Africa - West

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V. LES ELECTIONS PRESIDENTIELES D'OCTOBRE

Après l'exclusion de la candidature aux élections présidentielles du 22 octobre 2000 d'Alassane Ouattara, le chef RDR et de plusieurs autres candidats, il ne restait plus que deux candidats possibles : le président sortant, le Général Robert Guei, et le candidat du FPI, Laurent Gbagbo.

L'après-midi du 23 octobre 2000, lorsque les résultats préliminaires ont montré que Gbagbo menait avec une importante majorité, les forces de sécurité sont allées à la Commission nationale électorale (CNE) et ont arrêté le décompte des voix. Elles ont fait sortir les journalistes sous la menace des armes. Le 24 octobre, un responsable du scrutin a annoncé à la radio nationale que la CNE avait été dissoute et que le Général Guei avait remporté l'élection présidentielle avec 56 pour cent des votes.11

Durant les semaines préalables à l'élection, Gbagbo avait prévenu que, si on lui volait l'élection, ses partisans allaient manifester dans les rues. L'après-midi du 24 octobre 2000, peu de temps après que Guei se soit déclaré président, Gbagbo a tenu une conférence de presse au cours de laquelle il a condamné l'annulation et demandé à ses partisans d'aller dans les rues et de manifester. "J'exige que dans toutes les villes et dans tous les quartiers de la Côte d'Ivoire les patriotes ivoiriens aillent dans les rues jusqu'à ce que leurs droits soient reconnus et jusqu'à ce que Guei abandonne. A partir de ce moment, je crois que le gouvernement de transition sera dissous et n'aura plus aucune raison d'exister ".12 Au moment même ou il disait cela, des dizaines de milliers de partisans du FPI de tout le grand Abidjan avaient déjà commencé à descendre dans les rues. Bien que certains membres d'autres partis, y compris le RDR et le PDCI, aient également manifesté, les manifestants du 24 octobre 2000 étaient, dans leur grande majorité, des partisans du FPI.

Lorsqu'ils sont arrivés au centre ville et à la station émettrice de télévision nationale, les forces militaires loyales au Général Guei, particulièrement la Brigade Rouge, une unité d'élite de la garde présidentielle, ont ouvert le feu sur les foules sans sommation. Elles ont tiré sur des milliers de manifestants en marche pour le district central du Plateau d'Abidjan lorsqu'ils ont essayé de traverser le pont Houphouët-Boigny et, dans certains cas, lorsqu'ils ont sauté dans l'eau du lagon Ébrié pour échapper aux coups de feu. D'autres ont été touchés lorsqu'ils ont essayé de traverser dans des bateaux. Nombre de ceux qui ont été forcés de sauter dans le lagon se sont noyés par la suite. Au moins dix-huit corps, y compris ceux de plusieurs adolescents, ont été découverts dans le lagon par la suite.

Le 24 octobre 2000, un leader FPI, âgé de 32 ans, était sur le pont de Houphouët-Boigny avec des milliers d'autres manifestants, quand les soldats de la brigade rouge ouvrirent le feu, forçant les manifestants à sauter dans le lagon. Il raconte:13

Comme nous marchions, la manifestation prenait de l'ampleur, nous étions des centaines, si ce n'est des milliers. Lorsque nous sommes arrivés sur le pont, j'ai pu voir environ 40 militaires alignés de l'autre côté. Nous nous sommes alors assis sur le pont et nous avons commencé à chanter et à scander des slogans pro-Gbagbo pour leur montrer que nous voulions avoir une manifestation pacifiste. Les militaires ont commencé à nous lancer des bombes lacrymogènes et nous les leur avons relancé.

Alors, j'ai entendu les militaires crier `ALLEZ!' Au début, j'ai pensé qu'ils allaient nous lancer plus de bombes lacrymogènes, mais c'est alors que j'ai entendu les coups de feu et que j'ai réalisé qu'ils étaient en train de nous tirer dessus. Les gens ont commencé à courir dans tous les sens. Beaucoup de gens ont sauté dans l'eau pour s'échapper - ils ne pouvaient courir ni en arrière, ni en avant. Il n'y avait nul part où aller. Alors, j'ai vu plusieurs soldats tirer sur les gens qui sautaient dans le lagon.

Plusieurs personnes près de moi ont été atteintes. J'ai pris la fuite avec d'autres, mais six soldats, dont un en civil, nous ont poursuivis quelques minutes à travers les rues - tirant tout le temps. Alors soudain, j'ai eu mal et j'ai senti du sang dégouliner de ma jambe. Puis le gars à côté de moi fut touché dans le dos. Quoiqu'il en soit, j'ai réussi à m'échapper, et fus pris plus tard à un poste de police avec trois autres blessés. L'homme qui avait été atteint près de moi est mort peu après.

Un propriétaire de bateau, qui fut témoin de ce qui se passa lorsque les manifestants furent chassés du pont, et qui aida plus tard à repêcher de nombreux corps du lagon, décrit ce qu'il a vu:14

Mardi, [24 octobre], vers 15-16h, j'ai vu des centaines de manifestants courir en descendant vers le port de la direction du pont. Ils se faisaient tirer dessus de tous les côtés. Alors environ vingt soldats qui attendaient près du port les ont interceptés, et ont commencé à battre les gens. Ils les faisaient coucher par terre et les soldats leur marchaient dessus, leur donnaient des coups de pied, les frappaient avec leurs fusils et les fouettaient avec leurs ceintures. Ils ont marché sur la tête d'une femme et elle a perdu ses dents.

Plusieurs heures après, j'ai vu des soldats courir aux alentours, poursuivant et tirant sur les manifestants. Ils les poursuivaient à travers les rues et dans le lagon. Quand les soldats n'étaient pas en train de regarder, nous aidions à les tirer hors de l'eau.

Le mercredi, [25 octobre], moi et plusieurs autres propriétaires de bateaux avons pêché neuf corps de l'eau; six hommes et trois femmes. Cinq d'entre eux avaient des blessures par balles, principalement sur la poitrine et sur les bras. Trois d'entre eux étaient très jeunes, à peu près de treize à quinze ans. Il y avait un garçon de quatorze ans, cireur de chaussures, que je connaissais. Sa mère est venue et a identifié le corps.

Le jeudi matin, [26 octobre], nous avons pêché neuf autres corps du lagon et mis leurs corps sur les quais. C'était tous de jeunes hommes. Quatre d'entre eux avaient des blessures par balle, et cinq semblaient s'être noyés.

Beaucoup de gens furent tués et blessés quand les Jeeps, utilisées par la Brigade Rouge, furent conduites directement sur la foule des districts de Plateau et de Cocody. Au moins deux partisans FPI furent tués après le tir de deux grenades ou de petits mortiers dans la foule des protestataires. De nombreuses victimes et témoins ont vu le chef de la Brigade Rouge, le sergent Boka Yapi, dirigeant les opérations durant lesquelles de graves exactions furent commises.15

Comme la pression montait à l'encontre du général Guei, quelques centaines des principaux militants du FPI furent rassemblés et retenus à l'intérieur du palais présidentiel. Là, certains furent battus et plusieurs, dont une femme enceinte, furent torturés. Quelques-uns uns de ces détenus FPI furent transférés plus tard au camp de gendarmerie d'Agban ou à l'école de police, où la majorité d'entre eux fut retenue durant plusieurs heures. Les détenus FPI ne décrivirent pas de graves sévices dans ces locaux. Dans beaucoup cas, la différence entre les mauvais traitements endurés par les partisans RDR et par les étrangers, réellement étrangers ou soupçonnés de l'être, détenus deux jours plus tard à l'intérieur des mêmes installations, est impressionante de contraste.

Un partisan FPI de dix-neuf ans sauta du pont de Houphouët-Boigny, lorsque la garde présidentielle ouvrit le feu sur une grande manifestation le 24 octobre 2000. Il décrivit sa capture et son traitement ultérieur pendant sa nuit de détention chez les gardes présidentiels et la police:16

C'était une impasse. Environ dix d'entre eux ouvrirent le feu sur nous sur le pont, et nous n'avions pas d'autre choix que de sauter dans l'eau. Ils nous ont suivi pendant que nous essayions de nager vers la rive et finalement, nous avons dû nous rendre. Ils ont capturé plus de trente d'entre nous. En premier, ils nous ont enlevés nos sous-vêtements et nous ont forcé à descendre la rue de Commerce en ligne jusqu'au palais présidentiel. Ils nous ont donné des coups de pied dans les testicules pendant que nous marchions. Puis, à environ cent mètres de l'entrée du palais, ils nous ont forcé à marcher sur nos genoux, et comme nous entrions, les militaires à l'intérieur étaient en train d'applaudir et de pousser des acclamations.

A l'intérieur de l'enceinte du palais, les gens, les femmes aussi bien que les hommes, étaient fouettés et battus avec les boucles de leurs ceintures. Nous étions parmi le second groupe à entrer; tous ceux du premier groupe saignaient et étaient enflés à cause des coups. Un jeune homme, qui était en train de saigner, demanda de l'eau. Un soldat est venu vers lui avec une bouteille d'eau, lui a mis la bouteille dans la bouche et a appuyé dessus pour la lui enfoncer dans la gorge.

Ils ont dit des choses comme: `Pourquoi êtes-vous en train de manifester? Notre président, n'est-il pas ivoirien? N'est-ce pas ce qui est le plus important? Ils sont tous deux de l'ouest, n'est-ce pas?'

Au bout de quatre heures, plusieurs camions sont venus nous prendre pour nous emmener à l'école de police où ils ont relevé nos noms et nous ont donné de l'eau. On ne nous a plus battus. On nous a libéré le matin suivant à 10 heures. La police était en colère de ce qui nous était arrivé.

Une femme de 32 ans était une des quatre femmes détenues et retenues à l'intérieur du palais présidentiel le 24 octobre 2000. Elle décrit comment l'une d'elles, une femme enceinte, perdit son bébé à la suite des coups:17

J'ai rejoint la manifestation le mardi. Quand nous sommes arrivés au pont de Houphouët-Boigny, les militaires de l'autre côté ont commencé à tirer droit sur la manifestation. Les gens se sont dispersés et je suis tombée par terre. Alors, deux soldats sont venus vers moi et m'ont battu avec la crosse de leurs pistolets. Ils m'ont jetée dans un gros camion avec environ 50 autres manifestants et nous ont emmenés au palais présidentiel.

Les femmes avaient été autorisées à garder leurs vêtements. Nous avons tous été grièvement battus. Il y avait quatre femmes dans mon groupe. L'une d'entre elles était enceinte d'au moins six mois. Un des soldats a descendu mon soutien-gorge, m'a saisie par la poitrine et a commencé à me tirer vers une pièce. A un moment, la femme enceinte a répondu à leurs insultes et a dit, `Vous avez aussi des mères chez vous.' Un des soldats a réagi violemment, l'a jetée par terre, sur le dos, et ensuite a marché sur son ventre. Alors, quelques autres suivirent et ont marché sur le haut de son ventre, des deux côtés. Elle a commencé à saigner peu de temps après ça.

Vers 20h00, le même soir, nous avons été conduites toutes les quatre à l'hôpital militaire. La femme enceinte a perdu son bébé. Une autre femme a subi une opération pour recoller une de ses oreilles. La troisième femme était blessée à la tête et avait un bras cassé. J'avais des bleus sur tout le corps et la poitrine, et je dois encore prendre des médicaments pour ma tête.

Le mercredi 25 octobre 2000, des affrontements ont éclaté avant l'aurore dans le camp militaire d'Akouedo, ce qui marqua le début du transfert dramatique du soutien des forces de sécurité, du Général Guei à Laurent Gbagbo. A son tour, ce changement a signalé la fin du gouvernement du Général Guei. Tôt dans la matinée, des foules FPI sont une fois de plus descendues dans les rues dès l'aube et, une fois de plus, elles ont été sous le feu provenant pour la plupart de membres de la garde présidentielle. Néanmoins, un peu plus tard dans la matinée, les gendarmes, la police et la plupart des militaires à l'exception de la Brigade Rouge n'ont plus soutenu le Général Guei et ont commencé à manifester leur soutien ouvertement pour Gbagbo. On a vu de nombreux camions de gendarmes rouler au milieu des foules, en faisant le signe V de la victoire, le signe du parti FPI. Au fil des heures, de plus en plus de forces de sécurité ont rejoint les rangs des manifestants et, éventuellement, les manifestants du FPI se sont emparés des installations nationales de radio et de télévision. Au cours de l'après-midi, la radio et la télévision nationales ont annoncé que Guei avait démissionné et fui le pays.

