons jamais eu la sensation non plus que le P.N.U.D. souhaitait jouer les trouble-fête. Il était trop prudent. Devant nous, David Whaley a trouvé les mots justes, mais, honnêtement, les mesures nécessaires n'ont pas été prises. Dès lors, nous n'étions pas disposé à consentir un effort financier important pour ce programme, car nous ne faisions pas confiance au gouvernement kényan et nous n'étions pas convaincus de la volonté du P.N.U.D. de faire pression sur celui-ci là où cela s'avérerait nécessaire. (179)

Le P.N.U.D. aurait dû exiger une participation plus important des gouvernements des bailleurs de fonds au sein du Comité exécutif. Ce groupe de bailleurs de fonds a toujours su infléchir la politique du gouvernement kényan en faisant pression sur lui. Une coalition forte de donneurs d'aide bilatérale aurait été de nature à renforcer la position du P.N.U.D. et à lui permettre de faire entendre fermement ses récriminations, sans devoir s'engager lui-même.

Travail de Sape Contre les O.N.G. Locales

"Le P.N.U.D. devait faire office de partenaire pour les associations présentes sur le terrain, pas de bulldozer." 

--Un collaborateur d'une O.N.G. locale, Namwele, district de Bungoma, 3 août 1996

Dans le cadre de missions concernant des personnes déplacées à l'intérieur de leur pays, l'un des atouts potentiels de l'O.N.U. réside dans sa capacité à soutenir et appuyer ses partenaires locaux afin d'assurer aide et protection aux personnes déplacées. L'expérience accumulée par les O.N.G. en la matière est considérable et surpasse sans doute celle de l'O.N.U. En effet, les O.N.G. locales sont généralement en prise directe avec la réalité, elles ont noué des liens plus étroits avec la population et possèdent une vision plus fouillée de la situation. En outre, les associations locales restent plus longtemps en place que les programmes internationaux; c'est pourquoi le renforcement des institutions nationales et des initiatives locales peut à son tour renforcer la capacité de ces services civils à réclamer des comptes au gouvernement. Inversement, l'affaiblissement des O.N.G. laisse la voie ouverte aux abus de pouvoir gouvernementaux.

Jusqu'à l'intervention du P.N.U.D., près de deux ans après le début des troubles, les O.N.G. locales, et plus particulièrement le C.N.E.K. (Conseil National des Eglises du Kenya) et l'Eglise catholique, étaient (et sont toujours) les premières organisations à fournir des secours d'urgence aux personnes déplacées. Dans certaines régions, ces associations locales avaient commencé à créer une coopération véritable et avaient parfois mis sur pied des comités humanitaires communs, chargés de coordonner l'aide. Ces organisations locales possédaient d'emblée plusieurs avantages majeurs sur le P.N.U.D., dans le sens où elles étaient proches des personnes déplacées et disposaient de structures fonctionnelles dans les zones concernées. Fait plus important encore, elles avaient réussi à gagner la confiance des victimes. A son tour, le P.N.U.D. aurait pu jouer un rôle utile en tempérant les pratiques douteuses de certaines O.N.G., telles que la duplication des efforts, le gonflement des chiffres visant à collecter des fonds, la corruption et l'accent mis sur la charité et l'aide alimentaire plutôt que la réinsertion ou les solutions à long terme. Le deuxième rapport Rogge a d'ailleurs mis en évidence ce dernier problème.

Lorsque le programme du P.N.U.D. débuta, il incluait des dispositions visant à travailler de concert avec les organisations non-gouvernementales et d'église. Cependant, toutes les O.N.G. et organisations d'église interrogées par Human Rights Watch/Afrique accusent, sans exception, le P.N.U.D. de s'être distancié des associations locales en charge des personnes déplacées et d'avoir, dans certains cas, miné et réduit à néant leurs efforts. Unanimes, les O.N.G. kényanes questionnées par Human Rights Watch/Afrique estiment que leur relation avec le P.N.U.D. était, pour reprendre les termes d'un membre d'une O.N.G., "une rue à sens unique." De l'avis général des O.N.G., le P.N.U.D. s'est attribué leurs réussites en se gardant bien de renforcer leurs programmes ou de les défendre contre les critiques émises par le gouvernement à propos de leur travail. En 1994, un bailleur de fonds interne faisait remarquer au sujet du programme du P.N.U.D.:

Le P.N.U.D. ne bénéficie pas du respect universal qu'inspirent les O.N.G. sur place. La nature de son travail exige qu'il soit étroitement lié au G.D.K. [Gouvernement du Kenya], il est dès lors souvent perçu comme un instrument du G.D.K. De plus, dans un district au moins, l'insensibilité culturelle témoignée par l'agent local du P.N.U.D. a engendré une perte de confiance dans les autres O.N.G. et l'agent du district. (180)

D'aucuns attribuent cet état des choses au fait que les O.N.G. et les Eglises ne se contentaient pas d'apporter une aide humanitaire aux personnes déplacées mais dénonçaient également le rôle du gouvernement dans la fomentation de la violence et des persécutions dont ces dernières étaient l'objet. Ces associations étaient donc devenues la cible des attaques du gouvernement, qui les accusait de méfaits allant de la sédition à la trahison. D'autres imputaient la décision du P.N.U.D. de se rapprocher du gouvernement à la nécessité de se distancier des O.N.G. s'il voulait éviter semblables accusations. Ernest Murimi, de la Commission Catholique Justice et Paix, fait pour sa part le commentaire suivant: "Le P.N.U.D. aurait dû s'appuyer sur les structures existantes, mises sur pied par la communauté des O.N.G. au Kenya. Mais il a préféré recourir aux structures administratives gouvernementales pour centraliser son programme et a complètement marginalisé les O.N.G." (181)

La Province de l'Ouest est la seule région régulièrement citée par le P.N.U.D. comme exemple de réinsertion réussie -tandis que les O.N.G. y voient une illustration des préjudices portés par le P.N.U.D. à leurs efforts de réinsertion. Dès son arrivée dans la Province de l'Ouest, le P.N.U.D. centralisa tous les efforts mis en œuvre dans la région via la Comité de Coordination de la Province de l'Ouest, qui supplanta l'organe similaire instauré par les O.N.G. locales. Tecla Wanjala, qui travailla pour une O.N.G. de la région à l'époque, explique:

