« Cette terre est la richesse de ma famille »
Agir contre la dépossession de terres suite au conflit postélectoral en Côte d’Ivoire
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Résumé
Ce qui se passe nous fait mal, car la terre est notre héritage. Si les autorités n’interviennent pas rapidement, cela pourrait devenir dangereux. Pour l’instant, nous évitons de faire la guerre aux [vendeurs et acheteurs illégitimes]. Mais si nous perdons notre héritage, qu’allons-nous manger, comment pourrons-nous rester dans le village ? Les choses pourraient rapidement mal tourner... Si nous continuons à subir l’occupation illégale des terres dans notre région... cela pourrait provoquer une nouvelle guerre.
—Victime présumée de dépossession de terres ayant eu lieu pendant son déplacement suite au conflit, juin 2013
La terre et la politique ethnocentrique se sont avérées être un cocktail explosif au cours des 15 dernières années en Côte d’Ivoire, notamment dans la région ouest du pays marquée par l’instabilité. Alors que l’économie a subi une récession et que les terres cultivables sont devenues plus rares du fait de la population croissante, des dirigeants politiques ivoiriens ont exploité les tensions générées entre les groupes ethniques « autochtones » à l’Ouest et les migrants « allogènes » et « allochtones » venus de pays voisins et d’autres régions de Côte d’Ivoire pour travailler dans les champs de cacao et de café. Lorsque les conflits armés ont éclaté de 2002 à 2003 puis à nouveau de 2010 à 2011, l’ouest de la Côte d’Ivoire a été le théâtre de certaines des pires atrocités, en raison des profondes tensions intercommunautaires en rapport avec la terre, parmi d’autres facteurs. Le gouvernement du président Alassane Ouattara a déclaré que la résolution des conflits fonciers est une priorité clé. Les actions entreprises par le gouvernement pourraient déterminer si l’ouest de la Côte d’Ivoire ira vers la réconciliation ou restera bloquée dans un cycle de violence et d’instabilité.
À la fin du conflit de 2010-2011, environ 200 000 personnes avaient fui vers le Liberia voisin ; des centaines de milliers d’autres personnes ont été déplacées au sein du territoire national. Même si le phénomène de déplacement a eu lieu dans tout le pays, l’ouest de la Côte d’Ivoire a connu les plus importants mouvements de population. Le groupe ethnique guéré, population autochtone d’une grande partie de la région, a fui massivement ses villages alors que les forces pro-Ouattara avançaient en direction d’Abidjan, où elles ont arrêté l’ancien président Gbagbo le 11 avril 2011, cinq mois après qu’il a refusé d’accepter sa défaite électorale face à Ouattara. Les Guérés avaient tendance à figurer parmi les plus fervents partisans politiques de Gbagbo, et les milices pro-Gbagbo basées dans l’Ouest qui ont commis des crimes odieux contre des partisans supposés de Ouattara pendant la crise postélectorale, incluaient de nombreux Guérés. Les miliciens comme les civils guérés ont fui par crainte de représailles, crainte qui était souvent fondée. Certains Guérés ont été déplacés pendant plusieurs mois, durant et après la crise. D’autres ont été déplacés pendant plus d’un an, avec quelque 58 000 réfugiés enregistrés toujours présents au Liberia au mois d’août 2013. Apres être retournés dans leurs villages dans l’ouest ivoirien, beaucoup affirment que leurs terres ont été occupées par des populations allochtones et allogènes, notamment des immigrés du Burkina Faso.
Une histoire revient fréquemment dans la bouche des réfugiés guérés au Liberia et des militants pro-Gbagbo à Abidjan : ils affirment que des « allogènes » et des « allochtones » – soit respectivement les immigrés ouest-africains et les Ivoiriens de groupes ethniques natifs d’autres régions de la Côte d’Ivoire – se sont massivement emparés de terres appartenant aux Guérés « autochtones » déplacés par la crise. Ils soutiennent que les allogènes et les allochtones, en accusant surtout des migrants burkinabés, sont armés et prêts à commettre des actes de violence pour défendre leur occupation de ces terres, et que ces groupes sont épaulés par les militaires ivoiriens. C’est un tout autre récit que l’on entend de la part des populations allogènes et allochtones dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, y compris des Burkinabés. Ces populations affirment que les Guérés sont paresseux et malhonnêtes et qu’ils ont à plusieurs reprises tenté de récupérer les terres que les allogènes et les allochtones avaient acquises de manière légitime. Elles racontent que les Guérés ont passé des années à terroriser les non-autochtones, en particulier les immigrés ouest-africains, pour tenter de les chasser hors des terres.
Comme dans bon nombre d’histoires dans un pays qui reste profondément divisé sur les plans politique et ethnique, la réalité ne se situe pas aux extrêmes, même si les deux camps présentent des éléments de vérité. Des centaines de Guérés sont revenus après avoir été déplacés pour retrouver leur parcelle de terre occupée par quelqu’un alors que le propriétaire guéré ne l’a jamais vendue ni cédée. Beaucoup de réfugiés toujours au Liberia seront confrontés au même sort à leur retour. Cependant, dans la vaste majorité des cas documentés par Human Rights Watch, la dépossession de terres est le fruit de ventes illicites de terres guérés par d’autres Guérés, et non d’une appropriation hostile par des Burkinabés armés. Lorsque les Guérés ont été déplacés pendant le conflit, des Guérés des villages voisins, voire de la même famille, ont prétendu qu’ils étaient les véritables propriétaires et ont vendu les terres, le plus souvent à des migrants burkinabés.
Même si cette réalité est bien moins sinistre que les allégations d’un phénomène généralisé d’appropriations violentes de terres appartenant à des autochtones, elle n’en reste généralement pas moins problématique pour les véritables propriétaires, et n’en constitue pas moins une violation de leurs droits. Les Principes des Nations Unies sur la restitution des logements et des biens dans le cas des réfugiés et des personnes déplacées, mieux connus sous le nom de Principes Pinheiro, se concentrent sur les droits des réfugiés et des personnes déplacées qui reviennent chez eux. Les Principes Pinheiro prévoient que « [t]ous les réfugiés et personnes déplacées ont le droit de se voir restituer tout logement, terre et/ou bien dont ils ont été privés arbitrairement ou illégalement ». La Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique (Convention de Kampala) et la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples protègent de la même manière les droits de propriété, y compris pour des terres qui étaient possédées conformément aux droits coutumiers. Ces droits ont été violés dans les cas de ventes illicites.
Afin d’enquêter sur les conflits fonciers liés à la crise postélectorale, Human Rights Watch a mené une mission d’une semaine au Liberia en décembre 2012 pour recueillir les témoignages de réfugiés ivoiriens, ainsi que deux missions de trois semaines en Côte d’Ivoire en février et en juin 2013. Human Rights Watch a visité 49 villes et villages dans les régions administratives du Guémon, du Cavally et du Tonkpi dans l’ouest de la Côte d’Ivoire et s’est entretenu avec 168 personnes impliquées dans des conflits fonciers liés à la crise postélectorale et représentatives des diverses populations ethniques et immigrées concernées par les litiges fonciers dans cette région du pays. Human Rights Watch a confirmé bon nombre de ses observations au cours d’entretiens supplémentaires avec des personnes travaillant de près sur les problèmes fonciers dans l’Ouest, notamment des autorités coutumières et des responsables gouvernementaux locaux œuvrant pour la résolution des conflits fonciers, des représentants d’organisations humanitaires et des membres de la mission de maintien de la paix des Nations Unies en Côte d’Ivoire.
Dans les années 1960 et 1970, le président Félix Houphouët-Boigny a favorisé des politiques qui ont encouragé la migration à grande échelle depuis les pays voisins et depuis le nord et le centre de la Côte d’Ivoire vers les régions forestières riches de l’ouest du pays, où la production de cacao et de café a contribué à créer ce qui a été connu comme le « miracle ivoirien » de croissance économique forte et de stabilité politique. Un repli économique dans les années 1980 et 1990, accompagné par une diminution rapide des terres cultivables disponibles, a conduit à un changement de politique qui s’est orienté sur la nationalité ivoirienne et a débouché en 1998 sur une loi foncière qui stipulait que seuls les citoyens ivoiriens pouvaient être propriétaires des terres rurales. Encouragés par certains dirigeants politiques, des Guérés de l’ouest de la Côte d’Ivoire se sont servis de cette loi comme une autorisation pour s’emparer des plantations qu’ils avaient vendues ou cédées à des immigrés ouest-africains. Les immigrés, pour leur part, ont été indignés de voir que les transactions qu’ils avaient crues être des ventes pures et simples de terres – parfois à juste titre, parfois non – étaient désormais requalifiées en baux emphytéotiques ou en accords de location. Les tensions foncières croissantes dans les années suivantes ont joué un rôle clé dans les violences politiques et militaires qui ont éclaté par la suite, atteignant leur paroxysme pendant la crise postélectorale.
Le déplacement à grande échelle dans l’ouest de la Côte d’Ivoire provoqué par la crise postélectorale est à l’origine d’un véritable chaos en matière de droits fonciers et d’acquisition de terres. Certains Guérés qui étaient rentrés alors que les véritables propriétaires étaient toujours déplacés ont vendu de manière frauduleuse des terres sur lesquelles ils n’avaient aucun droit, souvent en incluant d’importantes superficies de forêt vierge, en particulier autour de Bloléquin. Tandis que certains acquéreurs burkinabés ont acheté en toute bonne foi, d’autres étaient complices, en achetant clandestinement de grandes parcelles de terre à de jeunes Guérés dont toute personne raisonnable se demanderait s’il s’agit bien des véritables propriétaires, et en tenant à l’écart les chefs coutumiers locaux qui, selon la pratique courante, agissent souvent comme témoins de ce type de ventes. L’auteur de la vente frauduleuse et l’acquéreur de mauvaise foi en ont tiré des bénéfices considérables, sans aucune crainte de sanctions, alors que le véritable propriétaire, déplacé à l’intérieur de la Côte d’Ivoire ou au Liberia, est retourné chez lui pour découvrir ses terres vendues et occupées.
Outre les ventes illicites de terres, Human Rights Watch a documenté certains cas d’appropriations de terres plus hostiles. Certains allogènes et allochtones ne respectent plus les accords de location à long terme, selon lesquels ils remettaient auparavant une partie de leur récolte au propriétaire guéré. D’autres allogènes et allochtones ont profité de l’absence des propriétaires pour agrandir illégalement leurs domaines, en élargissant, par exemple, une propriété de deux hectares à trois hectares après la fuite du propriétaire vers une autre région du pays ou au Liberia. Dans quatre autres cas, tous situés dans une zone spécifique au sud de Bloléquin, Human Rights Watch a documenté une occupation par la force ; dans chacun de ces cas, des dizaines de Burkinabés se sont installés sur la terre d’un Guéré, en indiquant que c’était leur « récompense » pour avoir combattu avec les forces pro-Ouattara pendant la crise. Enfin, des allogènes et des allochtones ont détruit ou occupé des terres guérés sacrées dans plusieurs villages, ce qui a exacerbé les tensions locales et constitue une violation potentielle de leurs droits à pratiquer librement leur religion.
La vente ou l’appropriation illégale de terres entraîne des conséquences graves pour les moyens de subsistance de la population déchue, et le manque de restitution rapide des terres par le gouvernement constitue une violation potentielle des droits à la nourriture et à un niveau de vie suffisant. De nombreux Guérés ont fui la crise en emportant uniquement le strict nécessaire et sont revenus pour constater que leurs maisons avaient été pillées et brûlées. Mais la dépossession des terres est perçue comme une menace beaucoup plus grave pour la survie, susceptible d’engendrer des violences intercommunautaires, car elle met en péril les moyens de subsistance actuels et futurs. Human Rights Watch a documenté des dizaines de cas dans lesquels les occupants se sont appropriés ou ont détruit les cultures que les propriétaires avaient précédemment plantées. La forêt vierge que les propriétaires de terres comptaient léguer aux générations futures est en train d’être abattue pour faire place à de nouvelles cultures. Sans la possibilité de faire pousser des cultures commerciales ou vivrières, ceux qui ont perdu leurs terres alors qu’ils étaient déplacés sont confrontés à une « pauvreté [dont] on ne connaît même pas le nom », d’après un Guéré. La dépossession des terres et les conséquences économiques qu’elle engendre figurent parmi les principales raisons pour lesquelles certains réfugiés au Liberia disent qu’ils ne se sentent pas capables de rentrer chez eux.
La dépossession des terres liée à la crise postélectorale alimente déjà des violences à petite échelle. Deux attaques transfrontalières en mars 2013 semblent être directement liées aux conflits fonciers dans la zone la plus touchée par les occupations illégales. Les attaquants ont tué au moins neuf civils dans deux villages frontaliers au sud de Bloléquin les 13 et 23 mars et ont détruit des dizaines de maisons. Certains documents de vente de terres examinés par Human Rights Watch indiquent que les attaquants semblent avoir visé certaines victimes pour leur rôle supposé dans des transactions foncières présumées illégales. Plusieurs affrontements intercommunautaires ont également eu lieu en 2013 entre des Guérés de deux villages se battant pour des allégations de ventes de terres frauduleuses. Des discours enflammés sont fréquents dans de nombreux villages et les tensions menacent de dégénérer en de nouveaux affrontements.
La dépossession de terres guérés au lendemain de la crise postélectorale doit être examinée dans le contexte de ce qui s’est produit dans l’ouest de la Côte d’Ivoire après le conflit armé de 2002-2003. À l’époque, les populations allogènes et allochtones ont été forcées de fuir alors qu’elles étaient prises pour cible par les forces pro-Gbagbo pour des crimes graves ; bon nombre n’ont pas pu revenir pendant quatre années. Certains propriétaires fonciers guérés ont imposé des exigences démesurées au retour des allogènes et des allochtones, en récupérant des parcelles de terre précédemment cédées ou exigeant que les personnes non-autochtones paient pour la restitution de leurs propres biens. D’autres Guérés ont vendu ou revendu illégalement des terres pendant le déplacement des allogènes et des allochtones. Des chefs burkinabés dans l’ouest de la Côte d’Ivoire ont décrit certaines appropriations récentes comme une « récupération » de ces terres. Même si, dans certains cas, il s’agissait peut-être de « récupération » par des allogènes et allochtones, les ventes et les appropriations illégales après la crise postélectorale sont sans aucun doute allées bien au-delà de la réappropriation. L’esprit de revanche qui semble caractériser la dépossession des terres dans l’ouest de la Côte d’Ivoire est l’une des nombreuses formes d’auto-justice pratiquée dans la région au cours de la dernière décennie. Cela continuera probablement tant que les autorités ivoiriennes ne seront pas capables de restaurer la confiance de la population dans l’État de droit comme moyen de résoudre les différends, y compris les litiges fonciers.
Selon les Principes Pinheiro, les États « devraient mettre en place [...] et soutenir » grâce à des « ressources − financières, humaines et autres − suffisantes » « des mécanismes équitables, indépendants, transparents et non discriminatoires en vue d’évaluer les demandes de restitution des logements, des terres et des biens et d’y faire droit ». Jusqu’à présent, le gouvernement ivoirien ne s’est pas, dans l’ensemble, acquitté de cette responsabilité, même si la création d’un nouveau tribunal à Guiglo en juin 2013 devrait améliorer l’accès au système judiciaire pour les personnes vivant dans l’extrême ouest de la Côte d’Ivoire.
Les mécanismes coutumiers et administratifs qui gèrent les conflits fonciers sont souvent submergés par les plaintes dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, notamment celles liées à la crise postélectorale. Dans l’ouest du pays, les chefs de village et les sous-préfets, principaux responsables coutumiers et administratifs chargés de résoudre les litiges fonciers, sont confrontés collectivement à des milliers d’affaires. Malgré cette lourde charge, le soutien financier qu’ils ont reçu du gouvernement national est extrêmement faible, ce qui compromet gravement leur capacité à mener des enquêtes et trancher les différends et les oblige souvent à demander des sommes exorbitantes afin de traiter les plaintes de personnes qui ont tout perdu et ne peuvent plus accéder à leurs terres.
De plus, les gouvernements successifs en Côte d’Ivoire ont promis de délimiter les territoires des villages. Jusqu’à présent, aucune administration n’a tenu sa parole. L’absence de limites fixes entre les villages a semé la confusion et permet à des personnes d’entrer facilement dans un autre village et de vendre des terres auxquelles elles n’ont aucun droit. Les représentants du gouvernement de Ouattara ont assuré que la délimitation des territoires des villages constituait une priorité, mais peu de mesures concrètes ont été prises. L’aide des bailleurs de fonds pourrait être cruciale d’un point de vue financier et technique.
Enfin, les personnes impliquées dans les ventes de terres frauduleuses bénéficient d’une impunité totale. Les responsables coutumiers et administratifs interrogés par Human Rights Watch n’ont pas pu citer une seule affaire dans laquelle des sanctions ont été imposées, même lorsque les actes d’un vendeur de terres illégitime constituaient un vol et une fraude. En effet, beaucoup de responsables coutumiers et administratifs ont expliqué qu’ils ont délibérément évité d’impliquer la gendarmerie et les autorités judiciaires, car ils considéraient que cela nuirait à la réconciliation. Les personnes résidant dans l’ouest de la Côte d’Ivoire ont à plusieurs reprises exprimé un avis contraire, en affirmant que des sanctions pénales, qu’il s’agisse d’amendes ou de peines de prison, sont essentielles pour mettre fin aux ventes frauduleuses, principale cause de tant de conflits fonciers.
En août 2013, le gouvernement ivoirien a entrepris des réformes modestes de la loi sur la nationalité et la loi de 1998 relative au domaine foncier rural. Cependant, la loi foncière contient toujours des dispositions que le gouvernement doit clarifier de manière à respecter le droit international relatif aux droits humains et les droits des réfugiés de retour au pays. En outre, la réforme foncière nationale ne sera pas une panacée pour les conflits qui accablent l’ouest de la Côte d’Ivoire. Les demandes de restitution liées à la dépossession des terres pendant le déplacement doivent y être traitées individuellement et de manière urgente. Chaque jour, des personnes modifient de façon permanente des terres qu’elles ont acquises illégalement. Les arbres de ce qui constituaient des forêts vierges sont abattus et sont remplacés par des cacaoyers et des hévéas. Chaque jour qui passe, la colère et la haine montent parmi ceux qui ont été dépossédés de leurs terres.
Les conflits liés à la terre constituent l’une des causes profondes des violences et des graves atteintes aux droits humains qui ont marqué la dernière décennie en Côte d’Ivoire. Les décisions du gouvernement ivoirien concernant la restitution des terres dans l’ouest du pays contribueront à déterminer si la terre restera une source potentielle de conflit à l’avenir ou deviendra une source de développement local qui apaisera les tensions intercommunautaires.
Recommandations
Au Président, au Premier ministre et à l’Assemblée nationale
- Consulter les populations locales dans toute la Côte d’Ivoire, par le biais d’un processus formel, avant de modifier davantage les lois ou de rédiger des décrets relatifs à la réforme du domaine foncier rural. Faire en sorte que tous les groupes politiques et ethniques, les femmes et les jeunes soient inclus dans ces concertations.
-
Reconnaître que les
réformes des lois relatives à la nationalité et au domaine
foncier rural, entreprises en août 2013, ne résoudront pas les
milliers de litiges fonciers causés par la crise postélectorale,
et s’engager publiquement à garantir aux réfugiés et
aux personnes déplacées la restitution des terres qui ont
été vendues ou occupées illégalement pendant leur
déplacement.
- Accorder la priorité à la restitution de manière à permettre le retour des personnes sur leurs propres terres, conformément aux Principes Pinheiro.
- Soutenir par des ressources adéquates (financières, humaines et autres) les mécanismes coutumiers, administratifs et judiciaires impliqués dans la résolution des plaintes de dépossession de terres liée à la crise, pour faciliter une restitution juste et en temps voulu.
-
Veiller à ce
qu’un mécanisme légal puisse régler efficacement les
revendications ainsi que les litiges liés à
propriété foncière, et aider les propriétaires
à enregistrer leur propriété au cadastre et à
obtenir la démarcation des limites de celle-ci. Cela peut exiger la
modification des mécanismes administratifs actuels, notamment des
comités sous-préfectoraux de gestion foncière rurale, le
renforcement du soutien apporté à ces mécanismes, ou la
création d’un nouveau mécanisme.
- S’assurer que tout mécanisme employé dans la résolution des revendications et des litiges liés à la propriété foncière soit accessible aux populations locales.
- Envisager d’examiner l’expérience dans d’autres pays, y compris la Bosnie, qui ont réussi en partie à déterminer les droits de propriété au lendemain d’un déplacement massif qui a eu lieu pendant un conflit armé.
- Garantir par loi ou par décret que les personnes puissent faire appel devant le système judiciaire des décisions prises par un comité foncier sous-préfectoral ou une autre institution administrative, notamment en ce qui concerne les litiges liés à la propriété de terres.
- Émettre un décret ou promulguer une loi clarifiant le fait que le déplacement en raison de violences intercommunautaires ou de conflits armés n’invalide pas la capacité d’une personne à établir « une existence continue et paisible de droits coutumiers » sur ses terres, comme stipulé par la loi de 1998 relative au domaine foncier rural.
-
Préciser par
décret ou par loi si et comment les « petits
papiers » liés aux transactions foncières seront
utilisés pour déterminer les droits de propriété ou
les accords de location.
- Garantir, conformément à la constitution ivoirienne et au droit international relatif aux droits humains, que les femmes et les hommes aient les mêmes droits en termes d’accès à la terre et qu’il n’y ait aucune discrimination à l’encontre des femmes, dans la loi ou dans la pratique, concernant la capacité à enregistrer les droits de propriété foncière selon les procédures prévues par la loi de 1998 relative au domaine foncier rural.
Aux ministres de l’Intérieur, de la Justice et de l’Agriculture
- Donner instruction aux sous-préfets, à la police, à la police judiciaire et aux procureurs de travailler ensemble pour engager des enquêtes et des poursuites lorsque les ventes de terres semblent avoir été frauduleuses, à savoir lorsque des personnes ont vendu des terres dont elles ne pouvaient pas revendiquer raisonnablement la propriété. Des sanctions devraient garantir, au minimum, que le vendeur de mauvaise foi ne puisse conserver les bénéfices de sa fraude.
- Veiller à ce que les mécanismes coutumiers et administratifs chargés de résoudre les litiges fonciers dans l’ouest de la Côte d’Ivoire agissent conformément aux normes internationales en matière de droits humains et de droit humanitaire.
-
Soutenir par des financements
et des ressources humaines adéquates les comités villageois et
sous-préfectoraux impliqués dans la résolution des
conflits fonciers liés au déplacement, dans le but
d’éliminer ou du moins de réduire considérablement
les frais actuellement exigés par certaines autorités coutumières
et administratives pour le dépôt de plaintes concernant les
terres, les appels à témoin et les enquêtes sur le terrain.
- S’assurer, au minimum, que les comités sous-préfectoraux renoncent aux frais demandés dans les cas où une partie peut justifier de difficultés financières.
- Mener des enquêtes sur les plaintes liées à la destruction ou à l’occupation de zones sacrées et expulser les personnes occupant illégalement des terres sacrées. Faire en sorte que la loi ivoirienne accorde une protection totale à ces terres.
- Créer un mécanisme pour permettre aux personnes déplacées au sein de la Côte d’Ivoire de se rendre dans leur village d’origine pour voir si leurs terres sont occupées illégalement et pour porter plainte le cas échéant.
- S’assurer que les comités villageois de gestion foncière rurale incluent des représentants de toutes les communautés, y compris des populations immigrées, des groupes ethniques ivoiriens allochtones, des femmes et des jeunes.
Au ministre de l’Agriculture
- Entreprendre rapidement la délimitation des territoires des villages. Accorder la priorité aux zones où les questions foncières et les conflits intercommunautaires sont étroitement liés, y compris dans l’ouest de la Côte d’Ivoire.
- Envisager de réduire les frais associés à l’obtention d’un certificat foncier et à l’enregistrement des droits de propriété au cadastre, pour mieux garantir que ces procédures soient accessibles à tout le monde.
- Faire en sorte que, partout dans tout le pays, les bureaux locaux du ministère de l’Agriculture disposent de ressources humaines et financières suffisantes pour apporter conseil et assistance, et pour fournir tous les formulaires requis aux différentes étapes de la procédure de régularisation des droits coutumiers sur les terres.
- S’assurer que les personnes illettrées ne subissent aucune discrimination en matière de régularisation de leurs droits coutumiers sur les terres, grâce à une assistance ou des moyens alternatifs pour compléter des formulaires.
- Prendre des mesures pour augmenter le nombre d’experts qualifiés qui peuvent déterminer et délimiter les territoires ruraux, dans un effort pour accélérer le processus et réduire les coûts pour les propriétaires qui tentent d’enregistrer leurs terres au cadastre. Examiner la possibilité que des experts formés venant d’autres secteurs professionnels puissent participer au processus de délimitation et, le cas échéant, modifier les lois et décrets concernés qui ont accordé à l’Ordre des géomètres-experts un monopole pour la réalisation de ces tâches.
Au ministre de la Défense et à l’Autorité pour le désarmement, la démobilisation et la réinsertion (ADDR)
- Accélérer les efforts pour désarmer les anciens combattants qui se sont battus dans les deux camps de la crise politico-militaire, car la présence d’hommes armés a encouragé les activités frauduleuses et intimidé certaines personnes tentant de retourner sur leurs terres ou de déposer une plainte pour dépossession de terres.
À l’Assemblée nationale
- Ratifier la Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique et harmoniser la loi ivoirienne avec les dispositions de la convention.
-
Créer une commission technique
spéciale, conformément aux règlements de
l’Assemblée nationale, chargée d’examiner les causes
profondes des conflits fonciers et les actions législatives
nécessaires pour résoudre ces conflits, notamment ceux qui sont
liés au déplacement.
- Tenir des audiences publiques sur les liens entre les conflits fonciers, le déplacement et les violences, et appeler à témoigner, entre autres, des experts sur le domaine foncier rural, des représentants des diverses populations ethniques et immigrées, des chefs coutumiers, des responsables gouvernementaux locaux, des représentants de la société civile et des géomètres-experts.
Aux bailleurs de fonds, notamment l’Union européenne, la France et les États-Unis
- Apporter une aide financière et technique aux mécanismes coutumiers et administratifs dans l’ouest de la Côte d’Ivoire chargés de résoudre les plaintes de dépossession de terres en lien avec la crise postélectorale.
- Financer le développement de capacités pour les responsables coutumiers et administratifs impliqués dans la résolution des conflits fonciers dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. Un tel développement devrait aider à promouvoir la capacité de ces mécanismes à agir conformément aux normes internationales en matière de droits humains, de réfugiés et de droit humanitaire.
- Fournir une aide financière et technique au gouvernement ivoirien dans son effort pour délimiter les territoires villageois. Aider le ministère de l’Agriculture à accroître le nombre de géomètres-experts grâce à des formations et l’intégration d’experts internationaux au sein des équipes d’experts ivoiriens.
Méthodologie
Ce rapport s’appuie sur trois missions de recherche en Côte d’Ivoire et au Liberia. En décembre 2012, Human Rights Watch a passé une semaine dans le comté de Grand Gedeh, au Liberia, où des dizaines de milliers de réfugiés ivoiriens sont toujours présents après avoir fui l’ouest de la Côte d’Ivoire pendant le conflit de 2010-2011. Human Rights Watch a aussi mené deux missions en Côte d’Ivoire d’environ trois semaines chacune, en février et en juin 2013, passant au total quatre semaines dans l’ouest de la Côte d’Ivoire et deux semaines à Abidjan.
Alors que des conflits fonciers existent dans toute la Côte d’Ivoire, ce rapport se concentre sur les litiges fonciers et la dépossession liés au déplacement provoqué par la crise postélectorale de 2010-2011. L’ouest de la Côte d’Ivoire a connu le phénomène de déplacement le plus important en termes de personnes déplacées au sein de la Côte d’Ivoire et de personnes qui ont fui vers le Liberia voisin en tant que réfugiés. Les conflits fonciers sont également liés depuis longtemps aux violences politico-militaires et aux graves atteintes aux droits humains dans cette région.
Dans le cadre de son travail sur le terrain, Human Rights Watch a visité 49 villes et villages dans les régions administratives occidentales du Guémon, du Cavally et du Tonkpi. En particulier, Human Rights Watch a réalisé des entretiens dans les villes et villages suivants :
- Dans le Guémon : Duékoué, Bagohouo, Yrouzon, Guinglo-Zia, Blody, Toa-Zéo, Kahin-Zarabaon, Séhoun-Guiglo, Fengolo et Diahouin ;
- Dans le Cavally : Guiglo, Domobly, Guinkin, Kaadé, Ziglo, Bédi-Goazon, Douedy-Guézon, Ladjikro (campement) [1] , Béoué, Guibobly, Guéya, Diouya-Dokin, Bloléquin, Goya, Pohan-Badouebly, Doké, Bloc (campement), Doké II (aussi connu sous le nom de Laïpleu), Zomplou, Diéya, Diahibly, Glacon-Bloc, Médibly, Diboké, Zilébly, Oulaïtaïbly, Tinhou, Dedjéan, Petit-Guiglo, Koadé-Guézon (KDZ) et Denan ;
- Dans le Tonkpi : Danané, Zouan-Hounien, Ouyatouo, Gbontegleu, Batéapleu, Zéalé, Téapleu et Bounta.
Human Rights Watch s’est entretenu avec plus de 230 personnes au total, dont 117 victimes présumées de dépossession de terres liée au déplacement. Ces victimes sont issues du groupe ethnique guéré, qui soutient majoritairement l’ancien président Gbagbo et est « autochtone » de la majeure partie des régions du Guémon et du Cavally. Afin de garantir la représentation de tous les points de vue, Human Rights Watch a aussi interrogé des individus d’autres populations ethniques et immigrées impliquées dans les conflits fonciers dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, dont 32 Burkinabés et Maliens, les populations immigrées prédominantes (« allogènes ») dans l’ouest du pays ; 26 membres de populations ivoiriennes non originaires de l’ouest de la Côte d’Ivoire (« allochtones »), dont des Baoulés, des Malinkés, des Senoufos et des Lobis ; et 19 Yacoubas, les autochtones de la majeure partie de la région du Tonkpi. De plus, Human Rights Watch s’est entretenu avec des chefs coutumiers et traditionnels de différents groupes ethniques et immigrés, des responsables gouvernementaux locaux impliqués dans la résolution des conflits fonciers, des chefs de file de la société civile ivoirienne, des représentants de la mission de maintien de la paix des Nations Unies en Côte d’Ivoire, des diplomates à Abidjan et en Europe, et des journalistes.
Dans l’ensemble, Human Rights Watch a interrogé des personnes impliquées dans des litiges fonciers dans leur village d’origine. La plupart des entretiens ont été réalisés individuellement, avec quelques groupes de discussion (« focus groups ») aux premières étapes de la recherche afin de mieux identifier les régions les plus touchées ainsi que les problèmes méritant une étude plus approfondie. Il est souvent difficile de garantir un entretien de manière totalement privée dans les petits villages, où les habitants se rassemblent rapidement, désireux de connaître la raison de la venue d’un étranger. Human Rights Watch a typiquement expliqué sa présence à toutes les personnes intéressées, puis a tenté de s’entretenir en privé avec des individus qui avaient des histoires personnelles de litiges fonciers liés à la crise postélectorale. Dans certains cas, des individus ont préféré que d’autres personnes, généralement des membres de leur famille ou des chefs de leur communauté, assistent également à l’entretien. Les victimes ont été identifiées grâce à des chefs de communauté, des militants locaux et d’autres victimes. Aucune mesure d’incitation n’a été proposée aux personnes interrogées pour discuter avec Human Rights Watch et il leur était possible de mettre fin à l’entretien à tout moment.
Human Rights Watch s’est abstenu de publier les noms des personnes impliquées dans les conflits fonciers ou toute information permettant de les identifier afin de protéger leur vie privée et leur sécurité. La plupart des personnes ont parlé à condition de rester anonymes par crainte de représailles.
Pendant toutes les recherches, Human Rights Watch a partagé ses conclusions avec le gouvernement ivoirien, notamment lors de réunions avec le ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko ; le ministre de la Justice, des Droits de l’Homme et des Libertés publiques, Gnénéma Coulibaly ; le ministre de l’Agriculture, Mamadou Coulibaly ; le conseiller du président Ouattara chargé des droits de l’homme et des affaires humanitaires, Mamadou Diané ; ainsi qu’un conseiller spécial du Premier ministre, Vincent Sedalo. Human Rights Watch salue la volonté constante du gouvernement de poursuivre des discussions sur les questions de droits humains.
Human Rights Watch a également adressé au Premier ministre Daniel Kablan Duncan un courrier daté du 21 août qui détaillait les conclusions principales du rapport et demandait une réponse officielle du gouvernement (voir Annexe I). Le 13 septembre, le ministre de la Justice Gnénéma Coulibaly a répondu au nom du gouvernement ivoirien. Human Rights Watch a intégré bon nombre des réponses du gouvernement dans le corps du rapport et a inclus l’intégralité de sa réponse dans l’Annexe II.
I. Contexte
Ces tensions [liées à la terre], instrumentalisées et accentuées comme une forme de haine xénophobe par les politiciens au plus haut niveau, constituent la clé tant de la destruction du pays que de sa reconstruction possible si elles sont gérées correctement.
—Global IDP Project, novembre 2005 [2]
La terre, la politique et la violence ont été étroitement liées en Côte d’Ivoire au cours des deux dernières décennies, ayant mené à une rébellion en 2002 et à un conflit armé en 2010-2011 suite à l’élection présidentielle contestée. Bon nombre des crimes les plus graves pendant les deux conflits armés ont été commis dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, où les tensions et les conflits fonciers entre populations autochtones et populations allogènes et allochtones sont particulièrement aigus. Des centaines de milliers de personnes ont été déplacées pendant ces conflits et beaucoup ont constaté à leur retour que des personnes d’une autre communauté s’étaient illégalement approprié de leurs terres.
Le président Alassane Ouattara a déclaré que la résolution des questions autour du domaine foncier rural est l’une de ses principales priorités. Pour mettre un terme aux conflits fonciers dans l’ouest de la Côte d’Ivoire qui ont contribué à de nombreuses violations des droits humains, le gouvernement de Ouattara devra garantir la restitution des terres confisquées aux personnes déplacées par le conflit et s’atteler aux problèmes qui ont favorisé les ventes de terres frauduleuses et la confusion quant aux droits de propriété.
