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<<précédente | index | suivant>> VI. Les medias et les incitations a la haineLusage de discours xénophobes incitant à la haine par les médias dEtat ivoiriens pendant la crise de novembre 2004 à incité les milices pro-gouvernementales à commettre des crimes graves contre des étrangers, sattirant la large condamnation de la communauté internationale. Le gouvernement du Président Gbagbo a appuyé son offensive aérienne et terrestre contre les Forces Nouvelles en novembre par un déchaînement des médias contre les personnes originaires du nord, les immigrés et les Français. Le déferlement dappels à la haine et dincitations à la violence a été précédé par une campagne dintimidation et de sabotage pour réduire au silence les voix indépendantes et de lopposition.120 Le 4 novembre, le gouvernement a refusé laccès au personnel dencadrement de la télévision dEtat et de la station de radio RTI et a renvoyé son directeur. Le même jour, les relais de transmissions FM des stations étrangères Africa Number One, BBC, RFI et VOA ont été sabotés par une unité militaire non spécifiée.121 Des groupes de Jeunes Patriotes ont incendié ou mis à sac les bureaux de quatre journaux favorables à lopposition, et le gouvernement a ordonné au principal distributeur darrêter les livraisons de six quotidiens indépendants et dopposition.122Dans les jours qui ont précédé les attaques de la force aérienne ivoirienne contre la base française, la presse a exacerbé le sentiment anti-Français et mis en cause la loyauté des personnes du nord et de celles descendant de non-Ivoiriens. Le journal pro-FPI Le National Plus a désigné la communauté des entrepreneurs libanais développée en Côte dIvoire comme profitant de la guerre et aidant les rebelles. Les Libanais, les complices des rebelles, seront bientôt dénoncés et paieront pour avoir travaillé avec ceux qui ont plongé les Ivoiriens dans laffliction.123 Un autre journal pro-Gbagbo, Le Temps, a accusé ceux qui soutenaient la France ou les membres de la coalition de lopposition G7 de venir de sang souillé. Encore une fois aujourdhui nous pouvons parler sans honte de sang impur. Chacun de ces descendants de sang mêlé qui défend les couleurs de la France à travers la rébellion du G7 devrait en être conscient. Ils viennent dun sang souillé.124 Le flot dinvectives a atteint son apogée après le raid aérien français. RTI a repassé des clips dorateurs pressant les Ivoiriens de descendre dans les rues pour sauver le pays des rebelles et des envahisseurs français. La télévision a mélangé les rumeurs, la rhétorique et les bulletins de nouvelles pour obtenir un courant de discours dincitation à la révolte et à la xénophobie qui sest prolongé pendant des jours.125 La télévision passait sans arrêt en boucle des chants patriotiques et des séquences sanglantes sur les victimes tuées par les soldats français devant lHôtel Ivoire le 9 novembre. Tout cela a contribué à latmosphère de revanche et de violence, a déclaré un journaliste de lopposition qui sest caché après le début de loffensive. Le message était que les étrangers soutenaient les rebelles. 126 Les directeurs des stations dEtat ont défendu la manière dont ils avaient traité les événements contre les critiques des Nations Unies, des gouvernements occidentaux et des groupes de liberté de la presse internationale en disant que le pays était attaqué. Je crois profondément que la gestion des médias publics est différente en temps de crise de ce quelle est en temps de paix, a déclaré Jean-Paul Dahily, qui a été nommé à la tête dun comité de crise dirigeant RTI. Les médias sont là pour servir les institutions de la République et non pas lennemi.127 En réponse aux préoccupations quant au recours aux incitations à la haine pendant la crise de novembre 2004, la résolution 1572 du Conseil de Sécurité des Nations Unies a demandé que les autorités ivoiriennes stoppent toutes les stations de radio et de télévision incitant à la haine, à lintolérance et à la violence. La résolution a poursuivi en exigeant que lUNOCI renforce son rôle de contrôle à cet égard. Début 2005, lUNOCI a mis en place une unité au sein de la section des Affaires Publiques pour contrôler les discours haineux dans les médias. Cependant, au moment où nous écrivons, cette unité dispose tout juste dun contrôleur à plein temps aidé de deux assistants. Elle manque aussi de directives claires sur ce qui constitue un discours haineux.128 Nous ne savons pas de façon légale ni selon quels termes où sarrête lopinion et où commence le discours haineux, a dit une source des Nations Unies. Nous avons besoin dun ensemble de règles. LUNOCI ne sait pas non plus clairement si elle devrait agir pour bloquer les émissions ou autres formes de médias qui incitent à la haine et à la violence contre des civils. Au moment où nous écrivons, lUNOCI na pas les moyens techniques de bloquer de telles transmissions. Elle semble plutôt mettre laccent sur la responsabilité : Là où la communauté internationale pourrait faire une différence, cest sur la question de la responsabilité, a déclaré un fonctionnaire des Nations Unies.129 Le comité de sanctions [des Nations Unies] pourrait faire savoir quil a un il sur les auteurs de discours dappels à la haine. Les éditeurs devraient savoir quils seront tenus pour responsables, ainsi que leurs propriétaires et maîtres politiques, de ce quils mettent dans leurs journaux et sur les ondes. Si ceci est important, il est également impératif que lUNOCI, avec le Conseil de Sécurité, élabore des directives écrites pour établir à quel point il est justifié, dans lintérêt de la protection des civils, de bloquer de telles transmissions et davoir réellement à leur disposition la technologie nécessaire pour le faire. Contrôler les émissions en français ainsi que dans les langues locales constitue la partie cruciale du travail des Nations Unies, étant donné que les journaux ne sont lus que par une minorité dIvoiriens alors que la radio atteint pratiquement tout le monde. Pendant la montée des discours incitant à la haine en novembre, les partisans de lopposition à Abidjan, ville entourée de lagunes, avaient surnommé RTI Radio Mille Lagunes, en référence aux émissions de la Radio Mille Collines qui avait alimenté le génocide au Rwanda dix ans plus tôt. Le risque dune situation similaire au Rwanda existe, a déclaré un diplomate supérieur. Certaines des choses qui doivent arriver se sont produites. Une propagande soutenue et virulente contre un groupe particulier est un signe précurseur à la violence. La grande différence entre alors et maintenant cest que nous sommes conscients du danger.130 [120] Entretiens de Human Rights Watch avec des journalistes, des diplomates et des membres de lopposition, Abidjan. Février à mars 2005. [121] Entretien de Human Rights Watch avec des fonctionnaires des Nations Unies. Février 2005. [122] Entretiens de Human Rights Watch avec un groupe ivoirien de défense des droits humains et avec des journalistes travaillant pour des journaux dopposition, Abidjan. Février-Mars 2005. [123] Le National Plus, Abidjan, 5 novembre 2004. [124] Le Temps, Abidjan, 6 novembre 2004. [125] Entretiens avec des journalistes et des contrôleurs des médias étrangers. [126] Entretien avec Human Rights Watch, Abidjan, Février 24, 2005. [127] Reuters, Abidjan. 16 décembre 2004 [128] Entretiens avec des sources des Nations Unies et des médias, Abidjan, Février-Mars, 2005. [129] Entretien de Human Rights Watch, Abidjan, 24 février 2005. [130] Entretien de Human Rights Watch, Abidjan, 25 février 2005.
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