Africa - West

Previous PageTable Of ContentsNext Page

REGARDER VERS L'AVENIR

Combler les Lacunes du P.N.U.D.

Aucune agence de l'O.N.U. n'est en mesure de fournir des programmes répondant à l'ensemble des besoins des populations déplacées. Toutefois, il n'est pas déraisonnable d'attendre des agences en charge des personnes déplacées à l'intérieur de leur pays qu'elles mettent toutes leurs forces au service des personnes déplacées, tout en reconnaissant leurs propres faiblesses et en tentant de les résoudre. Par le biais de l'expérience partagée et des leçons apprises, on pourrait ainsi arriver à une certaine normalisation au sein des diverses agences actives en la matière. Pour mener à bien ce processus, l'institution même doit rechercher activement l'appui de compétences externes lorsque cela s'avère nécessaire, tout en structurant ses propres capacités internes. Au terme de chaque programme, l'agence doit également jeter un regard sans complaisance sur les résultats obtenus et évaluer ses succès et ses échecs afin de renforcer ses activités futures.

Le P.N.U.D. a effectivement un rôle à jouer dans la coordination des programmes relatifs aux personnes déplacées à l'intérieur de leur pays. Il apporte une contribution unique et précieuse dans ce domaine. Le P.N.U.D. témoigne en effet d'une riche expérience pour toutes les questions touchant à la réinsertion de communautés, le soulagement de la pauvreté, l'occupation des terres et le développement durable. La mission de développement du P.N.U.D. lui permet également de conférer une dimension à long terme, moins étriquée, aux programmes d'urgence; l'absence de cette dimension peut en effet engendrer ou accentuer la dépendance alimentaire des populations déracinées. De plus, la présence du P.N.U.D. dans un pays et la familiarité avec la situation nationale qui en découle peut également améliorer sa capacité à développer efficacement ses programmes.

D'autre part, le P.N.U.D. possède relativement peu d'expérience dans les missions d'urgence, les procédures de résolution des conflits, les principes de respect des droits de l'Homme et humanitaires ou les mesures de protection -autant de conditions indispensables à la réussite des programmes de réinsertion appliqués aux populations dont le déplacement résulte d'abus du gouvernement ou de troubles civils. Les compétences institutionnelles lacunaires du P.N.U.D. ne l'empêchent pas en soi d'aider efficacement les personnes déplacées à l'intérieur de leur pays. Ces lacunes illustrent plutôt les déficiences existantes dans le système international, qui adopte généralement une approche holistique du problème--aucune agence ne peut réussir à satisfaire tous les besoins (immédiats et à long terme) des personnes déplacées. Cependant, ce n'est pas le manque de compétences du P.N.U.D. qui pose problème mais bien son refus ou son incapacité, en tant qu'institution, à étendre et à renforcer ses capacités afin d'aborder au mieux la situation au Kenya. Le P.N.U.D. a non seulement oublié ses précédentes missions, qui consistaient à appliquer des programmes pour les personnes déplacées à l'intérieur de leur pays, mais n'a pas tenté de résoudre ou de combler les faiblesses institutionnelles observées à mesure que le programme se déroulait. De même, il n'est pas sûr que les enseignements tirés du programme kényan aient incité le P.N.U.D. à entreprendre des modifications institutionnelles afin d'améliorer la mise en œuvre des futurs programmes pour les personnes déplacées à l'intérieur du pays.

On a pu identifier certains facteurs qui ont contribué aux problèmes rencontrés par le P.N.U.D. dans le cadre de son Programme pour les Personnes Déplacées au Kenya. Si le P.N.U.D. parvient à les éliminer, il pourrait aussi améliorer la mise en œuvre future de ces programmes. La situation vécue au Kenya prouve que certains éléments doivent être réunis pour assurer le succès d'une mission de ce type: un contrat avec le gouvernement, qui détermine les conditions minimales de l'engagement; un plan de collecte et de distribution des données; le contrôle et le renforcement du respect des droits de l'Homme; des mesures de protection et une méthode stimulant l'échange des compétences entre agences.

La direction du P.N.U.D. doit avant tout prendre les mesures nécessaires pour assumer les responsabilités accrues résultant de sa désignation en tant qu'agence chargée de gérer les programmes destinés aux personnes déplacées. Il convient donc d'analyser les pratiques de fonctionnement traditionnellement mises en œuvre par le P.N.U.D., afin de déterminer les points requérant une approche différente et de développer ses capacités dans les domaines où il manque d'expérience. Le P.N.U.D. s'est d'ores et déjà engagé dans cette voie et reconnaît dans ses documents que le droits de l'Homme, la justice sociale et la réforme de la législation foncière sont des facteurs essentiels pour la réussite des efforts de réinsertion. La direction du P.N.U.D. doit à présent franchir une étape supplémentaire et adopter une approche vers les déplacées intégrant l'assistance, la protection préventive, le respect des droits de l'Homme et le développement. Pour cela, le P.N.U.D. devra assurer la formation de son personnel existant et pourrait également recourir à d'autres spécialistes en vue de renforcer les équipes actives sur le terrain. Si le P.N.U.D. ne possède pas ou décide de ne pas développer ses compétences internes, il devrait mettre sur pied une collaboration de coordination avec d'autres agences de l'O.N.U. afin de s'assurer de l'exhaustivité de ses programmes.