Loi et politique foncières en Côte d’Ivoire
Depuis l’indépendance du pays en 1960 et jusqu’au début des années 1980, la Côte d’Ivoire a prospéré économiquement et est devenue un leader mondial dans la production de cacao et de café. Félix Houphouët-Boigny, président de 1960 jusqu’à sa mort en 1993, a mené une politique d’immigration caractérisée par l’ouverture, qui, couplée à la croissance rapide de l’économie ivoirienne, a attiré des travailleurs migrants des pays voisins, qui représentent actuellement près d’un quart de la population. [3] La partie occidentale du pays, dotée d’une terre idéale pour la production de cacao et de café, représentait une destination populaire pour les immigrants et les travailleurs migrants venant du nord et du centre de la Côte d’Ivoire, qui, ensemble, étaient plus nombreux que la population autochtone dans la région à partir de 1998. [4]
Dans les années 1980, les cours du cacao et du café ont chuté sur les marchés internationaux, ce qui, avec d’autres facteurs, a engendré une sévère récession économique. Un nombre croissant de jeunes instruits se sont trouvés dans l’impossibilité d’obtenir un emploi à Abidjan et sont retournés dans leurs villages, y compris dans l’ouest du pays. [5] Ils ont découvert que, pendant leur absence, leurs parents avaient loué ou cédé une grande partie des terres à des migrants, ce qui a provoqué des conflits intergénérationnels au sein de la population autochtone et des conflits intercommunautaires entre autochtones et migrants. [6]
Face au vide politique laissé par le décès de Houphouët-Boigny en 1993, les dirigeants politiques ont de plus en plus cherché à obtenir l’appui de blocs ethniques. Plusieurs hommes politiques ont mis en avant le concept d’« ivoirité » – un discours ultranationaliste axé sur l’identité ivoirienne qui marginalisait les immigrés et les Ivoiriens du Nord, des groupes qui soutenaient majoritairement Ouattara, qui était Premier ministre à l’époque. [7] Alors que ce discours portait avant tout sur la politique et la nationalité, et fut utilisé pour empêcher Ouattara de contester les élections de 1995 et de 2000 [8] , il était aussi lié aux questions foncières, remettant en cause la possibilité pour les non-Ivoiriens de disposer de droits de propriété significatifs. [9]
Le 23 décembre 1998, l’Assemblée nationale a voté à l’unanimité la loi nº 98-750, dite « loi relative au domaine foncier rural », qui visait à faire passer le régime foncier des droits coutumiers à la propriété individuelle privée, garantie par des titres fonciers inscrits au cadastre de l’État. [10] Le présent rapport n’entre pas dans l’examen approfondi de cette loi, qui a été déjà bien traitée dans d’autres publications. [11] Cependant, plusieurs composantes sont fondamentales pour comprendre les conflits fonciers ultérieurs.
Avant la loi foncière de 1998, il régnait une grande confusion en matière de droits de propriété des terres rurales. De 1935 à 1998, les transactions foncières basées sur la coutume n’avaient pas de valeur juridique, car la loi exigeait que les personnes enregistrent leurs terres au moyen de titres fonciers et fassent appel à un notaire pour les transactions foncières. [12] Toutefois, ce système formel a fait abstraction d’une réalité selon laquelle « la gestion des terres rurales relève de la coutume à 98 %, et seuls 1 à 2 % des terres rurales font l’objet d’un titre de propriété ». [13] Les différents décrets et lois ayant précédé la loi foncière de 1998 n’ont donc jamais été mis en œuvre ou appliqués, y compris dans l’ouest de la Côte d’Ivoire.
La coutume en Côte d’Ivoire fait « une distinction très claire entre la propriété du sol, qui appartient à la collectivité (famille, lignage, village) et ne peut en aucun cas être cédée, et le droit d’usage du sol qui peut lui être l’objet de cession ». [14] La propriété du sol conformément à cette coutume appartient généralement à ceux qui sont arrivés en premier dans une zone donnée ; dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, il s’agit donc souvent des familles qui y ont fondé un village. [15] Ces familles n’ont quasiment jamais obtenu de titres fonciers, car les limites des villages et des propriétés familiales individuelles sont restées régies par la coutume. Conformément à la coutume, ces gardiens des terres ou « tuteurs » ne pouvaient pas vendre la « propriété du sol », mais ils pouvaient céder ou vendre les droits d’usage du sol. [16] Lorsque la forêt vierge était abondante dans l’ouest de la Côte d’Ivoire dans les années 1960 et 1970, il suffisait souvent aux migrants d’offrir un petit don, comme une boisson à partager ou quelques cadeaux, en échange d’un ou plusieurs hectares de terre sur lesquels planter des cultures commerciales et vivrières. [17] Au fil du temps, alors que les terres se sont faites plus rares, « les transferts de terre [ont] impliqu[é] de l’argent et parfois des sommes importantes » créant une « confusion [...] quant à savoir si c’est le droit d’usage qui est cédé ou la propriété de la terre. Cette confusion a été sciemment entretenue à la fois par l’État, notamment par le fameux slogan d’Houphouët-Boigny, “La terre appartient à celui qui la met en valeur”, et par certains autochtones à qui cela permettait d’exiger des sommes plus importantes. » [18]
À la veille de la réforme foncière de 1998, il existait donc deux éléments de vives tensions :
- entre une réalité dominée par la gestion coutumière des terres rurales et un cadre légal qui n’accordait aucune valeur aux droits coutumiers, et
- entre une réalité dans laquelle les terres sont vendues ou cédées à grande échelle, souvent de certaines manières qui suggèrent la vente de la propriété du sol, et une coutume qui interdisait la vente de toute autre chose qu’un droit d’usage.
En ce qui concerne le premier problème, la loi foncière de 1998 a amorcé un tournant en reconnaissant les droits coutumiers comme un fondement pour revendiquer la propriété de terres pendant une période de transition. [19] La loi a accordé à toute personne un délai de 10 ans pour transformer ses droits coutumiers en système de propriété privée. Les personnes affirmant avoir des droits fonciers devaient entamer une procédure à l’issue de laquelle, si les autorités locales confirmaient leurs revendications basées sur la coutume, elles obtiendraient un certificat foncier délivré par l’État. Les personnes disposaient ensuite d’un délai de trois ans pour inscrire leur parcelle de terre au cadastre. [20] En partie à cause de la crise politico-militaire ultérieure qui a duré une décennie et en partie à cause de la mauvaise diffusion de la loi, le gouvernement n’a délivré que très peu de certificats fonciers avant l’échéance des 10 ans. [21] Le 23 août 2013, l’Assemblée nationale a voté une loi accordant aux personnes un délai supplémentaire de 10 ans pour régulariser leurs droits coutumiers. [22] À l’issue de cette période, toutes les transactions foncières légales impliqueront apparemment le transfert de titres fonciers enregistrés au cadastre.
Quant à la deuxième source de tension mentionnée ci-dessus, la loi foncière de 1998 a intégré le concept d’« ivoirité », en stipulant que, pour les terres rurales, « seuls l’État, les collectivités publiques et les personnes physiques ivoiriennes sont admis à en être propriétaires ». [23] Une personne n’ayant pas la citoyenneté ivoirienne ne pouvait donc pas être propriétaire de terres ; ses droits étaient vraisemblablement restreints aux accords de location ou aux baux emphytéotiques, qui peuvent durer jusqu’à 99 ans et être transmis aux héritiers. [24] Par conséquent, de nombreux non-Ivoiriens qui ont payé des sommes d’argent considérables pour acquérir des terres avant la loi de 1998 ne sont apparemment pas en mesure de convertir leur achat en titre foncier. Selon un rapport de 2009, « [le non-Ivoirien] pourra au mieux obtenir un bail de longue durée à des conditions certes favorables, mais qui imposent toujours le versement d’un loyer pour une terre qu’il considère comme la sienne ». [25] Presque toutes les transactions effectuées avant 1998 ont été réalisées hors du cadre de la loi écrite – en s’appuyant sur la coutume et non sur des transferts de titres fonciers – donc il est difficile de dire que la loi a annulé des ventes « légales ». Mais la loi de 1998 a certainement changé le type de droits de propriété que certains non-Ivoiriens pensaient, souvent à juste titre, avoir acquis lors de l’achat de terres et avec l’investissement pendant des années dans des parcelles de terre.
Conformément au code de la nationalité de 1972, la citoyenneté découle essentiellement du droit du sang (jus sanguinis) plutôt que du droit du sol (jus soli). Un enfant né en Côte d’Ivoire se voit décerner la nationalité ivoirienne uniquement s’il est né d’au moins un parent ivoirien. [26] Donc, près de la moitié des migrants étrangers en Côte d’Ivoire sont nés et ont grandi dans le pays mais n’en sont pourtant pas citoyens. [27]
La loi de 1998 relative au domaine foncier rural a davantage attisé les tensions entre immigrés et autochtones dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, conduisant à plusieurs affrontements mortels en 1999 dans les zones du centre et du sud de l’ouest du pays. [28] De nombreux immigrés dans l’ouest de la Côte d’Ivoire pensaient que leurs transactions avant 1998 portaient sur la propriété des terres, cependant la loi a vraisemblablement empêché une telle revendication. Les autochtones, en particulier les jeunes, ont vu la loi comme une autorisation pour récupérer les terres que leurs parents et grands-parents avaient vendues ou cédées à des immigrés au cours des décennies précédentes. Les hommes politiques, en particulier le parti politique de Gbagbo, ont encouragé cette croyance, comme cela a été décrit par les travaux d’un universitaire sur les questions foncières ivoiriennes :
Pendant les élections de 1990 et 1995, les discours des hommes politiques ont incité les autochtones des régions forestières à croire que l’accession au pouvoir du leader d’opposition Gbagbo entraînerait l’expropriation des populations allogènes et allochtones et la réaffectation ultérieure des terres. En adoptant le slogan ‘la terre appartient aux autochtones’ intégré dans la loi sur le foncier rural à la veille des élections municipales, législatives et présidentielles de 2000, les hommes politiques cherchaient à s’attirer des voix tout en renforçant le principe de récupération des terres... [29]
Les conflits liés à la terre – même s’ils ne constituent pas le seul facteur, ni le facteur le plus important – ont joué un rôle primordial dans la plongée de la Côte d’Ivoire vers une décennie de violences et de graves atteintes aux droits humains. Ceci est particulièrement vrai dans l’ouest du pays.
Déplacement des populations migrantes provoqué par le conflit armé de 2002-2003
Le 19 septembre 2002, les rebelles du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI) ont attaqué des cibles stratégiques à Abidjan, ainsi que les villes du nord de Bouaké et Korhogo. Même s’il n’a pas réussi à prendre Abidjan, le MPCI, vite rejoint par deux factions rebelles basées dans l’Ouest, a rapidement contrôlé la moitié nord de la Côte d’Ivoire. Les trois groupes rebelles ont formé une alliance politico-militaire appelée les Forces Nouvelles, qui cherchait à mettre fin à l’exclusion politique et à la discrimination à l’égard des Ivoiriens du Nord et à destituer le président Laurent Gbagbo qu’ils considéraient comme illégitime en raison d’irrégularités lors des élections de 2000. [30] Les combats ont été particulièrement intenses dans l’ouest du pays, où les deux camps ont recruté des mercenaires libériens et ont principalement ciblé des civils. Human Rights Watch a documenté des crimes graves perpétrés par les deux camps, dont des exécutions sommaires, des massacres et des violences sexuelles ciblées. [31]
Face aux abus commis par les forces pro-Gbagbo pour leur soutien supposé à la rébellion, les immigrés et les Ivoiriens des groupes ethniques du nord et du centre ont fui massivement la moitié sud de l’ouest ivoirien. [32] Bon nombre d’entre eux avaient vécu et travaillé dans leurs plantations dans cette région pendant des décennies, voire des générations. [33] Le déplacement des populations migrantes a été particulièrement important le long de l’axe Guiglo-Toulepleu, où se trouvait une forte concentration de milices pro-Gbagbo. Beaucoup d’immigrés et d’Ivoiriens allochtones ont fui vers la moitié nord du pays, contrôlée par les Forces Nouvelles, tandis que près de 7 000 personnes ont rejoint un camp de personnes déplacées à Guiglo. [34] Quatre ans après le conflit, plus de 5 000 personnes déplacées, dont une majorité écrasante d’immigrés burkinabés et maliens, étaient toujours dans le camp de Guiglo, [35] dans l’impossibilité de retourner dans leurs foyers et sur leurs terres en raison des menaces venant des forces pro-Gbagbo et de certains individus de la population autochtone de la région. [36]
Lors du déplacement forcé d’immigrés et d’Ivoiriens du Nord, certains Guérés – principale population autochtone de la région – ont repris les terres qu’ils avaient précédemment vendues ou cédées à ceux qui ont fui. [37] Les allogènes et les allochtones ont commencé à retourner dans leurs villages du département [38] de Guiglo en 2005. [39] Dans le département de Bloléquin, la plupart des allogènes et des allochtones n’ont pas pu entamer leur retour avant 2007 ou 2008. [40] Des Burkinabés de plusieurs villages dans l’ouest de la Côte d’Ivoire ont raconté à Human Rights Watch qu’après des cérémonies de réconciliation impliquant les populations autochtones et les populations allogènes et allochtones, ils ont pu récupérer sans difficulté toute terre que les Guérés s’étaient appropriée. Mais dans d’autres villages, certains Guérés, soutenus par le gouvernement Gbagbo, ont imposé des conditions démesurées avant d’autoriser le retour des allogènes et des allochtones déplacés ; ces conditions variaient selon les villages, et même selon les « tuteurs ». Dans certains villages, des Guérés ont exigé que les immigrés et les Ivoiriens allochtones rendent une partie des parcelles précédemment vendues ou cédées afin de pouvoir revenir dans le village. D’autres Guérés ont demandé de l’argent aux allogènes et aux allochtones déplacés avant de les autoriser à revenir dans le village ou à récupérer leurs terres. Certains Guérés ont même revendu des parcelles appartenant à des personnes qui étaient déplacées. [41]
Dans le département de Bloléquin, où l’hostilité anti-immigré semblait être particulièrement véhémente, le gouvernement ivoirien, les organisations humanitaires et les communautés rivales sont parvenus à un accord lors d’un atelier en février 2008, visant à permettre aux personnes toujours déplacées de revenir sur leurs terres. [42] Selon cet accord, connu comme l’Accord de Bloléquin, les leaders allogènes et allochtones ont accepté la renégociation par leurs communautés des accords de location avec les propriétaires autochtones, indépendamment des conditions des accords individuels précédents. [43] Un chef burkinabé à Bloléquin a raconté à Human Rights Watch : « Les gens n’avaient rien [après avoir été déplacés pendant quatre ans], donc ils étaient obligés d’accepter toute condition pour regagner leur terre...Les autochtones ont profité de [notre situation]. » [44] En dehors de la zone concernée par l’Accord de Bloléquin, un chef de la communauté malienne à Duékoué a expliqué de manière similaire : « Entre 2002 et 2010, nous ne pouvions rien dire.Nous devions payer ce qu’ils nous demandaient. » [45]
Jusqu’à la fin de l’élection présidentielle de novembre 2010, les populations immigrées de l’ouest de la Côte d’Ivoire ont continué à subir des abus réguliers de la part des forces de sécurité et des milices pro-Gbagbo. [46] Selon un leader burkinabé à Bloléquin, le comportement de la population autochtone majoritairement pro-Gbagbo après le conflit armé de 2002-2003 a contribué à l’ampleur de la crise postélectorale dans l’ouest de la Côte d’Ivoire :
La réconciliation [a été] mal faite après la première guerre. Cela n’a pas été facile pour les Burkinabés [et les autres populations immigrées] de revenir dans leurs maisons et sur leurs terres... Si cela avait été mieux fait, si la réconciliation avait été sincère, la crise postélectorale n’aurait pas frappé aussi fort ici. [47]
Crise postélectorale
Après cinq ans de report de l’élection présidentielle, les Ivoiriens se sont rendus aux urnes le 28 novembre 2010 pour le second tour opposant le président sortant Laurent Gbagbo à l’ancien Premier ministre Alassane Ouattara. Après que la commission électorale indépendante a annoncé la victoire d’Alassane Ouattara avec 54,1 pour cent des voix, résultat certifié par l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) et reconnu par les organismes régionaux et les pays du monde entier, Laurent Gbagbo a refusé de quitter ses fonctions. [48] Six mois de violence s’en sont suivis, au cours desquels au moins 3 000 civils ont été tués et plus de 150 femmes violées, souvent lors d’attaques perpétrées selon des critères politiques, ethniques et religieux. [49]
À la fin du conflit en mai 2011, les forces armées des deux camps de la division politico-militaire avaient commis des crimes de guerre et de probables crimes contre l’humanité, comme cela a été documenté par une commission nationale d’enquête créée par le président Ouattara, par une commission d’enquête internationale sous mandat de l’ONU et par des organisations de défense des droits humains. [50] Les crimes les plus graves ont eu lieu dans deux régions : à Abidjan, où s’est centrée la lutte pour le pouvoir politique et économique, et dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, en proie à des tensions communautaires de longue date et où les forces pro-Ouattara ont lancé leur offensive militaire en mars 2011, pour prendre le contrôle du pays. [51]
La Division des droits de l’homme de l’ONUCI a rapporté en mai 2011 qu’elle avait documenté 1 012 meurtres liés à la crise dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, dont au moins 505 morts dans la seule ville de Duékoué. [52] Parmi les victimes identifiables, l’ONUCI a dénombré au moins 341 Guérés, la population autochtone soutenant dans l’ensemble Gbagbo, et dans le camp majoritairement pro-Ouattara, 159 Burkinabés, 100 Malinkés, 68 Maliens, 30 Baoulés, 6 Guinéens et 5 Béninois, entre autres. [53] Plusieurs des pires atrocités perpétrées par les forces des deux camps ont eu lieu dans l’ouest du pays, notamment le massacre le 25 mars 2011 par des miliciens et des mercenaires pro-Gbagbo d’au moins 70 Ivoiriens du Nord et immigrés, dont des hommes, des femmes et des enfants qui avaient trouvé refuge dans la préfecture de Bloléquin, et le massacre le 29 mars 2011 de plusieurs centaines de personnes, des Guérés pour l’essentiel, par les forces pro-Ouattara à Duékoué. [54]
Confrontées à d’intenses combats et de graves atteintes aux droits humains de la part des forces armées des deux camps, environ 200 000 personnes ont fui vers le Liberia pendant la crise, [55] principalement depuis l’ouest de la Côte d’Ivoire. La majorité de ces réfugiés étaient soit partisans de Gbagbo, soit issus de groupes ethniques qui ont largement voté pour Gbagbo lors de l’élection de 2010. [56] Des centaines de milliers d’autres personnes ont été déplacées à l’intérieur de la Côte d’Ivoire ; le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a signalé en juin 2011 que la plus grande concentration de personnes déplacées internes (PDI) se trouvait dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. [57]
Le présent rapport se concentre sur ce qu’il est advenu des terres des personnes de l’ouest de la Côte d’Ivoire qui ont été déplacées pendant la crise postélectorale. Beaucoup d’entre elles sont restées déplacées pendant des mois après la fin du conflit en mai 2011, avec au moins 58 000 réfugiés enregistrés au Liberia au 2 août 2013. [58] Lors des entretiens avec Human Rights Watch, elles ont fait part de leurs inquiétudes pour leur sécurité et leurs moyens de subsistance si elles devaient rentrer en Côte d’Ivoire. [59] Ces craintes ont été amplifiées par des abus ciblés sporadiques à l’encontre des populations majoritairement pro-Gbagbo, même après le conflit, principalement commis par les militaires du pays, les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), et des combattants alliés. [60] Dans un cas particulièrement extrême, des militaires des FRCI et des forces alliées ont mis le feu au camp de PDI de Nahibly en juillet 2012, qui abritait environ 4 500 personnes toujours déplacées après la crise. [61] La Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) a rapporté avoir vérifié au moins six exécutions sommaires par des militaires des FRCI et la « disparition de dizaines de personnes déplacées ». [62] La FIDH a indiqué qu’il existe peut-être jusqu’à 13 fosses communes liées à l’attaque de Nahibly, dont un puits dans lequel six corps ont été retrouvés en octobre 2012. [63]
Réforme des lois sur le domaine foncier rural et sur la nationalité en 2013
En mai 2013, le président Ouattara s’est engagé à réévaluer et renforcer la loi de 1998 relative au domaine foncier rural, faisant à juste titre un lien entre les questions concernant le foncier et la nationalité et le glissement de la Côte d’Ivoire vers les violences politico-militaires. [64] Lors d’une session législative spéciale le 23 août, l’Assemblée nationale a voté des lois sur ces deux aspects. Pour le domaine foncier rural, l’Assemblée nationale a prolongé de 10 ans supplémentaires la période pendant laquelle les personnes peuvent convertir leurs revendications foncières liées à la coutume en propriété foncière privée garantie par l’État. [65] Sur la question de la nationalité, la nouvelle loi ouvre à nouveau [66] la citoyenneté ivoirienne aux « personnes ayant leur résidence habituelle sans interruption en Côte d’Ivoire antérieurement au 07 août 1960 ainsi que leurs enfants nés en Côte d’Ivoire » et aux personnes nées de ressortissants étrangers en Côte d’Ivoire entre décembre 1961 et janvier 1973, ainsi qu’à leurs descendants. [67] La loi autorise aussi ces personnes à déposer leur demande de citoyenneté ivoirienne par le biais d’une déclaration, plutôt que par la procédure normale de naturalisation. [68]
L’opposition politique et au moins quelques groupes de la société civile ont exprimé leur frustration quant au manque de concertation avec des parties prenantes concernées avant que ces lois ne soient débattues et votées par l’Assemblée nationale. [69] D’après sa réponse au courrier de Human Rights Watch, le gouvernement ivoirien n’a actuellement pas de projets de réformes supplémentaires de la loi de 1998 relative au domaine foncier rural. [70] Une question potentiellement controversée sera de savoir dans quelle mesure la citoyenneté conférée en vertu de la nouvelle loi sur la nationalité aura un impact sur les acquisitions de terres antérieures, puisque seuls les ressortissants ivoiriens peuvent être propriétaires de terres conformément à la loi de 1998. Cette question n’entre pas dans le cadre du présent rapport.
Par le biais de ce rapport, Human Rights Watch cherche à rendre compte de la situation largement répandue de conflits fonciers dans l’ouest du pays et à proposer des recommandations pour des solutions durables à ces conflits, basées sur une égale protection des droits fonciers et de propriété. L’ouest de la Côte d’Ivoire a subi certaines des pires atrocités perpétrées dans le pays au cours de la dernière décennie et pourrait être le théâtre de nouvelles atrocités si les questions foncières ne sont pas résolues. L’apaisement des tensions dans l’Ouest exigera un travail considérable au niveau local pour traiter les plaintes liées aux appropriations illégales de terres qui ont eu lieu alors que des personnes étaient déplacées du fait de la crise postélectorale.
II. Dépossession de terres suite au conflit postélectoral
Après la crise, la région a connu un désordre total et l’anarchie en matière de terres.
—Chef de communauté burkinabé dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, juin 2013 [71]
L’ouest de la Côte d’Ivoire est affecté par des milliers de plaintes déposées par la population autochtone, principalement des Guérés, contenant des allégations de dépossession de terres liées au déplacement provoqué par le conflit postélectoral de 2010-2011. Un sous-préfet a indiqué à Human Rights Watch que depuis la crise, il avait reçu à lui seul plus de 800 plaintes concernant des terres situées dans la région administrative sous son autorité. [72] Un autre sous-préfet a expliqué qu’il traite entre quatre et huit affaires par jour, quatre jours par semaine. [73] Dans la zone étudiée par Human Rights Watch, il y a sept sous-préfectures différentes qui gèrent au moins des dizaines et souvent des centaines de ces affaires. [74] En outre, les affaires qui parviennent au sous-préfet sont généralement celles que les chefs de village n’ont pas été en mesure de trancher ou qu’ils ont tenté de résoudre mais dont la décision a été rejetée par l’une des parties. Le chef d’un village situé entre Guiglo et Bloléquin a raconté à Human Rights Watch qu’il se retrouvait avec plus de 40 litiges non résolus. [75] Un autre chef de village, interrogé sur le nombre d’affaires qu’il devait gérer, a saisi son cahier et a montré page après page de plaintes enregistrées. « Nous sommes débordés », a-t-il expliqué. [76] Alors que la dépossession des terres liée à la crise postélectorale est bien présente dans les régions du Guémon et du Cavally, les zones touchées par les problèmes les plus graves semblent se trouver dans le département de Bloléquin. [77]
Selon l’histoire la plus fréquemment relatée par les partisans de Gbagbo au Liberia et à Abidjan, des Burkinabés armés, aidés par les forces de sécurité ivoiriennes, se sont approprié par la force de terres appartenant aux Guérés et à d’autres groupes ethniques majoritairement pro-Gbagbo. [78] Dans les lieux ayant fait l’objet de son enquête, Human Rights Watch a recueilli peu de preuves de tels actes à une échelle généralisée. Cependant, les formes moins hostiles de dépossession des terres qui ont eu lieu à grande échelle dans l’ouest du pays soulèvent des problèmes similaires pour les propriétaires d’origine. Dans la vaste majorité des cas documentés par Human Rights Watch, la dépossession de terres liée à la crise provient de ventes de terres illicites : lorsque les Guérés ont été déplacés par le conflit, d’autres Guérés – de villages voisins, voire de la même famille – sont venus discrètement et ont vendu des terres qui ne leur appartenaient pas, le plus souvent à des migrants burkinabés récemment arrivés. Les vendeurs, qui se sont souvent livrés au vol et à la fraude, s’en sortent en toute impunité . Si certains acquéreurs burkinabés ont acheté de bonne foi, d’autres ont été complices du crime en achetant clandestinement des parcelles de terre énormes à de jeunes Guérés, dont le pouvoir légal de vendre ces terres serait remis en question par toute personne raisonnable. Les individus coupables en tirent profit, sans crainte de sanctions, tandis que le véritable propriétaire subit un grave préjudice.
Dans une minorité des cas documentés par Human Rights Watch, la dépossession des terres s’est réalisée par la force, plutôt que par le biais d’une vente illégale. Certains allogènes et allochtones ont profité de l’absence des propriétaires autochtones pour accroître leurs parcelles de terre, par exemple quand une personne qui avait acheté deux hectares, auxquelles elle se limitait avant la crise, s’est approprié quelques hectares supplémentaires, qui ne lui appartenaient pas, pendant que le propriétaire était déplacé. Enfin, dans un très petit nombre de cas, des groupes d’allogènes se sont emparés de force de l’ensemble des terres d’un Guéré. Ces cas semblent être restreints à des zones forestières situées près de forêts classées appartenant à l’État, en particulier près de la forêt classée de Goin-Débé. Pensant peut-être qu’ils s’installaient dans la forêt classée, ces groupes ont occupé des zones dans le voisinage immédiat, qui correspondaient en fait à des terres privées appartenant à des personnes déplacées par le conflit.
Dans tous les cas de dépossession de terres liés au déplacement d’habitants, le gouvernement ivoirien ne s’est pas acquitté de ses obligations en vertu de la Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique (Convention de Kampala), qui exige que les États « [prennent] les mesures nécessaires pour protéger les biens individuels, collectifs et culturels abandonnés par les personnes déplacées », [79] et en vertu des Principes des Nations Unies sur la restitution des logements et des biens dans le cas des réfugiés et des personnes déplacées, mieux connus sous le nom de Principes Pinheiro. [80] Les Principes Pinheiro, qui découlent des droits à la propriété, à un foyer et au logement, ainsi que du droit reconnu à une réparation en cas de violations des droits humains, [81] stipulent que « [t]ous les réfugiés et personnes déplacées ont le droit de se voir restituer tout logement, terre et/ou bien dont ils ont été privés arbitrairement ou illégalement ». [82]
La dépossession de terres liée à la crise entraîne des conséquences désastreuses sur les moyens de subsistance et sur la sécurité alimentaire, car les personnes ne peuvent plus accéder à la terre où elles faisaient pousser des cultures vivrières et des cultures commerciales. Étant donné les tensions de longue date en rapport avec la terre dans l’ouest de la Côte d’Ivoire et l’importance de la terre pour les moyens de subsistance, les conflits fonciers engendrés par la crise constituent une source potentielle de violences intercommunautaires si le gouvernement ne prend pas les mesures nécessaires pour garantir la restitution des terres. Plusieurs attaques transfrontalières depuis le Liberia en mars 2013 semblent être directement liées aux conflits fonciers.
En réponse aux constats de Human Rights Watch, à savoir que les victimes actuelles de dépossession de terres dans l’ouest de la Côte d’Ivoire sont essentiellement issues du groupe ethnique guéré, majoritairement partisan de Gbagbo, le gouvernement ivoirien a indiqué que tout aspect ethnique dans la dépossession des terres n’était pas le résultat de la politique du gouvernement ou de « l’indifférence des Autorités actuelles ». [83] Il a déclaré également :
Le Gouvernement tient à préciser qu’en tout état de cause, les conflits fonciers à l’Ouest, ne font l’objet d’aucune politique de colonisation des terres au détriment de l’ethnie autochtone. De même, certaines occupations illicites ou illégales de certaines terres par d’autres communautés ethniques, ne sauraient être vues sous l’angle d’une ‘punition collective’. [84]
Human Rights Watch n’a pas trouvé de preuves suggérant que la dépossession des terres dans l’ouest de la Côte d’Ivoire était le résultat d’une politique organisée par l’État ou que les Guérés faisaient l’objet de discriminations de la part des autorités locales lors de la résolution des conflits fonciers. Comme abordé dans le chapitre III, la violation par le gouvernement ivoirien de ses obligations en matière de droits humains provient principalement de son manque de soutien quant à la restitution des terres aux victimes, et non de la supervision de la confiscation des terres guérés.
Cependant, le gouvernement ivoirien ferait preuve de négligence s’il refusait d’admettre ou s’il ignorait la nature ethnique et politique de la dépossession des terres. La réalité est que les victimes de dépossession de terres dans la région occidentale de la Côte d’Ivoire étudiée par Human Rights Watch étaient, dans l’immense majorité, issues d’un groupe ethnique qui a majoritairement soutenu Gbagbo. En garantissant une solution prompte et juste à leurs demandes de restitution, le gouvernement ivoirien pourrait démontrer qu’il représente et protège les droits de tous les résidents de Côte d’Ivoire.
Transactions foncières dans l’ouest de la Côte d’Ivoire Presque toutes les transactions foncières dans la Côte d’Ivoire rurale sont réalisées hors du cadre établi par la loi ivoirienne. Comme abordé dans le chapitre Contexte, après une période de transition permettant aux personnes d’officialiser leurs droits coutumiers, la loi de 1998 relative au domaine foncier rural reconnaîtra uniquement les ventes de terres effectuées via le transfert d’un titre foncier inscrit au cadastre de l’État. Les transactions foncières rurales avec des non-Ivoiriens, y compris les baux emphytéotiques ou les accords de location, devraient aussi se faire par l’intermédiaire de documents formels écrits enregistrés au cadastre. Toutefois ces procédures ne sont quasiment jamais suivies, et dans la pratique, la coutume reste la base des transactions foncières. En effet, très peu de personnes dans l’ouest de la Côte d’Ivoire n’ont entamé, et encore moins mené à terme, la procédure pour officialiser leur propriété foncière.[85] Les personnes avec lesquelles Human Rights Watch s’est entretenu ont fait part de plusieurs barrières qui les empêchaient de régulariser leurs droits fonciers, notamment les dépenses associées à la procédure d’obtention d’un certificat foncier, le manque de diffusion de la loi de 1998 et le fait que la propriété foncière individuelle privée va à l’encontre de siècles de pratique coutumière.[86] Dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, bon nombre de transactions foncières se font oralement. D’autres transactions sont écrites et signées sur des « petits papiers », c’est-à-dire tout support disponible, depuis les cahiers jusqu’aux sacs de riz. Les autorités coutumières, dont le chef du village et le chef de terre, agissent souvent en qualité de témoins pour les accords verbaux et écrits informels. La loi ivoirienne ne reconnaît aux « petits papiers » aucune valeur juridique,[87] même si dans la résolution des litiges, ils peuvent apporter une preuve fondamentale quant à la superficie et la nature de la transaction, par exemple une vente par rapport à un accord de location. En raison du fait que des forces armées ont détruit et brûlé des maisons dans l’ouest de la Côte d’Ivoire à grande échelle pendant les conflits, beaucoup de « petits papiers » portant sur des transactions antérieures ont disparu. Dans de tels cas, les personnes qui doivent statuer sur les litiges s’appuient, par exemple, sur les dires des témoins de l’accord original, sur une évaluation de la manière dont la terre a été utilisée depuis l’accord et sur les connaissances des experts du village, dont le chef de terre. Les transactions foncières frauduleuses qui ont eu lieu lorsque le propriétaire des terres était déplacé par la crise ressemblent beaucoup à des transactions foncières régulières dans le sens où elles sont réalisées oralement ou par des accords écrits informels. Une différence récurrente, cependant, est l’implication ou non des autorités coutumières. La plupart des transactions foncières s’appuyant sur la coutume se font devant témoins, notamment les autorités coutumières. Toutefois, les transactions foncières frauduleuses, y compris celles qui ont entaché l’ouest de la Côte d’Ivoire suite à la crise postélectorale, se sont le plus souvent déroulées de manière clandestine, sans chefs de famille, de communauté ou coutumier pour faire observer que le vendeur n’avait aucun droit sur les terres qu’il proposait à la vente. |
Ventes illicites par d’autres Guérés
Dans quasiment tous les villages sur les 27 visités entre Guiglo et Toulepleu, Human Rights Watch a documenté des cas de dépossession de terres passant par des ventes de terres illicites alors que le propriétaire des terres était déplacé du fait de la crise postélectorale. En effet, 72 des 117 cas de dépossession de terres présumée documentés par Human Rights Watch étaient liés à des ventes de terres illicites, dans lesquelles des membres de la population guéré autochtone ont profité du déplacement d’autres Guérés pour vendre illicitement leurs terres à des allogènes ou des allochtones, généralement des Burkinabés. Les ventes illicites concernent aussi bien la forêt vierge que les terres déjà cultivées, auquel cas les acheteurs arrachent les anciennes cultures du propriétaire ou se les approprient.
