« Ils les ont tués comme si de rien n’était »

Le besoin de justice pour les crimes post-électoraux en Côte d’Ivoire

« Ils les ont tués comme si de rien n’était »

Le besoin de justice pour les crimes post-électoraux en Côte d’Ivoire

Résumé
Recommandations
Au Président Alassane Ouattara, au ministre de la Justice Jeannot Kouadio Ahoussou et au ministre de l’Intérieur Hamed Bakayoko
À Charles Konan Banny, président de la Commission dialogue, vérité et réconciliation
À l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI)
Au Conseil de sécurité des Nations Unies
Au bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme
Au procureur de la Cour pénale internationale
À l’Union africaine et à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest
Au gouvernement du Libéria
Aux pays voisins dans lesquels des auteurs présumés de crimes graves sont susceptibles d’avoir trouvé refuge
Aux bailleurs de fonds internationaux, notamment l’Union européenne, la France et les États-Unis
Méthodologie
Aperçu historique
De l’indépendance aux élections de 2000
Conflit armé et impasse politico-militaire
Accords de paix et force de maintien de la paix
Élections de 2010 et conséquences immédiates
I. Premières violences post-électorales : novembre 2010—janvier 2011
Forces pro-Gbagbo
Recours excessif à la force contre les manifestants
Assassinats ciblés et disparitions forcées d’activistes pro-Ouattara
Assassinats d’opposants présumés par les milices pro-Gbagbo
Violences sexuelles
Forces pro-Ouattara dans le nord du pays
II. Vers un conflit armé : février à mi-mars 2011
Les forces pro-Gbagbo
Incitations à la violence par le camp Gbagbo
Violence ciblée contre les immigrés ouest-africains à Abidjan
Attaques de mosquées, de musulmans et d’imams
Viols ciblés et disparitions forcées de partisans d’Alassane Ouattara
Violente répression des manifestations
Forces pro-Ouattara
Meurtres de civils dans le village d’Anonkoua
Exécutions sommaires de membres détenus des forces de Gbagbo
III. Un conflit armé généralisé : mi-mars à mai 2011
Forces pro-Gbagbo
Meurtres et massacres dans l’extrême ouest du pays
Tirs aveugles d’obus à Abidjan
Viols et meurtres ethniques généralisés à Abidjan
Offensive militaire des Forces républicaines
Meurtres, viols et pillages dans l’extrême ouest du pays
Exécutions sommaires de civils détenus, essentiellement des personnes âgées
Viols et autres violences sexuelles
Massacre de Duékoué impliquant les Forces républicaines
Bataille finale pour Abidjan et les semaines qui ont suivi
IV. Principaux acteurs impliqués
Camp Gbagbo
Camp Ouattara
Forces non officiellement alignées
V. Initiatives relatives à l’obligation de rendre des comptes
Commissions d’enquête
Poursuites nationales contre le camp Gbagbo
Aucune poursuite au niveau national visant des soldats des Forces républicaines
Cour pénale internationale
Commission dialogue, vérité et réconciliation
Conclusion
Remerciements
Glossaire des acronymes

Résumé

Le 28 novembre 2010, le peuple ivoirien se rend aux urnes pour élire un Président dans l’espoir de mettre fin à dix années de crise marquée par la division militaire et politique du pays entre le Nord et le Sud. Dans la semaine qui suit le deuxième tour de cette élection, et malgré un large consensus international quant à la victoire d’Alassane Ouattara, le Président sortant Laurent Gbagbo refuse de quitter le pouvoir. La crise post-électorale, prenant au départ la forme d’une campagne de violence ciblée menée par les forces de Laurent Gbagbo, se transforme en un conflit armé dans lequel les forces armées des deux camps se rendent coupables de crimes graves. En l’espace de six mois, au moins 3 000 personnes sont tuées et plus de 150 femmes violées, dans le cadre de ce conflit qui se déroule en grande partie selon des critères politiques, ethniques et religieux.

Les forces d’élite de sécurité étroitement liées à Laurent Gbagbo enlèvent des membres de la coalition d’Alassane Ouattara se trouvant au restaurant ou à leur domicile et les emmènent de force dans des véhicules. Leurs proches retrouveront plus tard leurs corps criblés de balles à la morgue. Les femmes s’efforçant de mobiliser les électeurs ou portant tout simplement des tee-shirts pro-Ouattara sont pourchassées et, souvent, victimes de viols collectifs commis par les membres de forces armées et de milices sous le contrôle de Laurent Gbagbo, lesquels disent à leurs victimes d’« aller raconter à Alassane » leurs problèmes. Les miliciens pro-Gbagbo érigent des postes de contrôle et arrêtent des centaines de partisans réels ou présumés d’Alassane Ouattara ou les attaquent dans leur propre quartier, les battant à mort avec des briques, les exécutant à bout portant, ou les brûlant vifs.

Les exactions des forces pro-Ouattara, baptisées Forces républicaines par décret du 17 mars, n’atteignent une intensité comparable qu’à partir du début du mois de mars, suite à l’offensive lancée pour prendre le pays. À Duékoué, Forces républicaines et milices pro-Ouattara massacrent des centaines de personnes, extrayant de leur domicile des membres présumés de milices pro-Gbagbo, puis les exécutant alors qu’ils sont sans défense. Au cours de l’offensive militaire destinée à prendre le contrôle d’Abidjan et à consolider la ville, les Forces républicaines exécutent un grand nombre de personnes issues de groupes ethniques liés à Laurent Gbagbo, parfois sur les lieux mêmes de leur détention, et en torturent d’autres.

Au cours de six missions menées en Côte d’Ivoire, dont quatre à Abidjan et deux le long de la frontière ivoiro-libérienne, Human Rights Watch a interrogé plus de 500 victimes ou témoins de la violence, ainsi que des membres de forces armées des deux camps, des responsables du gouvernement Ouattara, des journalistes, des personnels de santé, des représentants d’organisations humanitaires et de défense des droits humains, des membres des Nations Unies et des diplomates à Abidjan, New York, Washington et Paris. Human Rights Watch a ainsi constaté que les deux camps avaient commis des crimes de guerre et, probablement, des crimes contre l’humanité, conclusion partagée par la commission d’enquête internationale dans son rapport remis au Conseil des droits de l’homme le 15 juin.

Les violences post-électorales sont le point culminant d’une décennie d’impunité. Malgré les graves exactions commises en violation du droit international durant la guerre civile de 2002-2003 et par la suite, personne n’a été tenu de rendre des comptes sur les violences perpétrées. Ceux qui portaient des armes et ceux qui étaient membres des forces de sécurité qui se sont rendus coupables de crimes graves restent à l’abri de toutes poursuites. C’est à cette impunité que l’on doit la constitution de groupes d’autodéfense dans tout le pays et, notamment, dans sa partie occidentale extrêmement instable, où le vigilantisme remplace la légalité.

La présidence de Laurent Gbagbo se caractérise également par la confiscation du pouvoir au profit des groupes ethniques lui étant loyaux, ainsi que par la manipulation de plus en plus flagrante des concepts d’ethnicité et de citoyenneté dans le but de stigmatiser les Ivoiriens du Nord ou les immigrés d’Afrique de l’Ouest, considérés comme des « étrangers » dangereux, alors même que ces personnes ont passé toute leur vie en Côte d’Ivoire, souvent dans des villes du Sud comme Abidjan, très éloignées de leur région ethnique d’origine. Après le second tour des élections, la chaîne de télévision contrôlée par le gouvernement Gbagbo, la Radio télévision ivoirienne (RTI), incite à la violence contre ces groupes, les désignant systématiquement comme des « rebelles » ou des indésirables menaçant la nation. Avec la montée des tensions post-électorales, les invectives de Laurent Gbagbo redoublent, comparant les supporters d’Alassane Ouattara à des « rats d’égouts » ou à des « oiseaux abattus », et exhortant ses partisans à ériger des barrages routiers et à « dénoncer tout étranger », appel immédiatement suivi d’attaques ciblées d’une violence épouvantable.

Les exactions commises contre les partisans présumés d’Alassane Ouattara sont effroyables. Entre le mois de décembre 2010 et le mois d’avril 2011, les miliciens pro-Gbagbo érigent des barrages et arrêtent des centaines de personnes en fonction de leur tenue vestimentaire ou de leur nom sur une carte d’identité. Nombre d’entre elles sont sauvagement battues puis aspergées d’essence, avant d’être brûlées vives sur un tas de pneus et de bois. La pratique est connue sous le nom d’« article 125 » : essence, 100 francs CFA (0,15 €), boîte d’allumettes, 25 francs CFA (0,04 €). D’autres sont exécutées à bout portant, comme en témoigne un Burkinabé de quarante ans détenu à un poste de contrôle à Abidjan le 29 mars en compagnie de huit autres immigrés originaires d’Afrique de l’Ouest. La police a ordonné à ce groupe de personnes de s’éloigner dans une certaine direction, avant d’ouvrir le feu sur elles. Touché de deux balles, le témoin a survécu, ce qui ne fut pas le cas de six autres personnes abattues à ses côtés.

Dans l’extrême ouest du pays, les miliciens de Laurent Gbagbo et des mercenaires libériens tuent des centaines de personnes, principalement sur la base de leur appartenance ethnique. Un événement particulièrement atroce a lieu le 25 mars à Bloléquin, où des personnes se sont réfugiées dans le bâtiment de la préfecture situé dans un secteur repris par la suite par les forces de Laurent Gbagbo aux Forces républicaines. Lorsqu’elles pénètrent dans la préfecture, les partisans de Gbagbo leur demandent de parler guéré, la langue d’un groupe ethnique de l’extrême Ouest largement acquis à Laurent Gbagbo. Celles qui ne la parlent pas parfaitement sont abattues. Trois jours plus tard, les mêmes mercenaires et miliciens tuent au moins 37 personnes, pour la plupart des immigrés ouest-africains, à Bédi-Goazon, un village situé à proximité de Bloléquin.

Lors de leur offensive, début mars, les Forces républicaines prennent elles aussi part à des opérations punitives contre des partisans réels ou présumés de Laurent Gbagbo. Dans l’extrême ouest du pays, les Forces républicaines exécutent à bout portant des vieillards guérés incapables de fuir leur village attaqué. Une femme a déclaré que son père, son mari et son fils avaient été abattus sous ses yeux. Des membres des Forces républicaines enlèvent des femmes et les violent dans les villes où ils se trouvent entre les mouvements militaires. Ils brûlent des villages entiers. Sans prendre une ampleur aussi considérable, les Forces républicaines commettent des atrocités similaires à celles commises dans l’extrême Ouest lorsqu’elles prennent le contrôle d’Abidjan.

À la fin du conflit, les résidents ont déclaré que certains puits dans l’ouest du pays étaient remplis de restes humains. Les stigmates des violences qui ont ravagé le territoire sont restés visibles dans plusieurs quartiers d’Abidjan, où des fosses communes ont été creusées à la hâte sur les terrains vagues où les enfants jouaient au football. Les rues sont restées jonchées de cadavres pendant plusieurs jours, en particulier aux postes de contrôle mis en place par les milices de Laurent Gbagbo. Les résidents ont affirmé que l’odeur était devenue tellement insupportable qu’ils se sont mis eux-mêmes à brûler les corps. Dans les quartiers de Yopougon et Koumassi, en particulier, les chercheurs de Human Rights Watch ont pu constater, plusieurs semaines après la fin des affrontements, que tout ce qui restait de certaines victimes étaient des fragments d’os et de larges tâches noires sur le bitume . Dans toute la Côte d’Ivoire, et tout particulièrement dans l’Ouest, sur la côte Sud et à Abidjan, le conflit a été dévastateur. Presque tout le monde peut témoigner de l’assassinat d’un frère, du viol d’une sœur, de l’incendie d’une maison ou du pillage de tous ses biens.

À l’issue des combats intenses du mois de mars dans l’extrême ouest du pays, les Forces républicaines gagnent très rapidement Abidjan, la plupart des partisans de Laurent Gbagbo abandonnant leur position, à l’exception de quelques unités d’élite et quelques milices. Le conflit n’est cependant pas terminé, et Abidjan est le théâtre de tirs à l’arme lourde faisant de nombreuses victimes civiles, perpétrés vraisemblablement à l’aveugle par les partisans de Laurent Gbagbo. Le Conseil de sécurité des Nations Unies autorise rapidement ses forces de maintien de la paix basées en Côte d’Ivoire à « utiliser tous les moyens nécessaires […] pour protéger les civils sous menace imminente de violence physique […] y compris pour empêcher l’utilisation d’armes lourdes contre les populations civiles ». Durant la semaine du 4 avril, l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire et les forces françaises de l’opération Licorne attaquent les positions militaires de Laurent Gbagbo à Abidjan avec, pour point d’orgue, le bombardement de sa résidence le 11 avril. Le même jour, les Forces républicaines prennent d’assaut le bâtiment et y arrêtent Laurent Gbagbo ainsi que son épouse et plusieurs de ses partisans. Des groupes armés restés loyaux à Laurent Gbagbo ne s’avouent cependant pas vaincus et tuent, rien qu’à Abidjan, 100 personnes le lendemain de l’arrestation de leur chef. Les combats prennent définitivement fin à la mi-mai.

L’ampleur et l’organisation méthodique des crimes commis par les deux camps, à savoir assassinats, viols, persécution d’individus et de groupes sur la base de critères politiques, ethniques et nationaux, laissent penser qu’il s’agissait d’une attaque généralisée et systématique. D’après le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, de tels actes, lorsqu’ils entrent dans le cadre d’une « attaque contre toute population civile », constituent des crimes contre l’humanité. Les deux camps ont également commis des crimes de guerre, notamment en dirigeant intentionnellement des attaques contre des civils et l’assassinat de personnes ne participant pas directement aux hostilités. Les personnes exerçant des pouvoirs de commandement qui auraient dû avoir connaissance de crimes aussi graves et qui ne les ont pas empêchés, ou qui n’ont pas ouvert d’enquête ni lancé de poursuites à l’encontre de leurs auteurs présumés, doivent être amenées à rendre des comptes.

Au vu des preuves contenues dans ce rapport et de la gravité des crimes commis, une justice impartiale doit être impérativement rendue en Côte d’Ivoire, pour réparer le préjudice des victimes, instaurer un État de droit et empêcher que d’autres atrocités semblables ne se produisent. Il faut noter à cet égard que le Président Ouattara a demandé à la Cour pénale internationale d’enquêter sur les crimes graves commis après le 28 novembre 2010. Le 3 octobre 2011, la chambre préliminaire de la CPI a fait droit à la requête du 23 juin du procureur d’ouvrir une telle enquête. La Cour pénale internationale a un rôle important à jouer afin que ces actes odieux ne restent pas impunis. Des procès doivent également être tenus à l’échelle nationale, non seulement parce que la CPI n’a par le passé engagé qu’un faible nombre de poursuites dans le cadre de situations ayant fait l’objet d’enquêtes, mais aussi parce que de tels procès, menés dans le respect des normes internationales, ont une plus forte résonance parmi les populations concernées et que les efforts visant à imposer au niveau local le devoir de rendre des comptes favorisent le rétablissement de l’État de droit.

Jusqu’à présent, force est de constater que les autorités judiciaires nationales ne se sont pas montrées impartiales. Au moment de la rédaction de ce rapport, des procureurs militaires et civils ont inculpé au moins 118 partisans de Laurent Gbagbo. Plusieurs d’entre eux, parmi lesquels le général Dogbo Blé, de la Garde républicaine, et le général Guiai Bi Poin, du Centre de commandement des opérations de sécurité (CECOS), ont été mis en cause par Human Rights Watch pour leur rôle présumé dans la commission de crimes graves. Un procureur militaire a inculpé plusieurs anciens chefs militaires pro-Gbagbo pour meurtre, viol et dissimulation de corps. Les chefs d’accusation citent plusieurs événements précis, documentés par Human Rights Watch, comme celui du 3 mars au cours duquel sept femmes participant à un rassemblement pacifique en compagnie de milliers d’autres furent assassinées. Laurent Gbagbo et son épouse, Simone, sont actuellement en détention provisoire. Ils ont été tous deux inculpés de crimes économiques le 18 août 2011, après que le gouvernement ivoirien a annoncé sa demande auprès de la CPI d’ouvrir une enquête sur leur possible implication dans la commission de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Human Rights Watch s’est toujours prononcé pour que des poursuites soient engagées contre les forces de Laurent Gbagbo responsables de crimes graves, soulignant que toute immunité ou projet d’amnistie pour des crimes graves—y compris pour Laurent Gbagbo, étant donné les preuves de son rôle dans de tels crimes—serait contraire non seulement aux principes et à la pratique du droit international mais au respect dû aux victimes. Human Rights Watch appelle également les États voisins à coopérer, en procédant à l’arrestation et à l’extradition de ceux qui, à l’instar du chef des Jeunes patriotes Charles Blé Goudé, auraient commis de tels crimes et ont trouvé refuge ailleurs.

À la différence notable des poursuites engagées contre le camp Gbagbo, aucun membre des Forces républicaines n’a été arrêté pour des crimes commis durant le conflit. Human Rights Watch, la commission d’enquête internationale, le bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, Amnesty International et la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme ont tous documenté des crimes graves commis par les Forces républicaines. Alors que le Président Ouattara et le ministre de la Justice Jeannot Kouadio Ahoussou ont toujours promis que tous les crimes seraient punis, le fossé qui sépare la rhétorique de la réalité pourrait marquer le retour de l’impunité. Le gouvernement doit sans plus attendre envoyer un message indiquant que s’ouvre une nouvelle ère de justice impartiale et de respect des droits humains, et non pas une ère de justice du vainqueur qui serait de nature à gravement compromettre la réconciliation nationale. Human Rights Watch estime que la tâche la plus urgente du gouvernement Ouattara est de rendre aux victimes des deux camps la justice qu’elles réclament et méritent d’obtenir au terme d’une décennie d’exactions.

Human Rights Watch exhorte également le gouvernement à veiller à ce que les auteurs de violations des droits humains ne soient pas appelés à exercer des fonctions au sein de la nouvelle armée, gendarmerie et police ivoiriennes. Au lieu de voler et maltraiter la population, les forces de sécurité devraient protéger les civils et enquêter de manière impartiale sur les crimes et délits. Les premiers signes sont extrêmement négatifs, Alassane Ouattara ayant promu le 3 août plusieurs commandants fortement soupçonnés d’être les auteurs de violations graves du droit international, notamment Martin Fofié, qui figure depuis 2006 sur la liste des sanctions du Conseil de sécurité des Nations Unies pour avoir commandé des troupes impliquées dans des exécutions sommaires et engagé des enfants soldats. Cette nomination remet en cause les promesses de justice du Président, ainsi que ses engagements quant à la constitution de forces de sécurité agissant dans le respect du droit.

Les partenaires internationaux de la Côte d’Ivoire devraient exiger que les auteurs présumés de crimes graves soient appelés, de manière impartiale, à rendre des comptes devant la justice, et devraient également aider le gouvernement à identifier et à surmonter les obstacles contrariant la tenue de procès domestiques pour crimes graves. Le procureur auprès de la Cour pénale internationale devrait réviser sa requête pour que l’enquête couvre l’ensemble des crimes commis avant la période post-électorale, ce qui permettrait de mettre fin au mieux à une décennie d’impunité. L’opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire devrait organiser des patrouilles communes avec les forces ivoiriennes au cours des prochaines élections législatives et participer activement aux efforts de désarmement. À cet égard, il faut saluer les mesures fortes adoptées par l’opération de maintien de la paix et, notamment, le déploiement de renforts dans l’ouest du pays à l’avance des élections législatives.

Enfin, Human Rights Watch appelle le Conseil de sécurité et le Secrétaire général des Nations Unies à publier dans les plus brefs délais le rapport 2004 de la commission d’enquête internationale sur les allégations de violations des droits de l’homme commises lors de la guerre civile de 2002-2003. Nombre des personnes citées dans l’annexe confidentielle du rapport 2004 comme étant les principaux auteurs de crimes graves sont restées au pouvoir et ont continué à inciter et à superviser des crimes graves durant le conflit de 2010-2011 ; il est possible que leurs noms apparaissent également dans l’annexe confidentielle du rapport 2011 de la commission d’enquête. Ces deux annexes devraient être publiées ou, à tout le moins, communiquées aux principaux responsables des efforts de justice en Côte d’Ivoire : le Président Alassane Ouattara, le ministre de la Justice Jeannot Ahoussou et le procureur d’Abidjan Simplice Koffi.

Des milliers de personnes en Côte d’Ivoire ont perdu des êtres chers et ont énormément souffert au cours de la récente flambée de violences. La plupart d’entre elles ont été visées en raison de leur affiliation politique ou ethnique. Les discriminations et les phénomènes d’incitation à la haine doivent prendre fin, tout comme l’impunité qui a longtemps compromis la sécurité en Côte d’Ivoire. Pour retrouver le statut autrefois loué de stabilité et de prospérité de la Côte d’Ivoire, le gouvernement Ouattara doit veiller et consentir à la poursuite d’une justice impartiale. Les conflits en Côte d’Ivoire illustrent les conséquences graves qui s’ensuivent lorsque les forces de sécurité, les milices et les chefs politiques agissent au-dessus de la loi. Si le gouvernement Ouattara n’en tire pas rapidement des enseignements et ne poursuit pas les membres des Forces républicaines responsables de crimes durant la période post-électorale avec la même ferveur que celle dont il fait preuve à l’égard des partisans de Laurent Gbagbo, la Côte d’Ivoire pourrait sombrer à nouveau dans la violence et le vigilantisme. S’il peut s’avérer difficile sur un plan politique de poursuivre certains commandants impliqués dans des crimes, il serait bien plus dommageable pour la stabilité du pays et le respect de la légalité d’ignorer encore une fois les appels clairs à la justice des victimes.

Recommandations

Au Président Alassane Ouattara, au ministre de la Justice Jeannot Kouadio Ahoussou et au ministre de l’Intérieur Hamed Bakayoko

  • Veiller à ce que les membres des forces des deux camps contre lesquels il existe des éléments tendant à établir leur responsabilité pénale dans des crimes graves, ainsi que ceux auxquels il incombait, au titre de leurs responsabilités de commandement, d’empêcher ou de poursuivre de tels crimes, fassent l’objet d’une enquête et soient poursuivis dans le respect des principes internationaux sur le droit à un procès équitable.
  • Veiller à ce que les partisans de Laurent Gbagbo actuellement inculpés soient détenus et jugés dans des conditions qui sont conformes au droit international. Veiller, notamment, à ce que les conseils des accusés disposent de suffisamment de temps et de moyens pour préparer une défense vigoureuse.
  • Solliciter l’assistance des principaux bailleurs de fonds afin de veiller à ce que les enquêtes et les procès tenus à l’échelle nationale concernant des crimes graves soient menés de manière équitable et sérieuse. À ce titre, les inviter à évaluer la capacité du système judiciaire ivoirien à poursuivre les affaires de crimes graves et à fournir une assistance sur la base des résultats de telles évaluations. Une attention toute particulière doit être portée sur les garanties juridiques et procédurales tendant à assurer l’indépendance et l’impartialité des juges, ainsi que sur les moyens et les mesures destinés à protéger les droits des accusés et des témoins susceptibles d’être en danger.
  • Veiller à ce que les tribunaux militaires ne jugent pas de civils et privilégier, sauf dans le cas de crimes uniquement militaires, les tribunaux civils en raison de leur plus grande indépendance.
  • Veiller à ce que tous les membres de l’armée, de la gendarmerie et de la police fassent l’objet d’une enquête minutieuse pour établir s’ils ont commis des crimes graves, soit directement, soit au titre de leur responsabilité de commandement.
  • Demander publiquement à ce que la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Mme Navanethem Pillay, communique, sur demande du gouvernement, l’annexe confidentielle du rapport 2011 de la commission d’enquête, dans le but d’identifier les principaux auteurs des violences. Inviter également le Conseil de sécurité des Nations Unies à publier le rapport 2004 de la commission d’enquête.
  • Continuer à coopérer pleinement et dans la transparence avec la Cour pénale internationale, y compris concernant l’arrestation et la livraison ultérieures d’auteurs présumés.
  • Permettre aux observateurs internationaux et aux membres de la division des droits de l’homme de l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire de visiter, sans restriction, les lieux de détention, y compris les résidences surveillées et les camps militaires. Les personnes détenues doivent notamment avoir la possibilité de décrire leurs conditions de détention sans la présence ni l’ingérence de membres des Forces républicaines.
  • Donner la priorité à la lutte contre les violences sexuelles, lesquelles restent monnaie courante dans tout le pays et particulièrement nombreuses dans l’extrême Ouest. En particulier, accroître la répression judiciaire des violences sexuelles et de genre en recrutant plus de femmes policières jouant le rôle de points de contact dans les commissariats, et en dispensant une formation à cet égard aux personnels judiciaire et de sécurité. Veiller à ce que les victimes de violences sexuelles, ainsi que celles visées pour des motifs politiques et ethniques durant le conflit, puissent bénéficier de soins médicaux, d’un soutien psychologique, d’une assistance juridique et de services de réintégration socio-économique.
  • S’engager à indemniser et réparer le préjudice des victimes et à assister les habitants à rebâtir les villages détruits durant les combats et les opérations de représailles, notamment dans l’extrême Ouest et le long du littoral au sud du pays.
  • S’engager à travailler rapidement avec la prochaine Assemblée nationale afin de ratifier le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, le Protocole de Palerme visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant et le Protocole à la charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique. En outre, faire une déclaration acceptant le droit de saisine individuelle auprès de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, conformément à l’article 5, paragraphe 3, du Protocole portant statut de la Cour.
  • Passer en revue de manière approfondie—et, si nécessaire, réviser—les programmes de formation des forces de police, de gendarmerie et de l’armée dans le but de dispenser aux membres de ces forces une formation complète sur les droits humains, en particulier au regard des lois de la guerre, des pratiques d’interrogatoire et de détention et du recours minimum à la force pour contrôler les foules. Les formations doivent s’inscrire dans le cadre des droits humains et des principes humanitaires internationaux comme les Conventions de Genève, le Code de conduite des Nations Unies pour les responsables de l’application des lois et les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et à l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois.

À Charles Konan Banny, président de la Commission dialogue, vérité et réconciliation

  • Respecter les droits humains internationaux dans le cadre de l’octroi d’amnisties. À ce titre doit être proscrite toute amnistie concernant des crimes internationaux, notamment en cas de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre, d’exécutions sommaires, de disparitions forcées et de torture.
  • Veiller à ce que des discussions libres et constructives soient menées avec la société civile et les victimes tout au long du processus.
  • Veiller à ce que la Commission étudie la dynamique des violences cycliques, des tensions ethniques et de la corruption endémique afin d’émettre des recommandations destinées à ce que les violations du passé ne se reproduisent pas.

À l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI)

  • Aider le gouvernement à entreprendre un programme de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR) exhaustif et approfondi et conforme aux normes intégrées DDR (IDDRS) et aux autres meilleures pratiques reconnues internationalement. Veiller à ce que le programme DDR soit exécuté de manière crédible et impartiale—en désarmant tous ceux qui, quel que soit leur camp, n’intègrent pas les forces armées reconstituées.
  • Aider le gouvernement à réinstaurer un État de droit en mettant l’accent sur l’indépendance et l’impartialité du système judiciaire, le traitement humain des détenus et la protection des accusés et des témoins. Dans le sens des efforts notables de l’ONUCI visant à renforcer la sécurité dans l’extrême ouest du pays, porter une attention particulière à cette région qui a été pendant longtemps une zone de non-droit.

Au Conseil de sécurité des Nations Unies

  • Dans l’intérêt de la vérité et de la justice concernant la crise qu’a connue la Côte d’Ivoire pendant dix ans, publier le rapport 2004 de la commission d’enquête ainsi que l’annexe qui désigne les principaux auteurs de crimes graves durant le conflit armé de 2002-2003.
  • Demander au représentant spécial chargé de la lutte contre les violences sexuelles dans les conflits armés de communiquer au Conseil de sécurité des informations sur les viols et autres violences sexuelles, et promouvoir l’adoption de mesures coordonnées et concrètes contre les violences sexuelles par tous les acteurs en Côte d’Ivoire.
  • Suivre étroitement les efforts de justice du gouvernement ivoirien concernant les violences post-électorales et veiller à ce que ces efforts soient impartiaux en menant des enquêtes sur les crimes graves commis par les deux camps de manière équitable et sérieuse.