Dans le cadre de ses programmes, le P.N.U.D. doit donner la priorité à la collecte et la distribution de données. A cet effet, il doit utiliser des moyens plus efficaces pour surveiller et évaluer la situation des personnes déplacées. Sans sous-estimer les difficultés liées à la collecte de ces informations, le P.N.U.D. devrait mettre en place un système de contrôle systématique permettant de recueillir des chiffres globaux (et, dans la mesure du possible, des noms) et de documenter les conditions de vie des personnes déplacées. Ces renseignements devraient inclure les besoins physiques observés et les divers problèmes relatifs à la protection des personnes. Enfin, le P.N.U.D. devrait assurer la distribution régulière de ces informations au sein de l'O.N.U. ainsi que dans les autres agences locales et internationales concernées.

Le P.N.U.D. doit renforcer ses compétences en matière de promotion et de protection des droits de l'Homme. Bien qu'ils soient étroitement liés aux droits de l'Homme, les projets du P.N.U.D. n'ont généralement pas requis le développement de compétences en matière de compte rendu et d'intervention; de même, ces projets n'ont jamais considéré la promotion et la protection des droits de l'Homme comme l'élément central de leur mission. Souvent, le déplacement trouve son origine dans une violation des droits de l'Homme; par conséquent, les solutions de réinsertion et de réhabilitation sont fréquemment tributaires de la résolution des questions liées aux droits de l'Homme et à la protection des individus. Le fait est sans doute encore plus vrai dans ces programmes que dans d'autres: il est inadmissible de négliger les considérations relatives aux droits de l'Homme en vue d'entretenir de bonnes relations avec un gouvernement ou à d'autres fins. Le P.N.U.D. devrait employer son énergie à prendre la parole au nom des personnes déplacées, à l'échelle locale, nationale et internationale. Si les interventions discrètes auprès des gouvernements ou des autorités en place s'avèrent vaines, le P.N.U.D. devrait lancer des actions de protestation plus officielles.

La première raison invoquée pour expliquer le peu d'importance accordée aux droits de l'Homme dans les travaux du P.N.U.D. a été que cette région n'a jamais été considérée comme une priorité dans la mission de développement du P.N.U.D. Un sentiment largement répandu au sein du P.N.U.D. veut que les travaux liés aux droits de l'Homme ne sont pas assimilables aux travaux de développement, même si les processus de développement visant à promouvoir la démocratisation du gouvernement, le renforcement des institutions et des canaux de diffusion de l'information, le droit d'accès et l'application régulière de la loi constituent tous des objectifs de développement influant sur les droits de l'Homme. Une autre raison avancée par le P.N.U.D. pour minimiser l'aspect des droits de l'Homme repose sur le sacro-saint principe de neutralité. Au lieu de se prononcer sur des questions qui lui attireraient les foudres du gouvernement, le P.N.U.D. semble concevoir son rôle comme celui d'un intervenant neutre, chargé de mener à bien un programme de réinsertion dénué de toute tension politique. Certains membres du P.N.U.D. justifient leur silence à l'égard du problème des droits de l'Homme en prétextant que les canaux de communication avec un gouvernement doivent rester ouverts si l'on veut soutenir la cause des personnes déplacées. Le P.N.U.D. doit combattre activement le préjugé selon lequel les questions traitant des droits de l'Homme doivent être réservées aux agences de l'O.N.U. spécialisées dans ce domaine, d'autant plus que cette perception erronée des choses peut entraver l'instauration d'une solution durable pour la population déplacée. (199) Ce changement de politique doit être encouragé par les plus hautes sphères du P.N.U.D. afin de mettre un terme aux opinions préconçues affectant la mission de l'agence en matière de droits de l'Homme.

