Rapports de Human Rights Watch

Attaques des milices contre les civils au Dar Sila

Le Dar Sila est l’un des quatre départements administratifs de la région de Ouaddaï, dans le sud-est du Tchad, avec pour capitale Abéché. Le siège administratif du Dar Sila est Goz Beida. Le Dar Sila est la terre d’une majorité hétérogène non arabe, les Dajo et les Masalit étant les plus nombreux parmi beaucoup d’autres groupes ethniques non arabes, et quelques minorités arabes significatives.

Les relations au Dar Sila entre groupes ethniques arabes et non arabes se caractérisent par de très anciens conflits portant sur la terre et sur l’accès à l’eau. Les relations intercommunautaires se sont gravement dégradées en 2006 avec la multiplication des attaques des milices contre les civils, des dizaines de villages pillés et incendiés, provoquant alternativement le dépeuplement des zones civiles et leur surpeuplement du fait des personnes déplacées à l'intérieur du pays. Lors d’une semaine particulièrement sanglante, plus de 60 villages ont été attaqués, au moins 220 villageois ont été tués, et des champs de céréales ont été incendiés.107 Plus de 90 000 Tchadiens, hommes, femmes et enfants, ont abandonné leurs foyers dans l’Est du Tchad en 2006, dont la vaste majorité dans le département du Dar Sila,108 où 15 000 personnes au moins ont été déplacées pour le seul mois de novembre.109 

Un ensemble complexe de tensions sous-jacentes se sont conjuguées pour créer les conditions des violences au Dar Sila, par exemple la compétition pour la terre et d’autres ressources, l’échec des mécanismes de résolution de conflits et un afflux régulier d’armes légères dans la région.

Cependant, c’est le retrait des forces militaires tchadiennes des garnisons frontalières au sud de Adré fin 2005 et début 2006 qui a définitivement déclenché la violence. Le vide sécuritaire créé a permis aux milices arabes de lancer des attaques transfrontalières contre les civils tchadiens sans pratiquement être contrôlées. Comme les attaques des milices arabes se poursuivaient en avril et mai 2006, les victimes des violences ont signalé que les attaques partaient de plus en plus souvent du Tchad, et non du Soudan, et qu’elles étaient réalisées par des Tchadiens, souvent par d’anciens voisins, amis et collègues.

En l’absence d’une présence policière ou militaire suffisante du gouvernement tchadien, de nombreux villages au Dar Sila ont organisé des groupes d’autodéfense pour décourager les attaques des milices et pour se défendre. Ces groupes, constitués d’hommes et de garçons, sont armés essentiellement de lances, couteaux, épées, flèches empoisonnées, gourdins et boomerangs. Cependant, les fusils semi-automatiques Kalachnikov — convoités mais chers, surtout pour les paysans tchadiens— sont de plus en plus présents dans l’arsenal des groupes d’autodéfense.110

Lors de précédentes missions de recherche au Dar Sila en janvier et en avril 2006, Human Rights Watch avait constaté que les groupes d’autodéfense de la région s’organisaient avec ceux des villages voisins, chacun s’engageant à défendre l’autre en cas d’attaque. Plus récemment, la construction d’alliances semble s’être faite sur une échelle plus large. Beaucoup d’Arabes au Dar Sila indiquent que les membres non arabes des groupes ethniques Muro, Dajo, Dagal, Kibet et Rumah se sont réunis en septembre à Djorlo, dans la région de Kerfi, au sud de Goz Beida, pour mettre en place un accord de défense mutuelle contre les tribus arabes de la région.111  Beaucoup de non Arabes (principalement des Dajo et des Muro) affirment que les Arabes tchadiens ont rejoint une wihida Arabia, ou « Union arabe, »  transfrontalière, dont les cotisations seraient la participation de la communauté aux raids des milices.112 

Dans leur ensemble, les attaques récentes des milices ont polarisé l’identité ethnique au Dar Sila. Les Arabes tchadiens sont loin d’être un groupe monolithique, mais les civils des groupes ethniques arabes au Dar Sila ont fini par être stéréotypés comme Janjawid, un terme emprunté au Darfour, en vertu de la tendance ethnique des récentes violences commises par les milices. La prédominance de cette conception simplifiée a contribué aux récentes attaques ethniques contre les civils arabes au Dar Sila.

Pendant ce temps, le soutien de gouvernement tchadien aux activités des groupes rebelles soudanais a accéléré la polarisation.113 A la suite de l’offensive des rebelles tchadiens contre N’Djamena en avril 2006, les rebelles soudanais ont commencé à soutenir les groupes d’autodéfense tchadiens, tant officiellement qu’officieusement. Dans certains cas ils proposent des conseils tactiques et dans d’autres ils organisent, forment et en arment les groupes d’autodéfense villageois. Les groupes d’autodéfense qui ont reçu le soutien, la formation ou le parrainage des rebelles soudanais au Dar Sila ont été baptisés les « Tora Boro, » un autre terme emprunté au Darfour, où il était appliqué à l’origine aux groupes rebelles du Darfour par le gouvernement soudanais et les milices alliées.

Tout au long de 2006, les attaques des milices dans l’est du Tchad ont signalé une polarisation ethnique, la plupart des victimes appartenant à des tribus non arabes comme les  Masalit et les Dajo (tribus transfrontalières qui ont été également prises pour cibles par les attaques des milices arabes au Darfour) et les témoins oculaires décrivant infailliblement leurs agresseurs comme des Arabes.114 Le fait que les violences aient tendance à éviter les villages arabes, même dans les zones frontalières durement touchées et qui ont été en grande partie abandonnées du fait des raids incessants, a conduit de nombreuses personnes au Dar Sila à conclure que les Arabes bénéficiaient d’une immunité de facto contre les attaques,115 et qu’ils étaient en fait complices des milices arabes.

Les civils tchadiens étant stéréotypés comme Janjawid et « Tora Boro » dans leur propre pays, il est évident que les incursions depuis le Soudan ont été à la fois de nature politique et militaire. De ce fait elles ont un impact mortel sur les relations intercommunautaires dans l’est tchadien . Cependant, les stéréotypes ethniques dominants sont loin d’être absolus. Les milices soi-disant arabes qui ont commis des atrocités dans le département du Dar Sila comprennent beaucoup de non Arabes dans leurs rangs, comme les Ouaddaïens116 et les Mimi.117 Certains éléments de la majorité Dajo ont pris des villages d’assaut dans l’est tchadien, commettant des agressions contre des membres de leur propre groupe ethnique.118 Même s’il existe une forte tendance ethnique dans les violences récentes des milices, l’appartenance ethnique seule ne détermine pas la composition des milices. Les civils du Dar Sila s’alliaent avec les divers groupes armés opérant dans la région pour des raisons économiques ou politiques, ou tout simplement pour assurer leur propre survie.

