Africa - West

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RECRUTEMENT FORCE

      Selon de nombreux témoignages rassemblés par les chercheurs de Human Rights Watch, le RCD-Goma a détenu par la force de jeunes hommes et garçons afin qu'ils deviennent soldats dans ses forces armées. Ceci s'est produit de façon arbitraire, sans respect de procédures pré-établies. Les recrues n'ont pas leur mot à dire concernant leur volonté ou non de rejoindre les forces armées du RCD-Goma. On ne les prévient pas de leur conscription, on ne leur indique pas combien de temps elles vont être contraintes de servir, on ne leur donne aucune idée de l'endroit où elles vont être formées ou celui où elles devront combattre. Elles ne sont pas informées non plus des ennemis auxquels elles devront s'opposer. Les recrues - y compris celles favorables au gouvernement - peuvent recevoir l'ordre de se battre contre les forces gouvernementales composées de leurs compatriotes ou même des membres de leurs familles. On peut les contraindre de commettre des violations des droits humains et les adultes comme les enfants peuvent être traumatisés par cette épreuve..
      De nombreux résidents de Goma ont affirmé aux chercheurs de Human Rights Watch que les soldats du RCD-Goma capturaient fréquemment de jeunes hommes et garçons lors de raids nocturnes sur leurs maisons et sur les routes, dans les marchés et les écoles.16
      Des témoins ont affirmé que les soldats de l'APR aidaient les troupes du RCD-Goma dans ces recrutements forcés. Ces soldats ont été identifiés comme rwandais parce qu'ils parlaient une forme rwandaise du kinyarwanda et parce que leur apparence différait quelque peu de celle des Congolais.17 Des habitants de Goma ont rapporté que les soldats opéraient plus souvent leurs raids dans des quartiers connus pour être habités principalement par des Hutu rwandais, peut-être parce que ces derniers ne bénéficient pas d'un réseau local de relations pouvant les protéger. Quelqu'un fit le commentaire suivant : "La majorité des gens dans les quartiers où ils recrutent sont des Hutu. La plupart de ceux qu'ils prennent n'ont pas fait d'études, ne sont pas instruits et ne peuvent donc pas se défendre."18
      Un jeune homme raconte comment il a échappé de justesse au recrutement après que des soldats aient essayé de le prendre par la force dans le centre de Goma, en plein jour :

        J'étais parti pour chercher du travail sur les chantiers de construction près de Himbi. J'ai eu mal au ventre alors je suis rentré à la maison. J'ai pris la deuxième route vers la maison du Président et quand je suis arrivé à la RVA 1 [Régie des Voies Aériennes, en centre ville], j'ai rencontré deux individus habillés en civils. Ils étaient congolais. Ils se sont approchés de moi et m'ont demandé où j'allais. J'ai répondu à la maison parce que j'étais un peu malade. Ils ont dit qu'ils étaient en train de chercher des soldats. J'ai dit que je n'étais pas capable d'être soldat. Ils ont dit, on verra.

        Environ 300 mètres plus loin, on a rejoint des soldats. Ils m'ont pris et m'ont fouillé. J'ai été battu, maltraité.l y avait à peu près cinq autres [civils] assis sur le bord de la route. Ils [les soldats] ont dit : "Tu les vois, eux ? Ils vont devenir soldats comme toi."

        Ils ont pris ma valise avec mes outils. Je suis électricien. Ils m'ont laissé là pendant une heure sans parler. Ensuite, l'un deux a dit que je ne ressemblais pas à un soldat alors, il m'a laissé partir. Mais il a dit que je ne devais en parler à personne. Si je le faisais, ils me reprendraient, ils connaissaient ma tête.

        Les deux civils [recruteurs] étaient 200 mètres plus loin et ils m'ont regardé quand je suis parti pour voir si je parlais à quelqu'un. Un peu plus loin, j'ai croisé un ami. Quand il est arrivé vers eux [les civils recruteurs] ils ont essayé de le prendre. Il a fui, les soldats l'ont poursuivi. Il connaît le coin et il s'est caché dans des toilettes. Les soldats ne l'ont pas trouvé.19

Des témoins à Goma mentionnent le passage fréquent de camions aperçus quittant Goma avec à leur bord, de jeunes recrues, principalement des jeunes hommes et garçons. Dans certains cas, ils disent avoir vu des enfants qui étaient, selon eux, de très jeunes adolescents. Un résident local déclare :

        Un jour, nous les avons vus [les soldats] sur la route principale [dans une partie de Goma appelé Afia Bora, dans le quartier de Katindo]. Nous avons pris la fuite. Les soldats sortent et disent rapidement aux gens de monter dans le camion. Ils font cela autour de 7 heures du matin et de 5 heures du soir. Le jour où je les ai vus, c'était à 7 heures du matin. Les gens prennent la fuite quand ils voient les camions militaires, en particulier les jeunes hommes.20