Au bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme

  • Communiquer aux autorités nationales chargées des enquêtes judiciaires en Côte d’Ivoire l’annexe du rapport 2011 de la commission d’enquête internationale.

Au procureur de la Cour pénale internationale

  • Réviser la demande d’ouverture d’une enquête afin de couvrir les crimes commis avant la période post-électorale, y compris pendant le conflit armé de 2002-2003 et au lendemain de celui-ci.

À l’Union africaine et à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest

  • Maintenir le dialogue avec la Côte d’Ivoire et veiller à ce que le gouvernement ivoirien tienne compte, en priorité, des questions liées aux droits humains et à l’État de droit. En particulier, aider le Président Alassane Ouattara à respecter ses engagements envers la traduction en justice des auteurs de crimes graves quels que soient leur affiliation politique ou leur rang militaire.
  • Encourager les États africains à soutenir les efforts visant à traduire en justice les auteurs de crimes graves, notamment en livrant les auteurs de tels crimes inculpés par la Cour pénale internationale, à l’invitation du Président Alassane Ouattara, à celle-ci, ou au gouvernement ivoirien, dès lors que les normes internationales de procédure et relatives aux droits de la défense sont respectées.
  • Soutenir les efforts régionaux visant à désarmer, démobiliser et réintégrer effectivement les combattants recrutés par des responsables politiques et des chefs de guerre durant les conflits armés en Sierra Leone, au Libéria et en Côte d’Ivoire.

Au gouvernement du Libéria

  • Poursuivre en justice, avec toutes les garanties d’un procès équitable, les mercenaires et autres combattants libériens impliqués dans des crimes graves en Côte d’Ivoire.

Aux pays voisins dans lesquels des auteurs présumés de crimes graves sont susceptibles d’avoir trouvé refuge

  • S’engager publiquement à livrer à la justice internationale les personnes inculpées par la Cour pénale internationale. Si le gouvernement ivoirien demande l’arrestation et l’extradition de personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes durant la période post-électorale, coopérer pleinement avec celui-ci dès lors que les normes internationales de procédure et relatives aux droits de la défense, telles que celles visées par la Convention contre la torture, sont respectées.

Aux bailleurs de fonds internationaux, notamment l’Union européenne, la France et les États-Unis

  • Soutenir les efforts du gouvernement ivoirien visant à restaurer l’État de droit et à juger les crimes graves commis durant la période post-électorale. Veiller à l’impartialité de ces efforts en enquêtant de manière équitable et sérieuse sur les crimes graves commis par les deux camps.

Méthodologie

Ce rapport s’appuie essentiellement sur six missions de recherche effectuées entre décembre 2010 et juillet 2011. Les chercheurs de Human Rights Watch ont mené leurs investigations à Abidjan aux mois de janvier, mars, mai et juillet 2011, et le long de la frontière ivoiro-libérienne aux mois de décembre 2010 et mars et avril 2011. Entre ces missions de recherche sur le terrain, Human Rights Watch a réalisé des entretiens complémentaires par téléphone.

Au total, Human Rights Watch a interrogé plus de 500 victimes et témoins directs de violences post-électorales, parmi lesquels des partisans des deux camps politiques, des personnes originaires des principaux groupes ethniques ivoiriens et de pays ouest-africains voisins, ainsi que des membres des forces armées des deux camps. Human Rights Watch s’est également entretenu avec des diplomates à Abidjan, New York, Washington et Paris ; des responsables du gouvernement Ouattara ; des personnels de santé ; des représentants de l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire ; des membres de la commission d’enquête internationale ; et des représentants d’organisations de défense des droits humains et humanitaires.

Certaines parties de ce rapport ont déjà été rendues publiques dans des communiqués de presse détaillés publiés par Human Rights Watch au terme de quatre des six missions de recherche. Ces informations ont été publiées rapidement pour dénoncer sans tarder la situation au vu de l’évolution rapide de la crise. Ce rapport contient l’intégralité de l’enquête menée par Human Rights Watch après les élections, y compris de nouveaux éléments d’information qui n’avaient pas été publiés jusqu’à présent.

Compte tenu de la situation extrêmement tendue durant toute la crise, il était essentiel de prendre toutes les précautions nécessaires pour que les victimes acceptant de parler à Human Rights Watch ne puissent faire l’objet de représailles. Human Rights Watch a souvent identifié les victimes et les témoins grâce à l’aide de nombreuses organisations locales, de responsables locaux de la coalition politique du RHDP du Président Ouattara, de journalistes et de représentants des communautés d’immigrés.

Pendant toute la crise, Human Rights Watch s’est attaché à enquêter en toute impartialité et objectivité sur les exactions commises par les deux camps et à maintenir des contacts réguliers avec des groupes et des personnes bien introduits dans chaque camp. La description des événements repose sur des informations vérifiées et corroborées par de nombreuses sources directes, et en particulier par des victimes et des témoins oculaires, ainsi que par l’examen des blessures des victimes et la visite des lieux où ces événements se sont produits. Avant d’accuser un individu ou un groupe armé de certains crimes, Human Rights Watch a recoupé les informations auprès d’autres sources et, notamment, des victimes, des témoins oculaires et d’autres auteurs présumés des violences.

Les entretiens ont été principalement réalisés en français ou, dans certains cas, dans l’une des langues usitées par les différents groupes ethniques, avec traduction en français par un interprète.

Dans un souci de confidentialité et de protection des témoins, Human Rights Watch s’est abstenu de publier les noms des témoins et toute information permettant de les identifier.

Aperçu historique

Depuis 1960, année de son indépendance, jusqu’à la fin des années 1980, la Côte d’Ivoire est saluée pour sa prospérité économique et sa relative stabilité. Pourtant, derrière l’harmonie de façade, apparaissent dès les premières années d’indépendance des fissures inquiétantes, le long de lignes de fracture politique, ethnique et géographique. Avec les trois mêmes acteurs au-devant de la scène politique depuis 1993—l’actuel Président Alassane Ouattara et les ex-Présidents Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié—, l’édifice vole en éclats avec le coup d’État de 1999, le conflit armé de 2002-2003 et, en point d’orgue, les violences post-électorales perpétrées de novembre 2010 à mai 2011. Les auteurs des crimes graves commis lors de la décennie de violence qui a précédé les élections de 2010 n’ont pas été traduits en justice, développant un sentiment d’impunité particulièrement prégnant au sein des forces de sécurité de Laurent Gbagbo et des milices lui étant loyales, ainsi que parmi les rebelles des Forces nouvelles devenus les Forces républicaines d’Alassane Ouattara.

De l’indépendance aux élections de 2000

Sous le règne du Président et père de la nation Félix Houphouët-Boigny, de 1960, année de l’indépendance, aux années 1990, la Côte d’Ivoire devient l’une des principales puissances économiques de l’Afrique de l’Ouest et l’un des plus grands producteurs mondiaux de cacao et de café. Durant toutes ces années, le pays poursuit une politique d’immigration de la « porte ouverte » qui, compte tenu de sa relative stabilité et prospérité, attire de nombreux travailleurs originaires principalement des pays membres du bloc économique régional de la CEDEAO, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest. Ces travailleurs migrants représenteront à un moment donné environ 26 pour cent de la population. Félix Houphouët-Boigny, catholique issu de l’ethnie baoulé, dirige un gouvernement qui reflète en théorie la composition ethnique et religieuse du pays. Les tensions ethniques, plutôt rares, sont sévèrement réprimées.[1]

Durant ses 33 années de Présidence, Félix Houphouët-Boigny réduit au silence tous les partis politiques d’opposition, ne permettant qu’à son seul Parti démocratique de la Côte d’Ivoire (le PDCI) d’exister, jusqu’en 1990. L’une de ses principales cibles est un jeune professeur d’histoire et syndicaliste de premier plan nommé Laurent Gbagbo. Fervent militant du multipartisme, il est emprisonné de 1971 à 1973 pour enseignement « subversif » et pour avoir fomenté l’insécurité.[2] Après avoir créé dans la clandestinité son parti politique, le Front populaire ivoirien (FPI), Laurent Gbagbo passe la plupart des années 1980 en exil en France. Il rentre en Côte d’Ivoire en 1988 en tant que secrétaire général du FPI et se présente contre Félix Houphouët-Boigny aux premières élections multipartites que connaît le pays en 1990. Félix Houphouët-Boigny l’emporte largement, mais Laurent Gbagbo obtient un mois plus tard un siège à l’Assemblée nationale.[3]

Après sa réélection, Félix Houphouët-Boigny désigne comme Premier ministre Alassane Ouattara, économiste de formation qui a occupé des postes importants au sein du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Laurent Gbagbo fustige sans tarder ce gouvernement dirigé par des « étrangers ». [4] La provocation qui vise tout particulièrement Alassane Ouattara marque le début d’une longue campagne de contestation à visées politiques de la citoyenneté d’Alassane Ouattara.[5] Le 6 mars 1992, Laurent Gbagbo est arrêté en raison de son rôle de meneur lors d’importantes manifestations étudiantes contre le gouvernement du PDCI et condamné à deux ans de prison. Laurent Gbagbo aurait imputé la responsabilité de la répression et de son arrestation à Alassane Ouattara, ce qui renforcera l’animosité entre les deux hommes.[6]

Au décès de Félix Houphouët-Boigny en 1993, coïncidant avec la détérioration constante de l’économie ivoirienne, les responsables politiques vont privilégier les thèmes de la nationalité et de l’ethnicité dans le but de rallier des soutiens. Les élections présidentielles de 1995 sont caractérisées par une véritable ruée pour le pouvoir après des décennies de parti unique et mettent en jeu les mêmes acteurs principaux qui s’opposeront lors des présidentielles de 2010 : Henri Konan Bédié, qui a exercé les fonctions de Président à la mort de Félix Houphouët-Boigny et dirigé le PDCI, Laurent Gbagbo, secrétaire général du FPI, et Alassane Ouattara, président du Rassemblement des républicains (RDR). En prenant pour cible Alassane Ouattara, son principal rival politique, Henri Konan Bédié va développer le concept d’Ivoirité—et s’exprime dans un discours ultra-nationaliste redéfinissant ce que signifie « être ivoirien », marginalisant les Ivoiriens du Nord et accusant les immigrés de vouloir contrôler l’économie.[7] Alassane Ouattara, né à Dimbroko, ville du nord de la Côte d’Ivoire, de mère ivoirienne, passe la majeure partie de son enfance en Haute-Volta, qui est aujourd’hui le Burkina Faso. Dans les années 1960, il se rend aux États-Unis pour y poursuivre ses études muni d’un passeport voltaïque, qu’il conserve durant les années 1970 et au début des années 1980, période durant laquelle il travaille au FMI et à la BCEAO. [8] Henri Konan Bédié va s’efforcer de susciter des sentiments anti-nord-ivoiriens et anti-immigrés. Il parvient ainsi à empêcher Alassane Ouattara, qu’il dit ne pas être ivoirien de souche, de se présenter aux élections.[9] Le RDR boycotte alors les élections, tout comme le FPI de Laurent Gbagbo. Henri Konan Bédié l’emporte aisément.

Le 24 décembre 1999, des militaires se plaignant d’être mal payés renversent le Président Bédié et demandent au général Robert Guei, chef d’État-major de Bédié, de diriger un gouvernement. Une fois au pouvoir, Robert Guei forme une junte de rassemblement accueillant des ministres des principaux partis d’opposition, comme le RDR et le FPI, et s’engage à mettre fin à la corruption et à rédiger une nouvelle constitution. En juillet 2000, avant les élections prévues pour le mois d’octobre, il apparaît clairement que le général Guei nourrit des ambitions politiques et qu’il est lui aussi prêt à agiter le spectre de l’ethnicité pour éliminer ses rivaux politiques. Un référendum constitutionnel largement critiqué est organisé, lequel débouche sur une nouvelle constitution fixant des conditions beaucoup plus strictes d’accession aux mandats publics—les deux parents de tout candidat à l’élection présidentielle doivent être nés en Côte d’Ivoire.[10] Alassane Ouattara et d’autres candidats contestent, en vain, ces nouvelles dispositions. Le 6 octobre 2000, la Cour suprême exclut de la course aux présidentielles 14 des 19 candidats, parmi lesquels Alassane Ouattara pour des motifs de citoyenneté, et l’ex-Président Bédié pour ne pas avoir transmis un certificat médical en bonne et due forme.[11]

Les élections présidentielles se tiennent le 22 octobre 2000. Les premiers résultats donnent vainqueur Laurent Gbagbo. Le général Guei décide alors de dissoudre la commission nationale électorale et s’autoproclame Président—préfigurant ironiquement l’attitude de Laurent Gbagbo dix ans plus tard pour se maintenir au pouvoir. Le 24 octobre 2000, des dizaines de milliers de manifestants descendent dans les rues et se dirigent vers le centre-ville. La garde présidentielle du Président Robert Guei ouvre le feu, faisant de nombreuses victimes. Le 25 octobre 2000, abandonné par l’armée et la police, le général Guei fuit le pays et Laurent Gbagbo se déclare Président. Le lendemain, le RDR d’Alassane Ouattara envahit les rues pour demander la tenue de nouvelles élections, faisant valoir qu’on l’a empêché de façon arbitraire à se présenter. Laurent Gbagbo refuse. Les affrontements meurtriers qui s’ensuivent traduisent les dissensions religieuses et ethniques qui traversent le pays, les forces de sécurité et les partisans du Président Gbagbo affrontant les Ivoiriens du Nord majoritairement musulmans qui constituent le noyau dur des partisans du RDR.[12]

Lorsqu’Alassane Ouattara et le RDR se préparent à participer aux élections parlementaires du mois de décembre, la Cour suprême lui barre une nouvelle fois la route pour les mêmes motifs. Le RDR riposte en appelant au boycott des élections, en descendant dans la rue en signe de protestation, et en perturbant le vote dans de nombreuses régions du Nord. Les heurts se multiplient jusqu’au vote. Plus de 200 personnes sont tuées et des centaines d’autres blessées lors d’affrontements en marge des élections, d’octobre à décembre. Les forces de sécurité ouvrent le feu sur des manifestants dans les rues d’Abidjan. Elles prennent pour cible selon des critères ethniques et religieux des centaines d’Ivoiriens du Nord et de partisans du RDR qui sont arrêtés de manière arbitraire, détenus et torturés. Les forces de sécurité commettent en outre des viols et d’autres violations des droits humains avec la complicité de partisans du FPI. Un charnier renfermant 57 corps sera plus tard découvert dans le quartier abidjanais de Yopougon. Les enquêtes de Human Rights Watch et des Nations Unies imputeront la responsabilité directe de ce massacre à des membres de la gendarmerie. Pourtant, les auteurs de ces crimes et des autres exactions liées aux élections ne seront jamais jugés—prélude d’une décennie d’impunité.[13]

Conflit armé et impasse politico-militaire

Le 19 septembre 2002, les rebelles du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI) attaquent plusieurs cibles stratégiques à Abidjan ainsi que les villes de Bouaké et Korhogo, au nord du pays.[14] Sans toutefois réussir à prendre Abidjan, le MPCI, bientôt rejoint par deux factions rebelles de l’ouest du pays,[15] parvient à rapidement contrôler la moitié nord de la Côte d’Ivoire. Les trois groupes rebelles forment une alliance politico-militaire appelée les Forces nouvelles, dont le but est de mettre un terme à l’exclusion politique des Ivoiriens du Nord et aux discriminations à leur encontre, et de renverser Laurent Gbagbo, dont ils contestent la légitimité en raison des failles qui ont entaché le processus électoral.[16]

La première réponse du gouvernement de Laurent Gbagbo est de lancer une opération à Abidjan dans laquelle les forces de sécurité envahissent les quartiers pauvres occupés principalement par des immigrés et des Ivoiriens du Nord. Au prétexte de rechercher des armes et des rebelles, les forces de sécurité font sortir les résidents de leurs habitations qui sont ensuite brûlées ou détruites. Les raids entraînent le déplacement de 12 000 personnes et sont accompagnés de nombreuses arrestations et détentions arbitraires, exécutions sommaires, viols et disparitions. De plus, les actes d’extorsion sont systématiques et courants.[17] De son côté, le groupe rebelle du MPCI tue dans le Nord au moins 40 gendarmes désarmés et 30 membres de leur famille à Bouaké entre les 6 et 8 octobre. Les exécutions sommaires de prisonniers membres des forces de sécurité de Laurent Gbagbo sont systématiques.[18]

Au cours des mois suivants, des affrontements armés opposent les deux camps. Les combats sont particulièrement intenses dans l’extrême ouest du pays où les deux camps recrutent des mercenaires libériens et où des milices—souvent désignées comme des groupes locaux d’auto-défense—combattent aux côtés des forces de sécurité de Laurent Gbagbo.[19] La plupart des violences sont toutefois dirigées contre des civils et ne prennent pas la forme d’affrontements directs entre les forces en opposition. Human Rights Watch a établi à l’époque l’existence de crimes graves commis par les deux camps : exécutions sommaires, massacres, violences sexuelles ciblées, tirs à l’aveugle d’hélicoptères, arrestations et détentions arbitraires par les forces gouvernementales de Laurent Gbagbo ; exactions des milices soutenues par l’État, assassinats notamment ; et exécutions sommaires, massacres, violences sexuelles ciblées et actes de torture par les Forces nouvelles. Des groupes libériens liés aux deux camps sont impliqués dans de nombreux massacres de civils, et les forces combattantes des deux camps engagent des enfants soldats.[20]

En mai 2003, un accord de cessez-le-feu met officiellement fin au conflit armé entre le gouvernement et les Forces nouvelles, même si des violations sporadiques du cessez-le-feu se poursuivent jusqu’en 2005. Le pays est divisé en deux—et il le restera jusqu’en 2010—, les Forces nouvelles contrôlant le nord du pays et le gouvernement, le Sud. De graves atteintes aux droits humains ciblant les populations civiles se poursuivent dans les deux parties du pays. Le 25 mars 2004, les forces de Laurent Gbagbo tuent sans distinction plus de 100 civils lors d’une manifestation organisée par les groupes d’opposition. Quelque 20 autres personnes sont enlevées et disparaissent.[21] Des milices violentes pro-Gbagbo, comme la FESCI et les Jeunes patriotes, se joignent aux forces de sécurité pour intimider, voler et opprimer les Ivoiriens du Nord, les immigrés et toute personne suspectée d’être dans l’opposition.[22] Dans le Nord contrôlé par les Forces nouvelles, les commandants s’enrichissent grâce aux pillages et au racket. Zone de non-droit absolu, détentions arbitraires, tortures et exécutions sommaires contre des partisans supposés du gouvernement continuent.[23] Les violences sexuelles contre les femmes et les jeunes filles sont considérables dans tout le pays. Les forces armées et des civils terrorisent les femmes qui ne bénéficient d’aucune protection étatique, compte tenu de l’impuissance des institutions judiciaires et policières qui sont incapables d’empêcher les violences, de poursuivre leurs auteurs et d’assister les victimes.[24] Personne ne sera jugé pour les crimes graves commis durant le conflit armé de 2002-2003 et par la suite.

Accords de paix et force de maintien de la paix

À la fin des hostilités, les parties belligérantes signent plusieurs accords de paix contenant des dispositions sur le désarmement et la réunification du pays. La France, la CEDEAO, l’Union africaine et les Nations Unies sont à l’origine de plusieurs initiatives visant à mettre fin à l’impasse. Elles échouent toutes. [25]

Le 27 février 2004, le Conseil de sécurité des Nations Unies met sur pied une mission de maintien de la paix en Côte d’Ivoire, qui prend le nom d’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI). La force, déployée le 4 avril 2004, comprend quelque 8 000 Casques bleus des Nations Unies et près de 1 000 officiers de police avec, en soutien, la force Licorne[26] composée de 5 000 militaires français plus lourdement armés. L’opération a pour but de surveiller une zone tampon coupant le pays d’est en ouest appelée « zone de confiance », qui sépare les forces ivoiriennes hostiles. La mission des Nations Unies en Côte d’Ivoire est chargée d’aider le gouvernement à mettre en œuvre le plan de désarmement, de démobilisation et de réintégration, et de protéger les populations civiles qui se trouvent sous la menace imminente de violences. Le Conseil de sécurité des Nations Unies impose par ailleurs un embargo sur les armes à destination de la Côte d’Ivoire en novembre 2004.

En mars 2007, le Président Laurent Gbagbo et les Forces nouvelles de Guillaume Soro signent l’accord politique de Ouagadougou, lequel sera soutenu par la suite par l’Union africaine et le Conseil de sécurité des Nations Unies.[27] Cet accord, le premier à être directement négocié par les principaux belligérants de leur propre initiative, aboutit à la nomination de Guillaume Soro comme Premier ministre dans un gouvernement d’unité nationale, suscitant l’espoir que la Côte d’Ivoire en finisse définitivement avec cette situation de « ni paix ni guerre ». L’accord rappelle plusieurs objectifs préétablis en termes de désarmement, d’identification des citoyens, d’inscription des électeurs et de réunification du pays, et comprend des dispositions sur les forces armées unifiées et le retour des autorités de l’État dans le Nord. L’accord politique de Ouagadougou appelle également à l’organisation d’élections présidentielles début 2008, lesquelles seront quasiment immédiatement reportées. Les opérations d’identification des citoyens et d’inscription des électeurs sont marquées par des émeutes et la fusillade de manifestants par les forces de sécurité, les questions de nationalité et d’ethnicité continuant d’entretenir les ressentiments.[28] Laurent Gbagbo reporte plusieurs fois les élections, prétextant que les conditions prévues par l’accord politique de Ouagadougou ne sont pas remplies. [29] Il reste ainsi au pouvoir cinq années supplémentaires au terme de son mandat, reportant sept fois les élections. Les pressions nationales et internationales de plus en plus fortes le forcent toutefois à accepter de tenir des élections en octobre 2010.

Élections de 2010 et conséquences immédiates

Le premier tour des élections présidentielles en Côte d’Ivoire se tient le 31 octobre 2010. Il oppose notamment, comme c’est le cas depuis le décès de Félix Houphouët-Boigny, Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié. Ce premier tour se déroule dans le calme avec une participation record—plus de 85 pour cent. Laurent Gbagbo obtient 38,3 pour cent des votes, Alassane Ouattara 32,08 pour cent, et Henri Konan Bédié arrive en troisième position avec 25,24 pour cent. Aucun des candidats n’obtenant la majorité, un second tour entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara est organisé le 28 novembre.[30] Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié s’étaient juré de soutenir au second tour celui qui resterait en course face à Laurent Gbagbo, formant une coalition rassemblant d’autres partis politiques minoritaires baptisée le Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Il était cependant difficile de dire si cette coalition tiendrait bon, compte tenu des relations passées entre les deux hommes et de la marginalisation de longue date des Ivoiriens du Nord par le PDCI de Henri Konan Bédié et le FPI de Laurent Gbagbo.

Le 2 décembre, Youssouf Bakayoko, président de la commission électorale indépendante (CEI), annonce la victoire d’Alassane Ouattara avec 54,1 pour cent des suffrages.[31] Les observateurs, notamment de l’Union européenne et du Centre Carter, estiment les élections libres et régulières, ne recensant que quelques irrégularités. Moins de vingt-quatre heures après la décision de la CEI, Paul Yao N’Dre, président du Conseil constitutionnel et proche allié de Laurent Gbagbo, annule au nom de l’institution les résultats de la commission et proclame Laurent Gbagbo vainqueur avec 51,45 pour cent des suffrages. Le Conseil constitutionnel fait valoir que la commission électorale n’a pas respecté le délai de trois jours pour annoncer les résultats, ne faisant aucun cas des tergiversations des alliés de Laurent Gbagbo au sein de la commission qui font tout pour en bloquer l’annonce et en viennent même à déchirer les feuilles de résultat devant les caméras.[32] Le Conseil constitutionnel annule des centaines de milliers de suffrages des régions nord du pays soutenant massivement Alassane Ouattara, sur la base de prétendues irrégularités.

Le 3 décembre, conformément aux procédures fixées par la résolution 1765 du Conseil de sécurité des Nations Unies et les accords politiques signés par les protagonistes du conflit, le représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la Côte d’Ivoire, Choi Young-Jin, confirme les résultats de la commission électorale donnant vainqueur Alassane Ouattara.[33] Il certifie par ailleurs que « la proclamation du Conseil constitutionnel [donnant vainqueur Laurent Gbagbo] ne se fondait pas sur les faits ». [34] Le Secrétaire général et le Conseil de sécurité des Nations Unies avalisent la victoire d’Alassane Ouattara, également reconnue par l’Union africaine,[35] la CEDEAO,[36] l’Union européenne et les États-Unis.

Rapidement, Laurent Gbagbo est investi Président par le Conseil constitutionnel le 4 décembre. De son côté, Alassane Ouattara prête serment par lettre adressée au Conseil. Tous deux désignent un chef de gouvernement et des ministres. La confrontation commence. Laurent Gbagbo s’installe dans les bâtiments gouvernementaux et Alassane Ouattara établit son quartier général au Golf Hôtel Abidjan. Les organismes internationaux exhortent Laurent Gbagbo à quitter le pouvoir. Fin décembre, la CEDEAO évoque la possibilité d’une intervention militaire, mais l’Union africaine, dont certains membres comme l’Angola et la Gambie soutiennent publiquement Laurent Gbagbo et d’autres, comme l’Afrique du Sud et le Ghana, expriment de la sympathie envers celui-ci, s’empresse de riposter contre la volonté de la CEDEAO de jouer un rôle déterminant dans la résolution de la crise. Son président, Victor Gbeho, exprimera d’ailleurs ultérieurement sa frustration devant ces nations africaines « appelant à la marginalisation de la CEDEAO » et « compromettant » ses efforts pour faire partir Laurent Gbagbo. [37]

Le 28 janvier, l’Union africaine établit un panel de haut niveau pour essayer de sortir de l’impasse. [38] Ayant initialement pour mission de présenter des recommandations dans un délai d’un mois, son mandat est prolongé le 28 février. [39] Le 10 mars, l’Union africaine confirme une nouvelle fois la victoire d’Alassane Ouattara et invite Laurent Gbagbo à quitter le pouvoir. [40] Le camp Gbagbo rejette la décision et les forces armées des deux camps menacent de déclencher une guerre civile. [41]

Face au refus persistant de Laurent Gbagbo de céder le pouvoir, la communauté internationale décide d’exercer des pressions financières. L’Union européenne et les États-Unis instaurent des restrictions financières et de déplacement visant Laurent Gbagbo et nombre de ses proches partisans. Par ailleurs, l’Union européenne met en place des sanctions contre des personnes morales dont plusieurs institutions financières et le port d’Abidjan, soupçonnés de financer le régime. La Banque centrale de l’Afrique de l’Ouest décide de saisir les comptes de la Côte d’Ivoire dans l’intention d’étrangler davantage financièrement Laurent Gbagbo. Celui-ci répond en prenant le contrôle des banques—pour, dit-on, faire main basse sur l’argent qui s’y trouve—, dont beaucoup avaient décidé de fermer leurs portes.[42]

Laurent Gbagbo continue de braver les pressions diplomatiques et financières de plus en plus fortes. Les Forces républicaines, menées par le Premier ministre d’Alassane Ouattara, Guillaume Soro, et composées essentiellement de militaires des Forces nouvelles qui ont contrôlé pendant dix ans le nord de la Côte d’Ivoire, lancent une offensive militaire fin février. Moins de deux mois après, elles contrôlent la majeure partie du pays et arrêtent Laurent Gbagbo le 11 avril. Le coût humain des violences post-électorales, résultat de 15 années d’impunité totale et d’agitation du spectre de l’ethnicité, est lourd. À la fin des hostilités en mai, on dénombre plus de 3 000 personnes tuées et plus de 150 femmes violées au cours de cette seule période de six mois.