Meurtres de civils commis par les milices sur l’axe Dogdoré-Koukou

Dogdoré, un village à majorité Dajo à 120 kilomètres à l’est de Goz Beida et à 20 kilomètres à l’ouest de la frontière du Soudan, s’est trouvé au centre de deux vagues de violence distinctes en 2006, l’une mi avril et la seconde début octobre qui a déferlé à l’ouest vers la ville de Koukou-Angarana.119

Bien que les violences des milices ne soient pas nouvelles dans la région de Dogdoré,120 il est possible qu’un désaccord insignifiant sur un marché de Djimeze,121 à l’ouest de Dogdoré, ait déclenché les massacres qui ont commencé le lendemain. Selon un récit souvent repris dans la région de Dogdoré et ailleurs, un homme Dajo à Djimeze aurait refusé de payer un droit, une taxe, ou une somme (selon les versions différentes) à un marchand arabe. Les deux hommes se seraient querellés et lorsqu’un  « Tora Boro » s’en est mêlé, la dispute s’est convertie en bagarre.122 Le lendemain, le 4 octobre, une milice arabe a attaqué Djimeze, tuant un civil et en blessant trois autres ; Djimeze ainsi que le village voisin de Marfakatal ont été pillés et incendiés. Pendant les cinq jours qui ont suivi, les milices arabes ont attaqué et pillé une série de villages non arabes à l’ouest de Dodgore, dont Ayande, Khashkash, Kamour, Ambache, Djamra, Romalie, Adiro, Mouraye, Diri, Dabanai, et Djedide.123 

Le 8 octobre, la vague de violence a atteint Tiero, un village Dajo comptant une population importante de personnes déplacées et disposant d’une force d’autodéfense bien organisée et bien armée. Neuf civils y ont été tués, dont une femme ; treize autres ont été blessés et vingt-cinq maisons ont été incendiées.124  Le lendemain, Tiero a été sécurisé par un nombre important de soldats de l’ANT de la garnison de Daguessa, à 15 kilomètres à l’est de Dogdoré, ce qui apparemment a découragé de nouvelles attaques des milices.125 Une force d’autodéfense Dajo venue de Kerfi, à l’ouest, est arrivée également, quoi que trop tard pour défendre la population sous le commandement du chef de milice Saleh Makayeh, basé à Djorlo.126

Bien qu’il soit difficile de tracer un portrait complet des différentes milices qui ont commis les attaques de la région de Dogdoré, le témoignage d’un homme Dajo de Djimeze, qui a été enlevé après que son village ait été attaqué le 4 octobre, est révèlateur. Selon ce fermier de 73 ans, il a passé une semaine avec un groupe d’une cinquantaine d’hommes armés dans un farik [village arabe] situé à environ quatre heures de marche de Djimeze. Il y avait parmi ses ravisseurs des hommes de diverses tribus arabes tchadiennes, dont les Salamat, les Hemat, les Beni  Seit et les Awatfi, et il en connaissait certains de Djimeze.

« Je les connaissais depuis que j’étais jeune, » a-t-il dit. « Je ne pouvais pas le croire. Nous avons grandi ensemble, mais ils étaient comme des étrangers. »127 

Chaque jour, une vingtaine d’hommes armés quittaient le farik à cheval et revenaient le soir avec des ânes volés chargés de céréales et d’autres butins. Chaque soir, les miliciens choisissaient un village pour cible et décidaient de ceux d’entre eux qui mèneraient l’attaque le lendemain. Parfois, des disputes éclataient entre les hommes âgés de l’unité, qui émettaient des réserves sur les violences, et les jeunes combattants qui estimaient que les attaques étaient justifiées.

« Les hommes plus âgés disaient : « Ce que nous faisons n’est pas bien, » a dit le fermier. « Les jeunes Arabes qui avaient de mauvais parents disaient : « Mon frère est mort, mon père est mort, les Dajo doivent brûler. »  Ou bien ils disaient : « Nous avons notre wahida Arabia,128 et chaque chef de farik doit porter sa part du fardeau. »129

Le pillage était une motivation évidente, mais les raids des milices semblent aussi motivées par des stratégies politiques spécifiques. Ceci aurait été suggeré par des déclarations attribuées au dirigeant de la milice arabe, un homme au nom d’Abdul Haq qui ne vivait pas au farik mais pouvait être appelé si nécessaire.

« Il [Abdul Haq] est venu un jour avec sept hommes armés à cheval et il a dit aux Janjawid de ne pas tuer les femmes, ni les enfants, ni les personnes âgées, » a dit l’homme Dajo. « Tous les jeunes hommes Dajo sont des Tora Boro ; tuez seulement les jeunes hommes, » a-t-il dit. »130

Quand la milice a attaqué Djimeze, ils se sont battus avec un groupe d’autodéfense  et quatre membres de la milice ont été tués ; ils n’ont été que 18 à rentrer au farik. Le lendemain, la milice attaquait Tiero et peu après l’homme Dajo était relâché. 131

D’après des témoins oculaires de Tiero, leur village a été attaqué le 8 octobre par une milice composée de membres de tribus arabes locales —des Salamat, Hemat, Mafaza, Borno— ainsi que de membres des tribus non arabes Mimi et Ouaddaï . Les assaillants étaient à dos de chameau et de cheval, portaient des uniformes kaki Soudanais (uniformes des Forces armées soudanaises)et étaient armés de fusils automatiques. Certains d’entre eux étaient connus à Tiero, dont le présumé chef de guerre Ahamad Bechir, un Arabe Salamat du village voisin de Marena.132   

Des membres de la force d’autodéfense de Tiero disent que la milice est arrivée de l’ouest par une crête rocheuse et qu’elle est entrée dans Tiero dans une zone très peu peuplée proche de la route principale est-ouest, où ils ont incendié trois maisons et tué trois civils, dont une femme. Ils ont rapidement rencontré une résistance armée. La milice est alors partie vers le sud, échappant aux défenseurs du village, et brûlant encore 22 maisons et tuant cinq autres civils. Le responsable de la force d’autodéfense de Tiero, Hassan Yunis Isaak, pensait que la milice avait attaqué Tiero pour le tuer, parce que ses prouesses de combattant les empêchaient d’attaque des civils dans la région. Selon Yunis, aucun des membres de son groupe d’autodéfense ne faisait partie des victimes.133 

La fréquence des attaques dans la région de Dogdoré a diminué mi octobre. Ceci a permis aux civils déplacés qui avaient abandonné leurs maisons de retourner vers leurs villages pour récupérer leur nourriture, vêtements et objets personnels, parfois enterrés sous le sol de leurs huttes. Ces personnes déplacées ont fait l’objet d’attaques ; un homme de 60 ans a été assassiné le 27 octobre après son retour pour récupérer un sac de céréales au village de Djedide, qui avait été abandonné.134

