Background Briefing

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Les auteurs

La responsabilité du FNL dans l’attaque

Les circonstances de l’attaque démontrent que le FNL était la force maîtresse dans le massacre de Gatumba. Des témoins aussi bien du site que de l’extérieur, concordent pour dire que les attaquants sont arrivés en chantant des chants religieux en Kirundi et en faisant de la musique. C’est une pratique courante qui caractérise les attaques du FNL depuis des années, mais qu’on ne trouve pas parmi les autres groupes armés burundais ou les groupes du Congo. De nombreux témoins ont affirmé la présence de femmes qui accompagnaient les attaquants et emportaient les biens pillés. D’autres ont remarqué le très jeune âge de certains attaquants. Ces deux dernières années, le FNL a employé des femmes et des enfants dans de nombreuses attaques. Le site des réfugiés de Gatumba se trouve, de surcroît, à côté de la forêt de la Rukoko où le FNL est réputé avoir établi une base importante.71

Un jeune combattant FNL de 25 ans, arrêté par les autorités burundaises le 19 août, a reconnu avoir participé à l’attaque de Gatumba, prétendant avoir lui-même tué des réfugiés. Les circonstances de son arrestation restent originales : il aurait été arrêté par un groupe de jeunes en charge de la sécurité dans le quartier à dominance Tutsi de Ngagara, qui n’est certes pas l’endroit où un combattant FNL peut se sentir le plus à son aise. Il leur aurait confessé ses crimes après avoir bu quelques bières, que ces derniers l’auraient invité à partager avec eux. Bien que les circonstances de son arrestation soulèvent des doutes considérables, certains enquêteurs des NU ont trouvé certaines de ses informations crédibles. Il a été capable d’expliquer, par exemple, où et comment certains du groupe avaient traversé la frontière. Les autorités n’ont pas rendu publiques ses complètes révélations, pas plus qu’elles n’ont révélé l’endroit où il était détenu.72

Le FNL a revendiqué l’attaque. Pasteur Habimana, porte-parole du FNL, fut le premier a faire une telle déclaration. Tôt le matin après l’attaque, il a appelé des journalistes burundais, les fustigeant pour avoir diffusé la nouvelle que les auteurs du massacre étaient venus du Congo et étaient principalement des rebelles rwandais et des forces Mai Mai.73

Même après qu’il soit devenu clair que revendiquer la responsabilité de cette attaque allait sérieusement nuire à son groupe, ni Habimana, ni le secrétariat national du FNL, ne se sont rétractés.  Ils ont au contraire élaboré les différentes raisons qui justifiaient l’attaque. Ils ont fait référence aux massacres de nombreux civils demeurés impunis pendant toutes les années du conflit burundais, semblant suggérer qu’une attaque contre les Banyamulenge se justifiait par ces massacres antérieurs. Habimana a aussi prétendu que le FNL avait attaqué le camp militaire et la brigade, et poursuivi les militaires en déroute qui s’étaient alors enfui dans le camp des réfugiés. Là, selon Habimana, les Banyamulenge avaient sorti les armes qu’ils cachaient et avaient tiré sur les FNL. Avec le temps, il a été jusqu’à considérer le camp de réfugiés comme un quartier général des Banyamulenge. Il n’y a aucune preuve à l’appui de ces allégations.74

Tout improbables qu’apparaissent ses justifications, la déclaration de Habimana selon laquelle le FNL est responsable du massacre, semble correcte.

Les langues

Les informations relatives aux langues employées par les attaquants ne peuvent pas en soi permettre d’identifier leur appartenance ethnique ou leur nationalité, encore moins leur affiliation à un groupe particulier ou à une armée. Beaucoup de gens dans la région – en particulier ceux qui font partie de bandes armées -, ont vécu en dehors de leur région d’origine et au moins certains d’entre eux, ont pu, depuis, maîtriser la langue parlée dans les régions où ils ont évolué. Des milliers de Burundais, par exemple, ont vécu dans des parties du territoire de Fizi où on parle le Kibembe, et certains d’entre eux parlent le Kibembe. Très nombreux sont ceux, de surcroît, qui parlent le Swahili au Burundi, Congo et Rwanda, qu’ils aient ou non déjà voyagé à l’extérieur.

Un témoignage relatif à la langue ne pourrait aider à identifier les attaquants que s’il était associé à d’autres informations. Tous les survivants qui ont été interrogés par les chercheurs de Human Rights Watch ont rapporté avoir entendu les attaquants parler Kirundi. Des témoins burundais proches du camp, mais pas du camp, ont déclaré la même chose. Les chansons et les exclamations rapportées par de nombreux témoins sont en Kirundi.75 Aucune autre langue n’a été citée aussi fréquemment et avec le plus d’exemples à l’appui.  Cette information renforce la conclusion que les forces du FNL ont joué un rôle majeur dans l’attaque.

