Africa - West

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AFFAIBLISSEMENT DU PROGRAMME DU P.N.U.D. PAR LE GOUVERNEMENT (72)

"Le désespoir des populations déplacées et réfugiées est une violation de la dignité humaine et défie l'entendement."

--Président Daniel arap Moi, discours de Jamhury Day, décembre 1996 (73)

L'évaluation optimiste du processus de réinsertion contenue dans le second rapport Rogge n'était pas le fruit du hasard. La réinsertion eut effectivement lieu dans une certaine mesure en 1994, plus particulièrement dans les Provinces de Nyanza et del'Ouest, et la situation se normalisa progressivement. La violence avait cédé beaucoup de terrain comparé à ce qu'il en était un an plus tôt et nombreux déplacés étaient plus ou moins en passe de rentrer chez eux. Par rapport aux deux années précédentes, les améliorations étaient tangibles: l'atmosphère était beaucoup moins tendue et nettement moins incertaine. Malgré les bonnes raison qu'il y avait de se réjouir, des obstacles sérieux s'opposaient encore à la réinsertion complète.

Dans le rapport Rogge de 1994, les timides références aux individus qui, au sein du gouvernement, multipliaient les incitations à la violence et sapaient la réinsertion ne reflétaient pas fidèlement le peu de coopération dont le gouvernement faisait preuve. A aucun moment le gouvernement Moi n'a été un véritable partenaire du P.N.U.D. dans ses efforts. Par un double jeu d'obstruction active sur certains fronts et d'inaction caractérisée sur d'autres, le gouvernement a pu saper les fondements même du programme du P.N.U.D. Alors que le processus de réinsertion progressait dans telle ou telle région, les fonctionnaires du gouvernement, tant au niveau national que local, jouaient le jeu de l'intimidation et du désintérêt le plus total vis-à-vis des personnes déplacées. 

Le déclin des attaques de grande envergure, le retour des personnes déplacées dans certaines régions et les initiatives personnelles prises par un petit nombre de fonctionnaires locaux de l'administration en vue de coopérer avec le programme du P.N.U.D. semblent avoir été interprétés par le P.N.U.D. comme autant de signaux de la fin de la politique gouvernementale de persécutions ethniques et comme un engagement par rapport au programme du P.N.U.D.:

Le fait que les violences aient repris en quelques lieux à cause d'un petit groupe de politiciens puissants et manipulateurs ne peut être reproché ni au P.N.U.D. ni au système de l'O.N.U. Il est facile [pour Human Rights Watch/Afrique] de suggérer que l'attitude optimiste du programme de l'O.N.U. au début de 1994 était injustifiée au vu de la reprise de la politique gouvernementale qui a contribué à l'escalade de la violence constatée à la fin de 1995 [sic][le P.N.U.D. veut certainement parler de la fin de l'année 1994. A la fin 1995, le programme était définitivement interrompu]. (74)

Human Rights Watch/Afrique reconnaît qu'en dernière analyse, la responsabilité des violences commises incombe au gouvernement et que le P.N.U.D. ne peut être rendu responsable des actions de ce gouvernement. Toutefois, le P.N.U.D. porte la responsabilité de ne s'être pas posé en ardent défenseur des droits des personnes déplacées alors que les initiatives du gouvernement sapaient les efforts entrepris dans le cadre du programme de réinsertion. Human Rights Watch/Afrique ne considère pas que les efforts du P.N.U.D. ont été insuffisants parce que les événements l'on démontré a posteriori, mais bien parce que, comme l'indiquent divers passages du présent rapport, le processus de réinsertion entamé en 1994 a été régulièrement freiné et miné par les actions du gouvernement.

Le P.N.U.D. qualifiait d'efficace "l'engagement vis-à-vis du programme" des fonctionnaires locaux et minimisait les abus commis par le gouvernement, décrits comme des revers provoqués par "quelques personnages haut-placés." Ce n'était pas totalement exact et donnait clairement le sentiment que la coopération avec les autorités était généralement bonne. Le rapport Rogge de 1994 mettait une sourdine à la responsabilité du gouvernement et du P.N.U.D., tout en sapant les efforts des autres agences et des O.N.G. qui elles faisaient pression sur le gouvernement afin qu'il renverse la vapeur et revoie sa politique. Bien que le P.N.U.D. ait eu des raisons d'être satisfait des progrès graduels enregistrés, le climat de défiance et d'insécurité latente qui subsistait dans de nombreuses parties de la Province de la Vallée du Rift aurait du l'amener à replacer ces progrès dans le contexte plus général des grands problèmes qui restaient à résoudre. En fin de compte, le gouvernement a pu affaiblir l'action du programme du P.N.U.D. de manière systématique en instaurant un climat d'insécurité latente, en appliquant le système juridique de manière inégale et discriminatoire, en persécutant les personnes déplacées ainsi que les humanitaires et les journalistes, et en poursuivant les transferts de terres illégaux et les dispersions forcées.

Il est vrai que le gouvernement dut finalement renoncer à sa tactique de terreur et de violence patente, lorsqu'elle attira des protestations nationales et internationales, mais il ne le fit qu'après avoir réussi a déplacer de régions précises un grand nombre de gens appartenant à des groupes ethniques bien définis. Cet objectif étant atteint, il lui suffit alors de traîner les pieds pour empêcher une réinsertion complète et durable. Face à l'attention nationale et internationale dont bénéficiaient les déplacés, le gouvernement dut certes donner l'apparence de soutenir les efforts de réinsertion, et même permettre à une partie des populations déplacées de rentrer chez elles. Parmi les premiers à recevoir une aide matérielle pour ce faire, on trouva une majorité d'agriculteurs Kalenjin qui avaient été déplacés lors d'attaques de représailles. Toutefois, d'une manière générale, le gouvernement Kenyan ne soutint jamais réellement le processus de réinsertion des déplacés, ni dans le cadre du programme du P.N.U.D., ni aujourd'hui.

Sécurité ou Protection Insuffisante

L'absence de sécurité et de protection suffisante a été un thème récurrent tant durant les violences qu'au cours du processus de réinsertion, aussi bien en termes de sécurisation physique des personnes et des terres, qu'en termes d'assurances que les personnes déplacées pourraient rentrer chez elles, vivre sur leurs terres et les cultiver sans crainte, ou encore en termes de titres de propriétés ou de baux à louer en bonne et due forme. Sur tous ces points, le gouvernement n'a jamais pu apporter de garanties suffisantes.

Au point culminant des violences, un grand nombre de témoins oculaires rapportent que les membres des forces de sécurité n'avait pas pris la moindre mesure contre les agresseurs. Dans certains cas, la police était présente sur les lieux des attaques et ne répondit pas aux appels à l'aide, se contentant de regarder alors des gens étaient chassés de leur maison. Dans d'autres cas, la police n'arrivait de son poste voisin pour assister les victimes que bien après la fin des affrontements, malgré qu'elle ait été appelée longtemps avant. Parmi les personnes déplacées, les événements passés avaient profondément ancré, et à juste titre, un sentiment de méfiance vis-à-vis du gouvernement. Durant tout le processus de réinsertion, les incidents constants, les menaces et la peur d'une nouvelle flambée de violence empêcha de nombreux déplacés de rentrer chez eux. Le gouvernement n'a pratiquement pris aucune mesure afin de restaurer la confiance, alors que des mesures de ce type auraient fait comprendre à la nation que les autorités n'étaient pas prêtes à tolérer les menaces qui planaient sur la sécurité du processus de réinsertion.

En septembre 1993, après deux ans d'inaction dans le domaine de la sécurité, et peu après la visite très médiatisée de deux représentants d'organisations humanitaires étrangères dans les régions où les affrontements s'étaient produites, le gouvernement instaura trois "zones d'opérations de sécurité." Il donna des pouvoirs proche de l'état d'urgence aux forces de police, expulsa les "étrangers"--empêchant ainsi la publication de toute information concernant les zones en question lorsqu'il l'estimait nécessaire-, et interdit les armes dans les régions les plus touchées de la Province de la Vallée du Rift. (75) Ces restrictions ont persisté pendant presque toute la durée du programme du P.N.U.D. Elles furent levées en mars 1995. Toutefois, en mars 1994, alors même qu'elles étaient d'application dans les zones en question, ces mesures supplémentaires de sécurité n'ont pas empêché une grave poussée de violence "ethnique" dans la région de la Burnt Forest, au cours de laquelle au moins 18 personnes ont perdu la vie, et aux alentours de 25.000 ont été déplacées.

La région de la Burnt Forest a été très durement touchée et pour certaines personnes, c'était la deuxième ou même la troisième expulsion. Les premières attaques contre les habitants de la Burnt Forest se produisirent en décembre 1992; elles furent suivies d'autres violences en janvier, février, avril et août 1993 et encore en janvier 1994. Les attaques de mars 1994 dans la Burnt Forest, qui durèrent une semaine entière, laissèrent planer l'impression inquiétante que le gouvernement ne souhaitait pas ou était incapable de prendre des mesures efficaces pour mettre fin aux affrontements. Dans le même temps, le gouvernement utilisait la législation sur la sécurité pour interdire l'accès de la région aux journalistes, aux O.N.G. et même, dans certains cas, au personnel du P.N.U.D. Comparée à d'autres incidents, cette flambée de violence dans la zone de sécurité a déclenché une réaction plus rapide des autorités locales et des forces de police, bien que certains habitants aient accusé le gouvernement d'avoir participé au déclenchement des violences. Le gouvernement a également octroyé un peu d'aide alimentaire qui est parvenue aux personnes déplacées. (76) Toutefois comme l'a noté un journaliste spécialisé dans les conflits ethniques en Afrique, personne ne s'est jamais demandé comment des attaques armées avait pu se produire à une telle échelle dans une région censément régie par un statut proche de l'état d'urgence, d'autant plus que les incidents sporadiques enregistrés depuis le début de l'année auraient du attirer l'attention sur l'imminence d'une nouvelle poussée de violence: 

Les journalistes kényans étaient réellement exaspérés par l'enthousiasme que le P.N.U.D. mettait à faire l'apologie du gouvernement kényan. Voilà une région contrôlée par des pouvoirs de sécurité d'urgence et David Whaley [ancien Représentant Résident du P.N.U.D. au Kenya] tient une conférence de presse pour s'extasier sur la rapidité avec laquelle le gouvernement a su contrôler la violence. Ce qui était vraiment surprenant, c'est que les violences aient pu se déclencher dans une zone de sécurité. (77)

En mars 1994, dans une lettre pastorale, les évêques catholiques du pays critiquèrent l'inaction du gouvernement au niveau de la prévention des violences ethniques dans les zones d'opérations de sécurité:

Le gouvernement n'a pas été avare d'efforts pour persuader l'opinion publique que les affrontements avaient été déclenchées à l'instigation des leaders de l'opposition, mais les Kenyans sont aujourd'hui convaincus que ces affrontements n'auraient pu éclater ni se poursuivre aussi longtemps sans la passivité voire, dans certains cas, la participation active des autorités. Les Kenyans doivent-ils vraiment croire que notre armée et notre police, aux effectifs si nombreux et si bien équipés et entraînés, peuvent être défaits par un petit groupe de guerriers de village armés de pangas et de rungus? Devons-nous conclure que la police et l'armée ont fait de leur mieux mais sont malheureusement systématiquement arrivées en retard? (78)