Le P.N.U.D. doit développer et intégrer des responsabilités de protection en ce qui concerne la mise en œuvre de ses programmes pour les personnes déplacées à l'intérieur de leur pays. Contrairement aux nombreux projets de développement auxquels le P.N.U.D. participe dans le monde entier, les programmes relatifs aux personnes déplacées sont rendus plus complexes en raison des problèmes de sécurité et politiques entourant le déplacement. La protection des personnes déplacées peut être envisagée sous deux points de vue: il faut d'une part assurer leur sécurité physique contre les menaces de coercition et de violence et aborder d'autre part les questions à plus long terme concernant la violation des droits juridiques par les instigateurs du déplacement. Si la responsabilité ultime en matière de protection incombe aux gouvernements, le P.N.U.D. n'en a pas moins un rôle à jouer: il doit en effet faire prendre conscience aux gouvernements du caractère prioritaire de la question, assurer la formation des responsables gouvernementaux en matière de respect des droits de l'Homme et de normes humanitaires et plaider énergiquement en faveur de la sécurité des personnes déplacées. Le P.N.U.D. n'a en fait jamais assumé un rôle de protection, qui exige de se montrer critique à l'égard des abus commis par un gouvernement contre son peuple. Cependant, comme le P.N.U.D. est appelé à gérer d'autres programmes destinés aux personnes déplacées à l'intérieur de leur pays, il devra faire face aux tensions inévitables qui surviennent lorsque l'on veut assurer la protection des personnes déplacées tout en essayant de collaborer avec le gouvernement à l'origine du déplacement (ce qui est souvent le cas). La marge de manœuvres est étroite: il faut donc faire montre d'habileté et de prudence et tempérer ses critiques à l'encontre des politiques gouvernementales pour pouvoir compter sur l'aide de ce même gouvernement et assurer la sécurité des personnes en vue de leur réinsertion. Peu de membres du P.N.U.D. savent comment agir lorsque la sécurité physique des personnes déplacées est en jeu, même là où les problèmes relatifs à la protection sont légion. A cet égard, le P.N.U.D. pourrait apprendre beaucoup de l'UNHCR., qui possède une expérience considérable en la matière. (200)

Le P.N.U.D. doit se préparer à modifier ses rapports politiques avec les gouvernements et à critiquer au besoin les politiques gouvernementales à l'encontre des personnes déplacées. Le P.N.U.D. a toujours été très proche de gouvernement afin de pouvoir mener à bien ses projets. Contraints de collaborer avec les gouvernements pour ses projets de développement, les Représentants Résidents du P.N.U.D. peuvent craindre de compromettre leur position et leur programme en s'exprimant franchement sur la question des droits de l'Homme et de la protection. Ces problèmes épineux semblent être un sujet trop délicat à mettre en avant lorsque l'on est confronté à des gouvernements corrompus. L'attitude adoptée au Kenya était la suivante: si le P.N.U.D. voulait rester opérationnel, il devait aborder les abus du gouvernement avec diplomatie et se distancier des groupes (principalement des O.N.G.) qui dénonçaient ouvertement les abus commis à l'encontre des personnes déplacées. Par conséquent, le gouvernement ne fit l'objet que de pressions minimes, voire inexistantes, de la part du seul intervenant susceptible de pousser le gouvernement à rechercher des solutions durables au problème des droits de l'Homme. Peu accoutumé à traiter ce genre de problèmes, le P.N.U.D. n'a guère été confronté aux réactions de colère que ce type de travail suscite d'ordinaire chez le gouvernement incriminé. A ce moment, l'institution tente instinctivement d'éviter toute controverse avec le gouvernement, ce qui l'amène à éluder les questions fondamentales des droits de l'Homme et de la protection des personnes au lieu d'en faire le point de départ indispensable pour résoudre le problème du déplacement à l'intérieur du pays.

Le P.N.U.D. devrait aussi prendre des mesures visant à contrer les tensions qui surgissent inévitablement lorsqu'un Représentant Résident du P.N.U.D., étroitement lié à un gouvernement, est nommé Coordonnateur Résident chargé de l'aide d'urgence. A ce titre, le Coordonnateur Résident peut être amené à adopter une attitude plus critique vis-à-vis des politiques gouvernementales, afin de parler au nom des personnes déplacées. Selon un représentant de l'O.N.U. travaillant au D.H.A., l'un des principaux problèmes inhérents à l'implication du P.N.U.D. dans ce genre de programme est le suivant:

La façon dont les programmes sont actuellement structurés crée des tensions liées au rôle que le Représentant Résident du P.N.U.D. est censé jouer. D'une part, cette personne est priée de collaborer étroitement avec le gouvernement sur tous les projets de développement et d'encourager l'établissement de bonnes relations. Ensuite, vous demandez à cette même personne d'endosser le rôle de Coordonnateur Résident chargé de l'aide d'urgence et de critiquer le gouvernement pour avoir violé les droits des personnes déplacées. Le gouvernement n'apprécie évidemment pas cette attitude et se plaint. Or, les promotions au sein du P.N.U.D. sont également fonction des bonnes relations nouées avec le gouvernement. Ainsi, un Représentant Résident qui s'active en faveur des personnes déplacées ne favorise probablement pas l'avancement de sa carrière. (201)