Les 15 et 16 décembre, les attaques contre les villages de la région ont repris, cette fois à l’autre extrémité de l’axe, à Koukou-Angarana, où une milice arabe a fait une trentaine de morts parmi les villageois, les réfugiés et les personnes déplacées, ainsi qu’une trentaine de blessés. Le 16 décembre, les forces de l’ANT ont contre-attaqué lors de combats intenses autour du village de Habile, un centre important pour les personnes déplacées, où 22 villageois et Tchadiens déplacés ont été tués et 93 maisons incendiées. Plus de la moitié des 9000 personnes déplacées réfugiées à Habile et dans ses environs sont alors parties vers Koukou-Angarana.135 

Massacres de civils par les milices dans la région de Kerfi

Le 4 novembre, les milices ont frappé Kerfi, à 45 kilomètres au sud de Goz Beida, une zone qui n’avait pas été touchée par la violence auparavant. Au cours des deux semaines qui ont suivi, 67 villages ont été attaqués, dans un triangle allant de Kerfi aux villages de Tamajour et Koukou-Angarana au nord, 267 personnes ont été tuées.136  Des dizaines de villages ont été incendiés et pillés. Ceci a provoqué un mouvement de civils vers Goz Beida au nord et aussi en direction de Habile et du camp de réfugiés de Goz Amir administré par l’ONU près de Koukou-Angarana. Comme dans les violences des milices dans d’autres localités du département, l’immense majorité des victimes venait de villages non arabes.

Cependant, une attaque qui a eu lieu trois semaines avant la vague de violence dans la région de Kerfi n’était pas semblable aux attaques précédentes. Elle marquait au contraire une évolution dangereuse de la violence au Dar Sila.

Le 13 octobre, à environ deux heures de l’après-midi, une milice Dajo a attaqué le village arabe de Amchamgari, à l’ouest de Kerfi, faisant dix-sept tués et sept blessés.137 Des témoins oculaires ont dit que les assaillants étaient arrivés à pied, vêtus à la fois de tenues militaires de camouflage et de vêtements civils. Certains étaient armés de fusils automatiques, mais la plupart portaient des lances ou combattaient avec des flèches empoisonnées. Un Arabe de Salamat, âgé de 53 ans, blessé d’une balle dans le pied au cours de l’attaque, a dit qu’il vivait à Amchamgari depuis 15 ans et qu’il n’avait jamais eu de problème avec ses voisins Dajo jusqu’alors.

« Je dormais sous un arbre et mes enfants sont arrivés en courant et ils ont dit : « Papa, il nous faut courir ! Ils nous attaquent, » a-t-il dit. « Mais c’était déjà trop tard pour courir. Ils tiraient sur notre village. Certains sont tombés morts tout de suite ; d’autres étaient blessés. Ils ont commencé à mettre le feu à nos maisons. Je me suis préparé à me battre. Ils ont lancé un cri de guerre : « Ak, ak, ak, ak, ak. »  Ils disaient : « Jahao Doom! » et « Tuez les Arabes ! »138

Des dirigeants arabes de la région de Kerfi et d’ailleurs, ainsi que des témoins oculaires de Amchamgari affirment qu’un groupe d’autodéfense  Dajo basé à Djorlo était l’auteur de l’attaque et a désigné Saleh Makyah, le leader du groupe d’autodéfense de Djorlo, comme le chef de guerre.139 Les chefs traditionnels de Kerfi, dont Hissène Ibrahim et Goni Issah, ont également été cités comme ayant été impliqués dans la direction de l’attaque.140 D’après un Arabe Borno chef de fraction,141 le raid de Amchamgari était un acte de frustration de la part du groupe d’autodéfense Dajo.

« Pendant le Ramadan, les Noirs sont allés défendre Tiero, mais les combats étaient déjà terminés, » a-t-il dit. « Ils n’ont pas participé aux combats. Je ne sais pas qui a attaqué Tiero, mais ce n’était pas nous. Maintenant les Africains sont revenus et ils étaient en colère alors ils ont fait la guerre contre les Arabes ici à Kerfi. Ils revenaient de Tiero et ils étaient en colère et ils ont fait la guerre contre nous ; ils ont incendié un farik. »142    

Un Arabe Salamat de 46 ans qui a une femme à Amchamgari et une autre femme à Adjoup, un farik voisin,a exprimé un sentiment assez répandu chez les Arabes de Kerfi : l’attaque contre Amchamgari aurait été le résultat direct d’un serment fait à Djorlo pendant le Ramadan par des habitants Dajo, Muro, Kibet, Rumah et Dagal, toutes des tribus non arabes.

« Ils ont juré sur le Coran qu’ils ne laisseraient pas les Arabes vivre parmi eux, » a-t-il dit.

L’attaque contre Amchamgari a eu lieu le 13 octobre, mais le chef de canton Dajo à Kerfi a situé au 14 octobre le début des problèmes avec les Arabes dans la région environnante, quand des hommes armés arabes auraient tendu une embuscade à un groupe d’hommes Muro sur la route entre Djorlo et Djereme.

« Ils [les Arabes] voulaient seulement tuer les Noirs et partir, » a-t-il dit. « Il n’était pas question de vol à ce moment-là. »143 

Les violences entre les Arabes et les Dajo ont explosé à nouveau le 26 octobre, après que du bétail arabe ait traversé le village Dajo de Am Derees, près de Louboutigue, et se soit mélangé avec du bétail Dajo. Au cours du tri des animaux, un homme Dajo a été tué et quatre autres ont été blessés. Les rebelles soudanais de la région affiliés au G-19, faction de l’ALS, mais appelés les « Tora Boro », ont transporté les blessés à l’hôpital de Goz Beida.144 

Le 4 novembre, date à laquelle Kerfi a été attaqué, a marqué le début de deux semaines de violences communautaires horribles dans cette zone. Des dizaines de villages non arabes ont été attaqués, pillés, incendiés et abandonnés. Des civils Dajo ont raconté comment des voisins arabes qu’ils connaissaient depuis des années sont apparus soudainement dans leurs villages avec des armes automatiques, brûlant des huttes, volant du bétail et tuant ceux qui résistaient.

« Nous avions de bonnes relations avec les Arabes avant, jamais ça, » a dit un homme Dajo qui est resté pour défendre son village après qu’il ait été abandonné. « Ils pillent et ils brûlent des villages partout dans la région. »145

Le 5 novembre, trente-cinq civils ont été tués et vingt-huit autres ont été blessés lors d’une attaque particulièrement brutale contre Agurtulo, un village Dajo à l’ouest de Kerfi, selon les autorités locales.146  Une femme très âgée de Agurtulo a été séparée de sa famille dans la confusion qui a suivi l’attaque et elle est arrivée à Kerfi toute seule, à pied, le 12 novembre.

« Je ne sais pas où sont mes enfants, » a-t-elle dit. « Avant-hier, j’ai vu mes enfants qui se battaient avec des arcs et des flèches. Je veux revenir dans mon village et mourir. »147

Deux civils ont été tués et trois autres blessés quand le village de Tamajour a été attaqué le 7 novembre, dont un homme qui serait malade mental et qui a été brûlé vif dans sa hutte.

