Background Briefing

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Justice

Un crime de cette horreur appelle justice, du vœu même de nombreux acteurs nationaux et internationaux. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies a ordonné une enquête préliminaire sur le massacre et demandera probablement une enquête ultérieure, sur base de mécanismes onusiens ou internationaux. L’Union Africaine pourrait entamer une investigation, le Général Mbuze Mabe, commandant de la 10ème région militaire de l’armée congolaise, a ordonné la sienne, et une enquête burundaise est entre les mains de deux magistrats nationaux. Les présidents du Burundi et du Congo ont discuté la possibilité de lancer une enquête conjointe.  Au mieux, une ou plusieurs enquêtes pourra fournir des éléments pour permettre la poursuite en justice des responsables du massacre ; au pis, la multiplicité des efforts conduira à la confusion et à des interprétations divergentes des mêmes évènements.

La poursuite des dirigeants FNL

A la suite des revendications publiques du porte-parole du FNL, le gouvernement burundais a émis un mandat d’arrêt contre ce dernier et un autre, contre le chef du FNL, Agathon Rwasa. Au moment de la rédaction de ce rapport, aucun n’avait encore été appréhendé. Ces deux individus pourraient être jugés sous le coup de la loi burundaise du 8 mai 2003 portant répression du crime de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Cette loi rend compétentes les juridictions burundaises pour connaître des crimes sus-mentionnés commis sur le sol burundais après le 8 mai 2003, en ce compris à charge d’auteurs qui n’ont ni domicile ni résidence au Burundi ou qui se trouvent à l’extérieur du Burundi.

Depuis le début, Habimana a fait le lien entre le massacre des Banyamulenge et les tueries du passé perpétrées contre les civils qui sont restées impunies. Si bien sûr, le massacre délibéré de civils ne peut jamais trouver de justification, le commentaire de Habimana démontre à quel point l’impunité gangrène le Burundi. Négliger de faire œuvre de justice pour les crimes commis par les uns sur les autres, c’est laisser la porte grande ouverte à de nouveaux crimes, commis par les seconds sur les premiers.

Bien que la loi du 8 mai a été promulguée voici une année, les crimes de guerre et crimes contre l'humanité qui ont pourtant été commis au Burundi depuis, n’ont fait l’objet d’aucune poursuite sur base de cette loi, méconnue même au sein du corps des magistrats.

Les autorités ont aussi la possibilité de s’adresser à la Cour Pénale Internationale (CPI) et lui demander assistance pour investiguer et juger ce cas. Habimana lui-même a soulevé cette possibilité, déclarant qu’il n’hésiterait pas à comparaître devant une juridiction internationale, mais pas devant le système judiciaire burundais, qui ne lui inspire pas confiance. En avril 2003, l’assemblée nationale de transition a ratifié le traité de Rome qui porte création de la CPI, premier pas vers une adhésion à la CPI, mais le sénat a buté sur la question de l’application de l’article 124, qui permettrait au Burundi de se soustraire à la compétence de la Cour pour les crimes de guerre, pendant une période de sept ans. Le gouvernement a retiré le projet de loi des débats devant le sénat, mais sans que la ratification décidée par la chambre ne soit mise en péril. En juillet 2003, la cour constitutionnelle a rendu un arrêt déclarant que puisque le sénat n’avait pas rendu son avis dans le délai lui imparti, il fallait considérer que la loi avait été adéquatement ratifiée et pouvait être adressée au président pour promulgation. En août 2003, le président a signé la loi pour promulgation, mais la signature a été maintenue secrète jusque récemment. Pour compléter la procédure d’adhésion à la CPI, il ne reste au gouvernement burundais qu’à informer la Cour de la ratification en déposant l’instrument de ratification à son greffe. Le massacre de Gatumba offre au gouvernement burundais l’opportunité idéale de compléter la procédure qui le fera devenir Etat Partie à la CPI.

Même sans avoir complété cette procédure, les autorités burundaises ont la possibilité, pour un cas donné, de requérir sans délai la compétence de la Cour, en application de l’article 12 (3). du Statut de Rome. Une telle requête oblige le procureur de la Cour à diligenter au moins une enquête préliminaire sur le cas visé.

Rendre justice aux victimes de Gatumba est essentiel, mais ne doit être que le point de départ d’un effort plus large de la part de toutes les parties en conflit au Burundi et ailleurs dans la région. Dans un compte-rendu de presse du 30 août, le FNL a posé la question de savoir « pourquoi la même compassion [affichée à l’égard des victimes de Gatumba] ne s’est (…) pas manifestée avec autant d’acuité lors des massacres des millions de Hutu burundais et rwandais réfugiés au Congo. » Le compte-rendu s’est aussi spécifiquement référé au massacre de Itaba dans lequel le Major Budigoma, actuel commandant du camp militaire de Gatumba, était impliqué.96 Avancer les massacres perpétrés sur une partie pour justifier ceux commis sur l’autre, est illégal et immoral. Mais c’est pourtant ce que font les dirigeants militaires et politiques. Seule une justice véritable – une justice pour toutes les  victimes, peu importe le crime, peu importe son auteur -,  peut empêcher ces mêmes dirigeants de mobiliser davantage de sympathisants à venir nourrir la spirale de la violence.




<<précédente  |  index  |  suivant>>septembre 2004