De plus, le D.H.A. intervient uniquement lorsqu'un Représentant Résident est nommé Coordonnateur Résident, ce qui complique encore davantage la situation. Un Représentant Résident/Coordonnateur Résident peut se trouver dans une position professionnelle très inconfortable s'il reçoit des instructions divergentes de la part du P.N.U.D. et du D.H.A. Le P.N.U.D. doit donc assurer à ses Représentants Résidents/Coordonnateurs Résidents le soutien et les directives nécessaires pour empêcher ce dilemme institutionnel de miner les objectifs du programme d'aide aux personnes déplacées.

Le P.N.U.D. doit assurer la formation de son personnel et fournir des directives, particulièrement aux Représentants Résidents, dans les domaines où les compétences sont les moins développées, tels que les responsabilités en matière de respect des droits de l'Homme et de protection des personnes. Les décideurs du P.N.U.D. n'ont pas nié les erreurs commises au Kenya pendant le programme. Il semble que l'institution n'ait gère prêté attention aux problèmes naissants étant donné que le programme avait besoin d'être redirigé. Le P.N.U.D. envisage de décentraliser ses programmes vers ses bureaux locaux. (202) S'il agit de la sorte, il devra cependant veiller à dispenser une formation adéquate et le matériel requis au personnel chargé de mettre en œuvre lesdits programmes.

Enfin, il faudrait relever et exploiter les points forts et faibles des programmes précédents afin d'améliorer les programmes à venir. Les résultats de cette analyse doivent être appliqués aux programmes pour les personnes déplacées par le biais d'une procédure institutionnelle systématique. Ainsi, l'ignorance totale de la question des droits de l'Homme dans le programme du P.N.U.D. est d'autant plus surprenante qu'un autre programme du P.N.U.D. visant la réinsertion de personnes déplacées en Amérique centrale avait été considéré comme une réussite, essentiellement parce qu'il avait fait de la promotion et de la protection des droits de l'Homme l'élément central de ce programme. Mis en œuvre par le P.N.U.D. entre 1989 et 1995, le Programme de Développement pour les Personnes Déplacées, les Réfugiés et les Rapatriés en Amérique centrale (P.R.O.D.E.R.E.) avait été créé pour promouvoir et faciliter la réinsertion sociale et économique de plus de deux millions de personnes déracinées par les conflits sociaux des années 80. Censé durer trois ans, P.R.O.D.E.R.E. fut prolongé de deux ans et se termina en juillet 1995. P.R.O.D.E.R.E. fut le plus vaste programme unique mené par le P.N.U.D./BSP (Bureau des services d'appui aux projets).

L'approche adoptée dans le cadre de P.R.O.D.E.R.E. consistait à résoudre les causes premières du conflit et à jeter ainsi les fondements d'un développement durable. P.R.O.D.E.R.E. encouragea également la création d'institutions locales qui continuèrent à fonctionner au terme du programme, assurant des services relatifs à la production, l'emploi, la génération de revenus, la promotion des droits de l'Homme, la santé et l'éducation. (203) Le succès de P.R.O.D.E.R.E., puisque c'est ainsi que les choses furent perçues, reposa principalement sur le mode d'approche adopté, qui stipulait que le programme devait "accorder la priorité à la promotion des droits de l'Homme, élément indispensable aux processus de développement, de paix et de démocratisation en Amérique centrale." (204) Malgré quelques problèmes internes, P.R.O.D.E.R.E. parvint à renforcer les institutions nationales de défense des droits de l'Homme et à encourager une série d'activités fondamentales qui firent évoluer la mentalité locale en la matière. P.R.O.D.E.R.E. assura notamment la formation des observateurs chargés de faire respecter les droits de l'Homme et leur fournit l'assistance technique nécessaire, créant un réseau d'autochtones capables d'aider les victimes à faire entendre leur voix auprès du système judiciaire; il diffusa des informations relatives aux droits de l'Homme en langue espagnole et dans divers idiomes indigènes; enfin, il favorisa le rapprochement entre les associations locales de défense des droits de l'Homme, le gouvernement et les responsables chargés de l'application de la loi. Cependant, on cherche vainement un signe montrant que le programme du P.N.U.D. au Kenya a tiré quelque enseignement de P.R.O.D.E.R.E.. Même s'il ne s'agissait évidemment pas de reproduire à la lettre P.R.O.D.E.R.E. au Kenya, l'exemple de P.R.O.D.E.R.E. pouvait s'avérer une expérience précieuse pour le P.N.U.D. Au début du programme, le P.N.U.D. envoya quelques membres de son personnel et des représentants gouvernementaux kényans en Amérique centrale. (205) Pourtant, il semble que les compétences et les expériences positives développées en Amérique centrale n'ont guère été adaptées au contexte kényan.

