<<précédente | index | suivant>> LattaqueEn fin daprès-midi du 13 août, des habitants de Gatumba ont remarqué la présence dhommes inconnus, en tenue militaire, qui traînaient aux alentours. Certains dentre eux, qui parlaient Swahili, ont demandé à des enfants du coin de leur apporter de leau.30 Un membre du personnel des NU a vu des hommes en uniforme militaire à proximité du camp et leur a demandé qui ils étaient. Ils répondirent quils étaient là pour assurer la sécurité du camp et il ninsista pas davantage. En début de soirée, des garçons du camp qui jouaient au football sur le terrain situé derrière le camp, ont vu un petit groupe dhommes qui sattardaient à proximité. Une femme qui allait à la douche une à deux heures plus tard, les a aperçus également.31 Mais aucun de ces incidents nattira suffisamment lattention ni ne causa de souci, de sorte que les réfugiés se sont préparés pour la nuit, comme à lhabitude. La plupart dentre eux étaient endormis à vingt-deux heures. Une jeune femme qui allaitait son bébé dun mois était encore éveillée.32 Les vachers des enclos situés à proximité immédiate des tentes vertes et dautres, dans les enclos de lautre côté de la route, se préparaient aussi à passer la nuit.33 Le commandant du camp militaire avait partagé une bière avec des amis dans un bistrot en ville et venait juste de regagner son camp, alors que dautres habitants traînaient encore à boire et discuter dans les bars. Un officiel local regardait les jeux olympiques à la télévision avec des voisins.34 Les attaquants sont arrivés des marais, de la direction de la frontière. Au moins un témoin a vu un groupe traverser la frontière ; dautres attaquants se seraient joints au groupe du côté burundais de la frontière.35 Un des attaquants a tiré une première fois à distance, peut-être en guise de signal pour les autres du groupe. Ils se dirigèrent ensuite sur le camp des réfugiés, jouant des tambours, faisant sonner des cloches, soufflant dans des sifflets, en chantant des chants religieux en Kirundi. Au moins deux personnes les ont entendus chanter « Dieu va nous montrer comment arriver à vous et vous trouver." 36 Un autre a entendu les cris de « Ingabo ZImana » [Nous sommes larmée de Dieu]. Beaucoup ont rapporté avoir entendu les attaquants chanter des « Alleluia » et des « Amen. »37. La plupart des attaquants portaient des tenues militaires, soit camouflage, soit unies de couleur verte, mais quelques-uns étaient en tenue civile. La plupart portaient des armes à feu individuelles mais ils disposaient aussi au moins dune arme lourde.38 Certains dentre eux étaient des enfants soldats. Une survivante du massacre a décrit certains attaquants comme si petits que le bout de larme quils portaient traînait au sol.39 Il y avait des femmes dans le groupe, qui encourageaient les autres en chantant et criant, prêtes à aider au transport des biens pillés.40 Lorsque les gendarmes entendirent les tirs et les chants, ils furent les premiers à vider leur chargeur en direction des attaquants, lesquels répliquèrent, et ils senfuirent, soit pour se cacher à proximité, soit quils soient retournés à leur camp pour faire rapport à leur commandant.41 A lapproche des tentes, les attaquants commencèrent à mitrailler les tentes avec des armes légères. Ils disposaient au moins dune arme lourde, « qui faisait tellement de bruit quil y avait de lécho », selon un témoin.42 Un Burundais qui vivait plus loin, en bas de la route, a évoqué des détonations qui « faisaient trembler le toit.»43 Dans le bruit et la confusion de lattaque, certains réfugiés navaient pas encore réalisé le danger. Certains ont pensé quil sagissait de voleurs de vaches. Dautres ont pensé que ceux qui chantaient les chants religieux, et dont certains criaient « Venez, Venez, on va vous sauver », étaient là pour les sauver.44 Quiconque essayait de sortir des tentes par lentrée était immédiatement tué par balle, comme cest arrivé à un père de famille qui tentait de fuir avec ses deux enfants.45 Les attaquants, par petits groupes de deux ou trois, ont ouvert les tentes en les déchirant par la porte ou les côtés. Ils restaient le plus souvent sur le pas de