Durant l'après-midi et le début de la soirée du 25 octobre 2000, des milliers de partisans jubilants du FPI ont fêté la victoire de leur chef et des milliers de partisans RDR sont allés manifester dans les rues en demandant qu'il y ait de nouvelles élections. Les chefs du RDR soutenaient que l'élection était entachée d'irrégularités et sans légitimité, et ils maintenaient que la popularité de Gbagbo était bien moindre que celle d'Ouattara ou du candidat du PDCI, Emile Constant Bombet, qui avaient tous deux été exclus de l'élection par la Cour Suprême. Les résultats, publiés par la suite par la Commission électorale nationale, ont indiqué que le taux de participation électorale avait en fait été faible : 37 pour cent des électeurs inscrits.18 Ces résultats ont donné une majorité absolue à Gbagbo, avec 59,6 pour cent des votes, contre 32,7 pour cent pour Guei.19

Alors que les manifestants FPI fêtaient sa victoire, Gbagbo a fait un discours à la télévision nationale le même soir et a remercié ses partisans. "Je vous remercie d'avoir répondu à mon appel, spontanément et en grand nombre. Vous êtes sortis par centaines de milliers dans les rues sur tout le territoire national pour assurer que la justice l'emporte sur la force." Il s'est déclaré lui-même président et a également remercié les forces de sécurité de leur soutien, "Je tiens à remercier tout particulièrement nos forces armées nationales - la gendarmerie, la police - qui ont décidé de soutenir la cause de la démocratie et de la République en se joignant à nous."20

Le jeudi 26 octobre 2000, exaspérés par le discours national de Gbagbo la nuit précédente, des milliers de manifestants du RDR, venus de tous les quartiers d'Abidjan sont allés manifester dans les rues pour montrer leur désapprobation de la prise de pouvoir par Gbagbo. Dans une interview, un peu plus tard dans la journée, le chef du RDR, Ouattara, s'est engagé à soutenir les manifestations et a déclaré, "Nous allons exiger des élections libres et nous continuerons à manifester jusqu'à ce que nous ayons ces élections libres. Nous voulons de nouvelles élections avec un minimum de délai et nous estimons que les élections pourraient même avoir lieu dans les trois semaines. "21

Dès le matin du 26 octobre 2000, les forces de sécurité, principalement les gendarmes et la police, ont réagi à ce qui semblait être une opération bien organisée pour disperser la manifestation et empêcher les manifestants de converger vers le centre ville, la station de télévision locale et les emplacements stratégiques. A partir de ce jour, l'armée et la garde présidentielle sont généralement restées dans leurs casernes, et on disait que la Brigade Rouge de Boka Yapi s'était enfuie vers les zones rurales. La police et les gendarmes semblaient avoir adopté une politique très polarisée, réprimant les dissidents RDR au nom du nouveau parti au pouvoir, le FPI.

Alors que des partisans du RDR essayaient de sortir des quartiers résidentiels très peuplés d'Abobo, Yopougon, Koumassi, Treichville et Adjame, ils se sont heurtés aux gendarmes et à la police qui ont dispersé les manifestations et, dans plusieurs cas, ouvert le feu sur eux. Dans de nombreux cas, les manifestants du RDR, comptant parmi eux des membres de structures ethniques traditionnelles de chasseurs, les Dozos, étaient armés de machettes, de pierres et de fusils de chasse. Néanmoins, les forces de sécurité n'ont guère fait d'efforts pour limiter les morts et blessés, faire une distinction entre les manifestants non violents et les éléments armés ou utiliser des formes moins mortelles de contrôle de la foule. Toutefois, le gaz lacrymogène a beaucoup été utilisé.

Le soir du 26 octobre 2000, le Président Gbagbo a prêté serment en tant que président. Dans son discours d'investiture, il a dit qu'il avait l'intention de former un gouvernement d'unité nationale et a promis d'unir le pays après des mois de gouvernement militaire entraînant la division. Il a lancé un appel au calme, disant : "Je demande à tous les Ivoiriens de se rassembler pour le respect de ces principes et valeurs qui font de notre pays un grand pays - le pardon, la tolérance et la solidarité ".22 Il a néanmoins rejeté les demandes pour de nouvelles élections, en dépit des appels à le faire du RDR, ainsi que des Nations Unies, de l'OUA, de l'Afrique du Sud et des Etats-Unis.23

Le gouvernement a estimé que 164 personnes avaient été tuées, rien qu'à Abidjan, pendant la violence des 24-26 octobre 2000. 24 Le RDR maintient que 155 de ses partisans ont été tués,25 alors que le FPI a indiqué qu'environ soixante des siens avaient été tués.26 Pendant la même période, la Croix Rouge ivoirienne à Abidjan a évacué 158 personnes et traité 896 blessés.27

Détention
Au cours de la journée, des centaines de manifestants ont été arrêtés et conduits à l'une des différentes installations, y compris l'école nationale de police, la gendarmerie d'Agban, l'escadron Koumassi de la gendarmerie, l'escadron Abobo de la gendarmerie, et l'escadron Yopougon de la gendarmerie.28 Six cents personnes environ ont été détenues, la plupart de deux à quatre jours. Presque tous les détenus ont été soumis à des brutalités dès le moment de leur capture. Human Rights Watch a interviewé des dizaines de détenus et tous ont été soumis à certains mauvais traitements en détention, allant de simples passages à tabac à de sévères tortures.

La majorité des détenus étaient emprisonnés doit à l'École nationale de police (de 200 à 300 personnes) soit au camp de gendarmerie d'Agban (environ 150 personnes). C'est dans ces deux installations que les détenus ont subi les pires traitements. Les détenus interviewés par Human Rights Watch, dont bon nombre avaient encore des blessures et des cicatrices, ont décrit avoir été battus avec des barres de fers, des câbles électriques, des cordes, des ceintures, des bâtons d'agent, des chaînes, des colliers de chien, des crosses de pistolets et des morceaux de fois. Ils ont été brûlés avec des cigarettes, des morceaux de plastique ou de vêtements brûlants et contraints de nager dans des égouts ouverts souillés. Ils ont également été forcés de faire des allées et venues à genoux; de s'allonger sous le soleil et de lever les yeux; ils ont été aspergés de gaz lacrymogène de très près, et du gaz lacrymogène et du Mace ont été pulvérisés dans leurs yeux, bouches et sur leurs organes génitaux; ils ont été forcés de se battre les uns avec les autres; contraints de boire leur propre sang. Des cliniques et hôpitaux locaux ont traité des centaines de blessés. Presque tous les détenus étaient tenus au secret et étaient privés de nourriture, d'eau et de toilettes pendant les premiers jours de leur détention. Pour obtenir la libération des détenus, de nombreux membres de leurs familles ont dit qu'ils ont dû payer des pots-de-vin à des gendarmes et policiers véreux.

Un tailleur, âgé de 25 ans, décrit ses deux jours de détention au camp de gendarmerie d'Agban, durant le mois d'octobre. Une vingtaine de contusions, brûlures et de petites blessures sur sa tête et son corps furent constatées clairement de visu, par les chercheurs de Human Rights Watch:29

Vers une heure de l'après-midi, le 26 octobre, j'ai participé à une marche avec d'autres militants RDR, quand j'ai été capturé avec cinq autres gars. Une fois arrivés au camp, ils nous ont forcé à nager dans un caniveau rempli d'eau sale, de bouteilles cassées, de fèces humaines et de déchets de poubelle. Un d'eux m'a plongé la tête de force sous l'eau, d'une profondeur de 50 centimètres. Comme nous nous déplacions dans les caniveaux, les gendarmes étaient en rang et nous ont frappé violemment sur la tête avec les crosses de leurs fusils.

Puis, ils nous ont dit d'enlever nos vêtements et de marcher à genoux sur plus de vingt mètres. Ils ont continué à nous battre et l'un d'eux a frappé mon pénis avec le crochet de sa ceinture rouge. C'était si douloureux, et ça saignait que je me suis mis à crier. L'un d'eux a dit, `Oh, si nous vous avons blessé, ne vous inquiétez pas, nous avons des docteurs ici.' Alors il a appelé un autre gendarme qui a pulvérisé le contenu d'une petite canette, de ce qui était, je pense, du gaz lacrymogène, sur mon pénis, mon nez et dans mes yeux. J'ai presque perdu connaissance.

En entrant au camp de Agban, j'ai vu qu'il y avait environ cent autres prisonniers. Ils ne nous ont posé aucune question. Ils parlaient du RDR, nous ont tous fait dire `Alassane est un burkinabé,' et nous ont fait chanter l'hymne national. Ils nous ont battus en utilisant leurs ceintures, des bouts de bois, et des barres de fer. A un moment, ils ont pris nos vêtements, dont ils ont fait une pile à l'extérieur de l'entrée, et mirent le feu, et ont marché autour de nous en laissant les morceaux de vêtements brûlants sur nos jambes et nos dos. Ils ont choisi des vêtements contenant des fibres plastiques, comme les vêtements de sports, parce qu'ils brûlaient mieux.

Vers six heures, le matin suivant, ils nous ont dit de laver tout le sang des murs de l'endroit où nous étions détenus. C'était une aire ouverte avec un sol en ciment, et sans toit. Nous avons tout lavé - et il y avait beaucoup de sang - mais un gendarme est venu et nous a dit que cela n'était pas assez propre. Nous avons tout relavé et ils nous ont fait faire des pompes. Un prisonnier était si blessé qu'il ne pouvait pas faire de pompes, un gendarme est venu et lui a violemment donné des coups de pieds. Ensuite, ils nous ont ordonné de nettoyer les bureaux des gendarmes. Finalement, ils nous ont donné des vêtements et nous ont laissé partir.

Les détenus, étant retenus à l'intérieur de l'école nationale de police, furent battus et par les élèves agents de police et par les policiers. Un activiste RDR de 19 ans, qui y passa six jours, décrit ce qu'il a vécu :30

A partir du moment où nous sommes arrivés à l'École de police le 26 octobre, la police a commencé à nous battre. Vers neuf heures du soir, il y avait environ 300 personnes. J'y suis resté plusieurs jours et j'ai été battu et torturé et par les policiers et par les élèves agents de police. C'était l'École de police; ils apprenaient sans doute aux élèves comment se comporter. Certains avaient deux `V' [sergents],31 et d'autres avaient des insignes d'étudiants.

Nous étions tous dans une grande pièce et ils nous torturaient de plusieurs façons. Premièrement, ils nous battaient constamment avec des bâtons, du bois, des branches d'arbres coupées. La police nous gardait éveillés en nous jetant de l'eau froide. Puis, ils nous faisaient ramper, deux par deux, sur nos genoux, sur une certaine distance, et celui qui arrivait en dernier était battu. Ils prenaient deux d'entre nous tous, et leur ordonnaient de se battre, et s'ils disaient qu'ils avaient fait semblant, ils nous battaient. Quelquefois, ils marchaient sur nos dos.

Je ne pense pas que quelqu'un soit mort en détention, mais j'ai vu un bon nombre de personnes perdre connaissance et d'autres qui ne pouvaient plus tenir debout.

Ils nous faisaient chanter `Alassane est mousi' [burkinabé], et `Gbagbo président.' Le vendredi, certains policiers parlaient d'un gendarme qui avait été tué et ensuite, le samedi, quelques policiers ont apporté le journal avec les nouvelles et les photos du massacre de Yopougon, et ont dit  `voilà comment vous auriez dû être tués ... mais vous avez de la chance, vous êtes à l'école de police.'

Il y avait des parents, à l'extérieur, qui attendaient de revoir leurs enfants, et je crois comprendre qu'ils ont payé 5.000 CFA [U.S. $7] pour les libérer. Nous avons entendu plus tard, qu'une femme avait payé 20.000 CFA [U.S. $28], mais qu'ils n'ont pas laissé son fils partir. Je pense que certaines personnes se sont fait passer pour des proches des policiers mais, en fait, les payaient. J'ai finalement pu partir le lundi dans la soirée, vers neuf heures, quand la mère d'un de mes amis a payé à peu près 4.000 CFA [U.S. $6] pour chacun de nous.

A partir du 26 octobre 2000, il y eut plusieurs rapports des forces de sécurités d'état, se mettant activement du côté des partisans FPI pour réprimer les dissidents politiques et pour attaquer les partisans RDR, les musulmans du Nord et les étrangers. Plusieurs partisans RDR détenus à l'intérieur des postes de police et des camps de gendarmerie rapportent avoir été, initialement, détenus par des partisans FPI, qui alors les ont livré aux forces de sécurité d'état.

