LA REPONSE INTERNATIONALEDans son empressement à promouvoir les Accords de Lusaka et une résolution au conflit, la communauté internationale a largement utilisé sa force de pression diplomatique pour essayer de pousser le Rwanda à mettre fin à la guerre mais elle s'est peu prononcée sur les abus commis par les troupes rwandaises, notamment le recours à des enfants soldats dans cette guerre. Les Nations Unies
Après avoir refusé pendant des mois de citer le Rwanda et l'Ouganda dans ses appels en faveur du retrait des troupes étrangères du Congo, le Conseil de Sécurité a perdu patience en 2000 et par les résolutions 1304 (2000) et 1332 (2000), a demandé au Rwanda et à l'Ouganda de retirer leurs forces du territoire congolais. Il n'a cependant pris aucune mesure significative pour faire en sorte que ces deux pays rendent des comptes sur les abus commis par leurs forces au Congo.
Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les Droits Humains Mary Robinson, Haut Commissaire des Nations Unies pour les Droits Humains, s'est rendue en RDC, début octobre 2000 afin de mettre en avant ses inquiétudes quant aux graves violations des droits humains et du droit humanitaire international dans ce pays, en particulier dans l'est du Congo. Lors de discussions avec le gouvernement congolais et le RCD-Goma, elle a demandé que soit mis fin à un certain nombre de violations des droits humains par le gouvernement et les rebelles.76 Fonds des Nations Unies pour l'Enfance (UNICEF) Pendant plusieurs années, l'UNICEF et le représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies pour les enfants et les conflits armés, Olara Otunnu, ont travaillé pour mettre fin aux enlèvements d'enfants par les groupes rebelles. Des rapports tant par le personnel de l'UNICEF que par des officiers en charge de la protection de l'enfance, rattachés à la MONUC ont suscité la résolution du Conseil de Sécurité, mentionnée plus haut, dénonçant l'utilisation d'enfants soldats. Mais les enfants congolais formés par l'Ouganda et le Rwanda pour leurs alliés rebelles respectifs congolais et déployés dans les zones de combat ont, dans l'ensemble, reçu moins d'attention que d'autres groupes, tels que les enfants incorporés de force dans la Lord's Resistance Army, LRA, dans le nord de l'Ouganda.77 Institutions financières internationales Les bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux, y compris la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI) ont peu fait pour décourager la participation du Rwanda dans la guerre du Congo et dans les abus qui lui ont fait suite. Ils ont continué à fournir une assistance substantielle au gouvernement rwandais sans prendre de mesures efficaces pour s'assurer que cet appui ne facilitait pas le transfert, par le Rwanda, de ressources additionnelles pour le paiement d'une guerre entachée par des violations graves du droit humanitaire international. Fin 2000, dix membres du conseil d'administration de la Banque Mondiale se sont abstenus sur un vote concernant l'aide au Rwanda, liant apparemment le refus de leur soutien à la présence militaire continue du Rwanda en RDC.78 Bien que le prêt ait ensuite été approuvé, le vote a montré le sérieux nouveau avec lequel les gouvernements des pays donneurs examinaient la participation du Rwanda dans la guerre congolaise. En juin 1999, la Commission Européenne a annoncé au Conseil des Ministres et au Parlement de l'Union Européenne que les bailleurs devaient prendre des mesures pour empêcher que les fonds d'aide au développement soient détournés au profit de projets militaires. Cependant, en attribuant un fonds d'assistance au Rwanda, l'Union Européenne n'a entrepris aucune démarche allant dans ce sens. L'Union Européenne a souligné l'importance de mettre en _uvre les Accords de Lusaka dans son dialogue politique avec le Rwanda, lors de rencontres avec les autorités rwandaises et lors de missions dans la région qu'a entreprises Aldo Ajello, l'envoyé plénipotentiaire de l'Union. L'Union a indiqué qu'elle se tenait prête à faciliter le processus de paix en assistant les déplacés, en facilitant la réconciliation et en initiant la restructuration de l'économie.79 L'Union a aussi maintes fois souligné que tous les acteurs dans le conflit congolais devaient arrêter toutes les violations des droits humains, mais elle n'a pas conditionné son soutien à la cessation des abus perpétrés par les troupes rwandaises. L'Union n'a pas réussi à convaincre tous les acteurs du conflit de respecter