« Le groupe qui nous a attaqués était mélangé, » a dit un fermier Dajo de Tamajour, âgé de 40 ans, qui se remettait à l’hôpital de Goz Beida après avoir reçu une balle dans le pied. « Il y en avait de pas très loin de Lubane, et d’autres étaient des étrangers. Ils sont arrivés, ils ont incendié le village de Tamajour, ils ont brûlé nos champs, et ils sont partis. Nous avons vécu pendant 25 ans avec les Arabes de Lubane. Pourquoi est-ce qu’ils feraient ça ? »148 

Le 7 novembre, Djorlo, qui pour les Arabes de Kerfi  était lié à l’attaque contre Amchamgari en mi octobre, a été attaqué par une importante milice arabe ; 36 villageois ont été tués et 22 autres blessés. Les blessés ont dû attendre jusqu’au lendemain après-midi pour être transportés en ambulance à l’hôpital de Goz Beida, tandis que les morts furent inhumés dans quatre fosses communes. 149 

« A deux heures de l’après-midi, j’ai entendu les premiers coups de feu, » a raconté Haroun Daoud, chef de village Djorlo. « Ils étaient vêtus d’uniformes kakis, ou de jellabiya,150certains avaient des turbans et leur visage était dissimulé, ils étaient armés de Kalachnikov. Ils étaient à cheval. Nous en connaissions quelques-uns, des Arabes Awatfi. Ils se sont regroupés avec les Soudanais ; les Soudanais qui viennent ici chez des parents avant de nous voler notre bétail. »

Prévoyant semble-t-il les violences, beaucoup de gens à Djorlo avaient enterré des céréales et autres biens de valeur dans le sol de leurs huttes avant l’attaque du 7 novembre, et au cours des jours suivants beaucoup sont venus récupérer ce qu’ils pouvaient. Le 10 novembre, Habib Mehajir, 24 ans, Abdullah Hissein, 20 ans, et Musa Mahamat, 16 ans, trois des enfants de Haroun Daoud, ont été tués à Djorlo en défendant le village contre les pilleurs, qui étaient venus avec des chameaux pour emporter les stocks de céréales.

Après la première vague d’attaques des milices dans la région de Kerfi, les civils se sont réfugiés dans des grandes villes comme Kerfi et surtout Habile. Les milices en ont semble-t-il profité pour piller les villages vides et parfois en partie brûlés dans les environs. Un homme Dajo de Andrezeh, âgé de 49 ans, qui a évacué sa famille à la suite de l’attaque de la milice du 7 novembre, est retourné à Andrezeh le 11 novembre pour récupérer des céréales. Il y a trouvé un homme mort.

« J’ai commencé à l’enterrer mais ils m’ont tiré dessus, » a dit l’homme. « Je me suis enfui. J’ai entendu dire plus tard qu’il était venu avec son frère et que les Janjawid l’avaient tué mais que son frère s’était échappé. Ils étaient revenus chercher des céréales. »

A deux reprises le 13 novembre, une fois dans la matinée et la deuxième fois plus tard dans l’après-midi, Human Rights Watch est tombé sur une milice qui se livrait apparemment au pillage de Andrezeh, avoisinant le village de Louboutigue, complètement rasé et brûlé, à 35 kilomètres au sud-est de Goz Beida. Dans les deux cas, quinze à vingt hommes environ à pied et quatre ou cinq autres à cheval, tous armés, se sont dispersés en entendant un véhicule approcher.

Après une accalmie de plusieurs semaines, la violence est revenue dans la région de Kerfi début décembre, quand cinq civils ont été tués et trois autres blessés au cours d’une attaque contre le village de Agourtoulou.151 

Massacres de civils commis par les milices dans la région de Koloy

Le village de Koloy, avec une population de 1904 habitants avant le conflit, est devenu la résidence temporaire de 10 000 à 12 000 civils tchadiens fuyant les attaques des milices arabes début 2006, principalement à cause de facteurs géographiques. Koloy est situé à 100 kilomètres au nord-est de Goz Beida et, ce qui est crucial, juste au sud du  wadi Kadja, le lit de rivière à sec qui coïncide avec la frontière Tchad-Soudan sur la majeure partie de sa longueur et qui représente, aux yeux de nombreux habitants civils Dajo, une barrière, tout au moins  psychologique, contre les attaques des milices arabes.

En dépit de l’installation d’une présence humanitaire internationale à  Koloy, les civils déplacés ont commencé à partir après que le village voisin de Modoyna ait été attaqué le 27 mai. Certains se sont réfugiés à Gouroukoum, à deux kilomètres de Goz Beida, et d’autres ont franchi la frontière en juin vers Habila, au Soudan.152  Le 14 octobre, une milice arabe a lancé une nouvelle attaque dans la région, et six femmes ont été violées collectivement dans les champs à proximité de Koloy.153  Koloy à son tour a été attaqué et brûlé le 4 novembre, ainsi que les villages voisins de Faradjani, Marmadengue et Kerwajb.154  Koloy a été attaqué à nouveau le 7 novembre et encore une fois le 11 novembre, un groupe important de miliciens à cheval et à chameau étant cette fois accompagné de deux véhicules. La dernière attaque a été la plus violente, faisant 17 tués et 25 blessés parmi les villageois, et certaines victimes ont été semble-t-il traînées derrière les voitures jusqu’à ce que mort s’en suive. La violence a été si brutale que presque tous les habitants de Koloy, soit environ 10 000 personnes, ont fui à Adé. Pour beaucoup d’entre eux, c’était la deuxième fois en douze mois qu’ils étaient forcés de fuir leurs maisons.155

Un homme de 33 ans, blessé dans l’attaque du 11 novembre contre Koloy, a raconté que des membres d’une milice qu’il a identifiés comme des  Janjawid, certains munis d’armes lourdes, étaient venus du nord à cheval et à dos de chameau et qu’ils avaient dévasté le village.

« Ils ont tué ma petite soeur, Zahar Abakar, » a-t-il dit. « Elle avait trois ans. Mon père l’a prise et il est parti du village en courant, mais les Janjawid l’ont poursuivi et ils lui ont tiré dans le bras et il ne pouvait plus la porter. J’y suis retourné le soir pour la chercher mais elle était morte. Je l’ai enterrée mais ce n’était pas un vrai enterrement. »156

Des résidents temporaires de Koloy ont déjà fait l’expérience des attaques des milices dans leurs régions d’origine, mais beaucoup ont dit que les attaques de novembre 2006 étaient d’une brutalité inhabituelle. Les survivants racontent comment des personnes âgées ont été brûlées vivantes dans leurs huttes et les gens pourchassés par des hommes armés à cheval et tués par balles. Un homme a eu les yeux arrachés avec une baïonnette après que la Kalachnikov de son agresseur se soit enrayée.