Le 28 mars, au cours d'une conférence de presse à Nairobi, 13 Kikuyu de la Burnt Forest publient un communiqué reprochant aux autorités locales de n'avoir pris aucune mesure, même contre les auteurs identifiés d'actes de violence. Les déplacés déclaraient: 

Nous voulons dire au monde que ces affrontements se sont produites dans les prétendues zones de sécurité que le gouvernement a mises en place l'an dernier. Nous voulons rappeler au monde que, lors d'affrontements précédentes, le gouvernement avait accusé les "étrangers." C'est d'ailleurs ce qui avait motivé la création des zones de sécurité... La vague actuelle d'incendies volontaires, de meurtres et de destruction de propriétés vise essentiellement les Kikuyu de la région... [mais] tous les postes administratifs de la région sont tenus par des Kalenjin auprès de qui nous ne pouvons pas aller nous plaindre lorsque les nôtres sont tués ou lorsque nos propriétés sont volées ou détruites. Mille fois, nous avons été attaqués alors que le Commissaire de district, l'Officier de district, les chefs de postes, leurs assistants et les policiers étaient présents, et pourtant ils ne sont pas intervenus. Les policiers se contentent de tirer au hasard. Les guerriers se promènent ouvertement avec arcs et flèches, en toute impunité... Nos enfants dorment dans le froid et tombent malades. Nos familles ont faim. Nous voulons que le monde intervienne pour nous défendre. L'objectif de ces crimes est d'évincer les Kikuyu de la Burnt Forest. (79)

D'autres attaques sporadiques de moindre envergure se sont produites ailleurs durant tout le programme du P.N.U.D. Par exemple, en janvier 1994, 4.000 Kikuyu se sont enfuis de leurs maisons à Mwoyoi Scheme, Nyandonche, Ibere, Nyaiguta, Masimba et Tilango (sous-district de Trans-Mara, Province de Narok), après que leur habitations aient été attaquées par des Maasai. Les propriétaires Kikuyu affirmaient qu'une réunion s'était tenue au quartier général divisionnaire de l'administration locale à Lolgorien, à laquelle seuls les Maasai avaient été autorisés à participer, et au cours de laquelle fut prise la décision d'expulser les non Maasai. Le 21 février, une cinquantaine de Kalenjin attaquèrent le village de Kianjogu dans le district de Laikipia. Au cours de l'attaque, plusieurs personnes furent blessées et un Kikuyu, Kuria Njoroge, perdit la vie. Plusieurs maisons furent également incendiées. Les victimes du raid racontent que les agresseurs s'étaient identifiés comme des "exécuteurs tribaux qui reviendront bientôt pour en finir avec vous." (80) Le premier mai 1994, huit personnes furent tuées et 26 blessées lorsque des assaillants chantant des slogans majimboïstes attaquèrent le village de Mtondia, à quelques dix kilomètres de la ville de Kilifi, dans la Province de la Côte, à des centaines de kilomètres de la Vallée du Rift où les affrontements s'étaient jusque-là cantonnées. Les maisons et les propriétés de certains résidents, essentiellement des Luo, furent pillées et détruites. Environ 2.000 personnes s'enfuirent après l'attaque, qui avait été précédée de la distribution de tracts anonymes disant: "Si vous êtes un Luo, la route de Kisumu est grande ouverte, nous n'aurons pas pitié, nous nous battrons contre vous." Les journalistes qui tentèrent de visiter les lieux après les événements en furent empêchés par la police qui avait isolé la région. (81)

Les accès de violence sporadiques et les flambées occasionnelles de plus grandes ampleur n'ont pas amélioré la confiance des personnes déplacées. Le Représentant Résident du P.N.U.D. au Kenya de l'époque, David Whaley, avait insisté sur le fait qu'en préalable au succès du programme de réinsertion, le gouvernement devait créer un "climat favorable." (82) On peut objectivement affirmer que le gouvernement n'a jamais créé ce climat propice à l'échelle nationale. Le gouvernement n'a consenti aucun effort pour mobiliser efficacement ses forces de sécurité contre la violence, ni pour prendre des mesures pour apaiser les menaces de violence, ni encore pour nommer des représentants gouvernementaux provenant de chacun des groupes ethniques concernés, qui auraient pu ensuite tenter de résoudre la violence ethnique en collaboration avec le P.N.U.D. La représentation des diverses ethnies parmi les autorités gouvernementales au niveau local ne reflétait aucunement les proportions rencontrées dans les populations de la région. Les postes de Commissaire provincial, de Commissaire de district, d'Officier de district, de chef et de sous-chef étaient occupés dans leur immense majorité par des fonctionnaires Kalenjin. Afin d'asseoir sa politique, le gouvernement s'est également largement appuyé, dans les zones de troubles, sur d'autres groupes ethniques minoritaires sans lien avec les personnes déplacées, tels que les Somali-Kényans. Durant tout le programme du P.N.U.D., le gouvernement kényan n'a nommé que des hommes de confiance, des Kalenjin, venant du Bureau du Président, au poste de Coordinateur national du programme, fonctionnaire chargé de superviser les initiatives du P.N.U.D. Lorsque le premier Coordonnateur national du programme, Zakayo Cheruiyot, coopéra un peu trop étroitement avec le P.N.U.D. aux yeux du gouvernement, il fut remplacé par Paul Langat, un serviteur encore plus loyal du régime, dont il était notoire qu'il s'était totalement désintéressé du sort des personnes déplacées lorsqu'il occupait le poste de Commissaire de district d'Uasin Gishu. (83)

Lorsque des Kalenjin furent chassés de leur terres lors d'attaques de représailles, il purent la plupart du temps rentrer chez eux après avoir bénéficié d'une aide matérielle pour reconstruire leurs foyers détruits. Par contre, dans les régions les plus touchées, spécialement dans les environs de Eldoret et de Nakuru dans la Province de la Vallée du Rift et sur les versants du Mont Elgon, dans la Province de l'Ouest, où ces facteurs étaient absents, l'inaction du gouvernement est clairement démontrée par le fait que des milliers de personnes déplacées, essentiellement des Kikuyu, des Luhya et des Luo, n'ont à ce jour toujours pas retrouvé leur terres. Au cours d'entretiens avec Human Rights Watch/Afrique en août 1996, la raison le plus fréquemment citée par les personnes déplacées qui n'osaient pas rentrer chez elles était la crainte de nouvelles violences et le manque de confiance envers les autorités dont ces personnes ne pensaient pas qu'elles interviendraient pour les protéger si de nouvelles violences éclataient réellement. Un Kikuyu déplacé originaire de Olenguruone dans la Province de la Vallée du Rift a déclaré a Human Rights Watch/Afrique que les personnes déplacées seraient prêtes à rentrer chez elles si elles le pouvaient, mais que le danger était trop grand.:

La vie est dure depuis les affrontements. Comment nourrir sa famille sans terres à cultiver? Pendant un an, nous avons vécu de l'aide alimentaire apportée par l'église catholique après l'attaque de notre ferme de Karofa par un groupe d'hommes armés de lances, de pangas et de flèches en avril 1992. Depuis 1993, je travaille comme métayer. Lorsque des gens de là-bas tentent de rentrer chez eux, certains sont tués. En 1992, on a tué quelqu'un qui essayait de rentrer chez lui. Je ne peux pas prendre le risque de rentrer chez moi tant que ma sécurité ne sera pas assurée. (84)

Une femme Luhya de 35 ans originaire de la Province de l'Ouest, veuve depuis les affrontements, témoigne: 

J'ai été chassée de mes terres de Kimama, avec mes cinq enfants, lors des affrontements de 1992. Mon mari a été tué. J'ai essayé de rentrer chez moi. La première fois que j'y suis retournée, en septembre 1994, j'ai réparé le toit ainsi que les portes, qui avaient été volées, et j'ai commencé à planter du maïs. Mais j'ai été chassée à nouveau par un groupe de Kalenjin qui sont venus avec des bâton pour me menacer. L'un d'entre eux portait même une arme à feu. Ils ont tiré en l'air et je me suis enfuie. Depuis lors, je vis à Namwele parce que j'ai peur de rentrer. Je loue un toit ici et je retourne cultiver ma terre pendant la journée. Mais je n'ose pas rentrer. Le toit et les portes que j'avais remplacés ont été enlevés. Je retrouve parfois une partie de mes plants de maïs et de haricots déracinés et abandonnés. Ce sont des avertissements qu'on m'envoie: je ne dois pas tenter de rentrer chez moi. S'il se passe quelque chose, je ne peux me tourner vers personne pour obtenir de l'aide. Mon mari est mort et la police ne m'aidera pas. (85)

Un nombre bien plus limité de déplacés, particulièrement dans la Province de l'Ouest, citent la pénurie de matériaux de construction pour restaurer leur habitation comme cause de leur réticence à rentrer chez eux. Certains ont décidé de ne pas prendre le risque de rentrer avant les prochaines élections législatives prévues en mars 1998, parce qu'ils ont peur que de nouvelles affrontements éclatent et ne font absolument pas confiance au gouvernement. 

Application Inégale et Discriminatoire du Droit

Autre obstacle à la réinsertion complète, totalement ignoré par le P.N.U.D.: l'impunité dont ont bénéficié les commanditaires et les auteurs des violences. L'absence de poursuites compromet les efforts de réconciliation et de réinsertion à long terme, et ce de plusieurs manières. Tout d'abord, pour rétablir la paix et réconcilier les peuples, il est indispensable que justice soit faite. Les communautés ne pourront laisser derrière elles les injustices dont elles ont été victimes aux mains d'autres communautés que si elles ont le sentiment que la justice a été convenablement rendue, c'est-à-dire si les torts qui leurs ont été infligés sont reconnus. Ensuite, inculper et juger les responsables de ces violences -chose encore plus vitale dans le cas d'un conflit ethnique- permet d'identifier les quelques individus qui, au sein d'un groupe ethnique, sont coupables de tels actes, et d'éviter la condamnation en bloc de tout le groupe ethnique en question, ce qui déboucherait inévitablement sur des suspicions et des haines à l'encontre du groupe dans son ensemble. Enfin, étant donné que la plupart des organisateurs supposés des violences étaient des fonctionnaires gouvernementaux haut-placés, il aurait fallu enquêter sur leur rôle et condamner leur participation aux flambées de violence. Le gouvernement aurait ainsi envoyé un message fort: les abus de pouvoirs flagrants perpétrés par les fonctionnaires du gouvernement ne seront à l'avenir plus tolérés.

Malheureusement, durant et après le programme du P.N.U.D., le gouvernement a complètement échoué quand il s'est agi d'enquêter sur les rapports établissant la participation ou la collusion de fonctionnaires gouvernementaux dans les attaques, et ce à tous les niveaux de responsabilité. Le Président Moi a systématiquement nié l'hypothèse même que des membres de son gouvernement aient pu participer à l'organisation des affrontements, ajoutant même que, selon lui, les représentants de l'opposition, les journalistes, les instances supérieures de l'église et "certaines ambassades étrangères" étaient les véritables responsables et avaient attisé les haines tribales. Dès le début des événements, il a prétendu que les affrontements étaient le fruit des rivalités ethniques réveillées par le multipartisme. Depuis, et malgré toutes les preuves du contraire, il est resté sur ses positions.