La vaste majorité des chefs de communauté guérés dans l’ouest de la Côte d’Ivoire interrogés par Human Rights Watch ont affirmé que les ventes illégales par leurs compatriotes constituaient la principale source de l’occupation illégale liée à la crise. Bon nombre de ces ventes portent sur des terres avec lesquelles le vendeur n’a aucun lien connu. Les vendeurs qui se sont présentés comme propriétaire légitime en sachant parfaitement que cela n’est pas vrai, commettent des infractions, dont la fraude et le vol. Le chef d’un village situé entre Bloléquin et Zomplou a expliqué :
Il y a toujours eu des conflits liés à la terre, mais après la crise, c’est un nouveau monde ici... Je n’ai eu aucun cas d’occupation par la force [dans mon village]. Les conflits découlent de ventes illicites, souvent par des jeunes. Les acheteurs sont de nouveaux [migrants] Burkinabés, pas ceux qui vivaient avec nous avant la crise... Quelqu’un revient du Liberia et voit des Burkinabés dans ses forêts et ils lui disent qu’un tel les a installés. Ce jeune vendeur n’avait aucun droit sur cette forêt, mais se déplace maintenant sur une jolie moto. [88]
Un chef de village sur l’axe Bloléquin-Tinhou a de façon similaire raconté à Human Rights Watch :
Dans la plupart des cas, ce n’est pas une occupation par la force. C’est une vente illicite. [D’autres Guérés] ont vendu nos forêts pendant que les personnes étaient déplacées. Les allogènes n’ont pas simplement occupé la forêt d’eux-mêmes… Tu rentres [après avoir été déplacé], tu vas dans ta forêt et y trouves un allogène, et il vous dit que Monsieur X lui a vendu la terre, alors que cette personne n’avait aucun droit sur cette terre ! [89]
Des chefs de communautés allogènes et allochtones ont décrit un problème similaire. Un chef burkinabé à Guiglo a expliqué que « les autochtones qui sont restés dans la région ou qui sont revenus peu de temps après avoir été déplacés ont profité considérablement de l’absence de leurs [compatriotes] pour vendre les terres à des allochtones et des allogènes.Le véritable propriétaire revient et constate que sa plantation est occupée...Nous avons été inondés par ces problèmes. » [90] Un chef d’une communauté non autochtone, qui fait partie du comité foncier sous-préfectoral de Duékoué (voir le chapitre III), a également indiqué que la plupart des plaintes liées à la crise reçues par le comité « proviennent de Guérés qui sont revenus et ont constaté que leur plantation a été vendue.Nous ne voyons pas de cas où un allogène ou un allochtone est simplement venu occuper une forêt.C’est presque toujours basé sur une vente, une vente illicite, par un autre Guéré. » [91]
La plupart des cas documentés par Human Rights Watch ont impliqué des vendeurs en situation de fraude sans lien de parenté avec le véritable propriétaire, venant souvent d’un village voisin. Beaucoup de propriétaires guérés dépossédés ont exprimé leur colère principalement à l’encontre du vendeur illégitime, même si la transaction les oppose aussi à l’acheteur, généralement un immigré. Un Guéré à Pohan-Badouebly a décrit sa situation, qui était représentative de celle de beaucoup d’autres :
Lorsque je suis revenu du Liberia [à la fin de l’année 2011], un jeune Guéré de Blédi [le village voisin] avait vendu plus de 10 hectares de forêt appartenant à ma famille. Tout a été pris – l’hectare et demi où nous avions planté le cacao et la terre qui était auparavant de la forêt vierge... Il y a au moins 13 Burkinabés dans ma forêt. Lorsque je les ai trouvés là, ils m’ont dit qu’ils l’avaient achetée à [nom omis] pour plus de 100 000 francs CFA (200 USD) par hectare... Ils ont nettoyé la plupart de ma forêt et ont planté du cacao.
Le jeune de Blédi n’a jamais dit que c’était sa forêt avant la guerre [de 2010-2011]. Mon grand-père, [qui est mort avant ma naissance], a travaillé dans cette forêt. Cette terre est l’endroit où je suis venu au monde... Nous ne l’avons jamais vendue, cette terre est la richesse de ma famille. Maintenant elle est détruite. Même dans le coin où nous cultivions pour manger, ils ont tout arraché pour planter du cacao... Je ne peux pas accéder à ma forêt, je ne peux pas nourrir mes enfants. Nous cultivions seulement un peu de riz et de manioc près du village pour survivre. Cela me fait vraiment mal.
J’ai porté plainte auprès des autorités, mais le jeune de Blédi ne vient jamais lorsque le chef du canton [un chef traditionnel] le convoque... Je n’ai même pas les 1 000 francs CFA (2 USD) pour aller à Bloléquin pour porter l’affaire devant le sous-préfet... Je n’ai aucun problème avec les Burkinabés ici. Ils sont honnêtes avec moi, ils m’ont dit qui leur avait vendu ma forêt. Mon problème, c’est le Guéré de Blédi. Nous avons tellement de cas comme celui-ci. Les [jeunes] vendent des forêts qui ne sont pas à eux puis ils vont s’acheter une moto. [92]
Un homme de 68 ans de Douedy-Guézon a, de manière semblable, décrit comment des vendeurs guérés distincts d’un village voisin ont frauduleusement vendu ses terres pendant qu’il était déplacé :
Depuis 1969, je travaille dans la forêt de ma famille. À ma grande surprise, après la crise, ma parcelle entière a été vendue, jusqu’à la porte de ma maison dans le campement... Je suis revenu d’exil en janvier 2012. Lorsque je suis revenu, j’ai vu que ma forêt avait été détruite. J’ai trouvé des Burkinabés sur ces terres, trois acheteurs différents qui ont amené d’autres allogènes pour travailler avec eux. Je n’avais jamais vu ces Burkinabés avant, ils n’étaient pas de ceux qui vivaient avec nous avant la crise... Lorsque je leur ai demandé qui leur avait donné ces terres, ils m’ont répondu [noms omis], des Guérés de Bédi-Goazon. Je dois être clair, les Burkinabés ne se sont pas installés d’eux-mêmes sur mes terres...
Les [vendeurs] guérés ne sont même pas mes voisins. Ils viennent de la même zone, mais nous n’avons pas de frontières communes. Ils n’avaient jamais mis un pied dans ma forêt auparavant, ni fait aucune réclamation à son sujet. Depuis 1969, j’ai planté des hévéas, du café et du cacao. J’avais un hectare d’hévéas que je prévoyais d’étendre [sur ma forêt vierge] ... et cinq hectares de cacao, mais ils ont tout pris. Certains commençaient déjà à produire. Comment pouvez-vous vendre les terres d’une personne qui produisent déjà ?
Toute ma forêt a été prise, je ne sais pas comment je gagnerai de l’argent cette année. Je ne sais même pas où je peux planter du riz pour nourrir ma famille... J’ai déposé une plainte contre un vendeur auprès des chefs de village [de Douedy-Guézon et de Bédi-Goazon] et contre l’autre vendeur auprès du sous-préfet, mais celui-ci m’a renvoyé vers les chefs de village. Ils ont essayé deux fois de convoquer un des vendeurs pour une réunion, mais il ne s’est pas présenté. Cela dure depuis janvier 2012 et je n’ai toujours pas accès à ma forêt. [93]
Dans certains cas examinés par Human Rights Watch, c’est un membre de la famille qui a illégalement vendu les terres. Par exemple, un homme de 58 ans à Tinhou a raconté que son neveu, âgé d’une trentaine d’années, a vendu sa terre pendant qu’il était réfugié au Liberia : « Le jeune a reconnu ce qu’il a fait, qu’il n’avait aucun droit sur la terre.Nous essayons de résoudre cela au sein de la famille pour l’instant, sans impliquer les autorités.Il a vendu deux hectares à une famille burkinabé.Je leur ai dit de partir, mais ils m’ont répondu qu’ils avaient donné de l’argent pour la parcelle.Ils sont en train de planter le cacao. » [94]
Dans tout l’ouest de la Côte d’Ivoire, les chefs coutumiers et les victimes de dépossession de terres ont indiqué que bon nombre des vendeurs de terres illégitimes étaient de jeunes hommes « qui bafouent la hiérarchie familiale ou cherchent simplement à gagner de l’argent rapidement sur la forêt du voisin sur laquelle ils savent qu’ils n’ont aucun droit. » [95] Un Guéré interrogé avait fui Koadé-Guézon en mars 2011 et à son retour en mars 2012 a découvert que son cousin âgé de 20 ans avait vendu 12 hectares de ses terres. Le vendeur illégitime a rapidement quitté la région et n’était plus joignable à son ancien numéro de téléphone. « Il a vendu ma forêt puis il est parti », a raconté la victime à Human Rights Watch. « C’était de la forêt vierge avant, et maintenant les [acheteurs] burkinabés ont nettoyé la forêt pour commencer à planter.J’ai récemment porté plainte, mais elle n’a pas encore été entendue. » [96]
Human Rights Watch a documenté des cas de ventes de terres illicites réalisées par certains individus dont certains n’avaient que 17 ans. Les terres guérés sont souvent considérées comme étant des possessions collectives, appartenant aux familles plutôt qu’à des individus, ce qui signifie que peu de jeunes de cet âge ont le droit de vendre des terres sans l’accord du chef de famille. [97] Dans de telles situations, beaucoup de chefs de communauté et de victimes de dépossession de terres ont estimé que l’acheteur comme le vendeur illégitime étaient responsables. Un chef de village impliqué dans la résolution de litiges fonciers dans un village situé entre Guiglo et Bloléquin a expliqué :
Nous devons faire cesser les ventes et les achats illicites, les ventes et les achats clandestins. C’est la source de tous ces problèmes... Les vendeurs illicites ont souvent moins de 25 ans, c’est pourquoi je tiens également les acheteurs pour responsables. Un garçon de 18 ou 19 ans te dit qu’il veut te vendre 5, 10, voire 20 hectares de forêt et tu ne penses pas à vérifier auprès du chef de famille ou des autorités du village, ou même avec le chef de votre communauté [allogène ou allochtone] ? [L’acheteur] sait que ce qu’il fait [n’est pas correct]. [98]
Lors de l’examen et de la résolution des affaires de dépossession de terres dans l’ouest de la Côte d’Ivoire en lien avec la crise postélectorale, il convient donc de faire la distinction entre les vendeurs guérés de bonne foi, qui ont cru à juste titre qu’ils avaient un droit sur les terres, et les vendeurs guérés de mauvaise foi, qui savaient qu’ils se livraient à du vol et de la fraude. De même, il convient de faire la distinction entre les acheteurs allogènes ou allochtones de bonne foi, qui ont fait appel aux autorités communautaires pour réaliser l’acquisition, et les acheteurs allogènes ou allochtones de mauvaise foi, qui ont profité de l’anarchie régnant dans la région pour acheter des terres à un vendeur dont les droits de propriété étaient clairement suspects.
Les Guérés dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, notamment autour de Bloléquin, ont estimé que beaucoup de problèmes ont surgi avec le flux de nouveaux migrants burkinabés après la crise. Un chef burkinabé à Bloléquin a admis qu’ils avaient des difficultés à contrôler certains des nouveaux migrants :
Certains de nos frères qui arrivent ne se présentent pas d’eux-mêmes au chef du village ni même au chef burkinabé dans le village. Ils vont dans la forêt et achètent des terres clandestinement. J’admets que c’est un problème. Cela salit un peu l’image [de tous les Burkinabés de la région]. Nous avons fait la sensibilisation [au problème], le sous-préfet a fait de même, mais personne n’écoute : des Guérés vendent toujours clandestinement et des Burkinabés achètent toujours clandestinement. [99]
Un chef burkinabé à Guiglo a tenu des propos similaires :
Les nouveaux migrants posent des problèmes. Ils arrivent [généralement d’autres régions de Côte d’Ivoire, notamment des régions de Soubré et San Pedro] avec beaucoup d’argent dans les poches. Ils achètent de grandes forêts, et ensuite ils ont vite des problèmes concernant l’identité du propriétaire légitime et les limites exactes. [100]
Le problème des ventes de terres illégales est relativement moins conséquent dans les villages autour de Duékoué, une ancienne région de culture du cacao où il reste peu de forêt vierge. C’est au fur et à mesure que l’on avance vers l’ouest, en partant de Guiglo, que les problèmes s’avèrent de plus en plus sérieux et sensibles – notamment après Bloléquin, avant d’arriver dans le département de Toulepleu . Le sous-préfet de Doké a déclaré à Human Rights Watch :
Avant la crise, il n’y avait quasiment que de la forêt vierge ici. Les personnes qui vivent à l’ouest de Bloléquin n’avaient pas cédé leurs forêts [comme les Guérés ailleurs]. Depuis la crise, des allogènes [surtout ? des Burkinabés] qui n’habitaient jamais ici auparavant arrivent de Soubré, Bangolo et San Pedro. Ils achètent d’importantes superficies de forêt – parfois par le kilomètre [carré] [100 hectares], voire deux kilomètres [carrés]. [101]
Comme abordé dans le chapitre IV, le fait que le gouvernement ivoirien n’ait ni empêché la dépossession des terres alors que les personnes étaient déplacées, ni garanti aux victimes une réparation rapide et efficace, constitue une violation de leurs droits tels que stipulés dans la Convention de Kampala et les Principes Pinheiro. [102] Cette inaction les prive également de leur droit à la propriété prévu par l’article 14 de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. [103]
Refus de payer le loyer
Dans le passé, de nombreux Guérés dans l’ouest de la Côte d’Ivoire ont conclu des accords de location avec des allogènes ou des allochtones, une pratique communément appelée « travail partagé ». Certains Guérés interrogés par Human Rights Watch ont expliqué que, depuis la fin de la crise, les allogènes et les allochtones qui travaillaient pour eux ne respectaient plus l’ancien accord de location. Human Rights Watch a principalement documenté ces cas dans des villages autour de Duékoué, une région où la plupart des terres étaient déjà exploitées avant la crise.
Il existe deux principaux types d’accords de « travail partagé ». Dans les deux types, le « tuteur » guéré fournit une parcelle de terre à un migrant qui travaille la terre. Dans le premier type d’accord, le propriétaire foncier et le locataire divisent la récolte de toute la superficie cédée au locataire, et chaque partie se charge ensuite de la vente de sa part. Dans le second type d’accord, le propriétaire et le locataire partagent l’argent de la récolte vendue.
Un homme guéré de Diahouin, un village au nord de Duékoué, a décrit comment un Burkinabé qui travaillait sur ses terres depuis plus de 15 ans ne respectait plus leur accord :
J’ai fui en 2011 alors que les [FRCI] approchaient de Duékoué et je ne suis revenu qu’après [l’attaque du camp de PDI de Nahibly en juillet 2012]. Avant la crise, nous partagions les revenus du cacao. Je lui ai donné deux hectares pour qu’il puisse planter, et nous avons conclu un accord de « travail partagé ». Cela a fonctionné chaque année, jusqu’à la crise. Maintenant, il partage avec lui-même. Après la dernière récolte, il est parti vendre le cacao sans même m’appeler et lorsque je lui en ai parlé, il a dit qu’il n’y avait pas d’argent pour moi. Avant, si nous vendions 100 000 francs CFA (200 USD) de cacao, il prenait 50 000 francs CFA, je prenais 40 000 francs CFA et 10 000 francs CFA étaient utilisés pour traiter les champs. Maintenant, je ne reçois plus rien... Depuis la crise, ce sont eux les patrons. [104]
Human Rights Watch a documenté deux cas impliquant des femmes guérés qui ont déclaré qu’une fois qu’elles ont hérité des terres, le locataire a refusé de continuer à payer le loyer qu’il versait lorsque le père ou le mari de la femme, respectivement, était vivant. [105] L’un des cas remonte à la crise, pendant laquelle le mari de 52 ans de la femme est décédé :
Mon mari a installé [séparément] trois Baoulés [sur ces terres il y a des années] ; ils ont planté du cacao. [Le cacao] a produit pendant plusieurs années. Deux d’entre eux étaient de simples ouvriers, mais l’un d’eux avait un accord de location avec mon mari... Mon mari est mort en février 2011 et j’ai fui en mars lorsque la guerre est arrivée. J’étais [déplacée] dans la mission catholique [de Duékoué]. Depuis mon retour au village, le Baoulé ne partage pas. En 2012, je n’ai rien reçu. Pour l’instant en 2013, rien... J’ai essayé de lui convoquer au village pour résoudre la situation, mais il ne vient pas... Personne ne me répond. Pour moi en tant que femme, ce n’est pas facile d’aller le chercher dans la brousse. [106]
Les plaintes concernant la location sont parfois difficiles à évaluer. La plupart des Guérés qui se sont plaints du refus des allogènes ou des allochtones de continuer à honorer les accords de location après la crise ont précisé que l’accord avait été conclu oralement. D’autres ont dit qu’il y avait eu un accord écrit sur des papiers informels, mais que ceux-ci avaient été détruits en même temps que leurs maisons pendant la crise. Dans de tels cas, les autorités auraient probablement besoin d’établir que les deux parties avaient accepté et réalisé le partage chaque année, ou à chaque récolte de cacao, avant la crise, pour démontrer qu’un tel accord existait.
Dès lors qu’il existait un accord pour le versement d’un loyer annuel ou saisonnier, le non-respect de l’accord du fait du déplacement d’une personne représenterait, à l’instar d’une vente illicite, une violation du droit à la propriété conformément à la Charte africaine.
Extension illégale des parcelles acquises
Dans certains villages, Human Rights Watch a documenté des cas où des non-autochtones qui avaient précédemment acquis une partie des terres d’un propriétaire semblent avoir agrandi illégalement leur propriété pendant que le propriétaire était déplacé. L’évaluation de la crédibilité de ces plaintes est, ici encore, souvent compliquée par le fait que les parties ont généralement réalisé la transaction foncière originale oralement ou par le biais de documents informels qui n’ont jamais été enregistrés auprès des autorités d’État locales et ont ensuite été détruits pendant la crise lorsque les forces armées ont incendié des maisons.
Un homme guéré à Guinkin a raconté que, plusieurs décennies avant la crise, son oncle a cédé à une famille burkinabé un hectare de terre et un terrain pour y construire une maison. Lorsque le Guéré est rentré après avoir été déplacé par la crise, il a découvert que le Burkinabé avait planté des hévéas sur plusieurs hectares supplémentaires que ce dernier n’avait jamais reçus ou revendiqués. Le Guéré a expliqué à Human Rights Watch : « Je ne peux pas l’empêcher de travailler la terre que mon oncle lui a cédée, mais il ne peut pas prendre le reste de la forêt de ma famille.Je lui ai demandé pourquoi il avait planté ici, et il a dit qu’il pensait que tout le monde [de la famille] était mort pendant la crise. » [107] L’homme a ajouté qu’il tentait de résoudre le litige par l’intermédiaire des chefs coutumiers et avec l’aide d’une organisation humanitaire, mais qu’il déposerait une plainte devant le système judiciaire s’ils ne parvenaient pas à faire partir rapidement les Burkinabés des terres qu’ils se sont octroyées. [108]
Un Guéré de Petit-Guiglo a décrit un autre cas similaire :
Lorsque je suis rentré du Liberia vers la fin de 2012, j’ai vu que les Burkinabés qui travaillaient pour moi avaient pris [possession] de terres que je ne leur ai jamais vendues. Il y avait cinq Burkinabés dans ma forêt avant la crise, sur cinq hectares au total... Il y a maintenant sept Burkinabés, et ils travaillent sur 12 hectares au total. Avant, les sept autres hectares étaient de la forêt vierge, je ne les ai jamais vendus. Je suis allé les voir pour leur demander qui les leur avait donnés, pourquoi ils étaient sur ces terres. Et l’un d’eux a répondu : « [Nom omis], tu n’étais pas là. » Je ne suis pas d’accord pour qu’ils prennent ces terres. Elles sont pour mes enfants, pour les générations futures.
Il y a un mois environ, j’ai déposé une plainte auprès du sous-préfet, qui a dit qu’il viendrait à Petit-Guiglo, mais il n’est pas encore venu... Cela me fait vraiment mal, mais je ne veux pas de bagarre, c’est pourquoi je ne les ai pas chassés de la forêt. Pour l’instant, j’attends que le sous-préfet vienne. Si je les chasse de ma forêt, demain on dira que la population de Petit-Guiglo n’accepte pas les étrangers. Je n’ai aucun problème à ce qu’ils travaillent les cinq hectares [originaux], mais ils ne peuvent pas prendre le reste de ma forêt. [109]
Dans certains cas, l’extension illégale empiète sur les terres d’un propriétaire voisin, comme l’a raconté un habitant du village de Dedjéan :
Je suis revenu du Liberia en janvier 2013 et j’ai constaté que le peu de forêt que je possède est occupé par un Burkinabé. Je suis allé dans la brousse et je lui ai demandé : « Pourquoi es-tu dans ma plantation ? » J’ai vu qu’il s’est mis en colère, donc je suis rentré au village. J’avais peur.... Ce n’était pas un nouveau migrant. Depuis bien avant la crise [de 2002-2003], il travaillait pour un Guéré dont sa forêt touche la mienne. Lorsque j’étais au Liberia, le Burkinabé a entré dans ma forêt. Il ne l’avait jamais fait avant, il n’avait jamais fait valoir de droit sur cette forêt. Peut-être qu’il a pensé que je ne reviendrais pas. Mais il a nettoyé [une partie de] ma forêt et planté du cacao.
Le propriétaire de la parcelle voisine est revenu au village pendant les élections régionales [en avril 2013] et a dit au Burkinabé de quitter ma forêt, que cela ne faisait pas partie de ce que son tuteur lui avait cédé. Mais le Burkinabé a refusé. Il a dit qu’il devrait être dédommagé pour partir. Dédommagé pour quoi ? C’est un voleur ! [110]
Un homme guéré âgé de Petit-Guiglo a décrit un cas similaire :
Lorsque je suis revenu du Liberia en août 2011, un Malien avait déjà commencé à nettoyer trois hectares de ma forêt. Il est l’étranger d’un Guéré qui est propriétaire de la forêt voisine de la mienne. Il est entré dans ma forêt pendant mon absence et a planté le cacao. Son tuteur [le propriétaire de la parcelle adjacente, qui a cédé des terres au Malien] lui a dit devant moi que cette partie ne lui appartenait pas, qu’elle m’appartenait. La dernière fois, c’était en janvier 2013. Mais le Malien refuse de partir. Cela me fait vraiment mal. Je n’ai plus rien. Je n’ai même pas les moyens d’aller à Bloléquin pour porter plainte auprès du sous-préfet. [111]
Les chefs burkinabés de nombreux villages ont nié que des membres de leur communauté aient procédé à des extensions sur des terres sur lesquelles ils n’avaient aucun droit (voir l’encadré plus bas). [112] Cependant, un chef burkinabé à Bloléquin a indiqué qu’il « peut arriver » que des extensions illégales aient eu lieu dans certains cas, tout en mentionnant que certains Guérés mentaient probablement pour tenter de récupérer des terres qu’ils avaient vendues ou cédées, exploitant le fait que de nombreux papiers informels utilisés pour décrire les ventes de terres ont été brûlés pendant la crise. [113] Il a aussi précisé que la plupart des conflits fonciers liés à la crise dans la région découlaient de ventes illicites par d’autres Guérés. [114]
Dans les cas d’extensions illégales réalisées pendant que les personnes étaient déplacées à l’intérieur du pays ou réfugiées à l’étranger, le fait que les autorités n’ont pas cherché à résoudre la question de la dépossession viole les droits des propriétaires fonciers en vertu de la Charte africaine et comme stipulé dans la Convention de Kampala et les Principes Pinheiro. [115] Le droit international prévoit qu’un propriétaire foncier devrait avoir le droit de se voir restituer ses biens, y compris lorsque c’est possible, le droit spécifique de revenir sur ses terres. [116]
Loi du talion : réappropriations de terres volées après la première crise ivoirienne Comme abordé dans le chapitre Contexte, les forces pro-Gbagbo et certains Guérés ont déplacé par la force des immigrés et des Ivoiriens issus de groupes ethniques du nord et du centre pendant le conflit de 2002-2003. Pendant que ces personnes étaient déplacées, certains Guérés se sont emparés illégalement de terres qu’ils avaient cédées ou vendues à des migrants des années, voire des décennies auparavant. [117] De nombreux immigrés et Ivoiriens allochtones n’ont pas pu revenir sur leurs terres avant 2008 et certains Guérés ont imposé des conditions pour le retour qui empêchaient ces populations de récupérer la totalité de leur propriété. [118] Cette situation, image inversée des événements qui ont suivi la crise postélectorale, constituait une violation des droits des immigrés et des Ivoiriens allochtones en vertu de la Charte africaine et tel qu’énoncé dans la Convention de Kampala et les Principes Pinheiro. Lorsque des Guérés ont été forcés de fuir pendant la crise postélectorale, certains immigrés et Ivoiriens allochtones y ont vu une opportunité pour récupérer leurs plantations originales. Un chef burkinabé à Bloléquin a raconté à Human Rights Watch : « Ce n’est qu’après la crise postélectorale que [tous les Burkinabés] ont pu récupérer leurs plantations entières...Il n’y avait plus personne pour s’opposer à eux, donc ils ont pu récupérer les plantations qu’ils avaient perdues. »[119] Un travailleur humanitaire dans l’ouest de la Côte d’Ivoire qui intervient dans les conflits fonciers a déclaré dans le même sens : « Lorsqu’il y a eu un renversement au niveau de ceux qui avaient le pouvoir, les Burkinabés ont récupéré leurs anciennes parcelles. »[120] Toutefois, le travailleur humanitaire a indiqué que certains semblaient être allés plus loin, dépassant les limites de leurs terres d’avant 2002.[121] Les autorités coutumières, administratives et judiciaires qui s’occupent des plaintes concernant des extensions illégales devraient examiner et annuler toute appropriation illégale par des Guérés pendant que les immigrés et les Ivoiriens allochtones étaient déplacés suite au conflit de 2002-2003. Cependant, lorsque des allogènes et des allochtones ont actuellement dépassé ces limites originales ou, si comme dans certains cas décrits plus haut, ont même étendu leur propriété à des terres détenues par un autre Guéré, généralement un voisin, ces appropriations violent les droits en vertu des droits humains et le propriétaire légitime doit se voir accorder la restitution de son bien. Les appropriations de terres illégales suggérant un esprit de revanche démontrent surtout les défaillances des mécanismes existants pour déterminer les propriétaires légitimes, ainsi que le manque de confiance dans la capacité de la police et gendarmerie, du système administratif et du système judiciaire à mener des enquêtes et résoudre les différends. Au cours des 13 dernières années, des personnes dans l’ouest de la Côte d’Ivoire ont, à plusieurs reprises, eu recours à une auto-justice dans des conflits liés à la terre, au pouvoir et à la politique. Le cycle continuera à se répéter tant que le gouvernement ivoirien ne sera pas capable de restaurer la confiance dans l’État de droit et de mettre fin à l’impunité pour ceux qui se sont livrés frauduleusement à des ventes de terres illicites. |
Occupation par la force
Alors que la majorité des cas d’occupation illégale semblent découler de ventes frauduleuses ou de l’extension de parcelles existantes, Human Rights Watch a documenté quatre cas d’appropriation de terres dans des conditions plus hostiles. Les victimes dans chacun de ces cas ont raconté que les occupants ont fait référence à leur combat aux côtés des forces pro-Ouattara pendant la crise. Ces quatre cas se sont produits dans des villages bordant la forêt classée de Goin-Débé au sud de Bloléquin, qui a semblé jouer un rôle dans les circonstances et la nature de ces occupations.
Un habitant de Diboké qui avait fui au Liberia a exposé son problème :
Le 15 avril 2012, je suis rentré au village et j’ai constaté que les Burkinabés avaient tout pris : mon campement, la forêt de ma famille, tout. Ils étaient des dizaines, peut-être jusqu’à 100. Je leur ai demandé qui les avait envoyés, qui leur avait donné cette forêt, et ils ont répondu que c’était leur « récompense » pour avoir combattu pendant la crise... Ils ont dit que même le cacao que j’avais planté sur deux hectares [avant la crise], qui est en pleine production, était à eux maintenant. Et ils ont nettoyé des hectares et des hectares de forêt vierge appartenant à ma famille, où ils ont planté des hévéas et [des cacaoyers].
Ils m’ont donné le numéro de leur « patron », un Burkinabé de San Pedro. J’ai discuté avec lui par téléphone et il a dit qu’il me donnerait 6 millions de francs CFA (12 000 USD) pour toute ma forêt. J’ai refusé, c’est ma forêt. Il est ensuite venu en personne, il y a quatre mois environ, et m’a proposé la même chose. J’ai refusé encore. Il m’a dit qu’il croyait que ma forêt était de la forêt classée et que ses hommes s’y étaient installés en guise de « récompense » pour avoir combattu pendant la crise... Ce n’est pas de la forêt classée, c’est ma forêt... Ma terre est à la limite d’un autre campement, qui borde la forêt classée.
Les gars disent qu’ils vont continuer à travailler aussi longtemps que leur patron le leur demandera... J’ai déposé une plainte auprès du sous-préfet il y a un mois environ. Le sous-préfet m’a donné une convocation à donner aux Burkinabés, mais lorsque j’ai tenté de la leur donner, ils ont dit qu’ils n’iraient pas... Je suis obligé de survivre avec les [cultures] vivrières que j’ai pu planter près du village, alors que mon père m’a laissé une grande forêt... Ça me fait vraiment mal, je me demande souvent pourquoi je suis rentré en Côte d’Ivoire. On dit que la guerre est finie, mais je ne peux même pas revenir dans ma forêt. [122]
Chaque fois que l’homme est allé discuter avec les occupants, il s’est fait escorter par plusieurs membres de l’armée ivoirienne pour sa protection, pensant que les Burkinabés étaient armés. Il a payé aux militaires une petite somme d’argent pour l’accompagner et a payé l’essence pour leurs motos. [123] D’un côté, cela a montré l’amélioration des relations entre la communauté guéré et les militaires (voir l’encadré plus bas). Mais cela a aussi mis en évidence une profonde défiance qui se poursuit entre certains Guérés et certains Burkinabés de la région.
Human Rights Watch a documenté plusieurs cas semblables dans le village de Médibly, où les Guérés impliqués dans des litiges ont également affirmé que les Burkinabés avaient désigné leur occupation de terres illégales comme une « récompense » pour avoir combattu pendant la crise. Le mot « récompense » a été cité par chacun des Guérés impliqués dans ces quatre cas. Une victime de Médibly a raconté à Human Rights Watch que le sous-préfet de Bloléquin a essayé de trancher le différend, mais les Burkinabés sont restés sur les terres :
Lorsque nous avons quitté la brousse à la fin de la guerre, j’ai découvert que ma forêt avait été envahie par des Burkinabés... Quand je leur ai demandé pourquoi ils étaient là, ils ont dit que leur « patron » leur avait dit de s’installer là, que c’était leur récompense pour avoir fait la guerre. L’un d’eux s’est présenté comme un « chef de guerre ». ... J’ai dit que c’était ma forêt, et ils ont répondu qu’ils pensaient que c’était de la forêt classée. Mon campement est à six kilomètres du village, et la forêt classée [de Goin-Débé] se trouve juste au-delà.
Ce qu’ils ont pris est la forêt vierge de ma famille. Mon père est mort pendant la crise et mon frère est toujours au Liberia, donc je suis le plus âgé ici... Il y a tellement de Burkinabés [dans ma forêt] ; je ne pourrais pas dire le nombre. [Des dizaines], au moins. Ils nettoient et balaient la zone, hectare par hectare, et plantent du cacao... J’ai porté plainte auprès du sous-préfet [qui] leur a dit de quitter la forêt, mais ils ne l’ont pas fait. Il a même envoyé deux membres des forces de sécurité en 2012, qui leur ont dit de partir. Ils sont partis pendant quelques jours, mais une semaine plus tard, ils travaillaient à nouveau dans ma forêt. Le sous-préfet nous a beaucoup aidés, mais les gars ici ne veulent pas s’en aller. [124]
L’occupation illégale de terres par la force alors que les personnes étaient déplacées à l’intérieur du territoire ivoirien ou réfugiées à l’étranger constitue une violation des droits des propriétaires fonciers comme énoncé par le droit international. [125] Les allégations selon lesquelles certains occupants illicites ont combattu aux côtés des forces pro-Ouattara pendant la crise rendent encore plus urgente l’obligation du gouvernement ivoirien d’expulser ces occupants et, si nécessaire, de garantir une enquête pénale sur les auteurs d’occupation illégale. L’absence de mesures gouvernementales risque d’alimenter d’autres conflits en encourageant la perception que ceux qui ont combattu avec les forces pro-Ouattara peuvent agir en totale impunité.
Un meilleur comportement des forces de sécurité, même si certains problèmes de sécurité persistent Dans tout l’ouest de la Côte d’Ivoire, la situation générale des droits humains semble s’améliorer lentement. Même entre les missions de février et de juin 2013 de Human Rights Watch, des améliorations ont été évidentes, souvent reflétées par les propos d’habitants guérés indiquant qu’ils se sentaient plus à l’aise et moins limités par des questions de sécurité ou de droits humains. Au-delà de l’extorsion et du racket, qui affectent toutes les communautés,[126] la population guéré a généralement exprimé peu de plaintes pendant la durée des recherches à l’égard des forces de sécurité, y compris l’armée, les Forces républicaines (ou FRCI). Dans une région où les FRCI ont commis certains de leurs pires crimes pendant la crise, essentiellement contre les Guérés,[127] et ont joué un rôle dans la destruction en juillet 2012 d’un camp de PDI abritant principalement des Guérés,[128] la diminution des abus graves commis par les forces de sécurité a contribué à rétablir une certaine confiance avec la population guéré. Les Guérés de la région ont décrit se sentir plus rassurés pour quitter les villages et travailler dans leurs campements, ce que beaucoup de Guérés avaient évité pendant des mois après être rentrés à l’issue de leur déplacement, par crainte de représailles. Des résidents de l’ouest de la Côte d’Ivoire ont déclaré à Human Rights Watch que les militaires jouent généralement un rôle neutre et détaché dans les litiges fonciers.[129] Human Rights Watch n’a documenté qu’un seul cas de dépossession de terres présumée impliquant un membre des FRCI.[130] En outre, plusieurs Guérés ont décrit avoir vu les militaires des FRCI rabrouer des Burkinabés lorsque ceux-ci essayaient d’impliquer les militaires dans un litige foncier de village. Ils ont indiqué que les militaires conseillent aux parties de se rendre à la sous-préfecture,[131] ce qui est peut-être la meilleure réponse, avec le renvoi vers la gendarmerie en cas de fraude. D’ailleurs, plusieurs Guérés ont expliqué à Human Rights Watch qu’ils s’étaient fait accompagner par des militaires des FRCI pour leur protection lorsqu’ils allaient discuter avec ceux qui occupaient leurs terres illégalement.[132] Cependant, certains Guérés dans l’ouest de la Côte d’Ivoire ont affirmé qu’ils continuaient de craindre les Dozos, un groupe de chasseurs traditionnels qui a combattu avec les forces pro-Ouattara pendant la crise et qui était impliqué dans des crimes graves, ainsi que des « Burkinabés armés » qui, d’après les Guérés, sont arrivés juste après la crise. Dans près de la moitié des villages visités par Human Rights Watch autour de Duékoué et le long de l’axe Guiglo-Toulepleu, certains habitants guérés ont indiqué qu’ils continuaient à dormir dans le village et à se rendre chaque jour à leur campement, parfois éloignés l’un de l’autre de 10 kilomètres, pour travailler dans les champs, avant de rentrer chaque soir avant le coucher du soleil.[133] Ils ont justifié leur réticence à dormir au campement par le fait que leurs maisons ont été incendiées pendant la crise et par la crainte d’être la cible de violences s’ils passaient la nuit dans la forêt, notamment pour ceux qui étaient au cœur d’un litige foncier. Human Rights Watch a documenté deux cas en 2013 dans lesquels un Guéré a subi une attaque alors qu’il se rendait ou se trouvait au campement.[134] Dans environ une dizaine d’autres cas, des Guérés ont fait état de menaces de la part de ceux qui, selon leurs dires, occupaient illégalement leurs terres.[135] Plus souvent, ils ont expliqué que leur peur était liée à l’omniprésence continuelle d’armes et qu’une progression du désarmement améliorerait considérablement leur sentiment de sécurité. |
Destruction ou occupation de sites sacrés
La plupart des villages guérés contiennent des sites sacrés – des zones spécifiques de la forêt ou une zone avec une petite pièce d’eau – qui revêtent une signification spirituelle et sont utilisés pour des cérémonies traditionnelles. [136] Les habitants guérés de plusieurs villages ont affirmé que des non-autochtones étaient en train de détruire ou d’occuper ces terres sacrées. Cela viole potentiellement leurs droits à pratiquer librement leur religion et pourrait devenir une source de conflits intercommunautaires.
