Rapports de Human Rights Watch

«La génération FESCI» : Implications pour l’avenir

Bon nombre des personnes interrogées par Human Rights Watch, notamment des policiers, des juges, des professeurs, des étudiants et des fonctionnaires des ministères de l’enseignement supérieur et de la justice, ont relevé que la FESCI, sous sa forme violente et hégémonique actuelle, ne pourrait pas survivre longtemps sans l’impunité dont jouissent ses membres, qui leur permet d’échapper aux mesures disciplinaires de l’université et aux poursuites criminelles.260 Néanmoins, même si l’on mettait fin à l’impunité demain, beaucoup de personnes interrogées s’inquiètent de l’effet que la « génération FESCI » aura sur la vie politique future de la Côte d’Ivoire.261

La FESCI semble être devenue un terrain d’entraînement pour les leaders ivoiriens en herbe. Guillaume Soro, chef des rebelles des Forces Nouvelles et actuel premier ministre au sein d’un gouvernement d’union, a dirigé la FESCI de 1995 à 1998. Charles Blé Goudé—chef des Jeunes Patriotes, un groupement pro-gouvernemental ultranationaliste, et l’un des trois Ivoiriens faisant actuellement l’objet de sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU—a été à la tête de la FESCI de 1999 à 2001. L’aile jeune de plusieurs grands partis politiques est ou a été dirigée par d’anciens leaders de la FESCI. Et récemment, des ex-dirigeants de la FESCI, dont Martial Ahipeaud, premier secrétaire général de la FESCI, et Doumbia Major, dirigeant de la dissidence en 2000-2001, ont formé leurs propres partis politiques.

Le Premier Ministre ivoirien Guillaume Soro (droite) parle avec le dirigeant des Jeunes Patriotes, Charles Blé Goudé (gauche), lors d’une visite à Gagnoa, une ville située à l’ouest du pays, le 20 octobre 2007. Les deux dirigeants ont jadis occupé la fonction de secrétaire général de la FESCI. © 2007 AFP

Outre ces « vedettes », les anciens membres de la FESCI sont de plus en plus présents au sein de l’administration des différents ministères du gouvernement et au sein des forces de sécurité telles que la police et la gendarmerie. Bon nombre des personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenus, des policiers aux professeurs en passant par les étudiants, se sont plaintes du favoritisme dont, selon elles, les membres de la FESCI profitent depuis 2000 pour avoir accès aux écoles de formation de la police et de la gendarmerie, ainsi qu’à la prestigieuse École Nationale d’Administration (ENA), une institution d’élite destinée à former les hauts fonctionnaires.262 Un policier haut gradé a confié à Human Rights Watch :

Aujourd’hui dans la police, beaucoup de recrues sont d’anciens membres de la FESCI et vous pouvez le voir dans la façon de réagir aux choses. Ils ne sont pas entrés ici sur base de leur mérite. Et ils sont trop violents. J’ai des amis soldats qui se plaignent tout le temps de ces gars de la FESCI qui entrent dans les rangs. Ils disent qu’ils n’avaient pas les qualifications pour entrer.263

Le système d’enseignement supérieur de la Côte d’Ivoire semble donc produire une génération de dirigeants qui se sont fait les dents en politique dans un climat d’intimidation, de violence et d’impunité, où le dissentiment et la divergence d’opinion sont brutalement réprimés. Il reste à voir si ces jeunes leaders pourront prendre leurs distances par rapport à cette « formation » lorsqu’ils entreront dans la vie professionnelle.




260 Entretiens de Human Rights Watch, Abidjan, août, septembre et octobre 2007.

261 Ibid.

262 Entretiens de Human Rights Watch, Abidjan, 1er et 26 octobre 2007.

263 Entretien de Human Rights Watch, Abidjan, 26 octobre 2007.