Les conclusions du rapport de la commission d'enquête parlementaire, selon lesquelles les violences avaient été orchestrées par des "individus" des ethnies Kalenjin et Maasai proches du Président, n'ont jamais fait l'objet d'aucune enquête complémentaire. Le rapport parlementaire fournit la preuve que des hommes politiques de haut rang, y compris le Vice-Président George Saitoti et les députés Ezekiel Barngetuny, Nicholas Biwott, Rueben Chesire et Wilson Leitich ont financé et aidé les "guerriers," que des véhicules et des hélicoptères du gouvernement ont servi à les transporter et que ni l'administration locale ni les forces de sécurité ne sont intervenues avec la diligence que la situation imposait. Le rapport recommande de "prendre des mesures appropriées contre les fonctionnaires de l'administration qui ont participé, directement ou indirectement, aux affrontements ou les ont attisées. Ces recommandations n'ont jamais été suivies d'effet. (86)

Des Kalenjin et des Maasai haut placés au sein du gouvernement ont pu très librement demander l'expulsion des groupes ethniques non pastoraux qui se sont installés dans la Province de la Vallée du Rift après l'indépendance. (87) La présence du programme du P.N.U.D. n'a pas empêché certains fonctionnaires gouvernementaux d'adresser des messages de haine ethnique aux communautés, ni amené le gouvernement à punir les auteurs de discours incitant à la violence. (88) En novembre 1993, le député Kalenjin Nicholas Biwott appela au majimboïsme lors d'un rassemblement dans le district de Kericho, avertissant les autres groupes ethniques qu'ils ne seraient les bienvenus dans la Vallée du Rift que s'ils respectaient les droits des habitants d'origine (Kalenjin, Maasai, Samburu et Turkana). (89) Kipkalia Kones, du Bureau du Président, participa à des rassemblements majimboïstes au cours desquels il déclara que la Province de la Vallée du Rift n'enverrait au parlement que des députés Kalenjin et a ajouté en substance que toute personne qui soutiendrait l'opposition "le regretterait amèrement." (90) En avril 1994, Shariff Nassir, Ministre adjoint du K.A.N.U., a déclaré aux kényans que tant que le pays ne serait pas revenu au système du parti unique, les violences ethniques se poursuivraient. Francis Lotodo, Ministre de l'intérieur, déclara au cours d'un discours prononcé le 28 novembre 1993 que les Kikuyu avaient 48 heures pour quitter le district de West Pokot. Il avertit également que passé ce délai, si cet ordre n'était pas suivi, la communauté Kalenjin se chargerait personnellement d'appliquer la loi. Les fonctionnaires de l'administration locale se firent l'écho de cette menace. (91)

Dans d'autres cas, lorsque ces déclarations ont directement provoqué des attaques contre certains groupes ethniques, il s'agissait d'incitations à la violence qui auraient justifié une enquête gouvernementale et des sanctions. En novembre 1993, par exemple, William ole Ntimama, Ministre de tutelle des autorités locales et député du Narok, déclara qu'il n'avait "aucun regret à propos des événement de Enosupukia [au cours desquels un groupe de Maasai avait attaqué et chassé des milliers de Kikuyu vivant dans une région essentiellement habitée par des Maasai] parce que les Maasai se battent pour défendre leurs droits." (92) Ntimama est soupçonné d'avoir organisé l'attaque contre les Kikuyu de sa propre initiative. Aucune mesure d'enquête n'a pourtant jamais été prise à son encontre pour ces faits. En 1994, Monsieur Kones menaçait de lyncher et d'expulser par la force les populations Luo des districts de Bomet et Kericho si elles soutenaient le parti d'opposition, F.O.R.D.-Kenya. (93) En mars 1995, alors qu'il s'adressait à la foule dans le stade Kenyatta de la ville de Kitale, le Ministre Lotodo déclarait que toutes les terres du district de Trans Nzoia appartenaient à la communauté Kalenjin (Pokot) et que si les autres communautés ethniques vivant dans la région ne rentraient pas dans le rang, elles seraient purement et simplement chassées. Peu de temps après, sept personnes étaient tuées et plusieurs maisons brûlées dans la division de Kwanza. (94) Après des déclarations de cet ordre, les flambées de violence ethnique n'étaient pas rares.

Bien que des agresseurs appartenant à tous les groupes ethniques aient été arrêtés, les charges pesant sur les Kikuyu d'une part et sur les membres des autres groupes ethniques d'autre part étaient disproportionnées, d'autant plus que les premiers avaient subi l'immense majorité des agressions. Souvent, les Kalenjin et les Maasai inculpés de faits graves allant jusqu'au meurtre, étaient libérés sous caution, malgré qu'il persistaient dans leurs méfaits une fois sortis. Les affrontements se produisirent le plus souvent en dehors de la capitale, Nairobi, et les instructions ainsi que les procès se tinrent donc dans les tribunaux locaux des régions en question, ce qui permettait au gouvernement, loin de la surveillance nationale et internationale réservée aux tribunaux de la capitale, d'avoir les main libres pour accuser les victimes et les affaiblir un peu plus.

Par exemple, dans la région de Nakuru, un certain nombre de Kikuyu furent poursuivis pour "serment" ou détention d'armes alors que des faits similaires étaient reprochés à la communauté Kalenjin mais ne furent jamais l'objet d'aucune enquête. Le serment fait partie intégrante de l'histoire de la résistance au Kenya. Dans le contexte kényan, le serment est un moyen puissant et significatif d'organiser la violence. (95) Après les affrontements, on entendit parler de serments prêtés tant par les Kikuyu que par les Kalenjin. De nombreux guerriers Kalenjin ayant participé aux attaques auraient prêté serment de chasser les non-Kalenjin de la Vallée du Rift. Les serments des Kikuyu étaient liés à la défense contre les agresseurs Kalenjin et visaient à empêcher que les Kikuyu ne soient chassés de la Province de la Vallée du Rift. On a également prétendu que ce serment permettait aussi aux Kikuyu d'agir en représailles contre tout Kikuyu qui vendrait ou quitterait ses terres de la Province de la Vallée du Rift. En octobre 1995, sur 63 Kikuyu arrêtés en décembre 1994 et inculpés de participation à une organisation illégale, de serment et de complot visant à l'assassinat de membres de la communauté Kalenjin, 57 furent reconnus coupables. Depuis 1994, la Commission catholique Justice et Paix a apporté un soutien juridique à quelques 40 personnes, essentiellement des Kikuyu, inculpées d'organisation et de participation à des réunions illégales. Tous les accusés étaient soient des déplacés, soit des gens qui avaient travaillé avec eux. Dans la région de Nakuru, des enquêtes sont toujours en cours contre des Kikuyu pour détention d'armes. (96) Par contre, aucun membre de la communauté Kalenjin n'a été traduit devant les tribunaux pour répondre des mêmes chefs d'accusation--serment ou détention d'armes.

Le gouvernement a également poursuivi des membres de la communauté Luhya à des fins politiques. Dans le Province de l'Ouest, certains Luhya déplacés de Bungoma, qui avaient contribué à l'organisation des personnes déplacées en comités d'auto-soutien pour obtenir des services et permettre la réinsertion, furent apparemment arrêtés par le gouvernement au cours de l'opération menée en 1995 pour mettre fins aux agissements d'un prétendu mouvement clandestin de résistance. Au début de 1995, le gouvernement annonça que deux groupements de guérilla basés en Ouganda préparaient le renversement du gouvernement par la force: la F.E.R.A. (February the Eighteenth Resistance Army, Armée de résistance du 18 février) et le Front patriotique du Kenya (Kenya Patriotic Front). Quelques 40 membres présumés de la F.E.R.A., soumis à des tortures, ne comparurent qu'après l'introduction, en leur nom, de requêtes en habeas corpus en mars 1995. Les irrégularités manifestes qui ont jalonné les procès des membres de la F.E.R.A., ainsi que le recours à la torture pour obtenir qu'ils plaident coupable, ont renforcé le sentiment répandu que le gouvernement utilisait ces allégations à des fins politiques. Certains des membres supposés de la F.E.R.A. qui avaient été arrêtés en 1994 furent mis au secret pendant une année. La plupart des détenus étaient originaires des régions le plus durement touchées par les affrontements, dans la région du Mont Elgon. Les personnes déplacées de la région de Bungoma ont affirmé à Human Rights Watch/Afrique que le coup de filet contre les prétendus membres de la F.E.R.A. avaient en fait servi de prétexte au gouvernement pour s'en prendre aux leaders des communautés de déplacés de la région. L'un des Luhya déplacés raconte:

Après notre expulsion, nous avons commencé à nous organiser. Nous avions des groupes d'auto-soutien qui distribuaient de la nourriture et négociaient avec la communauté Sabaot (Kalenjin). C'est alors que le gouvernement a cherché à identifier nos leaders et les a arrêtés. L'objectif était de nous désorganiser plus encore. Comme vous le voyez, nous ne sommes toujours pas rentrés chez nous, après tout ce temps. Le P.N.U.D. n'a rien fait pour nous pendant tout ce temps. (97)

Parmi ceux qui avaient été arrêtés pour leur appartenance à la F.E.R.A. se trouvaient quelque 30 Luhya qui avaient été déplacés à cause des affrontements: dix d'entre eux furent arrêtés à Chebusienya, cinq à Kimaswa, cinq autres à Lwakhakha et plus de dix au centre de Lwandanyi. (98) Un grand nombre de représentant d'autres camps ou centres pour personnes déplacées durent rejoindre la clandestinité par peur des arrestations. Aujourd'hui encore, entre 300 et 400 familles déplacées par les affrontements vivent en Ouganda par peur de rentrer chez elles: les officiers de sécurité de la Branche Spéciale présents dans la région leur auraient dit qu'elles ne pouvaient pas rentrer sans leur permission.

Aucun de ces faits n'a jamais été abordé par le P.N.U.D. dans le cadre de son programme de réinsertion. Au contraire, le P.N.U.D. a minimisé les incitations à la violence proférées par de hauts fonctionnaires du gouvernement en les qualifiant d'actes individuels n'emportant pas le soutien politique du gouvernement. Pourtant, la justice pour les victimes aurait du être l'un des objectifs du P.N.U.D.: les conflits non résolus sont, en effet, autant d'obstacles à la réconciliation. Un certain nombre d'organisations locales de défense des droits de l'Homme et d'assistance juridique étaient présentes au Kenya. Le P.N.U.D. aurait pu prendre contact avec elles pour mettre sur pied des programmes d'assistance juridique aux personnes déplacées à l'intérieur du pays et désireuses d'obtenir réparation. Le P.N.U.D. aurait également du faire pression sur le gouvernement kényan pour qu'il mette un terme à sa politique de deux poids deux mesures en matière de justice et pour qu'il ordonne une enquête sur base des conclusions du rapport parlementaire de 1992 réalisé par son propre gouvernement.