L'Absence d'un Cadre Intégré Fort Permettant à l'O.N.U. de Protéger les Personnes Déplacées

L'O.N.U. est l'organisation toute indiquée lorsqu'il s'agit de diriger la conception de mécanismes internationaux visant à améliorer les mesures de protection et d'assistance aux personnes déplacées à l'intérieur de leur pays. Comme l'atteste le cas du Kenya, l'O.N.U. est à même de faciliter les négociations et d'encourager le soutien du gouvernement et des autorités locales. Elle peut contribuer à l'entente entre les divers groupes et coordonner les efforts. Les interlocuteurs de l'O.N.U. peuvent assumer un rôle d'intermédiaire déterminant en termes de communication, de partage des informations et de conseil. Cependant, les programmes de l'O.N.U. destinés aux personnes déplacées ne doivent pas être lancés à la légère: il faut identifier au préalable les besoins à satisfaire, ainsi que les forces et les faiblesses des organisations chargées de dénouer la situation.

La communauté internationale restera incapable d'offrir une aide et une protection efficaces aux populations déplacées à l'intérieur d'un pays tant qu'un mandat institutionnel n'aura pas été clairement défini au sein de l'O.N.U. en la matière. Bien que la responsabilité partagée par les diverses agences de l'O.N.U. ayant mis sur pied des programmes relatifs aux personnes déplacées ne soit pas un problème en soi, la manière dont cette organisation a évolué a engendré une multitude de programmes distincts, où tout échange de compétences semble inexistant. Les besoins des personnes déplacées à l'intérieur d'un pays vont des secours humanitaires d'urgence au développement économique et à la réinsertion. Comme aucune agence n'est exclusivement chargée de l'aide aux personnes déplacées, toutes les agences qui mettent en œuvre de tels programmes manquent inévitablement de certaines compétences, indispensables pour couvrir correctement la diversité des besoins. Le problème de la protection semble être le plus souvent négligé. Il faut donc instaurer une approche plus systématique, qui renforce et développe les compétences de l'O.N.U., afin d'intégrer automatiquement certaines composantes essentielles (protection, documentation, établissement de rapports relatifs aux droits de l'Homme, assistance juridique) dans les programmes.

L'absence de mandat clairement défini concernant l'assistance, la protection et l'établissement de solutions à long terme pour les personnes déplacées affecte gravement le bon fonctionnement des agences de l'O.N.U. chargées de traiter ces problèmes. En effet, ces dernières ne savent comment agir dans certaines circonstances, étant donné qu'aucune ligne de conduite n'a été déterminée en matière de responsabilité et de compte rendu. Les mandats spéciaux conférés aux agences de l'O.N.U. en charge des personnes déplacées constituent une solution de remplacement inadéquate à l'instauration d'un système réglementé.

Ainsi, le principal mandat de l'UNHCR pour les réfugiés a créé un mécanisme régulier et parfaitement défini permettant de résoudre les problèmes de protection auxquels les personnes déracinées sont confrontées. Comparativement, l'UNHCR témoigne d'une plus grande expérience que le P.N.U.D. lorsqu'il s'agit de collaborer avec les gouvernements pour assurer la protection des populations réfugiées. Il a en effet développé des normes, des critères et des programmes de formation qui, au fil des ans, ont renforcé sa capacité à protéger les populations réfugiées. De même, il est accoutumé à devoir traiter avec des gouvernements hostiles et peu coopératifs, dont il doit obtenir le soutien pour remplir sa mission de protection des réfugiés. (206) Pourtant, bien que toutes les populations déplacées vivent des difficultés comparables, il n'existe aucun système assurant l'uniformité des mesures de protection prises par les diverses agences actives en la matière. Au Kenya par exemple, les questions liées à la protection auraient dû être prioritaires puisque le gouvernement lui-même avait suscité et délibérément fermé les yeux sur la violence, tandis que les forces de sûreté n'avaient assuré aucune protection. Le P.N.U.D. ne possède cependant qu'une expérience limitée dans ce domaine. Le problème aurait donc dû être anticipé.