Des survivants ont dit avoir aussi entendu parler Kinyarwanda, Swahili, Kifulero, Kibembe, et Lingala. Peu ont pu rapporter des détails convaincants de phrases ou de mots entendus. Dans un cas, la jeune mère Mubembe, mentionnée ci-dessus, a expliqué avoir conduit une conversation en Kibembe avec un attaquant, mais selon un second témoin, un autre attaquant de la même tente n’avait pas paru comprendre le Kibembe. Cet attaquant avait demandé aux occupants de la tente, en Kirundi, « Qui êtes-vous ? » et lorsque les occupants Babembe ont répondu en Kibembe, il n’avait pas paru comprendre et avait ouvert le feu.76

Un survivant, qui a aussi été un agent des renseignements du RCD-Goma à Uvira, a très souvent parlé à la presse et aux enquêteurs. Les versions qu’il a données des circonstances dans lesquelles sa vie a été épargnée ont varié, mais toutes comprenaient l’explication selon laquelle il a survécu parce qu’il a parlé Kifulero et qu’il a été compris, dans cette langue, par les attaquants. Son histoire est devenue si médiatisée que même d’autres survivants l’ont cité en exemple pour avancer la preuve de l’usage de diverses langues, lorsqu’ils n’avaient pas eux-mêmes des exemples précis à donner les concernant.77

Le nombre

Si l’on prend en considération les témoignages, l'étendue, l’intensité et la durée de l’attaque, ainsi que le fait que les attaquants étaient bien armés, il est probable que moins de cent hommes auraient pu mener l’opération. Comme mentionné ci-dessus, les survivants ont rapporté que seul un ou deux, parfois trois, attaquants sont arrivés à la porte de chaque tente. Pendant l’heure qu’a environ duré l’attaque, les tentes n’ont pas été attaquées simultanément, ce qui laisse entendre que les attaquants se déplaçaient de tente en tente. L’attaque ne fut pas non plus d’intensité uniforme : sur les quinze tentes, les tentes les plus endommagées ont été celles qui se trouvaient à chaque extrémité, tandis que certaines autres sont demeurées relativement intactes. Les attaquants sont arrivés d’une seule direction  et n’ont pas encerclé les tentes, bien que la structure n’occupait qu’un espace limité. C’est parce qu’ils n’ont pas encerclé le site que beaucoup ont pu s’échapper par l’arrière des tentes et chercher refuge dans la brousse des alentours. Le chiffre de cent attaquants environ s’accorde généralement avec les estimations qu’ont faites eux-mêmes des Burundais qui habitaient dans les environs immédiats du site.78

Les attaquants qui ont maintenu sous le feu le camp militaire, et peut-être la brigade, auraient tout aussi bien pu être en petit nombre, et n'atteignaient certainement pas le chiffre de une ou deux compagnies. Attaquer une position militaire avec un petit groupe de cinq à dix hommes, qui la maintiennent sous un feu nourri, est une stratégie militaire fréquente chez les FNL.

Les autres auteurs

Si les attaquants s’élevaient à seulement une centaine d’hommes, les forces du FNL auraient probablement pu les fournir en totalité, ou presque. Les preuves tirées des langues parlées, bien qu’elles ne puissent pas mener à des conclusions définitives, suggèrent qu’il y avait d’autres auteurs présents. Des témoins ont, par ailleurs, mentionné avoir entendu des attaquants dire, « Nos camarades nous ont interdit de tuer du côté des Burundais », ce qui suggère que l’auteur de ces mots n’était pas lui-même un Burundais.79 Les preuves actuelles ne permettent pas d’autres conclusions relatives au nombre, à l’appartenance ethnique, à l’affiliation politique de ces personnes. Etant donné la présence de rebelles rwandais au Burundi, certains d’entre eux ont pu s’être joints au FNL, mais leur participation n’impliquerait pas nécessairement le FDLR. On trouve des Babembe dans les rangs des Mai Mai, mais hormis la présence d’un attaquant de langue Kibembe, les chercheurs de Human Rights Watch n’ont trouvé aucun élément qui prouve une implication des Mai Mai.

Tant le FDLR que les autorités congolaises, en ce compris les Mai Mai, ont nié toute participation des troupes sous leur commandement.80




<<précédente  |  index  |  suivant>>septembre 2004