Africa - West

Previous PageTable Of Contents

LA REPONSE INTERNATIONALE

      Dans son empressement à promouvoir les Accords de Lusaka et une résolution au conflit, la communauté internationale a largement utilisé sa force de pression diplomatique pour essayer de pousser le Rwanda à mettre fin à la guerre mais elle s'est peu prononcée sur les abus commis par les troupes rwandaises, notamment le recours à des enfants soldats dans cette guerre.

Les Nations Unies
Le Conseil de Sécurité

      Après avoir refusé pendant des mois de citer le Rwanda et l'Ouganda dans ses appels en faveur du retrait des troupes étrangères du Congo, le Conseil de Sécurité a perdu patience en 2000 et par les résolutions 1304 (2000) et 1332 (2000), a demandé au Rwanda et à l'Ouganda de retirer leurs forces du territoire congolais. Il n'a cependant pris aucune mesure significative pour faire en sorte que ces deux pays rendent des comptes sur les abus commis par leurs forces au Congo.
      En février 2000, le Conseil de Sécurité a mis en place la MONUC pour superviser le respect de l'accord de Lusaka. Bien que le refus des parties de cesser véritablement le combat ait gêné la mise en place de la force, le Conseil de Sécurité a étendu son mandat le 14 décembre 2000 et renforcé ses responsabilités en matière de protection des droits humains. En février 2001 cependant, dans un effort pour déployer les observateurs plus rapidement, le Conseil de Sécurité a réduit le nombre des troupes de plus de moitié, les faisant passer de 5 537 à 2 300 et a limité leur rôle à la protection des 550 observateurs militaires des Nations Unies. En accord avec l'insistance internationale sur la promotion du désengagement militaire, la force devait superviser le cessez-le-feu et le retrait des troupes des lignes de front mais n'était pas en charge de la protection des civils.71
      Des rapports du personnel de la MONUC et de l'UNICEF sur le recrutement d'enfants congolais et sur leur transport vers l'Ouganda pour leur formation militaire ont enfin poussé le Conseil de Sécurité à l'action, concernant le problème des enfants soldats. Dans la Résolution 1332 (2000) du 14 décembre 2000, il a exprimé une profonde inquiétude sur "le recrutement continu et l'utilisation d'enfants soldats par des forces et groupes armés, y compris le recrutement au-delà des frontières et l'enlèvement d'enfants." Bien que suscitée par des informations en provenance de zones contrôlées par l'Ouganda, la résolution ne se limitait pas à cette région et appelait "tous les groupes et forces armés à cesser immédiatement les campagnes de recrutement, d'enlèvements, de déportation au-delà des frontières et d'utilisation des enfants et [demandait] des mesures immédiates pour la démobilisation, le désarmement, le retour et la réhabilitation de tous les enfants concernés avec l'assistance des agences appropriées des Nations Unies, d'autres agences et organisations."72
      Des personnalités officielles des Nations Unies, y compris le Représentant Spécial du Secrétaire Général sur les Enfants et les Conflits Armés, ont soulevé la question du recrutement d'enfants avec les responsables du RCD-Goma, en novembre et décembre 2000.73 Apparemment suite à cela, les cas de recrutement par la force, en général et les cas de recrutement d'enfants, en particulier, auraient diminué dans la ville de Goma où est basée la majorité des agences de l'ONU et des agences humanitaires. Cependant, Human Rights Watch a reçu des rapports indiquant que de tels recrutements ont continué ailleurs, dans la plupart des provinces tenues par le RCD-Goma.74
      Dans la résolution 1341 du 22 février 2001, le Conseil de Sécurité a exprimé sa préoccupation quant aux violations des droits humains et du droit humanitaire international au Congo, condamnant les massacres et autres atrocités et rappelant à toutes les parties, y compris les forces d'occupation, qu'elles devaient protéger les populations civiles. Mais il n'a jamais spécifiquement mentionné le problème des enfants soldats ni appelé à la reconnaissance, par chacun, des responsabilités dans les abus comme étant une étape incontournable de tout processus crédible de réconciliation.75

Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les Droits Humains

      Mary Robinson, Haut Commissaire des Nations Unies pour les Droits Humains, s'est rendue en RDC, début octobre 2000 afin de mettre en avant ses inquiétudes quant aux graves violations des droits humains et du droit humanitaire international dans ce pays, en particulier dans l'est du Congo. Lors de discussions avec le gouvernement congolais et le RCD-Goma, elle a demandé que soit mis fin à un certain nombre de violations des droits humains par le gouvernement et les rebelles.76

Fonds des Nations Unies pour l'Enfance (UNICEF)

