Africa - West

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RAIDS DE LA POLICE SUR D'AUTRES QUARTIERS D'ABIDJAN - ARRESTATIONS ARBITRAIRES ET EXTORSION

Les résidents dans certains autres districts ont subi harcèlement et arrestations arbitraires même si leurs maisons n'ont pas été détruites. La police a lancé un raid contre le quartier de Marcory sans fil aux premières heures du 11 octobre et a arbitrairement arrêté environ soixante-dix hommes. Le quartier pourrait avoir été sélectionné parce que des Burkinabés y possèdent une bonne partie des propriétés. Le but principal de l'attaque semble avoir été l'extorsion et l'intimidation, en particulier contre les immigrés et les Ivoiriens du Nord. Human Rights Watch a interviewé des témoins qui avaient été forcés de payer des sommes d'argent substantielles pour éviter d'être arrêtés. Ceux qui ont été emmenés en détention n'ont été libérés que lorsque les membres de leur famille ont versé de l'argent pour leur libération. Les histoires racontées par ces témoins se combinent pour donner une image complète des conditions très difficiles qui leur ont été imposées.

Un Ivoirien de vingt-neuf ans a raconté comment il avait protégé des Burkinabés qui vivaient avec lui :

Je dormais chez moi, à Marcory quand la police est arrivée. Ils ont demandé si nous avions des Burkinabés vivant avec nous. J'ai dit : « On est tous ivoiriens ici. » En fait, je vis effectivement avec des Burkinabés mais je n'allais pas le raconter à la police. Ils ont ensuite fait irruption dans d'autres maisons, ont pris de l'argent à de nombreux Burkinabés - s'ils ne payaient pas, ils étaient arrêtés. Ils étaient partout, d'environ minuit à 6 heures du matin, ce vendredi matin [11 octobre]. Au moins vingt hommes ont été emmenés. Ils ont été rassemblés juste là-bas, avec juste leur pantalon sur eux et on les a fait se coucher au sol jusqu'à l'arrivée d'un camion pour les emmener. A un moment donné, la police a diffusé de la musique depuis ses véhicules et a fait danser les détenus. Personne n'est mort la nuit dernière mais ils ont bel et bien tiré des coups de fusil en l'air. Ils ont aussi pris des téléphones mobiles. Je n'ai pas été touché moi-même. Je suis né ici et j'ai aujourd'hui vingt-neuf ans34.

Une Ivoirienne de vingt et un ans dont la mère est burkinabé a vu la police emmener des étrangers et leur extorquer de l'argent :

Deux hommes de notre maison ont été emmenés, ils étaient tous les deux étrangers, l'un guinéen et l'autre burkinabé, tous les deux avaient environ vingt-cinq ans. La police a frappé à la porte mais quand on a refusé d'ouvrir, ils l'ont enfoncée. Ils ont fouillé dans nos pièces, regardant sous les matelas, ils ne regardaient même pas vos cartes d'identité si vous leur donniez de l'argent. J'ai été frappée sur les fesses avec une matraque ; ils étaient très grossiers. Ils n'ont rien pris dans ma maison parce que je leur ai donné de l'argent. Je n'ai pas reconnu les policiers qui sont venus ici, ils n'étaient pas du commissariat local35.

Dans une concession, il y avait dix hommes et sept femmes vivant ensemble, tous burkinabés. L'un des hommes a dit à Human Rights Watch :

La police a frappé et nous a dit d'ouvrir la porte. On l'a fait. Ils sont entrés, ils ont dit que c'était une perquisition de domicile. Ils ont fouillé toutes nos maisons, l'une après l'autre. Puis, ils ont dit à l'une de nos femmes, vingt-cinq ans, son bébé sur le dos, d'aller avec eux et elle les a suivis. On a couru après eux, la police nous a dit qu'on devrait payer 50 000 CFA [environ USD 70] pour sa libération. On n'avait pas autant alors on a offert 15 000 [environ USD 20], qu'ils ont acceptés et ils l'ont laissée partir36.