Un habitant guéré de Dedjéan a décrit la colère de la communauté face à la destruction de leurs sites sacrés :
Quand la crise est arrivée, nous avons tous fui au Liberia... À notre retour, toute notre forêt sacrée avait été détruite et brûlée. Ils ont aussi détruit nos fétiches et d’autres objets sacrés... Lorsque nous avons vu cela, nous avons senti la colère monter dans nos cœurs. Mais nous savons aussi que nous ne sommes pas nombreux [car des autochtones sont encore au Liberia] et qu’il y a des centaines de nouveaux Burkinabés ici depuis la crise. Donc nous n’avons pas réagi pour l’instant. [137]
Plusieurs habitants de Petit-Guiglo ont raconté à Human Rights Watch qu’un Malien a commencé à planter du cacao dans une zone que la communauté considère comme une forêt sacrée et que d’autres allogènes ou allochtones ont entrepris de balayer des parcelles de terre pour planter du cacao dans une zone perçue par les Guérés locaux comme un lieu d’eaux sacrées. [138]
Un habitant guéré de Diahouin a expliqué que des Burkinabés ont construit des maisons dans une zone qui entoure la forêt sacrée locale et progressaient vers le cimetière du village, également réputé pour être un lieu sacré. Il a raconté : « Cela risque de provoquer des incidents.Nous les avons convoqués pour discuter de cela, mais ils ignorent les appels, ils ne viennent pas.Dans le passé, le chef du village aurait envoyé des personnes pour aller les chercher, mais après la crise, nous avons peur que cela provoque un affrontement. » [139]
L’article 8 de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples garantit la « pratique libre de la religion », [140] ce qui, selon la Commission africaine, inclut « les croyances spirituelles et les cérémonies pratiquées » des traditions animistes. [141] Dans un cas concernant une communauté au Kenya, la Commission a estimé que l’expulsion des terres ancestrales, y compris « des terres sacrées essentielles à la pratique de [sa] religion » était une violation de ses droits en vertu de l’article 8. [142] Il est probable que les forêts et les eaux considérées comme sacrées par les communautés guérés et utilisées pour des pratiques religieuses ou rituelles sont, de la même façon, protégées par la Charte africaine. Contrairement au cas kényan, le gouvernement ivoirien n’a pas joué de rôle dans les expulsions de facto liées à la crise postélectorale. Cependant, le gouvernement ivoirien a l’obligation de protéger, dans la loi et dans la pratique, les terres sacrées de toute destruction ou occupation par des acteurs non étatiques. Lorsque des terres sacrées sont occupées, en violation des droits de la communauté locale, le gouvernement ivoirien devrait prendre les mesures pour restituer les terres à cette communauté.
Impact sur la sécurité alimentaire et sur les moyens de subsistance
La dépossession des terres entraîne des conséquences graves sur les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire de ceux qui ont perdu leurs terres. Les problèmes sont particulièrement graves dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, où le conflit a déplacé des centaines de milliers de personnes et a laissé derrière lui de nombreuses maisons détruites ou brûlées. Lorsque les personnes déplacées sont rentrées chez elles, il leur restait souvent peu de possessions et elles n’ont pas pu profiter des cultures commerciales ou effectuer des réserves de cultures vivrières pendant qu’elles étaient déplacées. Beaucoup ont fait part de profondes inquiétudes concernant l’insécurité alimentaire, qui pourrait être chronique si elles continuent à ne pas avoir accès à leurs terres désormais occupées illégalement.
Un Guéré de Goya, juste à la périphérie de Bloléquin, a indiqué que ses trois hectares de terre ont été vendus illégalement alors qu’il était réfugié au Liberia, entre mars et mai 2011. Il avait uniquement pu déposer une plainte contre “X”, car les Burkinabés avaient refusé de lui dire qui leur avait vendu la terre. Il a décrit les difficultés engendrées par l’impossibilité d’accéder à ses terres depuis au moins 19 mois :
[L’occupation de ma forêt] a aggravé ma situation depuis la crise. Ma maison, mon campement, tout a été brûlé et détruit pendant la guerre. Maintenant ma plantation est occupée elle aussi. Cela rend la vie vraiment difficile. La situation alimentaire empire de jour en jour. Cela nous a plongés dans une pauvreté dont on ne connaît même pas le nom. [143]
Un Guéré de 65 ans de Douedy-Guézon, dont le neveu, un jeune, a profité de son déplacement pour vendre les terres que l’homme avait héritées de ses parents, a raconté ce qu’il s’est passé et l’impact que cela a eu sur ses moyens de subsistance :
Le jeune a vendu ma forêt à un Burkinabé, un nouvel immigré [dans le village]. [Il a vendu] 2,5 hectares sans autorisation... Un Baoulé qui vit et travaille depuis longtemps avec nous sur une autre parcelle a vu le Burkinabé nettoyer la terre et lui a demandé qui la lui avait donnée, et [le Burkinabé] a répondu que c’était [nom omis, le neveu de l’homme]. Le Baoulé lui a dit d’arrêter, qu’il était avec la famille depuis longtemps et que ce n’était pas la terre du jeune, mais le Burkinabé a continué... pour planter du cacao.
C’est cette terre qui nourrit ma famille, les plants de café que mon père a semé et que je récolte maintenant. Comme le Burkinabé est sur ma terre, je n’ai pas pu faire la récolte du café [qui court de décembre à février] cette année... Tout a été détruit pendant la crise, j’ai quitté le Liberia avec rien. Maintenant je suis revenu et je ne peux gagner aucun argent. Les problèmes cette année vont être graves ; je ne sais pas ce que ma famille va faire. [144]
Des habitants de Pohan-Badouebly ont affirmé que le village souffre d’une pénurie alimentaire sévère en raison des nombreuses plantations qui seraient occupées suite à des ventes frauduleuses. [145] Ils ont indiqué que les organisations humanitaires ont cessé les distributions de nourriture dans la région à la fin de l’année 2012, une décision qui s’explique par le retour à une sécurité relative dans l’ouest de la Côte d’Ivoire et par la période écoulée depuis la crise. Mais la dépossession des terres persistante peut menacer la capacité de certaines personnes à cultiver par leurs propres moyens les aliments nécessaires.
Par exemple, un Guéré âgé de 60 ans de Guinkin a dit que les Burkinabés occupant ses terres depuis une vente illégale présumée ont arraché le manioc et les autres cultures vivrières qu’il avait plantés avant la crise. Il a conclu : « Tant que nous ne pourrons pas accéder à nos plantations, qu’aurons-nous à manger ? » [146]
Un Guéré de Dedjéan, qui a affirmé que quelqu’un du village voisin de Tinhou a profité de son déplacement pour vendre illégalement ses terres à des Burkinabés, qui plantent maintenant du cacao, a fait part d’inquiétudes similaires :
Même pour planter des petits champs de riz, nous ne savons pas où aller. Je m’occupais de cultures vivrières avant dans mon campement, mais quelqu’un se l’est octroyé. Il est difficile maintenant de trouver de la nourriture. Je [fais pousser] le peu de riz que je peux juste à côté du village. Et sans argent tiré des [cultures commerciales], il sera très difficile de payer l’éducation de mes enfants, de payer des soins médicaux. [147]
L’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) prévoit les droits à la nourriture et à un niveau de vie suffisant. [148] L’obligation générale de la Côte d’Ivoire, en tant qu’État partie, est d’assurer progressivement la réalisation de ces droits ; toutefois, à tout moment, les États parties ont une obligation minimale de ne pas être responsable d’une incidence négative sur l’accès des populations à la nourriture et à des moyens de subsistance. [149] L’absence de mesures adéquates prises par le gouvernement ivoirien pour protéger les personnes de la dépossession des terres ou pour résoudre les litiges de manière opportune peut constituer une infraction à cette obligation.
Cause d’attaques transfrontalières et source de tensions croissantes
Les tensions liées à la dépossession de terres s’intensifient dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, et les habitants désignent souvent la situation comme une « bombe » prête à exploser si le gouvernement ne prend pas de mesures rapides pour restituer les biens aux propriétaires légitimes. Certaines personnes qui ont perdu des terres dirigent leur colère vers les auteurs des ventes frauduleuses, qui appartiennent généralement au même groupe ethnique ; d’autres dirigent leur colère vers les occupants, généralement des migrants Burkinabés récemment arrivés. Deux attaques transfrontalières meurtrières depuis le Liberia en mars 2013, ainsi que plusieurs affrontements récents dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, semblent être directement liés aux conflits fonciers et laissent entrevoir les possibles conséquences de l’inaction continue.
Un habitant de Pohan-Badouebly qui lutte depuis presque dix-huit mois pour récupérer des terres qui, selon ses affirmations, ont été vendues illégalement pendant la crise, a décrit les tensions croissantes :
Ce qui se passe nous fait mal, car la terre est notre héritage. Si les autorités n’interviennent pas rapidement, cela pourrait devenir dangereux. Pour l’instant, nous évitons de faire la guerre aux [vendeurs et acheteurs illégitimes]. Mais si nous perdons notre héritage, qu’allons-nous manger, comment pourrons-nous rester dans le village ? Les choses pourraient rapidement mal tourner, cela pourrait provoquer une nouvelle guerre... Si nous continuons à subir l’occupation illégale des forêts dans notre région, cela deviendra un autre Duékoué. [150]
Au moins trois autres personnes dans des villages autour de Bloléquin ont, de manière similaire, exprimé leur crainte de voir la région devenir « le prochain Duékoué ». [151] La région de Duékoué a été le théâtre de certaines des violences et des atteintes aux droits humains les plus horribles de la Côte d’Ivoire depuis la guerre civile de 2002-2003, avec des tensions entre population guéré et populations non-autochtones engendrées en partie par les conflits fonciers. [152] Des dizaines d’autres Guérés alléguant une dépossession de terres ont utilisé l’expression ivoirienne courante « Trop, c’est trop », avant d’ajouter que la violence serait inévitable si les problèmes liés à la terre n’étaient pas résolus.
Deux exemples justifient ces craintes. Les 13 et 23 mars 2013, des attaquants ont traversé la frontière du Liberia jusqu’aux villages frontaliers de Zilébly et Petit-Guiglo, respectivement. Ils étaient dirigés par Oulaï Tako, [153] un milicien pro-Gbagbo bien connu pour son implication dans des crimes graves dans l’ouest de la Côte d’Ivoire pendant les deux conflits armés. [154] Le village natal de Tako est Oulaïtaïbly, à proximité du village de Zilébly, où les assaillants ont mené leur attaque le 13 mars. En juin 2012, Human Rights Watch a mis en évidence que Tako faisait partie des combattants pro-Gbagbo au Liberia impliqués dans le recrutement et la planification en vue de futures attaques transfrontalières. [155] Mais même s’il existe peut-être des motifs politiques, les attaques du mois de mars semblent avoir été principalement déclenchées par les litiges fonciers liés à la crise. Radio France Internationale (RFI), à l’époque, avait rapporté les faits suivants :
L’enquête se tourne désormais vers un règlement de compte lié à un conflit foncier. D’après les autorités locales, des autochtones, se plaignant d’avoir vu leurs champs vendus par leurs voisins alors qu’ils étaient en exil pendant la crise, avaient menacé ces villageois de représailles... Pendant l’attaque, les assaillants ont incendié des maisons de propriétaires terriens [guérés] et ont exécuté quatre ressortissants burkinab[és]. Les corps de ces Burkinab[és] … ont été mutilés. [156]
Les recherches de Human Rights Watch étayent le fait que la terre était le principal motif à l’origine de ces attaques. Un document de vente de terres de Zilébly de 2012 a été présenté à Human Rights Watch. Selon une personne qui a enquêté de près sur l’attaque, plusieurs des Burkinabés dont les noms apparaissent en tant qu’acheteurs sur ce document figuraient parmi les personnes tuées lors de l’attaque de Zilébly. De plus, les attaquants ont brûlé les maisons de certains vendeurs et cosignataires guérés nommés dans le document. La personne ayant une connaissance approfondie de l’attaque a expliqué que celle-ci avait « sans aucun doute été motivée par la terre » et les attaquants « ciblaient » des personnes spécifiques, y compris des autorités villageoises, qu’ils tenaient pour responsables de l’occupation illégale. [157]
Des habitants de Petit-Guiglo ont raconté à Human Rights Watch que l’attaque du 23 mars visait, de même, des populations immigrées et des Guérés spécifiques en vue de les tuer ou de brûler leurs maisons. Les attaquants ont tué deux Burkinabés, l’un retrouvé égorgé et l’autre tué d’une balle dans la tête à bout portant, [158] ce qui suggère de probables exécutions. Deux Maliens ont aussi été tués et les attaquants ont brûlé des maisons dans le quartier habité par les immigrés. [159] Lors de leur riposte à cette attaque, les FRCI ont abattu plusieurs assaillants, y compris Oulaï Tako. [160]
Des habitants burkinabés de villages proches des zones où les attaques ont eu lieu ont également pensé qu’elles étaient motivées par les conflits fonciers. Un chef burkinabé dans un village a indiqué : « Les attaques ont pour but de nous chasser de nos forêts.Et pour nous, les Guérés sont tous les mêmes.Ceux qui attaquent travaillent étroitement avec les tuteurs qui sont ici. » [161] Le point de vue de ce chef burkinabé montre aussi la profonde méfiance entre les deux communautés, qui mettent souvent chacune l’autre communauté en bloc dans le même sac, en dirigeant leurs reproches ou leur colère contre le groupe entier. Cela a pu être l’une des raisons des représailles contre les Guérés à Diboké après l’attaque du 13 mars sur Zilébly ; au moins cinq Guérés ont disparu. [162]
En plus des attaques transfrontalières depuis le Liberia, Human Rights Watch a documenté plusieurs affrontements intercommunautaires dans l’ouest de la Côte d’Ivoire en lien avec des litiges fonciers dont l’origine est le déplacement provoqué par la crise. Au début du mois de février 2013, des bagarres ont éclaté entre des habitants guérés des villages voisins de Zomplou et Babli-Vaya, causant quelques blessés légers et au moins un blessé grave, lorsqu’un jeune de Babli-Vaya a frappé un jeune de Zomplou avec une matraque en bois. [163] Des habitants de Zomplou affirment que des jeunes de Babli-Vaya ont illégalement vendu des centaines d’hectares de leur forêt vierge quand ils étaient déplacés par la crise. Un habitant de Zomplou qui figurait parmi ceux qui exigeaient la restitution des terres a dit que d’autres affrontements étaient à prévoir si les autorités locales ne résolvaient pas rapidement le différend :
Le sous-préfet a exigé qu’ils arrêtent de travailler [dans la forêt], mais ils continuent. C’est ce qui nous a amenés à nous battre, à prendre les machettes... Nous n’avons rien contre les Burkinabés, ils ne savent pas ce qu’ils font ; ce sont les gens qui les ont envoyés [dans notre forêt] contre qui nous nous battons...
Nous vivons de la terre. Nous n’avons jamais vendu nos terres dans ce village, il ne nous appartient pas de les vendre. Vendre nos terres serait comme si nous vendions nos traditions... Même si vous n’avez rien fait [de votre forêt], votre enfant pourra en faire quelque chose demain. C’est comme ça que les générations futures mangeront... La vente de forêts n’existait pas ici avant la crise, nous ne comprenons pas comment et pourquoi ceci est arrivé alors que [nous étions déplacés jusqu’à la fin du mois de juin 2011]. C’est un syndrome... Même si nous récupérons notre terre, des hectares et des hectares de forêt ont été nettoyés. Ils ont vendu notre forêt au kilomètre... Psychologiquement, nous sommes déjà morts parce que nous avons été dépouillés de notre terre. Nous sommes au bord d’un nouvel affrontement. Nous avons vraiment attendu patiemment que le gouvernement [résolve le problème], mais nous n’attendrons pas toujours. [164]
Cause du déplacement prolongé de certains Ivoiriens
L’occupation illégale de terres dans l’ouest de la Côte d’Ivoire est aussi une raison fondamentale pour laquelle certains réfugiés ivoiriens restent au Liberia. Le principe 10 des Principes Pinheiro appelle les États à respecter le droit des réfugiés « de regagner de leur plein gré leur foyer, leurs terres ou leur lieu de résidence habituelle, dans [...] la dignité. » [165] Une action concertée des autorités ivoiriennes pour veiller à ce que les réfugiés et les personnes déplacées aient accès à leurs terres contribuerait dans une large mesure à restaurer la confiance en vue du retour de réfugiés supplémentaires.
Selon le HCR, il y avait plus de 58 000 réfugiés ivoiriens enregistrés au Liberia au 2 août 2013. [166] Cela inclut plus de 27 000 réfugiés dans le comté de Grand Gedeh, [167] où la majorité écrasante des réfugiés sont des Guérés de la région occidentale de la Côte d’Ivoire très fortement touchée par les conflits fonciers. D’après les observations de Human Rights Watch et ses entretiens avec des chefs de village au sujet des populations toujours réfugiées, les villages le long de l’axe de Bloléquin à Tinhou et en descendant vers le sud jusqu’à la frontière libérienne présentent des taux de retour particulièrement faibles. Ces villages connaissent des problèmes de dépossession de terres particulièrement graves.
Parmi plusieurs dizaines de réfugiés ivoiriens interrogés au Liberia en décembre 2012, la plupart ont mentionné la dépossession des terres parmi les principales raisons pour lesquelles ils ne se sentent pas en mesure de rentrer en Côte d’Ivoire. D’autres raisons incluent le manque de sécurité supposé pour les partisans pro-Gbagbo et, parallèlement, le manque de progression dans le désarmement. Un représentant des réfugiés libérien à Zwedru a, de manière semblable, raconté à Human Rights Watch que les réfugiés invoquaient deux raisons principales pour ne pas rentrer en Côte d’Ivoire : d’abord la sécurité et ensuite, l’occupation présumée de leurs terres. [168]
Au cours des recherches sur le terrain dans l’ouest de la Côte d’Ivoire en février et en juin 2013, Human Rights Watch a documenté peu d’abus ciblés commis par les forces de sécurité contre des partisans présumés de Gbagbo. De nombreux habitants, dont des Guérés, ont déclaré à Human Rights Watch que la situation en matière de sécurité s’était considérablement améliorée depuis 12 mois. Cependant, les plaintes pour occupation illégale de terres ont été corroborées même si, comme cela a été décrit plus haut, les occupations illégales découlent principalement de ventes frauduleuses par d’autres Guérés.
Un homme de 52 ans de Diboké a expliqué qu’il avait essayé de retourner en Côte d’Ivoire au milieu de l’année 2012, après avoir été réfugié au Liberia depuis la fin du mois de mars 2011. Il a décrit comment au bout d’une semaine il a fui à nouveau au Liberia :
Je me suis rendu sur ma forêt et j’ai vu qu’elle avait été entièrement prise par des Burkinabés. Je leur ai dit que c’était la forêt de ma famille, mais ils ont répondu qu’elles leur avaient été vendues par [nom omis]. J’étais seul. Le reste de ma famille était encore au Liberia et j’ai pensé qu’ils pouvaient me faire du mal... Dans ma vie, je n’ai pas eu la possibilité d’aller à l’école, je n’ai rien d’autre que ma forêt. Tant qu’elle est occupée, je n’ai rien là-bas, je ne peux pas travailler. Donc je suis revenu au Liberia... La politique ne m’intéresse pas ; celui qui est président est président. Ce que nous demandons au président, c’est que ces personnes quittent les forêts qui ne leur appartiennent pas. [169]
Un autre réfugié a fait un récit similaire :
Je suis rentré dans mon village [Tuambly] en mars 2012 et j’ai découvert que mes terres étaient occupées. [Les Burkinabés] m’ont dit qu’un jeune [Guéré] de Tinhou, qui avait la forêt à côté de la mienne, leur avait vendu mes terres… L’occupation de ma forêt est mon plus grand souci. J’ai passé trois semaines dans le village à restaurer ma maison, mais il n’y avait pas beaucoup d’autochtones dans le village et [je ne pensais pas] que c’était une bonne idée d’aller seul au campement [pour tenter de résoudre le litige]... Je ne me sens pas à l’aise lorsque je reste assis à ne rien faire, donc je suis revenu au Liberia... Ce dont nous avons besoin, c’est de la libération de nos forêts et du désarmement. Si cela est fait, nous pourrons rentrer sans problème. [170]
Beaucoup de ceux qui sont rentrés en Côte d’Ivoire et ont affirmé que leurs terres étaient occupées illégalement ont ajouté que les réfugiés restants observent de près l’évolution des conflits fonciers. Un habitant de Dedjéan, près de la frontière avec le Liberia, a confié : « Si les problèmes fonciers sont résolus, vous verrez tout le monde revenir du Liberia.Mais lorsqu’on sait que sa forêt a été prise et qu’il n’y a rien à manger, certaines personnes préfèrent rester là où il y a au moins de la nourriture dans le camp [de réfugiés]. » [171]
Beaucoup d’habitants et de chefs de communauté dans l’ouest de la Côte d’Ivoire ont souligné qu’alors que le problème des conflits fonciers était déjà grave, il le serait encore davantage lorsque ceux qui sont toujours au Liberia rentreraient. Le chef d’un village entre Guiglo et Bloléquin a dit en février qu’environ 40 pour cent de sa population guéré était toujours au Liberia : « Quand ceux qui sont au Liberia reviendront, ils n’auront même pas un seul hectare de libre pour planter des cultures.Ils trouveront leur forêt complètement occupée et ils ne pourront pas manger.C’est comme ça que la violence commence. » [172] Après que Human Rights Watch s’est entretenu avec six Guérés ayant porté plainte pour dépossession de terres dans un village au sud de Bloléquin, le chef du village a raconté de manière similaire : « Nous ne faisons que gratter la surface avec ce que vous avez entendu aujourd’hui.Lorsque les réfugiés reviendront demain, il y aura beaucoup de problèmes.[La plupart de] leurs terres sont occupées.Ces récentes attaques [transfrontalières] sont toutes liées à la terre.Cela doit être résolu. » [173]
Parmi la population de réfugiés ivoiriens au Liberia, il reste des militants pro-Gbagbo radicaux qui refusent d’accepter la légitimité du gouvernement de Ouattara et qui cherchent à recruter des hommes et organiser des attaques pour déstabiliser la Côte d’Ivoire. [174] Mais il y a aussi des dizaines de milliers de personnes qui sont simplement trop effrayées pour rentrer ou voient peu d’intérêt à rentrer tant que leurs terres sont occupées. Beaucoup de réfugiés et de personnes rentrées récemment interrogés par Human Rights Watch ont laissé entendre que la résolution des demandes de restitution de terres ouvrirait la voie à une vague de retours, marginalisant les partisans de la ligne dure au Liberia au lieu de leur offrir des recrues potentielles du fait de la frustration croissante parmi les réfugiés.
Un responsable gouvernemental local dans l’ouest de la Côte d’Ivoire a souligné que la priorité absolue du gouvernement devrait être de résoudre les litiges fonciers pour encourager le plus grand nombre de réfugiés à rentrer. Il a conclu : « Si nous faisons cela et que nous observons un plus grand nombre de retours, les choses reviendront à la normale ici.Si nous ne le faisons pas, un nombre considérable restera au Liberia, et il y aura de nouvelles attaques. » [175]
Une zone marquée par des déplacements mais peu de cas de dépossession: la région du Tonkpi Human Rights Watch a visité huit villages dans la région du Tonkpi, principalement entre Danané et Zouan-Hounien le long de la frontière libérienne. Le Tonkpi est frontalier des régions du Guémon et du Cavally, où une dépossession massive des terres a eu lieu suite à la crise. Zouan-Hounien, par exemple, se trouve à environ 160 kilomètres de Bloléquin, ville autour de laquelle se sont développés certains des conflits fonciers les plus longs et les plus virulents. Aucune des personnes interrogées dans les villages visités dans la région du Tonkpi n’a signalé de conflit foncier lié à la crise postélectorale. C’est depuis cette zone qu’a commencé l’offensive militaire des Forces républicaines vers Abidjan. Alors que les combats et les violations des droits humains y ont été bien moins significatifs par rapport à ceux observés aux alentours de Duékoué et entre Toulepleu et Guiglo, des dizaines de milliers de personnes ont été déplacées du Tonkpi entre décembre 2010 et le milieu de l’année 2011. Toutefois, comme un chef de village l’a indiqué : « La crise n’a eu aucune conséquence sur les terres ici ».[176] Des habitants et des chefs de communauté ont cité de nombreuses raisons expliquant l’absence de conflits fonciers liés à la crise. Le groupe ethnique dominant dans le Tonkpi est celui des Yacoubas, dont le principal parti politique, l’UPDCI, faisait partie de la coalition de Ouattara. Les combattants des Forces Nouvelles qui composaient la majorité des Forces républicaines pendant la crise avaient contrôlé la plupart de la région depuis 2002. Les Forces républicaines ont commis moins d’abus ciblés contre la population yacouba que contre les Guérés, même si elles ont quand même pillé de nombreux villages yacoubas. Les habitants de plusieurs villages ont précisé qu’ils n’avaient donc pas été déplacés longtemps ou avaient facilement fait des allers-retours depuis le Liberia.[177] En revanche, alors que les Forces républicaines se sont emparées des régions du Cavally et du Guémon, les villages ont souvent été complètement vidés de leurs habitants guérés. Des habitants des villages visités dans le Tonkpi ont aussi indiqué que leurs communautés ont rarement vendu ou cédé des terres dans le passé, à l’inverse d’autres régions de l’ouest de la Côte d’Ivoire.[178] Ceci pourrait expliquer pourquoi, du moins dans les villages visités par Human Rights Watch, la population immigrée dans les régions du Guémon et du Cavally semble être considérablement plus nombreuse que la population immigrée dans la région du Tonkpi. Mais même dans certains villages du Tonkpi où vivait un nombre non négligeable d’allogènes et d’allochtones, il n’y avait aucun signalement d’occupation illégale de terres en rapport avec la crise. Plusieurs anciens de villages yacoubas de la région du Tonkpi pensaient que la nature des relations intercommunautaires était une différence fondamentale qui pouvait expliquer les désordres plus importants dans les régions du Guémon et du Cavally. Un ancien du village de Zéalé a raconté : « Ici, les allogènes et les allochtones vivent avec nous depuis longtemps.Ils habitent dans notre village, nous nous marions entre communautés, leurs enfants sont les enfants du village...Ce n’est pas comme [autour de] Guiglo, où ils font leur propre campement [hors du village].Ici ils vivent avec nous. »[179] En effet, une caractéristique frappante de nombreux villages des régions du Cavally et du Guémon est la séparation totale des communautés. Il y a presque toujours des zones distinctes où vivent d’une part les Guérés et d’autre part les allogènes et les allochtones. Les campements d’immigrés sont parfois attenants au village, mais souvent ils se trouvent dans la brousse, à plusieurs kilomètres du village guéré ou encore plus loin. L’Accord de Bloléquin de 2008 appelait à ce que toutes les populations emménagent dans le village,[180] mais la séparation est toujours prédominante dans de nombreux villages, alimentant la suspicion et les tensions intercommunautaires. |
III. Mesures prises et à prendre par l’État
Il n’y a jamais de sanctions, le véritable propriétaire foncier souffre et paie et paie, alors que le vendeur illicite agit de mauvaise foi sans subir aucunes conséquences. C’est pour ça que les gens continuent à le faire. S’il y avait des sanctions, ce problème disparaîtrait.
—Propriétaire foncière devenue victime d’une vente illicite de terres, février 2013 [181]
Alors que beaucoup de responsables gouvernementaux locaux et d’acteurs humanitaires tentent de trouver des solutions aux conflits fonciers qui accablent l’ouest de la Côte d’Ivoire, ils se retrouvent sans soutien efficace de la part du gouvernement national.
Aux niveaux des villages et des sous-préfectures, il existe des mécanismes formels pour résoudre les conflits fonciers. [182] En règle générale, une personne ayant une revendication liée à la terre expose d’abord le problème au chef du village, qui, dans de nombreux cas, supervise un comité villageois chargé de trancher les litiges fonciers. [183] Si le chef du village est dans l’impossibilité de résoudre le litige, la plainte peut ensuite aller devant le chef du canton, un chef coutumier qui supervise une zone couvrant plusieurs villages. [184] Si le différend n’est toujours pas résolu, il est présenté au sous-préfet qui supervise généralement un comité administratif chargé de résoudre les conflits fonciers. La hiérarchie n’est pas toujours respectée, car certaines personnes se présentent directement au sous-préfet. [185] Un plaignant peut toujours déposer sa plainte auprès des tribunaux plutôt qu’auprès des mécanismes coutumiers ou administratifs, mais sur les 117 victimes interrogées par Human Rights Watch, une seule a choisi de recourir au système judiciaire.
Pour restituer les terres aux personnes dépossédées de manière illicite alors qu’elles étaient déplacées, les Principes Pinheiro appellent les États à « mettre en place en temps utile et soutenir des procédures, institutions et mécanismes équitables, indépendants, transparents et non discriminatoires en vue d’évaluer les demandes de restitution des logements, des terres et des biens et d’y faire droit. » [186] De plus, les États doivent allouer « des ressources financières, humaines et autres suffisantes » aux institutions, organismes et mécanismes pour « faciliter la restitution de façon équitable et dans des délais raisonnables ». [187]
Dans son courrier, le gouvernement ivoirien a souligné qu’il « partage avec [Human Rights Watch] le souci de rétablir ceux qui ont été injustement privés de leur terre du fait de leur déplacement ou de toute autre cause. » [188] Il a ajouté qu’il « a pris l’engagement […] de régler la question foncière avant la fin de l’année 2013, ce qui vient de se traduire par le vote à l’Assemblée nationale », qui a prolongé de 10 ans la période pour permettre aux personnes d’officialiser leurs droits coutumiers. [189] Le gouvernement a aussi décrit ses efforts pour redéployer à travers le pays des responsables de services judiciaires, administratifs, et sécuritaires en soulignant en particulier l’ouverture récente d’un nouveau tribunal à Guiglo, « non loin de la localité de Bloléquin où [le] constat [de Human Rights Watch] semble dénombrer de nombreux cas d’occupations illégales de terres ». [190]
Human Rights Watch salue les actions menées à ce jour par le gouvernement, ainsi que sa préoccupation partagée de garantir la restitution des terres. Cependant, le gouvernement devrait considérer ces actions comme des étapes préliminaires, loin de résoudre les problèmes fonciers qui accablent l’ouest de la Côte d’Ivoire. La loi de 1998 sur la réforme du domaine foncier rural a accordé à la population un délai de 10 ans pour officialiser les revendications coutumières sous forme de titre foncier : en raison du manque de mise en application et de suivi sous les gouvernements ivoiriens précédents, les conflits fonciers ont proliféré, au lieu de diminuer, sur cette période. Ces conflits ne disparaîtront pas simplement avec la nouvelle extension de délai et il serait imprudent de la part du gouvernement de penser que ses réformes « résoudront » les problèmes avant la fin de l’année 2013.
La dépossession de terres a eu lieu à grande échelle dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, avec des conséquences désastreuses pour la vie des victimes. Si le gouvernement est sérieux quant à la restitution des terres, il doit prendre des mesures promptes, soutenues et exhaustives au niveau local. Les personnes impliquées dans les efforts coutumiers et administratifs pour traiter les demandes de restitution de terres ont décrit à Human Rights Watch n’avoir reçu aucun financement, aucun personnel et aucune autre ressource du gouvernement national pour les assister dans leur travail. Les responsables locaux de bonne volonté sont limités par ce manque de soutien, ce qui entrave leur capacité à résoudre les litiges fonciers et retarde sérieusement la restitution même lorsque les responsables locaux rendent un jugement sur une affaire. De plus, le gouvernement n’a pas encore commencé la délimitation des territoires des villages, ce qui a permis à des personnes de vendre frauduleusement des terres appartenant à quelqu’un d’autre dans un village voisin. Enfin, les autorités ont refusé d’enquêter ou d’appliquer des sanctions même dans les cas où un vendeur s’est livré à de la fraude ; en l’absence de sanctions, la pratique se développe.
Résolution au niveau du village
La plupart des personnes alléguant une dépossession de leurs terres ont d’abord soumis leur cas au chef de village, qui est à la fois un chef coutumier et une autorité administrative reconnue par la loi ivoirienne. [191] Pour prendre des décisions sur les litiges fonciers, les chefs de village agissent en concertation avec d’autres notables du village et le chef de terre du village, [192] un ancien ayant une connaissance souvent encyclopédique des parcelles de chaque famille. Dans certains villages, des représentants des communautés allogènes et allochtones ainsi que des femmes du village sont inclus dans le comité foncier ; dans d’autres villages, ces groupes sont marginalisés. Notamment pour les cas sensibles liés à la crise postélectorale, la composition des autorités villageoises qui traitent les conflits fonciers semble jouer un rôle crucial dans la capacité à trouver des solutions durables.
Beaucoup de chefs de village ont raconté être confrontés à des dizaines de litiges fonciers liés à la crise. La plupart d’entre eux travaillent dur pour résoudre ces différends, mais ils ont fait part de difficultés suite au refus de certains vendeurs et acheteurs allogènes ou allochtones illégitimes de se présenter aux convocations. Les chefs de village tranchent généralement les problèmes en proposant des compromis, parfois compliqués à trouver dans certains cas liés à la crise postélectorale, en raison des vives tensions.
Enfin, certains chefs de village dans l’ouest de la Côte d’Ivoire font eux-mêmes partie du problème : engagés politiquement, voire impliqués personnellement dans des ventes de terres illicites, ils ne sont pas en mesure de jouer un rôle d’arbitre neutre. Il semble également qu’il n’existe pas de procédures claires, par exemple, sur la manière dont les comités villageois de gestion foncière rurale recueillent et examinent les preuves avant de prendre leur décision, ce qui accroît le risque de résultats inéquitables lorsque les autorités coutumières ne sont pas neutres.
Comités fonciers représentatifs ou restreints
Il existe deux principaux modèles de comités villageois qui gèrent les conflits fonciers dans l’ouest de la Côte d’Ivoire : ceux qui accordent une représentation et une influence dans la prise de décision à toutes les communautés affectées, et ceux qui n’incluent que le patriarcat de la population autochtone. D’après les observations de Human Rights Watch et ses entretiens, notamment avec des représentants d’organisations humanitaires dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, les comités fonciers qui comprennent des représentants de diverses communautés semblent bien mieux adaptés pour statuer sur les plaintes de dépossession de terres.