la porte et soit, ils ordonnaient aux gens de sortir, soit, ils commençaient à tirer dans la tente. Ils ont ensuite jeté ou fait exploser des grenades incendiaires ou dautre type dexplosifs qui ont probablement mis le feu aux tentes. La plupart des victimes sont mortes par balle ou brûlées vives. On a retrouvé le corps calciné de cinquante et un adultes et quinze enfants.46 Un survivant a dit quil a vu un attaquant poignarder une femme à mort, probablement avec une baïonnette, et plusieurs corps sans vie portaient la trace dun coup de machette.47 Mais daprès les informations fournies par les hôpitaux qui ont traité les blessés, une seule personne a été blessée par machette, tous les autres blessés souffraient de blessure par balle, explosion et brûlures.48 Ces attaquants étaient des hommes « expérimentés pour tuer », comme la fait remarquer un observateur.49 Les attaquants ont commencé par chaque extrémité des rangées de tentes abritant les réfugiés, brûlant complètement huit de ces tentes et trois, partiellement, et laissant intactes les tentes situées au milieu des rangées. Une heure environ après leur arrivée, les attaquants sont repartis, dans la même direction que celle d'où ils étaient venus. Ils ont emporté les biens de valeur quils avaient pu piller, radios, argent, vêtements, mais nont pas touché au bétail des enclos voisins. Les habitants du coin ont pu entendre le son des chants et de la musique quils ont continué à chanter jusquau moment où, avec la distance, il sest évanoui.50 Sur les quelques 800 réfugiés du camp, 152 furent tués, tous Banyamulenge sauf quatorze Babembe.51 Cent six furent blessés. La plupart des victimes étaient des femmes et des enfants. Tôt le lendemain matin, un chercheur de Human Rights Watch était sur les lieux. Elle y a trouvé des officiels gouvernementaux et internationaux occupés à déterminer la cause et létendue du désastre. Ignoré de tous, un petit garçon de trois ou quatre ans pleurait, seul, devant les débris dune tente encore fumante. Les personnes protégéesLes attaquants nont visé que les Banyamulenge et ceux qui se trouvaient dans les tentes avec eux. Ils nont pas attaqué les rapatriés burundais ni aucun des Banyamulenge qui étaient hébergés dans les tentes blanches, sur lautre partie du site. Selon les témoins, les attaquants ont posté des hommes près de ces tentes de façon à empêcher les occupants den sortir.52 Un des Banyamulenge qui néanmoins, est sorti par larrière dune des tentes, a dit quil a croisé des attaquants et que lun deux a ordonné de le tuer, tandis quun autre la arrêté en disant, « Il vient des tentes de nos frères.»53 Un autre témoin a rapporté avoir entendu un attaquant dire « Laissez-les, ce sont nos frères. »54 La jeune mère qui allaitait son enfant lorsque lattaque a commencé, du groupe des Babembe, se trouvait dans une tente du côté des Banyamulenge. Elle a été blessée au pied par balle alors quelle était encore dans la tente et essayait d'en sortir. Ce faisant, elle a parlé quelques mots en Kirundi pour réconforter son enfant ou localiser une de ses amies. Elle a raconté quun attaquant la alors entendue et lui a demandé, en Kibembe, si elle était une Mubembe. Comme elle avait répondu par laffirmative, il la aidée à quitter les lieux, en transportant son nouveau-né, pour aller les cacher de lautre côté de la route. Il lui a alors demandé sil y avait dautres Babembe dans le camp, mentionnant qu « ils », à savoir les attaquants, pensaient quil ny avait que « des Rwandais et des Burundais » dans le camp. Chez certains Congolais, il est courant de désigner les Banyamulenge comme des « Rwandais. » Quand elle lui a demandé sils allaient tuer tout le monde sauf les Burundais, il a répondu, selon ses dires, « Nos camarades nous ont interdit de tuer du côté des Burundais. »55 Certains rapatriés burundais présents sur le site ont dit à un officiel local que les attaquants les avaient assurés quils ne seraient pas touchés. Dautres ont dit à des membres du personnel des NU quils navaient pas eu peur parce quils savaient à lavance ce qui allait se passer. Mais ils ont refusé dexpliquer ce quils avaient voulu dire : soit quils