« J’étais dans les champs et j’ai entendu des coups de feu dans le village, » a dit un homme Dajo de 21 ans blessé au cours de l’attaque du 4 novembre. « Je suis allé au village prendre mon bâton. J’ai reçu une balle dans le bras droit en essayant de m’échapper. … Il y avait six morts et huit blessés en tout, dont deux femmes. Ils ont attaché deux femmes et les ont brûlées vivantes dans leur hutte ; ils voulaient voler leurs couvertures et les femmes les ont suppliés de ne pas le faire. L’une des femmes s’appelait Deyka Dokosheh. »

En dehors du degré de brutalité, les attaques de novembre à Koloy étaient similaires à beaucoup d’autres qui se sont déroulées le long de la frontière : le raid était effectué par des hommes à cheval ou à chameau, certains portant des vêtements civils mais la majorité portant un uniforme, avec des bérets rouges. Nombre des assaillants avaient déjà vécu dans la région. Un homme de 22 ans blessé dans une attaque des milices contre Koloy le 7 novembre a dit qu’il connaissait bien l’un des agresseurs.

« C’était un Arabe tchadien, » a-t-il dit. « Je le connaissais surtout pour l’avoir vu au marché, la première fois il y a peut-être six ou huit ans. Nous avions bu du thé. Puis il est parti, je ne sais pas quand, mais je ne l’ai plus vu. Et puis quand je l’ai vu mardi, j’étais stupéfait de le voir là. Nous étions proches avant, mais maintenant son caractère a changé, il est complice de ses frères arabes, et il est devenu un Janjawid. »157

Les rebelles soudanais du MJE ont établi un camp d’entraînement à proximité de Koloy qui a été utilisé pour préparer les hommes déplacés Dajo au service militaire comme combattants « Tora Boro », et il semble que ces forces aient apporté une certaine protection aux gens de Koloy.  

« Les Tora Boro ont pris notre défense, mais ils n’étaient pas assez nombreux, » a dit un homme Dajo de 21 ans qui a été blessé le 11 novembre. « Ils savaient qu’ils n’avaient aucune chance contre les  Janjawid quand ils sont arrivés. Les Arabes avaient beaucoup d’armes. Mais il y a une montagne tout près et après nous être échappés dans la montagne, les Tora Boro se sont battus et ils ont empêché les Janjawid de nous suivre. » 

Le 13 novembre, des civils qui tentaient de s’enfuir de Koloy ont été poursuivis par des hommes armés jusqu’à huit kilomètres de Adé.158 Les milices arabes soudanaises et les Arabes tchadiens ont à nouveau attaqué Koloy les 26 et 29 novembre, ainsi que les villages voisins de Modoyna, Thireh, Tendelti, Djerena, Djedide, Koumou, et Mormadenga. 2000 civils tchadiens environ ont fui de l’autre côté de la frontière à Arara, au Soudan.159 

Massacres de civils commis par les milices à Bandikao

Bandikao, un village de l’ethnie Muro à 90 kilomètres au sud de Goz Beida, a été dévasté deux fois par des violences communautaires. La première fois fut en 2003 et la seconde fois les 4 et 5 novembre 2006, lorsque des nomades arabes qui traversaient chaque année la région à la fin de la saison des pluies ont tué 56 personnes et en ont blessé 41 autres. Selon des sources tant arabes que Muro, 26 Arabes ont également été tués dans les combats.160

Un chef des nomades arabes connaissant bien la situation à Bandikao a expliqué les combats de novembre comme étant la continuation des violences qui avaient éclaté dans la région en 2003. La différence était qu’en 2006, les nomades arabes étaient vêtus d’uniformes et portaient des armes automatiques, alors qu’en 2003 ils étaient vêtus en civil et combattaient avec des armes primitives.161 Un chef arabe Salamat a dit que les violences avaient commencé à Bandikao le jour de la fête de l’Aïd el-Fitr,162 en 2003, quand un homme Muro avait agressé un Arabe Alawouni. Un chef traditionnel Dajo de la région qui avait arbitré le conflit de 2003 a admis que les Muro avaient été reconnus coupables, et que plusieurs d’entre eux avaient été emprisonnés à cause de leurs actions, bien qu’ils aient été relâchés par la suite.163 

Bien que les antécédents sont obscurs, nombre des faits rattachés aux violences de novembre 2006 sont connus. Selon les autorités locales à Bandikao, les nomades arabes sont arrivés le 31 octobre dans la région de Bandikao pour leur migration annuelle, et ils ont installé un campement provisoire à proximité. Le 2 novembre, un petit groupe a acheté 20 sacs de céréales au village voisin de Jinjar. Puis, le samedi 4 novembre, des membres de la même tribu arabe sont arrivés dans les environs de Bandikao et ont trouvé deux jeunes bergers, Abdelharim Ahamad, 15 ans, et Aroon Idriss, 12 ans, qui gardaient leur troupeau.

« [Les Arabes] se sont saisis des deux garçons et les ont battus, puis ils ont pris leurs arcs et les ont cassés en deux, et ils ont dit : « Allez dire à votre père de venir nous trouver ici, » a dit un homme de 44 ans qui a été blessé au cours du combat qui a suivi. « Le chef de Bandikao a dit : « Je vais aller trouver les gens qui ont créé ce problème, et il y est allé avec deux autres pour voir qui avait battu les enfants. Ils ont tous été exécutés. »164

En entendant les coups de feu, des hommes Muro de se sont armés et ont tenté de récupérer le corps du chef de village et ils sont alors tombés dans une embuscade. Selon des témoins oculaires et des hommes Muro qui ont été blessés dans le combat qui a suivi, les défenseurs de Bandikao armés de lances et de flèches empoisonnés se sont battus avec les nomades arabes, qui les ont abattus avec leurs armes automatiques.

« Certains des blessés n’étaient pas morts et leurs proches sont allés les chercher et ont été tués, » a dit un homme de 31 ans blessé à Bandikao. « Je suis allé chercher le corps du chef de village. C’était mon frère. J’ai été blessé ainsi qu’un autre homme. A la nuit, on est venu me chercher. Beaucoup de ceux qui avaient été blessés pendant la journée mais n’ont pas pu s’échapper du champ de bataille se sont vidés de leur sang pendant la journée, puis pendant la nuit. Le chef de village a été enterré, mais beaucoup de gens sont morts en essayant de récupérer son corps. »165

Parmi les blessés récupérés, sept sont morts des suites de leurs blessures, d’après un chef de village de Bandikao.166

Les hommes de Bandikao ont récupéré six casquettes militaires sur les Arabes tués au cours du combat, ainsi qu’une veste d’uniforme verte usée, sans aucune marque d'identification ni étiquette de fabrication. Tous les assaillants auraient été armés de Kalachnikovs identiques. Plusieurs témoins oculaires Muro ont dit que leurs agresseurs les avaient accusés d’être des militants Tora Boro.

« Ils nous ont dit : « Nous avons reçu une formation de Janjawid. Nous n’avons pas été formés pour être des Tora Boro, » a dit un homme. « Vous ne pouvez pas nous résister. »167

Les habitants Muro de Bandikao énumèrent une longue liste de tribus arabes qui ont participé à une attaque contre leur village début novembre, mais ils omettent soigneusement les Beni Seit,168 ce qui suggère que la décision de prendre part aux violences des milices est prise à un niveau très local.