Un autre témoin décrit aussi l'enlèvement de recrues par camions :

        Les enfants et les adultes ont la tête rasée mais à cause de la taille des enfants, tout ce qu'on voit, c'est leurs têtes et leurs mains s'agitant pour dire au revoir. Parfois, ils agitent leurs mains et disent au revoir et parfois, ils restent silencieux. Des soldats sont assis au bord du camion. Ils partent par la route Sake, toujours dans la même direction.21

Un étudiant de dix-huit ans enlevé dans un marché de Goma durant la première semaine de décembre 2000, raconte :

        Je suis allé avec ma mère au marché de Virunga pour acheter des trucs. Il était environ 5 heures du soir. Alors qu'on faisait nos courses, on a vu un groupe de soldats s'avançant vers nous. Ils m'ont dit de les suivre. On savait qu'ils voulaient m'emmener pour me former au combat. Ils ont pris cinq d'entre nous, tous des jeunes hommes, dans le marché. Je ne connaissais pas les autres.22

Un autre étudiant décrit des évènements survenus un matin de début décembre :

        Ceci s'est produit hier, dans mon quartier résidentiel de Katindu Droite. J'étais à la maison à 5 heures 30 du matin à écouter les nouvelles quand j'ai entendu des coups de feu. J'ai regardé dehors et j'ai vu des militaires habillés en civils mais armés. Ils avaient déjà pris des gosses. Certains avaient mon âge, d'autres semblaient beaucoup plus jeunes. J'ai dix-neuf ans. Certains de ceux qu'ils avaient pris semblaient avoir treize et quinze ans mais il y avait aussi un homme âgé dans le groupe.23

Début décembre 2000, des soldats sont venus pour capturer de jeunes hommes au marché de Kituku en bord du lac.24 Les gens qui traversaient le lac Kivu à bord de canots à moteur pour apporter leurs produits au marché ont fait demi tour quand en approchant du rivage, ils ont vu les soldats qui les attendaient. Durant les jours de marché qui suivirent, peu d'hommes se sont risqués à venir au marché, laissant les femmes en charge du commerce.25 Des habitants d'autres quartiers ont rapporté les mêmes faits. "Les marchés de l'intérieur ne fonctionnent pas actuellement comme ils devraient parce que les hommes ont peur d'être recrutés", explique une femme qui se déplace fréquemment d'un marché à l'autre, dans et autour de Goma.26 La quantité et le choix des produits sont limités par l'absence de vendeurs.27

Echapper au recrutement

      A cause de cette pratique du recrutement forcé, dans certains coins, les hommes et les garçons fuient ou se cachent quand ils aperçoivent des groupes de soldats. Un jeune homme a ainsi raconté à Human Rights Watch : "Le premier décembre [2000], je raccompagnais un ami à la maison après qu'il m'eut rendu visite. On a vu un groupe de soldats qui bloquait la route. Ils avaient déjà pris deux enfants. On a couru pour sauver nos vies."28 Un autre étudiant de dix-sept ou dix-huit ans a également réussi à échapper à la rafle, sur le chemin de l'école, à Goma, début décembre. Il décrit ainsi ce qui s'est passé :

        Hier matin, je suis parti pour l'école vers 7 heures du matin. Quand je suis arrivé à l'entrée du musée, il y avait des soldats là bas. Ils voulaient nous capturer. Nous avons fui. Nous étions dix, de différents coins de la ville. Nous avions tous nos uniformes d'écoliers sur le dos. Quand nous sommes arrivés, nous avons vu qu'ils avaient déjà pris un certain nombre d'enfants d'une autre école et d'autres encore. Nous sommes partis immédiatement. Nous nous sommes cachés pour la journée et nous sommes rentrés chez nous le soir.29

D'autres recrues potentielles se donnent encore plus de mal pour éviter d'être prises. Dans la zone de Nyarigonge, à environ vingt kilomètres de Goma par exemple, ceux qui craignent d'être recrutés choisissent souvent de dormir dehors plutôt que dans leur maison où l'on pourrait venir les enlever durant la nuit.30 Des habitants de Masisi ont aussi raconté que des hommes dormaient dehors, en brousse pour échapper au recrutement de force.31
Les gens du coin ont également développé d'autres stratégies. Les habitants des quartiers Virunga et Majengo de Goma ont apparemment réagi à l'arrivée des soldats qui commençaient à prendre des gens dans la soirée du 7 décembre 2000, en criant et en tapant sur des tambours. "Ils ont pris des gens mais avec le bruit et tout, ils n'ont pas pu en faire autant qu'ils voulaient", déclare un témoin de cette rafle nocturne par les soldats du RCD-Goma et de l'APR.32