Dans le cas du Kenya, le programme du P.N.U.D. ressemblait davantage à un projet interne du P.N.U.D. qu'à un élément s'inscrivant dans un programme global de l'O.N.U. pour les personnes déplacées. Sa collaboration avec d'autres agences de l'O.N.U., dont le D.H.A., aurait été réduite, voire inexistante; de même, il semble ne pas avoir recherché ou exploité les orientations ou expériences émanant d'autres agences de l'O.N.U. Certaines, l'UNICEF par exemple, avaient manifesté leur volonté de participer plus activement aux Programme des personnes déplacées au Kenya, mais jamais elles ne furent encouragées ni autorisées à contribuer au sens où elles l'entendaient. (207) D'autres agences de l'O.N.U., qui auraient dû être consultées, ne l'ont pas été. Ainsi, il y avait au Kenya deux agences de l'O.N.U. pour les personnes déplacées de force entre 1993 et 1995: l'UNHCR s'occupait des réfugiés somaliens, soudanais et éthiopiens essentiellement dans la Province du Nord-Est, tandis que le P.N.U.D. prenait en charge les Kényans déplacés dans les Provinces de la Vallée du Rift, de l'Ouest et de Nyanza. Dans les deux cas, la sécurité et la protection des victimes ont posé problème. (208) Dans les deux cas, le gouvernement était hostile aux populations. D'une part, l'UNHCR médiatisa les faits et exerça de vives pressions sur le gouvernement, ce qui provoqua des changements positifs dans la situation des réfugiés au Kenya. (209) D'autre part, l'engagement personnel du P.N.U.D. et son silence sur la situation des personnes déplacées se traduisirent par un statu quo de la politique gouvernementale. Même si les deux situations ne sont pas identiques, elles prouvent que le gouvernement ne réagit que lorsqu'il y est publiquement et activement contraint. Jamais le P.N.U.D. n'a coopéré ou collaboré avec l'UNHCR pour définir des moyens d'améliorer la protection des personnes déplacées.

L'avancement de l'UNHCR en matière de protection est incontestablement le plus développé, tant au niveau des normes et des règles de conduites que des directives pratiques concernant la planification et la mise en œuvre de ses programmes pour les réfugiés. Nombre d'entre elles sont applicables aux cas de déplacement à l'intérieur d'un pays. Les agences de l'O.N.U. pourraient à maintes occasions recourir à l'aide de l'UNHCR. Celui-ci maîtrise en effet à merveille les problèmes liés aux personnes déracinées. D'autres agences de l'O.N.U. pourraient bénéficier de cette précieuse expérience si elles établissent une étroite coopération et coordination avec l'UNHCR. Renforcer l'implication de l'UNHCR ne peut cependant pas constituer un moyen cynique de maintenir les populations réfugiées dans leur pays d'origine afin d'éviter de devoir fournir une protection internationale, dont l'asile. Certains Etats y voient en effet un moyen d'empêcher ces populations de devenir des populations réfugiées, ce qui entraîne pour ces Etats le devoir de leur offrir l'asile. Les milieux de protection des réfugiés redoutent que la protection accrue des personnes déplacées ne serve en fait qu'à contenir les flux de réfugiés, en vue de réduire les responsabilités internationales en matière de protection et d'accueil des populations réfugiées. Cette inquiétude valable ne doit toutefois pas déboucher sur le relâchement de la protection accordée aux personnes déplacées; il convient au contraire de rechercher des solutions équilibrées aux problèmes des populations réfugiées et déplacées, solutions qui ne doivent en rien affecter la structure de protection des réfugiés.

Rien ne justifie que le P.N.U.D. ou toute autre agence de l'O.N.U. doivent tâtonner dans des domaines où leurs compétences institutionnelles sont lacunaires, d'autant plus que ces compétences ont été développées dans d'autres agences au sein de l'O.N.U. Il est capital de renforcer la collaboration entre les différentes agences si l'on veut améliorer les services offerts aux personnes déplacées. Bien que P.R.O.D.E.R.E.--le programme de réinsertion appliqué par le P.N.U.D. en Amérique centrale--ait bénéficié d'une telle collaboration, (210) les liens unissant les agences de l'O.N.U. sont généralement entachés d'appréhensions, de conflits de personnalité et de luttes internes. La collaboration entre les agences de l'O.N.U. demeure faible et fragmentaire. Si l'O.N.U. veut continuer à désigner une série d'agences différentes pour prendre en charge les personnes déplacées, elle doit s'engager activement à promouvoir la collaboration entre ces agences. Il lui faudra donc créer des conditions encourageant cette collaboration afin de résoudre ou de contrer efficacement les problèmes des personnes déplacées.