« Pendant le Ramadan, les Beni Seit ont apporté un mouton au chef de village, » a dit l’homme. « Quand ils sont arrivés, ils ont dit qu’ils ne voulaient aucun problème. Ils ont dit : « Si vous avez besoin de quelque chose, n’importe quoi, venez nous voir s’il vous plait, et si nous avons besoin de quelque chose nous viendrons vous voir. » Ils ont dit : « Les autres tribus arabes veulent créer des problèmes, mais pas les Beni Seit. »169 

Viols et autres formes de violences sexuelles

Le viol est un élément constant des violences existantes et du climat général d’impunité qui persiste au Dar Sila. Human Rights Watch  a reçu des informations à propos de viols pendant son travail de documentation sur les violences des milices dans la zone frontalière, au cours des missions de recherche en janvier et février, et à nouveau dans la région de Dogdoré en avril et mai. Depuis lors, la fréquence des viols semble avoir augmenté, de même que la brutalité des agressions, bien que les preuves recueillies soient anecdotiques ; comme c’est le cas dans d’autres régions du Tchad, les victimes signalent rarement les viols aux autorités locales et dans certains cas, elles cachent même cette information à leur mari.

La plupart des viols dont Human Rights Watch a été informé ont eu lieu à proximité des villages, souvent mais pas toujours pendant les attaques des milices qui ont aussi comporté d’autres exactions. Par exemple, une femme de 26 ans qui a fui à Goz Beida depuis a dit qu’elle avait été violée par trois hommes quand une milice arabe avait attaqué Koloy le 11 novembre 2006.

« J’étais dans les champs quand j’ai entendu les coups de fusil, » a-t-elle dit. « Je n’arrivais pas à choisir entre me cacher ou essayer de trouver mes enfants, et d’abord je me suis cachée, mais après j’ai couru parce que deux de mes enfants étaient encore à la maison. Il y avait trois hommes en uniforme militaire, des Arabes à la peau rouge ; ils m’ont attrapée dans les champs et m’ont frappée à coups de poing. J’ai cru qu’ils allaient me tuer. J’ai perdu conscience et ils m’ont violée. Ma fille aînée était là avec moi. Elle hurlait. »170

Pendant les mois d’octobre et de novembre 2006, les hommes ont généralement refusé de travailler dans les champs, craignant d’être considérés par les milices comme en âge de se battre et donc d’être pris pour cible. Les femmes, cependant, ont continué à quitter la relative sécurité de leurs villages pour travailler dans les champs environnants, et c’est là que beaucoup d’entre elles ont été violées. Une femme et une fillette ont été violées trois jours après une attaque de milices le 1er  novembre contre Tamajour, une localité Dajo au nord-ouest de Kerfi, selon une femme de 40 ans de Tamajour, qui a dit que l’une des victimes était sa fille de 20 ans.

« Elle est retournée chercher un sac de céréales et elle a été violée, » a dit la femme. « Elle a peur de le dire à son mari. » 

Gouroukoum, une localité à deux kilomètres de Goz Beida qui accueille 15 271 personnes déplacées,171 est la source de nombreux rapports sur des agressions sexuelles et des viols. D’après un homme déplacé âgé de 51 ans, des femmes ont été violées alors qu’elles cultivaient les champs, cherchaient de l’eau ou ramassaient du bois pour le feu à la périphérie de Gouroukoum.

« Deux femmes ont été violées ici en novembre, » a dit l’homme, qui a été déplacé depuis Koloy au mois de mai. « Ce sont les Arabes locaux qui l’ont fait. Une autre femme était avec elles, et elle a été battue mais elle s’est échappée. Elles ont été agressées parce qu’elles étaient seules, et parce qu’elles sont Dajo. »172

Pillages de biens civils et violences associées

Au Dar Sila, des milliers incalculables de chameaux, de têtes de bétail, de moutons et de chèvres appartenant à des villageois non arabes ont été volés en octobre et novembre 2006. Les civils qui ont tenté d’empêcher les milices de piller leurs biens ont couru le risque d’être gravement blessés ou tués.

« Quand ils nous ont attaqués il y a six jours, ils sont venus avec des chameaux pour prendre les céréales, » a dit le chef de village de Djorlo. « Puis ce matin, ils sont revenus pour prendre plus de céréales. »173

Certains pillages et les violences qui les accompagnent semblent être circonstanciels, des voleurs armés profitant de l’insécurité générale et du manque de forces militaires et policières gouvernementales pour piller systématiquement les villages peu défendus des zones rurales. Dans certains cas des attaques contre des villages n’ont pas été accompagnées de pillage ni d’incendie des maisons, mais de nombreuses victimes font état de  granges détruites, de maisons, de champs et de denrées alimentaires brûlés. D’après un homme Muro de Djorlo, le pillage répandu au Dar Sila serait dirigé par une vaste coalition d’individus et de groupes armés qui comprend des groupes situés de part et d’autre de la frontière Tchad-Soudan.

« Les Arabes tchadiens se sont regroupés avec les Soudanais, et il y a deux ans ils ont commencé à voler notre bétail, » a-t-il dit. « Les Soudanais sont restés ici chez des parents avant de nous voler notre bétail. Tous les Soudanais portent des uniformes quand ils attaquent. Les Tchadiens sont habillés en civil. »174 




107 Stephanie Hancock, “Ethnic attacks in eastern Chad kill up 220-U.N.,” Reuters, 9 novembre 2006, http://www.alertnet.org/thenews/newsdesk/L09564524.htm (consulté le 13 décembre 2006).

108 “Chad/Darfur: thousands remain frightened,” communiqué de presse du HCR, 24 novembre 2006, http://www.reliefweb.int/rw/RWB.NSF/db900SID/LSGZ-6VUFHP?OpenDocument&rc=1&emid=ACOS-635PJQ (consulté le 13 décembre 2006).

109 “Chad/Darfur: thousands remain frightened,” communiqué de presse du HCR.

110 Fora Baranga, au Soudan, en face de Mongororo, Tchad, est fréquemment cité comme une source importante d’armes à feu du marché noir, mais Koukou-Angarana est également mentionné, avec des tarifs allant de $50 à $300 pour une Kalachnikov. Tant l’ANT que les mouvements rebelles soudanais sont également signalés pour alimenter en armes le marché noir local, car les soldats de l’infanterie, riches en armes mais pauvres financièrement, se servent des armes et des munitions comme monnaie d’échange.  Des marchands de Goz Beida signalent que des rebelles soudanais paient leurs bières avec des balles et utilisent des fusils pour payer leur nourriture et autres fournitures.  Entretiens de Human Rights Watch, est tchadien, novembre 2006.

111 Entretiens de Human Rights Watch, Arabes Salamat et Mafaza, Kerfi, Goz Beida, Samasim, Adjoup, Tchad,  14-20 novembre 2006.