Raphael Lapke, 50 ans, éditeur d'un petit journal et partisan RDR du groupe ethnique de Gbagbo, les Bété, fut retenu par un groupe de partisans FPI, tôt dans la matinée du 26 octobre 2000, et fut plus tard, remis à la gendarmerie. Il fut détenu et battu durant plusieurs heures à l'intérieur du camp de gendarmerie de Koumassi. Il décrivit sa capture et les vraisemblables motifs politiques de sa détention:32

Auparavant, je travaillais en étroite collaboration avec Laurent Gbagbo. C'est moi qui ai fondé son journal, Notre Voix. Lorsque nous avons eu un désaccord en 1995, je suis parti. Le 26 octobre, vers 6h30 du matin, je faisais une balade, allant de chez moi au carrefour pour voir ce qui était en train de se passer. Quelques personnes du RDR ont commencé à bloquer la route, mais il y avait également quelques personnes FPI aux alentours. L'un d'eux m'a reconnu, il a sifflé, et alors les autres sont venus m'entourer. Ils m'ont demandé ce que j'étais en train de faire, et je leur ai dis que les RDR avaient l'intention de manifester ce matin et que j'allais me joindre à eux. Je leur dis `Vous n'êtes pas en charge de la sécurité publique, vous n'êtes pas ici pour me dire si je peux manifester ou non.' Ils m'ont accusé d'avoir abandonné mon frère pour rejoindre le parti des étrangers. J'ai essayé de leur rappeler que nous luttions avec Gbagbo afin de pouvoir tous être libres, mais que maintenant ils essayaient d'empêcher les gens d'exprimer leurs opinions politiques. Cela les mit en colère. Ils commencèrent à nous battre et nous amenèrent à un petit groupe de gendarmes qui étaient en train de garder une usine voisine. Ces gendarmes ont appelé leurs supérieurs, et 15 minutes plus tard, une Jeep avec dix gendarmes est arrivée et nous emmené au camp de la gendarmerie de Koumassi.

Dès que nous sommes arrivés, les gendarmes ont menacé de me tuer, et ont commencé à dire les mêmes choses que les militants FPI: `Nous ne comprenons pas comment tu peux abandonner ton frère et aller avec ces étrangers, tu devrais être heureux qu'un homme de l'ouest soit président.' Ils nous ont ordonné d'enlever nos vêtements et de nous coucher par terre, et alors ils ont commencé à nous donner des coups sur le dos. Ces dix gendarmes m'ont tous battu avec leurs ceintures. Ils disaient qu'ils me battraient à mort. Il y a une grosse boucle en fer sur ces ceintures en cordes qu'ils utilisent. Cela m'a fait des blessures ouvertes et a même ouvert le crâne d'un de mes employés qui avait également été capturé.

Violences sexuelles
Human Rights Watch s'est documenté sur plusieurs cas sérieux d'abus sexuels en octobre, principalement à l'intérieur du camp de gendarmerie d'Agban. Ici, plusieurs femmes furent complètement déshabillées, battues, forcées d'écarter les jambes, et menacées d'agressions sexuelles avec des branches d'arbre. Au moins cinq hommes prisonniers avaient ordre d'avoir une érection pour violer les femmes détenues. Quand les hommes étaient incapables de le faire, ils étaient battus de manière répétée avec une boucle de ceinture sur l'extrémité du pénis. Au camp des gendarmes de Yopougon, un homme au moins a été mené par une ficelle attachée à son pénis. Les infirmières et les docteurs traitant les blessures, confirmèrent avoir traité plusieurs hommes, dont les organes génitaux avaient été grièvement blessés durant leur détention.33

Un partisan RDR de 34 ans, qui souffrit de multiples blessures à la tête, de brûlures et d'une fracture du bras droit pendant qu'il était au camp des gendarmes de Agban, décrit les abus sexuels qu'il a vu commettre contre les hommes ainsi que les femmes. Il raconte:34

Ils traitaient les femmes très cruellement. Il y en avait environ neuf ou dix et elles étaient complètement nues. A un moment, ils dirent aux femmes de se tenir debout et d'écarter les jambes et ils ont pris des branches d'acacia qu'ils cassèrent et qu'ils semblaient vouloir mettre à l'intérieur d'elles. Je ne pouvais pas voir s'ils l'avaient vraiment fait, mais les femmes étaient en train de pleurer. Un des gendarmes a essayé d'arrêter ça et leur disait, `mais cela pourrait être votre s_ur ou votre mère,' mais un autre répondit simplement, `nos mères et nos s_urs sont à la maison, pas dans la rue.' Alors, l'un des gendarmes a pris une femme en particulier et a saisi ses seins et a commencé à la balancer autour de la pièce. 

Alors, ils ont désigné l'un d'entre nous et nous ont ordonné de nous mettre debout. Ensuite, ils ont inspecté nos parties intimes. Ils disaient qu'ils étaient entrain de chercher les plus grosses pour violer les femmes. Puis, ils ont dit à cinq garçons d'avoir une érection et de violer les femmes. Mais, ils ne pouvaient pas et les gendarmes sont allés vers ces hommes, ont pris leurs pénis dans la paume de leurs mains, et les ont frappé violemment avec les boucles de leur ceintures. Ils hurlaient de douleur et saignaient. Ils ont battu les cinq hommes de cette manière.

Des Représailles Fondées sur L'appartenance Ethnique et la Religion
A partir du 26 octobre 2000, la violence s'est également clairement fondée sur des principes ethniques et religieux. Les victimes étaient non seulement des militants du parti RDR d'Alassane Ouattara, mais aussi des étrangers, musulmans et Ivoiriens issus de groupes ethniques du nord du pays. Ils étaient assimilés avec le RDR et pris ouvertement pour cible pour des raisons d'appartenance ethnique, de religion et/ou de nationalité. Nombre de victimes venant du Mali, du Burkina Faso et de la Guinée, et des Dioulas du nord de la Côte d'Ivoire ont raconté avoir été sorties par la force de leurs maisons, chassées des bus, arrêtées au hasard dans la rue, ou poursuivies par des groupes de gendarmes ou par la police. De nombreux témoins ont raconté qu'aux postes de contrôle, les représentants de groupes ethniques ne provenant pas du nord du pays, étaient autorisés à circuler et libérés après vérification de leur lieu d'origine. Les témoins et les victimes ont dit qu'il y avait plus de cent étrangers parmi les détenus de l'école nationale de police.

Un musulman âgé, qui a vu des gendarmes abattre treize étrangers, militants RDR et Dioulas en leur tirant dessus le 26 octobre 2000, est une des nombreuses personnes à avoir décrit comment les Ivoiriens issus d'autres groupes ethniques ont été relâchés:35

Pendant que nous étions étendus là et qu'ils nous frappaient, un groupe de quatre personnes, deux hommes et deux femmes, s'approcha. J'ai vu les gendarmes les arrêter et leur demander leurs papiers. Après les avoir inspectés, le gendarme leur a dit `vous pouvez circuler, ce ne sont pas des Baoulés que nous voulons, ce sont les Dioulas que nous cherchons.'

Les commentaires qu'on faits les forces de sécurité et le FPI pendant qu'ils étaient en train de capturer, de railler et torturer leur victimes, ou même avant l'exécution de leurs victimes, montrent à quel point la haine ethnique et la xénophobie ont pris racine dans le pays.

Le 26 octobre 2000 des Musulmans et des mosquées ont été attaqués par un groupe réunissant les militants du FPI et la police. Dans plusieurs cas, les Musulmans ont été accusés de receler des armes dans les mosquées, la police n'a à aucun moment essayé de vérifier le bien fondé de ces accusations. Au lieu de cela, les Musulmans étaient "accusés" de soutenir les militants RDR et étaient réprimés en conséquence. Pendant leur détention, les Musulmans étaient souvent insultés et forcés à violer les règles de leur religion.

A Yopougon, après que plusieurs centaines de militants du FPI eurent encerclé et menacé d'incendier la mosquée de Aicha-Niangon-Sud, les responsables de la mosquée, effrayés, ont téléphoné à la police pour avoir des renforts. Deux districts de police répondirent, mais au lieu de disperser la foule, ils lui permirent de pénétrer à l'intérieur de la mosquée et de retenir les Musulmans qui tentaient de protéger leur lieu de culte. Une trentaine de Musulmans furent mis en détention préventive puis retenus et torturés à l'École de police pendant plusieurs jours. Un membre de la congrégation a décrit ce qui s'est passé:36

A environ 9h30 du matin, j'ai reçu un appel de l'imam me demandant de prendre garde car des mouvements de foule avaient déjà réduit en cendres une mosquée à Yopougon. Nous avons cru au début qu'il ne s'agissait que d'une rumeur, mais pour être nous en assurer, nous avons fait un appel à la prière pour que les membres de notre mosquée viennent nous aider à la protéger. Apres leur arrivée nous avons vu un important groupe de personnes - quelques centaines -- venir en direction de la mosquée. Lorsqu'ils sont arrivés à proximité, ils nous ont encerclés et ont commencé à frapper sur la porte et à jeter des pierres à l'intérieur de l'enceinte.

Nous avons vu que la foule était également armée de barres de fer, de machettes, de pierres, de couteaux, de morceaux de bois et criait `A bas le RDR, à bas les Dioulas, nous sommes venus vous tuer, il est temps d'en finir avec les musulmans.' Dans la foule, certains disaient qu'ils avaient entendu qu'une église avait été brûlée. Nous pouvions voir qu'ils avaient avec eux des barils de pétrole.

Lorsque nous avons réalisé que les événements commençaient à échapper à notre contrôle, nous avons appelé la 17ème circonscription de Police pour venir nous protéger, nous et notre mosquée.

Lorsque les policiers sont entrés, ils nous ont dit qu'ils allaient nous sortir de là. A ce moment précis, la foule commençait à briser le portail. Lorsque nous sommes montés dans leurs voitures, les policiers nous ont assuré qu'ils allaient nous protéger nous et notre mosquée. Il était environ 11h45 du matin. Comme nous partions, nous avons pu voir que les responsables de l'offensive étaient des militants du FPI; ils faisaient le signe `V', utilisé par le FPI. C'est au moment où les policiers ont fait ce même signe `V', au moment de nous faire descendre, que nous avons enfin compris que quelque chose n'allait pas.

Ensuite, c'était pire. Nous avons su que rien n'allait plus lorsque, sur notre chemin, les policiers ont commencé à dire, `vous n'êtes pas de véritables citoyens de ce pays, vous serez renvoyés là d'où vous venez et si vous ne comprenez pas cela, nous allons vous réveiller un par un dans votre lit conjugal et vous tuer.'

Lorsque nous sommes arrivés à la 17ème circonscription de police, les policiers nous ont mis dans une pièce close. Le matin suivant, ils nous ont dit d'écrire nos noms et nous ont expliqué que nous allions être envoyés à l'École de police. Lorsque nous avons demandé quel était notre crime, ils ont expliqué que nous tenions des réunions RDR dans la mosquée. Ils nous ont questionné sur la raison de notre présence dans la mosquée de si bonne heure et nous ont accusé de nous organiser pour partir brûler des églises.

A peu près à la même heure, le 26 octobre 2000, un groupe de militants du FPI et une petite patrouille de police attaqua et menaça d'incendier une mosquée à Treichville. Un Musulman de vingt-cinq ans, qui a reçu dans le bras une balle tirée par la police moment de l'attaque, a décrit ce qui s'est passé.37

J'étais à la maison avec ma s_ur lorsque, aux environs de 10 heures du matin nous avons reçu un appel de notre imam disant que des personnes avaient commencé à attaquer des mosquées et que cette foule voulait brûler la nôtre. Il nous disait de nous préparer pour venir protéger notre mosquée.

Nous sommes allés rapidement à la mosquée, nous avons pris quelques pierres et attendu pour voir ce qui allait se passer. Nous étions environ quarante hommes et femmes. Puis nous avons vu un groupe d'à peu près vingt militants du FPI. J'en reconnus plusieurs parce qu'ils venaient de mon quartier. Derrière la foule, j'ai vu une voiture de police avec quatre policiers qui en sortirent. Je connaissais même quelques-uns uns des policiers. Le véhicule portait l'inscription `Deuxième district.'

Les gens du FPI avaient des morceaux de bois, des machettes et quelques-uns uns d'entre eux, des bouteilles de pétrole. Ensuite, la foule a commencé à jeter des pierres et la police nous a jeté du gaz lacrymogène. Les membres du FPI disaient qu'ils allaient brûler la mosquée et tuer les Dioulas. Ils disaient que aurions dû quitter la Côte d'Ivoire et qu'ils allaient attraper tous les étrangers, en particulier les Burkinabé. Nous leur avons jeté beaucoup de pierres. Les gens du FPI se sont alors un peu repliés et ont laissé la police venir à l'avant d'où elle nous envoya davantage de gaz lacrymogène. Lorsque l'un des officier de police, proche de là où je me trouvais, s'arrêta pour changer son chargeur, j'ai couru mais ai été touché au bras. Le combat dura environ quinze minutes, après lesquelles ils ont abandonné les hostilités et les lieux.