I. Premières violences post-électorales :
novembre 2010—janvier 2011

Lorsqu’il ne faisait plus aucun doute que Laurent Gbagbo n’avait aucune intention d’accepter les résultats des élections pourtant reconnus par la communauté internationale et donnant Alassane Ouattara vainqueur, les forces de sécurité de Laurent Gbagbo sont passées à l’action dans le but de mater l’opposition. Chaque fois que les partisans d’Alassane Ouattara sont descendus dans les rues d’Abidjan pour protester, ceux-ci ont été sévèrement réprimés—et d’une manière particulièrement brutale le 16 décembre lors d’une marche sur la télévision contrôlée par Gbagbo, la RTI (Radio télévision ivoirienne). Les forces de sécurité ont tiré à balles réelles et lancé des grenades à fragmentation, tuant de nombreux manifestants et en blessant davantage. La répression s’est intensifiée avec l’enlèvement et la disparition de responsables locaux membres de la coalition d’Alassane Ouattara au sein de quartiers fidèles à celui-ci. Les corps de nombre d’entre eux ont été retrouvés plus tard par leurs proches à la morgue, criblés de balles. Les forces de sécurité ou les milices pro-Gbagbo s’en sont également pris aux femmes, les violant en raison de leur activisme politique en soutien à Alassane Ouattara ou de celui de leur mari, parfois abattu sous leurs yeux.

Pendant cette période, les principaux responsables de ces crimes étaient des unités d’élite étroitement liées à Laurent Gbagbo, dont la Garde républicaine, le CECOS (Centre de commandement des opérations de sécurité, une unité d’intervention rapide), la BAE (Brigade anti-émeute) et la CRS (Compagnie républicaine de sécurité, une unité de police d’élite). Dans certains cas, ces unités ont travaillé main dans la main avec les milices pro-Gbagbo, et notamment la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI), association étudiante de tradition violente, et les Jeunes patriotes, mouvement de la jeunesse fondé et dirigé par Charles Blé Goudé, nommé ministre de la Jeunesse par Laurent Gbagbo en décembre 2010.

En face, les Forces nouvelles contrôlant la moitié nord du pays se sont livrées à des actes d’intimidation et de violence à l’encontre des partisans de Laurent Gbagbo et ont commis des violences sexuelles contre des femmes. Si les violences commises à cette époque par les Forces nouvelles n’ont pas atteint le niveau de celles commises par le camp Gbagbo, elles présageaient toutefois des crimes graves que les Forces républicaines commettront à un stade plus avancé de la crise.

Forces pro-Gbagbo

Recours excessif à la force contre les manifestants

Lorsque les partisans d’Alassane Ouattara sont descendus dans les rues pour manifester aux lendemains du second tour des élections du 28 novembre, les forces de sécurité de Laurent Gbagbo les ont contrés de manière brutale et souvent fatale. Les manifestations au cours de cette période ont principalement eu lieu en raison de la controverse des 2 et 3 décembre sur les résultats des élections ainsi que de la marche sur la Radio télévision ivoirienne du 16 décembre.

Les forces de sécurité commençaient souvent—mais pas systématiquement—par des tirs de grenades lacrymogènes et des coups de feu en l’air. Au bout de quelques minutes, cependant, elles utilisaient des armes à feu mortelles—telles que des fusils kalachnikov, des pistolets automatiques et des grenades à fragmentation—sans que le comportement agressif ou la violence excessive des manifestants ne nécessite de telles mesures. Les forces de sécurité ont continué de tirer sur les manifestants alors que ceux-ci fuyaient, en tuant des dizaines et en blessant beaucoup d’autres. Les victimes interrogées par Human Rights Watch ont témoigné de la dangerosité particulière des grenades à fragmentation, notamment un jeune homme dont le petit frère a été tué par une grenade :

Nous avons survécu à [des violences politiques] en 2000, en 2002, en 2004, mais jamais, durant toutes ces années, les forces de sécurité n’ont utilisé des grenades comme celles-ci contre nous. Jamais… Il n’y a rien de pire. Elles font tellement de blessés et de morts parce que les éclats partent dans tous les sens. Nous mettons nos mains en l’air, nous montrons que nous sommes pacifiques, et ils répondent en tirant ces grenades.[43]

Le tir de balles réelles et de grenades à fragmentation lors de ces événements méconnaît les exigences de nécessité absolue et de proportionnalité consacrées par les principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et à l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois et le code de conduite des Nations Unies pour les responsables de l’application des lois.[44] En effet, étant donné que les rassemblements étaient, dans l’ensemble, de nature pacifique, il convenait d’appliquer ces principes de base, qui disposent que « les responsables de l’application des lois doivent s’efforcer de disperser les rassemblements illégaux mais non violentssans recourir à la force et, lorsque cela n’est pas possible, limiter l’emploi de la force au minimum nécessaire ».[45] Dans plusieurs cas documentés par Human Rights Watch sur cette période, les forces de sécurité et les milices qui les soutenaient sont allées plus loin, en exécutant à bout portant des manifestants capturés ou détenus.

4 décembre : Treichville/Koumassi

Le samedi 4 décembre, des partisans d’Alassane Ouattara sont descendus dans les rues des quartiers pro-Ouattara de Treichville et de Koumassi du sud d’Abidjan pour fêter la reconnaissance par les Nations Unies de la victoire d’Alassane Ouattara et protester contre la décision de Laurent Gbagbo de ne pas quitter le pouvoir. Les forces de sécurité ont rapidement réprimé cette manifestation, faisant ainsi au moins quatre morts, dont trois garçons, et des dizaines de blessés. La plupart des blessés ont été frappés par des grenades à fragmentation que les forces de sécurité ont tirées ou lancées au sol dans la foule, selon des témoins interrogés par Human Rights Watch.[46] Aucune des victimes ni aucun des manifestants qui se trouvaient autour ne semble pourtant avoir eu un comportement agressif à l’égard des forces de sécurité susceptible de provoquer l’emploi d’une force même minimale.

Vers 9 heures du matin, un garçon de 14 ans du quartier de Koumassi a suivi son grand frère jusqu’au carrefour Kahira, curieux de voir les jeunes s’y rassembler pour fêter la nouvelle. Selon plusieurs témoins interrogés par Human Rights Watch, un contingent du CECOS est arrivé environ une heure plus tard à bord de deux véhicules, numérotés 51 et 53, accompagné de plusieurs unités de la Garde républicaine.[47] L’aîné des deux frères a raconté ce qui s’est ensuite passé à Human Rights Watch :

Les forces de sécurité sont arrivées dans le quartier dans des pick-up du CECOS numérotés 51 et 53. Il y avait des gens sur la route et, au bout de quelques minutes, les forces du CECOS ont tiré des grenades lacrymogènes sans prévenir. Nous étions à une quinzaine de mètres d’elles. Nous ne nous étions pas approchés et n’avions pas lancé de pierres ni quoi que ce soit. Elles ont ensuite lancé des grenades à fragmentation. [Mon frère] était allé un peu plus loin pour jouer avec ses amis, il était à une dizaine de mètres de moi. Après avoir entendu l’une des premières explosions, j’ai regardé et je l’ai vu à terre, il y avait du sang partout. Je me suis précipité vers lui, il avait été touché par des éclats. Le sang coulait de sa cuisse et de sa taille, trempant son pantalon. […] Je l’ai pris dans mes bras pour l’amener chez mon père, et de là nous l’avons emmené dans une clinique du quartier. Lorsque nous sommes arrivés, il était déjà tout pâle. Le docteur l’a regardé et a dit qu’il était trop tard, il était déjà mort. […] Lorsque nous sommes rentrés de l’hôpital, tout le quartier est venu et pleurait. Nous pleurons encore.[48]

Moins de 500 mètres plus loin, au carrefour Saint-Étienne, à proximité du grand marché de Koumassi, deux autres garçons ont été tués par des tirs de grenade et un troisième très gravement blessé lors d’un rassemblement d’une centaine de partisans d’Alassane Ouattara.[49] Selon trois témoins interrogés par Human Rights Watch, le CECOS était également ici la principale force présente, accompagnée de quelques membres de la CRS et d’hommes en civil cagoulés. Un jeune homme qui a vu son jeune frère de 12 ans tué sous ses yeux par une grenade à fragmentation a déclaré à Human Rights Watch : « C’étaient des garçons. Pas des hommes armés. Des garçons qui s’amusaient dans la rue lors de la manifestation. Qui donc peut tuer des garçons désarmés ? »[50]

Une manifestation similaire rassemblant de nombreux partisans d’Alassane Ouattara a eu lieu dans le quartier de Treichville le 4 décembre au matin, à l’intersection de l’avenue 16 et de la rue 21. Human Rights Watch a interrogé trois personnes présentes lors de cette manifestation. Deux d’entre elles ont été grièvement blessées par des grenades à fragmentation, et la troisième par une balle l’atteignant à la main alors qu’elle fuyait, après que des membres de la CRS et des forces militaires avaient ouvert le feu. Un manifestant gravement blessé à la main et au dos par des éclats de grenade a vu son ami tué par un coup de feu tiré à bout portant.[51] Un autre manifestant a vu des membres de la CRS faire rouler des grenades dans la foule.[52] Dès les premières explosions, il a tenté de fuir, mais l’explosion d’une autre grenade l’a grièvement blessé, l’obligeant à marcher avec une canne. Plus de six semaines après, lors d’un entretien avec Human Rights Watch, il marchait toujours avec une canne.

Marche du 16 décembre sur la RTI

Le 14 décembre, le gouvernement Ouattara a appelé ses partisans à participer le 16 décembre à une marche dans le but de prendre le contrôle de la Radio télévision ivoirienne—instrument de contrôle indispensable à Laurent Gbagbo et d’appel à la violence contre les pro-Ouattara [voir Incitations à la violence par le camp Gbagbo, ci-dessous]. Laurent Gbagbo a répondu en renforçant la présence militaire à Abidjan, notamment autour de la RTI. Les milliers de personnes qui ont envahi les rues le 16 décembre ont été une nouvelle fois rapidement et sévèrement réprimées par les forces de sécurité de Laurent Gbagbo. Human Rights Watch a documenté le meurtre d’au moins 32 manifestants, dont certains des suites de tirs de grenades à fragmentation et de coups de feu tirés à bout portant. L’écrasante majorité des manifestants semble avoir eu un comportement pacifique tout au long des événements ; cependant, Human Rights Watch a documenté le meurtre de plusieurs membres des forces de sécurité de Laurent Gbagbo—dont un a été tué par une foule déchaînée après avoir tiré sur plusieurs manifestants depuis le toit d’un bâtiment.

Un homme de 24 ans, parvenu à 600 mètres de la RTI, a décrit la panique des manifestants confrontés aux tirs croisés de grenades et de carabine :

Vers 9 heures, alors que nous arrivions aux Deux Plateaux, j’ai vu des membres du CECOS dans un 4x4 accompagnés de policiers et de CRS. La police nous a dit de passer, alors nous avons continué. Pas plus de deux minutes plus tard, le CECOS a ouvert le feu. C’était à environ 600 mètres de la RTI. Il y avait plus de militaires entre nous et la RTI en tenue militaire verte. Ils portaient un brassard blanc, des kalaches [fusils kalachnikov] et des grenades. Alors que nous avancions, ils ont tiré des grenades lacrymogènes. Les gens se sont arrêtés, mais ils ont ensuite tiré plusieurs coups de feu. Plusieurs personnes touchées sont tombées. […] C’est alors que je les ai vus tirer des grenades à fragmentation. Le groupe en tenue verte les a tirées à l’aide d’un instrument ressemblant à un lance-grenades lacrymogènes. […] Il y a eu une explosion sur ma droite, et j’ai vu d’autres personnes au sol. Deux sont mortes sur-le-champ. J’étais couvert de leur sang. […] À quatre, nous avons déplacé les corps de l’endroit des coups de feu. Deux d’entre nous avons soulevé le premier corps, les deux autres le second. Les blessures de l’un d’entre eux étaient indescriptibles, inimaginables. Personne n’aurait survécu à de telles blessures, c’était comme si une partie de son visage et de son cou avait explosé.

Je me suis mis à courir avec d’autres vers le bureau du RHDP, mais les militaires nous ont poursuivis en camion. Nous avons quitté la route principale et pris la direction d’Adjamé. Là, nous avons rencontré des gendarmes en tenue bleu-blanc dans trois 4x4. Plusieurs d’entre eux ont lancé des grenades, dont une a explosé non loin de moi. Je suis tombé de douleur, j’ai vu que j’avais été touché à la jambe. Il y avait du sang, j’avais des éclats dans la jambe. Mon frère qui était avec moi m’a dit de me relever. Ma jambe me faisait mal, mais je ne pouvais pas m’arrêter.[53]

Un autre manifestant interrogé par Human Rights Watch a été témoin de la mort par balles de deux autres personnes. Les tireurs portaient dans ce cas un uniforme noir, comme en portent généralement les unités de police. Six autres personnes, dont la personne interrogée, ont été blessées par des tirs de grenades. L’homme, âgé de 29 ans, a décrit la scène après avoir été blessé :

Lorsque je suis tombé au sol, ma tête reposait sur un mort. Je n’entendais plus rien. Je ne distinguais aucun son mis à part un sifflement et parfois des balles. Il y avait du sang partout. J’ai essayé de secouer le gars sur qui j’étais tombé mais il ne répondait pas ; il ne bougeait pas. Il y avait à côté de moi un autre gars plus jeune, également mort. […] Au bout de plusieurs minutes, j’ai vu parler les personnes en tenue noire, puis s’approcher de nous. Ils ont pris plusieurs des corps qui étaient près de moi et les ont mis dans un camion. Je savais que si j’étais pris, j’étais mort, alors quand ils sont venus pour me prendre, je leur ai donné des coups de pied pour tenter de les en empêcher. Ils ont dit quelque chose—je n’entendais toujours rien—mais ils ont abandonné. Ils ont pris les autres corps autour de moi, dont les deux morts, et les ont mis dans le camion avant de partir.[54]

Assassinats ciblés et disparitions forcées d’activistes pro -Ouattara

Outre la répression des manifestations, les forces de sécurité de Laurent Gbagbo ont assassiné et enlevé des responsables politiques locaux et leurs alliés activistes de la société civile. Human Rights Watch a documenté plus de dix cas de disparitions forcées ou d’exécutions sommaires survenus autour de la marche du 16 décembre. Les preuves réunies laissent fortement penser que ces exactions étaient le résultat d’une campagne organisée visant à sélectionner, rechercher et enlever des personnes spécifiques liées à la coalition politique d’Alassane Ouattara. Citons notamment les faits suivants :

  • Au petit matin du 14 décembre, un dirigeant actif de quartier du Mouvement des forces de l’avenir (MFA), parti au sein de la coalition du RHDP, a été contraint par trois hommes armés en civil de monter dans une Mercedes grise. Des témoins ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils avaient pu entendre les agresseurs demander où se trouvaient plusieurs autres leaders du MFA à Abobo. Un appel passé ce même jour au téléphone de l’homme enlevé a été pris par une personne qui a répondu : « [Votre parent] fait partie du groupe qui tente de déstabiliser le parti au pouvoir. » Son corps a été retrouvé plus tard dans une morgue.[55]
  • Un membre dirigeant du MFA a expliqué à Human Rights Watch que plusieurs autres dirigeants du parti avaient « disparu »—les corps d’au moins deux d’entre eux ont été par la suite identifiés, portant des blessures par balle, dans une morgue. [56] Deux militants de quartier pour le parti de l’UDCI (l’Union démocratique de Côte d’Ivoire), faisant également partie de la coalition du RHDP, ont également été victimes de disparition le 9 décembre—leurs corps ont été retrouvés à la morgue de Yopougon plus d’une semaine plus tard.[57]
  • Le 18 décembre, deux membres du groupe de la société civile Alliance pour le changement (APC)—qui est lié au parti de Ouattara et qui a été actif dans la mobilisation des électeurs—ont été enlevés sous les yeux de témoins en début de soirée dans le quartier de Cocody Angré. Un témoin a expliqué à Human Rights Watch que les gens qui se trouvaient dans un restaurant à proximité ont été contraints de se coucher par terre tandis que des hommes armés obligeaient les deux militants à monter à bord d’un 4x4. Tous les deux sont présumés morts.[58]
  • Six jours plus tard, un autre dirigeant de l’APC a échappé de peu à un enlèvement à Abobo vers 7h30 du matin, lorsqu’un 4x4 Mitsubishi vert foncé s’est dirigé vers lui à toute vitesse et cinq hommes armés, dont trois en treillis, en sont sortis, l’appelant par son nom et lui criant de monter dans la voiture. Un témoin a indiqué à Human Rights Watch que plusieurs de ces hommes portaient un béret rouge de la Garde républicaine.[59] Selon la victime potentielle, alors que les hommes tentaient de le contraindre à monter dans la voiture, il a vu huit photographies—dont la sienne et celles d’autres personnes qu’il a reconnues comme étant des membres de la direction du RHDP au niveau de la communauté—sur le plancher de la voiture. [60]

Human Rights Watch a également documenté l’enlèvement et le meurtre ciblés de plusieurs personnes qui avaient surveillé les urnes dans un bureau de vote d’Abobo pour le RHDP. Un membre de la famille de l’une des victimes a déclaré :

Vers 18 heures le 18 décembre, nous étions tous chez nous quand un groupe d’une dizaine de policiers vêtus de noir est arrivé dans un camion de transport et s’est stationné dehors. Ils sont descendus et ont pénétré de force dans notre enceinte. À ce moment-là, j’ai entendu une voisine qui appartient à [un groupe ethnique qui a largement soutenu Gbagbo] qui disait : « Regardez, il est là, c’est l’un des leurs. » Quelques moments plus tard, ils se sont emparés de mon parent, qui est âgé d’une quarantaine d’années, et ils l’ont forcé à monter dans leur camion. […] À peu près à la même heure, la femme qui aidait les policiers à identifier les personnes qu’ils recherchaient a dit : « L’autre est en train de prier dans la maison. » Ils sont entrés dans la maison de l’autre [observateur des élections], qui a environ 60 ans, pour le capturer. Il disait : « Non, non… Au moins laissez-moi mettre mes chaussures », mais ils lui ont crié de les laisser et l’ont traîné de force pour le faire monter dans le camion.

Environ une semaine plus tard, nous avons fini par trouver leurs corps à la morgue de Yopougon. C’était très difficile. […] J’ai vu des blessures par balle sur leur poitrine, et beaucoup de sang sur leur tête. À la morgue, j’ai vu de nombreux corps, couchés les uns sur les autres. La plus âgée des deux victimes était le représentant du RDR à notre bureau de vote. Il s’est interposé personnellement à la porte du bureau de vote pour empêcher les gens du FPI qui étaient venus voler les urnes.[61]

En plus de ces disparitions et de ces tentatives d’enlèvement documentées, Human Rights Watch a reçu des déclarations de la part de plus d’une dizaine de voisins et de proches faisant état de véhicules 4x4 avec à leur bord des hommes armés en tenue de camouflage qui sont venus au domicile de dirigeants communautaires du RHDP, parfois à maintes reprises. De nombreux responsables du RHDP à Abidjan ont été contraints de vivre dans la clandestinité pendant plusieurs mois.

Assassinats d’opposants présumés par les milices pro-Gbagbo

Des témoins ont raconté à Human Rights Watch avoir vu des hommes battus à mort avec des briques, des gourdins et des rondins de bois, ou abattus par des membres des milices pro-Gbagbo à des postes de contrôle sauvages qu’ils avaient érigés. De tels délits, prenant pour cible les Ivoiriens du Nord et les immigrés ouest-africains, ont été constatés pendant toute la crise post-électorale.

Les chercheurs de Human Rights Watch ont documenté le meurtre d’au moins 13 hommes à des postes de contrôle érigés par les milices pro-Gbagbo dans les jours qui ont suivi la marche du 16 décembre. Dans de nombreux cas, des témoins ont indiqué que des policiers, des gendarmes et d’autres membres des forces de sécurité ont clairement pris le parti des milices en s’abstenant d’intervenir lorsque des exactions étaient commises, en les approuvant ouvertement pendant ou après, ou en tirant même sur le corps des victimes. Nombre de ces meurtres ont été commis à quelques mètres d’un commissariat de police. Dans le cadre de la répression par les forces de police des manifestations organisées par les pro -Ouattara, des témoins ont raconté que les milices pro-Gbagbo ont aidé les forces de sécurité, tirant parfois avec leurs kalachnikovs, leurs pistolets ou leurs fusils de chasse sur des manifestants désarmés.

La plupart des meurtres commis par les milices ont eu lieu en plein jour. Les victimes étaient généralement arrêtées à des postes de contrôle illicites et sommées de présenter leur carte d’identité. Si les miliciens considéraient que la tenue vestimentaire ou le nom des personnes arrêtées était de type musulman ou établissait leur appartenance à un groupe ethnique soutenant Alassane Ouattara, ils les entouraient, les accusaient d’être des « manifestants » ou des « rebelles » et les frappaient à mort avec des barres de fer, des rondins de bois et des briques. Les victimes et les témoins ont dans la plupart des cas identifié les agresseurs comme étant des membres de la FESCI ou des Jeunes patriotes, soit parce que ces victimes ou ces témoins les connaissaient personnellement, soit parce que les agresseurs s’étaient présentés comme tels, soit encore parce que le lieu de l’agression le laissait penser—à proximité d’un lieu de rassemblement des Jeunes patriotes ou d’une résidence universitaire de la FESCI. [62]

Une femme qui vit dans le quartier de Riviera II a décrit le meurtre d’un jeune par un groupe de membres de la FESCI qui habitent dans les résidences universitaires près de chez elle :

Dans l’après-midi du 16 décembre après que les violences associées à la manifestation s’étaient calmées, un groupe d’une vingtaine de jeunes de la FESCI était rassemblé devant leur logement universitaire. Alors qu’un jeune passait par là, les FESCI lui ont crié d’approcher, mais il a manifestement eu peur et il s’est mis à courir. Les FESCI l’ont pourchassé et l’ont rattrapé au bout d’une trentaine de mètres et se sont mis immédiatement à le rouer de coups, le frappant à coups de bâton et avec des pierres jusqu’à ce qu’il tombe, en sang.

Un autre groupe de FESCI est arrivé depuis son logement et l’un d’eux lui a tiré dans la jambe avec un pistolet. Quelques minutes plus tard, un camion des CECOS est arrivé sur les lieux. J’ai entendu le jeune de la FESCI qui disait : « C’était un manifestant, un rebelle. » Entendant cela, un policier du CECOS est descendu de son véhicule, et il a tiré quatre fois sur le jeune à la tête avec un long fusil
. [63]

Un habitant d’Abobo a décrit le meurtre de deux jeunes hommes commis le 13 janvier par des militants des Jeunes patriotes qui tenaient un poste de contrôle juste devant leur siège dans le quartier . Ce même jour, cinq policiers avaient été tués dans ce quartier par des agresseurs non identifiés liés, d’après le gouvernement Gbagbo, aux forces pro-Ouattara. L’habitant a déclaré :

Vers 10 heures du matin, alors que je parvenais à la route principale, une femme m’a informé que les Patriotes tuaient des gens à nouveau. Je suis allé prudemment jusqu’à un endroit d’où je pouvais voir ce qui se passait, et là j’ai vu un jeune homme allongé au milieu de la route. […] Sa tête était couverte de sang et j’ai vu des briques par terre sur la route à proximité. Il y avait une vingtaine de Patriotes qui marchaient tout autour de l’homme mourant, portant du bois et des briques. Le jeune homme respirait à peine, c’étaient ses derniers moments. Je suis passé rapidement à côté en traversant la route ; je voulais courir mais si je n’avais pas marché normalement ils s’en seraient pris à moi .

Ensuite, juste après midi, j’ai vu un second meurtre. Le dirigeant local des Patriotes et quelques autres pourchassaient un jeune homme depuis une rue qui mène à l’autoroute. Alors qu’ils arrivaient à la route, l’homme s’est retrouvé coincé derrière un minibus ; il s’est retourné avec les mains en l’air et l’un des Patriotes l’a poignardé à plusieurs reprises avec un couteau. […] La victime est tombée, puis deux autres hommes ont attrapé une petite table en bois et ils s’en sont servis pour frapper l’homme, encore et encore ; ils l’ont battu à mort. Après l’avoir tué, les trois hommes se sont retournés calmement, ont mis leurs mains dans les poches et se sont éloignés. Nous avons appris plus tard que les victimes étaient des jeunes du RHDP.[64]

Violences sexuelles

Human Rights Watch a documenté les viols collectifs de 14 femmes à Abobo par des membres des forces de sécurité ou de milices pro-Gbagbo—agissant de concert dans plusieurs cas—dans les jours qui ont suivi la marche du 16 décembre. Parmi les victimes se trouvaient trois jeunes filles, dont deux de 16 ans et une de 17 ans, et une femme enceinte de huit mois. Dans trois de ces cas, les époux des victimes ont été assassinés en même temps. Les agresseurs donnaient souvent à leur geste une motivation politique, disant à leurs victimes de faire part de leur « problème » à Alassane Ouattara.

Une femme de 25 ans, victime d’un viol collectif avec plusieurs autres femmes alors qu’elles rentraient chez elles après la marche du 16 décembre, a péniblement raconté à Human Rights Watch son agression :

Nous rentrions de la marche à environ vingt heures. Au parlement [des Jeunes patriotes] dans le quartier Avocatier [d’Abobo], il y avait un barrage routier. Le matin, il n’y en avait pas. Comme nous étions nombreux, nous avons pensé que nous pouvions continuer ensemble et rentrer chez nous. Ils nous ont attaqués, tuant les hommes et nous violant. Ils nous ont violées en plein sur la place du parlement.

Ils ont emmené les filles de force sur la place et ont frappé les hommes avec des gourdins. Certains ont réussi à fuir. Un homme m’a mis les mains dans le dos, un autre a plaqué sa main sur ma bouche. Trois autres m’ont tenu les jambes, et ils m’ont violée. Ils ont déchiré mes habits. Je portais un tee-shirt du RDR, un pagne et des collants en dessous. […] Quatre hommes m’ont fait ça. J’ai essayé de les en empêcher, en vain. C’est pourquoi j’ai la mort dans l’âme. Ils m’ont frappée avec des gourdins, avec la crosse de leurs fusils. Il y avait parmi eux beaucoup d’hommes en tenue, ainsi que des jeunes avec des brassards rouges autour du bras. […] Lorsqu’ils étaient sur moi, ils violaient d’autres filles autour de moi. Ils ont dit d’aller raconter à Alassane qu’ils m’avaient violée. […] Je suis rentrée chez moi seule, en sang.[65]

Une autre femme de 25 ans qui a été violée par trois soldats et un civil a vu son mari exécuté devant elle le 17 décembre :

Vers 22 heures, les militaires sont venus chez moi ; ils étaient huit portant des treillis avec des pièces rouges, et un des Jeunes patriotes du quartier. Quand ils ont enfoncé la porte, j’ai couru pour attraper mon fils de trois ans et je l’ai tenu contre moi. Je hurlais tandis qu’ils frappaient mon mari, alors l’un d’eux m’a frappé violemment à la tête avec la crosse de son fusil, et il a déchiré ma chemise. […] Quand il a vu que je portais une chemise avec la photo d’Alassane, ils sont devenus fous. Ils m’ont arraché mon fils des bras et l’ont jeté à la porte, puis ils m’ont tirée dans la chambre, m’ont arraché mes vêtements et se sont jetés sur moi ; quatre d’entre eux l’ont fait, dont le Patriote. Je me suis battue et l’un d’eux m’a frappée avec sa ceinture. Je suis sortie de la pièce quand ils ont eu terminé, et j’ai vu qu’ils avaient fait mettre mon mari à genoux avec les mains en l’air. Ils lui ont tiré deux fois dans le dos. […] Avant qu’ils l’abattent, mon mari hurlait : « Ma famille, ma famille… »
En partant, l’un d’eux a dit : « Va dire à Alassane que c’est nous qui t’avons fait ça. » Mes enfants ont vu leur père se faire tuer sous leurs yeux et maintenant ils se réveillent la nuit en pleurant. Mon mari était actif dans le RDR, c’est peut-être pour ça qu’ils nous ont attaqués . [66]

Les agressions se sont poursuivies dans le quartier pendant plusieurs jours après la marche du 16 décembre. Une femme de 20 ans a raconté avoir été violée chez elle avec deux membres de sa famille, dont une jeune fille âgée de 16 ans, le 19 décembre vers une heure du matin. Les six agresseurs, dont cinq en tenue noire, ont frappé à la porte de leur appartement dans le quartier d’Abobo et exigé que les femmes ouvrent pour laisser entrer la police. Une fois la porte ouverte, les hommes « nous sont tombés dessus—deux d’entre eux se sont servis de moi ; je ne voulais pas ce qu’ils faisaient ; ils m’ont frappée jusqu’à ce que je n’aie plus le choix. […] Quand ils ont eu fini, ils ont pris notre sœur, et nous n’avons pas réussi à la retrouver. Ils m’ont violée dans la chambre, ma sœur dans le salon, et l’autre [s œ ur] qui a disparu juste devant la cour » . [67]

Forces pro-Ouattara dans le nord du pays

Après les élections, les militaires des Forces nouvelles ont intimidé, menacé et, dans quelques cas, tué ou violé des personnes liées au parti politique de Laurent Gbagbo dans le Nord, en plus de voler leurs biens. Human Rights Watch a interrogé trois femmes qui ont été violées durant cette période. Les exactions furent de bien moins grande ampleur que celles commises par les forces de Laurent Gbagbo à Abidjan.