Les bases de la réinsertion avaient été jetées avant l'arrivée du P.N.U.D. C'était déjà une de nos préoccupations à l'époque. Nous avions ainsi formé un comité de coordination avec les associations locales -Action Aid, la Croix-Rouge du Kenya, l'Eglise catholique, l'Eglise de la Province du Kenya et le Conseil National des Eglises du Kenya (C.N.E.K.). Nous nous efforcions de mieux coordonner nos programmes, afin de mieux desservir la région. Avant que le P.N.U.D. ne reprenne le Comité de Coordination de la Province de l'Ouest en 1994, nous avions même engagé un coordinateur. Ensuite, le P.N.U.D. est arrivé et a piraté le processus. Ils ne voulaient pas collaborer avec les O.N.G. locales parce que le gouvernement nous attaquait pour avoir aidé les personnes déplacées. Bien au contraire, le P.N.U.D. a saboté nos structures et a pris ses distances par rapport à nous. Tous les fonds ont commencé à affluer vers le P.N.U.D., qui a donc pris en charge le financement de tous les projets. Puis, après Maela, le P.N.U.D. s'est retiré sans le moindre avertissement et a clôturé son programme en 1995. Aujourd'hui, le dynamisme insufflé par les organisations locales s'est éteint, le P.N.U.D. est parti et nous sommes dépourvus de tout moyen financier qui nous permettrait de poursuivre les efforts entamés avant l'arrivée du P.N.U.D. Par conséquent, les mobilisations à l'échelle locale se sont effondrées. C'est le vide total. (182)

Le Centre d'Etudes sur les Réfugiés de l'Université Moi, à Eldoret, avait été chargé par le P.N.U.D. d'effectuer une enquête indépendante sur son rôle dans la Province de l'Ouest, cette région même où le P.N.U.D. aurait parfaitement mené à bien ses opérations. Lorsque le P.N.U.D. se vit décerner une évaluation négative de son rôle dans la région, la réaction de William Lorenz, le responsable du P.N.U.D. qui reçut l'équipe du Centre d'Etudes sur les Réfugiés, fut qualifiée d'hostile. Le P.N.U.D. refusa de poursuivre toute discussion avec le Centre d'Etudes sur les Réfugiés de l'université de Moi; à ce jour, il ne s'est jamais penché sur les problèmes évoqués dans le rapport. Le rapport provisoire rédigé par le Centre d'Etudes sur les Réfugiés en septembre 1995 émettait de vives critiques quant à l'interaction du P.N.U.D. avec les O.N.G. dans le cadre du Comité de Coordination de la Province de l'Ouest, l'organisme de coordination régional fondé par les O.N.G. locales et dont la direction fut ultérieurement reprise par le P.N.U.D. Le rapport concluait en ces termes:

Vu ses compétences et son implication nationale dans la question du déplacement, le P.N.U.D. occupait et occupe toujours une position de choix pour contribuer de manière positive à des initiatives locales telles que le Comité de Coordination de la Province de l'Ouest. Cependant, l'opinion générale en la matière est que le P.N.U.D., loin de le soutenir, a considérablement affaibli ce Comité…Il y a eu une incompréhension flagrante de ce que devait être le rôle du P.N.U.D. au sein des gens… Alors qu'il avait promis de couvrir les frais de fonctionnement du Comité, le P.N.U.D. ne déliait sa bourse que sporadiquement. L'un des points inquiétants soulignés par cette étude est le manque de professionnalisme et de toute démarche contractuelle…Ces manquements ont gravement porté atteinte aux activités du Comité…De plus, comme les fonds et l'aide alloués par le P.N.U.D. devenaient très aléatoires, le Conseil des O.N.G. retira son soutien au Conseil. (183)

Le Centre d'Etudes sur les Réfugiés avance également les conclusions suivantes:

Peut-être l'inconsistance du P.N.U.D. a-t-elle atteint des sommets avec les quips (Quick Impact Projects/Interventions à Impact Immédiat). Alors que les intervenants s'apprêtaient à lancer le processus de réhabilitation et de reconstruction, le P.N.U.D. leur demanda de mettre en œuvre des projets de financement rapide…Plusieurs projets virent le jour et reçurent l'aval du Comité de Coordination de la Province de l'Ouest. Pourtant, 3 O.N.G. seulement bénéficièrent d'un financement: le CRWRC [Church Reformed World Relief Committee], l'International Child Trust et Action Nordsud. Par conséquent, la coopération entre les divers intervenants et le comité s'amenuisa davantage, ce dernier étant désormais considéré comme un organisme du P.N.U.D. Malgré ces incohérences, le P.N.U.D. ne fournit aucune explication, ni au comité ni aux O.N.G. L'incapacité du P.N.U.D. à honorer ses promesses ne fit qu'accroître le ressentiment à son égard et à l'encontre du Comité de Coordination de la Province de l'Ouest, qui s'avérait impuissant à influencer en sa faveur les décisions de financement du P.N.U.D. Ce ressentiment se transforma en méfiance vis-à-vis du P.N.U.D. et généra un profond abattement chez les intervenants. Au moment de l'étude, chaque personne interrogée accusait le P.N.U.D. d'avoir court-circuité le processus de coordination. Pour reprendre les paroles de l'une d'elles: "Au lieu de devenir membre du comité, le P.N.U.D. a joué le rôle de commandant."...Les politiques internes au programme du P.N.U.D. pour les personnes déplacées affectèrent également les performances du Comité de Coordination. Par exemple, les agents locaux [du P.N.U.D.] n'étaient pas informés convenablement et le fait devint une excuse incontournable lors des réunions du Comité. En fin de compte, de l'avis unanime de tous les intervenants en place, sa participation a été un échec total." (184)

Le P.N.U.D. aurait dû reconnaître à sa juste valeur le travail accompli par les O.N.G. locales et créer un véritable partenariat. Le programme du P.N.U.D. aurait dû inclure le renforcement de la capacité des associations locales et l'octroi de moyens de défense contre les persécutions perpétuelles émanant du gouvernement.

Aucune Volonté de Trouver des Solutions à Long Terme

"C'est vrai, certaines personnes sont finalement rentrées chez elles, mais pas grâce au P.N.U.D."

--Un travailleur d'une association d'aide humanitaire internationale, Nairobi, 30 août 1996

Pour trouver des solutions à long terme au problème des personnes déplacées, il convient d'étudier ses causes premières. Les organisations qui travaillent avec des personnes déplacées doivent adopter une approche à long terme en ce qui concerne les actions préventives et la résolution des problèmes ayant engendré la violence. L'O.N.U., et le P.N.U.D. en particulier, sont parfaitement compétents pour élaborer des programmes destinés à fournir des solutions à long terme et à renforcer les efforts de développement mis en œuvre. Le P.N.U.D. doit se poser la question suivante: ses programmes relatifs aux personnes déplacées ont-ils seulement pour objectif d'offrir une aide humanitaire ou l'agence envisage-t-elle de jouer un rôle plus large, qui s'inscrit dans son expérience en matière de développement? Dans ce dernier cas, les programmes relatifs aux personnes déplacées doivent s'attaquer aux causes premières du déplacement et inciter davantage le gouvernement du pays à prendre les mesures requises.