Un chauffeur Dioula de quarante ans a décrit comment il a été pris avec d'autres Dioulas de son quartier avant d'être conduit à l'école nationale de police:38

Le jeudi [26 octobre] aux environs de seize heures, je me préparais pour la prière de l'après-midi, une dizaine de policiers, parmi lesquels deux femmes du 13ème district de Police, sont arrivés dans deux voitures ordinaires. Ils se sont garés au devant de ma parcelle,39 ils sont sortis et annoncé que tout Dioula devait sortir. Ils étaient entièrement vêtus de vert. Ils nous ont demandé de montrer nos papiers d'identité et ont ordonné aux hommes Dioula de s'allonger dans le caniveau. Comme j'étais en train de prier à l'intérieur, ma femme leur a menti et leur a dit que j'étais sorti. Mais il a pointé un pistolet sur elle, ce qui m'a obligé à sortir.

Puis, sans nous dire pourquoi, ils nous ont forcé de monter dans deux voitures ordinaires et nous ont emmené au 13ème district. Il ne nous ont ni interrogés ni posé la moindre question. Ils nous ont simplement accusés de soutenir Alassane. Ils nous ont battus, ont marché sur notre dos et ont lancé de l'eau froide sur nous. Nous avons passé la nuit là-bas; et le matin suivant, ils ont conduit dans les environs afin de faire d'autres prisonniers et en ont pris jusqu'à ce que nous soyons à peu près quarante.

Pendant le chemin, ils nous ont dit de rassembler notre argent pour qu'ils nous laissent partir. Nous l'avons fait mais ils ont pris notre argent et nous ont emmené tout de même à l'École de police.

Les militants du RDR ont également recherché et attaqué des personnes sur la base de leur appartenance ethnique; dans leur cas, des personnes n'appartenant pas à un groupe Dioula. Une jeune femme d'Abobo qui soutenait le FPI a été attaquée chez elle par un groupe du RDR et a relaté comment les groupes ethniques Baoulés et Bétés étaient visés:40

Quelques-uns uns d'entre eux ont donné des coups de pied dans la porte et criaient qu'ils cherchaient des Bétés. Ils ont demandé à mes deux frères leurs papiers d'identité. Mes frères ont répondu que nous appartenions au PDCI, que nous ne votions même pas et que nous étions des Baoulés et non des Bétés. Les intrus ont crié que nous étions tous les mêmes: que nous étions ceux qui étaient contents que Gbagbo ait gagné les élections.

De nombreuses attaques commises par les membres du RDR contre les églises ont entraîné la destruction d'édifices, de bibles, de bancs d'église, de véhicules et autres biens. Les forces de sécurité nationale avaient ouvertement pris parti pour les groupes FPI lors des attaques contre les mosquées, et sont intervenues pour faire cesser les attaques contre les églises. Un membre d'une église évangélique des environs de Port Bouet II à Yopougon a décrit comment les gendarmes sont intervenus pour protéger son église et lui-même contre un groupe RDR:41

A 9 heures du matin, les membres de mon parti m'ont dit que l'église était en feu. Une dizaine d'entre nous se sont précipités pour constater cela. Au devant de l'église se trouvait un groupe de gens du RDR avec des pierres, des couteaux et des machettes. Ils disaient, `Ils ont brûlé notre mosquée et maintenant c'est à leur tour. Où est votre pasteur? Nous allons le tuer.' Bancs d'église, bibles, livres et autres documents ainsi que l'équipement de bureau de l'église étaient en train de brûler à l'extérieur, juste à l'entrée de l'église. Ils lançaient des pierres et brisaient les fenêtres. Puis les gendarmes sont arrivés et les ont chassés. Après ces événements, la situation s'est apaisée.

"Disparitions"
De nombreux hommes capturés par la police et les gendarmes pendant la vague de violence du mois d'octobre se doivent de figurer dans ce rapport. Les quinze victimes de "disparition" documentée par Human Rights Watch étaient soit dans la mouvance politique du RDR, soit des étrangers, soit issus de groupes ethniques du nord du pays, et ont été détenus ou vus pour la dernière fois le 26 octobre 2000. Tous, sauf un, ont été vus pour la dernière fois dans la forteresse du RDR à Abobo. La plupart des témoins interviewés par Human Rights Watch ont dit que les membres de la famille "disparus" ont été capturés chez eux ou dans leur voisinage immédiat par des hommes en uniforme, parfois accompagnés par des hommes armés en tenue civile. Ils ont raconté avoir passé des jours à la recherche de leur parent disparu dans les morgues, les hôpitaux, les prisons et les casernes de police et de gendarmes. Le cas le plus grave a suivi la mise en détention par la police de neuf hommes venant d'Abobo. Trois témoins ont dit que les neuf hommes, dont plusieurs étaient les membres d'une même famille Dioula, ont été capturés par un groupe réunissant des policiers en uniforme et en tenue civile. Aucune des forces de sécurité n'a reconnu que ces arrestations ont eu lieu. Un des témoins, la femme d'une des victimes, a décrit la détention:42

Je suis la femme de S. Nous avons un enfant de quatre ans et je suis enceinte de neuf mois de mon second. Mon mari est Ivoirien comme tous ceux qui ont été pris ce jour-là. Ils ne sont pas engagés politiquement; ils conduisent des camions sur de longues distances et n'ont pas le temps pour cela. Nous sommes l'une des rares familles Dioula à vivre dans notre voisinage immédiat; autour de nous il y a des Baoulés, des Bétés et des Agnis. C'est peut être la raison pour laquelle ils nous ont pris pour cible.

Tout s'est passé en moins de cinq minutes. Il était environ trois heures quarante de l'après-midi du 26 octobre. J'ai entendu frapper à la porte de la parcelle, c'était la police et nous les avons entendu dire `C'est la police et si vous ne nous ouvrez pas, nous allons tous vous tuer.' Mon mari a ouvert la porte et huit d'entre eux ont pris d'assaut la parcelle familiale. Certains d'entre eux, trois je crois, portaient des T-shirt et des jeans, les autres portaient des tenues de combat. Ils avaient tous des pistolets sauf le chef qui avait un long fusil.

C'est surtout le chef qui a pris la parole. Il portait un masque de ski et semblait vraiment nerveux. Il leur a demandé de retirer leurs chemises et a menacé de tous nous tuer. Il y avait un homme handicapé dans l'une des pièces de la parcelle et lorsque ses enfants se sont mis à crier, leur chef dit qu'il fallait le laisser tranquille. C'est le seul homme qu'il a laissé en paix.

Ensuite, on a ordonné à nos hommes de sortir des maisons et nous [les femmes] avons commencé à pleurer et à les supplier de laisser nos époux. A l'extérieur, nous avons vu qu'il y avait un minibus et j'ai aperçu ce que j'ai cru être trois prisonniers, à l'intérieur. Certains d'entre eux saignaient. Je ne voulais pas laisser mon mari et je l'ai suivi tandis que lui et les autres étaient conduits à l'extérieur. J'ai demandé `Pourquoi les arrêtez-vous, qu'ont-ils fait?' Et l'un d'eux a dit `Vous autres êtes des Dioulas, attendez un peu et vous verrez ce que nous allons vous faire. Vous devriez arrêter de suivre Alassane.' Un autre qui parlait Dioula a dit, `ne vous inquiétez pas, nous allons les faire souffrir un petit peu et les ramener.' Je pleurais et ne voulais pas descendre de l'arrière du minibus quand mon mari était à l'intérieur. Je les a supplié de me dire où ils l'emmenaient, mais un des policiers m'a poussé violemment et m'a dit que je posais trop de questions.

La mère d'un homme de vingt-huit ans qui a été traîné hors de sa maison d'Abobo par des gendarmes a décrit ce qui s'est passé:43

Le jeudi, il y avait beaucoup de problèmes à Abobo, alors nous avons fermé la porte de la parcelle. Entre une heure et une heure trente de l'après-midi, les gendarmes sont venus et ont pris mon fils. Nous avons entendu frapper à la porte et sept d'entre eux ont forcé le passage à l'intérieur de la parcelle criant à tout le monde de sortir. Certains avaient un équipement anti-émeute et je ne puis me souvenir de la façon dont ils étaient vêtus ou de ce qu'ils disaient. Tout ce que je savais était qu'ils prenaient mon fils. Ils l'ont emmené par la force; ils ne lui ont même pas demandé ses papiers.

Je les suppliais de le relâcher au moment où ils l'entraînaient hors de la maison et vers la rue, je les suivais les suppliant de le laisser. Je les ai suivi jusqu'à ce que nous ayons atteint le carrefour (à environ 300 mètres), là, ils m'ont demandé de rentrer chez moi. J'ai refusé mais ils m'ont dit que si je ne le faisais pas ils me tueraient. Ils ont dit qu'il était en état d'arrestation mais n'ont pas dit pourquoi. Ils ont tourné au coin de la rue et c'est la dernière fois que je l'ai vu. C'était le premier de mes enfants. J'ai entendu dire qu'il avait été mis dans un camion avec d'autres hommes mais je n'ai pas assisté à cela. Nous avons vérifié et revérifié tous les hôpitaux, morgues et prisons mais il ne s'y trouvait pas. Mon fils était un membre du RDR mais n'a participé à aucune des marches ce jour-là.

Un chauffeur burkinabé de trente ans a été arrêté à Abobo le 26 octobre par un gendarme en uniforme et deux hommes armés en tenue civile, et est porté disparu depuis lors. Le frère de la victime, également présent durant l'incident, a raconté comment il a pu se libérer de ses ravisseurs:44

Toute la journée, l'ambiance avait été plutôt tendue mais dans l'après-midi, aux environs de quatorze heures, tout semblait s'apaiser, mon frère et moi avons décidé alors de nous risquer à sortir. Peu de temps après avoir sorti, nous avons soudain vu des gendarmes, l'un d'eux en uniforme et deux autres en costume civil. Ceux qui étaient en civil portaient des pantalons de couleur kaki, l'un avait un T-shirt gris, l'autre une chemise à motifs africains, et tous deux avaient des pistolets- l'un dans sa main, l'autre sur la taille. Celui qui était en uniforme avait un AK-47. Ils portaient tous des bottes. Le gendarme avait un uniforme typique de gendarme.

Je les ai vu courir vers nous; le gendarme en uniforme devant nous et les deux civils derrière. Dès que nous les avons vu nous nous sommes mis à courir en direction de notre parcelle. D'abord ils m'ont attrapé par le cou mais je me suis débattu et j'ai pu m'enfuir, et j'ai vu que le gendarme en uniforme avait attrapé mon frère. Pendant que je luttais pour m'échapper j'ai vu qu'ils frappaient mon frère puis je me suis libéré et j'ai couru vers la parcelle, j'ai claqué la porte, et c'est la dernière fois que nous l'avons vu.

Quartier deDerrière Rail: Tueries et Représailles
La vague de violence du mois d'octobre a empiré après le meurtre, attribué aux militants du RDR, d'un officier de gendarmerie dans la section Derrière Rail d'Abobo à environ 13h15 le 26 octobre 2000. Après la diffusion de la nouvelle de la mort du Lieutenant Nyobo N'Guessan, les gendarmes, notamment ceux du camp de gendarmerie d'Abobo furent pris d'une crise de folie meurtrière, pourchassant au hasard et tuant une vingtaine de jeunes gens, visés pour être des militants du RDR, des étrangers et/ou des Musulmans. Le massacre d'une trentaine ou d'une quarantaine de personnes semble avoir été une réaction impulsive d'au moins deux gendarmes à la nouvelle de la mort de leur confrère. Au moins onze des cas de disparus documentés par Human Rights Watch venaient des environs de Derrière Rail et ont été vus pour la dernière fois à peu près à ce moment cet après-midi là.

Selon plusieurs témoins questionnés par Human Rights Watch, le Lieutenant Nyobo N'Guessan avait été tué dans la maison d'une famille Dioula après que lui-même et deux autres gendarmes aient tenté de pénétrer par la force à l'intérieur, pour fouiller les lieux à ce que l'on dit. Les membres de la famille qui étaient présents disent que le Lieutenant Nyobo N'Guessan a été accidentellement tué par les fils d'un vieil homme que le lieutenant était en train de frapper. Ils affirment que l'un des fils a attrapé une des armes du gendarme et une balle est partie.45 Ces assertions n'ont pu être vérifiées. Selon les habitants de Derrière Rail, la mort du gendarme a été suivie par le déploiement d'un grand nombre de gendarmes armés qui ont dès lors, de façon apparemment aléatoire, fouillé et arrêté des habitants. Survivants et témoins de la fusillade du camp de gendarmerie d'Abobo et de deux plus petites fusillades, respectivement de treize et d'au moins trois hommes, ont rapporté que les gendarmes, auteurs de la tuerie, ne cessaient de répéter qu'ils faisaient des victimes pour venger la mort de leur camarade gendarme.

Un homme qui vivait en face de l'endroit où le gendarme a été tué a décrit les événements dont il a été le témoin de sa maison:46

J'étais dans ma maison le jeudi 26 octobre lorsque, à environ13h05, mon frère est venu m'informer que les gendarmes étaient dans les parages et forçaient les portes dans le voisinage. Nous sommes restés à l'intérieur et nous avons regardé par la fenêtre pour voir ce qui se passait. Quelques minutes plus tard, j'ai vu le premier groupe de gendarmes descendre dans notre rue.