les termes des Accords de Lusaka. La Commission Européenne assiste le Rwanda dans le cadre de son Programme National Indicatif (NIP) de cinq ans. En mars 2000, la Commission a signé un accord avec le Rwanda, assurant le versement de 110 millions d'euros sur une période de cinq ans. Apparemment, la Commission n'a pas utilisé cette occasion pour soulever ses inquiétudes quant aux abus des militaires rwandais, tels que l'utilisation des enfants soldats au Congo. A partir du 27 février 2001, le Conseil des Affaires Générales de l'Union Européenne était déjà prêt à appuyer les opinions de la résolution 1341 du Conseil de Sécurité de l'ONU. D'ailleurs, l'Union exprimait sa profonde inquiétude soulevée par les "abus sérieux et continus des droits humains au Congo". De plus, le Conseil des Affaires Générales a rappelé aux "gouvernements concernés leur responsabilité de soutenir le respect des droits de l'homme chez leurs troupes et chez les troupes sous leur contrôle de facto." Le Conseil a aussi exprimé sa "désapprobation quant au recrutement et l'utilisation continue d'enfants soldats dans le conflit" et a exhorté tous les acteurs à mettre fin à cette pratique sur-le-champ. Le Conseil a accueilli la demande du Conseil de Sécurité de l'ONU dans sa résolution 1341 "de mandater le Représentant Spécial pour les Enfants et les Conflits Armés pour poursuivre cet objectif en tant que priorité." Le Conseil a déclaré que l'Union Européenne "prend en considération des mesures qui pourraient être imposées" si les acteurs engagés dans le conflit ne tenaient pas leurs promesses sous les Accords de Lusaka et les résolutions du Conseil de Sécurité de l'ONU.80 Les Etats Unis
Alors que l'administration Clinton touchait à son terme, la politique des "nouveaux leaders" qu'elle avait soutenue perdait largement de sa crédibilité. Les leaders que l'on croyait porteurs d'espoir étaient de plus en plus fréquemment identifiés à de graves abus des droits humains. En août 2000, une équipe du gouvernement des Etats Unis, dirigée par David Scheffer, Ambassadeur pour les Crimes de Guerre, a rassemblé à Kinshasa, à Kisangani, à Goma et à Butembo des indices sérieux prouvant de graves violations du droit humanitaire international commises par des troupes gouvernementales de la RDC, les rebelles congolais, aussi bien que par les troupes ougandaises et rwandaises.83 L'entraînement militaire offert par les Etats Unis aux troupes rwandaises, dans le cadre du "International Military Education Training Program" (IMET) a été interrompu suite à l'affrontement des troupes rwandaises et ougandaises, à Kisangani, en juin 2000. Cependant, pour l'année fiscale 2001, le gouvernement américain projette de verser près de $25 millions au Rwanda, dont la majorité serait consacrée à des programmes de développement et d'aide humanitaire. Si le soutien financier américain n'était pas énorme, la politique américaine de soutien a eu une très grande importance pour le Rwanda. Il paraît peu probable que l'administration Bush offre un soutien semblable dans un futur immédiat. Une réforme de façade
A la fin de l'an 2000, le RCD-Goma continue à compter sur les autorités locales pour les aider dans leurs campagnes de recrutement. Pour s'assurer d'une coopération plus efficace à cet objectif ainsi que d'autres au Congo de l'Est, les autorités rwandaises ont lancé un programme d'entraînement des fonctionnaires locaux et des chefs traditionnels. Le 9 février 2001, un groupe de 425 fonctionnaires congolais des provinces du Kivus, Oriental et du Katanga a été convoqué à Goma, soi-disant pour un rendez-vous avec le gouverneur. De là, ils sont montés à bord d'autobus et ont été transportés de l'autre côté de la frontière, jusqu'au Camp Kami, un camp militaire du Rwanda. Ils n'avaient pas été informés qu'ils devraient quitter Goma et n'ont pas pu informer leurs familles de ce qui leur arrivait ou du lieu où ils étaient emmenés. Au camp, les autorités congolaises ont été soumises à un programme idéologique rigoureux et à un entraînement paramilitaire. Elles débutaient leur journée à 5:30 du matin et devaient suivre un entraînement physique avant de participer à de longues sessions visant à les persuader d'accepter le point de vue rwandais sur la situation dans la région. Entraînées à marcher au pas, ces autorités ont aussi appris à manier des armes à feu. Certains participants plus âgés ont subi les mauvais effets de ce programme et l'un d'entre eux, un homme du Sud Kivu, est mort le 18 février. Selon