Au Kenya, les problèmes non-résolus de régime foncier remontant à l'époque coloniale sont l'une des principales raisons expliquant pourquoi le gouvernement a pu mobiliser aisément les membres des communautés Kalenjin et Maasai et les inciter à attaquer leurs voisins. Ces tensions ont en effet été exacerbées par des revendications consécutives à la distribution post-coloniale des terres, à la demande pressante de terres et à la croissance rapide de la population, qui ont eu un effet néfaste sur les groupes traditionnellement pastoraux. (185) Les questions relatives à la propriété foncière, à l'acquisition de terres, aux démarcations non-autorisées et à l'installation ont entravé la recherche d'une solution durable au problème du déplacement. A maintes reprises, les résidents déplacés avaient informé le P.N.U.D. que la propriété foncière et la rareté des terres étaient des sources de troubles majeures et qu'il fallait y remédier. (186)

Le P.N.U.D. était parfaitement conscient que toute solution à long terme exigeait de se pencher sur les questions liées au régime foncier. Cependant, il ne pouvait -ou ne voulait-, une fois de plus, prendre aucune mesure concrète en raison de l'opposition témoignée par le gouvernement. L'un des objectifs du P.N.U.D. était "d'aider à l'enregistrement des actes d'état civil afin de disposer de registres précis concernant les personnes déplacées et de mettre sur pied un système d'enregistrement foncier." (187) Le premier rapport Rogge estimait que le gouvernement kényan devait:

prendre des mesures énergiques afin que personne ne perde ses droits à la propriété foncière dans les régions occupées avant les affrontements. Les administrations locales doivent régler au plus vite la question des titres fonciers dans les régions où la subdivision des exploitations agricoles a été adoptée. Ailleurs, il convient d'accélérer l'arpentage des subdivisions. Les irrégularités constatées au niveau de la vente de terres par des organisations coopératives de gestion et dans les bureaux d'enregistrement locaux doivent faire l'objet d'une surveillance plus stricte. Il faudrait en outre prendre des mesures administratives adéquates afin de minimiser pendant un certain temps la vente de terres dans les régions touchées par les troubles, jusqu'à ce que les réclamations en suspens puissent être traitées et que l'accès des personnes déplacées aux terres sur lesquelles elles vivaient avant les troubles soit réglementé. Enfin, les bailleurs de fonds devraient réserver un accueil favorable à la demande du gouvernement, qui réclame une aide pour renforcer son personnel et le parc informatique de ses bureaux d'enregistrement et d'arpentage. (188)

John Rogge était conscient du fait que le système d'enregistrement foncier était dépassé et que les registres étaient une véritable pagaille. Il savait également que les irrégularités bénéficiaient à ces mêmes personnes qui avaient incité la violence "ethnique." Selon lui, le programme devait proposer des moyens permettant de renforcer les capacités du système et d'établir des responsabilités: la structure en place était en effet incapable de suivre la cadence, vu le nombre incroyable d'exploitations subdivisées qui devaient à présent être contrôlées et enregistrées. (189) Le deuxième rapport Rogge émettait les recommandations suivantes:

Avec le concours des bailleurs de fonds et en dehors des compétences qui lui sont attribuées dans le cadre du Programme pour les Personnes Déplacées, le P.N.U.D. peut jouer un rôle capital dans la question du régime foncier, en renforçant les capacités des diverses agences gouvernementales impliquées dans la réglementation et la distribution des terres. Sont notamment visés le Département d'Adjudication et de Peuplement des Terres, le Département des Levés et le Département des Titres fonciers. Le système actuel est complètement saturé et ne pourra vraisemblablement jamais combler le retard accumulé...Par conséquent, le P.N.U.D. doit s'attacher à renforcer les capacités afin de régler ce problème urgent. (190)

Dans l'un des programmes proposés, le P.N.U.D. avançait effectivement un plan d'action qui, s'il avait été mis en œuvre, aurait amélioré sensiblement les perspectives de développement à long terme du Kenya. Selon ce projet, "les points épineux tels que la propriété foncière, la réglementation des titres et des actes fonciers ou l'enregistrement des victimes des troubles, seront réglés grâce à la mise en œuvre de formations, la fourniture de matériel d'arpentage, de moyens de transport, d'assistance juridique et d'exercices d'enregistrement. La redistribution des terres sous-exploitées est également inscrite au programme." (191)

Même dans des circonstances tout à fait normales, les droits fonciers au Kenya sont soumis à une législation foncière et d'enregistrement extrêmement complexe, surchargée et dépassée, imbriquée dans un enchevêtrement de régimes légaux comprenant le droit anglais, indien et coutumier. Toutes les anciennes "réserves" octroyées aux Africains à l'époque coloniale sont régies par le droit anglais, avec des titres fonciers émis en vertu de la Loi d'Enregistrement Foncier. Le Government Land Act, tiré du droit indien, régit la propriété foncière dans les zones urbaines. Enfin, le droit coutumier est également d'application dans certains endroits. Les droits de propriété foncière individuelle ne sont pas encore reconnus dans certaines zones, c'est par exemple le cas au sein des groupes pastoraux et nomades de la Vallée du Rift et de la Province du Nord-Est. Les différents types de régime foncier sont régis par des programmes d'établissement, de terres sous tutelle, de coopératives agricoles/fermes d'Etat, de ranchs communautaires et de terres du gouvernement. (192) Le système de propriété foncière kényan est désespérément dépassé et saturé.

En raison de la complexité de la législation foncière et de la faiblesse du système judiciaire, le vol de terres -mieux connu sous l'appellation de "spéculation foncière"--est devenu un passe-temps national pour les fonctionnaires gouvernementaux. La terre est un bien rare et précieux qui a servi à consolider le pouvoir politique des gouvernements coloniaux et post-coloniaux. Le gouvernement du Président Moi n'a pas fait exception à la règle, puisqu'il a usé de manœuvres de corruption et de manipulation pour acquérir et contrôler des terres à des fins politiques. La violence "ethnique" a renforcé ce processus. L'incapacité à résoudre la crise foncière au Kenya constitue un obstacle majeur à l'aplanissement durable des tensions ethniques, avivées par les récents événements violents.