savaient de façon générale quil y aurait une attaque, soit quil savaient quune attaque se tiendrait cette nuit-là, soit quils savaient quen aucun cas, ils allaient être ciblés. Certains Burundais du coin ont expliqué quils sattendaient à une attaque, mais sans donner dautre explication.56 Le lendemain matin de lattaque, la plupart des rapatriés burundais ont quitté le camp rapidement. Les jours suivants, les habitants de la région ont vécu dans la peur de quelconques représailles, et plusieurs ont préféré passer la nuit à Bujumbura plutôt que chez eux à Gatumba. Que les rapatriés burundais aient partagé cette peur de représailles ou quils aient eu de raisons spécifiques de les craindre, beaucoup dentre eux se sont dispersés dans dautres endroits. Un nouveau site leur a été attribué par le gouvernement, séparé de celui qui a été réservé aux Banyamulenge survivants, mais peu y prirent résidence.57 Lattaque sur le camp militaire et la brigade de gendarmerieLe gouvernement burundais à la responsabilité de la protection des réfugiés qui sont sur son territoire, une responsabilité quil a reconnue en détachant des militaires gendarmes pour garder le camp des réfugiés. Néanmoins, la centaine de militaires et les quelques dizaines de gendarmes présents dans les environs immédiats du camp, nont rien fait pour empêcher le massacre des réfugiés. Les commandants du camp militaire et de la brigade ont dit quils navaient pas pu aider les réfugiés parce que eux-mêmes étaient « fixés » par des attaques importantes lancées sur leurs propres camps.58 Les militaires et gendarmes ne sont intervenus avec leurs véhicules que bien après minuit, lorsque les attaquants avaient déjà quitté le site, à pied, par les sentiers de la plaine. Alors quon dénombre 258 tués et blessés du côté des réfugiés, il faut constater quaucun militaire ni gendarme na été tué ou blessé. Les forces armées burundaises nont pas davantage capturé dattaquants ni infligé de pertes dans les rangs de ceux-ci.59 Les habitants du coin, en ce compris des gens qui habitent dans les environs immédiats du camp militaire et de la brigade, ont compris immédiatement que le site des réfugiés était attaqué. Lun dentre eux a décrit le bruit des armes et même les cris des attaquants et les lamentations des victimes, quil avait très bien entendus, dans le silence de la nuit. Ils ont vu les balles traçantes dans la nuit et peu après, la lueur des flammes et la fumée des tentes qui brûlaient.60 Les officiels administratifs, du premier niveau jusquau gouverneur provincial, savaient que les réfugiés avaient été attaqués et ont échangé des informations entre eux et avec le commandant de la brigade, alors même que lattaque se perpétrait.61 Le commandant de la brigade a dit quil a compris « très vite » que les réfugiés étaient attaqués. Lui aussi a entendu les cris et les pleurs, et vu les tentes brûler.62 Contrastant avec les autres, le commandant du camp militaire qui disposait du nombre dhommes le plus élevé -, a affirmé quil ne savait pas que le site des réfugiés était attaqué et que ce nest que trente minutes plus tard quil la appris, par un appel téléphonique émanant dun représentant de la communauté des Banyamulenge, lui-même en dehors du site mais informé de lattaque.63 Etant donné que le commandant ne se trouvait quà quelques centaines de mètres de ceux qui, par contre, avaient compris que le site était attaqué, il est difficile de comprendre comment il naurait pas pu lui-même savoir ce qui se passait. Le commandant du camp militaire a commencé son entretien avec les chercheurs de Human Rights Watch en annonçant quil allait leur fournir « la version officielle » des évènements.64 Il a dit que son camp a été attaqué en même temps que le camp des réfugiés par un nombre important de combattants. Il a estimé le nombre des attaquants du camp militaire à une ou deux compagnies, à savoir plus de deux cents hommes. A un certain moment, il a suggéré que les combattants avaient encerclé le camp militaire, qui sétend sur une grande surface plane. Plus tard, il a dit que des combattants, plus lourdement armés, étaient concentrés à la porte dentrée principale - une