Africa - West

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I. INTRODUCTION

Les enfants du Rwanda ont connu le pire de l'humanité. Huit ans après qu'un groupe de politiciens eut lancé un génocide pour tenter de se maintenir au pouvoir, les conséquences dévastatrices pour ceux qui en réchappèrent ne font aucun doute. Les traditionnelles structures de protection des enfants dont le réseau familial, le système judiciaire et le système éducatif ont été mis à sac. En conséquence, les enfants - dont beaucoup ont survécu à d'indicibles atrocités - sont toujours les victimes des violations systématiques des droits humains, de jour comme de nuit. Face à l'écrasant défi de reconstruire une société ravagée par la guerre et la misère, la protection de leurs droits a été laissée de côté. Mais ce n'est pas là rendre justice aux enfants rwandais. Le Gouvernement du Rwanda peut et doit faire davantage pour briser le cycle des abus et de l'exploitation qui touchent des dizaines de milliers d'enfants rwandais. Manquer de protéger leurs droits humains risque de leur laisser un héritage dangereux, pour eux et pour l'avenir du pays. (Human Rights Watch utilise le terme « enfant » pour toute personne âgée de moins de dix-huit ans.)

Ceux qui ont planifié et mis en oeuvre le génocide de 1994 ont violé les droits des enfants à grande échelle. Ils n'ont pas seulement violé, torturé et massacré des enfants en même temps que des adultes, tueries après tueries partout à travers le pays. Poussant leur logique génocidaire jusqu'à son absurde conclusion, ils ont ciblé les enfants pour les tuer : pour exterminer les « gros rats », disaient-ils, il faut aussi tuer les « petits rats. » D'innombrables milliers d'enfants ont été assassinés pendant le génocide et la guerre. Beaucoup de ceux qui réussirent à échapper à la mort ont continué de craindre pour leur propre vie, ont survécu aux viols ou à la torture, ont été témoins du meurtre de leurs proches, se sont cachés sous des cadavres ou ont vu des enfants tuer d'autres enfants. Certains de ces enfants disent qu'il leur est indifférent de vivre ou de mourir.

Quelque cinq mille personnes ont été arrêtées sous l'accusation de crimes de génocide commis alors qu'elles avaient moins de dix-huit ans. Bien qu'ils inspirent moins de sympathie, les enfants qui prirent part au génocide sont eux-aussi des victimes. Leurs droits ont d'abord été violés par les adultes qui les ont recrutés, manipulés ou les ont incités à commettre des atrocités, puis ils ont été violés de nouveau par le système judiciaire rwandais. Un garçon qui a avoué et a été condamné pour crime de génocide a expliqué qu'il n'avait eu d'autre choix que de tuer les enfants de sa s_ur sous peine d'être tué lui-même. Il avait alors seize ans. Un nombre élevé de ces enfants ont été en fait injustement arrêtés. Un autre garçon arrêté après le génocide et qui avait alors treize ans a avoué qu'il avait tué pour échapper à la torture, même s'il assure aujourd'hui que sa confession était fausse. Il avait vu comment les soldats du gouvernement rwandais avaient torturé d'autres détenus. Son père, entre autres, était décédé sous la torture la nuit précédente. Lui et des milliers d'autres qui avaient moins de quatorze ans en 1994 et par conséquent étaient trop jeunes pour être pénalement tenus responsables en vertu de la loi rwandaise ont été libérés après avoir été transférés des lieux de détention à des camps de rééducation en 2000 et 2001. Le gouvernement promettait depuis 1995 de les libérer.

Environ quatre mille enfants qui avaient entre quatorze et dix-huit ans pendant le génocide continuent de croupir dans des prisons surpeuplées. Leur adolescence s'est envolée. En dépit de promesses répétées de faire de leur cas une priorité au sein d'un système judiciaire accablé, ils ont été assujettis à la pire des situations. Les accusés mineurs ont été jugés à un rythme encore plus lent que celui des adultes. Très peu ont bénéficié du droit à une défense appropriée et des autres cadres de protection prévus par la loi rwandaise et le droit international. Quelques centaines d'enfants pour lesquels les procureurs n'avaient pas mené d'enquête ni établi de dossier judiciaire durant les années de leur détention ont été libérés provisoirement en 2001 après avoir été disculpés par leurs voisins lors des réunions publiques. Ironiquement, maintenant que le gouvernement a finalement fait des progrès pour corriger les nombreuses faiblesses du système judiciaire - notamment en organisant des tribunaux basés dans les communautés pour traiter le gros des affaires liées au génocide et en relâchant la plupart de ceux qui, de par leur âge, ne pouvaient être tenus responsables criminellement ou ceux qui n'avaient pas de dossier - il est devenu paradoxalement plus difficile d'attirer l'attention sur les milliers de jeunes adultes qui restent en détention pour des crimes qu'ils auraient commis étant enfants. « Nous avons le sentiment que la justice nous a abandonnés, » a confié l'un d'eux à Human Rights Watch.