Human Rights Watch admet que la réforme de la législation foncière s'est heurtée à la résistance du gouvernement, pour des raisons évidentes. Comme le fait remarquer le P.N.U.D.:

Les problèmes relatifs à la justice et au domaine foncier restaient effectivement non résolus. Cet échec était cependant imputable au gouvernement. Tant le P.N.U.D. que d'autres bailleurs de fonds (l'Allemagne par exemple) ont régulièrement proposé de fournir une assistance technique en ce qui concernait l'enregistrement foncier et la réforme. Ces offres ont été refusées. Aucun bailleur de fonds ne peut imposer son assistance technique si celle-ci n'est pas souhaitée. (193)

Toutefois, le P.N.U.D. était expressément chargé de s'attaquer au problème de la réforme et, vu l'importance de la question pour dénouer la crise kényane, il incombait au P.N.U.D. de maintenir la pression sur le gouvernement. Il n'est pas tout à fait exact de dire qu'un bailleur de fonds ne peut imposer son assistance technique lorsque celle-ci n'est pas souhaitée. La chose est sans aucun doute plus difficile, mais pas impossible. Nous pouvons citer des exemples relevés dans le contexte kényan, où le gouvernement -cédant aux pressions exercées par la Banque mondiale ou les bailleurs de fonds- a été contraint d'accepter l'assistance technique proposée afin de lutter contre la corruption régnant au sein du gouvernement ou en vue de promouvoir des politiques d'ajustement structurel, telles que la privatisation ou la libéralisation des échanges commerciaux. Un ancien responsable du P.N.U.D., qui avait contribué au Programme pour les Personnes Déplacées, conclut que c'était là la clé de la réinsertion:

Le feu de la violence ethnique continuera à couver tant que le département d'enregistrement foncier ne sera pas réorganisé. Ce dont nous avions besoin, c'était une équipe de conseillers compétents envoyés par le P.N.U.D. afin de faire pression sur le gouvernement et de contraindre ce dernier à agir. Ils étaient les seuls à pouvoir faire avancer les choses. Le gouvernement est toujours sensible aux pressions internationales. Le P.N.U.D. aurait dû mobiliser cette pression." (194)

Dans chaque programme relatif aux personnes déplacées, le P.N.U.D. doit s'attaquer aux obstacles qui entravent la voie menant à la réconciliation et à la réinsertion. Les pressions relatives au régime foncier sont l'une des causes fréquentes qui empêchent le retour des personnes déplacées à l'intérieur du pays. Le P.N.U.D. reste une autorité prééminente, si pas la plus prééminente, pour élaborer des stratégies visant à résoudre ce problème. Vu son expérience en matière de développement, il est parfaitement compétent pour régler des problèmes tels que le régime foncier, qui jouent généralement un rôle majeur dans le dénouement d'un conflit.

Perte de Crédibilité Après l'Abandon des Personnes Déplacées

"Dites au P.N.U.D. que nous sommes toujours réfugiés à Maela. Nos souffrances continuent. Nos terres ont été saisies. Nos enfants ne vont pas à l'école. Nous ne pouvons obtenir aucune aide médicale. Des gens souffrent ici. Nous luttons pour survivre."

--Une femme déplacée Kikuyu, Maela, district de Nakuru, 7 août 1996

Seul un petit nombre des personnes déplacées au Kenya n'ont jamais entendu parler du programme P.N.U.D. destiné à organiser leur retour au pays. Rien d'étonnant dès lors si les personnes interrogées par Human Rights Watch/Afrique éprouvent le sentiment que le P.N.U.D. les a abandonnées lorsque le programme s'est terminé en novembre 1995. Avant cette date, le programme du P.N.U.D. pataugeait, paralysé suite aux actions gouvernementales à Maela. Le processus de réinsertion et de réconciliation semblait progresser, avec ou sans la présence du P.N.U.D. Entre-temps, le P.N.U.D. s'était aliéné la communauté des O.N.G. Il avait gonflé le nombre estimé de rapatriés, tout en affirmant qu'il était impossible d'avancer des chiffres. Selon une opinion largement répandue, il s'était rangé aux côtés du gouvernement sans se soucier de ce qui se passait. Il aurait également approuvé la dispersion forcée des camps. Son programme s'était toujours limité à fournir une aide humanitaire à court terme, au lieu d'œuvrer en faveur d'un développement durable. Autrement dit, la clôture du programme du P.N.U.D. n'était pas une mauvaise chose en soi. Il reconnaissait ainsi qu'il était voué à l'échec car il n'avait jamais exigé du gouvernement les conditions minimales indispensables à son bon fonctionnement. Cependant, pour les personnes qui restent déplacées, la clôture du programme est une pilule difficile à avaler. La fin de cette présence internationale dans les zones rurales leur fait réaliser que leur maigre espoir de retour est peu susceptible de se concrétiser.

Human Rights Watch/Afrique visita Maela et interrogea quelques personnes déplacées qui étaient restées là, ou qui avaient été réinstallées dans la Province du Centre après que le gouvernement a ordonné la destruction de Maela en décembre 1994. Pour ainsi dire abandonnés de tous et dénués de tout, ceux qui étaient restés sur place expliquèrent qu'aucune agence internationale ne s'était rendue à Maela depuis plus d'un an. L'implication du P.N.U.D., qui fournissait des services à Maela en 1994, avait fait naître l'espoir que l'agence internationale assurerait la sécurité et le retour éventuel des personnes déplacées. Celles-ci furent d'autant plus anéanties que le P.N.U.D. ne fit rien -ou si peu- pour les aider après la destruction du camp. L'un des déplacés résuma la situation comme suit: "après tout ce que le gouvernement nous a fait, tout ce que le P.N.U.D. a fait était de revenir ici en janvier 1995, de rassembler tout le matériel de bureau et de partir." (195) Ernest Murimi, de la Commission Catholique Justice et Paix, déclara: "Le P.N.U.D. ne peut pas revenir ici. Le programme a échoué lamentablement et a perdu toute crédibilité." (196)

Alors que l'agitation était à son comble à Maela, le P.N.U.D. ne manifesta guère d'empressement à négocier le retour des personnes contraintes par la force de quitter Maela, ni à redresser la situation. Pour autant que Human Rights Watch/Afrique ait pu le constater, aucun agent de sécurité n'a jamais encouru la moindre sanction disciplinaire pour avoir maltraité les personnes déplacées à Maela. Quelques-unes d'entre elles, qui avaient été abandonnées dans la Province du Centre, regagnèrent Maela par leurs propres moyens. L'un d'eux raconte:

J'étais dans un camion avec 145 autres personnes. On nous avait forcés à abandonner nos affaires. Nous avons été amenés dans la Province du Centre et laissés à côté du bureau de l'agent du district. On ne nous a rien donné. J'ai demandé à un policier où nous étions censés aller. Il nous a montré la forêt toute proche. Nous y sommes restés deux semaines. M.S.F. [Médecins Sans Frontières (Espagne)] nous a aidés. Au bureau de l'agent du district, on nous a dit que nous ne pouvions légalement pas rester là. On nous alors emmenés à Ol Kalou, puis à Tumaini. Jamais nous n'avons reçu la moindre assistance. J'avais un lopin de terre de deux acres à Enosupukia. Maintenant, je n'aurai plus rien. Voilà mon message au P.N.U.D.: Ne nous oubliez pas. Tenez les promesses que vous nous avez faites. Seul un très petit nombre des victimes des troubles ont été réinstallées. Même les terres qui avaient été données aux personnes déplacées [200 familles à Ol Kalou] ont été saisies par le gouvernement. Le chef a reçu vingt acres, le Commissaire Provincial 100 acres et le Commissaire de District quelques acres. (197)

La responsabilité internationale concernant les personnes déplacées à l'intérieur de leur pays ne devrait pas être gérée de cette façon. Pour les personnes déplacées, la présence internationale représente le seul espoir de voir s'améliorer leur situation désespérée. A l'avenir, le P.N.U.D. devrait veiller à ce que les plans d'urgence proposent des alternatives incluant un soutien politique et financier aux O.N.G., au cas où il devrait se retirer ou s'il était expulsé.