Ensuite, trois gendarmes sont entrés dans la maison d'en face- à peu près à dix mètres de l'endroit où je vivais. Une famille Dioula habite cette maison. D'abord ils ont cassé la porte puis ils sont entrés. Un moment après nous avons entendu un cri et un coup de feu. Nous avons appris plus tard que c'était un officier qui avait été tué dans la cour. Peu après le coup de feu, nous avons vu partir les deux autres gendarmes qui avait entré dans la maison.

Puis quinze ou trente minutes plus tard vers 14h15, un renfort de trois véhicules, dont une Jeep et une voiture blindée sont venus prendre le corps. A peu près une heure plus tard, un autre renfort est arrivé. Ils sont restés dans les environs forçant les portes des maisons et criant, `Vous êtes tous des membres du RDR, nous allons tous vous tuer.'

A ce moment j'ai vu beaucoup de personnes se faire frapper, beaucoup de maisons se faire forcer, et on nous a lancé beaucoup de gaz lacrymogène. C'étaient des gendarmes commandos avec des bérets rouges.

D'après de nombreuses interviews avec des victimes et des témoins de Derrière Rail, Human Rights Watch a établi la mort d'au moins dix-huit autres hommes tués lors de quatre incidents distincts. Toutes les victimes ont été entraînées hors de chez elles ou prises en détention alors qu'elles rentraient chez elles et fusillées dans le quartier. Beaucoup de victimes étaient des étrangers.

Un homme âgé d'origine malienne, apparemment arrêté parce qu'il portait une robe de musulman a fait partie d'un groupe de quatorze hommes qui ont été fusillés mais il a survécu. Son récit a été confirmé par plusieurs personnes vivant dans les environs de l'endroit où la fusillade a eu lieu. Il a raconté l'incident dont il affirme être le seul survivant:47

Le jeudi 26 octobre, vers quatorze heures j'ai quitté la maison pour aller faire une course. Sur le chemin, j'ai vu qu'il y avait des gendarmes partout autour. Une minute plus tard, ils m'ont vu et m'ont ordonné de venir vers eux. Ils m'ont dit qu'ils allaient me tuer parce que je suis un Dioula, parce que je suis un musulman. Je portais mon boubou et des babouches c'est ainsi qu'ils ont su que j'étais musulman. Après cela je me suis mis à courir à travers les voies ferrées mais j'ai malheureusement été attrapé par un autre gendarme. Je les ai supplié de me pardonner - je n'aurais pas dû m'excuser de quoi que ce soit mais je me suis dit que ma vie avait plus d'importance que ma fierté.

Le gendarme qui m'avait attrapé m'a dit de m'allonger sur la voie ferrée et les autres lui ont dit que non, que je devais joindre un groupe de prisonniers qui n'était pas loin. Pendant qu'on me menait à cet endroit, j'ai vu qu'il y avait treize prisonniers; en dépit de mon âge avancé, j'ai l'esprit vif et j'ai pris le temps de les compter. Nous étions entourés par les gendarmes et ils pointaient leurs pistolets sur nous. Lorsque je suis arrivé, ils m'ont demandé d'enlever mon boubou et de m'allonger dans l'herbe avec les autres.

Pendant que nous étions étendus là, les gendarmes nous ont demandé notre nationalité, c'est ainsi que j'ai su qu'il y avait aussi un Burkinabé et un Mauritanien parmi nous. L'un d'entre eux a dit `Vous êtes tous des RDR, vous êtes tous des Dioulas.' Ils nous ont battus pendant environ trente minutes. Ils nous ont donné des coups de pied et nous ont frappé avec l'épaisse boucle métallique de leurs ceintures rouges. Ils étaient particulièrement violents envers les hommes jeunes mais m'ont laissé tranquille parce que je suis âgé. Nous avons demandé pardon et leur ont dit que nous étions désolés. Un gendarme s'est approché et a dit, `Vous n'avez pas encore tué ces gens?'

Après environ trente minutes, un gendarme à la peau claire a dit encore, `Qu'attendez-vous, pourquoi n'en avez vous pas encore fini avec ces gens ? Ils sont tous des gens d'Alassane.' Puis il a ouvert le feu. Peut-être que d'autres ont tiré aussi. Je ne pourrais pas dire si c'était le cas. Mais je ce dont je suis sûr, c'est de cet homme à la peau claire. Il m'a semblé qu'il avait mitraillé pendant trois à cinq minutes.

Je ne sais pas pourquoi je n'ai pas été frappé. Peut-être parce que j'étais la seule personne âgée. Mais Dieu m'a sauvé. Un peu plus tard, un camion est venu ramasser les corps mais on m'a permis de partir. J'étais vraiment en état de choc.

Un vieil homme qui habite ce même quartier a été également témoin de la fusillade des treize hommes. Il a décrit l'opération de rassemblement des victimes et a entendu les gendarmes discuter de la mort de leur camarade. Il raconte:48

Le jeudi 26 octobre, un camion bleu utilisé par les gendarmes est arrivé ici et s'est garé juste devant ma maison et environ vingt gendarmes en sont sortis. Nous avions peur et nous avons tous couru à l'intérieur de nos maisons et avons fermé les portes. Pendant qu'ils se déployaient dans le voisinage, j'ai pu voir qu'ils avaient des AK-47.

Puis, environ une heure plus tard je les ai vu marcher sur la route avec douze jeunes hommes. Je les ai comptés pendant qu'ils passaient devant ma porte. Je n'ai pas compté les gendarmes mais il m'a semblé qu'il y avait un gendarme pour chaque prisonnier. Lorsqu'ils sont arrivés au coin de la rue, tout près de ma maison, j'ai pu voir que les gendarmes frappaient les prisonniers et j'ai entendu un gendarme dire, `un gendarme mort vaut cent RDR morts.'

Il y avait un groupe de cinq gendarmes qui avaient participé au passage à tabac et qui, peut-être parce qu'ils étaient fatigués, sont venus se reposer sous ma fenêtre. Je les ai entendu dire, `Nous viendrons à bout aujourd'hui de ces petits Dioulas. Lorsque le chef arrivera, je vais demander la permission de les briser.' Vers trois heures de l'après-midi après s'être reposés pendant plusieurs minutes, l'un d'eux dit, `Après tout cela pourquoi gardons-nous tous ces gens, pourquoi ne les a-t-on pas exécutés?' Un autre des cinq hommes lui dit qu'ils feraient mieux d'attendre et de ne rien faire- c'est le seul qui a tenté d'arrêter tout cela. Mais celui qui était impatient et qui avait la peau assez claire marcha vers les personnes allongées sur le sol et commença à tirer.

Celui que je pensais être le chef - il était, de toute évidence, habillé de façon différente; il avait un pantalon noir avec une ligne rouge, un T-shirt et un talkie-walkie et c'était le seul à avoir un pistolet- avait fait un tour plus tôt dans les environs et n'était pas là pendant la fusillade.

Plusieurs résidents d'une maison voisine de l'endroit où la tuerie décrite ci-dessus a eu lieu racontèrent comment un jeune passant Malien fut chassé puis abattu par les gendarmes. Le père de ce dernier, un homme âgé, a dit à Human Rights Watch qu'il avait par la suite dénombré dix-sept trous de balles dans le corps de son fils. Human Rights Watch a compté plus de vingt coups de feu pendant la scène.49

Tout à coup un jeune homme, qui saignait, a sauté par-dessus le mur et est arrrivé chez nous. J'ai entendu des cris puis des pas et quelques secondes plus tard un gendarme est passé par-dessus le mur après lui et criait `Où est-il?' J'ai nié avoir vu quiconque, mais le gendarme a suivi les traces de sang et a trouvé le jeune homme accroupi derrière une porte. C'est à peu près à ce moment que nous avons entendu frapper lourdement à la porte. Au début nous avons refusé d'ouvrir mais après que les gendarmes ont commencé à tirer des coups de feu sur le mur, nous avons ouvert la porte.

Puis sept gendarmes se sont précipité à l'intérieur pour faire sortir le jeune homme. Certains avaient de la craie noire sur leur visage. Tous avaient des AK-47 sauf celui qui semblait être le chef qui avait deux pistolets. J'ai vu que tous avaient deux `V' [sergent] sauf le chef qui avait une barre [sous-lieutenant]. Il était clair qu'il était le chef et qu'il donnait les ordres.

Une fois entrés, ils ont commencé à crier pour que nous sortions de nos chambres et l'un d'eux a pointé son pistolet sur mon frère et a demandé nos papiers d'identité. Après les avoir inspectés, il a dit `Vous êtes un Dioula, c'est vous que nous cherchons.' A ce moment, la petite amie de mon frère, ses s_urs et une autre femme ont commencé à supplier pour qu'on lui laisse la vie sauve. Sa petite amie a expliqué, `Je ne suis pas Dioula, je suis Guérré et il est le père de mes enfants. Je vis avec lui et je peux vous dire qu'il n'y a aucun problème avec lui.' Juste à ce moment, les autres gendarmes faisaient sortir le jeune homme par la porte, celui qui s'occupait du cas de mon frère a laissé tomber ses papiers d'identité et est sorti tuer le jeune homme. J'ai vraiment crû que nous allions tous être tués.

Ils criaient sur nous et ils hurlaient au jeune homme: `Vous êtes un RDR' et il continuait de répondre, `Non, je ne suis pas RDR.' Pendant que les gendarmes le faisaient sortir, il suppliait qu'on lui laisse la vie sauve et demandait pardon. Nous ne les avons jamais vus demander quoi que ce soit au jeune homme, pas même ses papiers. Ils lui ont dit ensuite de courir mais il était paralysé par la peur. Ils l'ont poussé du devant de la maison et tous les sept se sont mis en ligne et le chef - celui avec les deux pistolets, a donné l'ordre de tirer sur lui. Ils ont tiré et tiré encore.

Un conducteur de bus de cinquante-deux ans qui avait été capturé pendant qu'il rentrait de son travail à sa maison fut l'un des sept hommes fusillés dans un champ à proximité de la voie ferrée. Son ventre a été traversé par une balle et il a fait semblant d'être mort. Trois hommes sont morts sur-le-champ, les autres blessés ont été emportés.50

Aux environs de deux heures de l'après-midi, le jeudi [26 octobre], tandis que j'étais sur mon chemin pour rentrer chez moi, j'ai été interpellé par quelques gendarmes. J'ai vu qu'ils avaient capturé d'autres personnes qui se trouvaient rassemblées sur un côté. J'ai donné ma carte d'identité et mon permis de conduire à l'un d'eux et l'entendis demander à son chef, `Regarde, c'est un travailleur de la gare routière locale.' son chef a répondu, `L'endroit où il travaille m'est complètement égal, regarde juste d'où il vient.' Lorsqu'ils sont venus que j'étais un Dioula, le chef a dit, `Il est l'un de ces Burkinabé qui veulent brûler le pays et le donner à Alassane. Mais aujourd'hui, c'est nous qui allons mettre le feu.'

Après quelques minutes, les gendarmes qui étaient environ quinze, nous ont fait traverser la voie ferrée. Ensuite ils nous ont fait retirer tous nos vêtements et nous ont dit de nous allonger. Il y avait parmi nous au moins trois Maliens; deux frères et un homme plus âgé. Les deux frères ont essayé d'expliquer qu'ils venaient d'arriver par le bus en provenance de Dalao pour rendre visite à leurs parents. Ils avaient encore leurs valises. Mais les gendarmes n'avaient pas de temps pour les explications. Il nous ont frappé à cet endroit pendant près de deux heures. Ils ne cessaient de dire qu'un de leurs chefs avait été tué et que certaines de leurs armes avaient été volées. Pendant qu'ils nous frappaient nous pouvions entendre de nombreuses fusillades. Je les ai vu tirer dans des maisons. C'était comme s'il y avait une guerre.

Ensuite autour de seize heures, ils nous ont dit de nous allonger le visage au sol et ont dit, `C'est votre tour maintenant- regardez le ciel et la terre et dites adieu parce que nous allons en finir avec vous.' Les gendarmes nous entouraient; il n'y avait pas moyen de s'échapper. Allongé, je me suis donné à Dieu. Mais tout ce que je voulais faire était de leur demander la permission de dire adieu à mes enfants et à ma femme. Je pouvais entendre les deux frères maliens réciter leurs prières à voix basse, `Il n'y a qu'un Dieu,' et la fusillade a commencé.