112 D’après une personne âgée Dajo, le principe central de la wihida Arabia est l’unité entre les Arabes soudanais et tchadiens. Entretien de Human Rights Watch, est du Tchad, novembre 2006. Le chef arabe d’un farik (village) au nord de DogDoré, à 150 kilomètres à l’est de Goz Beida, a confirmé que les tribus arabes et non arabes comme les Mimi et les Ouaddaï avaient fait alliance pour se protéger contre les agressions territoriales des tribus majoritaires Dajo et Masalit de la région, qui se sont elles-mêmes regroupées dans une tentative pour pousser les Arabes, Mimi et Ouaddaï hors du Tchad et vers le Darfour.  Entretien de Human Rights Watch, est du Tchad, 13 mai 2006 and Entretiens de Human Rights Watch, est du Tchad, Janvier à novembre 2006.  Ces alliances ne sont pas sans précédent dans la région : en 1987, un “Rassemblement Arabe” est apparu au Darfour, qui unifiaient les tribus arabes cherchant à être mieux représentées dans les structures gouvernementales locales, régionales et nationales, alimentant les craintes des tribus non arabes sédentaires au Darfour d’être déplacées par la force par les tribus arabes. Voir International Crisis Group, “Darfur Rising: Sudan’s New Crisis.”

113 A la suite de l’attaque rebelle tchadienne du mois d’avril contre N’Djamena, les rebelles du Darfour ont établi des bases à Adé, Koloy et Goz Beida. Il s’agit de la faction de l’ALS fidèle à Khamis Abdullah, l’ancien dirigeant en second Masalit de l’ALS, et, de plus en plus, du MJE. Entretiens de Human Rights Watch, membres du MJE et du G-19 et dirigeants politiques, N’Djamena et Dar Sila, Tchad, mai 2006, et octobre à novembre 2006.

114 De nombreuses victimes signalent que leurs agresseurs utilisent des épithètes racistes comme Nuba, un terme péjoratif utilisé au Soudan, en général par des non Africains, pour désigner les Noirs et/ou les esclaves.

115 Entretiens de Human Rights Watch avec des personnes déplacées, des victimes de violence, des dirigeants communautaires et des travailleurs de l’aide internationale, divers endroits du département du Dar Sila, Tchad, Janvier à novembre 2006.

116 Le terme Ouaddaïen est utilisé pour désigner toutes les personnes vivant dans la région            administrative de Ouaddaï, en particulier quand il est utilisé dans la partie ouest du Tchad. Il y a cependant une tribu Ouaddaï  “spécifique”, du Dar Ouaddaï, la terre des “véritables” Ouaddaïens, qui sont les Maba. Voir Albert Le Rouvreur, Sahéliens et Sahariens du Tchad, (Paris: Berger Levrault) 1962.

117 Les deux groupes sont de récents arrivants dans le département du Dar Sila. Les Mimi et les Ouaddai ont immigré au Dar Sila entre 1979 et 1985 après une sécheresse dans la province d’Abéché.

118 Un dirigeant des Dajo a expliqué que la plupart des Dajo qui décident de rejoindre les milices arabes le font poussés par le sésir de protéger leurs villages et de protéger contre le vol leurs troupeaux restants.  “Si les Mimi et les Ouaddai sont alliés avec les Arabes, c’est seulement pour protéger leurvie et leurs biens,” a-t-il dit.  “C’est différent pour ceux qui sont près de la frontière et pour ceux qui sont loin. Près de la frontière, ils n’ont pas le choix ; ils doivent s’associer avec les Arabes.” Entretiens de Human Rights Watch, lieu confidentiel, 23 novembre 2006 et 16 mai 2006.

119 A ce jour, Dogdoré n’a pas été attaqué. Entretien de Human Rights Watch avec un travailleur de l’aide humanitaire basé à Dogdoré et à Goz Beida, Tchad, 15 novembre 2006. En juin, une attaque des Janjawid dans la région de Dogdoré a fait six morts.  HCR, “Sudan/Chad Situation Update 60,” 29 juin 2006 http://www.reliefweb.int/rw/RWB.NSF/db900SID/HMYT-6R9P82?OpenDocument (consulté le 26 décembre 2006).

120 Le 13 avril, plus de 100 villageois Dajo ont été tués quand des milices soudanaises Janjawid et des villageois tchadiens ont attaqué un groupe de villages tchadiens à l’est de Dogdoré. Voir Human Rights Watch, “Violence au-delà des frontières.”

121 Il y a trois villages qui s’appellent Djimeze dans la région, Djimeze Djama, Djimeze Amar, Djimeze Moubi, également appelés Djimeze I, II et III. 

122 Entretien de Human Rights Watch avec un travailleur de l’aide humanitaire internationale, Goz Beida, Tchad, 15 novembre 2006.

123 Entretiens de Human Rights Watch avec des Tchadiens déplacés à l’intérieur du pays et des travailleurs de l’aide humanitaire internationale, est du Tchad, Novembre 2006. Voir aussi HCR, “Sudan/Chad Situation Update 66.”

124 Entretiens de Human Rights Watch, Tiero, 21 novembre 2006.  Human Rights Watch s’est rendu dans la zone de Tiero et a vu deux secteurs distincts du village où cinq maisons au total avaient été incendiées ; dans l’un de ces sites, il y avait trois tombes récemment creusées.

125 Entretien de Human Rights Watch avec un travailleur de l’aide humanitaire internationale basé à Dogdoré pendant les attaques d’octobre, Goz Beida, Tchad, 15 novembre 2006.

126 Entretien de Human Rights Watch, dirigeant d’une force d’autodéfense Dajo, Tiero, Tchad, 21 novembre 2006.

127 Entretien de Human Rights Watch, Koukou-Angarana, Tchad, 13 novembre 2006.

128 D’après ce témoin oculaire, les Arabes au sud-est du Tchad se sont regroupés dans la wahida Arabia avec les tribus arabes soudanaises, au sein de laquelle chaque chef de farik  a été obligé d’envoyer des hommes jeunes pour prendre part à une attaque. 

129 Entretien de Human Rights Watch, Koukou-Angarana, Tchad, 13 novembre 2006.

130 Ibid.

131 Ibid.

132 Marena est un village à l’ouest de Tiero divisé en deux sections, une section arabe et l’atre Dajo. Entretien de Human Rights Watch avec un membre des forces d’autodéfense Dajo, âgé de 37 ans, Tiero, Tchad, 22 novembre 2006.

133 Entretien de Human Rights Watch, Tiero, Tchad, 22 novembre 2006.

134 Communication confidentielle, Human Rights Watch, 29 novembre 2006.

135 “High Commissioner Guterres to visit Chad among growing insecurity,” communiqué de presse du HCR, 19 décembre 2006, http://www.unhcr.org/cgi-bin/texis/vtx/news/opendoc.htm?tbl=NEWS&id=45880c124 (consulté le 26 décembre 2006).