Créer une coordination et une coopération véritables, tel est l'objectif majeur à atteindre pour développer des capacités institutionnelles qui transcendent toutes les agences de l'O.N.U. et abordent les principales questions relatives aux personnes déplacées. L'existence du D.H.A. et du Groupe de travail interagence pour les personnes déplacées semble ne pas déboucher sur un rôle de leadership ou de surveillance une fois qu'un programme est lancé. Dans le cas du Kenya, les administrateurs des programmes et les agents locaux du P.N.U.D. n'ont reçu aucune formation leur permettant de développer leurs compétences dans le domaine des droits de l'Homme et de la protection des personnes. Il apparaît en outre qu'aucune aide interagence n'a été offerte ou demandée auprès de l'O.N.U., alors qu'elle aurait permis de renforcer le programme du P.N.U.D. ou d'exercer des pressions sur le gouvernement kényan. Malheureusement, ce problème demeure aussi vivace aujourd'hui qu'il y a quelques années, avant le lancement du programme du P.N.U.D. pour les personnes déplacées au Kenya. Les mêmes craintes et les mêmes erreurs continueront à se reproduire jusqu'à ce que l'O.N.U. commence à systématiser et institutionnaliser ses programmes pour les déplacées. Entre-temps, les premières victimes sont toujours les principales intéressées: les personnes déplacées.



199. La récente déclaration du Secrétaire-général Kofi Annan, qui affirmait considérer les droits de l'Homme comme une composante à part entière des principaux domaines d'activités de l'O.N.U. (en ce compris ses missions de développement), constitue un pas en avant dans la bonne direction. "UN Reform: The First Six Weeks," Déclaration de Kofi Annan, Secrétaire-général de l'O.N.U., New York, 13 février 1997.

200. Le P.N.U.D. a déjà entamé des démarches visant à concrétiser une nouvelle structure de coordination opérationnelle avec l'UNHCR, destinée aux réfugiés de retour. Une initiative similaire devrait voir le jour en ce qui concerne les programmes de réinsertion des personnes déplacées à l'intérieur de leur pays. Les objectifs de l'accord conclu avec l'UNHCR pour les réfugiés sont les suivants: "encourager les dispositifs d'alerte rapide; contrer les effets négatifs des arrivées massives de réfugiés; encourager la création d'un nouvel équilibre au niveau de la communauté, œuvrer en faveur de la paix et de la réconciliation; renforcer les liens entre les besoins de réinsertion initiaux des réfugiés de retour et les besoins des autres groupes installés dans ces régions, afin d'y assurer un développement durable; encourager l'arrêt précoce et en douceur de l'aide humanitaire en faveur d'un développement local durable; collaborer pour mobiliser les ressources nationales et internationales nécessaires pour atteindre les objectifs susmentionnés." "Further Elaboration on Follow-Up to Economic and Social Council Resolution 1995/56: Strengthening of the Coordination of Emergency Humanitarian Assistance," UN.Doc. DP/1997/CRP.10, 28 février 1997, para. 22.

201. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'un représentant du D.H.A. (resté anonyme à sa demande), New York, 26 février 1997.

202. "Further Elaboration on Follow-Up to Economic and Social Council Resolution 1995/56: Strengthening of the Coordination of Emergency Humanitarian Assistance," UN.Doc. DP/1997/CRP.10, 28 février 1997, para.11.

203. PRODERE comprenait six sous-programmes nationaux et trois sous-programmes régionaux. Les six premiers -Guatemala, Bélize, El Salvador, Honduras, Nicaragua et Costa Rica- comptaient deux ou trois secteurs d'intervention par pays. L'ampleur et le budget alloué aux sous-programmes nationaux variaient en fonction des spécificités du pays. La priorité fut accordée aux pays comptant un nombre élevé de réfugiés et disposés à mettre en œuvre des programmes de réinsertion à long terme. Le Guatemala, El Salvador et le Nicaragua reçurent chacun USD 23 millions pendant la durée du programme. Le Costa Rica reçut USD 7 millions, le Honduras USD 5 millions, et le Bélize, USD 3 millions. Au moment de son développement maximal, en 1992, le budget annuel de PRODERE excédait les USD 35 millions; le programme employait plus de 500 personnes, dont les équipes internationales, les spécialistes locaux, les volontaires de l'O.N.U., les employés du soutien administratif et les chauffeurs. Peter Sollis et Christina M. Schultz, "Lessons of the PRODERE Experience in Central America," (Washington D.C.: Refugee Policy Group, novembre 1995).

204. Déclaration commune de PRODERE par la délégation du gouvernement italien et le P.N.U.D., Guatemala City, 19 novembre 1991, telle que citée dans Ibid., p. 7.

205. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'un responsable du P.N.U.D. (resté anonyme à sa demande), New York, 26 février 1997.

