Africa - West

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VI. NETTOYAGE : PREPARATION DES LIEUX, INTIMIDATION ET ASSASSINAT DE TEMOINS

Les autorités au Congo ont fait des efforts concertés pour faire disparaître les preuves des massacres de civils. L'AFDL et ses alliés, en particulier des éléments parlant Kiswahili et Kinyarwanda, se sont engagés dans une campagne visant à occulter les massacres partout au Congo, en grande partie en procédant au nettoyage matériel des lieux de massacres et en intimidant les témoins. Ces efforts ont commencé dès le début de la guerre en octobre 1996 et se poursuivent encore à l'heure actuelle partout à l'Est, au Centre et à l'Ouest du Congo. Il semblerait que les efforts axés sur ces deux moyens nettoyages et intimidations se soient intensifiés depuis avril 1997, coïncidant avec une augmentation des allégations de massacres et l'arrivée dans la région en quatre occasions différentes de missions d'enquête des Nations Unies66 . Les pressions de la communauté internationale sur le gouvernement congolais pour qu'il coopère avec les missions de l'ONU peuvent aussi avoir contribué à intensifier les efforts de nettoyage et d'intimidation de l'AFDL et de ses alliés.

Contrairement à la zone avoisinant les trois villages visités et située dans une région reculée du Congo, la plupart des lieux de massacres ont été nettoyés par l'AFDL ou par des villageois locaux sur ordre de l'AFDL. Les principaux lieux de massacres ont fait l'objet d'efforts particulièrement concertés, tels ceux des camps de réfugiés de Goma ou la zone Sud de Kisangani où des douzaines de villageois et un équipement lourd ont été utilisés67 .

Un grand nombre de nettoyages ont eu lieu au Nord-Kivu où des milliers de réfugiés civils et de Congolais ont été tués depuis octobre 199668 .

Les massacres de civils ont augmenté avec les attaques contre des camps de réfugiés au Nord et au Sud-Kivu en octobre 1996. Rien que dans la ville de Goma et dans la zone des camps du Nord-Kivu, le HCR a fait procéder à la mise en terre de plus de 6.800 personnes69 , hommes, femmes et enfants, dans les camps et autour des camps. Les habitants de Goma ont cependant déclaré que les routes conduisant aux camps avaient été bloquées par l'AFDL immédiatement après les attaques. Avant que l'ONU n'ait accès aux camps, un bulldozer appartenant au bureau local de travaux publics a été vu se dirigeant vers les camps. Un journaliste étranger a visité un lieu de massacres situé près des camps au moment où les cadavres étaient déversés dans un ravin, des traces de passages d'engins lourds étant encore visibles70 . Des villageois du secteur ont déclaré qu'ils avaient vu l'AFDL utiliser un bulldozer pour se débarrasser des corps qui se trouvaient dans les camps et les jeter dans le ravin71 .

Une autre opération de nettoyage importante a été menée au Sud de Kisangani à la fin avril et en mai 1997, suite à des massacres perpétrés sur une grande échelle. Après plusieurs attaques conduites à la fois par des villageois et des soldats de l'AFDL de la mi-avril à la fin avril contre des camps de réfugiés provisoires au Sud de Kisangani, les organisations humanitaires se sont vu refuser l'accès à la zone par les troupes de l'AFDL. Des témoins oculaires indépendants ont régulièrement signalé à HRW / FIDH que du matériel lourd et des camions avaient été utilisés par l'AFDL ou des personnes engagées par l'AFDL là où se trouvaient les camps72 . Alors que les accès étaient bloqués, de nombreux camions chargés de bois à brûler ont été aperçus se dirigeant vers les anciens camps. D'après plusieurs sources différentes, des cadavres auraient été brûlés et les cendres dispersées dans les rivières ou au fond de la forêt73 . A la mi-septembre, le New York Times a rapporté que le conducteur d'un tracteur utilisé lors des efforts de nettoyage et un ressortissant belge propriétaire d'engins lourds et de terres dans la zone des massacres avaient été arrêtés sans chef d'inculpation74 . Ces faits ont plus tard été corroborés par les autorités françaises et belges qui ont signalé le 26 septembre 1997 que deux habitants de Kisangani, des ressortissants français et belge, avaient été arrêtés sans chef d'inculpation et avaient été retenus pour interrogatoire. Selon des sources bien informées, ils étaient en possession d'une cassette vidéo qui apportait des preuves des massacres dans la région de Kisangani75 .