Entre le second tour des élections et le 24 février, lorsque les affrontements ont éclaté dans l’extrême ouest du pays entre les forces armées des deux camps, près de 40 000 réfugiés ont franchi la frontière avec le Libéria—la grande majorité d’entre eux fuyant la région contrôlée par les Forces nouvelles des Dix-Huit Montagnes pour trouver refuge dans le comté de Nimba au Libéria.[68] Lorsque Human Rights Watch a mené sa première mission le long de la frontière ivoiro-libérienne fin décembre 2010, le nombre de réfugiés atteignait déjà 13 000.[69]

Des dizaines de réfugiés interrogés à l’époque par Human Rights Watch ont déclaré être partis parce qu’ils avaient été harcelés ou intimidés par les militaires des Forces nouvelles à la veille et au lendemain du second tour des élections. Pour la plupart, ces réfugiés avaient participé activement ou affiché leur soutien à la campagne de Laurent Gbagbo. Un homme de 40 ans a déclaré à Human Rights Watch avoir été battu par des militaires des Forces nouvelles pour avoir été le représentant du parti de Laurent Gbagbo dans un bureau de vote de l’extrême ouest du pays. Il a montré à Human Rights Watch ses cicatrices, toujours visibles un mois après, sur son crâne et sa main droite. Il a fui au Libéria lorsqu’il a appris par des amis que les militaires des Forces nouvelles le recherchaient à nouveau.[70]

Lorsque la Cour constitutionnelle a proclamé Laurent Gbagbo vainqueur, des témoins ont raconté que des dizaines de militaires des Forces nouvelles ont quitté presque immédiatement leur bastion de Danané pour se déployer dans des villages censés soutenir Laurent Gbagbo. Les réfugiés se sont enfuis dans la brousse à l’arrivée des militaires, dont un homme de 38 ans du village de Mahapleu :

Le mardi 30 novembre, ma grand-mère m’a dit qu’elle avait entendu dire qu’il allait y avoir des problèmes, et elle m’a dit de ne pas traverser [au Libéria] tout de suite. Au lieu de cela, je suis allé dans la brousse pendant deux jours. Pendant ce temps, six militaires des Forces nouvelles sont venus dans le village à la recherche de partisans de Laurent Gbagbo. Nous étions cinq [pro-Gbagbo] dans le village. Ils ont fracturé la porte de ma maison pour me trouver. Ils n’agissaient pas au hasard.[71]

Dans un cas particulièrement odieux, une femme a expliqué que son époux avait été enlevé, qu’elle avait ensuite été passée à tabac, ainsi que son fils de 7 ans, qui était mort de ses blessures :

Mon mari, un militaire [pro-Gbagbo] a été enlevé par les FN plusieurs semaines après les résultats des élections. Des hommes sont venus frapper à la porte et ont demandé à le voir. Mon mari a répondu et a dit : « Qui est là ? » Un homme a répondu : « C’est ton ami. » Mon mari a ouvert la porte et quatre hommes des FN en civil sont entrés et l’ont ligoté. Ils l’ont sorti. […] Ils étaient sept au total. Les trois autres sont restés et ont commencé à me frapper. L’un d’entre eux a dit : « On devrait violer cette femme », mais les deux autres ont répondu : « Non, ce n’est pas notre mission, il ne faut pas perdre de temps. » Ils m’ont alors frappée, ainsi que mon plus jeune fils âgé de sept ans. Il leur criait après, alors ils l’ont battu avec des bâtons et d’autres objets. Il a perdu connaissance, puis ils sont partis et nous avons décidé de quitter notre village pour rejoindre celui d’à côté. [Entre ce village] et la frontière libérienne, le garçon a commencé à se plaindre de douleurs et à cracher du sang. Nous avons dormi dans la brousse, et il y est mort. Je ne sais toujours pas où se trouve mon mari.[72]

Human Rights Watch a également documenté les exactions commises dans au moins trois villages par les Forces nouvelles à l’encontre de partisans de Laurent Gbagbo, qui se sont livrées au pillage des habitations et des commerces et ont emporté des motocyclettes, des marchandises, de l’argent et d’autres objets de valeur. Un homme de 37 ans vivant dans l’un de ces villages a raconté à Human Rights Watch :

Pendant les élections, nous menions campagne pour Gbagbo et lorsque les résultats ont été annoncés, les Forces nouvelles sont venues et nous ont pris nos motocyclettes. […] Je me suis caché pendant trois jours. Je suis sorti de ma cachette le 14 décembre. Deux personnes m’ont dit que les Forces nouvelles me recherchaient. Le 14 au soir, les rebelles sont arrivés de Danané vers 20 heures ; je ne pourrais pas dire combien de véhicules il y avait, mais ils avaient des 4x4 et des motocyclettes. Ils portaient la tenue des Forces nouvelles et avaient des lance-roquettes et des kalaches. Je me suis réfugié dans la brousse et ils ont dit à mon frère : « N’aie pas peur, nous sommes ici pour vous protéger, ainsi que vos biens. » Le soir même, ils ont volé mon frère. Ils ont pris notre motocyclette et notre téléphone portable ; au total, ils ont volé 20 motocyclettes dans le village.[73]

La plupart des réfugiés ont déclaré à Human Rights Watch avoir fui par crainte des exactions, le souvenir du conflit armé de 2002-2003 et de ses prolongements—et notamment des abus commis par les Forces nouvelles—étant resté particulièrement vif dans les mémoires. Un réfugié de 39 ans de Zouan-Hounien a indiqué :

En 2003, j’ai été emprisonné à Danané pendant un mois, mais grâce à l’intervention de l’ONUCI, j’ai été libéré. J’étais accusé d’avoir soutenu Gbagbo après les élections [de 2010], et lorsque c’est arrivé [la controverse électorale], j’ai décidé de partir. […] Je ne voulais pas revivre la même chose. Avant que je parte [pour le Libéria], les rebelles me recherchaient et questionnaient mes amis. Ces derniers m’ont dit de faire attention. Le même militaire des Forces nouvelles qui m’avait arrêté en 2003 est revenu dans le village à ma recherche.[74]

Les militaires des Forces nouvelles s’en sont également pris à des femmes qu’ils ont agressées sexuellement pour leur soutien réel ou présumé à Laurent Gbagbo. Human Rights Watch a documenté sur cette période trois cas de viols survenus immédiatement après le second tour des élections, dont le viol de l’épouse d’un responsable de la campagne de Laurent Gbagbo par des militaires des Forces nouvelles venus chercher son mari.[75] Une femme de 36 ans a assisté depuis chez elle au viol de deux autres femmes de son village, dont une femme enceinte violée par quatre militaires des Forces nouvelles.[76] Plusieurs réfugiés au Libéria ont également déclaré à Human Rights Watch que des militaires des Forces nouvelles étaient venus dans leurs villages et avaient forcé les femmes à leur faire la cuisine et, dans certains cas, à être leurs « épouses » forcées.[77]

II. Vers un conflit armé : février à mi-mars 2011

Fin janvier, le pays se dirigeait vers un conflit armé de grande ampleur. Le gouvernement Gbagbo et ses plus fervents partisans, principalement par l’intermédiaire de la RTI, la chaîne de télévision d’État, ont intensifié leurs incitations à la violence contre les sympathisants d’Alassane Ouattara et le personnel des Nations Unies. Les « étrangers », sous-entendu les Ivoiriens du Nord et les immigrés ouest-africains, ont été confrontés à un discours incendiaireparticulièrement intense. Par ailleurs, une attaque-surprise menée à Abobo par un groupe se faisant appeler le « Commando invisible » a entraîné la perte du contrôle de certaines zones du quartier par les forces de Laurent Gbagbo. Ces deux événements—incitation à la xénophobie et premier signe de menace militaire—ont suscité une plus grande violence de la part des milices de Laurent Gbagbo qui, souvent, n’ont pas hésité à brûler vifs les Ivoiriens du Nord et les immigrés ouest-africains qui avaient le malheur de passer par les points de contrôle de plus en plus nombreux. Lors d’un épisode qui a illustré de façon particulièrement frappante le refus de Laurent Gbagbo de céder le pouvoir, les forces de sécurité sont allées jusqu’à ouvrir le feu sur des femmes qui participaient à un rassemblement pacifique à Abobo, tuant sept d’entre elles.

Dans l’autre camp, le Commando invisible a été le principal responsable des exactions documentées sur cette période, dont une attaque contre des civils dans un village pro-Gbagbo et l’exécution sommaire de prisonniers membres des forces de sécurité de Laurent Gbagbo. Le Commando invisible, s’il comptait des militants pro-Ouattara, n’affichait aucune chaîne de commande claire avec le gouvernement Ouattara. Celui qui apparaissait être à la tête du Commando invisible, connu sous le nom d’IB Coulibaly, était un ex-commandant supérieur des Forces nouvelles qui s’était violemment opposé à Guillaume Soro sur le contrôle du groupe rebelle en 2003. [78] Cette lutte intestine aboutira à la mort d’IB Coulibaly, tué par les Forces républicaines de Guillaume Soro le 27 avril 2011. Mais la séparation entre les forces d’IB Coulibaly et celles de Guillaume Soro n’a pas toujours été totale lorsque les opérations visant à évincer Laurent Gbagbo se sont poursuivies ; de nombreux habitants d’Abobo et des sources proches des Forces nouvelles ont déclaré à Human Rights Watch que certains éléments sous le commandement ultime de Guillaume Soro se trouvaient à Abobo à ce moment-là et avaient également été impliqués dans des exécutions sommaires.

Les forces pro-Gbagbo

Incitations à la violence par le camp Gbagbo

Pendant toute la période post-électorale, le camp Gbagbo a fait de la Radio télévision ivoirienne (RTI), la chaîne d’État, ce que l’on pourrait qualifier de machine de propagande perpétuelle. Les chercheurs de Human Rights Watch ont pu visionner de nombreuses émissions qui dénonçaient les « étrangers » et les Nations Unies, et appelaient les partisans de Laurent Gbagbo à s’élever contre eux. Le terme « étranger » était en permanence utilisé par les militants pro-Gbagbo pour désigner les immigrés ouest-africains et les groupes ethniques du Nord. Souvent, de telles déclarations émanaient de sources officielles du gouvernement. En réponse aux discussions de la CEDEAO, fin décembre, sur une éventuelle intervention militaire, par exemple, Laurent Gbagbo et son porte-parole ont émis des menaces voilées à l’égard des immigrés ouest-africains en cas d’une telle intervention. [79]

Le 10 janvier, le Conseil de sécurité des Nations Unies a exigé « un arrêt immédiat de l’utilisation des médias, spécialement par l’intermédiaire de la RTI, pour propager de fausses informations et inciter à la haine et à la violence, y compris contre l’ONU ». [80] Dans un article du 13 janvier, Reporters sans frontières a déclaré que les journalistes supposés proches d’Alassane Ouattara avaient été « mis à l’index » par « la chaîne d’État, en particulier Radio-Télévision Ivoirienne (RTI), et [le quotidien] Fraternité Matin »—tous deux étant devenus de plus en plus virulents. [81] Le 19 janvier, les Conseillers spéciaux du Secrétaire général des Nations Unies pour la prévention du génocide et pour la responsabilité de protéger se sont déclarés très inquiets « d’apprendre que des propos haineux visant à inciter à des attaques violentes contre certains groupes ethniques et nationaux [continuaient] d’être tenus ». [82]

Les incitations à la violence se sont cependant faites de plus en plus fréquentes et virulentes. Le 25 février, lors d’une réunion retransmise ensuite à la télévision, Charles Blé Goudé a tenu les propos suivants à ces partisans :

Je vous donne cet ordre, qui doit être appliqué dans tous les quartiers. [...] Lorsque vous rentrez dans vos quartiers, [...] vous devez occuper des points de contrôle pour surveiller les allées et venues dans vos quartiers et dénoncer tout étranger qui y entre. [83]

Dans la même retransmission, un membre des Jeunes patriotes déclarait : « Si vous êtes ivoirien, vous devez dénoncer les [étrangers] à tout moment, et si vous ne les dénoncez pas, c’est que vous êtes un rebelle, vous êtes l’ennemi de la Côte d’Ivoire, et vous devez être traité comme tel. » En effet, comme illustré en détail un peu plus loin, Human Rights Watch a documenté une hausse sensible du nombre de points de contrôle—et du nombre d’attaques ciblées, y compris des meurtres, à l’encontre des groupes supposés pro-Ouattara—au cours des jours qui ont suivi la retransmission télévisée. Certains témoins des exactions ont affirmé avoir entendu des miliciens faire référence à « l’ordre » de Charles Blé Goudé.

Les attaques au vitriol à l’encontre des groupes pro-Ouattara ont continué de prendre de l’ampleur lorsque les combats entre les forces pro-Ouattara et les forces pro-Gbagbo ont ouvertement commencé. À la mi-mars, ces attaques étaient souvent devenues extrêmement déshumanisantes, consistant à comparer ces groupes à des animaux et à encourager la croyance selon laquelle tous les partisans d’Alassane Ouattara étaient des « rebelles ». Dans l’édition du 9-15 mars du journal Le Temps, autrefois détenu par la deuxième épouse de Laurent Gbagbo, Nadiana Bemba, et encore proche du régime Gbagbo, un journaliste a écrit :

Les « Blakoros » d’Alassane Ouattara ont détalé comme des rats dans les champs de manioc, suivis des mercenaires burkinabés qui ont été à l’épreuve du feu de forces régulières. […] Ces rebelles […] en déroute devant les hommes du général Mangou, qui ont infesté Abobo comme des rats des villes et des champs, proviennent en fait des égouts empuanties [sic] de la rébellion. […] [C]omme des hyènes, [Alassane Ouattara et le Président français Sarkozy] ricanent et bavent à la vue des macchabées en décomposition qui constituent leur menu macabre. […]. À Abobo, mercenaires, rebelles, Licorne et UNOCI portent les mêmes habits. C’est dire que dans les égouts d’Abobo, nul n’est besoin de distinguer telle vermine de telle autre. [84]

L’Associated Press a également rapporté que lors d’une transmission de la RTI à cette époque, « le présentateur souriait alors qu’il relatait un incident au cours duquel une douzaine de rebelles supposés avaient été tués par des soldats pro-Gbagbo dans le centre d’Abidjan, disant d’eux qu’ils s’étaient fait abattre comme de faibles oiseaux. Des images des corps ensanglantés ont été diffusées parallèlement à des images de soldats se tapant dans la main et d’une foule les acclamant ». [85]

Le 18 mars, un jour après le lancement de tirs de mortier sur un marché d’Abobo par les forces de Laurent Gbagbo, qui ont tué quelque 25 civils, le porte-parole de Laurent Gbagbo, Ahoua Don Mello, a déclaré sur la RTI : « Son Excellence […] Laurent Gbagbo demande aux Ivoiriens de prendre leurs responsabilités et appelle les citoyens et les forces de sécurité à une plus forte collaboration [...] de façon à neutraliser toute présence suspecte dans notre environnement. » [86] Le lendemain, Charles Blé Goudé a appelé ses jeunes militants à « se faire enrôler dans l’armée afin de libérer la Côte d’Ivoire de ces bandits ». [87] Ces deux déclarations entérinent officiellement une réalité de longue date concernant la présence des milices violentes pro-Gbagbo au centre des efforts de défense du régime. Ce faisant, comme durant toute la crise, aucune tentative n’a été faite pour distinguer les civils des cibles militaires. Les Ivoiriens du Nord et les immigrés ouest-africains, sans cesse déshumanisés, représentaient tous une « présence suspecte » potentielle qu’il fallait « neutraliser »—car la « vermine » ne se distingue pas. Des centaines d’autres exactions ont suivi.

Violence ciblée contre les immigrés ouest-africains à Abidjan

Alors que les tensions s’intensifiaient en février, les immigrés issus du Burkina Faso, du Mali, de la Guinée, du Sénégal, du Niger et du Nigeria ont été soumis à un flux régulier et de plus en plus violent d’exactions commises par des miliciens et des membres des forces de sécurité de Laurent Gbagbo. Un grand nombre d’immigrés ouest-africains interrogés par Human Rights Watch ont déclaré que la violence avait commencé fin décembre après que l’organisme régional de la CEDEAO avait reconnu Alassane Ouattara comme Président et avait ouvertement abordé la possibilité d’une intervention militaire pour démettre Laurent Gbagbo de ses fonctions. Toutefois, d’après eux, les attaques se sont largement intensifiées après les affrontements du 24 février entre les deux forces armées à Abobo et dans la ville voisine d’Anyama, ainsi qu’après une réunion télévisée du 25 février au cours de laquelle Charles Blé Goudé a appelé les jeunes pro-Gbagbo à mettre en place des barrages routiers et à « dénoncer » les étrangers. Human Rights Watch a documenté l’assassinat d’au moins 32 immigrés ouest-africains et Ivoiriens du Nord au cours de cette période ; 14 d’entre eux ont été passés à tabac ou brûlés vifs. De plus, des pillages généralisés de nombreux magasins et de maisons dont ils étaient propriétaires ont été perpétrés, ainsi que l’expulsion systématique des d’immigrés ouest-africains d’au moins trois quartiers d’Abidjan après le 25 février.

La majorité de ces attaques ont eu lieu dans les quartiers de Yopougon, de Port-Bouët et de Cocody à Abidjan, où les milices pro-Gbagbo étaient très présentes. De nombreuses victimes ont affirmé avoir entendu des miliciens faire référence à « l’ordre » de Charles Blé Goudé alors qu’ils commettaient des exactions à leur encontre, notamment un commerçant qui, au cours d’une attaque du 1er mars, a entendu les miliciens dire : « Notre général [Blé Goudé] nous a envoyés pour sécuriser ce quartier, ce qui signifie que tous les [...] Mossis [un groupe ethnique du Burkina Faso], Maliens [...] doivent quitter ce lieu. » [88] Le jour du discours de Charles Blé Goudé, deux jeunes porteurs du marché de Yopougon ont été ligotés, jetés dans leurs charrettes à bras et brûlés vifs. [89] Le 3 mars, un homme handicapé du Burkina Faso accusé par des miliciens de cacher des rebelles dans sa maison a été emmené dans un bâtiment abandonné de Port-Bouët et brûlé vif. [90]

Un jeune Malien de 21 ans qui a été détenu avec six autres hommes qu’il pensait être des immigrés ouest-africains a décrit comment cinq d’entre eux ont été exécutés à bout portant par des miliciens pro-Gbagbo après avoir été arrêtés le 6 mars dans les rues de Yopougon :

Ce jour-là, je portais des vêtements sales car je travaillais comme porteur. Voilà comment ils savaient que j’étais malien—nous formons la plus grande partie des porteurs. Alors que je marchais, six gars armés de kalaches sont arrivés derrière moi, et l’un d’eux a enfoncé son arme dans mon dos et m’a poussé vers la route. Ils ont fait la même chose à d’autres, et bientôt ils avaient sept d’entre nous. Nous étions tous ressortissants CEDEAO. Ils nous ont mis de force dans deux taxis, et quand nous sommes arrivés à une maison inachevée, ils nous ont forcés à descendre au sous-sol. Il y avait d’autres gars qui attendaient avec des kalaches. Il y faisait sombre, alors ils ont utilisé leurs téléphones portables en guise de lampes pour nous faire descendre. Il y avait une odeur horrible. [...] Ils nous ont battus avec une barre de fer et une ceinture qui avait une boucle métallique tranchante. Quatre d’entre eux montaient la garde avec leurs fusils pointés sur nous à tout moment. Chacun d’entre eux dans le sous-sol portait une cagoule. Ils ont ensuite attaché des bandanas noirs sur les yeux des deux premiers types, et l’un des Patriotes les a exécutés à bout portant. Un autre gars éclairait la zone pour lui avec un portable pour s’assurer qu’il ne le rate pas, même si la distance n’était que de deux mètres. Ils ont fait la même chose pour les trois suivants, alors qu’ils demandaient pardon, pardon. Cinq ont été exécutés juste à côté de moi, alors qu’ils étaient à genoux. Pendant tout ce temps, ils n’ont pas arrêté de dire que nous étions des rebelles, nous étions des rebelles.

Quand ils ont essayé de mettre le bandana sur ma tête, je me suis défendu. Chaque fois qu’ils ont essayé, je me débattais. Alors ils m’ont de nouveau battu avec la barre de fer. J’ai continué à refuser de les laisser me mettre le bandana, comme l’a fait le gars à côté de moi, un jeune du Nigérien. Finalement, je les ai entendus dire qu’ils allaient nous finir ailleurs, et ils nous ont ramenés à l’extérieur. Ils ont mis le Nigérien de force dans un taxi, mais j’ai vu une autre voiture arriver et j’en ai profité pour m’enfuir. Ils ont tiré deux coups de feu par derrière, mais ne m’ont pas touché. J’ai couru et puis une fois hors de vue, j’ai trouvé un endroit pour me cacher. J’ai fini par rentrer chez moi.
[91]

Outre les meurtres, les forces de sécurité et les milices ont détruit les maisons et les commerces des partisans d’Alassane Ouattara. Plusieurs commerçants maliens et nigérians qui vendaient de l’essence, du bois et des pièces automobiles sur un marché du quartier de Sebroko, une zone dominée par les marchands ouest-africains, ont décrit comment, le 24 février, des membres de la Garde républicaine étaient arrivés pour disperser une manifestation pacifique qui se tenait à proximité et avaient ensuite ouvert le feu et jeté des grenades dans leurs magasins, provoquant un gigantesque incendie et détruisant au moins 35 magasins. Un Malien a raconté avoir entendu un soldat crier : « Dites adieu à vos magasins ! » avant d’ouvrir le feu sur un stand d’articles hautement inflammables. [92] Des témoins ont déclaré que, tandis qu’un groupe de Maliens essayait de sauver les articles de leurs magasins en feu, la Garde républicaine leur avait tiré dessus, tuant deux personnes. [93]

Un homme âgé de nationalité malienne qui avait vécu dans le quartier de Yopougon pendant 35 ans a également décrit comment le 10 février, des miliciens qui occupaient un point de contrôle près de sa maison y ont mis le feu pendant que lui, ses trois femmes et leurs 15 enfants dormaient—les forçant à fuir le quartier. Alors qu’ils s’en allaient, les Jeunes patriotes l’ont averti de ne jamais revenir, faute de quoi ils « le couperaient lui et sa famille en morceaux ». [94]

Human Rights Watch a documenté plusieurs attaques perpétrées par des groupes de miliciens et les forces de sécurité agissant de concert. Un commerçant nigérian a ainsi décrit une attaque perpétrée le 1er mars par le CECOS et des miliciens au cours de laquelle les assaillants ont brûlé vifs deux Nigériens, l’un vendeur de bois et l’autre chauffeur de taxi portant un habit traditionnel musulman :

Après avoir pillé et mis le feu à six étalages, ils sont retournés sur la route où ils sont tombés sur un Nigérien âgé qui vendait du bois. Ils l’ont frappé, puis emmené à un poste de police en disant : « Nous avons trouvé un rebelle et un assassin ! » Ils sont sortis quelques minutes plus tard. L’homme criait : « Non, non, je suis un Haoussa du Niger [...] Je ne suis pas un rebelle ! » En quelques minutes, ils lui avaient mis un pneu autour du cou, l’ont aspergé d’essence et lui ont mis le feu. C’est arrivé juste en face du poste de police mais ils n’ont rien fait. Une demi-heure plus tard, ils ont arrêté un taxi à leur barricade, en ont tiré un homme dont nous avons appris plus tard qu’il était également nigérien, l’ont battu cruellement, lui ont lié les mains et les jambes, puis l’un d’eux lui a coupé ses [organes génitaux] [...]. Ensuite, ils ont apporté un pneu et de l’essence et l’ont brûlé vif. [...] Tout s’est passé si vite. [95]

Les Ivoiriens originaires du nord du pays étaient également ciblés, comme l’a raconté un témoin qui, fin février, a vu des miliciens brûler vif un homme et trancher la gorge à un autre, à un point de contrôle de Yopougon :

Nous avons été attaqués par les Patriotes qui nous ont ordonné de quitter Yopougon. Environ 200 d’entre nous avons décidé de fuir. Alors que nous prenions la fuite, les Patriotes criaient : « Rentrez chez vous, vous êtes tous des imbéciles. Gbagbo est notre Président, quittez cet endroit ou nous allons tous vous tuer. » Nous sommes partis avec ce que nous pouvions mettre dans nos sacs. [...] Depuis l’endroit où nous vivions jusqu’à la sortie de Yopougon, il y avait sept points de contrôle occupés par des Patriotes ; ils étaient armés de machettes et de blocs de bois. À chaque point de contrôle, ils ont exigé de l’argent et nous ont menacés si nous ne pouvions pas payer. Aux environs de 14 heures, nous avons atteint le dernier. Ils ont arrêté un jeune homme Dioula [96] qui avait environ 20 ans, et lui ont demandé sa carte d’identité. Il était terrifié et s’est mis à courir. Les Patriotes l’ont capturé presque immédiatement. Le garçon disait : « Je n’ai rien à voir avec le problème, je vous en prie. »

Avant de le tuer, les Patriotes ont dit : « Toi, tu es un Dioula, c’est vous qui apportez la guerre en Côte d’Ivoire. » Ils l’ont battu avec du bois et des machettes, puis l’un d’eux a sorti un grand couteau, le genre que vous utilisez pour tuer un mouton, et l’a égorgé. C’était à deux mètres à peine de moi. Il a commencé à trembler alors que la vie s’écoulait hors de lui. Quand j’ai vu le jeune se faire tuer, j’ai pensé qu’ils allaient également tuer mon propre enfant. C’était la seule chose à laquelle je pouvais penser : mon fils, mon fils [...] La mère du garçon et d’autres membres de sa famille étaient là, dans le groupe avec nous, mais ils ne pouvaient rien dire. Tout ce qu’ils pouvaient faire avec toute cette douleur dans leur c œ ur était de s’en aller. Lorsque nous avons été à une certaine distance, la mère a commencé à pleurer. [97]

Attaques de mosquées, de musulmans et d’imams

À plusieurs reprises pendant la crise, les forces pro-Gbagbo, y compris les unités de force de sécurité d’élite et les milices, ont attaqué des mosquées et exécuté des imams de manière ciblée. Ni l’ancien Président Gbagbo, ni ses militaires ou dignitaires n’ont dénoncé ces attaques à l’encontre d’individus et d’institutions religieuses. Dans un pays divisé relativement équitablement entre musulmans et chrétiens, la base politique d’Alassane Ouattara des groupes ethniques du nord du pays était essentiellement, mais assurément pas exclusivement, musulmane, [98] tandis que les partisans et militants de Laurent Gbagbo étaient principalement chrétiens. [99] Comme pour l’ethnicité, toutefois, la religion est étroitement liée à la politique en Côte d’Ivoire, et il est souvent difficile de démêler la motivation première de certaines attaques. Pour la grande majorité des Ivoiriens, il n’existe aucune division, ni hostilité inter-religieuse, mais avec l’intensification de la crise, l’association entre Alassane Ouattara et les partisans musulmans a entraîné un grand nombre d’attaques à l’encontre d’institutions et de leaders musulmans. De telles attaques pourraient bel et bien être considérées comme des crimes de guerre en vertu du Statut de Rome et du droit international humanitaire. [100]

Les premières attaques de ce genre se sont déroulées le 17 décembre. Deux mosquées d’Abobo ont été la cible de grenades propulsées par lance-roquettes (RPG) à l’heure de la prière du vendredi, et une autre mosquée a été attaquée à Bassam, une ville côtière à une vingtaine de kilomètres d’Abidjan. [101] Un témoin des attaques d’Abobo a raconté à Human Rights Watch ce qu’il avait vu :

Vers midi, je suis allé à la mosquée—la prière commence à 13 heures, mais nous avons généralement une réunion une heure avant. J’ai vu des militaires à proximité et quelques voitures—un camion et un 4x4. Peu après mon arrivée, j’ai entendu des coups de feu provenant de l’extérieur. La mosquée était attaquée avec des armes lourdes. J’ai entendu quelqu’un crier : « En position, en position… Feu ! Feu ! », comme s’il y avait une guerre. Et puis, ‘boom.’ La première roquette a traversé la mosquée et a explosé, formant un énorme trou près de la salle des femmes, détruisant le mur. Une autre a transpercé la mosquée de part et d’autre. La mosquée était pleine de personnes qui se sont mises à courir. J’ai entendu cinq ‘booms’ ; je crois que quatre roquettes se sont abattues sur la mosquée. Avant l’attaque, ils n’ont pas lancé de gaz lacrymogènes, ni ordonné l’évacuation du bâtiment.

