Background Briefing

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Le contexte

A l’intérieur du Burundi

Au début de l’année 2004, et après dix ans de guerre civile contre plusieurs mouvements rebelles, le gouvernement burundais a conclu des accords avec tous les groupes, à l’exception de l’un d’entre eux. Depuis, le gouvernement et son ancien puissant rival, les FDD (Forces pour la Défense de la Démocratie), sont censés avoir entamé un processus de démobilisation de leurs forces, visant la création d’une nouvelle armée intégrée. Mais le mouvement des hommes armés vers les sites de cantonnement (pour les anciens rebelles) et vers les casernes (pour l’armée nationale) n’a pas encore démarré, et les hommes demeurent déployés à travers le pays, donnant l’image d’une intégration de facto dans le cadre d’une collaboration informelle contre le FNL, le seul mouvement rebelle à demeurer en dehors du processus de paix.2 La branche politique des FDD, le CNDD (Conseil National pour la Défense de la Démocratie)3 a fait son entrée dans les institutions du gouvernement, mais la cohabitation entre toutes les parties s’avère difficile. Alors qu’elles doivent mener le Burundi jusqu’à la fin de la transition fixée au 31 octobre 2004, elles n’ont à ce jour pas été en mesure de faire passer les lois indispensables pour ce faire, telles la constitution et la loi électorale. Cette paralysie sur les fronts aussi bien politique que militaire, a conduit plusieurs acteurs internationaux à engager une série de consultations mais les progrès restent lents.4 Dès juillet, plusieurs partis dits Tutsi ont réclamé la révision de l’accord de partage de pouvoir négocié sur une base ethnique. Au début du mois d’août, onze d’entre eux n’avaient toujours pas pu aboutir à un accord avec les partis dits Hutu.5

A la mi-juin 2004, la nouvelle Représentante Spéciale du Secrétaire Général des Nations Unies, Carolyn McAskie, a cherché à renouer les négociations entre le gouvernement et le FNL. Elle a aussi aidé à l’émergence d’un accord entre le FNL et les FDD, qui s’enfonçaient dans un conflit de plus en plus dur pour le contrôle de la province de Bujumbura rural.6 Mais ces tentatives ont échoué en même temps que les parties continuaient à se combattre.

Depuis 2003, le FNL est en perte de vitesse sur le plan politique, contrairement aux FDD qui ont tiré une nouvelle légitimité de leur entrée au gouvernement. Depuis juin, le FNL doit faire face à une pression politique accentuée après que l’initiative régionale ait imposé des limitations au déplacement des dirigeants du groupe et suggéré que l’Union Africaine prenne des sanctions si le mouvement n’entrait pas en négociation dans les trois mois. Sur le plan militaire, le FNL a subi, fin juillet et début août, des attaques importantes répétées de la part de l’armée burundaise et des FDD, apparemment décidé à obtenir une victoire militaire sur le FNL.7 Ces attaques firent de nombreuses victimes civiles et 30.00 d’entre eux furent forcés de fuir leur maison. Une attaque sur la forêt de la Rukoko dans les jours qui ont précédé le massacre de Gatumba aurait causé la mort de plusieurs officiers du FNL.

Malgré ces revers, les forces du FNL ont semblé, depuis la fin de juillet, retrouver une nouvelle vigueur. Le FNL a lancé de nouvelles attaques dans son ancien fief de Kabezi, en province de Bujumbura rural, mais se serait aussi manifesté dans de nouvelles régions, comme en province de Ngozi. On lui attribue aussi un tract distribué à Bujumbura rural, mettant en garde la population contre les sanctions qu’elle pourrait encourir pour tout acte de collaboration avec les FDD.8 A cheval entre les mois de juillet et d’août, les combattants du FNL se seraient rendus coupables, à deux reprises, de l’enlèvement et du meurtre de trois personnes, près de Gatumba, pour leur prétendue collaboration avec les FDD et/ou le gouvernement. Dans un des cas, les tueurs auraient laissé un message pour expliquer que les victimes avaient été tuées pour les avoir dénoncés aux autorités.9 Le FNL a déclaré à l’ONUB qu’il tuerait les « civils pro-gouvernementaux » aussi longtemps que les civils de Bujumbura rural, base de pouvoir potentielle, continueraient d’endurer les opérations militaires du gouvernement.10

Ce regain d’activité du FNL peut s’expliquer, du moins en partie, par le soutien de cent à deux cents combattants rebelles rwandais arrivés du Congo ces derniers mois en deux groupes, l’un en avril et l’autre au début du mois de juillet.11 Indistinctement appelés « Interhamwe », certains de ces combattants ont participé dans le génocide rwandais de 1994 en tant que membres des milices Interhamwe ou membres des Forces Armés Rwandaises (FAR), avant leur fuite vers le Congo. D’autres Rwandais, opposés au gouvernement actuel de Kigali, ont rejoint leurs rangs depuis 1994; bien que ces nouvelles recrues n’aient joué aucun rôle dans le génocide, elles ont généralement été étiquetées en tant que « Interhamwe », une appellation qui porte inévitablement en elle le spectre du génocide. Certains rebelles rwandais se sont rangés derrière l’autorité du mouvement politique connu sous la dénomination de Force Démocratique pour la Libération du Rwanda (FDLR), mais d’autres ont continué d’opérer de façon autonome. Il est difficile de savoir si ceux qui sont arrivés au Burundi depuis avril 2004 sont des combattants autonomes ou plutôt des unités rattachées au FDLR.