Après le P.N.U.D.: La Situation Actuelle des Personnes Déplacées à l'Intérieur du Kenya

Le gouvernement kényan a usé de violence afin de rester au pouvoir, punissant et privant les partisans de l'opposition de leurs droits et récompensant ses alliés Kalenjin et Maasai en leur octroyant des terres obtenues illégalement. Il était également parvenu à expulser des milliers de Kikuyu, de Luo et de Luhya des terres possédant une certaine valeur politique et économique. Bien que se défendant publiquement de vouloir introduire le majimboïsme (régionalisme ethnique), le gouvernement avait encouragé une politique majimboïste en renforçant la Province de la Vallée du Rift au titre de base régionale ethniquement définie pour les pouvoirs en place: les nouvelles institutions et les nouveaux services comprennent l'université Moi, un collège militaire, une agence de la banque centrale du Kenya, une usine d'armes et un aéroport international à Eldoret. En outre, la menace d'un regain de violence continue à hanter ceux qui sont revenus sur leurs terres -un message agressif destiné aux éventuels partisans de l'opposition en vue des prochaines élections, prévues pour le début de l'année 1998. Les effets secondaires des troubles ethniques sont toujours visibles dans la fracture ethnique et le climat politique explosif, que le gouvernement manipule pour atteindre ses objectifs. Comptant sur d'autres formes de répression, ainsi que sur le désarroi de la population et les divisions affectant l'opposition politique, le gouvernement Moi n'a guère besoin de recourir à la terreur et à la violence pour assurer sa position.

Le manque d'informations sur les personnes déplacées a eu des conséquences tragiques pour ceux qui vivent toujours cette situation. Nombre d'entre eux proviennent de régions telles que Olenguruone, Enosupukia et du Mont Elgon, où les résidents Kalenjin et Maasai ont juré de ne pas autoriser d'autres groupes ethniques à revenir sur leurs terres. Quant au gouvernement, rien ne laisse indiquer qu'il pourrait prendre des mesures afin de mettre un terme à l'expulsion ethnique. La plupart des personnes déplacées ont gagné d'autres régions du pays pour travailler comme ouvriers agricoles à la journée ou ont rejoint les zones urbaines à la recherche d'un travail. D'autres sont allés grossir les rangs des pauvres sans emploi, renforçant ainsi le taux de criminalité alarmant au Kenya, dont les causes profondes sont la pauvreté et la mauvaise gestion des ressources par le gouvernement. En 1995, le P.N.U.D. avait estimé à 50.000 le nombre de personnes vivant dans des "refuges très précaires" ou "survivant dans les quartiers pauvres de la périphérie urbaine," qui avaient été "oubliées" en raison des difficultés à trouver des solutions rapides et satisfaisantes. (198) Ces chiffres sont probablement bien plus élevés à présent. Il est irréaliste de croire que l'on peut mettre en œuvre des programmes spécifiques pour les personnes déplacées peuplant les taudis de Nairobi, ou même de Nakuru ou de Kisumu. Dans ces grandes zones urbaines, l'approche la plus réaliste consiste à s'assurer que ces personnes sont reprises dans les programmes existants destinés à la population urbaine des quartiers pauvres. Le P.N.U.D. devrait néanmoins veiller à ce que ces programmes ne renforcent pas la politique gouvernementale de réinsertion des personnes déplacées en dehors de la Province de la Vallée du Rift.

Abandonnées et oubliées de la communauté internationale, victimes de leur propre gouvernement, les personnes déplacées du Kenya semblent vouées à devenir une sous-caste privée de ses droits.



125. Interview par Human Rights Watch/Afrique de Frederick Lyons, Représentant Résident du P.N.U.D. au Kenya, Nairobi, 22 août 1996.

126. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'un agent humanitaire international (resté anonyme à sa demande), Nairobi, 30 juillet 1996.

127. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'Ernest Murimi, Secrétaire Exécutif, Commission Catholique Justice et Paix, Diocèse Catholique de Nakuru, Nakuru, 6 août 1996.

128. Lettre de David Whaley, ancien Représentant Résident du P.N.U.D. au Kenya à M. W. Kimilat, Secrétaire Permanent, Gouvernement du Kénya, 27 décembre 1994.

129. A ce sujet, le P.N.U.D. ajoute que: "Le problème des PDIP [personnes déplacées à l'intérieur de leur pays] dans les Provinces de la Vallée du Rift et de l'Ouest était important pour les bailleurs de fonds entre 1993 et 1995, mais il ne s'agissait pas du facteur déterminant lors des décisions sur les aides et les investissements. La priorité était donnée aux ajustements structurels. C'est de ce sujet que l'on discuta lors de la réunion du Groupe Consultatif du 15 décembre 1994. La déclaration du Président [sic] de cette réunion, se faisant l'écho de l'opinion majoritaire attestant de progrès en matière de droits de l'Homme et d'une diminution de la tension ethnique, a favorisé, sans pour autant déterminer, la décision de débloquer des fonds extérieurs. Le renversement soudain de politique budgétaire survenu dans la semaine suivant la réunion du Groupe Consultatif constituait pour la plupart des bailleurs de fonds un événement plus important que la tragédie du camp de Maela. Ce fut certainement le facteur clé qui conduisit à un changement d'attitude de la part de la Banque mondiale et du Fonds Monétaire International," Voir Annexe: Réponse du P.N.U.D., p.7.

130. Interview par Human Rights Watch/Afrique de Frederick Lyons, Représentant Régional du P.N.U.D. au Kenya, Nairobi, 22 août 1996.

131. Suite aux réinstallations forcées des personnes déplacées du camp de Maela, les promesses de financement américaines (USD 556.476) et suédoises (USD 540.000) furent suspendues. La Belgique, qui lors de la réunion de décembre 1994 du Groupe Consultatif avait déclaré être prête à apporter 3 millions de USD, revint également sur sa décision. P.N.U.D., "UNDP Mission Report," 18-22 avril 1995, Annexe 1.

132. Interview par Human Rights Watch/Afrique de Frederick Lyons, Représentant Régional du P.N.U.D. au Kenya, Nairobi, 22 août 1996.

133. Voir Annexe: Réponse du P.N.U.D., p. 2.

134. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'un ancien fonctionnaire du Programme pour les Personnes Déplacées du P.N.U.D. (nom et lieu tenus secrets à sa demande), réalisée par téléphone, New York, 12 mars 1997.