Persécutions Dont ont été Victimes les Personnes Déplacées, le Personnel Humanitaire et les Journalistes

Durant le programme du P.N.U.D., les leaders de communautés déplacées, les représentants des O.N.G. locales et internationales ainsi que les représentants de l'église ont été continuellement perturbés dans leurs activités par les fonctionnaires locaux du gouvernement. Les personnes déplacées qui ont tenté d'organiser des groupes d'auto-soutien pour assurer l'enseignement ou pour aider leur communauté ont été pointées du doigt et inculpées, par exemple, de participation à des réunions illégales, et ce pour des raisons purement politiques. Ceux qui tentaient d'aider les personnes déplacées ainsi que les journalistes qui tentaient de couvrir les événements se sont périodiquement vu refuser l'accès aux régions concernées par des fonctionnaires locaux, même lorsque les régions en question ne faisaient pas partie des zones d'opérations de sécurité. 

L'une des tactiques du gouvernement consistait à tarir le flux des informations. Les journalistes éprouvaient énormément de difficultés à couvrir les événements liés au conflit. A de nombreuses reprises, le gouvernement a été accusé de persécuter la presse lorsque celle-ci voulait couvrir les affrontements. Ces persécutions incluaient des arrestations arbitraires, des inculpations aux motifs éminemment politiques tels que la subversion, les interrogatoires policiers et la saisie illégale d'éditions entières de publications et de journaux qui parlaient des affrontements. Durant les dix-huit mois d'application des règlements sur le Opérations de sécurité, les médias se sont vu refuser tout accès aux trois zones parmi les plus durement touchées. Ishmael Chelanga, ancien Commissaire provincial pour la Vallée du Rift, admet que l'objectif principal de la zone de sécurité était d'empêcher d'entrer "ceux qui ne nous voulaient pas du bien et ceux qui colportaient des rumeurs, des mensonges et de la propagande." (99) A l'opposé, les rapports de collusion ou de participation de fonctionnaires du gouvernement à tous les niveaux de pouvoir n'ont fait l'objet d'aucune investigation. A aucun moment, le Président Moi n'a pris la moindre mesure pour censurer ou discipliner les fonctionnaires responsables des persécutions. Parmi les incidents rapportés, on relèvera: (100)

  • En janvier 1994, le gouvernement déclare le camp de Maela zone interdite et expulse tous les fonctionnaires des O.N.G., des églises et du P.N.U.D., les empêchant ainsi de visiter le camp. Le cinq janvier, un groupe de fonctionnaires et un détachement de la police régulière ferme, sur les ordres de l'Officier de district de Naivasha, une clinique et une école de fortune, détruit les abris des déplacés et leur ordonne de quitter les lieux. Les représentants locaux du gouvernement exercent également des pressions sur les responsables religieux afin que ceux-ci mettent fin à un programme de distribution de nourriture pour les résidents du camp. Ce n'est que suite à de fortes pressions internationales et médiatiques que le gouvernement local abandonnera ses actions contre les déplacés résidant au camp de Maela.
  • Le 7 janvier 1994, Moses Wanyama Masinde et Jeff Mbure, deux journalistes du magazine du Conseil National des Eglises du KenyaTarget, ainsi que leur chauffeur Joshua Mutunga, sont arrêtés et détenus arbitrairement durant trois jours, après avoir visité le camp de Maela et interviewé les personnes déplacées y résidant. Pendant sa détention, Monsieur Masinde est frappé par l'officier de la Division des enquêtes criminelles (Criminal Investigation Division, C.I.D.) du district, Godana Golicha. Les notes, appareils photos, cartes d'identité et cartes de presses des trois détenus sont confisqués par la police, et ils sont accusés d'avoir manipulé les victimes du camp. Il sont ensuite libérés en attendant l'enquête policière.
  • Le 8 janvier 1994, l'Officier de district local interdit à des journalistes du Daily Nation d'interviewer les résidents du camp de Maela. Deux semaines plus tard, des fonctionnaires de l'Ambassade des Etats-Unis se voient interdire l'accès au camp. Un prêtre irlandais, Tom O'Neil, qui s'était insurgé contre les expulsions, est menacé par le Commissaire de district de Nakuru et se voit remettre un arrêté d'expulsion.
  • Le 16 mars 1994, Ngumo Kurla, le chef du bureau Nakuru du journal Standard, et Peter Rianga Makori, correspondant provincial, sont arrêtés et inculpés de subversion en vertu de l'article 77 du code pénal du Kenya, pour "acte préjudiciable à la sûreté de l'état:" il ont écrit un rapport "ayant pour objectif prévu ou calculé de provoquer un sentiment de haine et d'hostilité entre les diverses races ou communautés du Kenya." Ils sont accusés d'avoir publié un article affirmant que neufs personnes ont trouvé la mort et que des centaines d'autres ont été déplacées suite à de nouveaux affrontements "ethniques" à Molo, une des régions de la Vallée du Rift les plus touchées par la violence au cours des deux dernières années. L'histoire publiée cite un témoin visuel, qui affirme avoir assisté aux scènes de violence. Le gouvernement a prétendu que cet incident ne s'est jamais produit, comme l'ont confirmé par la suite à Human Rights Watch/Afrique des religieux assistant les déplacés dans cette zone. Une semaine plus tard, l'éditeur responsable du Standard, Kamau Kanyanga, et l'assistant du rédacteur en chef, John Nyaosi, sont également accusés de subversion suite à la publication d'un article. Tous les quatre sont libérés sous caution le 31 mars 1994.
  • En avril 1994, deux prêtres, les frères Stephen Mbugua et Ndenyere, sont arrêtés après avoir visité Olenguruone, région très affectée par les affrontements.
  • Le 10 avril 1994, la police interdit à Mukhisa Kituyi, député du F.O.R.D.-Kenya, d'entrer dans un camp de déplacés à la mission de Thessalia, dans le district de Kericho, qui avait 15 sacs de maïs à distribuer aux 630 résidents. La police affirma avoir reçu instruction du Commissaire de district de ne laisser personne entrer en contact avec les déplacés. Selon le Conseil National des Eglises du Kenya, des enfants de cette mission commençaient à souffrir de malnutrition.
  • Le 11 avril 1994, Mutegi Njau, rédacteur du Daily Nation, et Evans Kanini, correspondant à Eldoret, sont arrêtés à Nakuru. Ils avaient été convoqués au bureau de l'officier de police criminelle de la Province de la Vallée du Rift pour répondre à des questions concernant un article intitulé "Emeutes: les évêques accusent le gouvernement," paru dans l'édition du 4 avril. L'article citait une victime de la Burnt Forest, déplacée suite aux affrontements, qui affirmait avoir vu, peu de temps avant l'attaque de la ferme de Rurigi au cours de laquelle les habitants furent chassés de leurs maisons, atterrir un hélicoptère gouvernemental qui amenait des agresseurs Kalenjin dans la ferme d'un "homme politique important de la Vallée du Rift" (qu'il ne nomme pas). Monsieur Njau est accusé de subversion et est ensuite libéré sous caution.
  • Austin Kiguta, correspondant du Daily Nation basé à Laikipia, est interrogé par la police à la mi-1994, et est forcé de signer une déposition, après avoir écrit un article sur la destruction de propriétés dans une ferme à l'est de Laikipia.
  • En novembre 1994, les autorités locales de certaines régions du Kipkabus repoussent un groupe de déplacés lorsque ceux-ci tentent de retourner dans leurs fermes de la région de la Burnt Forest. La plupart des personnes repoussées vivaient dans le centre communautaire du Conseil National des Eglises du Kenya à Eldoret.
  • Le 29 novembre 1994, huit anciens sont arrêtés au camp de Maela et interrogés par la police après avoir contesté une "sélection" menée par le P.N.U.D. et le gouvernement pour identifier les "vraies" victimes déplacées suite aux affrontements de Enosupukia.
  • Le 27 novembre 1994, douze Kikuyu victimes des affrontements résidant à Maela sont arrêtés et accusés d'avoir participé à une réunion illégale.
  • Fin décembre 1994, le P.N.U.D. et les fonctionnaires de l'O.N.G. Médecins sans Frontières (Espagne) se voient refuser l'accès au camp de Maela, après la dispersion forcée d'environ 2.000 personnes déplacées par le gouvernement, alors que le fonctionnaire du P.N.U.D. dispose d'une lettre du Bureau du Président lui autorisant l'accès à Maela. Les déplacés ont été expulsés de la Province de la Vallée du Rift, sans en informer le P.N.U.D., et abandonnés dans la Province du Centre au milieu de la nuit, la veille de Noël. Un prêtre américain, le frère John Kaiser, qui travaillait au diocèse catholique de Maela, est assigné à résidence lorsqu'il proteste contre cette déportation. Il est ensuite emmené près de Naivasha et averti qu'il sera expulsé s'il essaye de retourner au camp (voir le chapitre sur les dispersions et expulsions forcées).
  • Le 27 décembre 1994, deux journalistes du journal Standard, Amos Onyatta et le photographe Hudson Wainaina, sont arrêtés et détenus arbitrairement à Maela, alors qu'ils couvrent les dispersions forcées.
  • Fin décembre 1994--début janvier 1995, le gouvernement détruit des provisions fournies par Médecins sans Frontières (Espagne) aux personnes déplacées par les autorités du camp de Maela vers la Province du Centre.
  • Fin décembre 1994, le gouvernement demande aux victimes d'affrontements résidant au centre communautaire du Conseil National des Eglises du Kenya à Eldoret de retourner dans leurs fermes. L'Officier de district d'Uasin Gishu, Daniel Lotai, souligne clairement que le gouvernement aidera uniquement les victimes d'affrontements dans leurs fermes, et non dans les camps ou dans les centres. L'Officier de district exclut immédiatement de ce "programme de réinstallation" le comité de gestion du camp, composé de déplacés, et ordonne au chef (désigné par le gouvernement) de dresser une liste des "vrais résidents du camp" et de leurs fermes d'origine.
  • Le 3 janvier 1995, le personnel de Médecins sans Frontières (Espagne) se voit interdire l'accès aux déplacés de la région de la Burnt Forest, sous prétexte qu'il faut une autorisation.
  • Le 12 janvier 1995, l'Officier de district Daniel Lotai expulse de force 179 familles qui avaient trouvé refuge depuis plus de neuf mois au centre du Conseil National des Eglises du Kenya à Eldoret. Ces familles sont abandonnées sur le bord de la route.
  • Le 11 janvier 1995, un prêtre Kikuyu, le frère Muranga, est arrêté à Nakuru et accusé de manipuler les résidents de Longonot, où des attaques récentes perpétrées par environ 100 guerriers Maasai avaient laissé derrière elles une dizaine de morts et dix maisons brûlées. Durant ces événements, un nombre indéfini de têtes de bétail avaient été volées. Il n'y eut aucune autre arrestation.
  • Le 15 janvier 1995, plusieurs députés de l'opposition, parmi lesquels Njanga Mungai, Charles Liwali Oyondi et Francis John Wanyange, sont interpellés à Longonot, alors qu'ils s'apprêtent à participer à un service religieux pour les victimes d'une émeute ethnique qui s'était produite le 10 janvier à Mai Mahiu, dans la Vallée du Rift. Ils sont accusés de fomenter des activités "guerrières" et d'avoir proféré des "propos séditieux." Le 20 janvier, la liberté sous caution leur est refusée. A la mi-février, les charges qui pèsent sur eux sont abandonnées.
  • Le même mois, cinq Kikuyu de Kanjoya, près de Longonot, sont arrêtés et accusés de tenir des réunions illégales.
  • En février 1995, le gouvernement empêche la paroisse catholique de Naivasha et trois députés de l'opposition de livrer de la nourriture aux victimes des affrontements. Auparavant, le gouvernement avait confisqué des chèques d'un montant total de plus de KEK 200.000 (environ USD 3.600 à l'époque) donnés par le diocèse catholique de Ngong pour le paiement des frais scolaires des enfants déplacés de la région de Maela.
  • Le 25 février 1995, l'Ambassadeur des Etats-Unis au Kenya, Aurelia Brazeal, est retenue pendant une heure au poste de police de Kongoni, près de Naivasha, parce qu'elle est soupçonnée d'accompagner des leaders du parti d'opposition qui voulaient visiter le camp de Maela.
  • Fin juillet-début août 1995, Judith Wakahiu, étudiante au Centre d'études sur les réfugiés de l'Université Moi, est arrêtée et détenue arbitrairement durant 12 jours avant d'être relâchée. Mademoiselle Wakahiu, membre du Club des étudiants de l'Université Moi pour le bien-être des réfugiés, un groupe d'étudiants reconnu par l'université, avait travaillé au camp de Maela durant les vacances scolaires, pour aider les déplacés. Elle est retenue à la prison de Naivasha et accusée d'appartenir à une organisation illégale. Durant sa captivité, elle est victime de harcèlement sexuel de la part d'un officier de police. Lorsque le directeur du Centre d'études sur les réfugiés, le professeur John Okumu, s'informe au sujet de cette arrestation auprès de la police, sa maison est mise à sac par cette dernière, il est accusé de gérer une organisation illégale et est détenu arbitrairement à la prison de Naivasha durant plusieurs jours avant d'être relâché.

