Africa - West

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LA RÉPONSE DU HCR

Human Rights Watch a rencontré des représentants du HCR à Conakry, dont le Représentant-adjoint et l'assistant chargé de la protection des réfugiés. Nous avons également rencontré des chefs et des membres des bureaux de Kissidougou et Nzerekore, de même que les membres d'organisations humanitaires internationales travaillant dans les camps de réfugiés. Etant donnée l'abondance des témoignages faisant état de menaces sur les réfugiés et la façon voyante avec laquelle les membres du LURD opèrent en Guinée, le HCR et les organisations humanitaires sur le terrain ne peuvent pas ne pas être au courant des problèmes. Les représentants du HCR à Conakry ont indiqué à Human Rights Watch qu'ils étaient informés de ces problèmes et qu'ils les avaient régulièrement abordés avec des représentants du BNCR et du Ministère de l'intérieur. Ils nous ont assurés qu'ils avaient écrit au Ministre de l'intérieur à la fin juillet 2002 à propos du tri et des refoulements à la frontière et qu'ils avaient demandé l'autorisation d'installer les réfugiés en dehors de la zone frontalière, mais qu'à la fin d'octobre 2002 ils n'avaient toujours pas reçu de réponse. Le HCR a ajouté qu'en dépit de cette absence de réponse formelle du Ministre, il avait pu avoir accès à Ouet-Kama et qu'il transportait régulièrement de réfugiés récemment arrivés de là dans les camps.14

Comme indiqué ci-dessus, si les politiques gouvernementales sont sans doute définies à Conakry, dans la pratique elles sont interprétées de façon individuelle et différente par ceux qui détiennent le pouvoir sur le terrain, en particulier les militaires guinéens et leurs collaborateurs du LURD. Cependant, le HCR est apparu surtout soucieux de ne pas détériorer davantage ses relations avec les autorités guinéennes. Fin octobre 2002, le HCR a indiqué qu'il partageait nombre des préoccupations de Human Rights Watch à propos du refoulement et de la militarisation du camp de Kouankan et qu'il avait évoqué ces préoccupations avec les autorités, au niveau national et local. Le Gouvernement guinéen n'avait cependant pas répondu positivement à ces questions.15 Le HCR a également indiqué à Human Rights Watch que les autorités guinéennes étaient en train d'accroître la puissance de leurs troupes et d'améliorer la formation de la « Brigade mixte », une force composée de policiers, de gendarmes et de militaires spécialement entraînés par le HCR pour assurer la sécurité du camp de réfugiés. Human Rights Watch estime que cet entraînement, s'il est effectué et tout en étant souhaitable, n'aura que peu d'impact sur la situation dans son ensemble en raison du rôle limité de la Brigade Mixte par rapport à l'ampleur du problème. Le renforcement de la Brigade Mixte semble apporter une piètre réponse à un problème persistant qui s'étend bien au-delà des limites du camp lui-même, compte tenu notamment des liens politiques étroits avec le LURD et de sa politique visant à faciliter la présence et les activités du LURD en Guinée.

Surtout, Human Rights Watch a eu la nette impression que le HCR renâclait à évoquer ouvertement la question du refoulement des réfugiés du Libéria et à accorder à cette question suffisamment d'importance, de même qu'à la collusion entre les militaires guinéens et le LURD et en particulier à la militarisation du camp de Kouankan. Il est légitime que le HCR tienne compte des impératifs de sécurité pour ses personnels travaillant dans la zone frontalière, mais les problèmes mis en lumière par Human Rights Watch dans ce rapport exigent que l'organisme des Nations Unies les aborde plus fermement ces questions avec les autorités guinéennes. Le HCR joue d'habitude un rôle d'intermédiaire entre les organisations humanitaires non-gouvernementales internationales et les autorités des pays accueillant les réfugiés, mais en Guinée le HCR semble réticent à le faire, ce qui crée un climat dans lequel les prsonnels humanitaires sont réticents ou incapables de s'exprimer ouvertement. La réticence du HCR à insister pour avoir accès à la région frontalière, en particulier, a constitué un obstacle important qui a entravé l'action des autres organisations.