les participants, des personnages militaires et politiques rwandais importants, y compris des représentants du Front Patriotique Rwandais, sont venus au camp pour voir les progrès accomplis. Un participant a raconté qu'on leur avait dit qu'ils ne pourraient rentrer chez eux, au Congo, qu'après avoir admis que le Rwanda devait exercer une influence déterminante sur les évènements du Congo de l'Est. Le 18 mars, Roberto Garreton, Rapporteur Spécial sur la République Démocratique du Congo pour la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU, s'est enquis auprès des autorités de cette détention continue des hommes, dans un camp militaire rwandais. Deux jours plus tard, ils purent rentrer chez eux. Vêtus de tenues militaires, ils ont été présentés à la population locale, au stade de Goma. Soumises à la pression continue des représentants de l'ONU, les autorités du RCD-Goma ont promis, début avril, qu'elles mettraient fin au recrutement d'enfants soldats et qu'elles démobiliseraient ceux qui remplissaient déjà leurs rangs. Elles se sont engagées à collaborer avec l'ONU et d'autres agences internationales pour rendre ces enfants à leurs familles. Le président du RCD-Goma aurait notamment promis de confier à l'UNICEF 267 enfants du camp de Kamama en Kasai Oriental et 400 autres du camp Mushaki au Nord Kivu, un camp fréquemment mentionné par les témoins interviewés par Human Rights Watch. Pourtant, quelques jours plus tard lors d'une cérémonie célébrant la fin d'un programme d'entraînement à Mushaki, sur 3 000 recrues présentes, près de 1 800 étaient des enfants âgés de 12 à 17 ans. A l'instar des adultes, ils ont reçu de nouveaux uniformes et des armes à feu, ce qui indique clairement qu'ils seraient appelés à servir dans l'armée. Des leaders de rang élevé du RCD-Goma et des hauts officiers militaires rwandais assistèrent à la cérémonie. Selon des témoins, un camion transportant quelque 40 enfants aurait été aperçu, alors qu'il se dirigeait vers la frontière rwandaise le 5 avril, apparemment en route pour le Camp Kami. Le 10 avril, à environ 13 h, d'autres observateurs ont vu des camions de l'armée rwandaise, chacun rempli d'à peu près 60 enfants accompagnés de soldats rwandais, quitter Goma en direction de la frontière rwandaise. Du côté rwandais, des témoins ont aussi signalé l'arrivée d'enfants congolais pour un entraînement dans différents camps. Cette information laisse supposer que le RCD-Goma et les autorités militaires rwandaises continuent malgré leurs promesses, à recruter des enfants pour en faire des enfants soldats malgré eux. 71 "Sixième Rapport du Secrétaire Général sur la Mission de l'Organisation des Nations Unies dans la République Démocratique du Congo", Nations Unies, Conseil de Sécurité, S/2001/128, 12 février 2001. 72 Nations Unies, Conseil de Sécurité, Résolution 1332 (2000), 14 décembre 2000, paragraphe 14. 73 Nations Unies, Cinquième Rapport du Secrétaire Général sur la Mission de l'Organisation des Nations Unies dans la République Démocratique du Congo, S/2000/1156, 6 décembre 2000, paragraphes 73 et 74. 74 Communication écrite, Human Rights Watch, janvier 2001 ; voir aussi Nations Unies, Sixième Rapport du Secrétaire Général sur la Mission de l'Organisation des Nations Unies dans la République Démocratique du Congo", S/2001/128, 12 février 2001, paragraphe 65. 75 Nations Unies, Conseil de Sécurité, Résolution 1341, 22 février 2001. 76 Communiqué de presse des Nations Unies disponible à : http://www.unhcr.ch/huricane/huricane.nsf/newsroom. 77 Nations Unies, Conseil de Sécurité, communiqué de presse concernant la réunion 4176 du 26 juillet 2000, "Le Conseil de Sécurité débat des enfants et conflits armés", accessible à l'adresse suivante :
78 Interview Human Rights Watch, février 2001. 79 Union Européenne, "Déclaration de la Présidence pour l'Union Européenne à propos de la mise en _uvre des Accords de Lusaka", Bruxelles, 22 septembre 2000, (Communiqué de presse 311), p. 130/00. 80 Union Européenne, Affaires Générales, "Le Conseil a discuté des développements dans la République Démocratique du Congo", Bruxelles, 26-27 février 2001 (Communiqué de presse 6506/01). 81 Voir par exemple, le témoignage de Richard Holbrooke, alors Ambassadeur des Etats Unis aux Nations Unies, devant le House Subcommittee on Africa of the International Relations Committee, 15 février 2000. 82 Voir Human Rights Watch, "Que cache Kabila". 83 Les Etats Unis, le Département d'Etat, communiqué de presse, 29 août 2000. |