Background Briefing

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Le camp de réfugiés de Gatumba

Le site

Gatumba est une petite ville frontalière située en commune Mutimbuzi, province de Bujumbura rural, à une quinzaine de kilomètres de la capitale Bujumbura. Elle est traversée par la route principale qui mène vers la ville congolaise de Uvira. La frontière est à moins de deux kilomètres, en direction de l’ouest, au milieu d’une vaste étendue de marais et de prairies. Au nord, se trouve la forêt de la Rukoko et au sud, le lac Tanganyika dans lequel se jette la rivière Rusizi. A la sortie de Gatumba vers la frontière, on trouve quelques maisons et des enclos à bétail, éparpillés et de construction sommaire, où de jeunes vachers passent la nuit avec les troupeaux.

Un peu avant la sortie, on trouve l’administration communale (zone), le bureau du chef de zone et derrière, un camp militaire de l’armée burundaise qui a autrefois hébergé un effectif conséquent. A la mi-août, la plupart des militaires étaient déployés sur le terrain à Bujumbura rural où les combats continuent entre le FNL d’une part, et le gouvernement et les FDD, de l’autre. Selon un officier, le camp hébergeait une centaine de militaires le jour du massacre. La brigade de gendarmerie de Gatumba est située en face du camp militaire, de l’autre côté d’une piste. Quelques dizaines de gendarmes y étaient de service le 13 août. Les deux camps sont des installations appartenant et dépendant des forces armées burundaises.

Le camp de réfugiés se trouve derrière le camp militaire et la gendarmerie, à moins de deux kilomètres, à la sortie de Gatumba. Construit en bordure de la route goudronnée qui mène à la frontière, le site comprend deux groupes de larges tentes qui, perpendiculaires à la route goudronnée, se font face et sont séparés l’un de l’autre par un espace vide de cent mètres environ : un groupe de quatorze tentes vertes et une blanche, d’une part, et un autre groupe de vingt-quatre tentes, toutes blanches, de l’autre. Chaque tente sert d’abri pouvant héberger plusieurs familles. Entre les tentes, faisant face à la route goudronnée, on trouve une rangée de douches et latrines. Derrière ces installations, un terrain de football est suivi d’une vaste plaine marécageuse qui s’étend jusqu’au Congo, que l’on peut traverser sans problème à cette époque sèche de l’année.

Population du camp

Sur un côté du site, 500 rapatriés burundais, revenus au Burundi après leur propre quête d’asile en terre congolaise en tant que réfugiés, occupaient les tentes blanches. De l’autre côté, habitaient les réfugiés congolais, qui sont arrivés au Burundi en juin, et qui logeaient dans les tentes vertes, construites plus récemment pour les accueillir. Par manque d’espace, quelques familles congolaises vivaient aussi dans les tentes blanches, sur la partie réservée aux rapatriés burundais.

Dans la nuit du 13 août, quelques 825 réfugiés congolais étaient virtuellement présents dans le camp. Ils étaient tous Banyamulenge, exception faite d’une dizaine de réfugiés d’origine Babembe, Bavira ou Bafulero. Ces derniers avaient fui à cause de leur alliance politique avec le RCD-Goma ou de liens personnels avec les Banyamulenge.

Un nombre important d’hommes Banyamulenge étaient détenteurs de postes dans l’administration ou dans le parti du RCD-Goma avant de fuir le Congo, et ont continué à être très actifs dans la direction de la vie de la communauté dans le camp. Parmi eux, au moins deux ont été identifiés comme faisant partie des services de renseignement du RCD-Goma. Ces anciens administrateurs et dirigeants politiques organisaient fréquemment des réunions  dans le camp, assez souvent pour attirer l’attention des Burundais qui vivaient dans les environs.18 Le camp hébergeait aussi de nombreux Banyamulenge de passage, en route pour le Congo. Certains résidents du camp eux-mêmes, se faisant passer pour des étudiants, passaient fréquemment la frontière pour se rendre au Congo.

Certaines autorités du Sud Kivu, dont des Mai Mai, pensaient que les Banyamulenge du Rwanda et du Burundi, en ce compris ceux de Gatumba, préparaient une attaque contre le Congo pour tenter de restaurer le contrôle du RCD-Goma. Ils ont évoqué des informations selon lesquelles certains soldats, qui avaient fui avec Mutebutsi,  ne l’avaient pas accompagnés au Rwanda mais étaient au Burundi ; Mutebutsi recrutait des Banyamulenge dans les camps de réfugiés, et des armes étaient entreposées dans des camps de réfugiés au Burundi.19 A au moins une occasion, un groupe de jeunes gens, identifiés comme des soldats qui avaient fui avec Mutebutsi au Rwanda, passèrent par le camp de Gatumba.20 A cause de ces soupçons, les autorités congolaises ont refusé à deux reprises de permettre à de jeunes Banyamulenge de Gatumba d’entrer au Congo.21

Selon le commandant du camp militaire des forces armées burundaises de Gatumba, les craintes d’une attaque militaire des Banyamulenge contre le Congo n’étaient pas justifiées. Les militaires burundais fouillaient les réfugiés lorsqu’ils arrivaient au Burundi et n’avaient pas trouvé d’armes.22 Les rapatriés burundais qui vivaient à proximité des Banyamulenge n’ont pas rapporté d’activité militaire non plus.