135. Voir Annexe: Réponse du P.N.U.D., p. 6.

136. Malgré les fluctuations de participation aux réunions, les membres officiels du C.N.P.D. comprenaient des représentants du Cabinet présidentiel et vice-présidentiel du gouvernement kényan et des ministères des finances, des terres et de la planification et du développement. Parmi les donneurs d'aide bilatérale, des représentants des ambassades des Etats-Unis, du Royaume-Uni, des Pays-Bas et du Canada étaient représentés. Parmi les donneurs d'aide multilatérale, l'Union européenne, le PAM, l'UNIFEM et l'UNICEF étaient représentés. Parmi les organisations kényanes non-gouvernementales, des représentants du C.N.E.K. (Conseil National des Eglises du Kenya), la Church Province du Kenya (CPK), le Secrétariat Catholique, la Ligue Islamique Mondiale, le Conseil des O.N.G., la FIDA-Kenya, Kituo cha Sheria (Centre d'Aide Juridique) et Inades Formation étaient membres. Parmi les organisations non-gouvernementales internationales, Oxfam, Action Aid, Médecins sans Frontières (Espagne) et les Catholic Relief Services étaient également membres. Le Comité International de la Croix-Rouge avait le statut d'observateur.

137. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'Ephraim Kiragu, Directeur, Unité de Développement, C.N.E.K., Nairobi, 8 août 1996.

138. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'Irungu Houghton, Conseil National des O.N.G., Nairobi, 9 août 1996.

139. Interview par Human Rights Watch/Afrique de Tecla Wanjala, Coordinateur, Réseau Paix et Développement (PeaceNet), Conseil National des O.N.G., Nairobi, 8 août 1996.

140. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'un diplomate (nom et lieu tenus secrets à sa demande), New York, 13 mars 1997.

141. "Le P.N.U.D. reconnaît la nécessité de meilleurs systèmes d'information chez les personnes déplacées à l'intérieur de leur pays. Outre l'enregistrement du nombre et des besoins des déplacés, de tels systèmes doivent également enregistrer les actions entreprises pour répondre aux exigences d'assistance et de développement. Ces données indispensables sont souvent négligées dans la précipitation compréhensible au moment d'aider; il s'agit cependant de la base d'une élaboration cohérente de programmes exhaustifs à partir des activités de diverses agences. Le P.N.U.D. continuera à contribuer à la composition de systèmes d'information sur les personnes déplacées au niveau national." "Further Elaboration on Follow-up to Economic and Social Council Resolution 1995/56: Strengthening of the Coordination of Emergency Humanitarian Assistance," U.N. Doc. DP/1997/CRP.10, 28 février 1997, para. 18.

142. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'un diplomate anciennement basé au Kenya (resté anonyme à sa demande), New York, 12 juillet 1996.

143. Gouvernement du Kenya/P.N.U.D., Programme Document: Programme for Displaced Persons, Inter-Agency Joint Programming, 26 octobre 1993, p. 6-7.

144. Rapport Rogge I, P.N.U.D., septembre 1993, para. 3.

145. Le P.N.U.D. a situé le nombre de personnes déplacées à 255.426 en avril 1993. La ventilation des chiffres par district était la suivante: Bungoma, 21.100; Busia, 1.800; Elgon, 14.375; Kakamega, chiffres inconnus; Vihiga, chiffres inconnus; Kisumu, 8.975; Nyamira, 750; Kisii, 2.300; Kuria, chiffres inconnus; Turkana, 16.625; Trans Nzoia, 18.525; Elgeyo-Marakwet, 22.300; Uasin Gishu, 82.000; Nandi, 17.850; Kericho, 6.550; Bomet, chiffres inconnus; Narok, 900; Nakuru, 40.700; Laikipia, 600. John Rogge, "The Internal Displaced Population in Western, Nyanza and Rift Valley Provinces: A Needs Assessment and Rehabilitation Program," Projet de rapport P.N.U.D. cité dans Program Document: Program for Displaced Persons du Gouvernement du Kenya/P.N.U.D., Inter-Agency Joint Programming, 26 octobre 1993, p. 8.

146. Beaucoup pensent que cette première estimation était modeste et que la réalité est plus proche de 300.000. Voir par exemple, le Comité américain aux réfugiés, World Refugee Survey 1996 (Washington D.C.: Immigration and Refugee Services of America, 1996), p. 53. Lorsque Human Rights Watch/Afrique mena des recherches en 1993, ses estimations étaient également de 300.000, après avoir découvert qu'à de nombreux endroits le dénombrement des personnes déplacées mentionné ne comprenait que les adultes et ne tenait pas compte du grand nombre d'enfants déplacés (estimé par le P.N.U.D. à 75 pour cent du total de la population déplacée). Human Rights Watch/Afrique, Divide and Rule, p.71.

147. Voir Annexe: Réponse du P.N.U.D., pp. 5-6.

148. Rapport sommaire du Groupe de travail pour un environnement favorable contenu dans les minutes de la seconde réunion du C.N.P.D., Methodist Guest House, Nairobi, 1er novembre 1994.

149. Rapport Rogge II, P.N.U.D., septembre 1994, 2.3.

150. La réponse du P.N.U.D. est double: (1) "La réponse spécifique au rapport Rogge sous-estimant les chiffres de 30.000 a été expliquée lors d'une réunion avec HRW [Human Rights Watch] à New York en février. Cette explication n'a pas été retenue dans le rapport actuel. Le problème concernait des données de la région du Mont Elgon où le C.N.E.K. [Conseil National des Eglises du Kenya] avait considérablement gonflé les chiffres. Rogge a choisi la prudence afin de faire correspondre les chiffres à ce qu'il avait vu sur le terrain. Il s'est par la suite avéré qu'il avait raison vu que deux mois après l'enquête, le Coordonnateur des secours du C.N.E.K. pour la région du Mont Elgon fut démis de ses fonctions pour détournement des fonds d'aide humanitaire et qu'il fut accusé d'avoir considérablement gonflé le chiffre des bénéficiaires dans cette région. Les 30.000 personnes manquantes auxquelles fait référence HRW dans le rapport sont les 30.000 personnes que le Coordonnateur du C.N.E.K. est accusé d'avoir ajoutées" et (2) "Un problème plus fondamental est qu'en raison des doutes quant aux données, il est plutôt hors de propos d'insister sans cesse sur le fait de savoir si les chiffres étaient de 250.000 ou de 280.000."Voir Annexe: Réponse du P.N.U.D., p. 6.