      Pendant plusieurs années, l'UNICEF et le représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies pour les enfants et les conflits armés, Olara Otunnu, ont travaillé pour mettre fin aux enlèvements d'enfants par les groupes rebelles. Des rapports tant par le personnel de l'UNICEF que par des officiers en charge de la protection de l'enfance, rattachés à la MONUC ont suscité la résolution du Conseil de Sécurité, mentionnée plus haut, dénonçant l'utilisation d'enfants soldats. Mais les enfants congolais formés par l'Ouganda et le Rwanda pour leurs alliés rebelles respectifs congolais et déployés dans les zones de combat ont, dans l'ensemble, reçu moins d'attention que d'autres groupes, tels que les enfants incorporés de force dans la Lord's Resistance Army, LRA, dans le nord de l'Ouganda.77

Institutions financières internationales

      Les bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux, y compris la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI) ont peu fait pour décourager la participation du Rwanda dans la guerre du Congo et dans les abus qui lui ont fait suite. Ils ont continué à fournir une assistance substantielle au gouvernement rwandais sans prendre de mesures efficaces pour s'assurer que cet appui ne facilitait pas le transfert, par le Rwanda, de ressources additionnelles pour le paiement d'une guerre entachée par des violations graves du droit humanitaire international. Fin 2000, dix membres du conseil d'administration de la Banque Mondiale se sont abstenus sur un vote concernant l'aide au Rwanda, liant apparemment le refus de leur soutien à la présence militaire continue du Rwanda en RDC.78 Bien que le prêt ait ensuite été approuvé, le vote a montré le sérieux nouveau avec lequel les gouvernements des pays donneurs examinaient la participation du Rwanda dans la guerre congolaise.

L'Union Européenne

      En juin 1999, la Commission Européenne a annoncé au Conseil des Ministres et au Parlement de l'Union Européenne que les bailleurs devaient prendre des mesures pour empêcher que les fonds d'aide au développement soient détournés au profit de projets militaires. Cependant, en attribuant un fonds d'assistance au Rwanda, l'Union Européenne n'a entrepris aucune démarche allant dans ce sens.

L'Union Européenne a souligné l'importance de mettre en _uvre les Accords de Lusaka dans son dialogue politique avec le Rwanda, lors de rencontres avec les autorités rwandaises et lors de missions dans la région qu'a entreprises Aldo Ajello, l'envoyé plénipotentiaire de l'Union. L'Union a indiqué qu'elle se tenait prête à faciliter le processus de paix en assistant les déplacés, en facilitant la réconciliation et en initiant la restructuration de l'économie.79 L'Union a aussi maintes fois souligné que tous les acteurs dans le conflit congolais devaient arrêter toutes les violations des droits humains, mais elle n'a pas conditionné son soutien à la cessation des abus perpétrés par les troupes rwandaises. L'Union n'a pas réussi à convaincre tous les acteurs du conflit de respecter les termes des Accords de Lusaka.

La Commission Européenne assiste le Rwanda dans le cadre de son Programme National Indicatif (NIP) de cinq ans. En mars 2000, la Commission a signé un accord avec le Rwanda, assurant le versement de 110 millions d'euros sur une période de cinq ans. Apparemment, la Commission n'a pas utilisé cette occasion pour soulever ses inquiétudes quant aux abus des militaires rwandais, tels que l'utilisation des enfants soldats au Congo.

A partir du 27 février 2001, le Conseil des Affaires Générales de l'Union Européenne était déjà prêt à appuyer les opinions de la résolution 1341 du Conseil de Sécurité de l'ONU. D'ailleurs, l'Union exprimait sa profonde inquiétude soulevée par les "abus sérieux et continus des droits humains au Congo". De plus, le Conseil des Affaires Générales a rappelé aux "gouvernements concernés leur responsabilité de soutenir le respect des droits de l'homme chez leurs troupes et chez les troupes sous leur contrôle de facto." Le Conseil a aussi exprimé sa "désapprobation quant au recrutement et l'utilisation continue d'enfants soldats dans le conflit" et a exhorté tous les acteurs à mettre fin à cette pratique sur-le-champ. Le Conseil a accueilli la demande du Conseil de Sécurité de l'ONU dans sa résolution 1341 "de mandater le Représentant Spécial pour les Enfants et les Conflits Armés pour poursuivre cet objectif en tant que priorité." Le Conseil a déclaré que l'Union Européenne "prend en considération des mesures qui pourraient être imposées" si les acteurs engagés dans le conflit ne tenaient pas leurs promesses sous les Accords de Lusaka et les résolutions du Conseil de Sécurité de l'ONU.80