Un sous-préfet a indiqué à Human Rights Watch que, même avant la crise, il existait une « crise de confiance » vis-à-vis des chefs de village, en partie parce qu’ils n’étaient plus considérés comme impartiaux. [193] Le sous-préfet a expliqué que ce sentiment était ressenti en particulier au sein des populations allogènes et allochtones, ce qui attisait la discorde lorsque les conflits fonciers opposaient des autochtones à des allogènes ou des allochtones. [194] Des Burkinabés dans plusieurs villages ont soutenu qu’ils avaient observé une politisation croissante, entre 2002 et 2010, des chefs de village ; selon ces Burkinabés, de nombreux chefs de village gouvernaient systématiquement de manière à défavoriser les allogènes et les allochtones, et soutenaient les milices pro-Gbagbo locales qui terrorisaient les populations immigrées. [195]
Certains villages ont tenté de dissiper les défiances intracommunautaires et intercommunautaires en intégrant des représentants des allogènes, des allochtones, des femmes et des jeunes dans les comités fonciers villageois. Dans plusieurs de ces villages, il semblait y avoir moins de litiges fonciers liés au déplacement et une meilleure capacité à trancher ces différends au niveau du village. Le chef d’un village entre Duékoué et Bagohouo a expliqué pourquoi sa communauté a résolu la plupart des litiges fonciers liés à la crise, alors que d’autres villages font face à des difficultés :
Nous avions peur lorsque nous sommes rentrés après [la destruction du camp de] Nahibly et avons trouvé des allogènes occupant nos terres. Nous n’avions pas accès à nos forêts. Donc nous avons créé un comité qui était composé d’autochtones, d’allochtones et d’allogènes. Ceux-ci sont aussi représentés dans la chefferie du village. Et nous avons commencé à traiter les problèmes, et les étrangers nous ont aidés à récupérer nos terres... Chaque village gère ses problèmes de manière différente. Il y a certains villages qui mettent les allogènes et les allochtones à l’écart. Ensuite les allogènes et les allochtones se mettent en colère, ils n’acceptent pas une décision. Ce n’est pas comme ça ici. Tout ce que nous décidons, nous le décidons ensemble. C’est lorsque des groupes sont mis à l’écart que les problèmes commencent. [196]
Un ancien d’un village près de Bloléquin qui, de manière similaire, comptait moins de problèmes associés à la crise postélectorale, a raconté :
Dans notre comité villageois, nous avons trois Guérés, trois Burkinabés, un Baoulé et un Yacouba. Dans les autres villages autour d’ici, il n’y a que des Guérés. Comment pouvons-nous savoir ce que les [non-autochtones] pensent, ce dont ils ont besoin, sans les inclure ? ... Ce n’est pas facile pour un Guéré de dire à un Burkinabé : « Tu as tort ». Mais si son frère dans le comité le lui dit, ça passe plus facilement. C’est la même chose pour les Guérés, nous pouvons leur dire qu’ils ont tort... Les personnes sont plus contentes [des décisions] de cette manière. [197]
Toutefois, dans plusieurs villages où Human Rights Watch a posé la question de la composition des comités fonciers villageois, la réponse était, en substance, « Pourquoi intégrer les étrangers ? Nous sommes les tuteurs de la terre. » [198] Cette absence de souplesse a influencé de manière négative les deux communautés. Les non-autochtones ont moins tendance à se présenter aux convocations et à faire confiance aux décisions ou à les respecter. Et les Guérés qui ont des revendications légitimes de restitution de terres voient donc souvent leurs plaintes non entendues ou la décision non exécutée.
Certains villages ont de même refusé d’inclure de manière significative des femmes dans les comités fonciers, malgré leur implication régulière dans le travail des terres rurales. Les femmes dans l’ouest de la Côte d’Ivoire sont confrontées à des problèmes particuliers liés à l’accès à la terre, ce qui accentue l’importance de leur participation dans la résolution des conflits fonciers et dans le débat autour des réformes des lois et décrets sur le domaine foncier rural. En 2012, le Conseil norvégien pour les réfugiés a décrit la situation de la manière suivante :
[L]e statut des femmes dans la famille, en particulier leur statut matrimonial, les rend vulnérables aux conflits fonciers et a diminué leur sécurité foncière pendant la crise postélectorale. Notre étude confirme qu’il est moins probable que les femmes détiennent des documents pour leurs terres que les hommes et ce, des deux côtés de la frontière [libéro-ivoirienne]. Nous avons constaté que les femmes qui n’étaient pas mariées, comme les veuves, sont plus confrontées à des conflits que les femmes mariées. Les veuves peuvent être particulièrement vulnérables lorsqu’elles sont parties à ces conflits. Surtout en Côte d’Ivoire, il était plus probable qu’elles indiquent qu’elles avaient peur de perdre leurs terres au cours des entretiens. [199]
Absence de mise en application, difficulté à trouver un consensus
Beaucoup d’autorités coutumières impliquées dans la résolution des litiges fonciers en lien avec la crise ont évoqué des difficultés pour faire accepter leur autorité par les vendeurs ou les occupants illégitimes. La nature de ces conflits est telle que la solution coutumière traditionnelle, un compromis gagnant-gagnant, est plus compliquée à trouver.
Des chefs de village et des personnes qui font état d’une dépossession de terres ont déploré le refus des parties adverses de se présenter aux audiences auxquelles elles ont été convoquées par les autorités coutumières. Parfois, c’est un vendeur illégitime présumé – un autre Guéré – qui refuse de comparaître ; parfois, c’est l’occupant illégitime présumé, un allogène ou un allochtone. Certaines autorités coutumières ont expliqué à Human Rights Watch qu’elles avaient émis cinq, voire dix, convocations, auxquelles la partie n’a jamais donné suite. [200] Une convocation émise par un chef de village n’a pas le pouvoir juridique de contraindre à comparaître, et plusieurs chefs de village ont précisé qu’ils ne pouvaient pas légalement en appeler à la gendarmerie pour faire appliquer leurs convocations. [201] Des résidents de l’ouest de la Côte d’Ivoire ont indiqué qu’avant la crise postélectorale, les personnes issues des communautés autochtones et non-autochtones honoraient généralement les convocations, selon un contrat social accepté pour la résolution des litiges et en reconnaissance de l’autorité des chefs de village. Dans les rares cas avant la crise où un allogène ou un allochtone refusait de comparaître, les autorités coutumières ont raconté qu’elles envoyaient parfois de jeunes autochtones pour conduire la personne jusqu’à elles. C’est désormais une solution inadaptée et jamais utilisée, selon les chefs de village et les habitants, étant donné les tensions intercommunautaires qui persistent et la prolifération des armes. [202]
Les chefs de village sont donc limités à la pression sociale pour faire appliquer une convocation. Si une telle pression fonctionne dans bien des cas, les parties clés de certaines affaires de conflits fonciers liés à la crise ne tiennent régulièrement pas compte de ces convocations. En outre, les chefs de village interrogés par Human Rights Watch semblaient réticents à rendre une décision tant que toutes les parties concernées n’avaient pas comparu et exposé leurs preuves. Ainsi, une partie de mauvaise foi peut effectivement reporter l’audience sans cesse et continuer à travailler – ou dans le cas d’un vendeur illégitime, ordonner aux allogènes et aux allochtones de continuer à travailler – sur une parcelle de terre tout en refusant de répondre à une convocation. Cela prive la personne qui réclame une restitution de son droit à une résolution dans un délai raisonnable conformément aux Principes Pinheiro.
Les conflits fonciers existent depuis longtemps en Côte d’Ivoire et le mécanisme d’arbitrage coutumier des griefs s’est traditionnellement avéré efficace pour traiter bon nombre de ces litiges. Comme constaté dans un rapport de 2009 sur les conflits fonciers dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, « [l]a caractéristique majeure des décisions coutumières est de rechercher des solutions de compromis entre les parties afin que chacune tire avantage de la décision. » [203] Avant les crises politico-militaires, les conflits correspondaient souvent à des litiges sur les limites extérieures des parcelles individuelles ou sur l’utilisation des bas-fonds, terres généralement utilisées pour planter du riz ou d’autres cultures vivrières au lieu de cultures commerciales. [204] Dans les zones où des personnes ont vendu illégalement ou se sont octroyé des dizaines d’hectares de forêt vierge alors que les propriétaires étaient déplacés du fait de la crise, l’amplitude et la nature des problèmes fonciers vont au-delà du type d’affaires que tranchaient les autorités coutumières auparavant.
Beaucoup de Guérés affirment de manière catégorique que les allogènes et les allochtones doivent quitter toute terre non achetée au propriétaire légitime. Les allogènes et les allochtones, pour leur part, ont souvent acheté des hectares pour plusieurs centaines de dollars par hectare et ont réalisé des investissements considérables lors de la plantation de cultures commerciales ; ils n’abandonneront pas facilement un tel investissement. Lorsque les deux parties sont intransigeantes, il n’est peut-être pas réaliste de confier le fardeau aux autorités coutumières qui n’ont aucun pouvoir de contrainte et sont guidées par le consensus. Ces affaires exigent probablement un examen plus approfondi, y compris pour déterminer si les vendeurs et les acheteurs ont agi de bonne ou de mauvaise foi.
Ces problèmes n’affectent pas seulement les autorités coutumières ; les responsables gouvernementaux locaux rencontrent aussi de sérieuses difficultés pour trouver des solutions durables et pour faire appliquer les décisions en matière de dépossession des terres liées à la crise (voir plus bas). Cependant, ces problèmes s’avèrent particulièrement aigus, et, à bien des égards, insolubles, au niveau coutumier, car ces autorités ne disposent pas du pouvoir de faire appliquer leurs décisions au-delà du consensus. Les autorités coutumières peuvent envisager de se dessaisir d’une affaire lorsqu’une partie ou les deux refusent de s’engager sincèrement dans le processus de résolution, sinon, elles risquent de priver le plaignant de restitution effective, alors que l’abattage des forêts et la plantation de cultures se poursuivent en général. Il est urgent de résoudre ces plaintes, car entre-temps les occupants modifient de façon permanence la terre. Les Principes Pinheiro sont clairs : la dépossession illégale de propriété pendant le déplacement exige la restitution, idéalement, par la possibilité de revenir sur les terres elles-mêmes. [205]
Politique, corruption et revendications de l’autorité concurrentes
L’autorité et l’impartialité de certains chefs coutumiers sont largement respectées parmi les populations autochtones et les populations allogènes et allochtones, ce qui facilite leur capacité à résoudre les litiges fonciers. Dans d’autres villages, cependant, la politique, la corruption et les revendications de l’autorité concurrentes compromettent la confiance des personnes vis-à-vis des chefs coutumiers.
Plusieurs chefs de village guérés ont été tués pendant le conflit ; d’autres, craignant souvent les représailles, sont restés déplacés pendant de longues périodes. Dans plusieurs villages, cela a favorisé une certaine contestation de l’autorité qui existait toujours au moment des recherches menées pour ce rapport. Human Rights Watch a visité deux villages où des habitants ont indiqué que deux Guérés se revendiquaient comme chef du village, chacun soutenu par une faction. Un défenseur local des droits humains a cité au moins trois villages dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, dont l’un des deux villages identifiés par Human Rights Watch, où plusieurs hommes prétendaient être le chef du village. Le militant a précisé que dans au moins un village, les revendications concurrentes opposaient un Guéré soutenant Ouattara, revenu rapidement après avoir été déplacé, et un Guéré partisan de Gbagbo rentré ultérieurement. [206] Dans ces villages, l’absence d’autorité claire limite la possibilité pour les personnes de déposer une plainte concernant la terre et compromet la confiance dans toute solution.
En outre, certains villages, en particulier autour de Bloléquin, sont confrontés à une division politique nette entre les chefs de communauté qui sont revenus et ceux qui sont toujours déplacés. Un chef burkinabé dans un village proche de la frontière libérienne a indiqué : « Ceux qui sont toujours de l’autre côté du fleuve [Cavally, frontière naturelle avec le Liberia] sont les FPI [parti politique de Gbagbo], tandis que ceux qui sont revenus au village sont les RHDP [coalition politique de Ouattara]. » [207] Un chef burkinabé dans un autre village a fait une déclaration similaire : « Les mauvais [Guérés] sont toujours en exil. » [208]
Ces clivages politiques ont des répercussions en termes de conflits fonciers. Un responsable gouvernemental local a expliqué à Human Rights Watch que le chef guéré d’un village proche de la frontière libérienne était pro-RHDP et avait été directement impliqué dans des ventes illicites de terres appartenant à des Guérés liés au FPI, toujours en exil pour la plupart. [209] Alors que cette fraude à caractère politique semble avoir eu lieu dans quelques villages uniquement, il est difficile de concevoir comment ces chefs de village seront en mesure de servir d’arbitres neutres lorsque des personnes toujours déplacées rentreront chez elles et contesteront ces ventes.
Enfin, des résidents de certains villages ont eu l’impression que le règlement des différends fonciers par les autorités coutumières de leurs villages était entaché par la corruption. Même si certains chefs de village acceptent des plaintes en faisant payer peu de frais, voire gratuitement, des victimes de dépossession présumée de terres dans d’autres villages ont constaté des coûts exorbitants pour porter plainte ou pour payer les autorités coutumières afin qu’elles enquêtent sur la parcelle de terre en question. Les victimes ont précisé que la demande constante d’argent leur donnait l’impression que les décisions dépendaient de qui payait, et non de qui avait raison. [210] De plus, des habitants de plusieurs villages ont indiqué, comme dans le cas cité plus haut, que des chefs coutumiers sont eux-mêmes impliqués dans des ventes de terres illicites. [211]
Dans un village situé entre Tinhou et Péhé, un jeune homme de 25 ans a vendu plus de 20 hectares de terre appartenant à son grand-père. Le chef du village a signé le contrat foncier, validant une vente pour plus de 2 millions de francs CFA (4 000 USD). Human Rights Watch s’est entretenu séparément avec un ancien du village impliqué dans la résolution du conflit et avec un des enfants du grand-père, qui a vu des Burkinabés abattre des arbres sur ces terres et a découvert qui leur avait vendu les terres. Les deux ont dit que le chef du village a simplement demandé au jeune si la famille était au courant et était d’accord pour la vente ; le jeune a apparemment répondu par l’affirmative. Le grand-père, qui est le chef de famille, vit dans le village, donc une visite rapide ou un appel aurait permis d’établir s’il avait en effet approuvé la vente. Le chef du village a choisi de ne pas le faire, ce qui a débouché sur un conflit amer au sein de la famille et avec les Burkinabés qui ont acheté les terres. Une personne impliquée dans l’affaire a suggéré que le chef du village avait probablement reçu un pot-de-vin pour approuver la vente. Le jeune qui a vendu illicitement les terres s’est rapidement enfui et la famille n’a pas pu le joindre. [212]
Les autorités coutumières ne sont tenues responsables de corruption que dans de très rares cas. Le sous-préfet de Bloléquin a suspendu l’ancien chef du village de Diboké au début de l’année 2012 après qu’il est devenu évident que celui-ci était impliqué dans la vente illégale de terres appartenant à d’autres individus et d’une partie de la forêt classée de Goin-Débé appartenant au gouvernement. [213] Toutefois, il semble qu’aucune sanction pénale n’a été appliquée et des autorités coutumières du village de Diboké ont dit à Human Rights Watch qu’ils avaient demandé à l’ancien chef du village s’il resterait engagé dans la direction du village. [214] Ce dernier a refusé.
En vertu du droit international, notamment selon les lignes directrices des Principes Pinheiro, les mécanismes gérant les demandes de restitution de terres doivent être « équitables, indépendants, transparents et non discriminatoires ». [215] Beaucoup de chefs coutumiers font un travail admirable et impartial pour résoudre les litiges fonciers. Mais dans les situations où l’impartialité du chef du village paraît compromise – que ce soit vis-à-vis d’une partie autochtone ou d’une partie allogène ou allochtone – les plaignants doivent pouvoir contourner les autorités du village et s’adresser directement au sous-préfet.
Responsables gouvernementaux locaux
Les sous-préfets – autorités administratives qui dépendent du ministère de l’Intérieur et sont responsables d’un certain nombre de villages – participent à la gestion de l’application de la loi foncière de 1998. Ils dirigent les comités sous-préfectoraux de gestion foncière rurale, mandatés pour résoudre des conflits fonciers individuels et pour superviser des enquêtes sur les demandes de conversion de revendications basées sur la coutume en certificats fonciers garantis par l’État. Ils supervisent également les chefs de village qui, comme abordé précédemment, constituent le premier point de contact pour les litiges fonciers. Lorsque les autorités coutumières ne sont pas en mesure de résoudre une plainte, celle-ci est souvent transmise au sous-préfet.
Dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, beaucoup de sous-préfets agissent avec diligence pour diriger les comités fonciers qui traitent des centaines de litiges fonciers survenus dans le cadre de la crise postélectorale. [216] Le sous-préfet de Doké a expliqué qu’il s’occupe de problèmes fonciers quasi quotidiennement, tentant d’apaiser les conflits tout en cherchant une solution qui satisfasse toutes les parties. Il convoque les témoins des différentes parties et précise qu’il doit parfois « examiner des plaintes concernant une forêt spécifique, dans laquelle chaque partie remonte jusqu’à [l’année] 1700 avec son histoire. » [217]
Bon nombre de résidents de l’ouest de la Côte d’Ivoire qui ont parlé à Human Rights Watch ont exprimé un grand respect pour le travail des sous-préfets. Cependant, ils ont aussi soulevé un certain nombre d’inquiétudes. Tout d’abord, le gouvernement national semble n’avoir fourni quasiment aucun soutien pour accompagner les efforts des comités fonciers sous-préfectoraux chargés de résoudre les conflits fonciers. Ceci a négativement influencé leur capacité à mener des enquêtes et prendre des décisions en temps voulu. Deuxièmement, et en partie en lien avec le manque de financements nationaux, certains des comités sous-préfectoraux traitant les conflits fonciers imposent des frais exorbitants pour entendre les plaintes, ce qui freine le dépôt et la résolution des demandes de restitution. Troisièmement, les sous-préfets semblent souvent manquer de capacité ou de volonté pour faire appliquer leurs décisions. Les sous-préfets paraissent être généralement réticents à impliquer la gendarmerie ou le système judiciaire, même lorsque les personnes refusent de se présenter aux audiences ou d’accepter les décisions des sous-préfets. Cette réticence diminue considérablement la confiance des personnes et les dissuade de porter plainte auprès des autorités administratives. Enfin, soi-disant au nom de la cohésion sociale, certains des comités fonciers sous-préfectoraux semblent faire pression sur les personnes pour qu’elles acceptent des accords de « partage » auxquels l’une des parties ou les deux sont clairement opposés. Il semble peu probable que de telles décisions soient respectées, ce qui constitue un risque de conflits futurs.
Manque de soutien financier du gouvernement
Plusieurs sous-préfets dans l’ouest de la Côte d’Ivoire accomplissent un travail impressionnant pour résoudre les conflits fonciers, mais ils sont limités dans leur tâche par le manque de soutien financier et technique provenant du gouvernement central. Il en résulte un important retard dans la résolution des litiges, qui accroît le risque d’affrontements intercommunautaires et prive ceux qui ont subi une dépossession de leurs terres pendant leur déplacement du droit à récupérer leur bien.
Le principe 12 des Principes Pinheiro appelle les gouvernements à mettre en place et soutenir – y compris financièrement et par du personnel – les mécanismes qui interviennent dans la résolution des revendications de terres et des demandes de restitution de biens liées au déplacement, afin que la restitution soit menée « de façon équitable et en temps voulu ». [218] Le manque de financement et de soutien apportés aux comités fonciers sous-préfectoraux place le gouvernement en situation d’infraction à ces Principes.
Un sous-préfet interrogé par Human Rights Watch a déclaré qu’il avait un « problème de manque d’équipement et un problème de manque de personnel », limitant sa capacité à résoudre les litiges dans des délais raisonnables. [219] Un autre sous-préfet a indiqué qu’il ne disposait d’aucun véhicule du gouvernement pour se rendre dans les zones de conflits fonciers, et devait donc utiliser sa voiture personnelle si le village était proche ou emprunter un véhicule à une coopérative locale lorsque le village était éloigné. Il est donc redevable de la disponibilité de ces véhicules, et comme il l’a reconnu, « Qu’arrivera-t-il demain s’ils sont impliqués dans un litige foncier ?Je leur aurai demandé de l’aide dans le passé et les personnes diront que je ne suis pas indépendant [pour trancher le litige]. » [220]
Un autre responsable gouvernemental local impliqué dans la résolution de conflits fonciers dans l’ouest de la Côte d’Ivoire a confié que son principal besoin était d’avoir une ou deux motos à sa disposition. Il utilisait actuellement sa voiture privée, qui ne lui permettait pas d’accéder à tous les villages et campements dans la région, en particulier pendant la saison des pluies qui dure d’avril environ jusqu’à juillet puis d’octobre à novembre. Il a raconté : « Si j’avais une moto, pour un village comprenant 5, 6, 7 cas de litiges fonciers, je pourrais résoudre tous les cas en une journée ou deux.Je pourrais aller sur le terrain, visiter la forêt en question, entendre les parties et rédiger le procès-verbal ce même jour. » [221]
Un sous-préfet a souligné que le manque d’aide financière pour d’autres organismes gouvernementaux intervenant dans les questions foncières affectait sa capacité à prendre des décisions et à les faire appliquer. Les sous-préfets s’appuient parfois sur le bureau local du ministère de l’Agriculture pour inspecter les terres alors que l’affaire est en cours d’examen. Ensuite, après que le sous-préfet a rendu sa décision officielle, des représentants du ministère de l’Agriculture se rendent sur les terres pour déterminer les limites de la parcelle, aux frais du propriétaire. Le sous-préfet a indiqué que le bureau du ministère de l’Agriculture dans sa région était particulièrement engorgé en raison de son propre manque de moyens :
Le [bureau local du ministère] de l’Agriculture couvre trois sous-préfectures, qui dénombrent toutes des centaines de conflits de ce type... Je leur ai remis des dossiers [il y a neuf mois] qu’ils n’ont toujours pas touchés. Donc les conflits [fonciers] continuent, même si la décision a été prise... [Le bureau local du ministère de l’Agriculture] dispose d’une seule moto pour couvrir les trois sous-préfectures. Le campement le plus éloigné de [ma sous-préfecture] par exemple se trouve à 50 kilomètres de [la ville principale]... Vous pouvez imaginer les difficultés. [222]
Dans sa réponse au courrier de Human Rights Watch, le ministre Coulibaly a indiqué qu’« [a]u cours des opérations de délimitation des territoires des villages, le Gouvernement a décidé d’apporter un appui financier aux comités villageois de gestion foncière et aux comités sous-préfectoraux. » [223] Cette promesse de soutien financier est importante, étant donné le rôle crucial joué par les comités fonciers locaux dans la résolution des litiges fonciers, y compris ceux liés à la crise postélectorale. Le gouvernement n’a pas fourni de précisions sur le montant de cet appui financier, ni sur l’échéancier prévu. Étant donné l’ampleur et la nature de la dépossession des terres dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, et le risque que cela débouche sur de nouvelles violences intercommunautaires, le gouvernement doit accorder de toute urgence la priorité à cette aide financière.
Coût excessif
Le manque d’appui financier de la part du gouvernement national a conduit certains comités sous-préfectoraux à imposer des frais souvent exorbitants, qui créent une barrière à la restitution des biens pour les personnes déplacées dont les terres ont été prises illégalement.
Des habitants de zones sous le contrôle des sous-préfets de Bloléquin et Doké ont raconté que, malgré le manque de soutien du gouvernement national, leurs sous-préfets ne réclament pas d’argent pour statuer sur les plaintes liées à la terre ; le coût principal pour les plaignants était le transport jusqu’à la sous-préfecture. [224] Selon plusieurs habitants, ce coût constituait à lui seul une barrière à la résolution des plaintes, en particulier lorsque la partie adverse a refusé à plusieurs reprises de se présenter à une audience (abordé plus en détail ci-dessous) – imposant à la victime présumée de payer encore et encore dans l’espoir que l’autre partie respectera finalement la convocation. [225]
À l’inverse, des habitants de villages sous l’autorité du comité foncier sous-préfectoral de Duékoué ont mentionné des coûts élevés à chaque étape de la plainte. [226] Un représentant d’une organisation humanitaire a confirmé les observations de Human Rights Watch concernant Bloléquin, Doké et Duékoué et a constaté que la sous-préfecture de Bagohouo exige de même des coûts conséquents pour régulariser des ventes de terres ou statuer sur des litiges. [227]
Les autochtones comme les allogènes et les allochtones ont exprimé leur frustration face aux coûts exigés par le comité foncier de Duékoué. Un chef de communauté burkinabé impliqué dans un litige foncier avec un Guéré a déclaré avoir dû payer 5 000 francs CFA (10 USD) en tant que partie à l’affaire et 30 000 francs CFA (60 USD) supplémentaires pour les « frais » du comité afin de réaliser les enquêtes sur le terrain. Il a expliqué à Human Rights Watch : « J’ai l’impression que le système ne fonctionne plus, qu’il ne s’agit que d’argent. » [228] Un Malien, qui a signalé à Human Rights Watch que des personnes doivent payer pour chaque témoin cité devant le comité foncier, a fait une remarque similaire : « Je ne me présenterai plus devant [le comité].Nous voyons les coûts comme un énorme problème.Ce n’est pas le principe du comité foncier qui est un problème, c’est comment il est géré...Nous avons l’impression qu’il est corrompu. » [229]
Un Guéré de Fengolo concerné par un litige foncier a exprimé une inquiétude semblable et a formulé des suggestions :
Si le comité [foncier] n’est là que pour l’argent, cela ne marchera jamais... Pourquoi fixer un prix de 25 000 ou 30 000 francs CFA (50-60 USD) pour traiter un cas avant même de se rendre dans la forêt ? Pourquoi ne pas fixer le prix après, en fonction des dépenses réelles ? Et pourquoi ne pas permettre à la personne de payer petit à petit ? Pourquoi exiger un paiement d’avance lorsque vous traitez avec une personne qui a été déplacée pendant un an, peut-être plus, et qui maintenant ne peut pas accéder à sa forêt ? Où va-t-elle se procurer cet argent ? [230]
Plusieurs habitants de villages autour de Duékoué ont décrit ne pas être en mesure de payer la totalité des frais et donc ne pas pouvoir demander la restitution dans les cas où les autorités coutumières n’ont pas réussi à résoudre la plainte. [231]
Le sous-préfet de Duékoué a contesté le fait que les coûts soient excessifs, en affirmant que le comité ne disposait d’« aucun financement » et imposait donc des « coûts raisonnables » aux parties. [232] Un autre membre du comité foncier de Duékoué a indiqué dans le même sens : « Nous n’avons pas de soutien venant d’ONG ou de l’État.Donc nous sommes obligés d’avoir des petits frais pour payer le transport pour enquêter sur le terrain, pour déterminer qui est le vrai propriétaire, [et] pour voir quelles sont les limites et comment elles peuvent être tracées. » [233]
Manque de volonté ou de pouvoir pour faire appliquer les décisions
Les autorités locales dans l’ouest de la Côte d’Ivoire semblent souvent incapables de faire appliquer leurs décisions, ou réticentes à prendre les mesures requises, ce qui conduit à un manque de respect croissant de leur autorité. Plusieurs sous-préfets ont indiqué à Human Rights Watch qu’ils étaient réticents à faire intervenir les gendarmes ou d’autres forces de sécurité dans la résolution des conflits fonciers, car ils avaient peur d’exacerber les tensions. [234] Alors que cette approche peut être justifiée lorsque les parties agissent de bonne foi, elle semble pour le moins mal venue lorsqu’une infraction, comme un vol ou une fraude, a été commise. Dans ces cas, les ministres de l’Intérieur et de la Défense doivent garantir que leurs forces de sécurité sont prêtes et formées pour intervenir, et le sous-préfet doit être disposé à compter sur elles.
Human Rights Watch a documenté des dizaines de cas où un vendeur ou un acheteur illégitime présumé a refusé de comparaître, malgré une convocation, à une audience. Un Guéré à Médibly, qui a affirmé que pendant qu’il était déplacé, un autre Guéré a vendu illicitement les terres que son père et son grand-père possédaient et avaient cultivées, a expliqué que le sous-préfet de Bloléquin a convoqué l’auteur de la vente illicite pendant un an, mais celui-ci ne s’est jamais présenté. [235]
Un Guéré à Guinkin a raconté une autre histoire typique. Il a déposé une plainte auprès du sous-préfet de Guiglo en novembre 2012, affirmant qu’un autre Guéré avait vendu illicitement ses terres à un Burkinabé. Dans les mois qui ont suivi, il a reçu à deux reprises une convocation émise par la sous-préfecture ; à chaque fois, il a payé son transport pour se rendre à Guiglo, prêt à voir sa plainte entendue. La partie adverse, également convoquée, a négligé de se présenter dans les deux cas. Il semblerait qu’il n’y a eu aucune sanction et le propriétaire foncier présumé a raconté à Human Rights Watch qu’il attendait maintenant une troisième convocation, en ajoutant qu’il présenterait sa plainte devant le système judiciaire si l’autre partie ne venait pas la prochaine fois. Entre-temps, il a vu l’acheteur burkinabé abattre et brûler les cacaoyers qu’il avait plantés des années auparavant. [236]
Dans d’autres cas, les autorités administratives ont émis des ordonnances claires selon lesquelles les acheteurs illégitimes présumés devaient cesser de travailler sur les terres contestées jusqu’à ce que l’autorité rende sa décision finale. Cependant, ces ordonnances sont, elles aussi, souvent ignorées. Human Rights Watch s’est entretenu avec un homme du village de Pohan-Badouebly en février et en juin 2013. Alors qu’il était déplacé pendant la crise, un Guéré d’un village voisin a vendu ses terres à des Burkinabés. Il a porté plainte auprès du comité foncier du village, qui a tranché en sa faveur en juin 2012. [237] Cependant, ce qui a suivi démontre le manque de volonté ou de pouvoir des autorités locales pour faire appliquer leurs décisions :
Après que le comité [villageois] a conclu que j’avais raison et [a rendu sa décision officielle], les Burkinabés ont continué à balayer pour planter du cacao. Je suis allé voir le sous-préfet, qui a émis un ordre [vue par Human Rights Watch] interdisant à quiconque de travailler dans la forêt jusqu’à ce qu’il statue sur l’affaire. [Le vendeur avait fait appel de la décision des autorités coutumières.]… Cependant, jusqu’à maintenant, ils continuent à travailler. Ils sont toujours dans ma forêt.
Je suis allé dans la brousse pour leur montrer l’ordonnance et l’un d’eux m’a menacé. Il est devenu très agressif, en me montrant sa machette et me disant de partir. J’en ai parlé au sous-préfet, et il a dit [en mai 2013] qu’il enverrait un ordre à la gendarmerie. Mais rien n’a encore changé. Ils sont en train de couper ma forêt. Si demain toute la forêt a été coupée, qu’arrivera-t-il à ma famille ? Qu’arrivera-t-il à mes enfants, et leurs enfants ? Nous ne comprenons pas pourquoi le sous-préfet n’applique pas ses décisions. [238]
Human Rights Watch n’a pas été en mesure de déterminer si le sous-préfet avait réellement envoyé une ordonnance à la gendarmerie, et donc d’établir si l’incapacité à faire cesser le travail revient principalement au sous-préfet ou à la gendarmerie.
Plusieurs personnes de Zomplou impliquées dans des litiges fonciers ont expliqué de façon similaire que le sous-préfet de Doké avait ordonné, en avril 2013, aux occupants d’arrêter le nettoyage des terres et la plantation d’hévéas ou de cacaoyers jusqu’à ce qu’il se prononce sur la propriété des parcelles de terre contestées. Malgré les notifications du sous-préfet, les résidents de Zomplou ont constaté que les acheteurs burkinabés ont continué leur travail sur des dizaines d’hectares de terres contestées. [239] Le fait de ne pas faire appliquer cette décision est particulièrement surprenant car cela a déjà conduit, en février, à un affrontement entre jeunes Guérés de Zomplou et de Babli-Vaya, comme décrit plus haut. [240]
Alors que de nombreux Guérés dépossédés pendant la crise ont manifesté du respect pour la neutralité des sous-préfets dans les conflits fonciers, ils ont souligné leur frustration par rapport au fait que, parfois, les sous-préfets n’assurent pas l’application de leurs décisions. Une victime présumée a expliqué : « Le sous-préfet rend un jugement en notre faveur, mais nous ne pouvons toujours pas avoir accès à nos forêts... Nous commençons à nous demander si les autorités ne sont pas complices.Pendant que nous patientons, les Burkinabés coupent nos forêts et plantent sur nos terres. » [241] Le fait que les autorités locales négligent de faire appliquer leurs décisions risque d’inciter des personnes ou des groupes à recourir à la violence pour déloger les occupants.
Le risque de violences engendrées par des décisions non appliquées est particulièrement élevé dans les cas où, comme décrit plus haut, les occupants modifient de façon permanente les terres en abattant la forêt vierge, en arrachant les anciennes cultures et en plantant de nouvelles cultures commerciales. Dans tout l’ouest de la Côte d’Ivoire, les autorités coutumières et locales ont indiqué à Human Rights Watch que, lorsque quelqu’un a investi dans la terre, même s’il l’a achetée à un vendeur illégitime, elles préféraient instaurer une relation entre l’acheteur illégitime et le véritable propriétaire, en permettant à l’acheteur illégitime de rester sur les terres, mais peut-être en divisant la nouvelle plantation ou en partageant les bénéfices avec le véritable propriétaire. Alors qu’il peut s’agir d’une solution raisonnable lorsque l’acheteur a acheté de bonne foi, les autorités locales devraient, au minimum, s’assurer que l’occupant potentiellement illégitime cesse de détruire les forêts ou de planter de nouvelles cultures commerciales jusqu’à ce que l’affaire soit résolue. Les autorités devraient être prêtes à faire intervenir la gendarmerie lorsqu’une partie ne respecte pas une telle décision. Dans le cas contraire, cela crée une incitation perverse pour ceux qui sont concernés par des conflits fonciers à nettoyer les terres et planter autant que possible tant que l’affaire est devant le comité foncier sous-préfectoral afin d’augmenter ce qu’ils sont susceptibles d’obtenir au moment de la décision.
Pressions pour faire accepter des décisions qui risquent de ne pas être viables
Les recherches de Human Rights Watch soulèvent des inquiétudes quant à la possibilité que certains comités fonciers sous-préfectoraux exercent une pression sur des personnes pour qu’elles acceptent des décisions – généralement un partage des terres entre le propriétaire légitime et un acheteur qui a acheté à un vendeur illégitime – qui risquent de ne pas être viables. En général, les deux parties signent un procès-verbal officiel par lequel elles acceptent la décision du comité foncier sous-préfectoral. Toutefois, bien qu’elles n’émanent pas d’un organisme judiciaire, ces décisions semblent parfois imposées, plutôt que consensuelles, créant un risque de conflit futur.