Des villageois et des membres d'organisations humanitaires ont rapporté que des nettoyages de moindre envergure avaient été organisés dès le début de la guerre et s'étaient poursuivis jusqu'à présent dans plusieurs régions différentes. Dans la région de Rutshuru au Nord-Kivu, plusieurs villages où avaient eu lieu des massacres ont reçu la visite de coopérants en mars 1997. Ils ont trouvé sur les lieux les restes carbonisés de maisons à l'intérieur desquelles ils pouvaient voir des ossements et des squelettes. Lorsque les lieux ont été revisités quelques mois plus tard, toute trace de carnage avait disparu : des villageois leur ont dit que des soldats de l'AFDL parlant le Kinyarwanda étaient revenus sur les lieux et leur avaient ordonné de tout nettoyer et de jeter les restes humains dans des fosses communes76 .

Un habitant de Goma a été témoin récemment d'un autre nettoyage, alors qu'il voyageait dans la zone du Masisi en juillet 1997. D'après le témoin, des soldats de l'AFDL ont arrêté le camion avec lequel il voyageait et tout le trafic sur la route pendant trente-six heures, prétendant que la route n'était pas sûre plus loin. Lorsque le camion a été autorisé à poursuivre sa route, le témoin dit avoir aperçu de la fumée et des ossements près d'une petite rivière longeant la route où l'AFDL avait travaillé77 .

Les Congolais dans les villages visités par HRW / FIDH ont montré de la réticence à parler des tueries et ont déclaré qu'ils craignaient les représailles des membres de l'AFDL parlant le Kinyarwanda78 . Les Congolais qui ont élevé la voix contre les massacres ou ceux soupçonnés d'en avoir parlé ouvertement ont été victimes d'intimidations, de coups, d'arrestations ou de meurtres par l'AFDL. Les habitants de Goma ont décrit avec appréhension à HRW / FIDH un incident au cours duquel deux membres d'organisations humanitaires de Bunyakiri, Sud-Kivu, avaient "disparu" peu après avoir montré des charniers à des étrangers79 .

De telles accusations sont revenues fréquemment. Dans un village du Haut-Congo, les habitants ont fait part du cas d'un travailleur social local, M. Kahama, qui avait été arrêté chez lui par un officier de l'AFDL parlant le Kinyarwanda. L'officier reprochait à M. Kahama d'avoir lancé un appel au moyen d'une radio haute fréquence à Kisangani, demandant des gants et un désinfectant pour enterrer un grand nombre de réfugiés qui avaient été massacrés par les troupes de l'AFDL dans son village. M. Kahama a été emmené à Kisangani pour y être interrogé par un commandant local de l'AFDL. Des gardes se trouvant à l'extérieur de la maison du commandant ont ensuite entendu M. Kahama appeler à l'aide et puis des coups de feu ont retenti. Le corps de M. Kahama n'a toujours pas été retrouvé80 .

Le président et le secrétaire général du Conseil Régional des Organisations Non Gouvernementales de Développement (CRONGD) de la province du Maniema ont été arrêtés par des soldats de l'AFDL sur ordre du Commandant "Bikwete" et du Commandant "Léopold" le 6 août 1997 à Kindu. Les deux commandants ont été décrits par les habitants de Kindu comme étant des "Banyamulenge". Les deux responsables du CRONGD, Bertin Lukanda et Ramazani Diomba, étaient soupçonnés d'avoir fourni des renseignements à la mission d'enquête de l'ONU à propos des massacres de réfugiés au Maniema81 . Les deux hommes ont été violemment battus et emprisonnés au camp militaire de Lwama. M. Ramazani Diomba, le secrétaire général, a dû être hospitalisé suite aux coups reçus; M. Lukanda, également membre du personnel d'une organisation locale des droits de l'homme, est resté en détention pendant trente et un jours. Deux collègues de M. Lukanda de la même organisation des droits de l'Homme ont fait l'objet d'une interdiction par l'AFDL de quitter Kindu82 .