Ces incidents-et d'autres-démontrent que les persécutions et l'intimidation étaient monnaie courante dans les régions troublées. Le P.N.U.D. aurait du considérer qu'il était de sa responsabilité d'appeler le gouvernement à la modération vis-à-vis des déplacés et de ceux qui les aidaient ou parlaient de leur sort. Il aurait également du tenter d'assurer un accès plus libre et plus transparent aux régions frappées par les affrontements. Malheureusement, le mutisme a souvent été la règle à propos des persécutions gouvernementales. Dans certains cas, le P.N.U.D. a même été jusqu'à justifier les actes du gouvernement en qualifiant tel ou tel incident de malentendu ou d'inconvénient passager. En plus de son incapacité à critiquer publiquement les méfaits du gouvernement, le P.N.U.D. n'a pas su apporter un soutien, même discret, aux agences, ni transmettre aux gouvernements des bailleurs de fonds les rapports factuels qui auraient permis à ces derniers de se sentir moins obligés à la diplomatie dans leurs contacts avec les autorités kényanes. Un collaborateur de l'O.N.G. internationale Médecins Sans Frontières (Espagne) a témoigné qu'à plusieurs reprises durant le programme du P.N.U.D., des fonctionnaires locaux avait détruit leur équipement, arrêté leur personnel ou interdit l'accès à des régions où le programme du P.N.U.D. était en cours et dans lesquelles ils avaient pourtant l'autorisation de pénétrer. Il avaient l'impression de ne pas pouvoir compter sur le P.N.U.D. pour les défendre, que ce soit sur le terrain ou au niveau national.

Transferts Illégaux de Propriété, Occupations Illégales, Ventes et Échanges Forcés de Terrains

L'un des effets à long terme des violences dans les régions où les affrontements "ethniques" se sont produites, et plus particulièrement dans la Province de la Vallée du Rift, est la modification durable de l'occupation des terres et des schémas de la propriété foncière, ainsi qu'une diminution considérable du nombre de propriétaire non Kalenjin. Le gouvernement a poursuivi sa politique d'expulsion de certains groupes ethniques des régions touchées par les affrontements en permettant et en soutenant les expropriations illégales de terres dont des Kikuyu, des Luhya et des Luo étaient majoritairement propriétaires. L'augmentation de la proportion des Kalenjin et des Maasai parmi les propriétaires terriens de la Vallée du Rift renforce le gouvernement Moi en lui permettant de jouer sur les sentiments de nationalisme ethnique de ses partisans. Le gouvernement attend en retour leur soutien politique puisqu'il leur a rendu "leurs" terres et a amélioré leur situation économique. Dans le même temps, des milliers de gens porteurs de titres de propriété et de preuves de remboursement d'emprunt immobilier ont virtuellement perdu tous leurs droits à cause de leur appartenance ethnique.

Dans certains cas, les terres ont été intégralement réoccupées. Dans d'autres, les limites en ont été illégalement déplacées pour agrandir les exploitations de Kalenjin voisins en empiétant sur celles des déplacés. Dans d'autres cas encore, les expulsés se sont vu offrir des sommes largement inférieures à la valeur du marché pour leur ferme. Ceux qui refusèrent de vendre reçurent des "avertissements" de leurs voisins Kalenjin: il viendrait un moment où non seulement ils seraient obligés de vendre, mais ils devraient de plus accepter le prix offert par les Kalenjin. D'autres non Kalenjin ont accepté d'échanger leurs terres contre celles, situées dans d'autres provinces, de gens qui souhaitaient occuper les leurs. Dans certaines régions, les autorités locales Kalenjin ont explicitement recommandé aux victimes des affrontements d'échanger leurs terres avec des Kalenjin de l'extérieur de la Vallée du Rift. A Tapsagoi, par exemple, un chef Kalenjin local a menacé de relancer les violences à moins que les non-Kalenjin, qui s'étaient enfuis après une agression perpétrée par les Kalenjin, acceptent d'échanger leurs terres avec des Kalenjin, et ce en violation des règles de l'Office de contrôle foncier. (101)

Les fonctionnaires gouvernementaux, eux non plus, n'ont pas hésité à abuser de leur autorité juridique pour exproprier des terres sous le couvert de l'exercice du principe du "domaine éminent" qui permet au gouvernement, dans des cas particuliers et dans l'intérêt supérieur de la nation, de s'approprier des terres. En septembre 1993, le ministre de tutelle des autorités locales, William ole Ntimama, un Maasai qui avait dirigé les appels au majimboïsme, déclara qu'une zone de son district tombait désormais sous la tutelle du Conseil du comté de Narok. Son initiative fut confirmée par le Ministre de l'environnement et des ressources naturelles, John Sambu, qui annonça aux résidents de ce territoire de 44 km2 qu'ils devaient quitter leurs terres parce qu'il serait bientôt annoncé au journal officiel qu'elles faisaient partie d'une zone protégée. Comme par hasard, les 15.600 habitants de cette région étaient tous des Kikuyu. La plupart d'entre eux avaient acheté leurs terres à des Maasai durant les années 1960. Ils croyaient être victimes de persécutions parce qu'ils n'avaient pas soutenu le parti K.A.N.U. lors des élections.

Les personnes déplacées qui tentent de dénoncer auprès du gouvernement l'occupation illégale ou le transfert irrégulier de leurs terres sont promenés inutilement d'un bureau à l'autre jusqu'à ce qu'ils renoncent. Le gouvernement sait en effet qu'un grand nombre de propriétaires sont pauvres et peu au fait de leurs droits, ce qui éloigne le risque de recours en justice contre les transactions ainsi réalisées. Le gouvernement n'a pris aucune mesure pour remédier aux conflits de propriété liés aux ventes forcées provoquées par les violences. Au contraire, il minimise ces problèmes en les qualifiant de simples querelles concernant des contrats entre personnes que celles-ci doivent résoudre entre elles.

A Olenguruone, dans le district de Nakuru de la Province de la Vallée du Rift, les propriétaires Kikuyu ont appris que le Commissaire aux affaires foncières a transféré à leur insu leurs titres de propriété à des Kalenjin. Ici non plus, le gouvernement n'a rien fait pour sanctionner les fonctionnaires des bureaux fonciers qui ont falsifié des titres de propriété pour remettre les terres entre les mains de Kalenjin. En 1939, le gouvernement colonial avait installé 4.000 squatters Kikuyu sur ces terres, qui jusque là avaient appartenu aux Maasai. Olenguruone fut l'une des régions les plus gravement touchées par les affrontements, et la plupart de ceux qui avaient été chassés de leurs terres en 1992 et 1993 ne sont toujours pas rentrés. Un Kenyan a appelé Olenguruone "la Cisjordanie du Kenya," en référence au différend israëlo-palestinien. Rares sont les Kikuyu de cette région qui rentrent chez eux. Ils ont peur pour leur sécurité. Il est d'ailleurs de moins en moins probable qu'il puissent un jour retrouver leurs terres. En effet; il existe aujourd'hui des titres de propriétés falsifiés qui annulent les leurs. 

Human Rights Watch/Afrique a rencontré plusieurs Kikuyu déplacés qui ont appris par hasard que leurs titres de propriété avaient été falsifiés par la Commission aux affaires foncières. D'après Mirugi Kariuki, avocat, "l'Office de contrôle foncier est devenu un instrument de contrôle qui permet au gouvernement de poursuivre ses politiques discriminatoires. Le gouvernement ne peut prétendre ignorer cette situation parce qu'un processus de ce type ne peut être mis en place à l'insu de l'Officier de district de la région." (102) Un Kikuyu déplacé déclare à Human Rights Watch/Afrique: 

J'étais propriétaire de la parcelle n938 du village de Chegamba à Olenguruone. J'ai été chassé de mes terres durant les affrontements ethniques et le titre de propriété original a brûlé. En février 1996, j'ai décidé de demander une copie de ce titre. Je suis allé à la Commission des affaires foncières, où j'ai appris que le titre avait été transféré en 1994 à un Kalenjin du nom de David Kipgetich Maritim (numéro national d'identification 1646-66011/69). Je n'ai jamais vendu mes terres. Je me suis plaint auprès du Bureau du cadastre et on m'a répondu de chercher un avocat pour m'aider. J'ai tenté de rapporter cette situation à la Division des enquêtes criminelles et à la police. On m'a dit de porter plainte. Et comment? Je n'ai même pas assez d'argent pour faire une affidavit. (103)

Un Luhya de 29 ans, propriétaire d'une parcelle de 6 acres à Chemundi, Province de l'Ouest, a fait part de son expérience à Human Rights Watch/Afrique. Il a été attaqué le 4 avril 1992, et a fui. Pendant trois ans, il a cherché refuge dans divers villages des alentours. En septembre 1995, il retournait chez lui. Depuis janvier 1993, son voisin Kalenjin (Sabaot) occupe illégalement un quart de sa parcelle:

J'ai essayé de récupérer mes terres depuis 1993, sans succès. J'ai dénoncé l'occupation illégale au sous-chef, Patrick Cherokoni, qui m'a dit d'aller voir le chef du village, Elijah Tenge. Lui m'a dit qu'il ne pouvait rien faire et que je devais aller voir le sous-chef. Le sous-chef m'a dit d'aller voir l'Officier de district. Je l'ai rencontré en février 1993. Il m'a envoyé chez le sous-chef. Je suis retourné voir l'Officier de district en mars 1993 et encore une fois en août 1993. Finalement, j'ai abandonné. J'ai même essayé de rencontrer les anciens du village, pour qu'ils m'aident à trouver une solution, mais les Sabaot [Kalenjin] ont refusé. Rien n'a changé. Je peux continuer à cultiver le reste de ma terre. Mais je m'assure qu'il y a toujours d'autres Bukusu [Luhya] ici quand je suis dans mon champ. Il est encore trop risqué de se déplacer seul. (104)

Un autre Luhya de 53 ans, chassé de ses terres de la Province de l'Ouest en 1992 habite chez des proches à plus ou moins une heure de ses terres. Il a tenté de rentrer chez lui en décembre 1994, mais a été attaqué par ses voisins Kalenjin. Depuis lors, il n'a plus tenté de réoccuper sa maison, et il sait que ses voisins occupent illégalement ses terres: 

Trois acres de mes terres sont exploités par mon voisin Ekonya arap Sioi et ses deux fils. Lorsque j'ai essayé de discuter avec eux ou de les en empêcher, il m'ont dit de m'en aller ou bien ils me feraient battre. Je me suis rendu au poste de police de Cheskaki, et ils m'ont dit d'aller voir le chef, Peter Matanda. Il est venu voir et il les a même vus travailler ma terre. Il m'a dit de parler au sous-chef, Patrick Cherokoni. Je lui ai parlé, ainsi qu'une nouvelle fois à la police. Ils m'ont dit d'aller voir l'Officier de district, qui m'a dit d'aller voir le fonctionnaire du cadastre, Monsieur Muhanji, à Bungoma. Le trajet jusqu'à Bungoma m'a coûté KEK 1.200 (à peu près USD 22). Le fonctionnaire du cadastre est venu et les a vus sur mes terres. Il est allé voir mon voisin et lui a dit que cette terre était à moi et qu'il n'avait pas le droit de l'exploiter. Après quoi il m'a demandé KEK 2.000 (plus ou moins USD 36) pour payer son trajet de retour à Bungoma. Il voulait un pot-de-vin. Voilà, il n'y a plus rien que je puisse faire. Je travaille dans un dispensaire, ici. J'ai une femme et huit enfants à nourrir. J'ai aussi un titre de propriété pour une terre qui nous permettait de vivre. Aujourd'hui je n'ai plus que ce morceau de papier. Ma maison est détruite et on m'a pris ma terre. (105)

Certaines personnes déplacées, poussées par le désespoir et la conviction que le gouvernement ne leur permettra jamais de rentrer chez elles, finissent par vendre leurs terres à des prix nettement inférieurs à leur valeur sur le marché de l'immobilier. Une personne déplacée de la Province de l'Ouest raconte à Human Rights Watch/Afrique:

J'ai vendu 18 acres à bas prix parce que pensais que je ne pourrais revenir vivre sur mes terres et parce que c'était la seule chose que je possédais. Pour recommencer ma vie ailleurs, j'avais besoin d'argent. J'ai vendu à KEK 30.000 (approximativement USD 545) l'acre. (106)

Le prix du marché dans cette région est de KEK 50.000 (à peu près USD 909) l'acre, soit une perte d'à peu près USD 6.500 pour les 18 acres.

Une autre Luhya déplacée de 45 ans qui a huit enfants déclare à Human Rights Watch/Afrique: 

Je suis venue de Koborom, sur le Mont Elgon. En 1991, j'ai été chassée de mes terres. Notre maison a été pillée, détruite, et trois de nos voisins ont été tués. Les Sabaot (Kalenjin) qui nous ont attaqués nous ont dit de partir parce que la terre était à eux. Vingt personnes ont tenté de rentrer chez elles peu après notre fuite, mais chaque fois qu'elles réparaient leur maison, on les saccageait à nouveau. Leurs plantations étaient systématiquement arrachées. On leur a dit de ne plus revenir sur la montagne (le Mont Elgon). Si ce n'était que les Sabaots, on pourrait résister. Mais la police est avec eux. Lorsque nous rapportons des incidents, les suspects sont arrêtés puis immédiatement relâchés. Maintenant, les Sabaots veulent acheter la terre à bas prix. Une femme que je connais, dont le mari a été tué dans les affrontements de Kaboromo, a vendu sa parcelle de 6 acres pour KEK 30.000 (approximativement USD 545). Dans cette région, on vend généralement un acre-un acre-entre KEK 45.000 et 60.000 (approximativement entre USD 800 et 1.000). Mais que pouvait-elle faire? Elle boitait, avait huit enfants à nourrir, et son mari avait été tué. (107)

A Olenguruone, district de Nakuru, dans la Province de la Vallée du Rift, les terres appartenant aux Kikuyu sont en vente à des prix incroyablement bas. En règle générale, l'administration locale représentant le gouvernement dans la région n'aide pas les déplacés. Un Kikuyu a raconté à Human Rights Watch/Afrique, "six acres de terrain dans cette région devraient atteindre KEK 600.000 (aux environs de USD 11.000). Mais je connais quelqu'un qui a vendu six acres pour KEK 70.000 (approximativement USD 1.300). Depuis les affrontements, les Kikuyu savent qu'ils ne pourront jamais revenir sur leurs terres, alors certains vendent." (108)

Dans d'autres cas, les personnes déplacées ont échangé leurs terres contre d'autres. Dans la région du Mont Elgon, les Luhya propriétaires de parcelles situées sur les versants de la montagne les ont échangées avec des Kalenjin, propriétaires de terres plus bas dans la vallée, malgré que la terre située plus haut dans la montagne soit plus fertile. Un homme de Luhya, anciennement déplacé, qui a échangé sa terre contre un terrain plus bas sur le Mont Elgon, raconte à Human Rights Watch/Afrique: "J'ai échangé ma terre avec celle du fils de Eliah Cheriot même si la terre reçue en échange était moins fertile, parce que je savais que si je prenais cette terre, au moins je pourrais y vivre en paix." (109) Un Luhya, ancien déplacé, raconte à Human Rights Watch/Afrique:

J'ai été expulsé de mes huit acres de terre à Kamaneru le 8 avril 1992. Ma maison a été incendiée et on m'a pris mes six vaches et mes deux moutons. Tout ce que j'avais est perdu. Je suis allé à Kapkateny pour travailler comme métayer afin de subvenir aux besoins de ma femme et de mes six enfants. J'ai essayé de retourner sur mes terres à quatre reprises. Chaque fois, les Kalenjin m'ont dit qu'ils ne voulaient plus me voir. Maintenant, j'ai échangé ma terre avec un Kalenjin. Je ne suis pas satisfait de cet échange. Il a un terrain plus grand. Mais c'était la meilleure solution. Si j'avais continué à travailler comme métayer, ca aurait été plus dur, et j'aurais dû payer un loyer. De cette façon au moins, je peux subvenir à mes propres besoins. (110)

Lentement mais sûrement, le gouvernement assoit et légalise les acquisitions illégales réalisées lors des affrontements ethniques, de façon à réduire pour de bon la présence de certains groupes ethniques dans les régions qu'il a promises à ses partisans. Il s'agit là une politique réfléchie de déportation. Les habitants sont contraints d'abandonner leurs biens et leurs maisons. Ce processus était déjà en cours durant le programme du P.N.U.D. Ce dernier n'a pourtant pris aucune mesure pour pointer du doigt les appropriations illégales de terres. Le P.N.U.D. aurait dû faire pression sur le gouvernement pour qu'il mette fin à ces transactions illégales et aurait dû porter assistance aux personnes déplacées pour qu'elles puissent contester ces transactions en justice.

Dispersions et Expulsions Forcées

Afin d'être certains que les regroupements importants de victimes des affrontements ne seraient pas facilement détectés par les diplomates en visite, les médias ou les groupes de défense des droits de l'Homme, les fonctionnaires locaux du gouvernement ont dispersé des camps de personnes déplacées à l'intérieur de leur pays sans se soucier le moins du monde du chemin que pouvaient emprunter ces victimes. Une méthode fréquemment utilisée était d'annoncer aux victimes, même si le contraire était évident, qu'ils ne couraient aucun danger en retournant dans leur pays. Dans d'autres cas, lorsque les personnes déplacées ne s'en allaient pas de leur propre gré, les fonctionnaires locaux, aidés de la police, dispersaient par la force les camps de personnes déplacées sans leur offrir l'assistance ou la sécurité suffisante pour pouvoir rentrer chez eux. Suite aux dispersions, qui se sont poursuivies même en 1996, il est devenu pratiquement impossible d'identifier aujourd'hui les personnes déplacées de leurs terres en raison de la violence "ethnique." La violence et le harcèlement consécutif du gouvernement ont plongé un secteur de l'économie jadis autarcique et productif dans le dénuement et la pauvreté. Nombre d'entre eux louent une maison ou vivent sur un terrain en location. D'autres ont rejoint la misère des villes et se retrouvent sans travail ou sont employés comme journaliers en touchant à peine de quoi survivre. De nombreuses personnes déplacées étaient des fermiers et n'ont pas reçu l'enseignement formel et la formation spécialisée du secteur salarié. Par conséquent, certaines personnes déplacées ont été réduites à la mendicité ou à la criminalité afin de survivre. On a enregistré ces dernières années une augmentation alarmante du nombre d'enfants des rues au Kenya. Beaucoup d'entre eux sont des enfants qui ont été déplacés et dépossédés de leurs biens lors des affrontements. (111)

On pouvait s'attendre à ce que le harcèlement gouvernemental des personnes déplacées à l'intérieur de leur pays prenne fin, notamment dès le lancement du programme du P.N.U.D. Ce ne fut cependant pas le cas. Le summum du mépris gouvernemental envers les personnes déplacées à l'intérieur de leur pays, le P.N.U.D. et la communauté internationale a eu lieu en décembre 1994, dans le camp de Maela, lorsque le gouvernement a expulsé par la force les résidents. Cet événement a ajouté foi aux accusations affirmant que les autorités étaient en train de débarrasser la Province de la Vallée du Rift de certains groupes ethniques.

La population déplacée à prédominance Kikuyu du camp de Maela avait cherché refuge dans cette région après avoir essuyé les attaques d'un groupe de Maasai sur son territoire à Enosupukia, district de Narok, en octobre 1993. Ils vivaient depuis lors au camp de Maela dans des conditions déplorables, abrités sous des bâches de plastique, sur des terres appartenant à l'Eglise. La surpopulation avait entraîné des pénuries de nourriture, d'eau et d'équipements médicaux. Des incidents provoqués par le harcèlement gouvernemental à l'encontre des populations déplacées de ce camp survenaient de manière périodique alors que des leaders Maasai avaient déclaré à plusieurs reprises que les populations du camp de Maela ne seraient jamais autorisées à retourner sur leurs terres.