Alors que je sortais en courant, j’ai vu des hommes en tenue noire tirer dans tous les sens. J’ai couru jusque chez moi ; ma maison se trouve de l’autre côté de la rue, à une quinzaine de mètres seulement. De la fenêtre, j’ai vu les hommes armés capturer un partisan du RDR de 24 ans, ainsi qu’un Burkinabé de 24 ans. Ils ont tenté de fuir, mais la police les a attrapés et les a frappés, puis les a amenés de force dans le camion. J’ai l’impression que la police les a attrapés parce qu’ils étaient les premiers jeunes sur qui elle tombait ; je ne crois pas qu’elle les recherchait en particulier. Les policiers les ont frappés jusqu’à ce qu’ils s’effondrent, leur ont donné des coups de pied et ordonné de se relever. J’ai entendu les policiers hurler : « Nous allons tous vous tuer dans ce quartier, vous êtes tous des ADO [initiales d’Alassane Ouattara]. » […] Les familles les ont cherchés partout—dans les hôpitaux, les commissariats, les morgues. Je passe voir leurs parents tous les jours ; à chaque fois on parle de leurs fils et ils se mettent à pleurer.
[102]

Fin février, avec l’escalade des tensions et les combats fréquents dans Abobo et dans l’extrême Ouest, les mosquées sont devenues la cible d’un plus grand nombre d’attaques perpétrées par les miliciens pro-Gbagbo. L’Associated Press a fait état d’au moins dix attaques de mosquées entre fin février et fin mars. [103] Selon les témoignages recueillis par Human Rights Watch, durant la seule journée du 25 février, encore un vendredi, le jour saint des musulmans, trois mosquées de Yopougon ont été attaquées. Un imam a déclaré avoir reçu un appel téléphonique la veille de l’attaque. Son interlocuteur aurait menacé de « brûler les mosquées parce nous savons que vous y cachez des armes. Ensuite nous irons chez l’imam ». [104] Trois 4x4 sont arrivés le lendemain avec à leur bord des jeunes masqués qui ont ouvert le feu à l’intérieur de la mosquée et ont volé ou détruit tout ce qu’il y avait. Aucune des 15 personnes présentes dans la mosquée n’a été blessée, même si les assaillants répétaient qu’ils allaient les tuer. [105]

Dans le sous-quartier de Doukouré, à Yopougon, une mosquée a été la cible d’une attaque ce même jour. Un homme de 42 ans qui travaillait à la mosquée a assisté à sa destruction :

L’attaque a démarré à midi, juste après mon premier appel à la prière du vendredi. Ils ont attaqué le bâtiment extérieur, à l’entrée de la mosquée, mais des jeunes de Doukouré les ont repoussés. Les miliciens de Gbagbo sont allés chercher des renforts et sont revenus vers 14 heures. Ils ont mis le feu au bâtiment extérieur, puis ont détruit la porte d’entrée. […]Ils sont entrés avec une Kia et un camion ; d’autres ont sauté par-dessus la clôture. Ils ont allumé un feu devant la grande porte de la mosquée, ont ouvert le feu sur la mosquée avec leurs fusils et leurs armes lourdes. C’est alors qu’ils nous ont vus. Ils nous ont obligés à nous allonger par terre, ont pointé leurs fusils sur notre nuque et nous ont fouillés. Un hélicoptère de l’ONUCI nous a survolés et quand il s’est éloigné, ils se sont mis à nous frapper. Six d’entre eux étaient en tenue militaire, quelques-uns portaient le béret rouge de la Garde républicaine ; le reste, c’étaient des Patriotes.

Ils ont défoncé la porte d’entrée de la mosquée et se sont mis à tout piller ou détruire. Ils ont cassé la boîte où nous collectons les dons et ont volé l’argent. Ensuite, avec leur bouteille de gaz, ils ont mis le feu aux livres du Coran, aux tapis et aux tapis de prière. Ils sont repartis vers 16 heures après avoir tout emporté ou tout cassé, y compris les ordinateurs. J’ai sauvé ce que j’ai pu, quelques tapis seulement.
[106]

Un deuxième témoin a raconté avoir vu une personne, qui était présente à la mosquée au moment de l’attaque, se faire tuer par balle alors qu’elle tentait de s’enfuir. [107] Les habitants ont trouvé le lendemain les corps d’au moins six partisans supposés d’Alassane Ouattara, dans la rue, devant la mosquée. [108] Un chercheur de Human Rights Watch s’est rendu à la mosquée le 9 mars ; la mosquée et les bâtiments alentour étaient presque entièrement détruits. Le toit s’était effondré suite à l’incendie, des impacts de balles étaient visibles dans le sol, ainsi que des traces d’incendie et des débris partout à l’intérieur et des corans brûlés qui avaient été rassemblés dans un carton.

Des musulmans ont déclaré à Human Rights Watch qu’il était devenu pratiquement impossible de porter le boubou—vêtement traditionnel souvent associé aux musulmans en Côte d’Ivoire—en public. Les miliciens pro-Gbagbo occupant les points de contrôle ciblaient les personnes portant ce vêtement car ils les assimilaient à des partisans d’Alassane Ouattara. Imams et autres leaders musulmans étaient souvent la cible de violences. Human Rights Watch s’est entretenu avec un témoin qui avait assisté le 9 mars à l’enlèvement ciblé d’un imam et de son fils à Bloléquin par des miliciens pro-Gbagbo. [109] Selon des bulletins d’information, leurs corps avaient été retrouvés le lendemain dans la rue, criblés de balles. [110] Un autre témoin a raconté l’assassinat ciblé d’un imam chez lui, à Duékoué, le 28 mars, par des miliciens pro-Gbagbo. [111] Le Conseil supérieur des Imams, dont l’imam assassiné était un porte-parole à Duékoué, a rapporté que son corps et sa maison avaient ensuite été brûlés. [112] Les bulletins d’information ont fait état d’autres exécutions de leaders religieux musulmans à Abidjan, notamment le 15 mars à Yopougon et le 19 mars à Adjamé. [113]

Malgré les attaques répétées, les leaders musulmans n’ont cessé d’exhorter les fidèles à ne pas laisser le conflit prendre une dimension religieuse, notamment dans un communiqué du 18 mars. [114] D’ailleurs, il n’y a eu, en comparaison, que peu d’attaques dirigées contre les églises par les Forces républicaines. Human Rights Watch a reçu des informations dignes de foi de la part d’une organisation internationale concernant le saccage d’une église de Cocody à la mi-avril, au cours duquel les représentants de l’église présents ont été menacés parce qu’ils soutenaient Laurent Gbagbo. Human Rights Watch a également documenté la destruction partielle, début mai, d’une église de Yopougon où de nombreux partisans de Laurent Gbagbo étaient allés se réfugier—bien que les dégâts occasionnés aient été, selon le témoin, le résultat des combats entre les soldats et des supposés anciens miliciens de Laurent Gbagbo présents parmi la foule réfugiée dans l’église, et non pas motivés par des sentiments anti-chrétiens. [115]

Viols ciblés et disparitions forcées de partisans d’Alassane Ouattara

Après les combats sporadiques entre les forces armées de Laurent Gbagbo et les forces pro-Ouattara entamés à Abobo le 24 février, des miliciens et des membres des forces de sécurité de Laurent Gbagbo ont commis de concert une autre série de viols ciblés et de disparitions forcées. Human Rights Watch a documenté pour la seule journée du 25 février le viol de neuf femmes d’Abobo par ces groupes ; toutes les victimes étaient des membres actifs et publics du parti politique d’Alassane Ouattara.

Parmi ces neuf femmes, sept d’entre elles ont été emmenées de leurs maisons jusqu’à un bâtiment en construction, où elles ont été violées par un ou plusieurs hommes. Dans tous les cas, les assaillants ont clairement exprimé le motif politique de l’agression sexuelle. Une femme de 30 ans, l’une des trois qui ont été détenues après avoir été enlevées dans la même maison pour être ensuite violées collectivement par des miliciens et des policiers, a décrit à Human Rights Watch l’attaque du 25 février :

J’habite avec deux autres femmes. Nous étions bien connues dans notre quartier pour notre travail politique en faveur d’Alassane [Ouattara]. Nous faisons souvent du porte à porte avec des brochures exposant son programme politique, nous portons des tee-shirts arborant ADO, nous participons à des manifestations et nous allons à des réunions [du parti]. Le 25 février, en raison des [combats entre forces armées] dans notre quartier, les milices ont mis en place un barrage routier et ont commencé à saccager. Aux environs de 17 heures, un groupe d’une dizaine d’hommes avec des fusils a frappé à notre porte et fait irruption dans notre maison. Trois d’entre eux portaient des tenues de la police, et les autres étaient les Jeunes patriotes—nous en avons reconnu certains. Ils ont dit : « Nous savons qui vous êtes, nous savons tout sur votre travail… Vous êtes sur notre liste. » Nous avions des photos d’Alassane sur le mur, et un grand nombre des brochures que nous distribuons, qu’ils ont déchirées sous nos yeux.

Ils nous ont obligées sous la menace des armes à monter dans une camionnette et nous ont emmenées jusqu’à un bâtiment inachevé. Nous avons toutes été violées. Trois d’entre eux m’ont violée, et l’une de mes s
œ urs a été violée par quatre d’entre eux. Tandis qu’un finissait, les autres me tenaient par derrière. Puis ils changeaient… Ils nous ont gardées là jusque vers 10 heures le lendemain matin. Nos vêtements étaient complètement déchirés… Tandis que nous rentrions chez nous, un voisin nous a donné un pagne pour nous couvrir. Avant de nous laisser partir, ils ont dit : « Si nous entendons dire que vous continuez à faire de la politique, nous savons où vous vivez et nous viendrons vous trouver. [...] Vous devriez le savoir maintenant, un Dioula [terme faisant souvent référence aux groupes ethniques du Nord, y compris celui de Ouattara] ne gouvernera jamais la Côte d’Ivoire. » [116]

Human Rights Watch a documenté sept disparitions forcées le 25 février d’hommes liés au parti politique d’Alassane Ouattara. Les témoins ont généralement désigné des membres du CECOS, ainsi que des miliciens pro-Gbagbo. Dans deux cas, des femmes ont été violées devant des membres de leur famille, et le mari et le père des victimes ont ensuite « disparu ». Une jeune femme a décrit comment son père, un responsable de la section locale du parti d’Alassane Ouattara, a été arrêté puis emmené par un groupe de policiers et de miliciens. Elle a déclaré avoir été violée au cours de l'incident. [117] Quelques témoins, parmi lesquels une femme de 34 ans dont le mari a été enlevé le 25 février, ont indiqué que des hommes armés s’étaient présentés chez eux avec une liste comportant les noms des membres de leur famille :

À 20 heures du soir, trois hommes en civil ont frappé à notre porte. Je suis allée ouvrir et j’ai demandé quel était le problème. Ils m’ont donné l’ordre d’aller chercher mon mari, qui dormait dans notre chambre. J’ai essayé de rester calme et je leur ai demandé qui ils étaient et pourquoi ils étaient venus. L’un d’eux a sorti une carte sur laquelle j’ai lu CECOS. Ils ont dit que nous organisions la campagne d’Alassane dans le quartier. C’était vrai—nous sommes très actifs dans le RHDP—mais bien sûr je n’ai pas dit ça… Ils ont sorti une liste et ont dit que le nom de mon mari était dessus. Ils avaient déjà franchi la porte à ce moment-là. Je pleurais : « S’il vous plaît, ne prenez pas mon mari… Il ne fait pas de politique, ce n’est qu’un simple chauffeur. Ne l’emmenez pas, mes enfants sont encore jeunes. » L’un d’eux a pointé son pistolet sur mon mari et lui a dit de venir. Je sanglotais, et mon mari m’a demandé de me calmer.

L’un d’eux m’a giflée, m’a arraché mes sous-vêtements et m’a maintenue sur le canapé. Mon mari a crié : « Laissez ma femme. Je vous en supplie, laissez-la. » Ils ont répondu : « Tais-toi, nous pouvons faire tout ce que nous voulons. » Ils ont dit qu’ils allaient tuer tous les Dioulas qui travaillent pour Alassane, que nous étions des rebelles. Après m’avoir [violée], ils ont traîné mon mari dehors et l’ont emmené dans l’un de leurs véhicules [du CECOS]. Je l’appelle sur son portable, encore et encore, mais il ne répond pas.
[118]

Un autre dirigeant du RHDP habitant le quartier de Riviera Palmière a été enlevé le 10 février par trois hommes armés en tenue de camouflage verte. Un témoin a entendu l’un des hommes armés qui disait : « C’est toi qui es derrière Alassane, on nous a envoyés te chercher », et il a indiqué que les hommes armés avaient tiré en l’air quand un groupe de personnes s’était approché de la voiture pour tenter de libérer la victime. [119]

Violente répression des manifestations

Les forces de sécurité de Laurent Gbagbo ont continué pendant cette période à réprimer violemment les manifestations, Human Rights Watch ayant documenté les meurtres de 25 manifestants perpétrés entre le 21 février et le 8 mars. De nombreuses autres personnes ont été grièvement blessées par balles, par des tirs de grenades à fragmentation, des grenades propulsées par lance-roquettes, et par une arme non identifiée tirée à partir d’un char.

Le 21 février, dans le quartier de Koumassi, trois témoins ont raconté à Human Rights Watch que les forces de sécurité avaient tiré au moins deux grenades propulsées par lance-roquettes dans une foule d’une centaine de manifestants, tuant au moins quatre personnes et en blessant de nombreuses autres. Les témoins ont ajouté que les forces de sécurité, parmi lesquelles des membres du CECOS, avaient également tiré à balles réelles sur la foule et lancé des grenades à fragmentation. [120] Un manifestant a raconté : « D’abord ils nous ont tiré dessus, puis ils ont lancé des roquettes directement dans la foule. J’ai vu plusieurs morts, dont un Malien dont le bras était complètement arraché. Ses intestins lui sortaient complètement du corps. » [121]

Le même jour, dans le quartier de Treichville, vers 9 heures du matin, des troupes de la Garde républicaine sont arrivées dans un convoi de camions et ont ouvert le feu sur des manifestants rassemblés au croisement de l’avenue 16 et des rues 17 et 21. Un témoin a relaté les faits à Human Rights Watch : « Ils sont arrivés et ont ouvert le feu immédiatement à balles réelles. Un jeune qui se trouvait non loin de moi a pris une balle dans la tête ; c’était comme si une partie de son visage avait été arrachée. C’est l’une des deux personnes au moins que j’ai vues se faire tuer de mes propres yeux. » [122]

Le 3 mars, au cours d’un incident qui est venu illustrer la brutalité avec laquelle Gbagbo tentait de s’accrocher au pouvoir, les forces de sécurité ont tué sept femmes qui manifestaient pacifiquement avec des milliers d’autres femmes dans le quartier d’Abobo. Alors que ces femmes parvenaient au lieu de rassemblement convenu, une camionnette verte équipée d’une mitrailleuse, un camion de transport de la police, un char de l’armée portant un camouflage vert et un char bleu de la gendarmerie sont passés à proximité. Trois témoins ont indiqué à Human Rights Watch que le char de l’armée avait tiré avec une arme lourde de gros calibre. Presque simultanément, un individu en uniforme vert et portant un casque militaire a ouvert le feu avec une mitrailleuse installée à l’arrière d’une camionnette. [123] Un médecin qui a soigné plusieurs des femmes qui n’ont pas survécu a affirmé que leurs blessures étaient manifestement causées par des armes lourdes, et non par de simples balles. [124] Le médecin, ainsi que deux témoins présents sur les lieux, ont déclaré à Human Rights Watch que la tête d’une des victimes avait été complètement séparée de son corps. [125] D’autres victimes, dont deux qui n’ont pas survécu à leurs graves blessures, portaient des blessures par balle de mitrailleuse. [126]

Human Rights Watch a également documenté sept victimes tuées par des balles perdues entre le 4 et le 15 mars à Abobo lors de mitraillages aveugles par les forces de sécurité de Gbagbo. Plus d’une dizaine d’habitants d’Abobo ont expliqué comment les véhicules des forces de sécurité ont traversé à toute vitesse le territoire contrôlé par les forces pro-Ouattara plusieurs fois par jour, tirant en tous sens avec des kalachnikovs parfois en l’air, d’autres fois en direction de personnes dans les rues. Les attaques quotidiennes ont entraîné un déplacement interne massif des habitants d’Abobo.

Un médecin d’un hôpital à Abobo a déclaré à Human Rights Watch qu’il avait pratiqué des interventions chirurgicales sur 108 personnes entre le 28 février et le 8 mars à la suite des violences post-électorales, dont toutes sauf quatre impliquaient des blessures par balle ou avaient été provoquées par des tirs à l’arme lourde des forces de sécurité de Gbagbo. Le médecin n’a pas été en mesure de préciser le nombre de civils parmi les blessés. [127]

Forces pro-Ouattara

Meurtres de civils dans le village d’Anonkoua

Aux environs de 2 heures du matin le 7 mars, plus de 60 combattants pro-Ouattara ont attaqué le village d’Anonkoua-Kouté, situé tout près de leur fief militaire d’Abobo à Abidjan. Anonkoua est un village habité principalement par des membres de l’ethnie ébrié, qui soutenaient largement Gbagbo. Human Rights Watch pense, d’après les entretiens menés avec des témoins et des habitants du quartier, que les assaillants appartenaient au Commando invisible. Selon les témoins, les assaillants descendaient d’Abobo PK-18, qui était la base du Commando invisible de fin février à fin avril. Comme il a été précisé, le Commando invisible luttait contre Laurent Gbagbo mais opérait probablement en dehors de toute chaîne de commande d’Alassane Ouattara et de Soro ; pour de nombreuses personnes, leur commandant n’était autre qu’IB Coulibaly, rival de longue date de Soro, tué le 27 avril au terme d’une lutte intestine après l’arrestation de Laurent Gbagbo. [128]

Le 6 mars, des affrontements avaient eu lieu dans cette zone entre les forces de Laurent Gbagbo et le Commando invisible. Des victimes de l’attaque du 7 mars, ainsi qu’un combattant du Commando invisible, ont expliqué à Human Rights Watch que les forces pro-Ouattara pensaient que des armes avaient été laissées dans le village par les forces pro-Gbagbo. [129] Toutefois, il semblerait que les assaillants aient tué des civils au hasard et incendié une grande partie du village au lieu de se mettre en quête d’armes. Human Rights Watch a interrogé quatre victimes d’Anonkoua-Kouté et a pu confirmer la mort de neuf civils, dont deux femmes qui ont été brûlées. L’une des victimes a déclaré à Human Rights Watch :

Je pouvais entendre des tirs de fusils, et les gens du village ont commencé à crier. Je suis sorti pour voir ce qui se passait, et je suis tombé sur quelqu’un qui m’a attrapé et a demandé un mot de passe. Je ne le connaissais pas, alors il a pointé son fusil à canon scié sur moi à deux mètres de distance et il a tiré. J’ai lancé mon bras vers le fusil juste au moment où il tirait et des chevrotines ont giclé dans mon bras et mon cou. Je suis tombé par terre et je suis resté couché en faisant le mort. Je les ai vus massacrer le village tandis que j’étais couché là. [...] Les rebelles étaient tout habillés de noir. Certains d’entre eux portaient des cagoules, d’autres avaient des bandanas. Ils tambourinaient sur les portes des maisons et ne cessaient de répéter : « Nous sommes ici pour la guerre, nous ne sommes pas ici pour nous amuser », et ils demandaient où les gens cachaient des armes tout en les frappant et en les tuant.

À une maison proche de la mienne, une femme a refusé d’ouvrir la porte. Ils ont lancé des bouteilles allumées qui avaient été trempées dans de l’essence, et la maison a pris feu. Une femme est sortie en courant en hurlant ; elle était en feu. Elle est morte plus tard ce jour-là. Je les ai vus attraper un autre de mes voisins et lui tirer dessus à bout portant. C’était vraiment de la barbarie. [130]

Un autre témoin a affirmé avoir vu les forces pro-Ouattara égorger son père de 72 ans. [131] Au moins 15 maisons ont été incendiées, selon plusieurs habitants, et le village entier a été abandonné.

En outre, les forces pro-Ouattara—qui, selon des témoins, des victimes et des habitants du quartier, seraient composées du Commando invisible d’IB Coulibaly et de combattants des Forces nouvelles fidèles à Soro, d’après l’emplacement précis des attaques—ont menacé et déplacé des partisans supposés de Laurent Gbagbo à travers tout Abobo et Anyama. Le 8 mars, un membre du groupe ethnique Bété a indiqué que des soldats pro-Ouattara avaient fracassé sa porte et saccagé sa maison à Abobo. Ils ont pointé leurs armes sur lui et dit qu’il était un « Patriote », menaçant de le tuer. Des voisins sont intervenus en sa faveur, ce qui, selon la victime, lui a sauvé la vie, mais les assaillants lui ont malgré tout volé tous ses biens. [132] La victime, comme des milliers d’autres, a fui pour se réfugier dans une zone qui se trouvait toujours sous le contrôle de Gbagbo.

Exécutions sommaires de membres détenus des forces de Gbagbo

Human Rights Watch a documenté les exécutions sommaires de 11 membres des forces armées et des milices fidèles à Gbagbo entre le 1er et le 10 mars. Dans sept cas, selon des témoins, des véhicules ou des individus à pied ont été arrêtés à des postes de contrôle des forces pro-Ouattara à Abobo afin de chercher des armes. Lorsque les combattants pro-Ouattara ont trouvé une arme et « jugé » que la personne était un combattant pro-Gbagbo, ils ont tué le détenu désarmé. D’après Human Rights Watch, les auteurs de cet acte auraient été des combattants de Coulibaly et de Soro, qui opéraient à cette période avec des milices composées de jeunes issus de la population locale. L’ancien porte-parole des Forces nouvelles a nié que des forces de Soro étaient présentes à Abobo à ce moment-là. [133]

Un combattant pro-Ouattara à Abobo—qui a déclaré appartenir au Commando invisible—a mentionné à Human Rights Watch quatre exécutions auxquelles il avait pris part. Le 2 mars, une ambulance a été stoppée et ses compagnons combattants ont indiqué qu’ils avaient découvert des kalachnikovs lors de la fouille, le chauffeur a alors été arrêté. Le 5 mars, le combattant pro-Ouattara a expliqué qu’il avait trouvé trois personnes avec des armes qui passaient à pied un poste de contrôle près d’Anonkoua, sous-quartier d’Abobo. Dans les deux cas, le combattant pro-Ouattara a assuré avoir amené les détenus à un officier supérieur, ce qui indique une organisation et une chaîne claire de commandement parmi les combattants. Après avoir été détenue, la personne a été soumise à un « interrogatoire intense », puis « neutralisée », selon le combattant. [134]

Un témoin de l’exécution de trois autres personnes soupçonnées d’appartenir aux forces fidèles à Gbagbo a expliqué à Human Rights Watch :

Le lundi 6 mars, je me promenais dans Abobo lorsqu’un 4x4 noir est tombé sur un poste de contrôle. Les membres des Forces nouvelles [135] qui se trouvaient là ont arrêté la voiture et l’ont fouillée. Ils ont trouvé trois kalaches ainsi que des tenues des forces de sécurité. […] Les gars des FN ont brandi les kalaches, et immédiatement dix autres FN sont tombés sur la voiture. Ils ont saisi les trois personnes qui se trouvaient à l’intérieur et les ont jetées à terre, les frappant avec de longues planches et les armes qu’ils venaient de saisir. Ils ont déchiré leurs vêtements et tandis que certains d’entre eux continuaient à les frapper, d’autres ont attrapé des pneus et les ont entassés sur eux. Les gars des FN ont alors versé de l’essence d’un récipient et ont mis le feu au tout. On pouvait voir bouger les jambes des gars de Gbagbo tandis qu’ils brûlaient, toujours frappés par les soldats des FN. [136]

Lors d’un autre incident survenu le 7 mars, des forces pro-Ouattara ont détenu quatre chefs présumés des milices à Abobo et les ont sommairement exécutés. Des témoignages dignes de foi ont indiqué que deux personnes ont été capturées puis utilisées pour tendre un piège à des chefs plus importants. Les forces pro-Ouattara les ont ensuite tous exécutés. [137] Human Rights Watch a pu voir les images vidéo du corps de « Lamté », un chef de la milice dans cette zone impliqué dans des meurtres post-électoraux contre des partisans d’Alassane Ouattara. Il avait eu la gorge complètement tranchée. Dans la vidéo, une autre victime avait été empalée avec un pieu.

 

III. Un conflit armé généralisé : mi-mars à mai 2011

Les mois de tensions et de violences en Côte d’Ivoire ont dégénéré en conflit armé dès mars 2011, période à laquelle les Forces républicaines ont lancé une offensive militaire dans l’extrême Ouest. Si les premières villes ont été prises dès fin février, le combat intense entre les forces armées a commencé mi-mars dans l’extrême Ouest et fin mars à Abidjan. De graves exactions ont continué d’être commises dans les deux camps, jusqu’aux derniers jours des combats début mai, soit près d’un mois après l’arrestation de Laurent Gbagbo, le 11 avril.

Dans l’extrême ouest du pays, alors qu’ils battaient en retraite, des groupes de miliciens et de mercenaires fidèles à Laurent Gbagbo ont perpétré des massacres et des meurtres généralisés dans un dernier élan de violence à l’encontre des Ivoiriens du Nord et des immigrés ouest-africains. À Abidjan, les forces de sécurité ralliées à Laurent Gbagbo ont bombardé aveuglément des zones civiles, tirant avec des armes lourdes sur des marchés et des quartiers. Les groupes de milices pro-Gbagbo ont attaqué des habitations et monté des points de contrôle rapprochés, tuant des centaines de partisans supposés d’Alassane Ouattara d’une manière effroyablement brutale. Ces événements ont marqué l’acte ultime de ce qui pourrait être qualifié de crimes contre l’humanité perpétrés par les forces placées sous le contrôle de Laurent Gbagbo, de Charles Blé Goudé et de leurs proches alliés.