Les ONG ont été en général moins réticentes à évoquer avec Human Rights Watch le problème, mais la plupart ne désiraient pas tenter de pallier la réticence du HCR à se confronter ouvertement avec le Gouvernement guinéen à ce sujet. Quelques représentants du HCR ont indiqué à Human Rights Watch que les problèmes qui avaient été soulevés, en particulier ceux de Kouankan, duraient depuis quelques temps, donnant l'impression qu'ils s'étaient, de même que d'autres organisations internationales, pratiquement résignés à accepter la présence des LURD dans les camps et avaient fini par ne plus y faire attention. Lorsque nous avons présenté les résultats de notre enquête aux représentants du HCR à Conakry, ils ont estimé que notre affirmation selon laquelle les LURD utilisaient le camp de Kouankan comme base arrière était peut-être exagérée.

Toutefois, le HCR a préparé un plan et espère obtenir les fonds nécessaires à l'établissement des réfugiés de Kouankan dans les camps de la région de Kissidougou et à la séparation des combattants des non-combattants. Le HCR a indiqué à Human Rights Watch que l'organisme défend ce plan auprès des plus hautes autorités guinéennes, même si cela présente quelques difficultés.16 Human Rights Watch salue les efforts accomplis par le HCR en faveur des opérations de filtrage et de ré-installation, mais demande instamment au HCR et au Gouvernement guinéen de prendre en compte la nécessité de filtrer la présence de militaires au sein des réfugiés, conformément aux enseignements tirés de ré-installation de réfugiés sierra-léonais en Guinée, au camp de Languette en 2001.17 Human Rights Watch est aussi très inquiet de l'impact qu'ont les intérêts des LURD sur l'inaction du Gouvernement guinéen sur ce point et demande au HCR de prendre en compte cet aspect de la question de façon ouverte.

Un petit nombre de membres du HCR et d'organisations humanitaires ont tenté de soulever certains de ces problèmes mais il leur a été dit par le BNCR, et à l'occasion par certains de leurs collègues, qu'ils ne devaient pas interférer avec des questions qui ne les regardaient pas. Effectivement, les autorités guinéennes semblent être parvenues à faire facilement taire toute critique ouverte. Bien que les réunions régulières inter-agences qui ont lieu à Kissidougou et Nzerekore pourraient être les occasions appropriées pour traiter de ces problèmes, les personnes concernées semblent s'auto-censurer, en grande partie à cause de la présence lors de ces réunions de représentants du BNCR et à cause de l'apparente réticence du HCR à contester les pratiques abusives du Gouvernement guinéen.

L'attitude à première vue passive du HCR est d'autant plus déconcertante que cette organisation dispose clairement de moyens d'action efficace : le HCR finance 100% des salaires et des activités du BNCR et est donc capable d'exiger que des initiatives soient prises concernant des problèmes mettant en cause les principes fondamentaux de la protection des réfugiés. Des expériences récentes ont également démontré dans des cas individuels que, quand des membres du HCR sont intervenus, par exemple pour empêcher des refoulements ou demander la libération de réfugiés abusivement détenus, leur action a porté ses fruits. Cela semble indiquer qu'une action plus énergique de la part du HCR pourrait être efficace, sans entraîner de conséquences contre-productives sur l'action du HCR dans le pays ni sur la sécurité ou la protection des réfugiés.

14 Ibid.

15 Ibid.

16 Ibid.

17 Voir le communiqué de presse de Human Rights Watch Press release, "Guinée: des réfugiés soumis à de sérieuses exactions, la ré-installation en dehors de la zone frontalière ne suffit pas" 5 juillet 2001; "Réfugiés en peril: la protection des réfugiés reste un problème inquiétant », rapport de Human Rights Watch, juillet 2001.

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