Plusieurs détenus du camp de gendarmerie d'Agban ont rapporté que la torture dans le camp a empiré après que la nouvelle de la mort d'un gendarme ait été connue dans le camp. Un membre du RDR qui avait été mis en détention plus tôt dans la journée décrivit:51

Sur le talkie-walkie de l'un des gendarmes nous avons entendu quelque chose à propos d'un autre gendarme tué à Derrière Rail. Après cela tout est devenu absolument incontrôlable. Un des gendarmes a crié, `Vous avez entendu cela! Un de nos officiers en vaut cent comme vous.' Puis un autre gendarme a menacé, `Vous pouvez faire vos dernières prières.' C'est à ce moment qu'ils ont commencé à nous brûler. Puis tout à coup sept autres gendarmes sont arrivés au camp et sont devenus fous; ils étaient comme sauvages, nous frappant et marchant sur nous et disant qu'ils allaient nous tuer. Un autre gendarme devenait sauvage, lui aussi, menaçant de nous tuer parce que l'un de ses amis gendarmes était mort.

Le Charnier de Yopougon
Dans une tentative de restaurer le calme après un jour de terribles violences, deux officiers de haut rang du RDR et du FPI apparurent à la télévision nationale au soir du 26 octobre 2000, et demandèrent à leurs militants de cesser les protestations et d'arrêter la violence.52 Le 27 octobre 2000, Ouattara reconnut Gbagbo comme président et le rencontra dans une volonté de continuer à apaiser les tensions. Ouattara refusa néanmoins de participer au nouveau gouvernement, insistant sur le fait que `Notre priorité est d'enterrer nos morts.'53 Toute pensée de réconciliation fut, en tout état de cause, différée par la découverte des victimes d'un massacre commis par les forces de sécurité.

Le 27 octobre en fin d'après-midi, les corps criblés de balles de cinquante-sept jeunes hommes furent retrouvés, entassés en deux monceaux dans une forêt bordant les faubourgs de Yopougon. Après avoir parlé avec deux survivants et plusieurs témoins des événements entourant le massacre, les chercheurs de Human Rights Watch établirent la certitude que les gendarmes du camp de gendarmerie d'Abobo étaient directement responsables de la tuerie. Cet incident est la pire atrocité commise pendant la période des élections.

Le massacre du 26 octobre 2000 s'est déroulé en deux étapes. La première est l'exécution de détenus au camp de gendarmerie du camp Abobo, où des jeunes hommes ramenés du voisinage d'Abobo ont été pris pendant la matinée et le début de l'après-midi du 26 octobre 2000. Avant la fusillade, les détenus ont été victimes de brutalités ou de tortures comparables à celles qui ont été rapportées concernant l'école de police et le camp de gendarmerie d'Agban. Vers trois heures de l'après-midi alors qu'une ambulance transportant le corps du lieutenant Nyobo N'Guessan arrivait dans le camp, au moins deux gendarmes ouvrirent le feu sur les détenus qui y étaient retenus, tuant entre trente et quarante personnes.

La seconde étape indique que ce fut une opération savamment orchestrée. Des gendarmes bien armés ont été déployés dans une zone bordant le camp de gendarmerie d'Abobo et ont rassemblé entre huit et trente jeunes hommes qui furent utilisés comme "porteurs " pour charger les morts sur un camion et ensuite disposer les corps dans la forêt. Les "porteurs " ainsi que tous les survivants furent fusillés, bien que certains ne furent pas tués. Les survivants ont décrit la présence d'un camion, de deux Jeep et la participation d'une trentaine de gendarmes dans cette opération.

A ce moment le camp de gendarmerie d'Abobo était sous le commandement du Capitaine commandant Be Kpan. S'il n'apparaît pas qu'il ait donné l'ordre à ses hommes d'exécuter les détenus dans l'enceinte du camp, il doit porter la responsabilité de ne pas avoir mis fin à la première fusillade ou de ne pas avoir pris de mesures contre les gendarmes impliqués, ainsi que la responsabilité de la seconde partie du massacre qui nécessitait une élaboration et un support logistique.

Un homme de vingt et un ans détenu par les gendarmes le 26 octobre puis emmené au camp de gendarmerie d'Abobo raconte comment il a été témoin de la fusillade de quelques trente ou quarante autres détenus dans le camp. Il a ensuite été emmené dans une forêt de la banlieue d'Abidjan où près de quinze autres hommes furent tués. Il a raconté son histoire:54

Je suis un membre du parti et un militant RDR. Le jeudi 26 octobre au matin, autour de huit heures, j'ai quitté mon domicile d'Abobo pour participer à une marche pro-RDR pour protester contre les résultats des élections. Mais, près du Centre Culturel d'Abobo, nous avons rencontré un groupe de gendarmes qui nous ont arrêtés et mis en détention, moi et environ vingt autres militants du RDR. Ils ne nous ont demandé pas nos papiers. Nous avons vraiment été gravement battus là-bas et nous avons ensuite été conduits au camp commando d'Abobo.

Au moment où nous sommes entrés vers dix heures, un gendarme nous a dit, `Dites vos dernières prières.' Lorsque nous sommes arrivés, il y avait déjà huit ou neuf autres détenus. Je pouvais voir qu'ils avaient été frappés, violemment frappés. Dans les minutes et heures qui ont suivi plusieurs autres groupes ont été amenés au camp. Nous étions presque tous des Dioulas.

Dans le camp commando, j'ai rencontré un de mes amis, S. qui me dit avoir été arrêté pendant qu'il se promenait près du camp. Il m'a raconté qu'après l'avoir interpellé, ils lui ont demandé ses papiers et lorsqu'ils ont vu qu'il était Dioula, ils l'ont arrêté sur-le-champ. Il y avait aussi deux adolescents, l'un était un lycéen de treize ou quatorze ans encore en uniforme d'école, et l'autre, un jeune Béninois d'environ quinze ans.

Ils ont commencé à nous frapper dès que nous sommmes descendus du camion. Ils nous ont ordonnés de nous allonger et nous ont fouettés avec leurs ceintures rouges. A un moment ils nous ont jeté un seau d'eau mélangée à du piment fort et les gens se sont mis à hurler de douleur au moment où le liquide se répandait dans les plaies ouvertes. Puis, vers une heure de l'après-midi, on nous a dit de nous allonger sur le dos et de tourner nos têtes vers le soleil. C'était une nouvelle torture lorsqu'ils se sont mis à jeter du gaz lacrymogène et nous ont interdit de bouger.

Ensuite, vers 15h-15h30 (c'était juste après l'appel à la prière de l'après-midi d'une mosquée voisine), j'ai entendu une sirène et j'ai vu une voiture pénétrer par l'entrée principale du camp. Quelques gendarmes sont sortis de la voiture et ont commencé à crier, à hurler et à pleurer. Puis un des gendarmes en bleu a commencé à tirer sur nous. D'abord il a tiré sur trois personnes qui venaient d'être arrêtées avec un pistolet. C'était à moins de cinq mètres de l'endroit où j'étais assis.

Ensuite d'autres gendarmes ont commencé à nous tirer dessus. Ils hurlaient d'une façon sanglotante et colérique. Ils étaient incapables de contrôler leurs émotions. L'un d'eux nous a dit `Nous allons tous vous tuer; si les nôtres viennent à mourir nous vous tuerons.' Tandis qu'ils tiraient, je me suis allongé et j'ai fait semblant d'être mort. Le jeune Béninois a été touché; allongé au-dessus moi, il pleurait, `Pardonnez-moi, ayez pitié de moi.' Je pouvais voir que mon ami S. avait été touché à la jambe, à la gorge et à la poitrine. Ensuite [un gendarme] qui était à quelques mètres de là a dit, `Oh alors vous n'êtes pas tous morts' et j'ai essayé de faire semblant d'être mort.

Nous étions tous étendus là, les mourants respiraient bruyamment. J'ai pu entendre un garçon venant du Bénin dire d'une voix éteinte, `Donnez-moi de l'eau, j'ai si soif, apportez-moi de l'eau.' Après la fusillade il y avait environ trente morts ou mourants, et d'autres étaient gravement blessés. Environ dix étaient légèrement blessés.

Ensuite, environ une heure plus tard, un nouveau groupe de prisonniers a été amené. Puis on a ordonné à ces prisonniers ainsi qu'à ceux d'entre nous qui n'étaient pas blessés de charger les corps sur un grand camion bleu. J'ai mis une personne dans le camion puis je suis resté là en essayant de ne pas me faire remarquer.

Puis, vers dix-huit heures, nous sommes partis. Il y avait une quinzaine de gendarmes dans le camion. Ils portaient l'uniforme complet du commando et plusieurs avaient des cartouchières enroulées autour de leurs tailles. Nous nous sommes dirigés vers le Nord en direction de la prison de Yopougon et ceux d'entre nous qui étaient encore vivants ont commencé à se parler en chuchotant se demandant s'ils allaient nous tuer ou nous emmener à la prison [Yopougon]. Mais dans l'ensemble nous étions plutôt silencieux. Il y avait au total une trentaine ou une quarantaine de gendarmes qui participaient à l'opération.

Puis nous sommes arrivés. Nous étions terrifiés. Ils nous ont ordonné de décharger les corps. J'étais à l'arrière du camion et j'ai tenté d'y rester aussi longtemps que possible. Ensuite, ils nous ont ordonné de venir nous asseoir près des morts et des mourants. Plusieurs d'entre nous se sont allongés et ont fait semblant d'être morts. J'ai été chanceux parce que je me suis allongé le premier et deux autres étaient au-dessus de moi. Il semblait que les morts avaient été séparés des blessés, peut-être pour faciliter l'exécution des survivants. Je me souviens les avoir entendus se parler, `Pourquoi est-ce seulement maintenant que vous contestez les élections, vous autres gens du Nord ? Il y a trois semaines vous ne disiez rien. Maintenant que le général est parti et comme Gbagbo est un civil, vous croyez que vous avez des chances de l'emporter.' Puis plusieurs d'entre eux, je n'ai pas vraiment pu les compter, se sont mis en formation devant nous, nous les avons entendu charger leurs fusils et le tir a commencé. Le garçon qui se trouvait au-dessus de moi a reçu beaucoup de balles. Il criait lorsque les balles le touchaient puis il a commencé à grogner et à respirer bruyamment.

Après quelques minutes de fusillade, certains d'entre eux ont circulé pour achever les survivants. Puis quelqu'un a marché près de l'endroit où je me trouvais et s'est arrêté, remarquant que le jeune homme au-dessus de moi respirait encore. J'ai essayé désespérément de contrôler ma respiration pour qu'ils ne me remarquent pas. C'est au moment où ils l'achevaient que j'ai été touché. [On lui a tiré une fois dans le bras].

Alors j'ai entendu l'un d'eux dire, `Brûlons tous les corps,' et un autre a dit `Non, ils sont tous morts.' Ensuite j'ai entendu le camion et les Jeeps partir. J'étais étendu là et après quelques minutes j'ai vu quelqu'un se lever de la pile de corps. Quelques autres commençaient à dire, `Aidez-nous, aidez-nous.' Mais ils étaient mourants et sont redevenus silencieux peu après.

Un autre survivant, l'un des huit jeunes capturés pour charger les morts et les blessés sur un camion de gendarmes, décrivit sa capture et l'expérience qui s'ensuivit:55

J'étais chez moi aux environs de quatre heures de l'après-midi le jeudi 26 octobre, lorsqu'un ami est venu me rendre visite. Nous avons parlé un moment et j'ai décidé de le raccompagner chez lui. A ce moment, tout était calme et les émeutes du matin s'étaient calmées. Tandis que nous marchions, il a suggéré que nous allions rendre visite à un autre ami qui vivait non loin de là dans un quartier d'Abobo nommé Gros Pine; ce que nous avons fait. Là, nous étions plusieurs, tous dans la même parcelle à boire du thé et à écouter de la musique. Nous étions huit au total. Nous étions tous Ivoiriens.

Soudain nous avons vu cinq gendarmes prendre la parcelle d'assaut. L'un d'eux est venu directement dans la pièce où nous nous trouvions, et environ cinq autres sont restés près de la porte. Ils nous ont demandé nos papiers, que nous leur avons montrés, puis le chef nous a ordonné de sortir et de nous asseoir. J'ai entendu un gendarme nous demander si nous étions des Dioulas et nous avons répondu oui. Ils étaient tous armés avec des pistolets, des fusils et au moins un d'entre eux avait une mitraillette avec une cartouchière enroulée autour de ses épaules. Ensuite ils nous ont fait enlever nos vêtements et il nous a conduit tous les huit en file à travers la cour et dans la rue, nous étions complètement nus; il y avait deux gendarmes devant et deux derrière. Tandis que nous étions emmenés nos mères et nos s_urs pleuraient et suppliaient qu'ils nous relâchent. Certains de nos voisins souriaient d'un air narquois ou riaient. Il faut environ dix minutes de marche pour arriver à leur camp, Camp Commando; tandis que nous nous approchions, le gendarme aux cartouchières a dit `Vous verrez bientôt les Dioulas que nous avons déjà tués et nous allons vous tuer aussi.' Aussi pendant que nous marchions, ils se sont arrêtés dans une autre maison sur le chemin -je n'en connaissais pas le propriétaire- et ont demandé ses papiers d'identité à un homme à l'intérieur, mais il n'était pas Dioula alors ils ne l'ont pas pris.