Quant aux Forces républicaines qui s’emparaient du pays, elles ont laissé dans leur sillage des morts, des femmes violées et des villages en cendres. Dans l’extrême Ouest, les forces d’Alassane Ouattara ont abattu des vieillards incapables de fuir les combats. Des femmes de Duékoué ont dû regarder les soldats d’Alassane Ouattara traîner leurs maris, leurs frères et leurs fils hors de leurs maisons et les exécuter. Après avoir pris le contrôle d’Abidjan, les Forces républicaines ont tué au moins 149 individus et torturé ou traité de manière inhumaine un plus grand nombre encore de personnes en détention. Au minimum, ces actes constituent des crimes de guerre aux termes du droit international. Mais étant donné l’étendue et la nature parfois organisée de ces actes, ceux-ci peuvent très certainement être qualifiés de crimes contre l’humanité.

Forces pro-Gbagbo

Meurtres et massacres dans l’extrême ouest du pays

Alors que les Forces républicaines avançaient dans leur offensive militaire, les forces armées régulières jusque-là fidèles à Laurent Gbagbo ont rapidement battu en retraite. Toutefois, d’autres forces pro-Gbagbo, essentiellement composées de miliciens ivoiriens et de mercenaires libériens [voir encart ci-après], sont souvent restées en arrière. Beaucoup semblent ainsi avoir voulu profiter d’une dernière occasion de commettre des atrocités à l’encontre des partisans présumés d’Alassane Ouattara, avant de battre à leur tour en retraite. Human Rights Watch a recueilli des informations sur des massacres perpétrés par les miliciens et mercenaires pro-Gbagbo dans deux villes de l’ouest de la Côte d’Ivoire et sur des tueries commises dans quatre autres villes.

Mercenaires libériens : guerriers régionaux, acte deux

 

Les deux camps ont recruté des mercenaires libériens durant la période post-électorale, exploitant des réseaux remontant au premier conflit armé ivoirien composés d’ex-combattants qui avaient pris part à la guerre civile brutale qui a ravagé le Libéria.[138] Le travail mené sur le terrain par Human Rights Watch le long de la frontière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire, avec notamment des entretiens réalisés avec des mercenaires ayant été recrutés, révèle que les forces de Laurent Gbagbo auraient recommencé à recruter et à entraîner d’anciens alliés libériens quelques semaines avant le second tour des élections. Alors que le conflit armé se profilait, les forces armées des deux camps ont commencé à recruter, traitant parfois avec des individus accusés de graves crimes commis pendant les guerres civiles qui avaient éclaté dans la région. [139] Les chefs de groupes d’ex-combattants basés à Monrovia ont déclaré à Human Rights Watch qu’au total, plus de 3 000 Libériens avaient traversé la frontière ivoirienne pour aller se battre. Plusieurs mercenaires libériens ont dit avoir reçu entre 300 et 500 dollars chacun. D’autres sont venus avec la promesse d’être payés plus tard et l’autorisation expresse de piller.

Le 22 mars, des miliciens et mercenaires pro-Gbagbo ont tué au moins 37 immigrés ouest-africains à Bédi-Goazon, un village situé à 32 kilomètres de la ville de Guiglo, où vivent, d’après les estimations, quelque 400 immigrés ouest-africains, dont la plupart travaillent dans des plantations de cacao sur des terres appartenant à des Ivoiriens. [140] Human Rights Watch s’est entretenu avec six témoins qui ont affirmé que beaucoup de ces assaillants, qui parlaient l’anglais, semblaient venir du Libéria, tandis que la grande majorité des victimes étaient des immigrés du Mali et du Burkina Faso. Les témoins ont affirmé que vers 13 heures, ce jour-là, les Forces républicaines avaient traversé Bédi-Goazon, en route vers Guiglo. Vers 15h30, selon les témoins, au moins quatre véhicules transportant des dizaines de miliciens pro-Gbagbo, certains en uniforme et d’autres en civil, ont attaqué la partie du village où habitaient les immigrés ouest-africains. Les témoins ont expliqué que les miliciens, armés d’armes automatiques, de grenades propulsées par lance-roquettes et de machettes, avaient tué les immigrés chez eux ou alors qu’ils tentaient de s’échapper. Avant de partir, les agresseurs se sont livrés à des actes de pillage en s’emparant de tout objet de valeur—notamment des motocyclettes, de l’argent, des téléviseurs, des matelas et des vêtements—et ont, dans certains cas, incendié les maisons.

Plusieurs témoins ont indiqué que la prise pour cible des victimes était clairement basée sur des critères ethniques. Un témoin de 36 ans a déclaré : « Ils sont venus en nous accusant d’être des rebelles et nous ont dit : ‘Si vous êtes dioulas [nord de la Côte d’Ivoire], fuyez si vous le pouvez, si vous êtes guérés [natifs de la région et surtout partisans de Laurent Gbagbo], restez, nous ne sommes pas venus pour vous. Mais si vous êtes maliens ou mossis [un groupe ethnique du Burkina Faso], nous allons vous tuer.’ Et puis, ils ont commencé à tuer. » [141]

Une Malienne âgée de 18 ans a entendu les assaillants crier en anglais « Fire them ! » (« Tirez sur eux ! »), alors qu’ils descendaient de leurs véhicules et commençaient à tuer. Elle a dit qu’elle et plusieurs autres femmes et enfants ont été sauvés par une Libérienne qui s’est interposée. [142] Quelques témoins, comme ce Malien de 28 ans, ont pu survivre en donnant de l’argent à leurs agresseurs, mais ont vu d’autres personnes se faire tuer sous leurs yeux :

Vers 15 heures, nous avons entendu des camions venir et nous nous sommes réfugiés dans nos maisons. Les hommes ont tiré en l’air puis ils ont commencé à défoncer les portes en criant : « Tirez ! Tirez ! » et « Vous êtes des rebelles, nous allons tous vous tuer. » Nous avons entendu des coups de feu et des cris. […] Avec ma famille, nous nous sommes cachés dans notre maison. Ils ont défoncé la porte et crié que si je ne leur donnais pas de l’argent, ils nous tueraient tous. Je leur ai donné tout ce que j’avais—84 000 CFA, et les clés de trois motos. Je les ai suppliés de ne pas me tuer. […] J’étais terrifié, mais ça m’a sauvé la vie. Le commandant a dit : « Sans argent, tu étais mort. » Mais tout le monde n’avait pas de l’argent. […] Ils ont tué un Burkinabé devant moi […] et plus tard dans une maison voisine, je les ai vus tuer cinq femmes à quelques mètres de moi. Ils ont crié : « Donnez-nous de l’argent ! » Les femmes ont supplié, disant qu’elles n’en avaient pas, alors ils les ont abattues—trois à l’intérieur de la maison, deux à l’extérieur. Ils ont ordonné à quatre d’entre nous de transporter dans leur camion les marchandises qu’ils avaient pillées. […] En marchant dans le village, j’ai vu au moins vingt corps et entendu des femmes et des enfants gémir. […] Je les ai vus mettre le feu aux maisons et on m’a dit que certains villageois avaient été brûlés vifs à l’intérieur. [143]

Un homme de 34 ans originaire du Burkina Faso a dit avoir vu vingt-cinq personnes tuées, et a noté ce qu’il pense être un motif clair de l’attaque :

En tuant les gens, ils les accusaient d’être des rebelles. […] Ils ont dit d’autres choses en anglais que je n’ai pas comprises. J’ai vu vingt-cinq personnes tuées sous mes yeux. Ils ont tué des femmes, des enfants et des hommes. Ils ont dit qu’ils nous tueraient tous. Ils ont forcé les gens à sortir de leur maison et ils les ont tués, exactement comme ils l’avaient dit. La plupart des gens qui vivent dans ce village sont des Burkinabés, des Maliens et des Sénoufo [ethnie du nord de la Côte d’Ivoire]. Ils ont forcé les gens à sortir de leur maison et les ont tués sur le pas de leur porte. Un homme a ouvert sa porte, deux hommes l’ont traîné dehors et ils l’ont tué d’une rafale de kalaches. J’ai aussi vu tuer toute une famille. L’homme, son petit frère, deux femmes et leurs enfants—deux enfants de neuf et cinq ans. Ils les ont tués comme si de rien n’était. [144]

Quelques jours plus tard, le 25 mars, les miliciens et mercenaires pro-Gbagbo ont massacré une centaine de personnes dans la ville de Bloléquin après avoir brièvement repris la ville aux Forces républicaines. Des centaines de personnes avaient trouvé refuge dans la préfecture durant les intenses combats entre les deux forces armées. Lorsque les forces pro-Gbagbo ont pris le contrôle de la préfecture tôt le matin du 25 mars, elles ont séparé les Ivoiriens du Nord des immigrés ouest-africains et les ont exécutés, hommes, femmes et enfants. Un homme qui était détenu par les Forces républicaines à la préfecture de Bloléquin à l’arrivée des forces de Laurent Gbagbo a décrit à Human Rights Watch comment, contrairement aux nombreuses autres personnes qui avaient été abattues, il avait été épargné :

Il était environ 4 heures du matin, et on pouvait entendre le bruit fort des affrontements. La préfecture tremblait à cause des tirs. Les habitants de la ville étaient généralement répartis dans des pièces différentes en fonction de leur groupe ethnique, et nous, les Guérés, on était couchés dans une grande pièce. […] Juste avant 6 heures, des hommes armés ont fait irruption dans la pièce où l’on se trouvait. C’étaient des mercenaires libériens et quelques autres combattants pro-Gbagbo. Les mercenaires étaient dirigés par un gars surnommé « Bob Marley ». Quand ils ont fait irruption dans la pièce, on a mis nos mains en l’air en criant : « On est prisonniers, on est prisonniers, ne tirez pas ! » Ils ont demandé s’il y avait des rebelles parmi nous, et on a répondu : « Non, on est tous des Guérés, on est prisonniers. » Ils nous ont fait sortir de la pièce et on a commencé à voir des corps jonchant le sol partout dans les autres pièces. Ils nous ont fait sortir par l’arrière, en disant : « Il y a trop de corps dans le hall d’entrée principal pour que vous passiez par là. » Je pouvais voir des corps empilés. Il y avait des femmes, des hommes et des jeunes enfants.
À l’entrée de la préfecture, ils avaient posté un milicien guéré qui demandait à chaque personne à quel groupe ethnique elle appartenait—il parlait à la personne en guéré pour voir si c’était sa langue maternelle. Ceux qui pouvaient parler guéré, ils les emmenaient dehors. Ceux qui ne pouvaient pas, ils les forçaient à aller dans une autre direction. À ce stade, on avait rejoint des personnes provenant d’autres pièces. Donc il y en avait certains qui étaient dioulas, mossis, malinkés. J’ai entendu pleurer des bébés et des femmes, ils les ont tous tués. Ils les ont massacrés. On était dehors et ils nous ont fait attendre pendant qu’ils ouvraient le feu sur quiconque n’était pas guéré. Je ne sais pas comment quelqu’un aurait pu survivre. Il y avait un bruit incroyable à cause des tirs et des pleurs. Je n’ai jamais rien entendu de pareil. [145]

Un autre homme entendu par Human Rights Watch est arrivé à Bloléquin quelques jours plus tard et a découvert plus de 70 cadavres dans la préfecture, tous tués par balles. Il y avait tellement de corps autour de lui qu’il n’a pas pu les compter. L’homme a confirmé que les victimes appartenaient à des groupes ethniques du nord de la Côte d’Ivoire et de pays ouest-africains voisins. [146]

Human Rights Watch a également recueilli des informations sur les meurtres de 10 Ivoiriens du Nord et autres ressortissants ouest-africains à Guiglo le 29 mars tôt le matin, lorsque la ville était sous le contrôle des miliciens pro-Gbagbo et mercenaires libériens, reconnaissables à leurs uniformes dépareillés, à leurs amulettes traditionnelles et au fait qu’ils communiquaient en guéré et en anglais. Des témoins ont déclaré que les auteurs des meurtres avaient attaché les victimes ensemble, puis les avaient égorgées. [147] Une autre personne interrogée par Human Rights Watch a vu les corps le lendemain et, selon elle, deux de ces corps étaient ceux de ressortissants maliens et, un troisième, celui d’un Guinéen. [148] Les forces pro-Gbagbo ont quitté Guiglo le 30 mars, des heures avant l’arrivée des Forces républicaines. Human Rights Watch a également recueilli des informations sur les meurtres, à la mi-mars, de huit ressortissants togolais vivant à Keibli, avant que les Forces républicaines ne s’emparent de ce village situé juste à l’extérieur de Bloléquin. Un habitant de Bloléquin qui s’est entretenu avec Human Rights Watch a trouvé leurs corps mutilés dans un lac et aux alentours. [149]

Des témoins ont signalé à Human Rights Watch que tant lors du massacre de Bloléquin que lors de celui de Bédi-Goazon, les attaquants étaient dirigés par un mercenaire libérien dont le nom de guerre était « Bob Marley ». [150] Selon des témoins et plusieurs autres témoignages dignes de foi, dont certains émanant d’ex-combattants au Libéria, « Bob Marley » travaille pour Gbagbo depuis le conflit civil de 2002, utilisant le village de Ziglo, juste à l’extérieur de Bloléquin, comme base pour recruter et entraîner des mercenaires libériens depuis les élections de 2010. [151]

Selon les bulletins d’actualité, les autorités libériennes ont arrêté « Bob Marley » en mai 2011 pour son implication dans la crise ivoirienne. [152] Au moment de la rédaction du présent document, il était détenu à Monrovia, accusé de « mercenarisme » aux termes de la loi du Libéria. [153]

Tirs aveugles d’obus à Abidjan

Au cours du mois de mars, les forces de sécurité de Laurent Gbagbo ont procédé à des tirs d’armes lourdes, dont des tirs de mortier, qui ont tué des civils dans des quartiers pro-Ouattara d’Abidjan, ce que le droit humanitaire international qualifierait probablement d’attaques indiscriminées. La pire de ces attaques a été perpétrée dans le quartier d’Abobo par des soldats pro-Gbagbo restés dans la base de gendarmerie connue sous le nom de Camp Commando—la seule partie d’Abobo alors encore sous le contrôle des forces de Laurent Gbagbo. Human Rights Watch a documenté au moins 30 décès causés par ces tirs aveugles, qui pourraient être constitutifs de crimes de guerre.

Le 17 mars, plusieurs témoins entendus par Human Rights Watch ont vu des tirs de mortiers partir du Camp Commando. [154] Les quatre premiers obus ont atterri dans une zone appelée Abobo SOS pendant cinq minutes entre 12 et 13 heures, tuant 6 personnes en tout, dont deux enfants de moins de 10 ans, et en blessant 34 autres. [155] Un témoin, qui porte encore des éclats d’obus dans la nuque et a été touché à plusieurs endroits lors de l’attaque, a relaté les faits : « J’ai entendu ‘BOOM’, puis je suis tombé. J’ai mis mes mains sur ma tête et j’ai vu du sang couler le long de mon bras. Un Sénégalais à mes côtés a reçu des éclats d’obus dans le ventre et il est mort. [...] Lorsque l’obus a explosé, j’ai senti souffler une énorme rafale de vent—Vooom—très chaud. »

Peu après, deux obus ont atterri sur le marché de Siaka Kone d’Abobo, tuant au moins 15 personnes et en blessant une dizaine de plus. Six hommes prenaient le thé en bavardant dans une étroite allée du marché lorsqu’un obus a explosé à quelques mètres d’eux ; ils sont tous morts. [156] Un homme de 50 ans blessé par des éclats d’obus lors de cette même explosion a décrit la scène :

Il était un peu moins de 13 heures, j’étais assis à une table ici. Nous ne pouvions pas aller travailler car il était trop dangereux d’être à découvert, alors nous sommes restés assis à discuter, nous croyant en sécurité. Et puis nous avons entendu l’explosion—‘Boom’. Un énorme nuage de poussière s’est élevé, et combiné au bruit, ça a causé la panique, les gens couraient dans tous les sens. […] Quand ça a explosé, c’était comme si plein de coups de feu étaient tirés partout. Une fois la panique terminée, j’ai vu 13 personnes mortes, là, sur le marché. L’une d’elles était un homme de 72 ans qui était assis à côté de moi. J’étais blessé aux deux jambes et aux chevilles, dont une a dû être opérée. […] Certaines blessures étaient tellement horribles qu’on ne pouvait pas les regarder. Des gens ont eu des membres arrachés, d’autres étaient complètement difformes. [157]

Quatre autres témoins ont décrit la situation en des termes similaires, notamment un dont le jeune frère a été blessé au ventre et est décédé plus tard à l’hôpital. [158] Tous les témoins ont clairement déclaré qu’il n’y avait sur place ni personnel, ni cible militaire. Lorsque Human Rights Watch s’est rendu sur place en juillet 2011, des centaines d’impacts étaient encore visibles dans les toits de tôle, les portes métalliques, les murs en béton et tout ce qui se trouvait dans un rayon de 15 à 20 mètres du lieu de l’explosion. La division des droits de l’homme des Nations Unies a enquêté le jour de l’attaque ; son rapport indique qu’au moins six obus de mortier de 81 mm ont été tirés, tuant au moins 25 personnes et en blessant 40 autres. [159]

Des attaques similaires sur des quartiers résidentiels ont tué au moins neuf autres personnes entre le 11 et le 24 mars ; une femme et son bébé ont été tués lors de l’une de ces attaques. [160] La commission d’enquête internationale a documenté d’autres bombardements d’obus effectués par les forces de Laurent Gbagbo dans les quartiers de Williamsville, de Yopougon et d’Adjamé, signalant au moins 40 morts et plus d’une centaine de blessés si l’on inclut les attaques d’Abobo. [161]

Suite aux nombreux bombardements de zones civiles, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté le 30 mars la résolution 1975 demandant à l’UNOCI « d’utiliser tous les moyens nécessaires pour mettre en œuvre son mandat de protéger les civils (…) y compris pour prévenir l’usage d’armes lourdes ». [162] Le 3 avril, le Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-Moon a demandé au Président Sarkozy l’assistance de la force Licorne dans cet effort ; des attaques concertées de la force de maintien de la paix des Nations Unies et de la force Licorne ont commencé le lendemain dans les zones où les troupes de Laurent Gbagbo étaient soupçonnées d’utiliser des armes lourdes contre les civils. [163] Ces interventions ont mené aux attaques de la résidence de Laurent Gbagbo le 11 avril, juste avant que les Forces républicaines n’arrêtent l’ancien Président. [164] Un journaliste de l’Associated Press a dénombré plus de 500 missiles BM-21 pour lance-roquettes multiples de 122 mm quelques jours plus tard dans la résidence de Laurent Gbagbo ; mortier, grenades et munitions pour mitrailleuses ont également été trouvés, notamment chez Ake N’Gbo, le Premier ministre de Laurent Gbagbo. [165]

Viols et meurtres ethniques généralisés à Abidjan

Human Rights Watch a documenté plus de 260 meurtres perpétrés par des miliciens, mercenaires et forces armées pro-Gbagbo à Abidjan, alors que les Forces républicaines s’emparaient progressivement de la ville. Les forces de Laurent Gbagbo ont établi des points de contrôle partout dans la ville, poursuivant leur campagne de ciblage à l’encontre des Ivoiriens du Nord et des immigrés ouest-africains qui durait déjà depuis plusieurs mois. Avant l’arrivée des Forces républicaines dans tous les quartiers, les forces pro-Gbagbo ont lancé une dernière vague de violence contre les partisans d’Alassane Ouattara—tuant des hommes, essentiellement des jeunes, et faisant subir aux femmes des violences sexuelles. Les tueries se sont poursuivies jusque dans les derniers jours de la présence des forces de Laurent Gbagbo dans certains quartiers. De nombreuses personnes ont été tuées dans le fief traditionnel de la milice de Yopougon dans les jours qui ont suivi l’arrestation de Laurent Gbagbo, laissant le quartier jonché d’une douzaine de charniers et, pendant de nombreux jours, des corps éparpillés dans les rues.

Les meurtres documentés par Human Rights Watch ont eu lieu dans les quartiers d’Adjamé, de Williamsville, de Koumassi, de Port-Bouët et de Yopougon. Des sources crédibles, notamment des groupes locaux de défense des droits humains et des chefs de quartier de communautés immigrées, ont recueilli des informations sur des meurtres similaires dans d’autres quartiers, comme ceux de Treichville et de Plateau, ce qui laisse supposer que le nombre total de personnes tuées par les milices pro-Gbagbo pendant cette période est probablement plus élevé. Les corps ont souvent été brûlés, parfois en masse, par les miliciens pro-Gbagbo ou par des habitants qui ne supportaient plus l’odeur—ne laissant d’autres traces que de petits fragments d’os.

Adjamé et Williamsville

Le 14 mars, les forces pro-Ouattara—en particulier le Commando invisible—ont brièvement étendu leur contrôle depuis Abobo jusque dans les quartiers d’Adjamé et de Williamsville. Après les avoir repoussées au cours des jours suivants, les forces pro-Gbagbo ont ciblé et tué des douzaines de partisans supposés d’Alassane Ouattara dans ces quartiers. Une femme de 52 ans, restée à Williamsville pendant presque toute la vague de violence car ses parents étaient trop âgés pour s’enfuir, a raconté ce qui suit à Human Rights Watch :

C’est après que les [forces pro-Ouattara] ont été repoussées que des jeunes en civils venus des résidences universitaires [une base courante pour les groupes de miliciens] sont arrivés dans le quartier. Certains d’entre eux portaient un brassard rouge. Quand ils sont arrivés, ils ont tiré des coups de feu. Tous les jours, ils tiraient, et tiraient. Dès qu’on les apercevait, on se cachait vite. […] Je les ai vus de mes propres yeux tuer trois personnes et en blesser gravement une quatrième. […] Pas plus tard qu’hier, ils en ont tué quatre autres sous le pont de la station Mobil. Je revenais du marché quand j’ai vu les quatre cadavres. Les miliciens étaient encore là. Je suis passée et j’ai fait comme si je ne les avais pas vus. […] Un jour, ils m’ont arrêtée et ont voulu m’abattre, mais l’un d’eux est intervenu et j’ai pu repartir. [166]

Les meurtres sont devenus de plus en plus fréquents au fur et à mesure que les Forces républicaines se rapprochaient d’Abidjan. Un chauffeur ivoirien a décrit le meurtre, le 28 mars, de trois bouchers maliens par des miliciens, reconnaissables à leur tee-shirt noir et leur brassard rouge. Les miliciens les ont abattus alors qu’ils allaient chercher une vache dans le quartier de Williamsville. [167] Le 17 mars, un Sénégalais, blessé au bras dans le quartier d'Adjamé par un tir d’hommes armés en uniforme, a raconté comment deux de ses amis, également des Sénégalais, ont été abattus ce jour-là : « Les hommes armés ont visé leurs armes sur eux et ont tiré. […] Ils ne leur ont posé aucune question, ils les ont abattus comme ça, à bout portant. » [168] Un autre témoin a décrit le meurtre d’un civil arrêté le 30 mars à un barrage de miliciens à Adjamé :

À midi, les miliciens ont arrêté une camionnette et ont demandé au conducteur et à son apprenti leurs papiers d’identité. Ils ont traîné l’apprenti hors du siège passager et dit au conducteur qu’il pouvait partir. Ils ont tiré quatre fois sur l’apprenti. Son corps est toujours dans la rue. C’est comme ça qu’ils ciblent les étrangers. […] Ils regardent les papiers et déterminent votre origine. Si vous êtes originaire de la CEDEAO [Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest] ou du Nord, ils vous disent de descendre, et—trop souvent—vous tuent. Avec maintenant une dizaine de ces postes de contrôle à Adjamé, les meurtres et ce genre d’incidents sont devenus monnaie courante. [169]

Si les miliciens étaient souvent les auteurs de crimes, des témoins ont également identifié les forces de sécurité lors de certaines attaques. Un homme de 40 ans, originaire du Burkina Faso, était l’un des neuf immigrés ouest-africains arrêtés par des hommes armés et en uniforme, qu’il pense être des policiers, à un barrage à Adjamé, le 29 mars. Le groupe a été emmené dans un poste de police où les policiers leur ont tiré dessus :

À 8h30, en me rendant à mon travail, j’ai été arrêté à un poste de contrôle. Les policiers m’ont demandé ma carte d’identité. À la vue de mon nom, ils m’ont dit de monter dans un 4x4 stationné à proximité. Je suis monté ; il y avait huit autres personnes. Nous avons été emmenés au 11 commissariat de police. Il y a un camp, juste derrière le commissariat, et c’est là que tout s’est passé. La police nous a poussés et a crié : « Êtes-vous des frères de la rébellion ? » J’ai dit non, mais à l’évidence, ce n’était pas une vraie question. Puis ils ont dit : « Si vous êtes burkinabé, allez là-bas à gauche. Si vous êtes malien, allez à gauche. » Nous sommes donc tous allés à gauche. Puis ils se sont tournés vers nous et ont tiré. […] Six d’entre nous sont morts. J’ai reçu une balle dans le bras et dans les reins et j’ai dû leur paraître mal-en-point parce qu’ils m’ont laissé pour mort. Les policiers sont partis tout de suite après. Je n’ai pas douté qu’ils soient des policiers à cause de leur tenue ; le 4x4 aussi était un véhicule de police, avec les marques de la police, et le camp au commissariat était un camp de police. Deux des morts étaient des Burkinabés ; j’ai appris que les six autres étaient maliens. […] J e n’ai pas pu dormir la nuit dernière, je ne peux pas oublier, et aussi à cause des sutures. [170]

La violence à Adjamé a provoqué un exode massif d’Abidjan des immigrés ouest-africains et des Ivoiriens du Nord, qui sont allés se réfugier dans leurs ambassades respectives ou auprès de familles résidant en dehors d’Abidjan ou dans d’autres quartiers.

Koumassi/Port-Bouët

Human Rights Watch a également documenté de nombreux meurtres perpétrés dans les quartiers de Koumassi et de Port-Bouët alors que les Forces républicaines et les forces pro-Gbagbo s’affrontaient pour prendre le contrôle d’Abidjan entre le 31 mars et le 11 avril, date de l’arrestation de Laurent Gbagbo. Étant situés tout au sud d’Abidjan—à l’autre bout de l’endroit par lequel les Forces républicaines étaient entrées dans la ville—, ces quartiers ont été deux des trois derniers à tomber. En effet, les combats n’y ont pas été particulièrement intenses car les Forces républicaines n’ont pas eu besoin de les contrôler pour arrêter Laurent Gbagbo ; la majorité des miliciens pro-Gbagbo avaient fui le quartier au moment de l’arrestation de Laurent Gbagbo.

Cependant, tandis que les combats se poursuivaient dans d’autres parties de la ville, les partisans réels ou présumés d’Alassane Ouattara dans ces quartiers ont été systématiquement ciblés par les soldats des Jeunes patriotes, de la FESCI et du CECOS. Des miliciens ont tué au moins 18 habitants de Port-Bouët, essentiellement des immigrés ouest-africains, au cours des attaques des 2 et 4 avril. [171] D’autres encore ont été tués alors qu’ils tentaient de fuir l’offensive pour aller se réfugier dans d’autres quartiers. Lors de l’attaque de la milice pro-Gbagbo le 2 avril, des centaines de personnes sont parties en direction de la base de la force Licorne située non loin de là. Apprenant que la base Licorne ne pouvait pas les abriter, les habitants ont poursuivi leur route vers Koumassi. Un témoin a raconté ce qui s’est ensuite passé :

Nous étions plus d’une centaine à courir. Lorsque nous nous sommes approchés du bâtiment de Koumassi Sicogi où vivaient des miliciens, nous sommes tombés dans une embuscade. C’était près du Camp Commando [une base de gendarmerie]. Ils ont ouvert le feu. Dans ma course, j’ai marché dans un trou et je me suis déchiré le genou. Je suis tombé par terre et il y avait six corps autour de moi—deux juste à mes côtés et quatre autres devant moi, à quelques mètres seulement. Les assaillants sont venus vers nous, ils portaient un tee-shirt de Gbagbo et un pantalon noir. J’ai fait le mort ; je savais qu’autrement ils me tueraient. Ils nous ont tous touchés avec leurs armes et l’un d’eux a dit : « Ils sont morts, allons-y. » Vers 7 ou 8 heures du matin, une patrouille française est arrivée. Je ne pouvais pas bouger à cause de mon genou, mais j’ai hurlé pour qu’ils m’entendent et ils sont venus me chercher. [172]

Un autre témoin entendu par Human Rights Watch a assisté, le 7 avril, à l’exécution de quatre frères à un poste de contrôle de la milice, à proximité du même Camp Commando, situé près d’un accès principal à Koumassi. [173] En fin d’après-midi ce jour-là, un résident qui habitait à moins de 100 mètres de ce poste de contrôle a raconté à Human Rights Watch qu’il s’était discrètement approché du site et avait filmé 24 cadavres gisant dans la rue. [174] De nombreux témoins ont raconté qu’au bout de quelques jours, il y avait des zones entièrement noircies le long de la route où la milice avait brûlé des corps.