Un militant qui a suivi certains cas devant le comité foncier sous-préfectoral de Guiglo a raconté :
Souvent ils prennent une décision [qui] ne satisfait personne. Ils concluent que le propriétaire légitime doit accepter l’acheteur illégitime, qui peut avoir déjà planté, et doit conclure avec lui un accord pour diviser les récoltes [appelé « travail partagé »]. Mais souvent le Guéré ne veut pas que le Burkinabé reste dans sa forêt, car il ne les lui a pas vendues. Et le Burkinabé ne veut pas partager les récoltes car il a payé le plein prix au vendeur [illégitime]. Personne n’est content [face à la décision]. Il n’y a pas d’appel au sein du comité [foncier]... Vous pouvez peut-être saisir la justice, mais [le comité] met tellement de pression sur vous [en dissuader], en disant que vous devez accepter leur décision pour la cohésion sociale. [242]
Human Rights Watch a pu assister à plusieurs audiences du comité foncier supervisé par le sous-préfet de Duékoué. En général, Human Rights Watch a constaté que les membres du comité sont profondément convaincus de l’importance de résoudre les litiges liés à la terre. Ils passent beaucoup de leur temps personnel à gérer ces plaintes. Mais les préoccupations du militant de Guiglo ont été confirmées par ce dont Human Rights Watch a été témoin. Dans un cas, non lié à la crise ivoirienne, une partie s’en est allée frustrée après que le comité a décidé que les terres devaient être partagées, tout en reconnaissant que l’autre partie n’avait pas de droit légal valide. [243] Pendant les délibérations, un membre du comité a dit : « Voici ce que la loi nous dirait de faire, mais... il faut chercher une solution à partir de nos coutumes. » [244] Dans un autre cas délibéré en présence de Human Rights Watch, le comité avait déjà tranché, mais les parties étaient revenues parce que l’une d’elles refusait d’accepter la décision du comité de diviser les terres, revendiquant que la parcelle entière lui appartenait légitimement. [245] Les membres du comité ont exercé une forte pression sur la personne afin qu’elle accepte la décision, l’un des membres concluant la discussion en disant : « Il n’y a pas de solution miracle, il y a la division de la parcelle. » [246] L’homme a continué à protester, en précisant que d’après la disposition actuelle des terres, « la division de la parcelle engendrerait des désordres. » [247]
La matinée de délibérations à laquelle Human Rights Watch a assisté semblait présenter un problème plus vaste. Un représentant de l’ONUCI à Duékoué, qui avait suivi d’autres affaires devant le comité foncier du sous-préfet, a fait part de son inquiétude quant à l’application des décisions du comité : « Le comité essaie d’aboutir à une décision consensuelle.Le problème que je vois est que, tant qu’elle est devant le comité, la situation semble résolue.Mais lorsque l’affaire revient dans la communauté, le conflit redémarre souvent.J’ai vu de nombreuses affaires revenir devant le comité. » [248]
Dans les deux cas observés par Human Rights Watch, le comité foncier a paru agir de bonne foi en tentant de chercher une solution. Les conflits fonciers dans l’ouest de la Côte d’Ivoire sont souvent complexes et la division des terres ou le partage des bénéfices peuvent en effet satisfaire les deux parties dans de nombreux cas. Un sous-préfet a expliqué à Human Rights Watch qu’il est difficile d’appliquer la loi pour prendre une décision lorsque presque tout jusqu’à présent (absence d’enregistrement des terres, vente clandestine) s’est déroulé hors du cadre de la loi. Il a conclu : « Vraiment, le mieux que nous puissions faire est de trouver une solution satisfaisante. » [249]
En particulier lors du traitement de plaintes pour occupation illégale liée à la crise, il est peu probable que le recours à des pressions afin que les parties « acceptent » une décision qu’elles considèrent comme injuste permette de résoudre des conflits de manière durable. Les comités sont des organismes administratifs basés sur le consensus, non sur la force. S’ils ne peuvent pas obtenir un consensus clair, ils devraient encourager les parties à saisir la justice, plutôt que d’exercer une pression injustifiée sur l’une des parties ou sur les deux pour faire accepter la décision du comité. Avec l’ouverture du tribunal de Guiglo en juin 2013, le système judiciaire est désormais géographiquement plus accessible aux résidents de l’ouest de la Côte d’Ivoire, [250] même si le gouvernement devra s’assurer que les autorités judiciaires sont formées pour traiter les complexités des conflits fonciers, qu’elles disposent de ressources pour mener des enquêtes sur le terrain et qu’elles ne compromettent pas l’équité de la procédure par des pratiques de corruption.
De plus, les comités fonciers sous-préfectoraux devraient établir une distinction entre les transactions foncières de bonne foi et celles de mauvaise foi. Les victimes des transactions de mauvaise foi – qui constituent des infractions, dont la fraude – devraient sans doute être orientées vers la gendarmerie, afin d’accéder à un recours légal. Un acheteur de mauvaise foi devrait sans doute voir son achat annulé. Lorsque les comités sous-préfectoraux imposent la division de terres dans des cas 0ù les ventes et les achats ont été réalisés de mauvaise foi, ils encouragent la poursuite de ces pratiques dévastatrices.
Les membres de certains comités reconnaissent que leurs décisions ne sont pas toujours équitables ou justes pour les parties individuelles. Un chef de communauté siégeant dans un comité foncier sous-préfectoral a indiqué à Human Rights Watch : « Nous ne cherchons que la cohésion sociale.Parfois, nous rendons des mauvais jugements qui m’empêchent de dormir la nuit.Le représentant guéré exerce une pression sur la partie guéré ou le représentant burkinabé exerce une pression sur la partie burkinabé pour qu’elles acceptent la décision, même si c’est injuste [pour une partie].Mais la décision tente d’établir une [meilleure] cohésion sociale et la personne [subit une pression] pour l’accepter. » [251] Un autre chef de communauté du comité foncier de Duékoué pensait également que l’occasionnelle « mauvaise décision » restait toujours la meilleure option disponible : « Même une mauvaise décision du comité ou d’un [chef traditionnel] est meilleure qu’une affaire qui va devant la justice.Nous préférons un jugement qui s’appuie sur notre loi coutumière plutôt que d’envoyer une personne devant la justice. » [252]
Le droit international prévoit que chaque cause impliquant les « droits et obligations » d’une personne, comme dans le cas des affaires liées aux droits fonciers, doit être « entendue équitablement ». [253] Alors que les mécanismes traditionnels ou administratifs établis par la loi peuvent être utilisés pour résoudre certains litiges, ils doivent être « compétent[s], indépendant[s] et impartia[ux] » [254] , y compris accorder un traitement équitable aux femmes. De plus, les personnes doivent pouvoir faire appel d’une décision devant un tribunal.
« Existence continue et paisible » évoquée dans la loi de 1998 relative au domaine foncier rural Comme décrit dans le chapitre Contexte, la loi de 1998 relative au domaine foncier rural exige que toute personne officialise ses droits coutumiers en enregistrant sa propriété foncière auprès du cadastre. Dans un premier temps, une personne doit prendre des mesures pour obtenir un certificat foncier puis, dans un second temps, elle doit procéder à un enregistrement au cadastre. Conformément à la loi de 1998, la première étape visant à obtenir un certificat foncier exige de démontrer « l’existence continue et paisible de droits coutumiers » du groupe ou de la personne sur la parcelle de terre spécifique.[255] Si cette clause était interprétée d’une certaine manière, les autorités pourraient en abuser pour nier l’« existence continue » de droits coutumiers aux personnes déplacées par les conflits de 2002-2003 ou de 2010-2011. Pour veiller à ce que la loi foncière soit appliquée conformément aux normes du droit international relatif aux droits humains, le président ou l’Assemblée nationale doit adopter un décret ou une loi, respectivement, qui clarifie que le déplacement lié au conflit ou aux violences intercommunautaires n’affecte pas la capacité d’une personne à établir « l’existence continue et paisible de droits coutumiers ». |
Absence de lignes de délimitation
L’absence de lignes de délimitation a accentué le problème des ventes de terres illicites généralisées. Il existe deux types de lignes de délimitation concernant à la terre rurale en Côte d’Ivoire : d’abord, les lignes de démarcation qui délimitent chaque village, y compris ses forêts et ses campements, et deuxièmement, les limites des propriétés individuelles. La responsabilité financière de la délimitation des territoires des villages incombe au gouvernement ivoirien, tandis que les propriétaires fonciers ont la charge de payer les coûts et les frais associés à l’établissement des limites de leur propriété individuelle. Le ministère de l’Agriculture, y compris sa Direction du Foncier Rural et du Cadastre Rural, joue un rôle primordial dans la supervision des enquêtes sur le terrain pour identifier et délimiter les terres et dans le maintien à jour du registre foncier. [256]
Les chefs de village, les victimes de dépossession de terres et même des responsables gouvernementaux locaux sont généralement d’accord sur le fait que les ventes de terres illicites – et les conflits résultant de ces ventes – diminueraient significativement si le gouvernement ivoirien entreprenait la tâche, promise depuis longtemps, de délimiter les territoires des villages. L’absence de mesures visant à délimiter les territoires des villages date de bien avant le gouvernement de Ouattara. À part environ 100 villages qui faisaient partie d’un projet pilote financé par la Banque mondiale entre 1998 et 2001 [257] – tous dans des régions hors de la zone concernée par le présent rapport – les limites des villages n’existent quasiment pas en Côte d’Ivoire. Cela a facilité les ventes frauduleuses, y compris celles qui ont eu lieu pendant que des personnes étaient déplacées.
Un ancien du village de Médibly a décrit la situation :
Des gens de Diboké et Kéibly ont vendu nos forêts et cela s’est aussi passé dans l’autre sens [des habitants de Médibly ont vendu des terres de ces villages]... Je l’ai dit beaucoup de fois aux autorités locales, le gouvernement doit commencer la délimitation de terroirs villageois. Nous demandons cela depuis 10, 15 ans. Le gouvernement dit : « Nous arrivons, nous arrivons », mais ils ne viennent jamais... Chaque village doit savoir où sont ses limites ; il ne faut plus avoir la confusion. Si cela est fait, nous serons débarrassés de ces affaires. Sinon, il y aura toujours des problèmes. [258]
Un chef de communauté à Toa-Zéo, juste à la périphérie de Duékoué, a fait une réflexion similaire : « Le gouvernement doit agir pour faire la délimitation des villages.Si les gens savent où sont les limites... s’il n’est pas possible de prétendre qu’une forêt vous appartient alors qu’elle fait partie du village voisin... beaucoup de ces problèmes seront résolus. » [259]
Même plusieurs responsables gouvernementaux locaux ont exprimé leur frustration face à l’absence de progrès dans la délimitation des territoires villageois. Un sous-préfet a déclaré à Human Rights Watch :
Surtout, le moyen de faire cesser ces problèmes est d’établir les limites des différents villages. Nous savons à qui appartient un campement donné, mais nous n’en connaissons pas les limites exactes. Nous savons à qui appartient un village donné, mais nous n’en connaissons pas les limites exactes... [Le gouvernement en est] toujours à l’étape de projet, projet, projet. Cela doit être fait... pour éviter les conflits entre les habitants de deux villages. Cela et rien d’autre résoudra bon nombre de problèmes. [260]
Outre les inquiétudes quant à l’absence de progrès dans la délimitation des territoires des villages, des propriétaires fonciers dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, des autorités coutumières et des représentants d’organisations humanitaires ont tous fait part de préoccupations à propos des coûts associés à la détermination des limites des propriétés individuelles et à l’enregistrement de la propriété foncière. Beaucoup de propriétaires fonciers ont affirmé que les coûts constituaient un obstacle pour régulariser leurs droits coutumiers. [261] Ces coûts incluent, entre autre, le transport répété jusqu’à la ville la plus proche où se trouvent la sous-préfecture et le bureau local du ministère de l’Agriculture ; les frais pour obtenir un certificat foncier et procéder à l’inscription au cadastre ; et les frais pour que le ministère de l’Agriculture borne la propriété.
En février 2013, le ministre de l’Agriculture Mamadou Coulibaly a indiqué à Human Rights Watch qu’il avait un projet de décret prêt concernant la délimitation des territoires des villages et qu’il attendait que le ministère des Finances débloque les fonds nécessaires. Il espérait qu’avec le déblocage en temps voulu des fonds, ils parviendraient à délimiter les territoires de 6 000 villages d’ici la fin de l’année 2014. Il a toutefois exprimé sa déception face au ralentissement de l’intérêt des bailleurs de fonds alors que, selon lui, cela pourrait permettre des progrès plus importants. [262]
Le 2 mai 2013, le Conseil des ministres a adopté un décret du ministre de l’Agriculture qui propose de définir les procédures pour la délimitation des territoires des villages, « entend[ant] circonscrire les litiges inter villageois, et par la même occasion, apporter une solution durable aux conflits fonciers » qui découlent des litiges entre villages concernant les limites. [263]
Dans sa réponse écrite à Human Rights Watch, le gouvernement ivoirien a réitéré son engagement à accorder la priorité à la délimitation des territoires des villages et a aussi précisé qu’il réduirait les coûts associés à l’enregistrement de la propriété foncière individuelle. À propos des territoires des villages, la réponse faisait référence au décret de mai et signalait : « Sur des financements déjà acquis, il est prévu la délimitation des territoires de 1 300 villages environ sur les trois prochaines années. » [264] Au sujet de l’enregistrement des propriétés individuelles, le courrier du gouvernement indiquait : « Conscient de la modicité des moyens des populations rurales, le Gouvernement est en train de prendre les mesures appropriées afin de permettre à ces populations d’obtenir des documents sur leurs terres à coûts abordables. » [265] Le courrier du gouvernement n’a pas répondu à la question de Human Rights Watch sur les coûts actuels que les propriétaires fonciers individuels doivent payer pour faire délimiter leur propriété. Il n’a pas non plus spécifié quelles mesures précises il prenait ni quels seraient les coûts applicables à l’avenir.
En juin 2013, un conseiller du Premier ministre sur les questions foncières a annoncé que la procédure de délimitation des territoires des villages et des propriétés individuelles était ralentie par le manque de géomètres-experts qualifiés dans le pays, et qu’un recrutement serait nécessaire. [266] À l’instar du ministre de l’Agriculture, le conseiller du Premier ministre a expliqué que l’aide des bailleurs de fonds était indispensable pour accélérer la procédure de délimitation des territoires des villages. [267] Un expert foncier a cependant indiqué à Human Rights Watch que le problème était plus compliqué qu’un simple manque de géomètres-experts qualifiés. [268] Conformément à une loi votée en 1970 et à plusieurs décrets d’application promulgués suite à la loi foncière de 1998, l’Ordre des Géomètres Experts de Côte d’Ivoire (OGE-CI) jouit d’un monopole pour la réalisation des tâches liées à la délimitation des villages et des propriétés individuelles. [269] Selon le site Internet de l’OGE-CI, qui n’est peut-être pas à jour, l’Ordre compte au total 29 géomètres-experts « agréés », avec seulement un géomètre-expert pour toute la région concernée par le présent rapport. [270] L’expert foncier a raconté à Human Rights Watch que l’Ordre a fait pression pour conserver son monopole, excluant les autres personnes potentiellement qualifiées qui pourraient effectuer les tâches requises. [271] Un groupe plus large d’experts pourrait contribuer à accélérer la procédure de délimitation des territoires et probablement à réduire les coûts associés pour les propriétaires fonciers. Un rapport de 2009 de l’Observatoire des situations de déplacements internes a mentionné que le petit nombre de géomètres-experts autorisés à délimiter environ 20 millions d’hectares de terres rurales en Côte d’Ivoire était un « handicap sérieux qui pourrait freiner la mise en œuvre de [la] loi [de 1998] ». [272]
Absence de sanctions pour les ventes illicites
Un autre raison de la dépossession de terres massive après la crise postélectorale est l’absence de sanctions pénales, que ce soit une amende ou une peine de prison, imposées aux personnes ayant procédé à des ventes illicites. Ce problème est facilité par la réticence apparente des chefs de village, des sous-préfets et de certaines victimes de soumettre les affaires à la gendarmerie en vue d’enquêtes.
Des sanctions pénales peuvent s’avérer inappropriées lorsque la question de la propriété de la terre est légitime et lorsqu’une personne a agi de bonne foi lors de la conclusion d’une vente. Mais les vendeurs agissant de mauvaise foi – pouvant probablement se compter par centaines dans le seul cadre de la période de crise dans l’ouest de la Côte d’Ivoire – se sont livrés à du vol et de la fraude. Néanmoins, les victimes de dépossession de terres, les chefs de communauté et les responsables gouvernementaux locaux n’ont pas pu citer une seule affaire dans laquelle un tel vendeur a fait l’objet de sanctions pénales. En effet, les autorités gouvernementales locales ont expliqué qu’ils préfèrent d’éviter « la loi » au nom de la réconciliation. [273] Cette approche semblait découler de la défiance envers l’efficacité du système judiciaire et de la conviction que les forces de sécurité, avec une réputation de force brute plutôt que d’enquêteurs qualifiés, seraient plus susceptibles d’attiser les tensions que de les apaiser.
Beaucoup de personnes dans l’ouest de la Côte d’Ivoire sont fortement en désaccord avec ce point de vue, et pensent que des sanctions pour les ventes illicites constituent la seule manière d’éradiquer ou, du moins, de circonscrire le problème. Le chef d’un village situé entre Guiglo et Bloléquin a expliqué simplement : « Les autorités doivent dire : “Si tu fais ça, il y aura des conséquences”, puis elles doivent assurer un suivi et envoyer les vendeurs illicites devant la justice. » [274] Un autre ancien d’un village situé en périphérie de Duékoué a dit de la même façon : « Les vendeurs illicites ne sont jamais punis.Ils vendent, ils gagnent de l’argent et ils sont toujours ici [dans la communauté].Donc cela continue encore et encore. » [275]
Une femme d’un campement hors de Guiglo a raconté à Human Rights Watch qu’elle est impliquée dans un litige concernant une vente illégale qui a commencé avant la crise postélectorale. En 2012, le comité de Guiglo chargé de résoudre les conflits fonciers avait statué en sa faveur, concluant que l’homme guéré qui avait vendu à un Burkinabé et un Baoulé avait agi illicitement. Cependant, la femme a indiqué qu’alors que le vendeur illégitime ne s’est vu infliger aucune sanction – et a pu continuer à profiter de l’argent tiré de la vente – elle a dû payer environ 15 000 francs CFA (30 USD) pour le dépôt de plainte initial, 60 000 francs CFA (120 USD) pour l’obtention d’une attestation de propriété après la décision rendue par le comité, 40 000 francs CFA (80 USD) pour la cartographie de ses terres et elle tentait maintenant de trouver environ 80 000 francs CFA (160 USD) pour payer le bureau local du ministère de l’Agriculture pour borner ses terres, « sinon quelqu’un d’autre viendra derrière vous et vendra illicitement [vos terres] à nouveau ». [276] Elle s’est exprimée ainsi : « Il n’y a jamais de sanctions, le véritable propriétaire foncier souffre et paie et paie, alors que le vendeur illicite agit de mauvaise foi sans subir aucunes conséquences.C’est pour ça que les gens continuent à le faire. S’il y avait des sanctions, ce problème disparaîtrait. » [277]
Des personnes ont exigé au minimum que les vendeurs agissant de mauvaise foi reçoivent des amendes qui les priveraient du bénéfice de leur vol et de leur fraude. D’autres, cependant, étaient convaincus que les autorités devraient aller plus loin, en emprisonnant ceux qui ont tiré profit du chaos dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. L’un des Guérés à Pohan-Badouebly concernés par un conflit foncier lié à une vente illicite présumée par un jeune du village de Blédy voisin s’est exclamé :
Les problèmes fonciers sont une catastrophe, et c’est à cause des ventes illicites. Nous sommes allés voir les responsables gouvernementaux locaux encore et encore en disant : “Vous devez mettre ces gens en prison.” Jusqu’à présent, ils ne l’ont pas fait. Comment un jeune de 18 ou 20 ans peut-il vendre un kilomètre [carré] [100 hectares] de forêt ? Nous devons faire cesser cela. Il suffit, deux ou trois fois, de mettre en prison ceux qui vendent des forêts sur lesquelles ils n’ont aucun droit et ça s’arrêtera totalement. Sinon, si cela continue, cela risque de provoquer une autre guerre. [278]
Dans sa réponse à Human Rights Watch, le gouvernement ivoirien a expliqué qu’il émettait de « fortes réserves » quant aux conclusions de l’enquête selon lesquelles les responsables gouvernementaux locaux préfèreraient éviter l’implication des services judiciaires et sécuritaires même dans les cas de ventes frauduleuses. Le gouvernement a poursuivi :
S’il est vrai que la sensibilité de la question foncière a pu amener certains responsables locaux à privilégier la conciliation dans le cadre des litiges fonciers mettant le plus souvent aux prises des communautés entières, la voie judiciaire qui est l’organe de régulation des litiges sociaux dans un État de droit, ne saurait être mise de côté. Bien au contraire, le Gouvernement entend consolider l’État de droit dont la Justice est l’un des socles. [279]
Human Rights Watch a accueilli favorablement l’engagement du gouvernement en faveur de l’État de droit dans le contexte des conflits fonciers. Sa déclaration va dans le même sens que les propos entendus par Human Rights Watch émanant de plusieurs responsables gouvernementaux nationaux lors de réunions à Abidjan, propos indiquant qu’ils étaient d’accord avec l’idée d’infliger des sanctions pénales à l’encontre des auteurs de ventes illicites de mauvaise foi. [280] Cependant, les autorités locales de l’ouest de la Côte d’Ivoire ne semblent pas avoir appliqué cette politique. Ils ont quasiment tous expliqué à Human Rights Watch qu’ils pensaient qu’il était préférable d’éviter d’impliquer les gendarmes et le système judiciaire dans les conflits fonciers. Comme mentionné plus haut, les responsables gouvernementaux locaux, les victimes de dépossession de terres et d’autres personnes dans l’ouest de la Côte d’Ivoire n’ont pas pu citer la moindre affaire dans laquelle une personne a été sanctionnée pour avoir procédé à une transaction foncière frauduleuse.
IV. Protection juridique des droits fonciers des réfugiés et des personnes déplacées
Le droit international impose des obligations au gouvernement ivoirien pour faire en sorte que les réfugiés et les personnes déplacées soient en mesure de récupérer leurs foyers et terres. Ces droits et responsabilités découlent de trois domaines du droit international, qui sont distincts mais intimement liés : les droits des personnes déplacées suite à leur retour, les droits liés à la propriété, et les droits collectifs ou culturels.
Droits des réfugiés et des personnes déplacées suite à leur retour
L’article 9(2)(i) de la Convention de Kampala de l’Union africaine, que la Côte d’Ivoire a signée mais n’a pas ratifiée, exige que les États parties « [prennent] les mesures nécessaires pour protéger les biens individuels, collectifs et culturels abandonnés par les personnes déplacées ». [281]
En outre, les Principes des Nations Unies sur la restitution des logements et des biens dans le cas des réfugiés et des personnes déplacées, mieux connus sous le nom de Principes Pinheiro, abordent directement le droit des réfugiés et des personnes déplacées à récupérer leurs foyers et terres. [282] Bien que les Principes Pinheiro constituent un « droit indicatif », et non un traité que les gouvernements ratifient, ils sont largement acceptés comme indication de l’étendue du droit à la restitution après le déplacement, y compris du fait d’un conflit. Ils reflètent un ensemble plus large de normes de droit international qui exigent que les États fassent en sorte que les réfugiés et les personnes déplacées puissent retourner de manière sûre dans leurs foyers et sur leurs terres, ou recevoir une indemnité lorsque leur restitution n’est pas possible. [283]
Le principe 2 des Principes Pinheiro énonce le droit à la restitution des logements et des biens :
Tous les réfugiés et personnes déplacées ont le droit de se voir restituer tout logement, terre et/ou bien dont ils ont été privés arbitrairement ou illégalement, ou de recevoir une compensation pour tout logement, terre et/ou bien qu’il est matériellement impossible de leur restituer, comme établi par un tribunal indépendant et impartial… Les États privilégient le droit à la restitution comme moyen de recours en cas de déplacement et comme élément clef de la justice réparatrice... [284]
Le principe 10 prévoit le « droit au retour librement consenti dans la sécurité et la dignité ». [285] La situation de sécurité améliorée et la réduction nette des abus perpétrés par les forces de sécurité contre les populations pro-Gbagbo dans l’ouest de la Côte d’Ivoire démontrent la progression du gouvernement ivoirien dans le respect de ses responsabilités en vertu de ce principe. Cependant, le principe inclut explicitement le droit des réfugiés et des personnes déplacées « de regagner de leur plein gré leur foyer, leurs terres ou leur lieu de résidence habituelle, dans [...] la dignité.» [286] L’occupation illégale généralisée des terres laissées par les réfugiés et les personnes déplacées enfreint ce principe.
Le principe 12 énonce les responsabilités des États pour examiner les plaintes liées à la restitution de terres :
12.1 Les États devraient mettre en place en temps utile et soutenir des procédures, institutions et mécanismes équitables, indépendants, transparents et non discriminatoires en vue d’évaluer les demandes de restitution des logements, des terres et des biens et d’y faire droit. Si les procédures, institutions et mécanismes existants sont à même de traiter efficacement ces questions, des ressources − financières, humaines et autres − suffisantes devraient leur être allouées pour faciliter la restitution de façon équitable et dans des délais raisonnables.
...
12.3 Les États devraient prendre toutes les mesures administratives, législatives et judiciaires qui s’imposent pour appuyer et faciliter le processus de restitution des logements, des terres et des biens. Ils devraient doter tous les organismes compétents des ressources financières, humaines et autres suffisantes pour mener à bien leur tâche de façon équitable et en temps voulu.
12.4 Les États devraient adopter des directives qui garantissent l’efficacité de tous les mécanismes, institutions et procédures compétents en matière de restitution des logements, des terres et des biens, y compris des directives concernant l’organisation institutionnelle, la formation du personnel et le nombre d’affaires, les procédures d’enquête et de traitement des demandes, la vérification des droits sur les biens ou autres droits de propriété, ainsi que les mécanismes relatifs à la prise de décisions et à leur mise en œuvre et aux moyens de recours. Les États peuvent intégrer les modes alternatifs ou informels de règlement des différends à ce processus, dans la mesure où de tels mécanismes se conforment tous aux règles internationales relatives aux droits de l’homme, aux réfugiés et au droit humanitaire et aux normes connexes, notamment le droit d’être protégé contre la discrimination. [287]
Comme abordé dans le chapitre III, alors que certains comités villageois et sous-préfectoraux essaient de résoudre des conflits fonciers dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, le gouvernement ivoirien ne les a pas soutenus de manière adéquate, ce qui a conduit à des résultats irréguliers. De plus, l’absence de mesures prises par le gouvernement ivoirien pour délimiter les territoires des villages a grandement facilité le chaos qui entoure les ventes de terre dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. Bien que cette situation date d’avant le gouvernement de Ouattara, les autorités ivoiriennes actuelles doivent rapidement accorder la priorité à la délimitation des territoires des villages.
Droits civils et économiques liés à la propriété
En plus des droits des réfugiés et des personnes déplacées qui sont de retour, les droits civils et économiques garantis en vertu de traités régionaux et internationaux imposent une obligation au gouvernement ivoirien de veiller à la protection des droits de propriété, y compris en veillant à la restitution prompte de terres et d’autres biens occupés illégalement.
L’article 14 de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, à laquelle la Côte d’Ivoire est un État partie, garantit le droit de propriété individuel et collectif. [288] Dans tous les cas d’occupation illégale de terres dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, que l’acheteur ait obtenu les terres par le biais d’une vente illicite ou par la force, le propriétaire légitime a été privé de ce droit.
L’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels(PIDESC), auquel la Côte d’Ivoire est un État partie, prévoit les droits à la nourriture et à un niveau de vie suffisant. [289] En règle générale, les États doivent progressivement assurer la réalisation de ces droits ; toutefois, les États parties ont une obligation minimale de ne pas influencer négativement l’accès des personnes à la nourriture et à des moyens de subsistance. [290] Alors que les conflits fonciers dans l’ouest de la Côte d’Ivoire impliquent essentiellement des acteurs non étatiques, la dépossession des terres a été alimentée par l’absence de mesures adéquates prises par le gouvernement ivoirien pour contrôler les ventes de terres, délimiter les territoires des villages, poursuivre en justice les auteurs de ventes illicites et soutenir les institutions étatiques en charge de résoudre les litiges. Par conséquent, dans les cas où des personnes font face à des pénuries de nourriture ou de graves conséquences économiques du fait de leur incapacité à accéder aux terres qui leur appartiennent légitimement, il est possible que le gouvernement ivoirien enfreigne son obligation en vertu du PIDESC.
Droits collectifs et religieux
La destruction des terres que les communautés guérés considèrent comme sacrées et leur expulsion de ces terres portent sur des questions de droits collectifs et religieux. L’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) stipule que « [t]oute personne a droit à la liberté de [...] religion ». [291] Le Comité des droits de l’homme, qui supervise le respect du PIDCP, a indiqué que ce droit « protège les croyances déistes, non déistes et athées...Les termes « croyance » et « religion » sont à interpréter au sens large ». [292]
L’article 8 de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples garantit de même la « pratique libre de la religion ». [293] Dans l’affaire « Centre for Minority Rights Development (Kenya) and Minority Rights Group International on behalf of Endorois Welfare Council v Kenya », la Commission africaine a examiné la signification de l’article 8 dans une affaire impliquant un groupe de personnes, les Endorois, que le gouvernement kényan a expulsé de ses terres traditionnelles pour créer plusieurs réserves fauniques. [294] Dans le cadre de leur revendication, les Endorois ont affirmé que leur droit à la pratique de la religion avait été enfreint parce que les terres d’où ils ont été expulsés incluaient un lac sacré et d’autres lieux spirituels. [295]
La Commission africaine a jugé que les « croyances spirituelles et les cérémonies pratiquées par les Endorois constituent une religion, selon la Charte africaine », [296] et le lien entre ces pratiques et la terre signifiait que l’expulsion forcée viole les droits des Endorois au titre de l’article 8 :
« [L]’expulsion des Endorois de la terre de leurs ancêtres par les autorités kényanes était une violation du droit des Endorois à la liberté de religion et les éloignait des terres sacrées essentielles à la pratique de leur religion. Cette mesure rendait pratiquement impossible la continuation des pratiques religieuses essentielles à la culture et à la religion de cette communauté. » [297]
Il est probable que les forêts et les eaux considérées depuis longtemps comme sacrées par les communautés Guérés et utilisées pour des pratiques religieuses ou rituelles sont de même protégées par la Charte africaine. La dépossession des terres dans l’ouest de la Côte d’Ivoire est distincte du cas des Endorois car il s’agit d’autres acteurs privés, et non du gouvernement ivoirien, qui ont de fait évincé certains Guérés par le biais d’une occupation illégale. Mais le gouvernement ivoirien a l’obligation de garantir le droit à la religion, ce qui signifie qu’il doit prendre des mesures pour protéger, dans la loi et dans la pratique, les terres sacrées contre toute destruction.
Dans l’affaire des Endorois, la Commission africaine a aussi statué que selon la Charte africaine, les droits de propriété peuvent être à la fois individuels et collectifs, et peuvent être fondés sur la pratique coutumière, aussi bien que sur un titre foncier. [298]
Remerciements
Ce rapport a été rédigé par Matt Wells, chercheur pour l’Afrique de l’Ouest, à partir des recherches qu’il a menées. La révision a été assurée par Corinne Dufka, chercheuse senior pour l’Afrique de l’Ouest ; Gerry Simpson, chercheur senior et responsable de plaidoyer auprès du programme pour les réfugiés ; Clive Baldwin, conseiller juridique senior ; et Babatunde Olugboji, directeur adjoint au Bureau des programmes. Marianna Enamoneta, coordinatrice à la division Afrique de l’Ouest, a fourni une assistance pour des recherches complémentaires et pour la révision. Le rapport a été traduit en français par Sarah Leblois ; la révision de la traduction a été effectuée par Peter Huvos, responsable de la section française du site Internet de Human Rights Watch, ainsi que par Matt Wells, Marianna Enamoneta et Nora Sturm, stagiaire à Human Rights Watch. John Emerson a réalisé les cartes. Grace Choi, directrice des publications, et Fitzroy Hepkins, responsable de la gestion du courrier, ont préparé le rapport en vue de sa publication.
Human Rights Watch tient à remercier toutes les personnes qui ont aidé à mettre en relation son chercheur et diverses personnes impliquées dans des conflits fonciers liés à la crise postélectorale. Les chefs de village et les représentants des différentes communautés ethniques et immigrées dans l’ouest de la Côte d’Ivoire ont été presque sans exception remarquablement généreux en faisant bénéficier Human Rights Watch de leur temps et de leur sagesse. Les responsables gouvernementaux locaux nous ont également accordé beaucoup de temps et nous ont considérablement aidés en partageant leurs connaissances. Les membres du comité foncier sous-préfectoral de Duékoué, qui a autorisé Human Rights Watch à assister à des audiences concernant des conflits fonciers, méritent des remerciements spéciaux. De même, Human Rights Watch a beaucoup apprécié la collaboration du Regroupement des Acteurs Ivoiriens des Droits Humains (RAIDH) à ce projet de recherche.
Human Rights Watch est particulièrement redevable aux victimes de dépossession de terres, tant après le conflit armé de 2002-2003 qu’après la crise postélectorale de 2010-2011, qui ont accepté de faire connaître leurs histoires. Ces victimes veulent pour l’essentiel la restitution de leurs terres et la justice, non la vengeance. Si le gouvernement ivoirien garantissait des mesures efficaces pour traiter leurs demandes, cela pourrait contribuer dans une large mesure à mettre fin à la violence intercommunautaire dont souffre depuis longtemps l’ouest de la Côte d’Ivoire.
Annexe I : Courrier de Human Rights Watch au gouvernement ivoirien
Washington, le 21 août 2013
M. Daniel Kablan Duncan
Premier Ministre
Boulevard Angoulvant, Plateau
Abidjan
Côte d’Ivoire
Monsieur le Premier Ministre,
Nous vous écrivons afin de solliciter une réaction officielle du gouvernement ivoirien aux principaux constats issus de nos recherches sur les conflits fonciers dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. Nous avons effectué des recherches dans environ 50 villages dans l’ouest du pays en février et en juin 2013, et nous avons également interrogé des réfugiés ivoiriens au cours d’une mission menée en décembre 2012 dans le comté de Grand Gedeh, au Libéria. Nous espérons pouvoir incorporer les réponses du gouvernement ivoirien dans un rapport que nous publierons début octobre.