Aux premières heures de l'aube du 24 décembre 1994, la police administrative et des jeunes du K.A.N.U. attaquèrent le camp de Maela, qui abritait à l'époque environ 10.000 personnes à majorité Kikuyu ayant cherché refuge à cet endroit après avoir été agressées à Enosupukia en octobre 1993. (112) Les fonctionnaires gouvernementaux rasèrent le camp sans avertissement préalable, transportèrent quelque 2.000 résidents vers la Province du Centre (la région considérée comme le foyer "traditionnel" des Kikuyu) et commencèrent à les interroger sur leurs origines ethniques et ancestrales. Des familles furent séparées après avoir été conduites dans une vingtaine de camions dont l'essence provenait d'une réserve de carburant appartenant au P.N.U.D. (le site fut fermé par la suite, après que le P.N.U.D. eut découvert ce fait). Environ cent personnes étaient amassées dans chaque camion. Au départ, aucun aliment ni aucune couverture ne fut fourni aux personnes déplacées. Le transfert eu lieu tard dans la nuit. Personne n'avertit ou ne demanda la participation du P.N.U.D.

Les derniers résidents de Maela furent abandonnés sans protection. Le P.N.U.D. et l'O.N.G. internationale Médecins sans Frontières (Espagne) se virent refuser l'accès à Maela, malgré le fait que le fonctionnaire du P.N.U.D. possédait une lettre du Bureau du Président lui permettant d'entrer à Maela. Le P.N.U.D. fut informé que cette réinstallation était conforme à la promesse du Président de reloger les véritables victimes de Maela avant Noël. Quelque 200 personnes définies par le gouvernement de "véritables victimes" furent relogées dans une ferme gouvernementale près de Maela appelée MoiNdabi; chaque personne reçut deux acres de terrain. Les terres de MoiNdabi, qui faisaient autrefois partie d'une plus grande exploitation gérée par la Coopération au Développement Agricole du gouvernement, sont moins productives que les terres de Enosupukia abandonnées de force par les populations déplacées. Quant à l'eau, au logement et aux sanitaires, ils étaient inexistants à leur arrivée. (113)

Les autres résidents du camp de Maela, considérés par le gouvernement comme n'étant pas de "vraies" personnes déplacées, furent relâchés au milieu de la nuit à trois endroits différents de la Province du Centre et abandonnés à leur sort. A Ndaragwa, les populations déplacées furent laissées au bord de la route sans aucune protection et pratiquement aucun objet personnel. A Ol Kalou, ils ont été abandonnés entre la ligne de chemin de fer et la route principale. A Kiambu, ils furent conduits dans le stade de Kirigiti. Plusieurs jours plus tard, le camp de fortune de Kirigiti fut détruit lors d'une descente de police à trois heures du matin, laissant de nouveau cette population déjà déplacée sans le moindre abri. Les personnes déplacées reçurent l'ordre de s'aligner avant d'être embarquées dans des camions sans savoir où on les emmenait. Ceux qui résistaient étaient frappés et jetés de force dans les camions. Le gouvernement a démenti toute accusation de harcèlement ou de violence. Aucune des personnes ayant été déplacées de force vers la Province du Centre ne fut ramenée par le gouvernement ou le P.N.U.D. dans sa région d'origine de la Province de la Vallée du Rift. De plus, les fonctionnaires gouvernementaux responsables des brutalités contre les personnes déplacées n'ont jamais été punies. (114) (Voir le chapitre sur l'abandon des populations déplacées).

Bien que le mépris flagrant du gouvernement kényan envers le programme du P.N.U.D. freinât les efforts de réinsertion, le P.N.U.D. continuait de minimiser l'importance du rôle nuisible des autorités. Même après la dispersion du camp de Maela, le P.N.U.D. répéta qu'il s'agissait là d'une aberration mineure plutôt que du symptôme d'un problème plus grave. La manière dont le P.N.U.D. traita le problème suscita des condamnations de toutes parts. L'ensemble des O.N.G. et l'opposition politique critiquèrent le P.N.U.D. pour son manque de volonté à défendre les populations déplacées, faisant remarquer qu'ils avaient averti le P.N.U.D. que le gouvernement n'oeuvrait pas réellement au retour de tous. David Whaley, Représentant Résident du P.N.U.D. au Kenya à cette époque, ne fit pas grand-chose pour apaiser ces préoccupations lorsque, au cours d'une réunion des pays bailleurs de fonds convoquée le 4 janvier 1995 pour débattre de l'incident de Maela, il qualifia le déplacement et la réinstallation forcées de "hoquet" dans le programme global de réinsertion. (115) Même certaines personnes travaillant sur le programme du P.N.U.D. à cette époque eurent du mal à accepter un tel jugement. David Round-Turner, l'ancien conseiller en politique pour le Programme pour les Personnes Déplacées du P.N.U.D., rappela que: "Il ne s'agissait pas d'un hoquet mais d'un trouble gastrique majeur, d'une gifle à la face du P.N.U.D." (116)

Le mauvais jugement de la situation porté par le P.N.U.D. s'est avéré être un problème perpétuel. En décembre 1994, deux semaines à peine avant les événements de Maela, le P.N.U.D. écrivit à Human Rights Watch/Afrique en réponse aux préoccupations formulées par Human Rights/Africa concernant le programme du P.N.U.D. La lettre, qui une fois encore enjolivait la situation, sans même mentionner les problèmes rencontrés, affirmait que: "Nous avons également reçu un soutien de plus en plus marqué de la plupart des partis politiques ainsi que d'autres secteurs de la société kényane, nous pensons que notre approche était raisonnable et a été mise en oeuvre au moment opportun." (117) Entre-temps, Ernest Murimi, de la Commission Catholique Justice et Paix basée à Nakuru, expliqua à Human Rights Watch/Afrique: "Nous n'avons pas été surpris de voir le gouvernement détruire ainsi le camp de Maela. Nous savions à l'avance que le gouvernement kényan essayait de les disperser. Mark Cassidy [Fonctionnaire de terrain du P.N.U.D.] le savait également. Je lui ai dit que cela allait arriver. Le problème du P.N.U.D. est qu'il a fait trop confiance au gouvernement." (118)

Les dispersions forcées de Maela ont virtuellement stoppé le programme du P.N.U.D. et, attitude inhabituelle, l'ont fait réagir publiquement. Le P.N.U.D. protesta contre les dispersions dans une lettre envoyée au gouvernement et se désolidarisa publiquement des opérations de Maela, affirmant que le P.N.U.D. s'engageait à protéger les personnes déplacées dudit camp. (119) Les critiques du P.N.U.D. poussèrent le Président Moi à attaquer l'agence pour avoir critiqué le processus de "réinsertion" à Maela, l'accusant de ne pas débloquer les USD 20 millions qu'elle s'était engagée à rassembler pour le projet, et la mettant en garde contre toute ingérence dans les affaires intérieures. (120) Le 10 janvier, David Whaley, l'ancien Représentant Résident au Kenya, rencontra le Président Moi et le P.N.U.D. réitéra ses préoccupations: le Président Moi nia toute participation à la dispersion forcée. Lors d'une réunion avec Human Rights Watch/Afrique en février 1995, le P.N.U.D. reconnut que de graves violations des droits de l'Homme avaient eu lieu, mais ne voulut toutefois pas poser de conditions à la poursuite du programme du P.N.U.D., estimant que le gouvernement cherchait à arrêter le programme et que le P.N.U.D. ne voulait lui donner aucun prétexte pour agir de la sorte. Lors de cette réunion, David Whaley, répéta également que le programme avait été très positif jusque peu de temps auparavant. (121)

Un diplomate déclara: "Après Maela, le P.N.U.D. est entré dans une logique d'attente. Plus aucun résultat sensible n'a été enregistré." (122) Onze mois après Maela, en novembre 1995, le programme prenait fin, après un accord gouvernemental de principe visant à incorporer les activités en faveur des personnes déplacées dans le programme national de développement "Les Dimensions Sociales du Développement," qui recevrait le soutien du P.N.U.D. (123) Le Représentant Résident du P.N.U.D. au Kenya, Frederick Lyons, a annoncé qu'environ 180.000 des 250.000 personnes déplacées estimées étaient retournées sur leurs terres. (124) Les demandes de Human Rights Watch/Afrique concernant une ventilation régionale de ces chiffres n'ont jamais reçu aucune réponse du P.N.U.D.



72. Certaines des informations reprises dans ce chapitre ont été publiées précédemment dans Human Rights Watch/Afrique,Divide and Rule, et dans Human Rights Watch/Afrique, "Multipartyism Betrayed."

73. Ministère kényan des affaires étrangères et des coopérations internationales, "Kenya Update," n5, 21 décembre 1996, p. 1.

74. Voir Annexe: Réponse du P.N.U.D., p. 3.

75. Règlements pour la Préservation de la Sécurité Publique (régions de Molo, de la Burnt Forest et de Londiani), 1993. Kenya Gazette, Supplément n60, 17 Septembre 1993. La Constitution donne le droit au Président d'isoler toute partie du pays ou l'ordre publique est menacé. Ces pouvoirs sont également énoncés dans la troisième partie du Décret pour la Préservation de la Sécurité Publique.

76. Human Rights Watch/Afrique, "Multipartyism Betrayed," pp. 3-15.

77. Interview par Human Rights Watch/Afrique de Bill Berkeley, journaliste, New York, 11 février 1997.

78. On the Road to Democracy," lettre pastorale publiée par la Conférence épiscopale du Kenya, 12 mars 1994, reproduite dans l'Economic Review (Nairobi), 21-27 mars 1994, p. 9.

79. Communiqué de presse des agriculteurs de la zone de sécurité de la Burnt Forest, district de Uasin Gishu, Province de la Vallée du Rift, Nairobi, le 28 mars 1994.

80. "Evicted Group in Plea", Daily Nation (Nairobi), 19 février 1994.

81. "Thousands Flee in Fear of Fresh Attack," Daily Nation (Nairobi), 4 mai 1994 et "Luos Targeted in Violence, Kilifi Attack: A Genesis of Clashes at Coast? "Clashes Update (Nairobi, Conseil National des Eglises du Kenya), n16, 25 mai 1994.

82. "Enabling Environment a Must to Resettle Victims", Clashes Update (Nairobi, Conseil National des Eglises du Kenya), vol. 2, n11, 18 décembre 1993.

83. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'un ancien fonctionnaire du Programme pour les Personnes Déplacées du P.N.U.D. (resté anonyme à sa demande), réalisée par téléphone le 12 mars 1997. C'est encore le cas aujourd'hui. En juin 1996, le Représentant Résident du P.N.U.D. au Kenya, Frederick Lyons, était accompagné, lors de sa visite dans les régions touchées par les affrontements ethniques, d'un membre du gouvernement, Kipkalia Kones, un Kalenjin dont on sait qu'il a menacé les défenseurs du multipartisme et qu'il a proféré des incitations à la violence ethnique (voir le chapitre portant sur l'application inégale et discriminatoire du droit).

84. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'un Kikuyu déplacé, Elburgon, district de Nakuru, Province de la Vallée du Rift, 7 août 1996.

85. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'une Luhya déplacée, Namwele, district de Bungoma, Province de l'Ouest, 3 août 1996.

86. République du Kenya, Report of the Parliamentary Select Committee to Investigate Ethnic Clashes in Western and Other Parts of Kenya (Nairobi, Assemblée nationale, septembre 1992).

87. Parmi les haut fonctionnaires du gouvernement qui ont organisé ou participé à des rassemblements au cours desquels ont été proférées des incitations à l'expulsion des "étrangers" de la Province de la Vallée du Rift ainsi que des appels à "écraser" les défenseurs du multipartisme, on trouve notamment: Nicholas Biwott, George Saitoti, William ole Ntimama, Kipkalia Kones, Joseph Misoi, Henry Kosgey, John Cheruiyot, Timothy Mibei, Eric Bomett, Willy Kamuren, Paul Chepkok, Benjamin Kositany, Ezekiel Barngetuny, Francis Medway, William Kikwai, John Terrer, Lawi Kiplagat, Christopher Lomada, Peter Nagole, Ayub Chepkwony, Robert Kipkorir et Samson ole Tuya.

88. Dans sa réponse, le P.N.U.D. déclare que "Selon [Human Rights Watch/Afrique], le Programme du P.N.U.D. ne faisait rien pour empêcher la propagation de messages incitant à la haine interethnique" et conclut par "Comment l'aurait-il pu?"

Le P.N.U.D. se méprend ici sur le discours de Human Rights Watch/Afrique. Nous nous contentons de noter que les fonctionnaires gouvernementaux multipliaient les discours de haine ethnique qui constituaient autant de bravades oratoires proférées au vu et au su du programme du P.N.U.D. auquel le gouvernement était pourtant associé. Notre but était d'attirer l'attention sur un problème, et non de reprocher au P.N.U.D. de n'avoir pas mis fin à ces discours. Voir Annexe: réponse du P.N.U.D., p. 3.

89. "'Majimbo' is the Answer--Biwott," Daily Nation (Nairobi), 29 novembre 1993.

90. "Feeling the Heat?" Weekly Review (Nairobi), 9 avril 1992, p.3 et "New Spate of Violence", Weekly Review (Nairobi), 13 mars 1992, p.18.

91. "Remaining Kikuyu Told to Move Out by Lotodo," Daily Nation (Nairobi), 29 novembre 1993 et "Tensions Rise in W. Pokot," Daily Nation (Nairobi), 30 novembre 1993.

92. "Minister: 'No Regrets Over Events'", Daily Nation (Nairobi), 20 octobre 1993.

93. "Wamalwa Wants Kones Arrested," Daily Nation (Nairobi), 6 avril 1994.

94. "Pokot Elders Demand Border Review," Clashes Update (Nairobi, Conseil National des Eglises du Kenya), n41, 30 juin 1996, pp. 1-2.

95. Au cours de la révolte indépendantiste des Mau Mau, les combattants prêtaient un serment qui les obligeait ensuite à se battre jusqu'à la mort contre l'occupant et colonisateur britannique. Les citoyens ordinaires qui offraient le gîte et le couvert aux combattants Mau Mau prêtaient eux aussi ce serment, grâce à quoi le gouvernement colonial britannique n'a jamais pu infiltrer le mouvement. En effet, le serment était prêté en secret et tout parjure était tué. Le serment était devenu un délit au temps de la colonie. Tabitha Kanogo, Squatters and the Roots of Mau Mau, 1905-63, (Nairobi, Heinemann Kenya Ltd, 1987), p. 133.

96. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'Ernest Murimi, Secrétaire Exécutif, Commission pour la justice et la paix, Diocèse catholique de Nakuru, Nakuru, 6 août 1996.

97. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'un Luhya déplacé, Namwele, district de Bungoma, Province de l'Ouest, 3 août 1996.

98. "Update in Brief" et "FERA Crackdown: Over 400 May Not Return," Clashes Update (Nairobi, Conseil National des Eglises du Kenya), n25, 28 février 1995, pp. 3, 7, 11.

99. Voir Human Rights Watch/Afrique,"Multipartyism Betrayed", p.17.

100. Les informations reprises ici proviennent de plusieurs interviews réalisées directement avec des déplacés, des O.N.G., des responsables du P.N.U.D., ainsi que de rapports publiés dans la presse et du bulletin du C.N.E.K., Clashes Update.

101. Human Rights Watch/Afrique, Divide and Rule, p. 78.

102. Rencontre de Human Rights Watch/Afrique avec Mirugi Kariuki, avocat, Nakuru, 7 août 1996.

103. Rencontre de Human Rights Watch/Afrique avec un Kikuyu déplacé, Elburgon, district de Nakuru, Province de la Vallée du Rift, 6 août 1996.

104. Rencontre de Human Rights Watch/Afrique avec un Luhya ancien déplacé, Namwele, district de Bungoma, Province de l'Ouest, 3 août 1996.

105. Rencontre de Human Rights Watch/Afrique avec un Luhya déplacé, Namwele, district de Bungoma, Province de l'Ouest, 3 août 1996.

106. Rencontre de Human Rights Watch/Afrique avec un Luhya ancien déplacé, Sirisia, district de Bungoma, Province de l'Ouest, 3 août 1996.

107. Rencontre de Human Rights Watch/Afrique avec une Luhya déplacée, Sirisia, district de Bungoma, Province de l'Ouest, 3 août 1996.

108. Rencontre de Human Rights Watch/Afrique avec un Kikuyu déplacé, Elburgon, district de Nakuru, Province de la Vallée du Rift, 6 août 1996.

109. Rencontre de Human Rights Watch/Afrique avec un Luhya ancien déplacé, marché de Lwakhakha, district de Bungoma, Province de l'Ouest, 3 août 1996.

110. Rencontre de Human Rights Watch/Afrique avec un Luhya ancien déplacé, Kapkateny, district du Mont Elgon, Province de l'Ouest, 3 août 1996.

111. Voir Human Rights Watch, Juvenile Injustice: Police Abuse and Detention of Street Children in Kenya, (New York: Human Rights Watch/Projet Droits des Enfants, juin 1997), pp. 18-19.

112. Après l'indépendance, les fermiers Kikuyu commencèrent à s'installer parmi les pasteurs Maasai dans la région de Enosupukia. En 1977, la région fut décrétée zone d'adjudication agraire, et le gouvernement commença à émettre des actes-titres pour d'éventuels acheteurs. La plupart des personnes qui achetèrent des terres étaient des Kikuyu. A l'époque, les dirigeants Maasai firent bon accueil aux colons Kikuyu et les relations entre les deux communautés étaient au beau fixe. Suite aux appels en faveur d'un régime multipartite, les dirigeants Maasai de la région commencèrent à exiger l'expulsion des Kikuyu de la région. En août 1993, William ole Ntimama, ministre K.A.N.U. du gouvernement local et Maasai lui-même, décréta la région "terre sous tutelle" et conféra illégalement aux autorités locales le pouvoir d'évincer les personnes considérées comme des squatters. M. Ntimama commença à qualifier publiquement les Kikuyu d'"étrangers" et à exiger leur expulsion des terres autochtones Maasai. Les tensions s'intensifièrent et en octobre 1993, des violences éclatèrent et provoquèrent le déplacement de fermiers Maasai et Kikuyu. 30.000 Kikuyu étant d'abord déplacés. Au cours d'un débat parlementaire faisant suite à cet incident, le ministre Ntimama déclara qu'il n'exprimait aucun regret concernant les événements d'Enosupukia car "les Kikuyu avaient supplanté les Maasai, pris leurs terres et dégradé leur environnement." Il déclara "cela n'avait que trop duré. Je me devais de conduire les Maasai dans la protection de leurs droits." Le gouvernement n'a jamais pris aucune mesure pour tenir M. Ntimama responsable de l'incitation à la violence et les populations déplacées n'ont jamais pu retourner à Enosupukia à ce jour. "Deception, Dispersal and Abandonment: A Narrative Account on the Displacement of Kenyans from Enosupukia and Maela based upon Witness, Church/NGO and Media Accounts," préparé pour le Réseau des Affrontements Ethniques, sous les auspices du Conseil National Kenyan des O.N.G., Nairobi, 16 janvier 1995, p. 10.

113. En août 1996, Human Rights Watch/Afrique s'est rendu à MoiNdabi où les familles relogées vivent encore. Les résidents étaient peu enclins à se confier à Human Rights Watch/Afrique, craignant des problèmes avec les autorités gouvernementales locales, ou même de perdre les terres qui leur avaient été données. Bien que les terres ne soient pas aussi fertiles que celles qu'ils possédaient auparavant, les résidents de MoiNdabi étaient heureuses de ne plus avoir à errer sans but. Selon les informations à disposition de Human Rights Watch/Afrique, ces 200 résidents sont les seuls à avoir été relogés par le gouvernement.

114. "Deception, Dispersal and Abandonment," Conseil National Kenyan des O.N.G., Nairobi, 16 janvier 1995.

115. "Deception, Dispersal and Abandonment," Conseil National Kenyan des O.N.G., Nairobi, 16 janvier 1995, p. 20.

116. Interview par Human Rights Watch de David Round-Turner, ancien Conseiller en Politique, Programme pour les Personnes Déplacées du P.N.U.D., Nairobi, 26 août 1996.

117. Lettre de Killian Kleinschmidt, ancien Conseiller Technique Principal, Programme pour les Personnes Déplacées du P.N.U.D., Nairobi, à Binaifer Nowrojee, Human Rights Watch/Afrique, 13 décembre 1994.

118. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'Ernest Murimi, Secrétaire Exécutif, Commission Catholique Justice et Paix, Diocèse Catholique de Nakuru, Nakuru, 6 août 1996.

119. Interview par Human Rights Watch/Afrique de David Whaley, ancien Représentant Résident du P.N.U.D. au Kenya et de Killian Kleinschmidt, ancien Conseiller Technique Principal du P.N.U.D. pour le Programme pour les Personnes Déplacées, New York, 12 janvier 1995.

120. "U.S. Rebukes Kenya Over Treatment of Displaced," Reuters, 5 janvier 1995; et "Moi Blasts U.N. Agency on Mass Resettlement Reports," Agence France Presse, 30 décembre 1994.

121. Interview par Human Rights Watch/Afrique de David Whaley, ancien Représentant Résident du P.N.U.D. au Kenya et de Killian Kleinschmidt, ancien Conseiller Technique Principal du P.N.U.D. pour le Programme pour les Personnes Déplacées, New York, 12 janvier 1995.

122. Interview par Human Rights Watch/Afrique d'un diplomate (resté anonyme à sa demande), Nairobi, 8 août 1996.

123. Le programme Dimensions Sociales du Développement est un plan de développement proposé par le gouvernement qui englobe les programmes sociaux dans des domaines tels que la santé, l'eau, l'éducation, le planning familial, l'aide apportée aux femmes et aux enfants, les activités micro-économiques, la protection de l'environnement et l'aide humanitaire d'urgence.

124. "Clashes: shs.600m Spent," Daily Nation (Nairobi), 17 juin 1996.

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