Yopougon

En tant que base de longue date de la milice de Gbagbo et zone du combat final dans la lutte pour Abidjan, le quartier de Yopougon a été le site de meurtres particulièrement violents contre des groupes présumés pro-Ouattara. De nombreux homicides ont été commis dans les jours qui ont suivi l’arrestation de Gbagbo tandis que les miliciens cherchaient ouvertement à se venger.

Dans le quartier de Mami-Faitai, une section en grande partie musulmane de Yopougon, Human Rights Watch a vu ce qui semblait être huit fosses communes. Selon des personnes qui ont participé aux inhumations, chaque fosse contenait entre 2 et 18 cadavres. [175] Au moins 46 personnes ont été tuées dans cette zone entre les 11 et 13 avril. Les habitants de Mami-Faitai avaient créé un poste de contrôle à l’entrée de leur quartier où, selon plusieurs résidents, des jeunes non armés signalaient si des attaquants arrivaient en frappant sur des casseroles. Les résidents ont décrit comment sept attaquants en uniformes de la BAE (l’unité anti-émeute) ont fait une descente sur le point de contrôle peu après minuit le 11 avril et ont tué 18 personnes. Un rescapé qui a feint d’être mort après avoir reçu une balle a déclaré à Human Rights Watch :

Quand ils nous sont tombés dessus, ils ont crié : « Couchez-vous tous par terre. » Comme ils avaient des kalaches, chacun d’entre eux, nous n’avions pas le choix. Nous étions 18 couchés par terre, 16 ont été tués. Ils ont pris nos portables ; l’un d’eux a dit : « Maintenant, vous ne pourrez plus appeler l’ONUCI [les Casques bleus]. » Ils ont demandé nos noms ; les deux premiers étaient Ibrahima et Boubakar. Ils ont chargé leurs armes et l’un d’eux a dit : « C’est vous qui avez attrapé le Président Gbagbo, vous allez payer. Nous allons creuser une fosse commune dans votre quartier aujourd’hui. » J’étais le leader du groupe, alors j’ai dit : « Nous sommes des jeunes du quartier ; nous ne sommes pas armés. Nous ne sommes pas des rebelles, nous ne sommes pas des politiciens, nous ne faisons que protéger notre quartier, nos femmes. »

L’un d’eux a mis son pied sur moi et m’a tiré dans le dos [blessure constatée par HRW]. Mais il ne m’a pas tué. Je suis resté là en faisant le mort, en espérant qu’ils ne s’en aperçoivent pas et me tirent dessus de nouveau. Il m’a donné des coups de pied, et je n’ai pas réagi. […] Après un deuxième coup de pied, il est passé à la personne suivante. Tous les sept tiraient à ce moment-là—nous tuant l’un après l’autre. […] Quand les gens de notre quartier ont entendu les coups de feu, beaucoup d’entre eux sont venus nous défendre. Mais les gars de Gbagbo ont tiré pour repousser la foule. Deux autres corps ont été retrouvés près de la mosquée voisine, des gens qui avaient essayé de venir nous aider.
[176]

Un homme de 65 ans qui vivait dans le même quartier a perdu cinq fils quand des miliciens se sont introduits en grimpant dans sa résidence aux alentours de 9 heures du matin le 12 avril. Voici ce qu’il a raconté :

Ils allaient de maison en maison pour tuer. Ils étaient plus de 10 à avoir sauté la clôture pour pénétrer dans ma résidence. La plupart étaient en civil—tout en noir, quelques-uns d’entre eux dissimulant leur visage avec du charbon—mais d’autres portaient des pantalons militaires. Tous avaient des kalaches. Ils ont cassé la première porte, derrière laquelle trois de mes fils se cachaient. J’étais à l’intérieur de la porte principale, celle en métal, c’est ce qui m’a sauvé. Ils ne pouvaient pas la faire tomber comme les deux portes en bois à l’extérieur dans la cour. Ils ont tiré avec leurs armes après avoir sauté par-dessus la clôture ; nous avons tous entendu et avons couru pour écouter et regarder à travers un trou dans la porte.

Je les ai regardés sortir trois de mes garçons de la première pièce. Ils les ont forcés à s’allonger à plat-ventre dans la salle ici, et puis ils leur ont tiré dessus à bout portant. D’abord, ils ont pris tous leurs objets de valeur, puis l’un d’eux a ouvert le feu, « pop-pop », sur chacun de mes fils. Ils ont exigé de l’argent, et mes fils le leur ont donné ; ils ont demandé des vêtements, mes fils les leur ont donnés ; ils ont exigé la télévision, les portables. Tout leur a été donné et pourtant, les miliciens les ont tués. Ils criaient que nous, les Dioulas, étions les rebelles qui avions pris le contrôle du pays. Un autre a dit : « Ce sont vos frères qui ont capturé Gbagbo hier. » Ils ont pillé cette chambre, puis ils se sont rendus à la deuxième porte, où deux de mes garçons dormaient. Ils ont également défoncé cette porte. Ils ont immédiatement tiré sur l’un d’eux qui se tenait debout, directement dans la poitrine. L’un des assaillants a alors dit : « Nous nous sommes occupés de quatre d’entre eux, ça suffit, allons-y. » Mais un autre a dit non. Le cinquième fils se cachait sous son lit. Ils l’ont sorti et lui ont tiré dessus. Plusieurs sont restés pendant plus d’une heure, tandis que les autres ont poursuivi leurs
tueries ailleurs. L’un d’eux a ouvert le frigo et, avec les cinq corps sur le sol, a sorti du couscous, du bissap [jus], et a mangé juste là. Des miettes sont restées sur le sol juste à côté des corps.

Vers 14 heures, nous avons arrêté d’entendre les tirs et nous sommes sortis. Quand j’ai vu les corps, j’étais sous le choc, je ne pouvais même pas pleurer. Nous avons marché à travers le sang pour sortir de l’enceinte, les cinq corps simplement couchés là. Les impacts de balles avaient pénétré dans le sol en béton. Nous n’avons pas pu prendre le temps de les enterrer, car nous ne savions pas quand la milice reviendrait. Quand nous sommes revenus, nous avons été informés par quelques personnes qui s’étaient cachées dans le quartier que les miliciens avaient emballé les corps ensemble, puis y avaient mis le feu. Des traces de brûlure ont été trouvées devant notre enceinte. Nous avons trouvé des restes d’os, mais rien de plus.
[177]

Dans le sous-quartier de Doukouré, à Yopougon, les corps de 29 personnes reposent dans une fosse commune unique provenant de la tuerie du 12 avril, selon plusieurs habitants qui ont aidé à enterrer les corps le 13 avril. [178] Au moins sept autres fosses communes contenant de 1 à 12 corps se trouvent à proximité dans le même parking poussiéreux de la mosquée de quartier, selon des personnes qui ont aidé à les enterrer. [179] Alors qu’ils allaient de maison en maison en tuant, les miliciens ont également violé des femmes, dont une de 23 ans :

Vers 14h30, les miliciens ont frappé à la porte de la cour. Avant même que l’on ne puisse venir l’ouvrir, ils l’avaient brisée. Mon mari a levé les mains. Ils ont demandé son ethnie, sa carte d’identité. Il a répondu : « Je suis dioula » et ils ont dit : « Ah, c’est vous qui soutenez Alassane. » Il n’a pas répondu, mais quand ils ont saisi ses papiers d’identité, ils lui ont tiré dans le bras, puis dans les côtes.

Ensuite ils ont dit aux femmes d’ôter leurs vêtements et de se coucher sinon ils nous tireraient dessus. J’ai demandé pardon, mais l’un d’eux a appelé les autres qui étaient restés dehors pour qu’ils entrent. Tout d’abord, cinq de plus sont entrés, puis l’un d’eux est sorti pour en appeler d’autres, et trois autres sont arrivés. Ils avaient tous des armes. Les premiers qui sont entrés portaient des treillis militaires et une kalache. Les autres étaient en civil et avaient des couteaux et des machettes. Il y avait trois femmes dans les chambres qui donnent sur la cour, et ils nous ont violées toutes les trois. Un milicien a violé chacune des femmes. Ils nous ont forcées à nous tourner et nous ont violées. Après avoir fini, ils ont pris tout ce qui nous appartenait, et ne nous ont rien laissé.
[180]

Human Rights Watch a documenté 21 viols commis par les forces pro-Gbagbo à Doukouré et Mami-Faitai dans la semaine suivant l’arrestation de Laurent Gbagbo. Au moins neuf, comme celui relaté ci-dessus, ont été perpétrés durant les attaques du 12 avril. Les viols ont continué les jours suivants alors que des femmes tentaient de rentrer chez elles pour se procurer des affaires essentielles pour leurs familles qui se tenaient cachées.

Les meurtres commis dans les zones contrôlées par les milices se sont poursuivis jusque dans les derniers jours de la bataille de Yopougon. Le 25 avril, les milices pro-Gbagbo ont profité d’un bref mouvement des Forces républicaines hors de Yopougon Andokoi pour mettre en place un barrage routier. Deux frères maliens sont entrés dans le quartier aux environs de midi, en pensant qu’il n’y avait pas de danger, et ont été arrêtés au poste de contrôle des milices. Le frère aîné, interrogé par Human Rights Watch, s’est échappé mais s’est retourné pour voir que son frère de 26 ans avait été arrêté. Une fois que les Forces républicaines ont repris le contrôle de la zone cette nuit-là, le frère aîné est revenu pour trouver le corps à demi carbonisé de son frère empilé à côté de cinq autres victimes, qui avait également été brûlées au point d’être presque méconnaissables. [181] Le 27 avril, le sous-quartier de Locodjoro, l’une des dernières zones à tomber aux mains des Forces républicaines, a été complètement brûlé par les miliciens en fuite. Ils ont détruit des centaines de maisons et, selon des témoins, arrêté, ligoté et exécuté deux Maliens. L’un d’eux était en chemin vers la zone pour sauver sa mère qui avait été dans l’incapacité de fuir les violences antérieures. [182]

Les résidents de Yopougon des deux partis politiques ont déclaré qu’ils avaient vu quelques chefs de milice bien connus à l’intérieur et aux environs des sous-quartiers de Yopougon où un grand nombre de meurtres ont été commis. Les témoins ont décrit à plusieurs reprises avoir vu le chef de milice Bah Dora dans la zone de Toit Rouge. Des témoins ont également décrit la participation des membres de la milice sous le commandement de Bah dans les multiples meurtres de civils d’appartenance présumée à des groupes pro-Ouattara. [183] Plusieurs résidents du quartier ont déclaré à Human Rights Watch que Bah avait été capturé par les Forces républicaines et était détenu au 19ème arrondissement. [184] Deux témoins ont également indiqué avoir vu Maho Glofiei, chef de longue date d’une milice de la région de l’extrême ouest de la Côte d’Ivoire, à Yopougon juste avant l’arrestation de Gbagbo. [185]

Offensive militaire des Forces républicaines

Le 17 mars, Alassane Ouattara a signé un décret portant création des Forces républicaines de Côte d’Ivoire, qui constituent les forces armées « officielles » du pays. Les Forces républicaines étaient composées de combattants des Forces nouvelles ainsi que de membres de l’armée nationale et des forces de sécurité qui avaient rallié le camp d’Alassane Ouattara. [186] Le décret a été promulgué près de trois semaines après que les Forces nouvelles, sous le commandement du Premier ministre d’Alassane Ouattara, Guillaume Soro, avaient lancé une offensive à Zouan-Hounien, une ville à la frontière libérienne. Le 29 mars, après un mois d’intenses combats essentiellement avec des miliciens et des mercenaires pro-Gbagbo, les nouvelles Forces républicaines ont pris le contrôle de l’Ouest. Dans les deux jours qui ont suivi, les villes sont tombées dans le sud, le centre et l’est de la Côte d’Ivoire, les unes après les autres, des brèches s’ouvrant sur les trois fronts. Le 31 mars, les Forces républicaines convergeaient vers Abidjan et entamaient des combats qui allaient se conclure par l’arrestation de Laurent Gbagbo le 11 avril. Les combats se sont cependant poursuivis jusqu’à la première semaine du mois de mai, les miliciens pro-Gbagbo continuant le combat dans leur bastion du quartier de Yopougon.

Avant leur offensive militaire dans l’extrême ouest du pays, les éléments armés fidèles à Alassane Ouattara ont été peu impliqués dans des exactions graves. Cependant, une fois le conflit armé lancé, les soldats ont systématiquement pris pour cible des civils suspectés d’être des partisans de Laurent Gbagbo à chaque fois qu’ils rencontraient une résistance acharnée essentiellement dans l’Ouest et à Abidjan. Si les hommes et les jeunes étaient particulièrement visés pour leur affiliation présumée avec les milices, des personnes âgées, des femmes et des enfants ont également été tués. Au total, des centaines de victimes ont été exécutées après avoir été prises pour cible selon des critères ethniques, et des dizaines de femmes ont été violées. Parfois, des hauts gradés des Forces républicaines ont été impliqués dans ces exactions, soit directement, soit au titre de leur responsabilité de commandement.

Meurtres, viols et pillages dans l’extrême ouest du pays

Les affrontements armés entre les forces pro-Ouattara et pro-Gbagbo ont débuté le 25 février autour de la ville de Zouan-Hounien, dans l’ouest du pays. Après s’être emparées rapidement de Zouan-Hounien et de Bin-Houyé le long de la frontière libérienne, les Forces républicaines ont fait face à une plus grande résistance à Toulepleu, Doké, Bloléquin et Duékoué. [187] Le 10 mars, Soro a proclamé le commandant Fofana Losséni chef de la « pacification de l’ouest du pays » pour les Forces républicaines, avec pour mandat de « protéger les populations au nom du gouvernement Ouattara ». [188] Des témoins et des journalistes ivoiriens ont également identifié le capitaine Eddie Médi comme étant le chef de l’offensive militaire menée de Zouan-Hounien à Guiglo. [189]

Alors que les combats faisaient rage pendant tout le mois de mars, les Forces républicaines ont systématiquement pris pour cible les civils présumés pro-Gbagbo. Les visites effectuées par Soro aux Forces républicaines à Toulepleu les 9 et 10 mars ne semblent pas avoir réduit le nombre de leurs exactions.

Human Rights Watch a recueilli des informations sur les meurtres de civils commis par les forces pro-Ouattara dans une dizaine de villages au moins autour de Toulepleu et Bloléquin, notamment des exécutions à bout portant, des actes de mutilation et des immolations. Bien que la majorité des habitants guérés de la région aient fui en prévision de l’attaque menée par les Forces républicaines, ceux qui sont restés ont été soumis à un châtiment collectif pour le soutien présumé de leur groupe à Gbagbo. La commission d’enquête internationale a par ailleurs découvert qu’« à leur arrivée dans les villes, les FRCI et leurs alliés ont également commis de nombreuses exactions contre les populations jugés [sic] favorables à l’ex président Gbagbo […] ». [190]

Un Guéré de 57 ans originaire de Zoguiné, village situé entre Toulepleu et le poste-frontière officiel ivoiro-libérien tout proche, a expliqué à Human Rights Watch que les Forces républicaines avaient tué un agriculteur qui rentrait chez lui à pied, brûlé vive sa mère et détruit son village :

Les rebelles [191] sont arrivés dans mon village le lundi 7 mars, à 10 heures du matin. Les femmes du village avaient déjà fui dès qu’elles avaient appris que Toulepleu avait été attaquée. Mais ma mère est restée parce qu’elle n’était pas capable de s’enfuir, et puis il y avait 14 hommes qui sont restés aussi. La plupart d’entre nous étions au village mais l’un de nous était dans ses champs en dehors du village.

Sept rebelles sont arrivés. Lorsqu’on a entendu les coups de feu, on s’est tous enfuis dans la brousse. Mais l’homme qui était dans sa plantation ne savait pas qu’ils étaient arrivés. Il est revenu chez lui et à ce moment-là, ils lui ont tiré dessus et l’ont touché au genou, ce qui fait qu’il ne pouvait plus marcher. Ils étaient tous en tenue militaire et portaient des foulards blancs sur la tête. Certains s’étaient barbouillés le visage avec du charbon ; d’autres s’étaient mis de la peinture rouge. Les autres, on était tous cachés dans la brousse et on regardait tout à une distance de 100, peut-être 200 mètres. Ils lui ont tiré dans le genou avec une kalache à environ 10-20 mètres. Ils se sont dirigés vers lui après ce premier coup de feu et l’ont mis en joue avec leurs fusils. Puis [notre voisin] nous a crié : « Sortez de la brousse ! Ce ne sont pas les rebelles qui sont venus. Ce sont nos protecteurs [les troupes pro-Gbagbo]. » Ils ont essayé de nous piéger. Mais on pouvait les voir, on pouvait les voir avec leurs fusils pointés sur lui. Donc on n’a pas bougé. Après deux minutes, ils ont dû se rendre compte qu’on n’allait pas revenir. Ils ont mis le feu à sa maison, et puis ils l’ont attrapé à plusieurs et l’ont traîné par terre. Ils ont dû le traîner sur 85 mètres, l’emmenant vers la route principale qui traverse le village. Ensuite, ils l’ont abattu à bout portant et l’ont éventré avec un long couteau. Ils ont laissé son corps là.

Puis ils sont retournés au village et ont commencé à rentrer dans toutes les maisons. Ils ont fouillé celles situées près de la route et ont emporté toutes les choses de valeur. Ils ont mis le feu aux maisons qui avaient un toit de paille. Ma mère était âgée et malade et ne pouvait pas quitter son lit. Ils ont brûlé sa maison avec elle encore à l’intérieur. J’ai trouvé son corps carbonisé plus tard, après leur départ. Je les ai regardés brûler ma maison après avoir tout volé. Comme ils étaient venus au village à pied, ils ont amassé tous les objets le long de la route principale. Puis ils ont appelé leurs compagnons, qui sont arrivés dans un camion-cargo militaire pour tout emporter. Ils ont pris des téléviseurs, des radios, toutes les choses sur lesquelles ils ont pu mettre la main. Ils ont massacré tous nos animaux—en ouvrant simplement le feu sur eux avec leurs kalaches—avant de monter dans le camion.
[192]

Dans quelques villes et villages, les Forces républicaines sont arrivées plus tôt que prévu, avant que la plupart des habitants n’aient pu fuir, et elles ont ouvert le feu alors que la population en panique cherchait à se réfugier dans la brousse avoisinante. Human Rights Watch a recueilli des informations sur des dizaines de meurtres survenus dans ces circonstances à Toulepleu, Diboké, Doké et Bloléquin.

Des témoins ont déclaré que les Forces républicaines allaient souvent de maison en maison après s’être emparées d’un village, tuant bon nombre de ceux qui étaient restés. Une habitante de Diboké âgée de 23 ans a déclaré à Human Rights Watch que des combattants des Forces républicaines étaient entrés chez elle et avaient tué sa mère, son père et son frère cadet. Elle s’était échappée par une fenêtre, trouvant finalement refuge au Libéria. [193] Une femme de 25 ans de Bloléquin s’est cachée sous son lit lorsque les forces pro-Ouattara ont pénétré chez elles et ont tué sa s œ ur âgée de 20 ans. [194] Dans au moins quatre cas sur lesquels Human Rights Watch a recueilli des informations, les victimes ont eu des parties de leurs bras tranchés et ont ensuite été éventrées à l’aide de longs couteaux—deux alors qu’elles étaient encore vivantes, deux autres après avoir été abattues. [195]

Après avoir commis ces actes dans plusieurs villes et villages, certains soldats des Forces républicaines se sont déployés à pied sur les pistes dans des zones où les habitants travaillent dans leurs plantations de cacao—tuant d’autres personnes qui croyaient avoir trouvé refuge dans un endroit sûr. Une femme de 47 ans a décrit à Human Rights Watch ce qui s’est produit dans l’une de ces circonstances :

Lorsqu’on a appris que les rebelles arrivaient, ma famille a trouvé refuge dans notre campement [petite plantation de cacao]. C’est à deux kilomètres à l’extérieur de Doké, sur une piste seulement accessible à pied ou à moto. On pensait qu’on y serait en sécurité, même s’il y avait des combats en ville. Le 16 mars, j’étais avec mon père, mon mari et mon fils de 10 ans. Ma s œ ur et ses enfants étaient là aussi. On était en train de préparer à manger lorsque deux rebelles sont tombés sur nous dans la brousse. L’un d’eux portait un treillis militaire complet avec un foulard blanc ; l’autre portait un pantalon militaire et un tee-shirt noir. Peut-être avaient-ils vu le feu et c’est comme cela qu’ils nous ont trouvés.

C’est moi qu’ils ont vue en premier lieu et ils ont tiré sur moi à 20 ou 30 mètres de distance. Je suis tombée par terre et j’ai fait semblant d’être morte. Ils ne m’avaient pas touchée. Puis ils ont vu les autres et se sont dirigés vers eux. Ils ont à nouveau ouvert le feu et ils ont tué ma famille—mon fils, mon mari et mon père, ils ont tous été tués. Ils tiraient avec des grands fusils, des fusils qui tiraient vite, du genre « boom-boom-boom ». Je gisais là par terre, j’ai vu quand mon fils s’est écroulé, mort, mais je ne pouvais pas pleurer. Si j’avais pleuré, ils auraient su que j’étais encore vivante et ils m’auraient tuée. Mais pourquoi suis-je encore vivante ? Ils ont pris mon fils, mon mari et mon père. Je n’ai plus rien. Je ne suis plus en vie de toute façon. […] Ils sont partis et après un petit temps, je me suis levée et j’ai regardé les corps. Du sang avait coulé par terre, mais aucun d’eux ne bougeait encore. Mon fils avait reçu deux balles, l’une dans la poitrine, l’autre dans le ventre. Je l’ai pris dans mes bras et j’ai pleuré en silence.
[196]

Des témoins ont expliqué qu’après avoir tué sommairement les civils guérés trouvés dans un village, les Forces républicaines se livraient souvent au pillage avant de mettre le feu aux maisons. Human Rights Watch a recueilli des informations sur l’incendie partiel d’au moins 10 villages guérés autour de Toulepleu et de Bloléquin. Plusieurs témoins ont signalé à Human Rights Watch qu’alors qu’ils étaient cachés dans la brousse, ils avaient vu les forces pro-Ouattara aller jusqu’à mettre le feu aux bâtiments servant à stocker le riz et les semences de riz. [197]

Exécutions sommaires de civils détenus, essentiellement des personnes âgées

Lorsque les Forces républicaines déferlaient sur un village, les personnes âgées ou malades, ainsi que leurs proches qui refusaient d’abandonner les êtres chers incapables de fuir, sont souvent restés dans leurs maisons. Dans plusieurs cas au moins, les Forces républicaines ont enfermé ces personnes dans une ou plusieurs maisons du village et les ont tuées dans les jours qui ont suivi. Human Rights Watch a recueilli des informations sur les meurtres d’une trentaine de Guérés qui n’avaient pas été en mesure de fuir avec leurs familles ; dans la vaste majorité des cas, les Forces républicaines ont abattu les victimes âgées à bout portant. Des dizaines d’autres réfugiés interrogés par Human Rights Watch ont déclaré avoir laissé derrière eux des parents trop âgés dans d’autres villages autour de Toulepleu et de Bloléquin, ce qui semble indiquer que ce bilan meurtrier pourrait s’avérer plus lourd encore.

Une femme guéré de 21 ans originaire d’un village proche de Toulepleu a confié que début mars, elle, sa famille et cinq autres habitants avaient été maintenus en détention. Elle a été violée, son mari a été tué pour avoir essayé de la défendre, et d’autres ont été exécutés :

Le village a été attaqué par des rebelles [aux alentours du 7 mars]. Les loyalistes [troupes pro-Gbagbo] étaient restés dans le village pendant un certain temps avant, mais ils avaient fui juste avant l’arrivée des rebelles. Mon mari, mes deux enfants et moi nous sommes cachés chez nous. Les rebelles nous ont trouvés et nous ont emmenés dans la maison du chef du village, où nous avons été détenus pendant une semaine environ, avec cinq autres villageois, dont deux femmes. Chaque jour, ils prenaient quelqu’un et l’abattaient devant la maison. Les rebelles entraient, emmenaient la personne dehors, et puis un coup de feu retentissait et la personne ne revenait plus jamais. Le cinquième jour, j’ai été violée dans la maison par l’un des rebelles. Il m’a violée sous les yeux de mes enfants. Lorsque mon mari a tenté de me défendre, ils l’ont emmené dehors, ont tiré un coup de feu, et il n’est jamais revenu. [198]

Une femme de 67 ans originaire de Doké, où des combats entre les forces de Ouattara et celles de Gbagbo ont eu lieu le 13 mars, a fourni à Human Rights Watch une description analogue de l’exécution de 20 civils guérés, en majorité des hommes et femmes âgés :

J’ai été réveillée par des coups de feu le premier jour où ils ont attaqué Doké. J’étais chez moi, et quand j’ai entendu les tirs, je suis sortie en courant. Les rebelles m’ont immédiatement capturée. Certains portaient des treillis militaires ; d’autres étaient en tee-shirt et en pantalon militaire. Il y avait des camions-cargo militaires et des 4x4 autour de la ville. Six d’entre eux nous ont attrapées, moi et quatre autres personnes. Ils nous ont enfermées dans l’une des plus grandes maisons du village. Alors qu’ils nous mettaient là, l’un d’eux a dit : « On n’est pas venus ici pour vous. On n’est pas venus ici pour vous tuer. » […] Le deuxième jour, ils ont amené d’autres personnes dans la maison. Certaines étaient du village, pour la plupart d’autres personnes âgées ou malades qui ne pouvaient pas fuir. Et puis, il y a eu d’autres personnes comme nous qu’ils ont amenées des villages voisins. Au total nous étions plus de 30, peut-être même plus de 40. Nous avions tous plus de 45 ans. […] Quel combat leur a-t-on livré ?

C’est ce jour-là qu’ils ont commencé à tuer. Les rebelles ont traîné les gens hors de la maison et puis les ont exécutés juste devant. Je pouvais regarder dehors et j’ai tout vu. J’étais tellement surprise la première fois, on a tous pleuré, sachant alors qu’on allait mourir. Ils ont saisi un vieil homme ils étaient trois à être entrés , l’ont traîné dehors, lui ont dit de s’éloigner en marchant, puis ils l’ont abattu à deux-trois mètres de distance. Son corps s’est simplement écroulé sur le sol. Puis ils sont rentrés et ont saisi quelqu’un d’autre. Ce jour-là, ils ont tué le chef de notre village. […] Au total, ils ont tué plus de 20 personnes détenues, plusieurs personnes chaque jour. Après trois jours d’exécutions, ils ont rassemblé quelques cadavres et les ont brûlés. L’odeur était épouvantable à cause de tous les corps en décomposition devant la maison. […]

Ils m’avaient frappée sur le pied avec une kalache le premier jour, et mon pied était vraiment enflammé. Un jeune rebelle est venu me trouver à cause de ma blessure et m’a dit que je devais aller dans la brousse ramasser du bois pour cuisiner pour eux plus tard. Il a dit à son ami que je ne pouvais pas m’enfuir vu que mon pied était très enflammé. Ils ne se rendaient pas compte que j’étais encore forte, que je savais que si je restais, je serais tuée. Donc quand je suis allée dans la brousse pour chercher du bois, j’ai pris la fuite. Je suis restée dans la brousse pendant deux semaines. […] Je ne sais toujours pas où se trouvent mon mari et mes enfants.
[199]

Un homme de 84 ans détenu dans une autre maison de Doké avec six autres Guérés a expliqué que le cinquième jour de leur captivité, des soldats en uniforme des Forces républicaines ont verrouillé la maison dans laquelle ils étaient détenus et qui ne comptait qu’une seule pièce, ouvrant ensuite le feu à travers les murs. Cinq des sept captifs sont morts immédiatement, tous avaient plus de 50 ans, et le témoin a eu trois blessures par balle à la jambe gauche. [200] Les forces pro-Ouattara ont quitté le village—qui a été repris brièvement le jour même sans coup férir par les forces pro-Gbagbo—, permettant à l’homme de s’échapper avec l’autre survivant. Ils ont trouvé une voiture qui les a emmenés à Guiglo, où la Croix-Rouge les a soignés. Menacé par une autre attaque imminente des Forces républicaines à Guiglo, l’homme de 84 ans a parcouru pendant deux semaines plus de 100 kilomètres à pied pour rejoindre le Libéria et trouver refuge dans un village libérien. [201]

Viols et autres violences sexuelles

Human Rights Watch a recueilli des informations sur 23 cas de viol et autres violences sexuelles commis par les Forces républicaines lors de leur progression dans l’extrême ouest du pays. Toutes les victimes étaient guérés. Dans plusieurs cas, les agresseurs ont fait allusion à l’origine ethnique de la victime avant ou pendant le viol. Des informations dignes de foi émanant d’organisations humanitaires travaillant le long de la frontière ivoiro-libérienne semblent indiquer qu’il existe des dizaines d’autres cas analogues.