Un témoin du Haut-Congo, Jean, a déclaré lors de son premier entretien avec HRW / FIDH qu'il n'y avait pas eu de problèmes dans son village au Haut-Congo lorsque les soldats de l'AFDL étaient arrivés. Il les a qualifiés de "libérateurs". Interrogé plus particulièrement sur les massacres qui auraient eu lieu dans la région, il a déclaré que cela ne l'intéressait pas de parler de "politique". Au cours des jours qui ont suivi, Jean a progressivement fourni plus d'informations concernant les tueries commises par l'AFDL et a amené d'autres témoins à HRW / FIDH. Il a expliqué que, comme beaucoup dans son village, il avait peur depuis qu'un travailleur social local avait été enlevé et tué car l'AFDL ne "plaisantait pas" quand il s'agissait de massacres.

Par ailleurs, selon une organisation locale de Goma, sur au moins une des chaînes de radio publique, la Voix du Peuple, des annonces avaient été faites en Kiswahili pour décourager la population de coopérer avec la mission de l'ONU enquêtant sur les massacres83 . L'AFDL a organisé des séminaires idéologiques à l'Est au début 97, informant les populations locales que tous les réfugiés qui avaient voulu retourner au Rwanda l'avaient fait; les responsables des séminaires ont dit aux participants que les Rwandais qui restaient étaient des ex-FAR ou des Interahamwe et qu'ils devaient par conséquent être exterminés84 .




66 En mars 1997 à Goma, Congo; en mai 1997 à Kigali, Rwanda; et en juin et août 1997 à Kinshasa.

67 Entretien de HRW / FIDH avec des organisations humanitaires à Goma, Congo, août 1997, et à Nairobi, Kenya, juillet 1997.

68 Le Nord-Kivu connaît depuis plusieurs années un conflit ethnique attisé par l'Etat, avec un regain de violences depuis mars 1993. Ce conflit complexe a connu des moments forts et des moments creux au Nord-Kivu au cours des dernières années et a probablement fait des milliers de victimes civiles.

69 Selon les fonctionnaires du HCR à Goma, Congo.

70 Témoignage recueilli par HRW / FIDH à Nairobi, 28 juillet 1997.

71 Témoignage recueilli par HRW / FIDH à Goma, Congo, auprès de villageois de la zone de Nyragongo, août 1997.

72 Témoignages recueillis par HRW / FIDH auprès de membres d'organisations humanitaires à Kinshasa, Nairobi et Goma, juillet-août 1997.

73 Ibid.

74 Howard French, "Hope for Congo's Revolution Dissolves Over Old Tensions," New York Times, 28 septembre 1997.

75 Département Américain des Affaires Humanitaires, Integrated Regional Information Network. "Great Lakes: IRIN Update 257 for 26 September, 1997."

76 Entretien de HRW / FIDH avec une organisation humanitaire à Goma, Congo, 28 août 1997.

77 Ibid.

78 Les villageois ont simplement qualifié ces soldats de "Rwandais", "Burundais", "Ougandais" ou "Tutsis".

79 Témoignages recueillis par HRW / FIDH auprès de membres d'organisations humanitaires à Goma et Kinshasa, Congo, août 1997.

80 Témoignages recueillis par HRW / FIDH auprès de parents et de collègues de M. Kahama à Kinshasa et dans le Haut-Congo, août 1997.

81 Lettre demandant l'aide de Haki za Binadamu, 15 septembre 1997; entretien de HRW / FIDH avec le personnel de Haki za Binadamu à Kinshasa, août 1997.

82 Lettre demandant l'aide de Haki za Binadamu, 15 septembre 1997; entretien avec le Conseil National des ONG de Développement à Kinshasa.

83 Entretien de HRW / FIDH avec une organisation non gouvernementale à Goma, Congo.

84 Rapport sur la situation communiqué par une ONG humanitaire opérant à l'Est du Congo, 13 avril 1997.

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