Tandis que nous nous acheminions vers Camp Commando, il y avait un autre groupe de quatre ou cinq jeunes hommes, également nus, qui étaient conduits dans le camp par un autre groupe de gendarmes. Lorsque nous sommes arrivés dans le camp, dans la cour juste après l'entrée du camp, sur la gauche, nous avons vu de nombreux blessés entassés les uns sur les autres; peut-être une vingtaine. Beaucoup étaient complètement nus d'autres ne portaient pas de chemise. Nous avons entendu des gémissements et des pleurs; beaucoup ne bougeaient pas vraiment. Et en face de la porte se trouvaient les morts tous étendus côte à côte certains étaient allongés sur le dos, d'autres sur le ventre, certains étaient nus et les autres ne portaient pas de chemise. Je ne puis pas dire exactement combien ils étaient mais ils étaient au moins quinze.

Après avoir vu cela, un groupe de gendarmes a dit à ceux qui nous avaient emmenés de nous faire sortir par l'arrière. Ils nous ont fait nous allonger sur le ventre. Tandis que nous étions étendus, un groupe de gendarmes, différent de celui qui nous avait emmenés là, a commencé à nous frapper. Pendant que nous étions allongés sur le ventre et au milieu des brutalités, un gendarme qui je crois était également un chef a dit `le travail n'est pas encore terminé' et criant comme s'il était en colère continua `Vous avez tué l'un de nos collègues.' C'est la seule fois qu'il dit cela. Je ne savais pas de quoi il parlait.

Ensuite...après le passage à tabac, il était environ cinq heures de l'après-midi à ce moment-là, j'ai seulement entendu une voix - je n'ai pas vu de visage parce que j'avais le visage tourné vers le sol- nous disant de nous lever puis quelques gendarmes nous ont conduit à l'endroit où se trouvaient les corps. L'un d'eux nous dit `ramassez les corps' et on nous a fait comprendre qu'il fallait prendre les corps des morts et des mourants et les mettre dans un grand camion bleu. Nous étions deux par deux pour prendre les corps et les porter au camion. S'ils étaient trop lourds, nous les tirions simplement. Je ne peux pas dire avec certitude combien ils étaient, mais mon partenaire et moi en avons transporté cinq. Il y avait beaucoup de monde pour transporter les corps, nous huit et un autre groupe d'environ cinq personnes qui est arrivé après nous. Et peut-être quelques autres qui étaient déjà au Camp Commando lorsque nous sommes arrivés. Il semblait que nous étions une vingtaine à porter les corps.

C'est pendant que je faisais cela que j'ai pu bien voir leurs blessures - il semblait qu'ils étaient tous morts de blessure par balle. J'ai vu que l'un d'eux avait des blessures provoquées par balle dans les jambes, une autre dans la poitrine, une autre dans la tête.

Une fois les corps chargés, on nous dit de monter dans le camion avec tous les morts et les blessés, puis le camion est parti. Il était autour de six heures du soir. Il y avait beaucoup de gendarmes avec nous dans le camion et il y avait une Jeep bleue devant nous et une autre Jeep derrière. J'étais terrorisé. Nous avons d'abord cru qu'ils pourraient nous emmener à la prison de Yopougon. Il n'y avait pas de bruit. Personne ne parlait.

Puis, à proximité de la prison nous avons tourné sur un petit chemin de terre et avons roulé pendant quelques minutes. Les voitures se sont arrêtées et les gendarmes nous ont dit de descendre et de décharger les corps, ce que nous avons fait; encore une fois deux par deux. Nous avons porté les corps à environ quatre ou cinq mètres de l'endroit où se trouvait le camion. Après avoir déchargé un corps- c'est à dire après le premier voyage - je me suis allongé le visage vers le bas au milieu des corps morts et j'ai fait semblant d'être mort puis les autres ont commencé à mettre des corps au-dessus de moi. J'ai entendu qu'on donnait l'ordre de mettre les morts à un endroit et les blessés à un autre. Puis j'ai entendu qu'on donnait l'ordre à tous les `porteurs' de s'asseoir; je crois près de là où se trouvaient les blessés. Je n'ai pas pu voir qui avait donné l'ordre- puis j'ai entendu les coups de feu.

Avant cela, personne n'avait rien dit, personne n'a supplié qu'on lui laisse la vie sauve. Je crois que les blessés et ceux qui étaient toujours vivants ont été achevés au pistolet parce que je pouvais distinguer le bruit rapide des carabines (peut-être était-ce même des mitraillettes) du son lent et des tirs isolés des coups de pistolet. Je ne pouvais pas dire qui dirigeait les opérations; j'ai manqué beaucoup de choses parce que j'étais face à terre. Après cela j'ai attendu jusqu'à ce que j'entende les camions partir puis je me suis levé du tas de corps morts et je suis parti.


Violences Collectives
Les combats opposant des membres des partis politiques FPI et RDR ont causé la mort de nombreuses personnes. Si au départ il s'agissait de simples contestations politiques, le fait que les militants des deux camps soient armés de bâtons de bois, de machettes, de barres de métal, de matraques hérissées de clous, de pierres et dans quelques cas de fusils automatiques et de fusils de chasse a fait évoluer la situation en bataille rangée. Celle-ci a ensuite dégénéré en véritable guérilla urbaine où les adversaires étaient souvent choisis en raison de leur appartenance ethnique ou religieuse. Des jeunes, pour la plupart dés_uvrés et sans étiquette politique, sont parfois venus grossir les rangs des deux formations politiques. Les affrontements sanglants qui suivirent furent caractérisés par des tensions religieuses et ethniques, en effet, les adhérents du RDR - en majorité des musulmans d'un groupe ethnique du Nord du pays- affrontaient les adhérents du FPI, qui sont pour la plupart des chrétiens issus des ethnies de l'Ouest et du Sud du pays.

Les subdivisions des quartiers d'Abidjan sont largement calquées sur les limites ethniques, c'est pourquoi au fur et à mesure que la tension montait au cours de la journée du 26 octobre, des hommes venus de tous côtés mirent en place des unités de défense de voisinage afin de protéger leurs familles et leurs propriétés des attaques menées par les bandes rivales. Dans l'après-midi, après que la police et les gendarmes se soient déployés dans toute la ville, les adhérents du RDR et les Dioulas du Nord se sont réfugiés dans leurs maisons. Les résidents des quartiers Agi, Aboulé, Bété et Ébrié sont quant à eux restés dans les rues, dans certains cas ils s'en prirent aux Dioulas du Nord et aux musulmans qui croisaient leur chemin.

L'acte le plus violent de ces affrontements eut lieu le 26 octobre 2000 dans le village de Blokosso: six hommes dont un Guinéen perdirent la vie. Le quartier de Blokosso est un des plus vieux quartier d'Abidjan et sa population est essentiellement composée de ressortissants de la tribu Ébrié, descendants des premiers habitants de la capitale Abidjan.

Sur un côté, le quartier est en contact direct avec la maison d'Ouattara, dirigeant RDR, point de rencontre pour des centaines d'adhérents du RDR, dont les chasseurs traditionnels Dozos qui assurent la sécurité de la maison.

Les affrontements entre les membres des deux communautés débutèrent dans la soirée du mercredi 25 octobre, immédiatement après que Gbagbo se fut proclamé lui-même Président. Le lendemain, la communauté Ébrié érigeait des barricades à l'entrée de leur quartier pour empêcher les adhérents du RDR de pénétrer à l'intérieur. Alors qu'ils étaient à l'_uvre accompagnés par une patrouille de gendarmes, des supporters du RDR ont commencé à s'alarmer. Des combats s'en suivirent et des militants du RDR ainsi que des Dozos se dirigèrent vers le quartier armés de pistolets, de fusils de chasse et de fusils automatiques. Au cours de ces événements, des militants RDR mirent le feu à une voiture située à l'intérieur du terrain d'une église catholique locale, détruisirent des biens privés, et blessèrent grièvement un jeune garçon de quatorze ans. Des témoins affirment avoir vu l'adolescent être touché alors que les adhérents du RDR ouvraient le feu sur le quartier sans distinction. À midi, un certain nombre de résidents de Blokosso décidèrent d'évacuer le quartier jusqu'à ce que la situation redevienne normale.

C'est alors qu'ils prenaient la fuite que cinq témoins interrogés par Human Rights Watch ont vu les corps de cinq jeunes et ont assisté à la mise à mort d'un jeune Guinéen. Quelques divergences demeurent quant au nombre de morts. La Croix Rouge ivoirienne a déclaré à Human Rights Watch que le même jour aux environs de 16 heures, elle évacuait du rond-point de Blokosso un homme gravement blessé et comptait sept corps.56 D'autres personnes interrogées portent à six le nombre de morts.

Il reste encore à déterminer si les victimes étaient des militants du RDR qui se repliaient sur la maison d'Ouattara, des adhérents du RDR traversant le quartier ou bien des civils sans couleur politique pris pour cible sur le simple motif de leur appartenance nationale, ethnique ou religieuse. On pouvait voir sur les corps des blessures faites à la fois par des balles et par des machettes ou des couteaux.

Trois témoins entendus par Human Rights Watch affirment avoir reconnu des jeunes du quartier armés de couteaux, de machettes et de pierres prendre part à l'assassinat de deux des jeunes. Ces témoins affirment également que les forces de sécurité se trouvaient dans cette zone à peu de temps de l'incident. Voici ce que raconte l'un des témoins interrogé par Human Rights Watch:57

Jeudi matin, j'ai vu quelques jeunes qui patrouillaient dans le village Ébrié par groupes de trois ou quatre. Certains d'entre eux portaient des bandanas sur le visage et d'autres avaient le visage recouvert de peinture blanche. Ils avaient des machettes, des couteaux, des pierres et des haches.

À approximativement 11 heures du matin, sur le rond-point, j'ai vu quatre corps sur le rond-point, éparpillés le long du cercle. L'un d'eux avait une flaque de sang sous la tête comme si sa tête avait été écrasée par une pierre. Ensuite, j'ai vu le Guinéen se faire trancher la gorge. Je le connaissais, il tenait un petit café à Blokosso. J'ai vu trois jeunes qui se tenaient autour de lui, l'un d'eux lui a coupé la gorge par derrière avec un long couteau. Un autre homme que je ne connaissais pas était étendu à côté du Guinéen à moins d'un mètre de lui, lui aussi semblait avoir la gorge tranchée. Les deux hommes saignaient de partout et on aurait dit qu'ils avaient été battus avec des matraques et des pierres. Lorsque j'ai quitté cette zone, j'ai vu sept ou huit des attaquants grouiller autour de l'endroit.

Des civils de la communauté Ébrié d'Anonkoua ont perpétré plusieurs attaques contre des manifestants RDR, des civils musulmans vêtus de djellabas et ceux qu'ils soupçonnaient d'être des Dioulas du Nord ou des étrangers.

Le 26 octobre 2000, un charpentier âgé de quarante deux ans dont le nom de famille vient du Mali était brutalement attaqué par une bande venue d'Anonkoua brandissant des machettes. À cause des coups qu'il a reçu et de ses plaies, cet homme a du être amputé sous le genou et a presque perdu la vue. De son lit d'hôpital, il décrit ce qui lui est arrivé:58

Je rentrais du travail vers entre deux et trois heures de l'après-midi. D'habitude, je rentre en suivant la grande route, mais à cause des manifestations j'ai préféré marcher à travers le quartier résidentiel `Village Ébrié.' Je suis tombé sur une barricade où ils m'ont demandé mes papiers d'identité. Au début ils m'ont laissé passer, mais après quelques mètres, l'un d'eux a sifflé et alors une trentaine d'entre eux m'ont entouré. J'ai entendu quelqu'un qui disait : `Cet homme est un Malien.' J'en ai même reconnu trois que j'avais l'habitude de saluer quand il m'arrivait de passer dans le quartier. Ils m'ont demandé 1.000 CFA [U.S.$1.40] j'ai sorti mon argent et je leur ai donné ce qu'ils demandaient, mais ils ont pris tout ce que j'avais, à peu près 45.000 CFA [U.S. $61.00]. Ensuite ils m'ont attaqué, ils ont commencé à me battre de partout avec des machettes, des bâtons, des pierres. Ils ont frappé ma jambe plusieurs fois avec une machette et ils cognaient ma tête. J'étais au sol. Je ne comprenais pas ce qui se passait. J'étais seul et je criais, mais ils ont continué et continué. Ensuite, j'ai du m'évanouir, on m'a dit plus tard qu'on m'avait jeté dans le caniveau et que deux hommes qui me connaissaient m'avaient levé et emmené à la clinique.