Human Rights Watch a rencontré en janvier 1995 (non en février) le Représentant Résident pour le Kenya, David Whaley, et le Conseiller Technique Principal, Killian Kleinschmidt. Les notes de l'entretien de cette réunion ne font cependant aucune mention du P.N.U.D. prenant en compte le gonflement des chiffres au Mont Elgon. En ce qui concerne la seconde réponse, Human Rights Watch/Afrique reconnaît qu'il est inutile de s'étendre sur le chiffre exact. Le P.N.U.D. a néanmoins été accusé par l'ensemble des O.N.G. de sous-estimer le nombre total de personnes déplacées et de gonfler le nombre des personnes réinstallées. Le gouvernement kényan a également exploité le manque de données exactes pour échapper à ses responsabilités vis-à-vis des populations déplacées. Dans une telle situation, une explication des chiffres est justifiée.

151. Le rapport affirmait: "Nous suggérons qu'une importance moindre soit accordée aux procédures d'enregistrement systématique des populations touchées mises en oeuvre par diverses O.N.G. et institutions religieuses. Les enregistrements d'individus suscitent toujours des espoirs, et les espoirs produisent invariablement plus de 'bénéficiaires'. A mesure que les interventions permettant de fournir de l'aide humanitaire sont remplacées par un travail de réhabilitation et de reconstruction, il devient beaucoup plus sensé de s'axer sur l'identification et le ciblage des zones/communautés touchées par les troubles ou dans lesquelles les personnes déplacées se sont installées ou retournent. La transition rapide entre le ciblage des ressources pour les individus et le ciblage des ressources pour les communautés accélérera de manière significative le processus de réconciliation." Rapport Rogge II, P.N.U.D., septembre 1994, Résumé, para. 9; et présentation par John Rogge, consultant P.N.U.D., repris dans les minutes de la troisième Réunion du Comité Exécutif, Centre international de conférences de Kenyatta, Nairobi, 8 septembre 1994.

152. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'un fonctionnaire du P.N.U.D. (resté anonyme à sa demande); New York, 26 février 1997.

153. "Internal Refugee Families Ordered to Leave Eldoret," KNA News Agency; Nairobi, en anglais 1444 gmt, 28 décembre 1994.

154. Rapport Rogge II, P.N.U.D., septembre 1994, p. 2 (4)(5).

155. "75.000 Clashes' Victims Resettled," Daily Nation (Nairobi), 14 Septembre 1994.

156. "A Little More Respect for the Truth, Please," The Weekly Review (Nairobi), 23 septembre 1994.

157. Le P.N.U.D. ne partage pas l'appréciation de Human Rights Watch/Afrique selon laquelle M. Speth n'a fait aucune référence aux problèmes des droits de l'Homme devant être abordés. Le P.N.U.D. souligne que M. Speth a "affirmé clairement que, si un tiers des personnes déplacées avaient été réinstallées, nombre d'entre elles restaient toujours déplacées [et qu'] il existait toujours des conflits fonciers complexes impliquant le reste des déplacés." Voir annexe: Réponse du P.N.U.D., p. 4.

158. "U.N. Body Reassures Kenya on Support," Daily Nation (Nairobi), 13 septembre 1994.

159. Voir Annexe: Réponse du P.N.U.D., pp. 3-4.

160. Comité américain aux réfugiés, 1995 World Survey Report (Washington D.C.: Immigration and Refugee Services of America, 1995), p. 62.

161. Killian Kleinschmidt, Conseiller Technique Principal, Programme pour les Personnes Déplacées du P.N.U.D., "The Programme for Displaced Persons and Communities Affected by the Ethnic Violence in Kenya," P.N.U.D., novembre 1994, p. 2; et C.N.E.K., "UNDP Official Disputes Resettlement Story," Clashes Update, (Nairobi; C.N.E.K.), n21, 27 octobre 1994, pp. 1-2.

162. Interview par Human Rights Watch/Afrique de David Round-Turner, ancien Conseiller en Politique, Programme pour les Personnes Déplacées du P.N.U.D., Nairobi, 26 août 1996.

163. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'Ernest Murimi, Secrétaire exécutif, Commission Catholique Justice et Paix, Diocèse catholique de Nakuru, Nakuru, 6 août 1996.

164. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'un diplomate (resté anonyme à sa demande), Nairobi, 30 juillet 1996.

165. Le P.N.U.D. indique qu'il "souleva régulièrement ces problèmes auprès des fonctionnaires gouvernementaux -en public et en privé" et que ce sont ses dénonciations répétées des violations des droits de l'Homme qui ont provoqué finalement l'arrêt du programme commun. Voir Annexe: réponse du P.N.U.D., p. 4.

Cette affirmation n'est pas tout à fait correcte. Human Rights Watch/Afrique a examiné la quasi-totalité des déclarations publiques et des documents du P.N.U.D. relatifs à ce programme. Le P.N.U.D. n'a commencé à se faire entendre qu'en décembre 1994-janvier 1995, après les dispersions à Maela. Avant cela, les quelques réactions émises suite à des violations des droits de l'Homme en minimisaient l'importance, les présentant comme le résultat de l'action isolée d'une poignée de membres du gouvernement. Le programme du P.N.U.D. n'a pas été interrompu parce que le P.N.U.D. a dénoncé la discrimination ethnique et les dispersions. Ce programme a été arrêté parce qu'il n'avait pas été construit de manière à imposer comme condition préalable des garanties et des mécanismes qui auraient constitué un obstacle à la poursuite par le gouvernement des politiques de persécution ethnique.

166. Un élément révélateur de la complicité qui semblait exister entre le P.N.U.D. et le gouvernement kényan est l'éditorial suivant, paru dans le Kenya Times, un journal appartenant au gouvernement: "M. Speth a fait la nique aux observateurs mal informés, au Kenya et à l'étranger, lorsqu'il a fait part de sa satisfaction au sujet de la réinsertion des familles déplacées à la suite des affrontements ethniques à Molo, et des efforts fournis par le gouvernement en vue de la réconciliation des ethnies soit-disant ennemies. Il a déclaré que 'dans un monde marqué par les luttes ethniques, nous avons vu lors de la visite à Molo un gouvernement prenant des mesures afin de réconcilier des tribus en conflit;" il a, en outre, exprimé le voeu que le Kenya puisse montrer la voie en matière de réconciliation ethnique comme il l'a fait en matière de développement durable. Il s'agit d'un compliment encourageant et mérité venant d'une personne aussi importante et bien informée que M. Speth. Lundi dernier, le Président, M. Moi, n'a pas tari d'éloges au sujet du travail du P.N.U.D., lors de la visite de M. Speth à State House à Nairobi. Le chef de l'État a déclaré que le P.N.U.D. avait réalisé un travail remarquable au Kenya... Quant à nous, nous sommes gré à M. Speth de sa clairvoyance au sujet du Kenya qu'il considère comme la première nation d'Afrique et au P.N.U.D. d'avoir promis 80 millions de dollars qui seront affectés à plusieurs projets dans le pays. Nous espérons que M. Speth fera en sorte que son organisation obtienne encore davantage d'aide financière pour le Kenya dès que possible." "UNDP Official's Views Encouraging." Kenya Times (Nairobi), le 14 septembre 1994.