L’arrivée de combattants rebelles rwandais au Burundi est un des exemples qui illustrent le mouvement graduel d’intégration qui se noue entre les forces rebelles basées au Congo et celles du Burundi. Il semble que le FNL, qui, depuis des années déjà, menait des opérations sporadiques à partir de bases établies au Congo, manifeste un intérêt au renforcement de celles-ci.12

A l’intérieur de la République Démocratique du Congo

Comme au Burundi, le gouvernement de transition du Congo est empêtré dans de continuelles luttes pour le pouvoir qui ont bloqué le processus de paix et empêché la coalition formée difficilement entre d’anciennes forces rebelles, de devenir un gouvernement national effectif. Des éléments de l’ancien mouvement rebelle du RCD-Goma ont présenté des signes de résistance très marquée au processus de paix. Ils ont cherché à préserver leur influence dans le Nord et le Sud Kivu et ont permis ou même encouragé certains officiers militaires de leurs propres rangs, à défier le contrôle du gouvernement central.

Très étroitement affilié au Rwanda, le RCD-Goma a, par le passé, souvent soutenu la cause des Banyamulenge, une population parlant le Kinyarwanda qui vit essentiellement dans les hauts plateaux du Sud Kivu. L’association des Banyamulenge avec le Rwanda a suscité, à l’encontre des premiers, l’hostilité de nombreux Congolais, qui gardaient en mémoire les deux guerres que le Rwanda a menées sur le sol congolais et qui ont fait près de trois millions de morts parmi les civils. Même après que les troupes rwandaises se soient largement retirées en 2002, certains Congolais ont continué à percevoir les Banyamulenge davantage comme des « Rwandais » que comme des « Congolais », dans leur loyauté.13

Au début de l’année 2004, en même temps que le gouvernement de transition cherchait à asseoir sa légitimité sur les deux Kivu, des militaires du RCD-Goma ont engagé des escarmouches avec les troupes de l’armée nationale. Dans une atmosphère de tension grandissante, des militaires de l’armée nationale ont participé, à la fin du mois de mai, à des attaques de caractère ethnique contre des civils Banyamulenge de Bukavu, ville principale du Sud Kivu. Deux officiers dissidents associés au RCD-Goma, le Brigadier Général Laurent Nkunda (un Tutsi du Nord Kivu) et le colonel Jules Mutebutsi (un Munyamulenge) ont, à la tête de milliers d’hommes, lancé une attaque sur Bukavu et occupé la ville pendant une semaine, déposant le commandant de région militaire de l'armée nationale nouvellement créée, le Général Mbuza Mabe.14 A la faveur de l’avancée du Général Nkunda sur Bukavu et l’occupation subséquente de la ville, les troupes de celui-ci ont tué des gens, violé un nombre important de femmes et de jeunes filles et ont systématiquement pillé les biens des civils.15

Les troupes de la force de maintien de la paix en RDC, la Mission de l’Organisation des Nations Unies au Congo (MONUC), ont aidé à la négociation d’un cessez-le-feu et escorté le Colonel Mutebutsi jusque la frontière rwandaise, tandis que Nkunda se repliait avec ses hommes vers Minova, au nord de Bukavu.

Des milliers de Congolais de Bukavu, de Uvira et de la plaine de la Rusizi, en ce compris tous ceux qui étaient alliés au RCD-Goma, ont fui vers le Rwanda et le Burundi pour échapper à la violence. Les Banyamulenge, en particulier, fuirent par peur des représailles qui pouvaient être dirigées contre leur groupe pour la dissidence de Mutebutsi et Nkunda. Ce sont certains de ces Banyamulenge et un peu plus d’une dizaine de personnes appartenant à d’autres groupes ethniques, particulièrement ceux qui habitaient Uvira et ses environs, qui se sont réfugiés dans le camp de réfugiés de Gatumba.

Suite à l’échec de la tentative de Mutebutsi-Nkunda, le contrôle du RCD-Goma s’est rétréci et s’est concentré sur le Nord Kivu tandis que les postes à responsabilité dans le Sud Kivu qui étaient détenus par des partisans du RCD-Goma, ont été repris par des officiers militaires et des administratifs liés au gouvernement national, hormis à Minova. Le gouvernement de transition a déployé des centaines de troupes par crainte annoncée d’une possible invasion rwandaise, faisant ainsi écho aux préoccupations des groupes et de la presse locaux qui, à leur tour, ont redoublé d’attaques verbales contre les Banyamyulenge et les Tutsi. Ces derniers ont rétorqué en critiquant les intentions génocidaires des premiers. Le Rwanda lui-même a menacé de revenir au Congo si le gouvernement national n’assurait pas la sécurité des populations de langue Kinyarwanda.

Le gouvernement de transition a cherché à renforcer ses assises à l’Est et a voulu gagner le soutien des Mai Mai, ces groupes de combattants basés dans la région et qui s’étaient organisés à l’origine pour défendre leurs communautés contre la violence dans laquelle a sombré l’Est Congo depuis 1996. Il a réussi à intégrer certains dirigeants Mai Mai dans l’armée gouvernementale et l’administration, mais d’autres sont restés relativement indépendants.16 Par le passé et selon les circonstances, les Mai Mai ont parfois fait alliance avec, parfois fait la guerre contre, les groupes rebelles rwandais ("Interhamwe»). Interrogé, après l’attaque de Gatumba, sur la relation qui existe entre les Mai Mai et les rebelles rwandais, un chef Mai Mai a insisté sur le fait qu’il n’y avait pas de coalition stratégique entre les Mai Mai et les groupes rebelles rwandais, ni entre les Mai Mai et le FNL,  mais il n’a pas exclu la possibilité de participation ponctuelle de certains « éléments isolés » Mai Mai dans des opérations conjointes, en échange d’avantages immédiats.17




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