Au cours de nos recherches, nous avons eu le plaisir de porter certaines de nos constatations préliminaires à la connaissance du ministre de l’Agriculture Mamadou Coulibaly ; du ministre de l’Intérieur Hamed Bakayoko ; du ministre de la Justice Gnénéma Coulibaly ; et de conseillers à la présidence ainsi qu’au bureau du Premier ministre. Nous avons également eu le plaisir de nous entretenir avec plusieurs sous-préfets et d’autres responsables gouvernementaux locaux dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. Nous continuons d’apprécier la disponibilité de votre gouvernement pour des entretiens sur les questions de droits humains et nous serions heureux de poursuivre ce dialogue constructif.
Nos recherches ont permis d’établir que la spoliation de terres a eu lieu à une grande échelle dans les régions de Cavally et de Guémon dans le contexte de la crise postélectorale ivoirienne. Nous avons documenté plus de 100 incidents dans lesquels des membres de la population « autochtone », qui avaient été déplacés de ces régions par le conflit et s’étaient réfugiés soit au Libéria soit à l’intérieur de la Côte d’Ivoire, étaient revenus sur leurs terres et avaient constaté que celles-ci étaient occupées illégalement, partiellement ou totalement, par des populations « allogènes ». En nous fondant sur des entretiens avec des victimes, des chefs coutumiers et des sous-préfets dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, nous estimons que les dossiers que nous avons documentés ne représentent qu’un faible pourcentage de tous les cas de spoliation de terres qui se sont produits alors que de nombreuses personnes étaient déplacées par le conflit. Ces problèmes paraissent particulièrement graves dans le département de Bloléquin. En général, les victimes de la dépossession de terres appartiennent à des groupes ethniques qui, traditionnellement, soutenaient l’ancien président Laurent Gbagbo lors des élections, notamment les Guérés; et les personnes qui occupent leurs terres sont souvent des « allogènes » ou « allochtones ».
Nous avons pris note de la position du Front populaire ivoirien (FPI), qui a fréquemment laissé entendre que la terre des groupes ethniques pro-Gbagbo avait été confisquée de force par des Burkinabés armés, soutenus par les Forces républicaines. La majorité des cas que nous avons documentés ne cadrent pas avec cette description. Au contraire, l’exemple typique des cas de spoliation de terres liés à la crise postélectorale semble être, selon les cas que nous avons documentés, la vente illicite des terres d’une personne déplacée, effectuée par une autre personne appartenant au même groupe ethnique. Nous avons documenté de nombreux cas dans lesquels un Guéré déplacé par le conflit était revenu sur ses terres et avait constaté qu’un autre Guéré – souvent originaire d’un autre village mais parfois membre de sa propre famille – les avait vendues illicitement à un Burkinabé arrivé dans le village juste après la crise postélectorale. Beaucoup de ces cas se résument à un vol ou une fraude caractérisée de la part du vendeur, qui n’avait aucun droit sur les terres en question, et à de la mauvaise foi de la part de l’acquéreur, qui a acheté les terres dans des conditions qui auraient dû conduire une personne raisonnable à mettre en doute le droit de propriété du vendeur. Les acheteurs ont souvent acquis les terres auprès de personnes jeunes et l’ont fait clandestinement, en tenant à l’écart les autorités coutumières ou même les responsables locaux de la communauté allogène. Même si ces cas de ventes frauduleuses de terres ne cadrent pas avec la description d’appropriations par la force faite par le FPI, ils n’en sont pas moins problématiques pour le véritable propriétaire qui n’a plus accès à sa terre, plus de deux ans après la crise.
Dans une minorité de cas, nous avons documenté des occupations illégales de terres dont le caractère hostile était plus marqué. Dans certains de ces cas, des « allogènes » ou « allochtones » à qui plusieurs hectares avaient été précédemment cédés de plein gré, ont profité du déplacement du propriétaire pour s’emparer illégalement de plusieurs hectares supplémentaires que le propriétaire ne leur avait jamais vendus ni cédés. Dans quatre autres cas, tous constatés à proximité de la forêt classée de Goin-Débé, nous avons documenté des appropriations illicites de terres dans lesquelles les occupants se sont présentés comme étant d’anciens combattants des forces pro-Ouattara et ont affirmé que leur saisie de dizaines d’hectares de forêt vierge appartenant à une autre personne était leur « récompense » pour avoir combattu. Tous ces incidents se sont produits près de Goin-Débé mais concernaient des terres appartenant à des particuliers, en dehors des zones forestières classées; notre travail de recherche n’était pas centré sur les forêts classées, qui sont du domaine public, mais plutôt sur les terres appartenant à des personnes privées.
En général, les personnes que nous avons interrogées ont indiqué que les Forces républicaines restaient neutres dans les litiges fonciers. Des personnes interrogées, même si elles appartenaient à des groupes ethniques traditionnellement pro-Gbagbo, ont affirmé que les militaires de la région ne s’étaient pas mêlés des conflits fonciers, et que quand des « allogènes » avaient fait des démarches auprès des militaires en espérant qu’ils soutiendraient des membres des groupes traditionnellement pro-Ouattara, les militaires leur avaient conseillé de s’adresser au sous-préfet pour toute question relative à un conflit foncier – ce qui constitue une réaction neutre et appropriée. En fait, les habitants de l’ouest de la Côte d’Ivoire ont généralement fait état d’une diminution des violations des droits humains par les Forces républicaines, à l’exception du problème de l’extorsion de fonds. De nombreuses personnes, y compris des Guérés, ont indiqué que la situation en matière de sécurité s’était améliorée au cours de l’année écoulée, parallèlement à la diminution des violations des droits humains. Nous nous réjouissons de ces améliorations de la situation des droits humains et du rôle joué dans ce domaine par le gouvernement ivoirien.
Cependant, nous sommes profondément préoccupés par les conséquences potentielles en matière de droits humains de spoliations de terres liées au phénomène du déplacement. L’impossibilité dans laquelle se trouvent de nombreux Guérés d’accéder à leurs terres a de graves conséquences sur leur droit à la nourriture et à un niveau de vie suffisant et représente clairement une violation de leurs droits à la propriété et de leurs droits en tant que réfugiés qui rentrent au pays. Les conflits liés à la terre, comme vous le savez bien, ont été une des causes profondes des violences en Côte d’Ivoire, en particulier dans l’Ouest. Nous avons documenté les liens directs existant entre les attaques transfrontalières de mars 2013 à Zilebly et à Petit-Guiglo et ces disputes concernant la propriété foncière, même si elles peuvent aussi avoir eu des motifs politiques. Nous avons également documenté plusieurs affrontements intercommunautaires survenus en 2013 et liés à des affaires de vente illicite de terres pendant le déplacement des propriétaires. Ces spoliations de terres menacent de susciter de nouvelles violences à l’avenir, que ce soit entre communautés Guéré ou entre les Guérés et les populations « allogènes ».
Nous sommes convaincus qu’il est essentiel d’assurer la restitution des terres revendiquées par les personnes ayant été victimes de dépossession, afin de mettre fin au cycle de la violence dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. Nous considérons comme un élément encourageant le projet du gouvernement de s’atteler cette année à la réforme relative au domaine foncier rural, mais nous pensons que le problème de spoliation de terres dans l’ouest de la Côte d’Ivoire exigera un engagement significatif et de longue haleine du gouvernement afin de trouver des solutions adaptées à chaque cas.
Nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec des membres de comités villageois et sous-préfectoraux chargés des litiges fonciers dans l’ouest de la Côte d’Ivoire et nous estimons encourageante la détermination de beaucoup d’entre eux à résoudre ces conflits. Toutefois, de nombreux membres de ces comités ont affirmé n’avoir reçu que très peu, voire pas du tout d’aide de la part du gouvernement national, ce qui réduit leur capacité de résoudre efficacement les demandes de restitution de terres.
En outre, de nombreux habitants de l’ouest de la Côte d’Ivoire ont exprimé leur déception face au manque de progrès des opérations de délimitation des terroirs villageois. Ils estiment que l’établissement par le gouvernement de limites claires réduirait grandement le problème des ventes frauduleuses de terres. L’absence de mesures visant à vérifier et à délimiter les terroirs villageois date de bien avant l’arrivée du gouvernement Ouattara mais il semble que celui-ci a fait peu de progrès dans cette voie depuis son arrivée au pouvoir il y a deux ans et demi.
De nombreux résidents de l’ouest de la Côte d’Ivoire ont également exprimé leur déception au sujet de l’impunité totale dont bénéficient ceux qui se sont livrés à des ventes frauduleuses. De nombreux Guérés, par exemple, ont exigé des sanctions pénales à l’encontre d’autres Guérés qui ont effectué ce type de vente. Et pourtant, aucune des personnes interrogées par Human Rights Watch – qu’il s’agisse de personnes dépossédées de leurs terres, de membres des autorités coutumières ou de sous-préfets – n’a pu mentionner la moindre affaire liée à la crise postélectorale dans laquelle les autorités avaient infligé une peine de prison ou même une amende pour une vente frauduleuse de terres. En fait, les responsables gouvernementaux locaux ont indiqué qu’ils préféraient éviter le recours à la gendarmerie et aux autorités judiciaires.
Nous estimons, comme de nombreux résidents de l’ouest de la Côte d’Ivoire que nous avons interrogés, qu’il s’agit là d’une position erronée. Les auteurs des ventes frauduleuses et les acheteurs de mauvaise foi tirent de larges profits de leurs actes illégaux et ne sont pas inquiétés; en revanche, les véritables propriétaires doivent constamment engager des frais pour essayer de faire entendre leurs revendications. Beaucoup n’ont toujours pas accès à leurs terres, deux ans après la fin du conflit. Tant que cette impunité durera, les ventes illicites risquent de se poursuivre et de provoquer de nouveaux conflits fonciers.
Comme nous l’avons souligné au début de cette lettre, nous prévoyons de publier un rapport à ce sujet début octobre. Nous souhaitons refléter au mieux la position du gouvernement, en lui donnant l’occasion de commenter nos principaux constats, en plus des réponses que nous avons déjà reçues lors de rencontres avec des responsables gouvernementaux.
En raison de notre calendrier de publication, nous vous serions reconnaissants si vous pouviez répondre par écrit aux questions ci-dessous d’ici au 6 septembre.
- Comment le gouvernement prévoit-il de s’occuper des allégations généralisées de spoliation de terres liées à la crise postélectorale dans l’ouest de la Côte d’Ivoire?
- Quelles mesures le gouvernement a-t-il prises ou prévoit-il de prendre concernant la spoliation de terres dont les propriétaires sont toujours réfugiés au Libéria?
- Quelles consultations le gouvernement a-t-il tenues, ou prévoit-il de tenir, avant d’entamer le processus de réforme de la loi de 1998 relative au domaine foncier rural? Quels groupes de population ont été consultés jusqu’ici ou seront consultés à l’avenir?
- Quels aspects de la loi de 1998 relative au domaine foncier rural devraient être réformés, selon le gouvernement, de sorte que la loi reconnaisse pleinement et garantisse toutes les formes de droit à la terre, y compris les droits traditionnels et collectifs, ainsi que les droits relatifs aux terres considérées comme sacrées par certaines communautés locales?
- Quelles mesures le gouvernement a-t-il prises pour entamer la délimitation des terroirs villageois, y compris dans l’ouest de la Côte d’Ivoire? Quand le gouvernement pense-t-il pouvoir achever cette tâche? Quels sont les facteurs, s’ils existent, qui retardent les progrès du gouvernement dans cette entreprise?
- Quelle assistance financière ou technique le gouvernement central a-t-il fournie aux comités villageois ou sous-préfectoraux de gestion foncière rurale qui s’efforcent de résoudre les litiges causés par la spoliation de terres? Quels sont les facteurs, s’ils existent, qui limitent la capacité du gouvernement à financer et à aider efficacement ces comités dans leur travail?
- Le gouvernement envisage-t-il que la justice pénale puisse jouer un rôle dans les cas où une personne aura agi frauduleusement en vendant des terres qui ne lui appartenaient pas? Si oui, le gouvernement a-t-il donné aux autorités locales l’instruction de saisir la gendarmerie ou la police judiciaire des affaires de ventes de terres potentiellement frauduleuses? Sinon, quelle est la raison de la réticence à saisir la justice pénale des cas de fraude et de vol portant sur les propriétés foncières?
- Quels frais doit-on acquitter actuellement pour obtenir un certificat foncier et, au-delà, un titre foncier en bonne et due forme? Le gouvernement a-t-il envisagé de réduire ces frais, afin de rendre le processus d’obtention de ces documents plus abordable pour les habitants des zones rurales de Côte d’Ivoire?
- Quelle est la position du gouvernement sur les droits de propriété détenus par des étrangers qui ont souvent versé d’importantes sommes d’argent pour acquérir des terres avant l’adoption de la loi de 1998 relative au domaine foncier rural? Dans quelle mesure la loi de 1998 a-t-elle affecté les droits de ces immigrés sur ces terres, en particulier lorsqu’ils ont payé un prix calculé à l’hectare? Ont-ils un droit de propriété, ou seulement un bail à long terme ou un accord de location?
Nous vous remercions à nouveau pour l’esprit d’ouverture dont a fait preuve votre gouvernement sur les questions de droits humains, et il nous tarde de recevoir votre réponse sur les sujets importants soulevés dans cette lettre. Si vous avez des questions, veuillez nous contacter par courriel à wellsm@hrw.org ou par fax au +1-212-736-1300. Comme nous l’avons indiqué, une réponse de votre part d’ici au 6 septembre permettrait à Human Rights Watch de mieux incorporer la perspective du gouvernement dans notre rapport. Nous vous remercions par avance.
Veuillez agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de notre haute considération.
Matt Wells, Chercheur sur la Côte d’Ivoire
Human Rights Watch
Corinne Dufka, Directrice de projets, Afrique de l’Ouest
Human Rights Watch
CC – M. Hamed Bakayoko, Ministre de l’Intérieur
CC – M. Gnénéma Coulibaly, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux
CC – M. Mamadou Sangafowa Coulibaly, Ministre de l’Agriculture
CC – M. Marcel Amon-Tanoh, Directeur de cabinet du Président de la République
CC – Me Mamadou Diané, Conseiller du Président de la République chargé des Droits de l’Homme et des Affaires Humanitaires
Annexe II : Réponse du gouvernement ivoirien
[1] Un campement est un groupe de maisons construites dans ou à côté des forêts où travaillent les personnes. Les villages dans l’ouest de la Côte d’Ivoire se trouvent généralement le long des routes principales qui traversent la région. Les terres sur lesquelles les habitants plantent des cultures commerciales sont souvent à 5, 10, voire 20 kilomètres du village. Ils ont donc construit des campements pour y vivre pendant qu’ils travaillent sur les terres. Les campements font techniquement partie des villages, mais ils en sont géographiquement séparés.
[2] Global IDP Project et Conseil norvégien pour les réfugiés (Norwegian Refugee Council, NRC), « Déplacements internes en Côte d’Ivoire : une crise de protection », 7 novembre 2005, p. 4, http://www.internal-displacement.org/8025708F004BE3B1/%28httpInfoFiles%29/B0E1739AC9189E86C12570D6003D648B/$file/CDI%20rapport%20FR_final.pdf (consulté le 28 août 2013).
[3] Nordiska Afrikainstitutet, « Les racines de la crise militaro-politique en Côte d’Ivoire », rapport nº 128, 2004, p. 11 (qui note également qu’un peu plus de 50 pour cent des immigrés venaient du Burkina Faso).
[4] Jean-Pierre Chauveau et Koffi Samuel Bobo, « La crise de la ruralité en Côte d’Ivoire forestière : Ethnicisation des tensions foncières, conflits entre générations et politique de libéralisation », dans Frontières de la citoyenneté et violence politique en Côte d’Ivoire, 2008, p. 105-123.
[5] Voir Richard Banégas, « Côte d’Ivoire : Patriotism, ethnonationalism and other African modes of self-writing », African Affairs, 105/421 (2006), p. 539 ; et Jean-Pierre Chaveau, « Question foncière et construction nationale en Côte d’Ivoire », Politique africaine, nº 78, juin 2000.
[6] Voir le rapport de l’Observatoire des situations de déplacements internes (Internal Displacement Monitoring Centre, IDMC) et du Conseil norvégien pour les réfugiés (Norwegian Refugee Council, NRC), « À qui sont ces terres ? Conflits fonciers et déplacement des populations dans l’Ouest forestier de la Côte d’Ivoire », octobre 2009, p. 11, http://www.internal-displacement.org/countries/cotedivoire/reports/CDI_SCR_Nov09_fr.pdf (consulté le 28 août 2013) ; et Jean-Pierre Chauveau et Paul Richards, « West African Insurgencies in Agrarian Perspective: Côte d’Ivoire and Sierra Leone Compared », Journal of Agrarian Change, vol. 8(4), octobre 2008, p. 525 et 531.
[7] Un tour d’horizon succinct de cette période est disponible dans Thomas Hofnung, La Crise Ivoirienne : Dix clés pour comprendre (Paris : La Découverte, 2005), p. 29-31. Voir aussi International Crisis Group, « Côte d’Ivoire : ‘The War is Not Yet Over’ », rapport sur l’Afrique nº 72, 28 novembre 2003, http://www.crisisgroup.org/en/regions/africa/west-africa/cote-divoire/072-cote-divoire-the-war-is-not-yet-over.aspx (consulté le 28 août 2013), p. 2-3.
[8] Daniel Schwartz, « Alassane Ouattara: Inaugurated as Ivory Coast president after long standoff with former leader », CBC News, 21 mai 2011, http://www.cbc.ca/news/world/alassane-ouattara-1.1017806 (consulté le 23 septembre 2013); et Human Rights Watch, « Le nouveau racisme : La manipulation politique de l’ethnicité en Côte d’Ivoire », vol. 13, nº 6(A), août 2001, http://www.hrw.org/fr/reports/2001/08/28/le-nouveau-racisme.
[9] IDMC et NRC, « À qui sont ces terres ? », octobre 2009, p. 12.
[10] Loi nº 98-750 du 23 décembre 1998 modifiée par la loi du 28 juillet 2004, http://www.droit-afrique.com/images/textes/Cote_Ivoire/RCI%20-%20Domaine%20foncier%20rural.pdf (consulté le 28 août 2013).
[11] Voir IDMC et NRC, « À qui sont ces terres ? », octobre 2009 ; ONUCI, section État de droit, Le Domaine Foncier Rural et la Loi nº 98-750 du 23 décembre 1998 (rapport interne des Nations Unies obtenu par Human Rights Watch) ; Jean-Pierre Chauveau, « Question foncière et construction nationale en Côte d’Ivoire. Les enjeux silencieux d’un coup d’État », Politique africaine, 17 (2000), p. 94-125 ; Institut Africain pour le Développement Économique et Social (INADES), Regards sur … Le Foncier Rural en Côte d’Ivoire (Abidjan : Les Éditions du CERAP, 2003) ; et United States Agency for International Development (USAID), « Côte d’Ivoire: Property Rights and Resource Governance », mai 2013, http://usaidlandtenure.net/sites/default/files/country-profiles/full-reports/USAID_Land_Tenure_Cote_d%27Ivoire_Profile.pdf (consulté le 28 août 2013).
[12] IDMC et NRC, « À qui sont ces terres ? », octobre 2009, p. 14 et 17.
[13] Idem, p. 14.
[14] Idem.
[15] Idem.
[16] Pour lire une analyse de l’institution du gardiennage des terres ou « tutorat », voir Chauveau et Richards, « West African Insurgencies in Agrarian Perspective », Journal of Agrarian Change, p. 525 (« Le tutorat, fréquemment rencontré dans les sociétés rurales en Afrique de l’Ouest, est un système institutionnel agraire qui permet de réglementer les relations entre primo-arrivants et nouveaux venus...Un point essentiel à souligner est que les transferts de terre et les dimensions socio-politiques du tutorat sont intimement liés ; en tant qu’institution sociale, le tutorat réglemente à la fois le transfert des droits fonciers et l’intégration des ‘étrangers’ dans la communauté locale. » Source en anglais) ; et Jean-Pierre Chauveau, « How Does an Institution Evolve? Land, Politics, Intergenerational Relations and the Institution of the Tutorat between Autochthons and Migrant Farmers in the Gban Region (Côte d’Ivoire) », dans Richard Kuba et Carola Lentz, éds., Land and the Politics of Belonging in West Africa (Leiden : Brill, 2006), p. 213-240.
[17] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des anciens de villages, ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013. Voir aussi IDMC et NRC, « À qui sont ces terres ? », octobre 2009, p. 14.
[18] IDMC et NRC, « À qui sont ces terres ? », octobre 2009, p. 15. Voir aussi Chauveau et Richards, « West African Insurgencies in Agrarian Perspective », Journal of Agrarian Change, p. 529 (qui indique que « la tendance à accroître et monnayer les obligations sociales en échange de l’accès à la terre a encouragé l’idée parmi les migrants qu’ils avaient procédé à une transaction d’achat-vente. » Source en anglais).
[19] Loi nº 98-750 du 23 décembre 1998 modifiée par la loi du 28 juillet 2004, art. 2-4, 6-8.
[20] Idem, art. 4.
[21] IDMC et NRC, « À qui sont ces terres ? », octobre 2009, p. 6.
[22] Ange Aboa, « Ivory Coast lawmakers pass critical land, nationality laws », Reuters, 23 août 2013. Human Rights Watch dispose d’un exemplaire du projet de loi voté par l’Assemblée nationale, intitulé Projet de loi relative au délai accordé pour la constatation des droits coutumiers sur les terres du domaine coutumier et portant modification de l’article 6 de la loi nº 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural, telle que modifiée par la loi nº 2005-412 du 14 août 2004.
[23] Loi nº 98-750 du 23 décembre 1998 modifiée par la loi du 28 juillet 2004, art. 1.
[24] IDMC et NRC, « À qui sont ces terres ? », octobre 2009, p. 18.
[25] Idem.
[26] Loi nº 61-415 du 14 décembre 1961 portant Code de la Nationalité Ivoirienne, modifiée par la loi nº 72-852 du 21 décembre 1972, art. 6-7.
[27] IDMC et NRC, « À qui sont ces terres ? », octobre 2009, p. 19.
[28] Alfred Babo, « The Crisis of Public Policies in Côte d’Ivoire: Land Law and the Nationality Trap in Tabou’s Rural Communities », Africa: The Journal of the International African Institute, vol. 83(1), février 2013, p. 107.
[29] Idem. (Source en anglais.)
[30] Human Rights Watch, « Prise entre deux guerres : Violence contre les civils dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire », vol. 15, nº14(A), août 2003, http://www.hrw.org/fr/reports/2003/08/05/prise-entre-deux-guerres, p. 9-12. Pour lire une analyse des politiques de Gbagbo discriminatoires à l’égard des Ivoiriens du Nord et des immigrés, voir International Crisis Group, « Côte d’Ivoire : ‘The War is Not Yet Over’ », p. 7-8.
[31] Human Rights Watch, « Prise entre deux guerres » ; et Human Rights Watch, « Youth, Poverty and Blood: The Lethal Legacy of West Africa’s Regional Warriors », vol. 17, nº 5(A), avril 2005, http://www.hrw.org/reports/2005/04/13/youth-poverty-and-blood. Voir aussi International Crisis Group, « Côte d’Ivoire: ‘The War is Not Yet Over’ », p. 21-25.
[32] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des immigrés burkinabés, ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013.
[33] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des immigrés burkinabés, ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013. Voir aussi « Increased Returns of Internally Displaced Persons Require More Funding », communiqué de presse de l’Organisation internationale pour les migrants (IOM), 9 mai 2007, http://allafrica.com/stories/200705080563.html (consulté le 29 août 2013).
[34] Global IDP Project et NRC, « Déplacements internes en Côte d’Ivoire », novembre 2005, p. 12.
[35] « Increased Returns of Internally Displaced Persons Require More Funding », IOM, 9 mai 2007.
[36] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des immigrés burkinabés, ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013.
[37] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des immigrés burkinabés, ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013, et par des représentants d’organisations humanitaires, Abidjan et ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013. Voir aussi Interpeace, « Dynamiques et Capacités de Gestion des Conflits à l’Ouest de la Côte d’Ivoire : Le cas des Régions du Cavally et du Guémon », janvier 2013, http://www.ci.undp.org/publication/Ivoire%20-%20March2013.pdf (consulté le 29 août 2013), p. 33.
[38] Un département en Côte d’Ivoire est une région administrative sous l’autorité d’un préfet. Il comprend généralement plusieurs régions administratives plus petites appelées sous-préfectures, qui sont à leur tour sous l’autorité d’un sous-préfet. Les préfets et les sous-préfets sont des représentants du pouvoir exécutif pour leur région spécifique. Voir l’Ordonnance nº 2011-262 du 28 septembre 2011 portant orientation de l’organisation générale de l’Administration Territoriale de l’État, http://www.dgddl.interieur.gouv.ci/?page=cadre&cat=ordonnances (consulté le 3 septembre 2013).
[39] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des immigrés burkinabés, ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013.
[40] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des immigrés burkinabés, ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013, et par des représentants d’organisations humanitaires, Abidjan et ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013.
[41] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des immigrés burkinabés, ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013, et par des représentants d’organisations humanitaires, Abidjan et ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013.
[42] Interpeace, « Dynamiques et Capacités de Gestion des Conflits à l’Ouest de la Côte d’Ivoire », janvier 2013, p. 33.
[43] Idem. L’Accord invitait également les allogènes et les allochtones à vivre dans le village avec les Guérés, plutôt que dans leurs campements, et à faire avec la population autochtone un partage 2/3-1/3 des terres qu’ils avaient détenues à l’intérieur des forêts classées. Étant donné qu’il est illégal de détenir à titre privé des terres au sein des forêts classées, qui appartiennent à l’État, cette disposition était étrange car elle régularisait et reconnaissait officiellement ce qui constituait une infraction. Elle contredisait aussi directement les Principes Pinheiro, en cela que les Guérés s’appropriaient un tiers des possessions des allogènes et des allochtones sans aucune restitution. Voir IDMC et NRC, « À qui sont ces terres ? », octobre 2009, p. 31.
[44] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef de communauté burkinabé, Bloléquin, 8 juin 2013.
[45] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef de communauté malien, Duékoué, 6 février 2013.
[46] Human Rights Watch, « Terrorisés et abandonnés : L’anarchie, le viol et l’impunité dans l’ouest de la Côte d’Ivoire », 22 octobre 2010, http://www.hrw.org/fr/reports/2010/10/22/terroris-s-et-abandonn-s ; et Human Rights Watch, « “Ils les ont tués comme si de rien n’était” : Le besoin de justice pour les crimes post-électoraux en Côte d’Ivoire », 6 octobre 2011, http://www.hrw.org/fr/reports/2011/10/05/ils-les-ont-tu-s-comme-si-de-rien-n-tait.
[47] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef de communauté burkinabé, Bloléquin, 8 juin 2013.
[48] Le fondement de la revendication de Gbagbo s’appuyait sur la décision du Conseil constitutionnel du 3 décembre 2010, présidé par Paul Yao N’Dré, un proche allié de Gbagbo, qui infirmait les résultats de la commission électorale et déclarait Gbagbo vainqueur. Le Conseil a annulé des centaines de milliers de suffrages des régions du Nord, où Ouattara avait obtenu un soutien considérable, au motif d’irrégularités de vote présumées. Lorsque le représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la Côte d’Ivoire a certifié les résultats de la commission électorale, il a aussi « certifié que la proclamation du Conseil constitutionnel [donnant Laurent Gbagbo vainqueur] ne se fondait pas sur les faits ». Y.J. Choi, « Statement on the second round of the presidential election held on 28 November 2010 », 8 décembre 2010, http://www.un.org/en/peacekeeping/missions/unoci/documents/unoci_pr_elections08122010.pdf (consulté le 29 août 2013), paragr. 11-15.
[49] Human Rights Watch, « Ils les ont tués comme si de rien n’était ».
[50] Commission nationale d’enquête (CNE), « Rapport d’enquête sur les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire survenues dans la période du 31 octobre 2010 au 15 mai 2011 », juillet 2012, http://www.fidh.org/IMG/pdf/cne_resume_rapport_d_enquete.pdf (consulté le 29 août 2013) ; Conseil des droits de l’homme de l’ONU « Rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante sur la Côte d’Ivoire », doc. ONU A/HRC/17/48, 1er juillet 2011, http://www.refworld.org/docid/4ee05cdf2.html (consulté le 29 août 2013) ; Human Rights Watch, « Ils les ont tués comme si de rien n’était » ; Amnesty International, « “Ils ont regardé sa carte d’identité et l’ont abattu” : retour sur six mois de violences post-électorales en Côte d’Ivoire », Index AI : AFR 31/002/2011, 25 mai 2011, http://www.amnesty.org/en/library/info/AFR31/002/2011/fr (consulté le 29 août 2013) ; Division des droits de l’homme de l’ONUCI, « Rapport sur les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises à l’Ouest de la Côte d’Ivoire », 10 mai 2011, UNOCI/HRD/2011/02, http://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/Rapport_sur_les_violations_des_droits_de_l_homme_a_l_Ouest.pdf (consulté le 29 août 2013).
[51] Idem.
[52] Division des droits de l’homme de l’ONUCI, « Rapport sur les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises à l’Ouest de la Côte d’Ivoire », 10 mai 2011, p. i.
[53] Idem.
[54] Human Rights Watch, « Ils les ont tués comme si de rien n’était », p. 69-71, 98-102.
[55] Voir UN OCHA, « Mid-Year Review of the Consolidated Appeal for Liberia 2012 », 12 juillet 2012, http://www.unocha.org/cap/appeals/mid-year-review-consolidated-appeal-liberia-2012 (consulté le 29 août 2013), p. 1.
[56] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des représentants d’organisations humanitaires, comté de Grand Gedeh, Liberia, avril 2011 et décembre 2012.
[57] « More than 300,000 still displaced in Côte d’Ivoire; 200,000 remain overseas », UNHCR News Stories, 14 juin 2011, http://www.unhcr.org/4df7786d6.html (consulté le 29 août 2013) (faisant état de 132 188 PDI dans l’ouest de la Côte d’Ivoire).
[58] UNHCR, « Réfugiés en Liberia : Portail de partage de l’Information », http://data.unhcr.org/liberia/regional.php (consulté le 29 août 2013).
[59] Entretiens accordés à Human Rights Watch, comté de Grand Gedeh, Liberia, décembre 2012.
[60] Voir Human Rights Watch, « “Bien loin de la réconciliation” : Répression militaire abusive en réponse aux menaces sécuritaires en Côte d’Ivoire », 19 novembre 2012, http://www.hrw.org/fr/reports/2012/11/19/bien-loin-de-la-reconciliation ; Amnesty International, « Côte d’Ivoire : La loi des vainqueurs : La situation des droits humains deux ans après la crise post-électorale », Index AI : AFR 31/001/2013, 26 février 2013, http://www.amnesty.org/en/library/info/AFR31/001/2013/fr (consulté le 29 août 2013) ; et ONUCI, « Compte-rendu du point de presse hebdomadaire du 11 août 2011 », http://www.onuci.org/spip.php?article6258 (consulté le 29 août 2013), p. 2 (faisant état de « 26 cas d’exécutions [...] sommaires [et] 85 cas d’arrestations arbitraires et de détentions illégales » entre le 11 juillet et le 10 août 2011).
[61] Amnesty International, « Côte d’Ivoire : La loi des vainqueurs », p. 42-57.
[62] FIDH, « Côte d’Ivoire : la justice pour combattre les violations des droits de l’Homme et l’insécurité », 28 mars 2013, http://www.fidh.org/Cote-d-Ivoire-la-justice-pour-12352 (consulté le 29 août 2013).
[63] « Côte d’Ivoire : Timides avancées judiciaires dans l’affaire de l’attaque du camp de Nahibly », communiqué de presse de la FIDH, 27 mars 2013, http://www.fidh.org/Cote-d-Ivoire-Timides-avancees-judiciaires-dans-l-affaire-de-l-attaque-du-13103 (consulté le 29 août 2013). Voir aussi « Côte d’Ivoire : ouverture d’une enquête sur les morts de la fosse commune de Duékoué », Radio France Internationale, 13 octobre 2012, http://www.rfi.fr/afrique/20121013-cote-ivoire-morts-fosse-commune-duekoue-nahibly-disparus-enquete (consulté le 28 août 2013).
[64] Zoumana Coulibaly et Raoul Sainfort, « Conférence de presse bilan du chef de l’État : Alassane Ouattara : “Nous avons déployé des moyens importants pour sécuriser l’Ouest” », Le Patriote, 6 mai 2013, http://news.abidjan.net/h/458845.html (consulté le 29 août 2013) : et « Côte d’Ivoire : le foncier et la nationalité au cœur de la réforme du président Ouattara », Radio France Internationale, 6 mai 2013, http://www.rfi.fr/afrique/20130506-cote-ivoire-foncier-nationalite-deux-axes-reforme-president-ouattara (consulté le 29 août 2013).
[65] Ange Aboa, « Ivory Coast lawmakers pass critical land, nationality laws », Reuters, 23 août 2013.
[66] À différents moments dans l’histoire de la Côte d’Ivoire, y compris entre 1961 et 1973 et en 2005-2006, la possibilité d’obtenir la citoyenneté a été ouverte aux mêmes groupes de personnes que ceux qui font l’objet des lois de 2013. C’était un élément essentiel de l’accord de paix de Linas-Marcoussis de 2003. Voir le texte de l’Accord de Linas-Marcoussis, 24 janvier 2003, http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/cote-d-ivoire/colonne-droite-1347/documents-de-reference/article/accord-de-linas-marcoussis (consulté le 30 août 2013), annexe, paragr. 1-3. Pour lire un décret de juillet 2005 du président Gbagbo qui a ouvert la procédure de naturalisation pendant une année, voir Décision nº 2005-04/PR du 15 juillet 2005 portant dispositions spéciales en matière de naturalisation, http://www.refworld.org/docid/452511b84.html (consulté le 30 août 2013). Que ce soit en raison d’une mauvaise diffusion des lois applicables, de la difficulté de la procédure de naturalisation, des barrières érigées par les fonctionnaires du gouvernement à l’époque ou du manque d’intérêt des populations concernées, peu de bénéficiaires potentiels ont accompli les démarches.
[67] Loi portant dispositions particulières en matière d’acquisition de la nationalité par déclaration http://www.assnat.ci/sites/default/files/PROJET%20DE%20LOI%20ACQUISITION%20DE%20LA%20NATIONALITE.pdf (consulté le 19 septembre 2013) ; et Ange Aboa, « Ivory Coast lawmakers pass critical land, nationality laws », Reuters, 23 août 2013.
[68] Loi portant dispositions particulières en matière d’acquisition de la nationalité par déclaration, arts. 3-7.
[69] Voir « La CSCI et SOS Exclusion demandent le report du vote de la loi sur l’apatridie », Agence Ivoirienne de Presse, 11 août 2013, http://news.abidjan.net/h/467649.html (consulté le 29 août 2013) ; « Côte d’Ivoire : lois sur la nationalité, ‘une bombe à retardement’ (opposant) », Agence France-Presse, 26 août 2013, http://news.abidjan.net/h/469998.html (consulté le 29 août 2013) ; et « Projets de lois sur la nationalité et le Foncier rural : Voici la position du MFA », Le Démocrate, 16 août 2013, http://news.abidjan.net/h/468971.html (consulté le 29 août 2013).