167. Entrevue de Human Rights Watch/Afrique avec David Whaley, ancien Représentant Résident du P.N.U.D. au Kenya et Killian Kleinschmidt, ancien conseiller technique principal attaché au Programme sur les personnes déplacées, New York, le 12 janvier 1995.

168. Interview par Human Rights Watch/Afrique de responsables du P.N.U.D., d'O.N.G. locales et internationales, de journalistes et d'universitaires, réalisées entre 1993 et 1997.

169. Interview par Human Rights Watch/Afrique du Professeur Frank Holmquist, Hampshire College, Amherst, le 16 janvier 1997.

170. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'un responsable du P.N.U.D. (resté anonyme à sa demande), New York, le 26 février 1997.

171. Évaluation interne du programme du P.N.U.D. par un bailleur de fonds interne (resté anonyme à sa demande), novembre 1994, transmise à Human Rights Watch/Afrique en juillet 1996.

172. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'un ancien employé du Programme du P.N.U.D. pour les personnes déplacées (resté anonyme à sa demande), Nakuru, le 7 août 1996.

173. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'un travailleur de l'aide d'urgence internationale (resté anonyme à sa demande), Nairobi le 30 juillet 1996.

174. Voir Roberta Cohen, "Protecting the Internally Displaced," World Refugee Survey 1996, (US Committee for Refugees, Washington D.C.: Immigration and Refugee Services of America, 1996), p. 23.

175. Rapport Rogge I, P.N.U.D., septembre 1993, par. 8.

176. P.N.U.D., "Rapport de mission du P.N.U.D.," 18-22 avril 1995, p. 4.

177. Le Haut commissaire britannique Sir Kieran Prendergast a prié le gouvernement d'accéder à cette demande au cours de la deuxième réunion du C.N.P.D. Compte rendu de la deuxième réunion du C.N.P.D., Methodist Guest House, Nairobi, 1er novembre 1994.

178. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'un diplomate anciennement en poste au Kenya (resté anonyme à sa demande), New York, le 12 juillet 1996.

179. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'un diplomate (resté anonyme à sa demande), Nairobi, le 8 août 1996.

180. Evaluation interne du programme du P.N.U.D. par un bailleur de fonds (resté anonyme à sa demande), novembre 1994, transmise à Human Rights Watch/Afrique en juillet 1996.

181. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'Ernest Murimi, Secrétaire exécutif, Commission Justice et Paix, Diocèse catholique de Nakuru, Nakuru, 6 août 1996.

182. Interview par Human Rights Watch/Afrique de Tecla Wanjala, Coordinateur, Réseau Paix et Développement (Peace-Net), Conseil national des O.N.G., Nairobi, 8 août 1996.

183. "Western Province Coordination Committee (WPCC): A Performance Appraisal" (rapport provisoire), présenté au P.N.U.D./BSP, (Eldoret: Centre d'Etudes sur les Réfugiés, Université Moi), septembre 1995, p. 47.

184. "Western Province Coordination Committee (WPCC): A Performance Appraisal" (rapport provisoire), présenté au P.N.U.D./BSP, (Eldoret: Centre d'Etudes sur les Réfugiés, Université Moi), septembre 1995, p. 47-48.

185. Isaac Lenaola, Hadley H. Jenner, Timothy Wichert, "Land tenure in Pastoral Lands," Centre africain d'Etudes technologiques, In Land We Trust: Environment, Private Property and Constitutional Change (Eds. Calestous Juma, J.B. Ojwang), (Londres et Nairobi: Zed Books et Initiatives Publishers, 1996). pp. 231-257.

186. P.N.U.D., "UNDP Mission Report," 18-22 avril 1995, p. 3.

187. Gouvernement du Kenya/P.N.U.D., Programme Document: Programme for Displaced Persons, Programme commun interagence, 26 octobre 1993.

188. Rapport Rogge I, P.N.U.D., septembre 1993, partie 3 (16.2).

189. Présentation par John Rogge, telle que reprise dans le procès-verbal de la troisième réunion du Comité Exécutif, Centre de Conférence International Kenyatta, Nairobi, 8 septembre 1994.

190. Rapport Rogge II, P.N.U.D., septembre 1994, partie 6.4.

191. P.N.U.D., "Programme for Displaced Persons and Communities Affected by Ethnic Violence", Nairobi, février 1994, p. 7.

192. En vertu des programmes d'établissement gérés par les Settlement Fund Trustees, les vastes étendues de terres appartenant aux colons et vendues au gouvernement ont été arpentées, délimitées en parcelles plus petites et offertes à ceux qui étaient dépourvus de terre contre une hypothèque à long terme remboursable en vingt ans, avec versement d'un acompte de 10 pour cent. Si le plan d'établissement est enregistré, la personne peut, à la fin de l'hypothèque, aller chercher son titre: la terre lui est alors attribuée à titre définitif. Si le plan n'est pas enregistré, on lui remet un certificat d'acquisition définitive. Les Trust Land sont administrés par les Conseils locaux mais l'arpentage et la démarcation relèvent des compétences du ministère des Biens fonciers et de l'Etablissement. La procédure est lente et arbitrée par des comités d'anciens. Les appels sont entendus par un Conseil d'arbitrage. Les titres ne peuvent être remis que s'il n'existe aucune objection. Les coopératives agricoles sont détenues conjointement par un groupe qui rembourse progressivement l'hypothèque. Les terres de ranch du groupe sont administrées conformément au Group Ranch Act, qui a attribué des centaines de milliers d'acres à la communauté pastorale Maasai, au titre de terres communales. Un processus d'attribution est actuellement en cours afin de diviser et de privatiser ces terres et permettre ainsi aux résidents Maasai de les vendre ou de les louer. Cependant, ce processus a été empreint de corruption car des fonctionnaires gouvernementaux employés dans les bureaux du cadastre et autres ont acquis ces terres. Les terres détenues par le gouvernement sont essentiellement des zones boisées.

193. Voir annexe: Réponse du P.N.U.D., p. 5.

194. Interview par Human Rights Watch/Afrique de David Round-Turner, ancien conseiller politique, Programme du P.N.U.D. pour les personnes déplacées, Nairobi, 26 août 1996.

195. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'un homme déplacé (Kikuyu), Maela, district de Nakuru, Province de la vallée du Rift, 7 août 1996.

196. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'Ernest Murimi, Secrétaire exécutif, Commission Justice et Paix, diocèse catholique de Nakuru, Nakuru, 6 août 1996.

197. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'un homme déplacé (Kikuyu), Maela, district de Nakuru, Province de la vallée du Rift, 7 août 1996.

198. Bureau des services d'appui aux projets (BSP) du P.N.U.D., "1995 Inception Report, Internally Displaced Persons Programme," Nairobi, 1995.

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