simple barrière qui barre le chemin -, pendant que dautres, munis darmes à feu individuelles, tiraient de larrière du camp. Des douilles retrouvées par terre à lentrée du camp, confortent la thèse que des combattants tiraient de cet endroit, mais sans pour autant avoir atteint les installations du camp. Aucun dégât visible par armes à feu na pu être constaté.65 Dans son entretien avec un chercheur de Human Rights Watch, le commandant de la brigade de gendarmerie a aussi maintenu que la brigade avait été attaquée, bien que les informations qu'il a fournies semblaient davantage se référer à une attaque sur le camp militaire que sur le sien. Aucun dégât évident à lappui dune attaque sur la brigade na pu être constaté non plus. Il a dit que ni lui, ni le commandant du camp militaire, navait suffisamment dhommes pour « forcer le passage. »66 Le commandant du camp militaire a dit quil était en contact téléphonique avec le commandant de la brigade et quils ont eu des échanges relatifs à lattaque sur leur camp respectif, mais pas à propos de lattaque sur les réfugiés. Le commandant du camp militaire était aussi en contact soit par radio, soit par téléphone, avec le commandant du camp militaire de laéroport, situé à quelques kilomètres, ainsi quavec létat major de Bujumbura, à une quinzaine de kilomètres, où un officier de permanence contrôle les communications par radio. Il a aussi eu une conversation téléphonique avec le chef détat major, le Général de brigade Germain Niyoyankana, au cours de lattaque. Le Général Niyoyankana a dit quil pouvait entendre le bruit des tirs au téléphone. Le commandant du camp lui a dit quil entendait tirer au-delà de son camp indiquant très probablement le site des réfugiés , mais qu'il lui était impossible de quitter son propre camp ou de rassembler le nombre dhommes nécessaires pour former « un élément dintervention », qui aurait pu mener à bien les opérations de rescousse.67 En plus du camp militaire voisin situé à laéroport, le commandant disposait de deux bataillons situés dans la forêt de la Rukoko, proches des lieux.68 A aucun moment, le commandant du camp na demandé de renfort car, a-t-il dit, il avait le contrôle de la situation dans son camp, cest-à-dire quil pouvait empêcher les attaquants de pénétrer dans le camp. Ni lui, ni aucun autre officier, na pu fournir une explication satisfaisante à la question de savoir pourquoi aucun renfort na été dépêché, de nature à constituer cet « élément dintervention » qui aurait pu sauver la vie des réfugiés du camp. Une fois les tirs terminés, les gendarmes et militaires sont arrivés sur le site des réfugiés et ont procédé au transport des blessés dans les hôpitaux de Bujumbura. Selon un témoin présent sur les lieux, ils nont pu sortir aucune personne vivante hors des tentes qui brûlaient, toutes avaient déjà péri par les flammes.69 Un observateur du milieu militaire burundais a suggéré que les hommes du camp militaire et de la brigade de Gatumba, comme tous ceux des forces armées burundaises , étaient si désabusés, face à lincertitude de leur avenir et la crainte suscitée par les plans de démobilisation et de modification de la structure militaire, quils ont pu manquer de motivation dans laccomplissement de leur devoir. Lobservateur a aussi estimé que certains officiers peuvent parfois rencontrer des problèmes dindiscipline chez leurs hommes.70 Si ces explications savèrent justifiées, il eut été opportun de punir les militaires qui ont enfreint la discipline, mais trois semaines après le massacre, aucune action de ce genre navait pourtant été intentée. Quoiquil en soit, une telle justification ne saurait simposer pour des officiers, quel que soit leur rang de commandement, qui étaient conscients de lattaque menée sur le camp des réfugiés et qui nont rien fait pour lempêcher. Quils aient craint pour leur propre sécurité, fait peu de cas du sort de réfugiés venus dun autre pays, ou quils aient eu des raisons personnelles ou politiques pour ne pas agir, ces officiers nont pas fourni protection aux réfugiés et doivent être tenus pour responsables de leur manquement.
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