Africa - West

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LA RHÉTORIQUE PUBLIQUE AUGMENTE LES TENSIONS

Depuis les attaques de septembre, le gouvernement a encouragé la ferveur nationaliste dans les médias publics et n'est pas parvenu à prendre des mesures pour dénoncer ou contrôler les attaques perpétrées contre des étrangers, des musulmans ou l'opposition politique. Ces déclarations et ces échecs ont exacerbé les tensions qui existaient entre différents éléments de la population et ont encouragé les attaques populaires contre des groupes jugés associés à la rébellion.

Le 6 octobre, le parlementaire Ben Soumahoro, député de Bako (Nord de la Côte d'Ivoire) a appelé les patriotes ivoiriens à aller « chercher Ouattara là où il est caché... 9 Aucun militaire français ne tirera sur vous, allez le chercher. »10 Ce discours a été prononcé lors d'une réunion de la Coordination nationale des patriotes de Côte d'Ivoire et largement reproduit sur les ondes de la radio publique et dans la presse écrite. Aucune personnalité officielle n'a fait de commentaires sur cette incitation à commettre une arrestation illégale ou une attaque ou n'a fait remarquer que cela était contraire aux normes internationales en matière de droits humains que la Côte d'Ivoire s'est engagée à respecter.

Ce même jour, un journaliste de la télévision nationale, Radio-télévision ivoirienne (RTI) a déclaré qu'expulser les Burkinabés de Côte d'Ivoire constituait « la clef de la victoire. » Il a expliqué : « Nous n'avons qu'à renvoyer 500 000 Burkinabés afin que le chef du  `pays des hommes intègres' [référence au Burkina Faso], le chef actuel de la guerre contre la Côte d'Ivoire et ses partisans, comprennent clairement le rôle de la Côte d'Ivoire en Afrique de l'Ouest. »11

Le 8 octobre, le Président Gbagbo s'est adressé à la nation en des termes différents. Son discours a semblé marquer un changement de rhétorique et a suscité des espoirs quant à un changement de politique. Le Président Gbagbo a appelé le peuple ivoirien à se rassembler derrière lui contre « l'ennemi » mais à ne pas enfreindre la loi. Il a dit aux citoyens de ne pas piller les magasins, ni d'attaquer les individus. Il a continué en disant : « N'attaquez pas d'étrangers, n'attaquez pas vos adversaires politiques. Notre combat est ailleurs. »12

Si ce discours fut encourageant, il reste encore beaucoup à faire pour s'assurer que la « lutte » est menée dans le plein respect du droit. Depuis que ce discours a été prononcé, d'autres quartiers ont fait l'objet de raids et ont été brûlés. De plus, le 18 octobre, dans la lignée des persécutions continues des partisans du RDR, deux sympathisants du RDR, à Abidjan, ont été tués par des membres des forces de sécurité alors qu'ils enterraient un proche.13 De nombreux autres ont été arbitrairement arrêtés.

Le 15 octobre, dans son discours quotidien, au journal télévisé du soir sur la télévision publique, le Colonel Jules Yao Yao, porte-parole des forces armées, a annoncé, sans honte aucune, la mise en _uvre d'une politique consistant à tuer les « assaillants » présumés à Daloa, ville récemment reprise aux rebelles par les forces gouvernementales. Il a affirmé que le couvre-feu à Daloa devrait être strictement respecté et que «Tout contrevenant à cette mesure en dehors des forces de défense et de sécurité, sera considéré comme assaillant et abattu sans sommation. »14 Dans les jours qui ont suivi, des douzaines de civils portant des noms musulmans ont été tués, de façon extrajudiciaire, par des hommes portant un uniforme militaire. Le gouvernement a reconnu que ces meurtres s'étaient produits mais a prétendu que ses forces n'étaient aucunement responsables de telles actions.15 Des sources indépendantes ont questionné la validité de cette affirmation et apporté les preuves que le gouvernement était en fait responsable.16

Selon le droit international en matière de droits humains ou le droit humanitaire international, il n'existe pas de disposition permettant à un membre des forces de sécurité de tirer à vue sur un civil non armé, sauf en cas de légitime défense.

Le 23 octobre, des manifestants favorables au gouvernement et critiques par rapport à la France ont apparemment essayé d'atteindre Alassane Ouattara qui avait trouvé refuge dans la résidence de l'ambassadeur de France, le 19 septembre, immédiatement après les attaques ayant conduit à la crise actuelle. Des manifestants se sont également rassemblés à l'extérieur d'autres installations françaises ; après la dispersion d'une foule devant une base militaire française (Base du 43ème bataillon d'infanterie de marine) par des troupes françaises utilisant des gaz lacrymogènes et des canons à eau, certains manifestants ont commencé à jeter des pierres à des automobilistes blancs.17 Le nouveau ministre ivoirien de l'Intérieur a déploré ces excès. Quelques jours plus tard, le Président Gbagbo a précisé qu'il ne considérait pas Alassane Ouattara comme étant derrière les attaques. « Si j'avais quelque doute que ce soit sur M. Ouattara, je le ferais arrêter. Je n'ai rien contre Alassane Dramane Ouattara, » a affirmé Gbagbo à une délégation de l'opposition RDR, selon une déclaration du parti.18

9 « Ben Soumahoro : `Allez-y chercher Alassane chez l'ambassadeur de France,' » Notre Voie (Abidjan), 7 octobre 2002. La position de Soumahoro est surprenante puisqu'il a été élu comme membre de l'opposition RDR.

10 "Ben Soumahoro : `C'est ADO qui a fait le coup d'Etat de 99,'" Le Nouveau Réveil (Abidjan), 7 octobre 2002.

11 Reporters sans Frontières, Reporters sans frontières demande au Conseil de sécurité de saisir la Cour pénale internationale, 28 octobre 2002.

12 « Rassemblez-vous massivement mais sans voler aucun magasin et sans vous en prendre à aucun individu. C'est là la force des grandes nations. N'attaquez pas les étrangers, n'attaquez pas vos adversaires politiques. Notre combat est ailleurs. »

13 Entretien téléphonique conduit par Human Rights Watch, 21 octobre 2002.

14 "Tout contrevant à cette mesure en dehors des forces de défense et de sécurité, sera considéré comme assaillant et abattu sans sommation."

15 « Le gouvernement ivoirien ouvre une enquête sur des atrocités présumées, » AFP, 25 octobre 2002.

16 Témoin oculaire cité par Amnesty International, News Release, 28 octobre 2002, AFR 31/006/2002.

17 "France demands end to Ivorian attacks," news.bbc.co.uk, 23 octobre 2002.

18 « Ivory Coast opposition not implicated in coup : president » [Corrected 10/25/02], Agence France-Presse, 26 octobre 2002.

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