Des représentants du RCD-Goma qui occupent des postes importants dans le gouvernement congolais sont venus à Gatumba ou se sont entretenus avec une délégation du camp de Gatumba, au moins à quatre reprises entre juin et la mi-août. La dernière visite de ce genre était menée par Azarias Ruberwa, vice-président du Congo, qui a rencontré des gens de Gatumba à Bujumbura, un jour ou deux avant l’attaque. Certains de ces officiels de haut rang promettaient le retour au Congo et une assistance généreuse pour la réinstallation, mais d’autres insistaient sur le fait que ce temps n’était pas encore venu et qu’il fallait que les réfugiés restent à Gatumba. Les dirigeants qui décourageaient les réfugiés de rentrer, ont pu le faire dans l’intention d’utiliser ce camp, ainsi que d’autres camps de réfugiés, comme des bases d’où pouvoir rebâtir une nouvelle autorité – politique ou militaire – pour le RCD-Goma.23 

Tentatives de délocalisation des réfugiés congolais

Les réfugiés étaient pris en charge par l’Office du Haut Commissaire aux Réfugiés des Nations Unies (UNHCR), qui gère le camp de Gatumba ainsi que trois autres camps destinés aux réfugiés en provenance du Congo. La politique du UNHCR, confirmée par diverses Conclusions24 de son Comité Exécutif , veut qu’un camp de réfugiés soit localisé à « une distance raisonnable » de la frontière de leur pays d’origine.25 Après l’arrivée des réfugiés à Gatumba en juin 2004, le UNHCR a fait des efforts répétés pour les transférer sur un site situé en province de Muyinga, à une distance plus importante de la frontière congolaise, et où étaient déjà installés plusieurs centaines de Banyamulenge réfugiés suite à des crises antérieures. Le gouvernement burundais, responsable du choix de la localisation des camps et de la protection des réfugiés sur son territoire,26 a accepté mais n’a rien fait pour obliger les réfugiés à bouger. Les réfugiés eux-mêmes ont refusé. Ils préféraient rester près de la frontière, d’où le retour chez eux est plus aisé, et ils ont objecté diverses raisons pour s’opposer au transfert, allant de l’insécurité au mauvais climat, en passant par les maladies répandues sur le site de Muyinga. D’autres Banyamulenge, parmi les plus riches et les plus influents, qui ne vivaient pas dans le camp mais dans des maisons qu’ils louaient à Gatumba et Bujumbura, s’étaient fait enregistrer pour continuer de recevoir de la nourriture et autre assistance comme s’ils y demeuraient. Cette pratique, ainsi que les tentatives de gonfler les chiffres des bénéficiaires, n’est pas inhabituelle dans les camps de réfugiés. Il est difficile de savoir si ceux qui y étaient impliqués exploitaient le système à des fins lucratives personnelles, ou s’ils utilisaient ces ressources à d’autres fins. Mais dans tous les cas, les chefs communautaire, comme certains des visiteurs officiels venus du Congo, exerçaient une pression considérable sur les réfugiés pour qu’ils refusent d’être transférés. En juillet, le UNHCR a prévenu les résidents du camp que la distribution de nourriture serait la dernière qu’ils allaient recevoir à Gatumba et que la suivante serait distribuée à Muyinga uniquement. Mais les résidents du camp trouvèrent d’autres sources de ravitaillement, soit au Burundi, soit venant du Congo, et la plupart continuèrent à refuser le transfert.27

Le UNHCR a demandé au gouvernement d’assurer la protection du camp et en a assumé le coût. Dix gendarmes devaient être détachés pour cette tâche mais la nuit du 13 août, ils étaient seulement six, trois à chaque extrémité du camp. Ils ne disposaient d’aucun moyen de communication avec la brigade, ni avec leur commandant. Aucun administrateur de camp n’a été nommé pour celui de Gatumba, tâche qu’assumaient les administratifs locaux. Dans d’autres camps de réfugiés, le UNHCR a fourni des radios portables aux gendarmes chargés de la protection et payé les services d’un administrateur de camp, mais cela ne fut pas fait à Gatumba dans la mesure où le camp n’était censé être qu’un camp de transit, en processus de fermeture.28 La plupart des membres  du comité des réfugiés, des réfugiés eux-mêmes, ainsi que les autorités administratives et militaires, disposaient pourtant d’un téléphone portable et des numéros nécessaires pour contacter le personnel du UNHCR.29




<<précédente  |  index  |  suivant>>septembre 2004