136 Chiffres officieux recueillis par les autorités locales, des agences humanitaires internationales, des agences de l’ONU et des journalistes.

137 Les chefs arabes Salamat ont donné à Human Rights Watch une liste avec les noms des tués et des blessés à Amchamgari, et ont indiqué que les blessés avaient été évacués à l’hôpital de Goz Beida. Les dossiers examinés par Human Rights Watch à l’hôpital de Goz Beida le 23 novembre 2006 indiquent que sept hommes blessés ont été admis à l’hôpital le 14 octobre avec des blessures par balles. Un aide soignant de l’hôpital chargé des admissions s’est rappelé que les sept hommes étaient des Arabes de Amchamgari. Entretien de Human Rights Watch, 23 novembre 2006.

138 Entretien de Human Rights Watch, Samasim, Tchad, 23 novembre 2006.

139 Makayeh a été désigné par plusieurs sources, dont deux hommes blessés au cours de l’attaque contre Amchamgari. Entretiens de Human Rights Watch, Tchad, novembre 2006.

140 Entretiens de Human Rights Watch, chefs arabes Salamat et témoins oculaires de l’attaque de Amchamgari, Kerfi, Samasim, Adjoup, Tchad, novembre 2006.

141 Dirigeant communautaire arabe de rang inférieur.

142 Entretien de Human Rights Watch, Kerfi, Tchad, 16 novembre 2006.

143 Entretien de Human Rights Watch, Kerfi, Tchad, 12 novembre 2006.

144 Communication confidentielle de Human Rights Watch, Abéché, Tchad, 27 octobre 2006.

145 Entretien de Human Rights Watch, Kerfi, Tchad, 16 novembre 2006.

146 Entretiens de Human Rights Watch, Kerfi, Tchad, 12 novembre 2006.

147 Entretien de Human Rights Watch, Kerfi, Tchad, 12 novembre 2006.

148 Entretien de Human Rights Watch, hôpital de Goz Beida, Goz Beida, Tchad, 17 novembre 2006.

149 Entretiens de Human Rights Watch, Djorlo self-defense force members, Djorlo, Tchad, 12 novembre 2006. Voir aussi “Chadian villages attacked and burned, many dead and hundreds flee,” communiqué de presse du HCR, 9 novembre 2006 http://www.newssafety.com/hotspots/countries/chad/alertnet/chad091106.htm (consulté le 26 décembre 2006).

150 Un vêtement long porté par les hommes dans la région.

151 “Chad: situation remains volatile, relocation continues,” conférence de presse du HCR, porte parole du HCR  Jennifer Pagonis, 8 décembre 2006, http://www.reliefweb.int/rw/RWB.NSF/db900SID/HMYT-6WAM57?OpenDocument (consulté le 26 décembre 2006).

152 HCR, “Sudan/Chad Situation Update 60,” 29 juin 2006, http://www.reliefweb.int/rw/RWB.NSF/db900SID/HMYT-6R9P82?OpenDocument (consulté le 26 décembre 2006).

153 Entretiens de Human Rights Watch avec des autorités locales et des responsables gouvernementaux, Adé, Tchad, 18 novembre 2006.

154 “Chad: Thousands newly displaced,” IRIN, 22 novembre 2006, http://www.irinnews.org/report.asp?ReportID=56478&SelectRegion=West_Africa&SelectCountry=CHAD (consulté le 17 décembre 2006).

155 Entretiens de Human Rights Watch, témoins oculaires et victimes des violences, hôpital de Goz Beida, Goz Beida, Tchad, 20 et 23 novembre ; Entretiens de Human Rights Watch, autorités locales et responsables gouvernementaux, Adé, Tchad, 18 novembre 2006.  Voir aussi “Chad: Over 5,000 internally displaced people receive aid,” communiqué de presse de l’ICRC, 24 novembre 2006, http://www.icrc.org/web/eng/siteeng0.nsf/html/Chad-news-241106 (consulté le 26 décembre 2006).

156 Entretien de Human Rights Watch, hôpital de Goz Beida, Goz Beida, Tchad, 23 novembre 2006.

157 Ibid.

158 Human Rights Watch, communication confidentielle, 13 novembre 2006.

159 HCR, “Sudan/Chad Situation Update 68,” 17 décembre 2006, http://www.reliefweb.int/rw/RWB.NSF/db900SID/EVOD-6WNE49?OpenDocument (consulté le 26 décembre 2006).

160 Si l’on se fonde sur le grand nombre d’Ararbes tués dans le combat, il est clair que le groupe d’autodéfense de Bandikao était capable d’infliger des pertes à un adversaire apparemment lourdement armé. Bien que les témoins oculaires Muro de l’attaque contre Bandikao insistent sur le fait qu’ils n’étaient armés que d’armes primitives telles que des lances et des flèches empoisonnées, cela est vraisemblablement faux. Human Rights Watch a pu observer une force d’autodéfense organisé et en uniforme à Bandikao, équipée d’armes automatiques. Le nombre de civils parmi les victimes de Bandikao n’est pas clair.

161 La source du matériel militaire est l’objet de conjectures, mais il est manifeste que les Arabes nomades de la région de Bandikao ont reçu une forme de parrainage externe. Entretien de Human Rights Watch, chef nomade arabe, Kerfi, Tchad, 14 novembre 2006.

162 Le jour de fête qui marque la fin du mois sacré de Ramadan.

163 Entretien de Human Rights Watch, dirigeant communautaire Dajo, Goz Beida, 15 novembre 2006.

164 Entretien de Human Rights Watch, hôpital de Goz Beida, Goz Beida, Tchad, 14 novembre 2006.

165 Entretien de Human Rights Watch, homme Muro blessé lors de l’attaque contre Bandikao, Goz Beida, Tchad, 14 novembre 2006.

166 Entretien de Human Rights Watch, chef de village, Bandikao, Tchad, 13 novembre 2006.

167 Entretien de Human Rights Watch, témoin oculaire Muro de l’attaque contre Bandikao, Bandikao, 13 novembre 2006.

168 Les Beni Seit sont des Arabes semi-sédentaires. Le Rouvreur, Saheliens et Sahariens du Tchad.

169 Entretien de Human Rights Watch, homme Muro de 31 ans blessé à Bandikao, hôpital de Goz Beida, 14 novembre 2006. D’un autre côté, les habitants Dajo de Tamajour, un village entre Kerfi et Goz Beida qui a été attaqué et incendié le 8 novembre, ont désigné les Beni Seit comme majoritaires parmi les assaillants.

170 Entretien de Human Rights Watch, Goz Beida, Tchad, 17 novembre 2006.

171 Statistiques non officielles recueillies par le HCR, à la date du 22 novembre 2006.

172 Entretien de Human Rights Watch, Goz Beida, Tchad, 17 novembre 2006.

173 Entretien de Human Rights Watch, Kerfi, Tchad, 12 novembre 2006.

174 Ibid.