Peut-être l'héritage le plus dramatique du génocide et de la guerre sont ces innombrables enfants livrés à eux-mêmes et l'échec du gouvernement à les protéger contre les abus et l'exploitation. Sur les vertes collines rwandaises, près de 400.000 enfants- dix pour-cent des enfants rwandais- luttent pour leur survie privés de l'un ou des deux parents. Qu'ils soient orphelins en raison du génocide ou de la guerre, à cause du SIDA ou parce que leurs parents sont en prison sous l'accusation de génocide, tous ont désespérément besoin de protection. Beaucoup de Rwandais ont fait preuve d'une grande générosité en s'occupant d'orphelins ou d'enfants dans le besoin. Cependant, parce que de nombreux Rwandais vivent eux-mêmes des temps difficiles, les enfants n'ont de valeur, pour certains, que leur force de travail et leur propriété. Des familles d'accueil ont pris chez elles des enfants indigents, mais certaines les ont exploités comme domestiques, leur ont refusé toute éducation et ont confisqué sans scrupules la terre de leur famille. Les responsables du gouvernement n'ont pas fait grand chose pour protéger les droits de ces enfants, comptant plutôt sur leur famille élargie. Mais les réseaux sociaux traditionnels se sont sévèrement érodés avec la pauvreté, l'épidémie du SIDA et, pas à un degré moindre, les conséquences du génocide et de la guerre.

Des milliers d'enfants - dont la plupart avaient été exploités comme force de travail ou pour leurs biens et s'étaient retrouvés privés du droit à l'éducation chez eux - ont gagné les rues des villes pour se débrouiller par eux-mêmes. Ils y sont confrontés au risque presque permanent de harcèlement par les forces de l'ordre et d'arrestations arbitraires. Les autorités municipales continuent de rafler les enfants par la force pour « nettoyer » les rues malgré les promesses de diriger leurs efforts vers la protection de ces enfants sans attenter à leurs droits. Les filles qui vivent dans les rues sont fréquemment violées, parfois même par des représentants de l'ordre dont la plupart n'ont jamais été inquiétés.

La communauté internationale a versé des milliards de dollars en faveur de la reconstruction et de la réhabilitation du Rwanda et continue de donner des dizaines de millions dollars chaque année. Cependant, des ressources inadéquates ont été allouées à la protection d'enfants en situation désespérée. Les donateurs ne se sont pas assurés que les fonds devant par exemple permettre la tenue rapide des procès d'enfants accusés de génocide étaient effectivement affectés à cet objectif. De même, les donateurs n'ont pas pu s'assurer que les sommes versées pour payer les frais scolaires des orphelins sont distribuées équitablement. En outre, ils ont à plusieurs reprises manqué de dénoncer de criantes violations des droits humains comme les rafles et le passage à tabac des enfants des rues et d'utiliser leurs moyens de pression pour mettre un terme à ces violations.

Ce rapport, fondé sur des centaines d'entretiens conduits entre 1995 et 2002 avec des enfants, des experts en droits de l'enfant, des assistants sociaux, des représentants et le personnel d'organisations internationales, du Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) et de responsables du gouvernement rwandais, expose les violations à grande échelle des droits de l'enfant dans le Rwanda d'après le génocide. La majorité des enfants rwandais ont été victimes du conflit armé. Des milliers ont été arbitrairement détenus sans accès rapide à la justice. Des centaines de milliers d'autres à travers le pays ont été abusés, exploités dans leur travail, exploités dans leurs biens ou se sont vus refuser le droit à l'éducation. Des milliers ont gagné les villes afin d'échapper à ces abus, pour finalement se retrouver exposés au harcèlement des agents des forces de l'ordre rwandaises.

Le Gouvernement rwandais peut et doit faire davantage pour préserver leurs droits. Le gouvernement assure qu'il s'est mis en conformité avec les normes internationales et a établi un cadre juridique pour la protection de l'enfance. Mais les lois ne suffisent pas sans mécanismes adéquats pour les faire appliquer. Huit ans de promesses sur la protection de leurs droits se sont traduits en réalité par peu de choses pour ces enfants. Le gouvernement devrait prendre des mesures concrètes pour établir un système de justice pour mineurs conforme aux normes internationales. Les responsables à tous les niveaux doivent user de leur pouvoir pour mettre un terme aux abus et à l'exploitation des enfants, sur les collines et dans les rues des villes. L'avenir du Rwanda en dépend.

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