Un jeune homme burkinabé a décrit avoir été détenu, battu puis relâché contre le paiement d'un pot-de-vin :

A quatre heures, il y a eu des coups à ma porte, dans notre cour. J'ai ouvert la porte. Il y avait environ cinq officiers de police, en uniformes avec des pistolets dans les mains. Ils ont demandé de l'argent et je n'en avais pas. Ils m'ont demandé d'où je suis, j'ai dit que j'étais du Burkina Faso. Ils ont demandé pour mon ami, il a dit qu'il était ivoirien et ils l'ont laissé partir. Ils m'ont pris avec mon petit frère qui a dix-huit ans. Ils nous ont emmenés dehors, dans la cour ouverte [à la limite du district] et nous ont dit de nous déshabiller. Puis, ils nous ont emmenés au 26ème poste de police, on était environ soixante-quinze, que des hommes, aucun de moins de dix-huit ans je pense. Là bas, ils nous ont fait chanter l'hymne national de la Côte d'Ivoire. Puis ils nous ont fait applaudir. Certains d'entre nous ont été fouettés, y compris moi-même, mais je n'ai pas été gravement blessé. Puis, ils nous ont emmenés au commissariat de la Zone 4. Mon grand frère est venu payer pour me faire sortir, ce qu'il a fait et j'étais sorti à 11 heures 30 du matin. Ils avaient laissé partir quatre autres avant moi, aussi parce que quelqu'un était venu payer pour leur libération.37

Dans une autre concession, la police a extorqué de l'argent après avoir vu des affiches indiquant que l'habitant de la maison était un partisan du chef du RDR, Alassane Ouattara :

A trois heures du matin, la police est venue dans notre concession et a frappé à notre porte. J'ai ouvert la porte et j'ai vu la police là et dans la rue, il y avait une foule de policiers, tous habillés en noir ou en gris, de haut en bas, avec des pistolets et des « kalashs » [mitrailleuses Kalashnikov AK-47]. Trois policiers sont entrés et ont fouillé la maison. Ils m'ont demandé ma carte d'identité quand ils ont vu le [nom] et qu'ils ont vu que je venais de Korhogo, puis ils ont vu la photo de ADO [Alassane Dramane Ouattara] dans ma maison, ils m'ont giflé. Puis ils ont pris 15 000 CFA [approximativement USD 20] et sont partis38.

Une autre personne de la même concession a ajouté :

Ils ont dit : « Vous venez du Nord ici ? C'est vous les « assaillants ». Donnez-nous votre argent ou on va vous emmener. » J'ai dû donner 45 000 CFA [approximativement USD 60].

Une jeune femme a décrit comment la police a fait irruption dans une maison possédée et occupée par des Burkinabés, a battu plusieurs d'entre eux et leur a extorqué de l'argent :

A 4 heures 30 du matin, cette nuit là, il y a eu un coup à la porte. Ils ont dit : « Si vous ne sortez pas, si c'est nous qui entrons, on va vous tuer. » Ils ont frappé et on n'a toujours pas ouvert la porte parce qu'on avait peur. Ils ont fait irruption à l'intérieur en cassant la porte avec une brique [montrant la porte cassée et la brique utilisée]. J'ai dit au jeune homme qui était avec nous et qu'il voulait prendre qu'il devrait sortir avec eux et que s'il ne le faisait pas, ils le tueraient. Ils ont pris son téléphone et son argent. Il y avait six policiers qui sont entrés, tous en uniformes verts et tous avec des mitrailleuses au poing. La femme de l'un des hommes de notre cour a donné de l'argent à la police. Ils ont fouillé tout l'endroit, ils ont pris de l'argent à tout le monde, ils ont battu un jeune homme et sa femme. J'ai vu quand ils les battaient. Ils m'ont dit de partir mais mon mari leur a donné de l'argent. Le propriétaire, aussi un Burkinabé, a été arrêté39.

34 Entretien conduit par Human Rights Watch avec un habitant, Abidjan, 11 octobre 2002.

35 Entretien conduit par Human Rights Watch, Abidjan, 11 octobre 2002.

36 Entretien conduit par Human Rights Watch avec un Burkinabé de trente-deux ans, Abidjan, 11 octobre 2002.

37 Entretien conduit par Human Rights Watch avec un homme de vingt-deux ans, Abidjan, 11 octobre 2002.

38 Entretien conduit par Human Rights Watch avec un homme âgé d'environ trente ans originaire du Nord de la Côte d'Ivoire, Abidjan, 11 octobre 2002.

39 Entretien conduit par Human Rights Watch avec une Burkinabaise d'environ vingt-cinq ans, Abidjan, 11 octobre 2002.

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