Les Etats Unis
La nouvelle administration du Président des Etats Unis, George W. Bush, a hérité d'une politique africaine visant à promouvoir la stabilité régionale et à prévenir le renouvellement d'un génocide ou de massacres à grande échelle, en Afrique Centrale. Depuis des années, les responsables du Département d'Etat ont fait l'équivalence entre la prévention du génocide et la neutralisation des anciennes Forces Armées du Rwanda (ex-FAR) et des milices Interahamwe qui ont perpétré le génocide rwandais de 1994 et qui restent au Congo de l'Est81. Le désarmement, la démobilisation et si nécessaire, la poursuite en justice de ces combattants relèvent de la responsabilité collective de la communauté internationale. Cependant, la stabilité de la région ne pourra pas être garantie sans que les forces rwandaises ne répondent de leurs actes et plus pertinemment des abus commis au Congo et à l'intérieur de leur propre pays.82

Alors que l'administration Clinton touchait à son terme, la politique des "nouveaux leaders" qu'elle avait soutenue perdait largement de sa crédibilité. Les leaders que l'on croyait porteurs d'espoir étaient de plus en plus fréquemment identifiés à de graves abus des droits humains. En août 2000, une équipe du gouvernement des Etats Unis, dirigée par David Scheffer, Ambassadeur pour les Crimes de Guerre, a rassemblé à Kinshasa, à Kisangani, à Goma et à Butembo des indices sérieux prouvant de graves violations du droit humanitaire international commises par des troupes gouvernementales de la RDC, les rebelles congolais, aussi bien que par les troupes ougandaises et rwandaises.83

L'entraînement militaire offert par les Etats Unis aux troupes rwandaises, dans le cadre du "International Military Education Training Program" (IMET) a été interrompu suite à l'affrontement des troupes rwandaises et ougandaises, à Kisangani, en juin 2000. Cependant, pour l'année fiscale 2001, le gouvernement américain projette de verser près de $25 millions au Rwanda, dont la majorité serait consacrée à des programmes de développement et d'aide humanitaire. Si le soutien financier américain n'était pas énorme, la politique américaine de soutien a eu une très grande importance pour le Rwanda. Il paraît peu probable que l'administration Bush offre un soutien semblable dans un futur immédiat.

Une réforme de façade
Suite aux critiques de la communauté internationale, le RCD-Goma est en train de changer de tactiques de recrutement, notamment en ce qui concerne les enfants. Plus spécifiquement, le RCD-Goma enlève moins souvent des enfants de force, conséquence de la préoccupation exprimée par le Conseil de Sécurité, par le Représentant Spécial du Secrétaire Général sur les Enfants et les Conflits Armés et de la pression continue des représentants de l'UNICEF et de la MONUC sur place. Dans les villes et les endroits accessibles aux observateurs étrangers, le RCD-Goma s'est progressivement tourné vers une stratégie plus subtile de contraintes et de promesses visant à persuader les enfants de s'enrôler. Cependant, loin des villes, les soldats du RCD-Goma continuent à utiliser la force pour recruter les enfants et les adultes qui ne se portent pas volontaires.

A la fin de l'an 2000, le RCD-Goma continue à compter sur les autorités locales pour les aider dans leurs campagnes de recrutement. Pour s'assurer d'une coopération plus efficace à cet objectif ainsi que d'autres au Congo de l'Est, les autorités rwandaises ont lancé un programme d'entraînement des fonctionnaires locaux et des chefs traditionnels. Le 9 février 2001, un groupe de 425 fonctionnaires congolais des provinces du Kivus, Oriental et du Katanga a été convoqué à Goma, soi-disant pour un rendez-vous avec le gouverneur. De là, ils sont montés à bord d'autobus et ont été transportés de l'autre côté de la frontière, jusqu'au Camp Kami, un camp militaire du Rwanda. Ils n'avaient pas été informés qu'ils devraient quitter Goma et n'ont pas pu informer leurs familles de ce qui leur arrivait ou du lieu où ils étaient emmenés.

Au camp, les autorités congolaises ont été soumises à un programme idéologique rigoureux et à un entraînement paramilitaire. Elles débutaient leur journée à 5:30 du matin et devaient suivre un entraînement physique avant de participer à de longues sessions visant à les persuader d'accepter le point de vue rwandais sur la situation dans la région. Entraînées à marcher au pas, ces autorités ont aussi appris à manier des armes à feu. Certains participants plus âgés ont subi les mauvais effets de ce programme et l'un d'entre eux, un homme du Sud Kivu, est mort le 18 février.

Selon les participants, des personnages militaires et politiques rwandais importants, y compris des représentants du Front Patriotique Rwandais, sont venus au camp pour voir les progrès accomplis. Un participant a raconté qu'on leur avait dit qu'ils ne pourraient rentrer chez eux, au Congo, qu'après avoir admis que le Rwanda devait exercer une influence déterminante sur les évènements du Congo de l'Est.