206. Nous n'entendons pas affirmer ici que l'UNHCR est un modèle du genre dans ce domaine mais simplement souligner le fait qu'il possède, par rapport au P.N.U.D., une plus grande expérience en la matière. La protection des réfugiés et des demandeurs d'asile dans le monde s'est amenuisée au cours des dernières décennies. Face à l'attitude de retranchement adoptée par les gouvernements nationaux à l'égard des réfugiés, l'UNHCR a décidé d'abandonner les anciennes stratégies -axées sur l'exil- au profit de la solution durable du rapatriement volontaire et de se concentrer sur la prévention des mouvements de réfugiés et l'endiguement des crises. Ce passage à des solutions privilégiant le retour s'oppose souvent au rôle fondamental de protection de l'UNHCR dans le cadre du rapatriement volontaire; il en a résulté une érosion des normes de protection exposées dans certaines conclusions de son Comité exécutif et d'autres communiqués officiels. Voir Human Rights Watch, "Uncertain Refuge: International Failures to Protect Refugees" A Human Rights Watch Short Report, vol. 9., n 1(G), avril 1997.

207. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'un diplomate (identité et lieu tenus secrets à sa demande), réalisée par téléphone le 12 mars 1997.

208. En 1993, Human Rights Watch a visité des camps, recueilli les témoignages de survivantes victimes de viol et mis en évidence l'incapacité du gouvernement kényan et de l'UNHCR à assurer la protection et la sécurité des réfugiés installés dans une zone à risque, proche de la frontière somalienne. Nombre de femmes interrogées avaient été violées par des bandes comptant parfois jusqu'à sept hommes, sous la menace d'une arme à feu. Dans la majorité des cas, les victimes avaient également été dépouillées de leurs biens, battues sauvagement, assassinées à coups de couteau ou abattues. La plupart des femmes réfugiées risquent constamment d'être violées par des bandits somaliens et kényans, auxquels se joignent d'anciens soldats ou combattants somaliens qui ont traversé la frontière entre le Kenya et la Somalie pour lancer des attaques. Un petit nombre de viols ont été commis par des officiers de police kényans et d'autres réfugiés. Human Rights Watch a également fait état dans ses rapports de l'absence et d'enquête et de poursuites, ce qui a contribué à renforcer l'anarchie et l'impunité des criminels. Human Rights Watch/Projet Droits des Femmes and Africa division "Seeking Refuge, Finding Terror: The Widespread Rape of Somali Women Refugees in North Eastern Kenya," A Human Rights Watch/Afrique Short Report, vol. 5, n 13, octobre 1993.

209. Lors de visites de suivi dans les camps de réfugiés au Kenya en 1994 et 1996, Human Rights Watch/Projet Droits des Femmes observa de nombreux changements, fruits du travail de l'UNHCR auprès du gouvernement kényan. L'UNHCR avait notamment fait clôturer les camps afin de décourager les éventuelles incursions malveillantes et chargea les réfugiés d'organiser la sécurité dans leurs camps. L'UNHCR dispensa aux officiers de police kényans une formation sur la question des droits de l'Homme et prit des mesures visant à fournir le matériel nécessaire à l'application de la loi, dont la construction d'un poste de police à proximité des camps de réfugiés. D'autre part, le gouvernement kényan renforça le nombre des effectifs policiers dans la zone (de 50 à 250) et organisa des patrouilles bimensuelles en hélicoptère. Des services de conseil et d'aide médicale et juridique furent proposés aux survivantes de viols, tandis que l'UNHCR instaurait des procédures assurant l'établissement systématique et routinier de rapports médicaux et policiers. Par conséquent, le nombre de viols déclarés parmi les femmes et les enfants réfugiés avait diminué de moitié (passant de 200 cas en 1993 à 76 en 1994 et 70 en 1995). Plusieurs actions entamées contre les violeurs débouchèrent sur leur condamnation avant 1996. De plus, les réfugiés interrogés par Human Rights Watch témoignèrent de la sécurité accrue dans les camps. Le fait que le problème du viol soit resté inchangé dans les camps de réfugiés du nord-est prouve que l'action énergique menée par l'UNHCR et la mise en œuvre de programmes de protection réfléchis peuvent faire évoluer les choses. Voir Human Rights Watch, "Uncertain Refuge: International Failures to Protect Refugees," A Human Rights Watch Short Report, vol. 9, n 1(G), avril 1997, pp. 15-18.

210. L'exemple de PRODERE constituait une innovation car c'était la première fois que quatre agences -le P.N.U.D., l'UNHCR, l'OMS et l'Organisation internationale du Travail (OIT)- participaient à un même programme. Cet accord avait vu le jour en raison de l'insistance du bailleur de fonds (le gouvernement italien). Le choix du P.N.U.D. en tant qu'organisme responsable avait été motivé par l'étroitesse de ses liens avec les gouvernements et l'expérience du BSP -son bras de commande- en la matière.

Previous PageTable Of ContentsNext Page