      Certains jeunes hommes qui avaient été pris furent ensuite relâchés parce que leur famille ou des amis usèrent de leur influence ou payèrent pour leur libération. Un jeune homme a raconté qu'il avait été recruté dans un marché, par neuf soldats, certains du RCD-Goma, d'autres de l'armée rwandaise :

        Puis un autre soldat congolais qui se comportait comme un commandant est venu. Il a essayé de plaider en notre faveur mais ils l'ont ignoré et ils nous ont mis dans un camion couvert. Il y avait environ vingt autres jeunes hommes dans le camion bâché. Il faisait nuit et on avait peur. On nous a conduits quelque part, je ne sais pas où. Cela nous a pris environ dix minutes pour arriver là bas. C'était un grand bâtiment, sombre et sans fenêtres. Comme on arrivait là-bas, on faisait sortir d'autres [comme nous] aussi.

La mère du jeune homme partit avec d'autres membres de la famille et trouva le soldat congolais qui avait parlé en sa faveur quand il avait été arrêté. Ils lui payèrent l'équivalent d'environ 12 dollars US et il s'arrangea pour que le jeune homme fût libéré.33

      Dans un autre cas, un père "a payé" les soldats du RCD-Goma pour qu'ils relâchent son fils de vingt ans après qu'il eut été enlevé de nuit, à son lieu de travail dans le quartier nord de Goma, Mabanga. Il avait été demandé au père de fournir une caisse de bières pour obtenir la libération de son fils mais il réussit à négocier et à ramener le prix à trois bières. Plus tard, il recueillit aussi de l'argent dans le quartier afin d'obtenir la libération d'environ sept autres personnes capturées en même temps que son fils. "Je devais agir immédiatement", déclara le père, "sinon ils auraient été envoyés à Mushaki pour leur formation."34

Mauvais traitement des recrues

      Selon de nombreux récits, les nouvelles recrues sont battues et mal traitées. Un jeune, heureux d'avoir échappé à un traitement plus dur, décrit ainsi l'initiation des recrues : les soldats appuient leurs mains sur les visages des recrues et les font descendre de leurs fronts à leurs yeux puis leurs mâchoires, tirant la peau et les paupières, appuyant avec leurs doigts et exerçant une pression jusqu'à ce que douleur s'en suive. Plusieurs autres personnes ont confirmé cette pratique des soldats.35
      Dans certains cas, les soldats confisquent les papiers d'identité des recrues, rendant ainsi pour eux toute tentative d'évasion des camps d'entraînement encore plus risquée. Quatre jeunes hommes qui s'étaient échappés du camp de Mushaki furent ensuite repris. Parce qu'ils n'avaient pas de papiers d'identité, ils furent détenus et fortement battus. Un commandant finit par intervenir et les renvoya chez eux à cause de leurs blessures. On leur donna même un ordre écrit en date du 15 décembre 2000 indiquant qu'ils ne pouvaient être recrutés de nouveau à cause de leur mauvaise santé.36

16 Human Rights Watch a aussi reçu des récits, à ce jour non confirmés, d'enlèvements par les soldats du RCD-Goma de femmes et jeunes filles, certaines âgées de moins de dix-huit ans.

17 Interview Human Rights Watch, Goma, 18 décembre 2000. Certains Congolais d'origine rwandaise parlent aussi le kinyarwanda mais avec un accent différent.

18 Interview Human Rights Watch, Goma, 19 décembre 2000.

19 Interview Human Rights Watch, Goma, 20 décembre 2000.

20 Interview Human Rights Watch, Goma, 18 décembre 2000.

21 Ibid. La route de Sake continue vers Mushaki, en Masisi où se trouve un camp de formation pour nouvelles recrues.

22 Interview Human Rights Watch, Goma, 18 décembre 2000.

23 Interview Human Rights Watch, Goma, 7 décembre 2000.

24 Le marché de Kituku est situé dans le quartier de Goma appelé Keshoro.

25 Interview Human Rights Watch, Goma, 18 décembre 2000.

26 Interview Human Rights Watch, Goma, 19 décembre 2000.

27 Ibid.

28 Interview Human Rights Watch, Goma, 7 décembre 2000.

29 Ibid.

30 Interview Human Rights Watch, Goma, 17 et 19 décembre 2000.

31 Interview Human Rights Watch, Goma, 19 décembre 2000.

32 Interview Human Rights Watch, Goma, 8 décembre 2000.

33 Interview Human Rights Watch, Goma, 18 décembre 2000.

34 Interview Human Rights Watch, Goma, 19 décembre 2000.

35 Interview Human Rights Watch, Goma, 17 décembre 2000.

36 Interview Human Rights Watch, Goma, 18 décembre 2000.

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