Voici comment un des jeunes Ébriés d'Anonkoua présent sur les barricades en octobre décrit la situation. Il pensait agir en état d'autodéfense.

Il y a eu des problèmes depuis le 24 octobre. Le 26, nous, du `Village Ébrié,' on a décidé de prendre nous-mêmes en main notre sécurité. Le jeudi 26 octobre à environ neuf heures du matin, le RDR a débuté sa marche d'Anyama, j'ai vu qu'ils étaient environ 500 et qu'ils étaient armés de bâtons, de pierres, de machettes...ils réclamaient de nouvelles élections.

Quand la manifestation est arrivée à Anonkoua, ils ont commencé à brûler des pneus et nous avons eu peur. Les manifestants nous ont demandé à quel parti nous appartenions et si nous ne répondions pas RDR, ils nous attaquaient. Ces gens sont comme les Palestiniens avec leurs pierres. Ils nous ont attaqués et nous nous sommes réfugiés dans nos maisons. Nous avons pris nos fusils et nous avons commencé à tirer sur les manifestants RDR.

J'ai vu un membre du RDR qui avait reçu une balle dans la poitrine. Après ça, nous, les Ébriés, avons mis en place un point de contrôle, on a commencé à contrôler les cartes d'identité de tous ceux qui passaient. Ceux qui avaient des noms du Nord, un nom Dioula, étaient brutalisés. J'ai vu un homme qui portait des habits musulmans être attaqué et battu avec un marteau.

Même les blessés ne furent pas épargnés par cette violence ethnique. Blessé par des gendarmes pendant les affrontements d'Abobo le 26 octobre, un jeune homme âgé de vingt-trois ans, décrit de son lit d'hôpital comment lui et son docteur ont été attaqués par une bande FPI alors qu'ils se rendaient à l'hôpital:59

J'étais parti acheter du pain lorsque la panique a éclaté. Alors que j'étais caché dans une allée, j'ai vu à environ 30 mètres un gendarme qui tirait droit sur moi. J'ai été touché. Sur le chemin de l'hôpital, près de l'Université, nous avons été stoppés par une bande composée de FPI et de jeunes étudiants portant des bandeaux blancs et des tee-shirts à l'effigie de Gbagbo. Ils étaient armés de barres de métal, de couteaux, de pierres et de bâtons. Ceux qui m'accompagnaient expliquèrent que j'étais blessé et que nous allions à l'hôpital. Ils ont répondu: "On s'en fiche, tout ce qu'on sait c'est que vous êtes tous des Dioulas.' Ils savaient que nous étions Dioulas parce qu'à un moment ils avaient entendu mes amis échanger quelques mots en Dioula. Ils nous ont tiré hors de la voiture et ensuite ils nous ont battus, moi y compris. Ensuite, ils ont cassé les vitres de la voiture et y ont mis le feu avec de l'essence qu'ils avaient avec eux dans des bidons. Nous les avons suppliés de nous laisser partir mais ils nous ont battus, ont volé nos montres et nos colliers. Le docteur s'est mis à courir et alors un de mes amis m'a pris sur son épaule et on a couru aussi.


Lors des manifestations du 26 octobre, des partisans du FPI, des fonctionnaires ainsi que des membres des communautés appuyant Laurent Gbagbo ont été attaqués par des bandes agressives du RDR et ce essentiellement dans les bastions RDR d'Anyama et d'Abobo. À Anyama, un fonctionnaire a été brûlé vif, des membres du FPI ont été rués de coups, des maisons ont été saccagées et des magasins pillés par des hommes du RDR. À Abobo, de petits groupes de partisans du RDR ont traversé le quartier saccageant ça et là, à la recherche de non-Dioulas. Parmi ceux qu'ils trouvaient, beaucoup ont été sérieusement battus, lapidés ou coupés avec des tessons de bouteilles. Ils ont forcé l'entrée des maisons des adhérents du FPI et du PDCI, demandant les papiers d'identité et beaucoup ont eu leurs maisons ou leurs biens saccagés. Au moins une femme a été déshabillée et tirée hors de chez elle par les cheveux pour être ensuite sévèrement battue. Nombre de non-Dioulas des quartiers touchés ont fui par peur. À Yopougon, les bandes du RDR ont brûlé une église évangélique et menacé le pasteur de mort, ceci soi-disant en réponse à une attaque du FPI contre une mosquée.

Un habitant d'Anyama décrit la façon dont, armés de bâtons et de pierres, des militants RDR qui participaient à la manifestation ont érigé des barricades, saccagé des étalages du marché et brûlé vif un fonctionnaire après l'avoir arrêté à un contrôle.60

Le jeudi (le 26 octobre) je suis sorti acheter le journal pour lire les articles sur la victoire de Gbagbo. Devant le kiosque, j'ai vu des adhérents du RDR qui bloquaient la rue avec des tables qu'ils avaient prises aux marchants. Aux environs de 7 heures et demi, 8 heures du matin, une moto avec deux hommes à bord a tenté de franchir le barrage. C'étaient mes collègues, tous les deux étaient des fonctionnaires qui travaillaient au Bureau des Eaux et Forêts. Rien ne s'est produit à ce moment-là.

Environ trente minutes après, l'un d'eux est revenu après avoir déposé son ami et à ce moment-là, la route était totalement bloquée. La situation était vraiment tendue, la foule RDR était agitée, ils lui faisaient des signes de faire demi-tour, mais il a essayé quant même de passer au travers. Alors les gens du RDR l'ont forcé à descendre de la moto en le tirant par sa chemise et ont commencé à le battre. Ceux d'entre nous qui regardaient la scène ont été effrayés et sont rentrés chez eux.

Un autre témoin caché à l'étage supérieur d'un immeuble voisin raconte ce qui s'est passé ensuite:61

Jeudi matin, j'étais dans mon bureau au dernier étage du bâtiment. De là, je pouvais voir le RDR qui manifestait dans la ville et la barricade qu'ils avaient construite. Un homme est arrivé sur une moto, il voulait passer de l'autre côté. J'ai pu voir qu'ils lui criaient après. Ils l'ont fait descendre de sa moto et ils l'ont battu. Je crois qu'il était évanoui au moment où ils ont versé l'essence de sa moto sur lui et qu'ils y ont mis le feu. Il a complètement brûlé. Plus tard, nous avons appris qu'il s'agissait d'un fonctionnaire. Je sais qu'ils s'en sont pris à lui parce qu'il venait de l'Ouest et qu'il était pro-FPI.

À Abobo, des membres des partis de l'opposition du PDCI et du FPI ont décrit comment des bandes RDR s'en sont pris aux Bétés qu'ils avaient recherchés. Une femme de vingt-deux ans d'Abobo a expliqué la façon dont sa maison avait été forcée par une bande RDR qui l'avait ensuite brutalisée elle et sa famille après avoir découvert un portrait de Gbagbo dans leur séjour :62

Le jeudi matin, des gens du RDR ont attaqué notre maison. Ils avaient des bâtons et des bouteilles. À la fin, ils ont enfoncé notre porte à coups de pied. Ils criaient qu'ils étaient des Bétés (le groupe ethnique de Gbagbo) et ont demandé à voir nos papiers d'identité. Mes frères ont répondu que nous ne votions même pas et que nous étions des Baoulés et pas des Bétés. Les intrus ont répliqué que nous étions tous les mêmes, que nous faisions partie de ceux qui se réjouissaient de la victoire de Gbagbo aux élections. Puis, l'un d'eux a aperçu une photo de Gbagbo dans le séjour et a dit qu'ils n'avaient pas besoin de chercher plus loin. Ils se sont tournés vers moi. Ils ont jeté à terre mon fils de deux ans que je tenais dans les bras. Puis l'un d'eux m'a sauté sur le dos et je suis tombée à terre. L'un d'eux tirait mes cheveux par derrière et a commencé à enlever mes habits y compris mes sous-vêtements.

Ils m'ont tirée hors de la maison par les cheveux et ils disaient qu'ils allaient nous tuer. C'est alors que mon père est sorti avec son fusil et qu'il a tiré en l'air. La foule s'est dispersée après ça. Nous vivons dans un quartier à majorité RDR, mais avant il n'y n'avait jamais eu de problème avec les Dioulas ou les gens du RDR. Cette nuit-là on a quitté la maison et passé la nuit à la gendarmerie.


11      "Côte d'Ivoire", dans le Country Reports on Human Rights Practices 2000 du Department of State des USA (Washington, D.C. Department of State des USA, Bureau de la démocratie, des droits de l'homme et du travail, février 2001).

12      Séquences de télévision de la conférence de presse avec Gbagbo, Reuters 24 octobre 2000.

13 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 6 novembre 2000.

14 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 15 décembre 2000.

15 Interview de Human Rights Watch, avec douze victimes et témoins, Abidjan, le 4-19 novembre 2001.

16 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 9 novembre, 2000.

17 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 9 novembre, 2000.

18      Douglas Farah. "Violence Greets Ivory Coast Leader", Washington Post, 7 octobre 2000.

19      "Ethnic, Political Battles Erupt in Abidjan", Associated Press, 26 octobre 2000.

20      "Gbagbo's Address to the Ivorian Nation", site Web de la BBC, 25 octobre 2000.

21      "Ouattara Takes Refuge After Attack on Abidjan Home", Reuters, 26 octobre 2000.

22      "Gbagbo to Form Ivorian Government Without Ouattara", Reuters, 27 octobre 2000.

23      Norimitsu Onishi, "Dictator Gone, Ivory Coast Splits into Ethnic and Political Violence", New York Times, 27 octobre 2000.

24     "Ethnic Wounds hard to Heal in Ivory Coast", Reuters, 7 novembre 2000. Le gouvernement a estimé que le nombre total des morts dans tout le pays relativement à la violence qui eut lieu à la suite de l'élection présidentielle s'élevait à environ 170. Ceci pourrait être une sous-estimation. Dans une interview avec la Croix Rouge ivoirienne le 6 novembre 2000, Human Rights Watch a appris que dix-sept personnes étaient mortes pendant les affrontements qui eurent lieu après les élections dans plusieurs villes en dehors d'Abidjan (sept à Daloa, trois à San Pedro, quatre à Divo, et trois à Bouake.)

25      "Ivory Coast Calls for Inquiry", Associated Press, 30 octobre 2000.

26      "Ivory Coast people sweep Gbagbo to power, 60 dead", Reuters, 25 octobre 2000.

27      Interview de Human Rights Watch avec un officiel de la Croix Rouge ivoirienne, Abidjan, 16 novembre 2000.

28      Les gendarmeries (escadrons) d'Abobo, de Koumassi et de Yopougon sont habituellement appelées "camp commandos".

29 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 14 novembre, 2000.

30 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 14 novembre, 2000.

31 Dans la Gendarmerie ivoirienne, les rangs marqués par des `V' sont ceux des sous-officiers; un V désigne un caporal, deux `V' un sergent et trois V un sergent-chef. Une et deux barres sont pour les jeunes officiers; une barre désigne un sous-lieutenant et deux barres un lieutenant. Trois barres désignent un capitaine et quatre un commandant.

32 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 13 novembre, 2000.

33 Interview de Human Rights Watch avec les travailleurs des hôpitaux et de clinique, Abidjan, le 5, le 7, et le 14 novembre 2000.

34 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 14 novembre 2000.

35 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 19 novembre 2000.

36 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 15 novembre 2000.

37 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 4 novembre 2000.

38 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 6 novembre 2000.

39 Une `parcelle' est l'ensemble de chambres ou de petites habitations, souvent derrière un mur, qui loge les membres d'une famille étendue ou de plusieurs familles qui ont en commun la cuisine, la salle de bains et les toilettes.

40 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 15 novembre 2000.

41 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 25 avril 2001.

42 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 6 novembre 2000.

43 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 18 novembre 2000

44 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 18 novembre 2000.

45 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 11 février 2001.

46 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 11 novembre 2000.

47 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 19 novembre 2000.

48 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 17 novembre 2000.

49 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 18 novembre 2000.

50 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 14 novembre 2000.

51 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 14 novembre 2000.

52 Norimitsu Onishi, "Dictator Gone, Ivory Coast Splits Into Ethnic and Political Violence" New York Times, le 26 octobre 2000.

53 "Gbagbo to Form Ivorian Government Without Ouattara" Reuters, le 27 octobre 2000.

54 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 10 novembre 2000.

55 Interview par Human Rights Watch, Abidjan, le 10 novembre 2000.

56 Interview de Human Rights Watch auprès d'un membre de la Croix Rouge ivoirienne, Abidjan, le 16 novembre 2000.

57 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 8 décembre 2000.

58 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 12 et le 18 novembre 2000.

59 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 12 novembre 2000.

60 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 11 novembre 2000.

61 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 11 novembre 2000.

62 Interview de Human Rights Watch, Abidjan, le 13 novembre 2000.

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