[70] Courrier de Gnénéma Coulibaly, ministre de la Justice, des Droits de l’Homme et des Libertés publiques, à Human Rights Watch, 13 septembre 2013, p. 9.
[71] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef de communauté burkinabé, Guiglo, 1er juin 2013.
[72] Entretien accordé à Human Rights Watch par un sous-préfet dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, lieu non divulgué, juin 2013.
[73] Entretien accordé à Human Rights Watch par un sous-préfet dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, lieu non divulgué, février 2013.
[74] Les sept sous-préfectures sont : Duékoué, Guiglo, Bloléquin, Bagohouo, Doké, Zéaglo et Péhé.
[75] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef de village, village situé entre Guiglo et Bloléquin, 2 juin 2013.
[76] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef de village, village situé entre Bloléquin et Péhé, 11 février 2013.
[77] Pour une description des différents types de régions administratives en Côte d’Ivoire, y compris les départements, voir la note de bas de page 38, plus haut.
[78] Entretiens accordés à Human Rights Watch, Abidjan, février 2013 et entretiens accordés à Human Rights Watch par des réfugiés ivoiriens, Grand Gedeh, Liberia, décembre 2012.
[79] Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique (Convention de Kampala), entrée en vigueur le 6 décembre 2012, art. 9(2)(i).
[80] Principes des Nations Unies sur la restitution des logements et des biens dans le cas des réfugiés et des personnes déplacées (ci-après Principes Pinheiro), doc. ONU E/CN.4/Sub.2/2005/17 (2005), rés. sous-com. approuvée 2005/21, doc. ONU E/CN.4/2006/2 à 39 (2006).
[81] Pour consulter une bonne analyse de l’historique et des fondements des Principes Pinheiro, ainsi qu’un guide pour leur mise en œuvre, voir FAO, IDMC, OCHA, OHCHR, UN-Habitat et UNCHR, « Manuel sur la restitution des logements et des biens des réfugiés et personnes déplacées : Pour la mise en œuvre des “Principes Pinheiro” », mars 2007, http://www.ohchr.org/Documents/Publications/pinheiro_principles_fr.pdf (consulté le 20 septembre 2013).
[82] Principes Pinheiro, principe 2.
[83] Courrier de Gnénéma Mamadou Coulibaly, ministre de la Justice, des Droits de l’Homme et des Libertés publiques, à Human Rights Watch, 13 septembre 2013, p. 5.
[84] Idem, p. 6.
[85] Human Rights Watch n’a rencontré qu’une seule propriétaire foncière rurale qui possédait un certificat foncier, qu’elle avait obtenu après la crise, et les responsables coutumiers et administratifs ont indiqué que moins de 1 pour cent de la population dans leurs régions avaient inscrit leur propriété au registre foncier. Entretiens accordés à Human Rights Watch, février et juin 2013.
[86] Entretiens accordés à Human Rights Watch, février et juin 2013.
[87] IDMC et NRC, « À qui sont ces terres ? », octobre 2009, p. 15 et note de fin nº 19.
[88] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef de village, ouest de la Côte d’Ivoire, 11 février 2013.
[89] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef de village, ouest de la Côte d’Ivoire, 12 février 2013.
[90] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef de communauté burkinabé, Guiglo, 1er juin 2013.
[91] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef de communauté du comité foncier de Duékoué, Duékoué, 4 février 2013.
[92] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime présumée de dépossession de terres du fait d’une vente illicite, Pohan-Badouebly, 11 février 2013.
[93] Entretien accordé à Human Rights Watch par un homme de 68 ans, victime présumée de dépossession de terres du fait d’une vente illicite, Douedy-Guézon, 7 juin 2013.
[94] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime présumée de dépossession de terres du fait d’une vente illicite, Tinhou, 11 février 2013.
[95] Entretien accordé à Human Rights Watch par un ancien d’un village, Fengolo, 10 février 2013.
[96] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime présumée de dépossession de terres du fait d’une vente illicite, Koadé-Guézon, 8 juin 2013.
[97] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des anciens de villages, des chefs de communauté et des responsables gouvernementaux locaux, ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013.
[98] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef de village, ouest de la Côte d’Ivoire, 9 février 2013.
[99] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef de communauté burkinabé, Bloléquin, 8 juin 2013.
[100] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef de communauté burkinabé, Guiglo, 1er juin 2013.
[101] Entretien accordé à Human Rights Watch par le sous-préfet de Doké, Doké, 11 février 2013.
[102] Convention de Kampala, art. 9(2) ; Principes Pinheiro.
[103] Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (Charte de Banjul), adoptée le 27 juin 1981, doc. de l’OUA CAB/LEG/67/3 rév. 5, 21 I.L.M. 58 (1982), entrée en vigueur le 21 octobre 1986, ratifiée par la Côte d’Ivoire le 6 janvier 1992, art. 14.
[104] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime présumée de rupture d’accord de location, Diahouin, 10 février 2013.
[105] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime présumée de rupture d’accord de location, Fengolo, 10 février 2013, et par une victime présumée de rupture d’accord de location, Oulaïtaïbly, 6 juin 2013.
[106] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime présumée de rupture d’accord de location, Fengolo, 10 février 2013.
[107] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime présumée de dépossession de terres du fait d’une extension illégale de propriété, Guinkin, 7 février 2013.
[108] Idem.
[109] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime présumée de dépossession de terres du fait d’une extension illégale de propriété, Petit-Guiglo, 5 juin 2013.
[110] Entretien accordé à Human Rights Watch par un homme âgé de 54 ans, victime présumée de dépossession de terres du fait d’une extension illégale de propriété, Dedjéan, 5 juin 2013.
[111] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime présumée de dépossession de terres du fait d’une extension illégale de propriété, Petit-Guiglo, 5 juin 2013.
[112] Entretiens accordés à Human Rights Watch par un chef burkinabé, Petit-Guiglo, 5 juin 2013, par un chef burkinabé, Dedjéan, 5 juin 2013 et par un chef burkinabé, Ladjikro, 2 juin 2013.
[113] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef de communauté burkinabé, Bloléquin, 8 juin 2013.
[114] Idem. La majorité des cas de dépossession de terres documentés par Human Rights Watch découlaient en effet de ventes illicites par un Guéré qui n’était pas le propriétaire des terres.
[115] Convention de Kampala, art. 9(2) ; Principes Pinheiro ; Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, art. 14.
[116] Idem.
[117] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des immigrés burkinabés, ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013, et par des représentants d’organisations humanitaires, Abidjan et ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013.
[118] Idem. Voir aussi Interpeace, « Dynamiques et Capacités de Gestion des Conflits à l’Ouest de la Côte d’Ivoire », janvier 2013, p. 33 ; et IDMC et NRC, « À qui sont ces terres ? », octobre 2009, p. 31.
[119] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef de communauté burkinabé, Bloléquin, 8 juin 2013.
[120] Entretien accordé à Human Rights Watch par un représentant d’une organisation humanitaire, ouest de la Côte d’Ivoire, 12 février 2013.
[121] Idem.
[122] Entretien accordé à Human Rights Watch par un habitant de Diboké qui a affirmé que ses terres ont été occupées de force par des Burkinabés armés, Diboké, 6 juin 2013.
[123] Idem.
[124] Entretien accordé à Human Rights Watch par un habitant de Médibly qui a affirmé que ses terres ont été occupées de force par des Burkinabés armés, Médibly, 12 février 2013.
[125] Convention de Kampala, art. 9(2) ; Principes Pinheiro ; Charte africaine des droits de l’homme et des peuples art. 14.
[126] Voir « Côte d’Ivoire : Actes d’extorsion commis par les forces de sécurité », communiqué de presse de Human Rights Watch, 1er juillet 2013, http://www.hrw.org/fr/news/2013/07/01/cote-d-ivoire-actes-d-extorsion-commis-par-les-forces-de-securite.
[127] Voir Human Rights Watch, « Ils les ont tués comme si de rien n’était », p. 84-102.
[128] Amnesty International, « Côte d’Ivoire : La loi des vainqueurs », FIDH, « Côte d’Ivoire : la justice pour combattre les violations des droits de l’Homme et l’insécurité », 28 mars 2013.
[129] Entretiens accordés à Human Rights Watch, ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013.
[130] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime présumée de dépossession de terres du fait d’une extension illégale de propriété, Diahouin, 12 février 2013.
[131] Entretiens accordés à Human Rights Watch, ouest de la Côte d’Ivoire, juin 2013.
[132] Par exemple, entretien accordé à Human Rights Watch par un habitant de Diboké qui a affirmé que sa terre a été occupée de force par des Burkinabés armés, Diboké, 6 juin 2013.
[133] Entretiens accordés à Human Rights Watch, ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013.
[134] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime d’attaque lors de son retour du campement, Diahouin, 12 février 2013, et entretien accordé à Human Rights Watch par une victime d’attaque sur le campement, Diboké, 6 juin 2013.
[135] Entretiens accordés à Human Rights Watch, ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013.
[136] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des habitants guérés, ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013.
[137] Entretien accordé à Human Rights Watch par un habitant, Dedjéan, 5 juin 2013.
[138] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des habitants, Petit-Guiglo, 5 juin 2013.
[139] Entretien accordé à Human Rights Watch par un habitant, Diahouin, 13 février 2013.
[140] Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, art. 8.
[141] Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, « Centre for Minority Rights Development (Kenya) and Minority Rights Group International on behalf of Endorois Welfare Council v Kenya », Communication 276/2003, adoptée par l’Union africaine le 4 février 2010, paragr. 168 (« Endorois Welfare Council v Kenya »).
[142] Idem, paragr. 173.
[143] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime présumée de dépossession de terres du fait d’une vente illicite, Goya, 11 février 2013.
[144] Entretien accordé à Human Rights Watch par un homme de 65 ans, victime présumée de dépossession de terres du fait d’une vente illicite, Douedy-Guézon, 7 juin 2013.
[145] Entretiens accordés à Human Rights Watch, Pohan-Badeoubly, 11 février et 3 juin 2013.
[146] Entretien accordé à Human Rights Watch par un homme de 60 ans, victime présumée de dépossession de terres du fait d’une vente illicite, Guinkin, 7 février 2013.
[147] Entretien accordé à Human Rights Watch par un homme de 47 ans, victime présumée de dépossession de terres du fait d’une vente illicite, Dedjéan, 5 juin 2013.
[148] Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), adopté le 16 décembre 1966, rés. de l’A.G. 2200A (XXI), 21 U.N. GAOR Supp. (nº 16) à 49, doc. ONU A/6316 (1966), 993 U.N.T.S. 3, entré en vigueur le 3 janvier 1976, ratifié par la Côte d’Ivoire le 26 mars 1992.
[149] Voir le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU, Observation générale nº 3 (cinquième session, 1990), « La nature des obligations des Etats parties (art. 2, par. 1, du Pacte) », http://www1.umn.edu/humanrts/gencomm/french/epcom3-f.htm (consulté le 25 septembre 2013).
[150] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime présumée de dépossession de terres du fait d’une vente illicite, Pohan-Badouebly, 3 juin 2013.
[151] Entretiens accordés à Human Rights Watch, villages dans le département de Bloléquin, juin 2013.
[152] Voir Human Rights Watch, « Ils les ont tués comme si de rien n’était ».
[153] Selon des habitants de Zilébly, son véritable nom est Oulaï Anderson Kohou, mais il est plus largement connu et désigné comme Oulaï Tako.
[154] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des victimes et des témoins de crimes perpétrés par Tako et ses hommes, département de Bloléquin, juin 2013.
[155] « Liberia : Des ennemis du gouvernement ivoirien ont mené des attaques et préparent de nouveaux raids », communiqué de presse de Human Rights Watch, 6 juin 2012, http://www.hrw.org/fr/news/2012/06/06/lib-ria-des-ennemis-du-gouvernement-ivoirien-ont-men-des-attaques-et-pr-parent-de-no.
[156] « Côte d’Ivoire : sept morts dans des affrontements près de la frontière avec le Liberia », Radio France Internationale, 14 mars 2013, http://www.rfi.fr/afrique/20130314-cote-ivoire-sept-morts-affrontements-pres-frontiere-liberia (consulté le 28 août 2013).
[157] Entretien accordé à Human Rights Watch, lieu non divulgué, juin 2013.
[158] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des habitants burkinabés qui ont vu les corps, Petit-Guiglo, 5 juin 2013.
[159] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des habitants guérés et burkinabés, Petit-Guiglo, 5 juin 2013. Voir aussi « Bloléquin : Le village de Petit-Guiglo attaqué, un quartier incendié », Agence Ivoirienne de Presse, 23 mars 2013, http://news.abidjan.net/h/455024.html (consulté le 28 août 2013).
[160] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des personnes qui ont vu les corps, Petit-Guiglo et Dedjéan, 5 juin 2013. Voir aussi « Côte d’Ivoire : après l’attaque de Petit-Guiglo, les habitants demandent la protection de l’armée », Radio France Internationale, 25 mars 2013, http://www.rfi.fr/afrique/20130325-cote-ivoire-apres-attaque-petit-guiglo-habitants-demandent-protection-armee (consulté le 28 août 2013).
[161] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef burkinabé, village proche du lieu des attaques, juin 2013.
[162] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des habitants et un témoin, Diboké, juin 2013.
[163] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des habitants, Zomplou, 11 février 2013.
[164] Entretien accordé à Human Rights Watch par un habitant, Zomplou, 11 février 2013.
[165] Principes Pinheiro, principe 10.
[166] UNHCR, « Réfugiés en Libéria : Portail de partage de l’Information ».
[167] Idem.
[168] Entretien accordé à Human Rights Watch par un représentant libérien qui travaille auprès de réfugiés, Zwedru, Liberia, 4 décembre 2012. En décembre 2012, le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC), qui gère plusieurs camps de réfugiés ivoiriens au Liberia, a rapporté que « 30 % des réfugiés interrogés au Libéria ont indiqué qu’ils ne rentraient pas dans leur communauté d’origine en partie à cause du fait que leur maison ou leur terre était occupée et 45 % ont relevé qu’ils ne rentraient pas pour des raisons de sécurité. » NRC, « Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire », http://www.ivorycoast.nrc.no/data/doc_res/NRC_report_f_LR.pdf.pdf (consulté le 2 septembre 2013), p. 19.
[169] Entretien accordé à Human Rights Watch par un réfugié ivoirien de Diboké, Zwedru, Liberia, 5 décembre 2012.
[170] Entretien accordé à Human Rights Watch par un réfugié ivoirien de Tiambly, Zwedru, Liberia, 5 décembre 2012.
[171] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime présumée de dépossession de terres du fait d’une vente illicite, Dedjéan, 7 juin 2013.
[172] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef de village, village dans le département de Bloléquin, 9 février 2013.
[173] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef de village, village dans le département de Bloléquin, 6 juin 2013.
[174] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des réfugiés ivoiriens et par des représentants d’organisations humanitaires, Grand Gedeh, Liberia, décembre 2012. Voir aussi « Liberia : Des ennemis du gouvernement ivoirien ont mené des attaques et préparent de nouveaux raids », communiqué de presse de Human Rights Watch, 6 juin 2012.
[175] Entretien accordé à Human Rights Watch par un responsable gouvernemental local, ouest de la Côte d’Ivoire, juin 2013.
[176] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef de village, village proche de Zouan-Hounien, 9 juin 2013.
[177] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des habitants de villages dans la région du Tonkpi, 9-11 juin 2013.
[178] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des habitants de villages dans la région du Tonkpi, 9-11 juin 2013.
[179] Entretien accordé à Human Rights Watch par un ancien du village, Zéalé, 10 juin 2013.
[180] IDMC et NRC, « À qui sont ces terres ? », octobre 2009, p. 31.
[181] Entretien accordé à Human Rights Watch par une femme guéré, victime d’une vente illicite avant la crise, Guiglo, 7 février 2013.
[182] Les décrets consécutifs à la loi de 1998 relative au domaine foncier rural ont créé des comités de gestion foncière rurale (CGFR), en établissant à la fois le CGFR supervisé par le sous-préfet et un comité supervisé au niveau du village (comités villageois de gestion foncière rurale, CVGFR). Voir le Décret nº 99-593 du 13 octobre 1999, Organisation et attributions des comités de gestion foncière-rurale (C.G.F.R), http://www.droit-afrique.com/images/textes/Cote_Ivoire/RCI%20-%20Domaine%20foncier%20rural%20-%20Decret%20application.pdf (consulté le 3 septembre 2013), p. 1-2 ; et le Décret nº 99-594 du 13 octobre 1999, Modalités d’application au domaine foncier rural coutumier, http://www.droit-afrique.com/images/textes/Cote_Ivoire/RCI%20-%20Domaine%20foncier%20rural%20-%20Decret%20application.pdf (consulté le 3 septembre 2013), p. 3-6. Ces comités ont pour tâche principale de gérer la procédure par laquelle les personnes officialisent leurs droits coutumiers et obtiennent un certificat foncier. Du moins dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, certains comités sont aussi impliqués dans la résolution des conflits fonciers liés à la crise. Toutefois, les comités agissent de différentes façons et ont même des compositions différentes, qui ne sont pas toujours conformes aux compositions décrites dans les décrets de 1999 susmentionnés. Alors que les actions de ces comités fonciers dans le cadre de l’établissement des certificats fonciers semblent relativement standardisées en vertu des décrets de 1999, leur implication dans la résolution des plaintes de dépossession de terres, y compris celles liées à la crise postélectorale, semble varier au cas par cas, sans règles ni procédures systématiques.
[183] Si un conflit oppose deux Guérés d’une même famille, la résolution du litige est souvent confiée dans un premier temps au chef de famille. Étant donné que cela ne fait intervenir aucune autorité coutumière ou administrative liée à l’État, Human Rights Watch n’abordera pas ce mécanisme dans le présent rapport.
[184] Les chefs de canton sont généralement impliqués lorsqu’une affaire concerne des parties de deux villages d’un même canton, par exemple lorsqu’une personne d’un village affirme qu’une personne d’un village voisin a vendu illicitement sa terre. Contrairement aux niveaux des villages et des sous-préfectures, le rôle du chef de canton n’est pas spécifiquement reconnu par la loi ivoirienne, mais il existe toujours selon la coutume.
[185] Dans un rapport de 2012 du Conseil norvégien pour les réfugiés, qui a considérablement travaillé pour aider les communautés dans l’ouest de la Côte d’Ivoire à résoudre les conflits fonciers, les chercheurs ont constaté que « la plupart des membres de la communauté n’étaient pas d’accord sur la hiérarchie entre les différentes structures ou sur un système d’appel. Cette situation crée une confusion sur qui détient le pouvoir de régler les conflits fonciers et sur le mécanisme auquel les parties devraient avoir recours en premier lieu pour essayer de le régler.Elle ouvre également des opportunités de manipulation et de “forum shopping”. Ainsi, les individus portent leurs conflits devant différentes autorités jusqu’à obtenir une décision qui leur soit favorable. » NRC, « Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire », décembre 2012, p. 17.
[186] Principes Pinheiro, principe 12(1).
[187] Idem, principe 12(1,3).
[188] Courrier de Gnénéma Mamadou Coulibaly, ministre de la Justice, des Droits de l’Homme et des Libertés publiques, à Human Rights Watch, 13 septembre 2013, p. 7.
[189] Idem.
[190] Idem.
[191] Voir l’Ordonnance nº 2011-262 du 28 septembre 2011 portant orientation de l’organisation générale de l’Administration Territoriale de l’État, http://www.dgddl.interieur.gouv.ci/?page=cadre&cat=ordonnances (consulté le 3 septembre 2013).
[192] Dans certains villages, le chef du village et le chef de terre sont une seule et même personne, mais cela n’était pas fréquent dans les villages guérés visités par Human Rights Watch.
[193] Entretien accordé à Human Rights Watch par un sous-préfet, ouest de la Côte d’Ivoire, février 2013.
[194] Idem.
[195] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des habitants et des chefs de communauté burkinabés, ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013.
[196] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef de village, département de Bagohouo, 6 février 2013.
[197] Entretien accordé à Human Rights Watch par un ancien d’un village, département de Bloléquin, 9 février 2013.
[198] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des chefs de village, ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013.
[199] NRC, « Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire », décembre 2012, p. 28.
[200] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des chefs de village et des anciens, ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013.
[201] Idem.
[202] Par exemple, entretiens accordés à Human Rights Watch par des habitants de Diahouin, 12 février 2013.
[203] IDMC et NRC, « À qui sont ces terres ? », octobre 2009, p. 28.
[204] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des chefs de village, ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013.
[205] Principes Pinheiro, principe 2.
[206] Entretien accordé à Human Rights Watch par un défenseur des droits humains ivoirien, Abidjan, 14 juin 2013.
[207] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef burkinabé, lieu non divulgué, juin 2013.
[208] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef burkinabé, lieu non divulgué, juin 2013.
[209] Entretien accordé à Human Rights Watch par un responsable gouvernemental local, lieu et date non divulgués.
[210] Par exemple, entretien accordé à Human Rights Watch par une victime présumée de dépossession de terres, Bédi-Goazon, 9 février 2013.
[211] Entretiens accordés à Human Rights Watch, ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013.
[212] Entretiens accordés à Human Rights Watch par un membre de la famille qui a découvert les acheteurs sur les terres, ouest de la Côte d’Ivoire, 8 juin 2013, et par un ancien du village impliqué dans la résolution du litige, ouest de la Côte d’Ivoire, 8 juin 2013.
[213] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des habitants, Diboké, 6 et 8 juin 2013, par un chef de communauté, Diboké, 8 juin 2013, et par un représentant d’une organisation humanitaire, Abidjan, juin 2013.
[214] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des habitants, Diboké, 6 et 8 juin 2013, et par un chef de communauté, Diboké, 8 juin 2013.
[215] Principes Pinheiro, principe 12.
[216] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des sous-préfets, ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013. Certains des comités fonciers incluent aussi formellement des autorités coutumières. À Duékoué, par exemple, le comité foncier sous-préfectoral comprend trois chefs de canton guérés, un chef burkinabé, un chef baoulé et un chef senoufo (groupe ethnique ivoirien du Nord).
[217] Entretien accordé à Human Rights Watch par le sous-préfet, Doké, 11 février 2013.
[218] Principes Pinheiro, principe 12.
[219] Entretien accordé à Human Rights Watch par un sous-préfet, ouest de la Côte d’Ivoire, février 2013.
[220] Entretien accordé à Human Rights Watch par un sous-préfet, ouest de la Côte d’Ivoire, février 2013.
[221] Entretien accordé à Human Rights Watch par un responsable gouvernemental local, ouest de la Côte d’Ivoire, juin 2013.
[222] Entretien accordé à Human Rights Watch par un sous-préfet, ouest de la Côte d’Ivoire, février 2013.
[223] Courrier de Gnénéma Mamadou Coulibaly, ministre de la Justice, des Droits de l’Homme et des Libertés publiques, à Human Rights Watch, 13 septembre 2013, p. 9.
[224] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des habitants, ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013.
[225] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des habitants, ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013.
[226] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des habitants, ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013.
[227] Entretien accordé à Human Rights Watch par un travailleur humanitaire, lieu non divulgué, juin 2013.
[228] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef burkinabé impliqué dans un conflit foncier, Duékoué, 6 février 2013.
[229] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef malien précédemment impliqué dans un conflit foncier, Duékoué, 6 février 2013.
[230] Entretien accordé à Human Rights Watch par un Guéré impliqué dans un conflit foncier lié à la crise, Fengolo, 10 février 2013.
[231] Entretiens accordés à Human Rights Watch, ouest de la Côte d’Ivoire, février 2013.
[232] Entretien accordé à Human Rights Watch par Abion Yao, sous-préfet, Duékoué, 5 février 2013.
[233] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef de communauté du comité foncier de Duékoué, Duékoué, 4 février 2013.
[234] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des responsables gouvernementaux locaux, ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013.
[235] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime présumée de dépossession de terres du fait d’une vente illicite, Médibly, 12 février 2013.
[236] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime présumée de dépossession de terres du fait d’une vente illicite, Guinkin, 2 juin 2013.
[237] Human Rights Watch a vu un exemplaire de la décision.
[238] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime présumée de dépossession de terres du fait d’une vente illicite, Pohan-Badouebly, 3 juin 2013.
[239] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des victimes présumées de dépossession de terres du fait de ventes illicites, Zomplou, 3 juin 2013.
[240] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des victimes présumées de dépossession de terres du fait de ventes illicites, Zomplou, 11 février 2013.
[241] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime présumée de dépossession de terres du fait d’une vente illicite, Pohan-Badouebly, 11 février 2013.
[242] Entretien accordé à Human Rights Watch par un militant, Guiglo, 7 février 2013.
[243] Observations de Human Rights Watch de l’affaire nº 1 devant le comité foncier de Duékoué, Duékoué, 8 février 2013.
[244] Idem.
[245] Observations de Human Rights Watch de l’affaire nº 2 devant le comité foncier de Duékoué, Duékoué, 8 février 2013.
[246] Idem.
[247] Idem.
[248] Entretien accordé à Human Rights Watch par un représentant de l’ONUCI, Duékoué, 4 février 2013.
[249] Entretien accordé à Human Rights Watch par un sous-préfet, ouest de la Côte d’Ivoire, février 2013.
[250] « Le tribunal de première instance de Guiglo ouvre ses portes », Agence Ivoirienne de Presse, 22 juin 2013, http://news.abidjan.net/h/463789.html (consulté le 28 août 2013).
[251] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef de communauté du comité foncier de Duékoué, Duékoué, 5 février 2013.
[252] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef de communauté du comité foncier de Duékoué, Duékoué, 4 février 2013.
[253] Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté le 16 décembre 1966, rés. de l’A.G. 2200A (XXI), 21 U.N. GAOR Supp. (nº 16) à 52, doc. ONU A/6316 (1966), 999 U.N.T.S. 171, entré en vigueur le 23 mars 1976, ratifié par la Côte d’Ivoire le 26 mars 1998, art. 14.
[254] Idem.
[255] Loi nº 98-750 du 23 décembre 1998, art. 8.
[256] Voir le ministère de l’Agriculture, « Foncier Rural », non daté, http://www.agriculture.gouv.ci/index.php?option=com_content&view=article&id=124&Itemid=404 (consulté le 3 septembre 2013).
[257] Banque mondiale, rapport nº : ICR00001525 : Implementation Completion and Results Report (IDA-N0220), 8 février 2011, http://www.wds.worldbank.org/external/default/WDSContentServer/WDSP/IB/2011/03/30/000333038_20110330000052/Rendered/PDF/ICR15250P001191e0only1910BOX358324B.pdf (consulté le 29 août 2013).
[258] Entretien accordé à Human Rights Watch par un ancien du village, Médibly, 12 février 2013.
[259] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef de communauté impliqué dans la résolution de conflits fonciers, Toa-Zéo, 6 février 2013.
[260] Entretien accordé à Human Rights Watch par un sous-préfet, ouest de la Côte d’Ivoire, février 2013.
[261] Entretiens accordés à Human Rights Watch, ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013. Voir aussi ONUCI, section État de droit, Le Domaine Foncier Rural et la Loi nº 98-750 du 23 décembre 1998, p. 32-34 ; et IDMC et NRC, « À qui sont ces terres », octobre 2009, p. 23.
[262] Entretien accordé à Human Rights Watch par Mamadou Sangafowa Coulibaly, ministre de l’Agriculture, Abidjan, 18 février 2013.
[263] Communiqué du Conseil des ministres du mercredi 02/05/2013, Man, Côte d’Ivoire, 2 mai 2013, http://www.primaturecotedivoire.net/site/suite.php?newsid=2035 (consulté le 30 août 2013).
[264] Courrier de Gnénéma Mamadou Coulibaly, ministre de la Justice, des Droits de l’Homme et des Libertés publiques, à Human Rights Watch, 13 septembre 2013, p. 9.
[265] Idem, p. 10.
[266] Entretien accordé à Human Rights Watch par Vincent Sedalo, conseiller du Premier ministre à l’État de droit et aux questions foncières, Abidjan, 11 juin 2013.
[267] Entretien accordé à Human Rights Watch par Vincent Sedalo, Abidjan, 11 juin 2013.
[268] Correspondance par courriel entre Human Rights Watch et un expert foncier, lieu non divulgué, septembre 2013.
[269] Arrêté nº 034 du 4 juillet 2002 fixant les modalités d’inscription sur la liste d’agrément des Opérateurs Techniques pouvant effectuer les opérations de délimitation des biens fonciers du Domaine Foncier Rural, Journal Officiel nº 33 du jeudi 15 août 2002, http://www.clubua-ci.org/thematique-foncier-rural.php (consulté le 4 septembre 2013) ; Décret nº 99-595 du 13 octobre 1999 fixant la procédure de consolidation des droits des concessionnaires provisoires de terres du Domaine Foncier Rural, http://www.droit-afrique.com/ (consulté le 4 septembre 2013), art. 3 ; et Loi nº 70-487 du 3 août 1970 instituant l’Ordre des Géomètres-Experts en réglementant le titre et la profession, http://www.loidici.com/ (consulté le 4 septembre 2013).
[270] Voir l’Ordre des Géomètres Experts de Côte d’Ivoire, « Liste des Géomètres experts agréés », http://geometre-expert.ci/index.php?option=com_content&task=view&id=66&Itemid=85 (consulté le 4 septembre 2013) (répertoriant 29 géomètres-experts agréés) ; et L’Ordre des Géomètres Experts de Côte d’Ivoire, « Tableau de régionalisation », http://geometre-expert.ci/index.php?option=com_content&task=view&id=63&Itemid=77 (consulté le 4 septembre 2013) (mentionnant un seul géomètre-expert agréé pour la région du Moyen Cavally, l’ancienne région administrative qui est maintenant divisée en deux régions : le Guémon et le Cavally).
[271] Correspondance par courriel entre Human Rights Watch et un expert foncier, lieu non divulgué, septembre 2013.
[272] IDMC et NRC, « À qui sont ces terres ? », octobre 2009, p. 22. Un rapport de juillet 2012 suggère qu’il y avait 28 géomètres-experts agréés à cette époque. Centre de Cartographie et de Télédiction, « Côte d’Ivoire : État de la production cartographique et de la gestion des informations géographiques de référence », juillet 2012, http://ggim.un.org/2nd%20Session/country%20reports/RAPPORT%20PAYS%20DE%20LA%20Cote%20D%20I%20voire_%20BNETD%20CCT%202012.pdf (consulté le 29 août 2013), p. 11.
[273] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des responsables gouvernementaux locaux, ouest de la Côte d’Ivoire, février et juin 2013. Un chef de communauté qui siège au comité foncier de la sous-préfecture de Duékoué a indiqué à Human Rights Watch qu’« afin que la paix avance... nous n’appliquons pas d’amendes et nous n’impliquons pas les autorités, mais nous avertissons [l’auteur de la vente illicite] que si cela se produit à nouveau, les gendarmes s’occuperont de lui ». Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef de communauté du comité foncier de Duékoué, Duékoué, 4 février 2013. Cette manière de penser ne tient pas compte du fait que les sanctions pourraient jouer un rôle important dans la paix et la réconciliation, en dissuadant d’autres personnes de procéder à des ventes frauduleuses. Si l’impression qui ressort est que chacun peut s’en tirer impunément pour une première vente illicite, il sera difficile de dissuader des personnes de réaliser des ventes frauduleuses, souvent motivées par une forte incitation financière.
[274] Entretien accordé à Human Rights Watch par un chef de village, ouest de la Côte d’Ivoire, 9 février 2013.
[275] Entretien accordé à Human Rights Watch par un ancien d’un village, ouest de la Côte d’Ivoire, 10 février 2013.
[276] Entretien accordé à Human Rights Watch par une femme guéré, victime d’une vente illicite avant la crise, Guiglo, 7 février 2013.
[277] Idem.
[278] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime guéré de dépossession de terres du fait d’une vente illicite, Pohan-Badouebly, 11 février 2013.
[279] Courrier de Gnénéma Mamadou Coulibaly, ministre de la Justice, des Droits de l’Homme et des Libertés publiques, à Human Rights Watch, 13 septembre 2013, p. 8.
[280] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des responsables du gouvernement, Abidjan, juin 2013.
[281] Convention de Kampala, art. 9(2)(i).
[282] Principes Pinheiro.
[283] Voir la Cour européenne des droits de l’homme, Doğan et autres c. Turquie(nº 8803-8811/02, 8813/02 et 8815-8819/02), jugement du 29 juin 2004, ECHR 2004-VI, www.echr.coe.int, paragr. 154 (« [il incombe] en premier lieu aux autorités nationales le devoir et la responsabilité de créer des conditions propices au retour librement consenti des requérants dans leurs foyers ou leurs lieux de résidence habituels, dans la sécurité et la dignité, ou à leur réinstallation volontaire dans une autre partie du pays. ») ; Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’ONU, Observation générale nº 22, « Refugees and displaced persons (Forty-ninth session, 1996), Compilation of General Comments and General Recommendations Adopted by Human Rights Treaty Bodies », doc. ONU HRI\GEN\1\Rev.6 (2003), p. 211, paragr. 2(c) (affirmant que tous « les réfugiés et les personnes déplacées ont, après leur retour dans leurs foyers d’origine, le droit de se voir restituer les biens dont ils ont été dépossédés au cours du conflit et de se voir indemniser de manière appropriée pour tout bien qui ne peut pas leur être restitué ». Source en anglais).
[284] Principes Pinheiro, principe 2(1-2).
[285] Idem, principe 10.
[286] Idem.
[287] Idem, principe 12.
[288] Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, art. 14.
[289] PIDESC, art. 11.
[290] Voir le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU, Observation générale nº 3, La nature des obligations des Etats parties (art. 2, par. 1, du Pacte) ; Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU, Observation générale nº 7, Le droit à un logement suffisant (art. 11, par. 1 du Pacte) : expulsions forcées (1997), http://www.ohchr.org/FR/Issues/Housing/Pages/ForcedEvictions.aspx (consulté le 25 septembre 2013) ; Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU, Observation générale nº 12, Le droit à une nourriture suffisante (art. 11), doc. ONU E/C.12/1999/5 (1999), http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G99/420/13/PDF/G9942013.pdf?OpenElement (consulté le 25 septembre 2013).
[291] PIDCP, art. 18.
[292] Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale nº 22, « Article 18 (Forty-eighth session, 1993), Compilation of General Comments and General Recommendations Adopted by Human Rights Treaty Bodies », doc. ONU HRI/GEN/1/Rev.1 (1994), p. 35, paragr. 2. (Source en anglais.)
[293] Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, art. 8.
[294] Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, Endorois Welfare Council vs. Kenya.
[295] Idem, paragr. 163-164.
[296] Idem, paragr. 168.
[297] Idem, paragr. 173.
[298] Idem, paragr. 196.