Le 18 mars, Roberto Garreton, Rapporteur Spécial sur la République Démocratique du Congo pour la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU, s'est enquis auprès des autorités de cette détention continue des hommes, dans un camp militaire rwandais. Deux jours plus tard, ils purent rentrer chez eux. Vêtus de tenues militaires, ils ont été présentés à la population locale, au stade de Goma.

Soumises à la pression continue des représentants de l'ONU, les autorités du RCD-Goma ont promis, début avril, qu'elles mettraient fin au recrutement d'enfants soldats et qu'elles démobiliseraient ceux qui remplissaient déjà leurs rangs.

Elles se sont engagées à collaborer avec l'ONU et d'autres agences internationales pour rendre ces enfants à leurs familles. Le président du RCD-Goma aurait notamment promis de confier à l'UNICEF 267 enfants du camp de Kamama en Kasai Oriental et 400 autres du camp Mushaki au Nord Kivu, un camp fréquemment mentionné par les témoins interviewés par Human Rights Watch.

Pourtant, quelques jours plus tard lors d'une cérémonie célébrant la fin d'un programme d'entraînement à Mushaki, sur 3 000 recrues présentes, près de 1 800 étaient des enfants âgés de 12 à 17 ans. A l'instar des adultes, ils ont reçu de nouveaux uniformes et des armes à feu, ce qui indique clairement qu'ils seraient appelés à servir dans l'armée. Des leaders de rang élevé du RCD-Goma et des hauts officiers militaires rwandais assistèrent à la cérémonie.

Selon des témoins, un camion transportant quelque 40 enfants aurait été aperçu, alors qu'il se dirigeait vers la frontière rwandaise le 5 avril, apparemment en route pour le Camp Kami. Le 10 avril, à environ 13 h, d'autres observateurs ont vu des camions de l'armée rwandaise, chacun rempli d'à peu près 60 enfants accompagnés de soldats rwandais, quitter Goma en direction de la frontière rwandaise. Du côté rwandais, des témoins ont aussi signalé l'arrivée d'enfants congolais pour un entraînement dans différents camps. Cette information laisse supposer que le RCD-Goma et les autorités militaires rwandaises continuent malgré leurs promesses, à recruter des enfants pour en faire des enfants soldats malgré eux.

71 "Sixième Rapport du Secrétaire Général sur la Mission de l'Organisation des Nations Unies dans la République Démocratique du Congo", Nations Unies, Conseil de Sécurité, S/2001/128, 12 février 2001.

72 Nations Unies, Conseil de Sécurité, Résolution 1332 (2000), 14 décembre 2000, paragraphe 14.

73 Nations Unies, Cinquième Rapport du Secrétaire Général sur la Mission de l'Organisation des Nations Unies dans la République Démocratique du Congo, S/2000/1156, 6 décembre 2000, paragraphes 73 et 74.

74 Communication écrite, Human Rights Watch, janvier 2001 ; voir aussi Nations Unies, Sixième Rapport du Secrétaire Général sur la Mission de l'Organisation des Nations Unies dans la République Démocratique du Congo", S/2001/128, 12 février 2001, paragraphe 65.

75 Nations Unies, Conseil de Sécurité, Résolution 1341, 22 février 2001.

76 Communiqué de presse des Nations Unies disponible à : http://www.unhcr.ch/huricane/huricane.nsf/newsroom.

77 Nations Unies, Conseil de Sécurité, communiqué de presse concernant la réunion 4176 du 26 juillet 2000, "Le Conseil de Sécurité débat des enfants et conflits armés", accessible à l'adresse suivante :
http://wwww.reliefweb.int/w/rwb.nsf/d2fc8ae9db883867852567cb0083a028/021562a6bc41b078c12569290054f2ed?OpenDocument

78 Interview Human Rights Watch, février 2001.

79 Union Européenne, "Déclaration de la Présidence pour l'Union Européenne à propos de la mise en _uvre des Accords de Lusaka", Bruxelles, 22 septembre 2000, (Communiqué de presse 311), p. 130/00.

80 Union Européenne, Affaires Générales, "Le Conseil a discuté des développements dans la République Démocratique du Congo", Bruxelles, 26-27 février 2001 (Communiqué de presse 6506/01).

81 Voir par exemple, le témoignage de Richard Holbrooke, alors Ambassadeur des Etats Unis aux Nations Unies, devant le House Subcommittee on Africa of the International Relations Committee, 15 février 2000.

82 Voir Human Rights Watch, "Que cache Kabila".

83 Les Etats Unis, le Département d'Etat, communiqué de presse, 29 août 2000.

Previous PageTable Of Contents