Dans quelques cas, les combattants ont capturé des femmes et des filles lors de l’attaque initiale d’un village, les ont forcées à aller dans la brousse avoisinante et les ont violées. Une femme de 31 ans originaire de Bohobli, un village proche de Toulepleu, avait décidé de ne pas s’enfuir lors de l’avancée des forces d’Alassane Ouattara car sa grand-mère ne pouvait pas partir et elle-même était handicapée du pied. Elle a confié à Human Rights Watch que trois hommes armés étaient entrés chez elle. Un combattant a tué la grand-mère à coups de machette, tandis que les deux autres ont traîné la femme dans la brousse, où ils l’ont violée. [202]

Dans la majorité des cas documentés, les combattants ont enfermé les femmes dans des maisons pendant un ou plusieurs jours, commettant des viols collectifs répétés avant de partir pour la ville ou le village voisin. Aux alentours du 7 ou 8 mars, les Forces républicaines sont passées par Basobli, à une dizaine de kilomètres de Toulepleu en direction de la frontière libérienne. Bien que la plupart des habitants aient fui dès qu’ils ont appris la chute de Toulepleu, une femme de 25 ans qui s’est entretenue avec Human Rights Watch est restée au village pour veiller sur ses jeunes frères et soeurs :

Des rebelles armés sont arrivés au village. Sept d’entre eux ont investi la maison familiale et m’ont gardée prisonnière pendant deux nuits avec trois frères et s œ urs plus jeunes et une cousine. Trois des sept hommes m’ont violée dans la maison à de multiples reprises les deux nuits. Les rebelles étaient toujours là, mais pendant la journée, j’étais autorisée à circuler dans le village. Trois autres femmes du village étaient détenues chez elles ; je parlais avec elles pendant la journée, et les femmes m’ont dit qu’elles étaient violées aussi. Lorsque nous nous sommes parlé le troisième jour, nous avons décidé de fuir. Je suis allée chercher ma famille et dès que la chance s’est présentée, nous nous sommes enfuis dans la brousse. [203]

Après que les forces pro-Ouattara avaient pris Bloléquin le 20 mars, elles ont également enfermé les hommes et les femmes qu’elles avaient capturés pendant les combats et qui étaient dans l’impossibilité de fuir. Dans une villa située non loin de la préfecture où étaient installés plusieurs commandants des Forces républicaines, des combattants ont violé à plusieurs reprises huit jeunes femmes guérés, dont plusieurs filles, comme l’a décrit un homme détenu avec elles :

On m’a emmené dans une maison de Bloléquin en même temps que 15 autres prisonniers. C’était une très grande villa en ville. Les chefs militaires des FAFN [Forces nouvelles] étaient installés dans le bâtiment de la préfecture en ville, mais un autre groupe FAFN avait réquisitionné cette maison qui n’était pas trop éloignée. Ils nous ont gardés prisonniers là. Sur les 16, huit étaient des femmes—dont quelques filles de 14, 15 ans. On était tous guérés. […] Pendant la nuit, ils sont venus et ont saisi les femmes, qui criaient et imploraient les soldats de ne pas les toucher. Tous les FAFN qui étaient là avaient la même idée en tête, violer les femmes, surtout les plus jeunes. La première fois, trois des soldats sont venus en même temps et l’un d’eux a dit alors qu’il empoignait une fille : « Vos maris guérés voulaient la guerre avec nous, eh bien nous allons leur donner la guerre. »

Ils se sont même battus entre eux, devant nous, pour savoir qui pourrait être avec telle ou telle fille. Toute la nuit ils ont emmené les filles—un ou deux FAFN en attrapaient une, emmenaient la fille dans une pièce de l’autre côté du couloir, ou en bas—et puis, ils la violaient. J’ai écouté les cris toute la nuit ; je n’ai pas dormi, aucun d’entre nous n’a dormi. Puis ils ramenaient les filles, et c’était au tour d’un autre FAFN. On était tous enfermés dans la même pièce, et les filles revenaient et nous disaient que les soldats les avaient violées à maintes reprises. Elles ont dit que les soldats appuyaient la pointe d’un fusil ou une machette contre leur cou, leur disaient de se déshabiller et puis les violaient.
[204]

Les crimes susmentionnés—meurtres à l’arrivée des Forces républicaines dans les villages, exécutions de vieillards incapables de fuir, violences sexuelles et destruction de villages par le feu—semblent avoir été essentiellement commis par les forces sous le commandement direct du capitaine Eddie Médi (voir l’encart ci-après pour plus d’informations à son sujet). [205] Ancien commandant des Forces nouvelles à Danané, Eddie Médi a dirigé ses forces de Zouan-Hounien vers Toulepleu, puis de Bloléquin vers Guiglo au cours de l’offensive du mois de mars. [206] Les forces d’Eddie Médi ont commis à leur passage de nombreux meurtres et viols qui ont été documentés. Lors d’un entretien en date du 17 mars 2011, Dion Robert, le major général de Médi a déclaré que « le capitaine Eddie est toujours au-devant des troupes », [207] laissant supposer qu’il avait dû voir au minimum quelques-uns des crimes de guerre ayant été perpétrés. L’Associated Press a signalé que les exactions commises par les troupes de Médi se sont poursuivies au cours des mois suivants, notamment avec l’effroyable massacre de 47 Guérés près de la frontière libérienne le lendemain de l’investiture d’Alassane Ouattara. Eddie Médi a reconnu avoir envoyé ses troupes dans cette zone le jour en question, ajoutant cependant que c’était pour lutter contre les activités des mercenaires pro-Gbagbo. [208]

Des exactions récurrentes : deux chefs des Forces républicaines qui ont
commandé des troupes à l’origine de crimes graves dans le passé

Capitaine Eddie Médi : Comme nous l’avons indiqué un peu plus haut, Eddie Médi a commandé dans l’extrême Ouest les forces armées qui ont assassiné, violé et brûlé des villages pour des raisons politiques et ethniques. Durant le conflit armé de 2002-2003, Eddie Médi était un commandant du Mouvement pour la justice et la paix (MJP), un groupe rebelle qui, en se joignant à deux autres groupes, a donné les Forces nouvelles. Selon un article de Nord-Sud, à partir de novembre 2002, il aurait joué un rôle actif dans « différents combats pour le contrôle des villes de l’Ouest que sont Man, Danané et Bangolo » puis « [mis] en déroute les mercenaires libériens » qui avaient commis des massacres à Bangolo. [209] Le 7 mars 2003, des mercenaires libériens pro-Gbagbo ont en effet été impliqués dans le massacre de quelque 60 habitants de Bangolo, pour la plupart des Dioulas, comme l’a documenté Human Rights Watch au moment des faits. [210] Cependant, deux semaines plus tard, le 22 mars, les forces rebelles ont commis un massacre contre des civils guérés dans le village de Dah, juste en dehors de Bangolo, dans ce qui constituait « probablement une attaque de représailles », selon le même rapport de Human Rights Watch de 2003. [211] Il n’est pas clair si Eddie Médi a été personnellement impliqué dans cette attaque, mais les informations publiées dans le quotidien Nord-Sud indiquent qu’à cette période, il était au moins le commandant du MJP dans la région de Bangolo. Un rapport d’International Crisis Group a relaté qu’en avril 2003, le MJP établi sur place avait « empêché l’accès […] pendant quatre jours » aux troupes de la MICECI (la mission de la CEDEAO en Côte d’Ivoire en 2003) envoyées pour enquêter sur le massacre. Lorsque le MJP a fini par autoriser la MICECI à entrer, il ne restait plus aucune preuve physique d’un massacre. [212]

Lors d’un entretien accordé au quotidien Fraternité-Matin, Eddie Médi, alors à la tête des opérations militaires des Forces nouvelles dans la zone, [213] a été interrogé sur les accusations de massacres, de viols et d’autres actes criminels commis par ses forces. Il a répondu qu’après la fuite des forces officielles de Laurent Gbagbo, des jeunes encore armés étaient restés dans les villages et leur avaient opposé une « forte résistance », avant de poursuivre : « Il peut avoir des débordements à certains endroits. Cependant, je crois que cela est dû à la résistance qui nous a été faite. […]Les événements de Bangolo ne sont pas imputables uniquement à notre mouvement. […].Beaucoup parmi ceux qui parlent, n’ont aucune preuve que les actes qu’ils décrivent sont de nous. » [214] Les mêmes explications ont souvent été avancées par les Forces républicaines—souvent composées par les mêmes commandants—lorsqu’elles ont été accusées d’exactions similaires en 2011.

Commandant Ousmane Coulibaly (communément connu sous son ancien nom de guerre « Ben Laden ») : Comme cela est évoqué plus bas dans la partie consacrée à la bataille finale pour la prise d’Abidjan, Ousmane Coulibaly était en charge des troupes basées à Yopougon, que des témoins et des victimes ont accusées à plusieurs reprises d’être impliquées dans des meurtres, des actes de torture et des détentions arbitraires. Le rapport 2009 sur les droits de l’homme du d épartement d’État des États-Unis relatif à la Côte d’Ivoire souligne que Coulibaly pourrait être impliqué au titre de ses responsabilités de commandant dans des crimes graves, soulignant que « le caporal Alpha Diabaté, proche collaborateur du commandant Ousmane Coulibaly du secteur 8 des Forces nouvelles, a été identifié comme étant l’auteur d’actes de torture sur trois éleveurs à Odienne en mai 2008. Fin 2008, les autorités des Forces nouvelles n’avaient toujours pas pris de mesure à son encontre ». [215] De plus, au début et à la mi-2003, Ousmane Coulibaly était un commandant du groupe rebelle MJP dans la ville de Man située à l’ouest du pays. Le MJP, qui a plus tard été intégré aux Forces nouvelles, entretenait des liens étroits avec Charles Taylor et les mercenaires libériens. [216] Human Rights Watch, [217] International Crisis Group, [218] la commission d’enquête internationale de 2004 [219] et Amnesty International [220] ont accusé les forces du MJP d’avoir commis de graves crimes internationaux à Man et dans les environs. Ousmane Coulibaly n’a pas été cité comme ayant ordonné ces crimes, mais il était le commandant des opérations supervisant les troupes qui ont perpétré de tels actes. [221]

Massacre de Duékoué impliquant les Forces républicaines

Après que les Forces républicaines avaient pris le contrôle deDuékoué le 29 mars tôt le matin, elles et leurs milices alliées ont massacré des centaines d’habitants guérés dans le quartier Carrefour de la ville. Human Rights Watch a interrogé huit femmes qui ont assisté aux événements, ainsi que plusieurs personnes qui avaient aidé à compter ou à enterrer les corps dans les jours qui ont suivi le massacre. Cinq témoins ont clairement identifié des Forces républicaines parmi les attaquants, affirmant qu’ils étaient arrivés dans des camions, des 4x4 et à pied, en tenue militaire. D’autres ont expliqué avoir vu deux milices pro-Ouattara opérer en étroite collaboration avec les Forces républicaines, commettant des exactions contre la population civile : un groupe traditionnel de chasseurs et de défense civile dont les membres sont connus sous le nom de Dozos, généralement armés de fusils et identifiés par leurs vêtements traditionnels ; et un groupe de miliciens burkinabés qui vivent dans la région et sont dirigés par Amadé Ouérémi. La commission d’enquête internationale, [222] Amnesty International [223] et la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme [224] s’accordent pour désigner les soldats des Forces républicaines comme impliqués directement dans le massacre de Duékoué, aux côtés de groupes de miliciens comme les Dozos. [225]

Le quartier Carrefour est depuis longtemps un point de concentration des miliciens pro-Gbagbo et, au cours des jours précédant la prise de contrôle par les Forces républicaines, les miliciens et mercenaires se sont livrés à des meurtres de partisans d’Alassane Ouattara. Cependant, selon des témoins interrogés par Human Rights Watch, les forces pro-Ouattara y ont exécuté des hommes qui ne passaient pas pour être membres des milices, y compris des garçons et des vieillards. Selon les déclarations faites par des membres des forces pro-Ouattara pendant l’attaque, ils visaient la population du quartier en vue d’infliger un châtiment collectif aux Guérés. Une femme de 39 ans a décrit le meurtre de son mari ainsi que des dizaines d’autres meurtres, dans un récit qui en rappelle de nombreux autres :

C’est mardi matin [le 29 mars], juste après que les rebelles [pro-Ouattara] avaient pris le contrôle de Duékoué, qu’ils sont arrivés dans le quartier et ont commencé à tirer partout. Ils devaient être 500. […] Ils sont allés de maison en maison et ont fait sortir les hommes pour les tuer. Deux d’entre eux ont enfoncé ma porte et sont entrés chez moi ; ils ont forcé mon mari à sortir. Plusieurs autres portaient une torche et ont mis le feu à la maison. Je suis sortie en criant derrière eux, et ils ont abattu mon mari à bout portant avec un grand fusil. […] Les rebelles ont dit : « On est là pour tuer Gbagbo, mais parce que vous, les Guérés, avez voté Gbagbo, on va vous tuer, on va vous tuer jusqu’au dernier. »

Puis les rebelles sont passés à la maison voisine, me laissant là en train de crier. Mon mari, mon beau-frère, plusieurs cousins, ils ont tous été tués par les forces d’Alassane ce jour-là. La plupart des attaquants présents dans le quartier portaient une tenue militaire—la tenue des Forces républicaines. Beaucoup avaient des foulards rouges. D’autres étaient des Dozos en vêtements traditionnels et certains étaient des jeunes Dioulas venus avec des couteaux et des machettes. Les Forces républicaines sont arrivées les premières en voiture et à pied, et puis les autres ont suivi. Ils ont tué des gens désarmés partout. J’ai vu des gens à qu’on égorgeait avec des machettes et des couteaux, d’autres qui étaient abattus. On pouvait voir les taches de sang sur la route, le sang de tous ceux qui avaient été tués. Il y avait des corps partout. On pouvait juste voir les rangées de corps de ceux qu’ils avaient fait sortir et qu’ils avaient abattus. […] La plupart des personnes tuées étaient des hommes, mais ils ont tué des garçons, comme les hommes, comme les vieillards. Je les ai vus tuer des garçons, sous mes yeux. L’un d’eux ne devait pas avoir plus de 10 ans et alors qu’ils le traînaient dehors, il m’a regardée l’air tellement effrayé et a dit : « Mama, s’il te plaît », et puis ils l’ont abattu.
[226]

Une femme de Carrefour âgée de 29 ans a également confié que son mari avait été tué et que son frère de 15 ans avait été recruté de force :

Aux alentours de 8 heures du matin, ils ont commencé à attaquer le quartier Carrefour. […] Il y en avait plein, tout plein. Il y avait des Dozos, des hommes d’Amadé, des jeunes armés et en civil, et des soldats FN. On s’était cachés chez nous, mon frère, mon mari et notre bébé. Les forces sont venues et ont dit : « Les femmes, partez, les hommes, on va vous tuer », chacun a cherché à s’enfuir. On a fait de même. À 13 heures, on s’était enfuis de chez nous et on était à pied sur le bord de la route principale, près du pont. Il y avait plein de cadavres dans les rues, des forces pro-Ouattara partout au milieu du carnage. Pendant notre fuite, j’ai vu des gens qu’on abattait autour de nous avec des kalaches, mais je ne pouvais pas faire attention, j’étais trop effrayée. Un 4x4 nous a dépassés ; l’un d’eux nous a vus et ils se sont rangés sur le côté. […] Trois hommes sont descendus et ont stoppé mon mari. Ils ont dit : « On cherche des Guérés. Vous avez voté Gbagbo, on va vous tuer tous. Toi, tu es guéré. » Il a répondu : « Non, j’ai voté ADO », mais ils ont dit : « Non, tu n’as pas voté pour lui, tu es guéré, donc tu as voté Gbagbo ». En fait, on n’a pas voté. Ils ont éloigné mon mari de moi. J’avais notre bébé de six mois dans les bras. Ils scandaient : « ADO ! ADO ! Vous êtes tous des Guérés, vous qui avez voté Gbagbo ! Vous n’avez pas voté ADO, on va vous tuer tous. Vous êtes tous des Gbagbo ici. »

Puis ils ont tiré dans le ventre de mon mari. Tous les trois ont tiré sur lui avec leurs kalaches, alors qu’il était juste devant eux. Ils ont regardé mon bébé de six mois et ont décidé que mon bébé ne pouvait pas leur être utile, mais mon frère de 15 ans était là. Il criait : « Pourquoi vous l’avez tué ? » Tuer mon mari n’était pas suffisant. […] Ils ont dit : « Aujourd’hui, tu vas devenir soldat. Nous allons t’emmener à Man. À Man, tu vas devenir soldat. » C’est à Man que se trouve la base des Forces nouvelles. Ils l’ont emmené de force dans le camion. Il y avait au moins six autres jeunes garçons qui attendaient dedans, dont des enfants qui n’avaient pas l’air d’avoir plus de 10 ans. Je ne les ai pas reconnus, mais c’étaient des garçons en civil, la peur transparaissait sur leur visage. J’ai entendu les garçons qui imploraient le pardon quand les hommes sont revenus, mais les soldats n’ont pas répondu. Ils ont poussé mon frère à l’intérieur avec les autres garçons et ont démarré. Je n’ai pas eu de nouvelles depuis.
Les hommes qui ont tué mon mari étaient des militaires armés de couteaux, de machettes et de kalaches. Ils portaient des gris-gris de guerriers [amulettes traditionnelles souvent portées par les combattants du Nord], des jeans et en haut une tenue de camouflage militaire. C’étaient clairement des forces pro-Ouattara ; ils chantaient « ADO ». Les FN avaient pris la ville ce jour-là, avec les Dozos et les Burkinabés qui étaient dans les rues aussi, brûlant des choses et tuant des gens, allant de maison en maison. Pas une seule maison n’a été laissée indemne à Carrefour. […] Mon appartement n’existe plus ; il a été incendié comme les autres. [227]

Un chef religieux de Duékoué qui s’est rendu dans le quartier Carrefour le 31 mars a confié à Human Rights Watch que des centaines de cadavres y gisaient encore, dont 13 dans une église appelée l’Église du Christianisme céleste. Parmi eux se trouvait le corps criblé de balles du pasteur, toujours en habits religieux. [228]

Bataille finale pour Abidjan et les semaines qui ont suivi

Le schéma d’exactions observé tout d’abord lors de l’offensive militaire des Forces républicaines dans l’Ouest s’est poursuivi lorsque celles-ci ont pris le contrôle d’Abidjan en avril et se sont lancées à la recherche d’armes et de miliciens. Des combats actifs contre les miliciens et les mercenaires pro-Gbagbo ont en effet continué bien après l’arrestation de Laurent Gbagbo le 11 avril, les dernières enclaves de Yopougon étant libérées—et les derniers groupes de miliciens ayant pris la fuite—aux alentours du 8 mai. Comme dans l’Ouest, en prenant le contrôle des zones, les Forces républicaines ont pu constater que nombre des personnes issues de leurs groupes ethniques avaient été assassinées par les miliciens de Laurent Gbagbo en fuite. Parfois lors d’opérations systématiques et organisées, parfois par simple revanche, les Forces républicaines ont entamé des représailles collectives à l’encontre de jeunes hommes appartenant à des groupes ethniques associés à Laurent Gbagbo—commettant des exécutions extrajudiciaires dans les quartiers et les sites de détention, et faisant subir à de très nombreuses personnes un traitement inhumain parfois assimilable à de la torture.

Au cours des mois suivant les enquêtes de Human Rights Watch, la division des droits de l’homme de l’ONUCI a continué à documenter des meurtres et d’autres exactions perpétrés par les Forces républicaines, notamment huit meurtres et d’autres cas de torture et de traitement inhumain entre les 17 et 23 juin [229] , ainsi que 26 exécutions extrajudiciaires et 85 cas d’arrestation et de détention arbitraires entre le 11 juillet et le 10 août. [230]

Meurtres et autres exactions commises lors de patrouilles et d’opérations de recherche

Human Rights Watch a documenté 95 meurtres commis par des soldats des Forces républicaines contre des habitants non armés lors des opérations de recherche qui ont suivi la fin de la lutte active contre les forces pro-Gbagbo . Deux meurtres ont été commis les 23 et 24 mai, après l’investiture d’Alassane Ouattara le 21 mai. La grande majorité des meurtres documentés ont été commis à Yopougon, une commune habitée par un grand nombre de partisans de Laurent Gbagbo et d’anciennes bases des groupes de miliciens. La commune de Yopougon semble avoir été prise pour cible de manière disproportionnée pour les meurtres commis en représailles alors que les Forces républicaines infligeaient une punition collective meurtrière à de jeunes hommes des groupes ethniques bété, attié, guéré et goro. De nombreux résidents ont déclaré à Human Rights Watch que les milices et les mercenaires, qui avaient pendant des mois pris pour cible et tué des groupes pro-Ouattara, avaient pour la plupart pris la fuite avant la prise de contrôle des Forces républicaines, de sorte que ceux qui étaient restés étaient des civils, présumés être des partisans de Laurent Gbagbo. Yopougon, qui compte environ un million d’habitants, est divisée en dizaines de quartiers. Bien que les Forces républicaines aient commis des violences dans tout Yopougon—et dans une moindre mesure à Koumassi et Port-Bouët—, plus de 70 des meurtres documentés par Human Rights Watch se sont produits dans les sous-quartiers de Koweit et Yaosseh.

 

Koweit

Koweit a été l’une des dernières zones d’Abidjan à tomber, avec des combats se terminant aux alentours du 3 mai. Dans les jours et les semaines qui ont suivi, les Forces républicaines ont procédé à des fouilles maison par maison. Les hommes de groupes pro-Gbagbo semblent avoir été la cible d’exactions. Human Rights Watch a également documenté un cas de viol. Une femme de 34 ans originaire de Yopougon Koweit a décrit comment elle a été brutalement violée par un soldat des Forces républicaines le 8 mai, et a ensuite vu les Forces républicaines tuer 18 jeunes :

Des gars en tenue militaire sont arrivés ce matin-là à 9 heures et ont dit qu’ils cherchaient des armes. Huit d’entre eux sont entrés dans ma maison. Ils ont crié : « Donnez-nous votre argent ou nous vous tuerons. C’est vous qui avez pris soin des milices ici. » Ils ont pris 50 000 francs CFA (76 euros), mon matelas, une bouteille de gaz—tout ce qui avait de la valeur. Les gars étaient grands, c’étaient des militaires des FRCI avec des tenues propres. Un chef de file incontesté parmi eux a dit : « Vous les Bétés, les Guérés, les Attiés, c’est vous qui avez fait cette guerre. Où sont les jeunes [hommes], nous allons tous les tuer. »
Ils sont allés de maison en maison et ont pillé tout ce qui avait de la valeur. Ils sont restés pendant des heures. Lorsque les marchandises ont commencé à s’accumuler, ils m’ont forcée à charger leurs voitures—des téléviseurs, des frigos. […] Je portais un gros container de gaz de cuisine sur la tête et un autre à la main. […] J’ai chargé une camionnette pick-up, une berline, puis une autre berline, toutes bourrées des objets de valeur de chacun. Ils n’ont rien laissé. Alors que je faisais mon septième voyage, leur chef, un homme grand, m’a attrapée et m’a tirée là où l’un de mes voisins dormait. […] Il m’a jetée sur un matelas et m’a dit d’ouvrir les jambes. Je lui ai dit : « Monsieur, s’il vous plaît, pas comme ça. » Je l’ai supplié de me laisser partir, mais il m’a frappée et m’a dit de me taire. Il m’a prise de force, et il m’a violée. Il m’a tenue là, en me violant, pendant plus d’une heure. Il a été violent pendant tout ce temps, quand il a eu fini je saignais entre les jambes. Tout ce temps-là, les autres membres des FRCI étaient toujours en train de piller. Ils savaient ce qu’il faisait, ils sont passés à côté. Il était bien leur chef. Je les ai entendus l’appeler commandant Téo. Après avoir fini de me [violer], il avait sa kalache [sur lui] et il a essayé de la faire pénétrer violemment en moi. J’ai fermé les jambes et l’arme a percuté ma cuisse. […] Il a ri et a dit : « Bravo » et il est sorti de la pièce.
Tandis que je finissais de charger leurs véhicules après avoir été violée, ils étaient toujours en train de fouiller maison après maison. Quelques maisons plus bas, ils ont trouvé un tas de jeunes hommes cachés. Alors que je faisais le va-et-vient à leurs voitures, j’ai vu que les hommes avaient été dépouillés et contraints de s’allonger sur ma rue. Je les ai comptés, ils étaient 18. Quelques-uns des membres des FRCI sont restés avec eux, en leur criant qu’ils étaient des membres des milices—ils ne faisaient pas partie des milices, ils étaient simplement des jeunes du quartier. Toutes les milices avaient déjà fui. […] Les soldats parlaient de ce qu’ils devaient faire des prisonniers. L’un d’eux a dit : « On n’est pas venus pour perdre du temps, nous sommes venus pour tuer » et un autre a acquiescé : « Nous ne pouvons pas perdre de temps, nous n’avons pas de place pour les prendre, finissons le travail et partons. » Puis ils ont ouvert le feu—les jeunes étaient couchés sur le sol, nus sauf leurs sous-vêtements. Ils les ont arrosés de tirs, les tuant tous là. Puis ils sont repartis. […] Je ne pouvais plus rester là. Alors que je sortais de Koweit, il y avait des corps partout. J’en ai vu des dizaines. Je suis tombée sur un vieil homme et lui ai demandé si je pouvais me nettoyer dans sa maison. Peu de temps après, un autre groupe des FRCI est arrivé chez lui. L’un d’eux a dit : « Donnez-nous votre argent ou vous êtes morts. » J’ai répondu : « Ils viennent de prendre tout ce que j’ai. Je n’ai plus rien à te donner. » Il m’a giflée, mais il m’a laissée partir. Le vieil homme a remis son argent, et le groupe a pillé sa maison. [231]

Human Rights Watch a documenté six autres meurtres à Koweit commis par les Forces républicaines le même jour. Un témoin a décrit cinq hommes se faisant dépouiller, aligner et mitrailler par un soldat. Quatre victimes sont mortes instantanément ; la cinquième, touchée à la cuisse, a feint d’être morte et a rampé plus tard jusqu’à une maison voisine. Le témoin, un ami qui habitait à proximité, est allé vers lui, et l’homme a demandé de l’eau. Alors que le témoin était allé chercher de l’eau, il a entendu plusieurs coups de feu. Il a trouvé son ami mort—avec un impact de balle dans le bras qui avait laissé des fragments d’os sur le sol et un autre à la poitrine qui était ressorti par le dos de la victime. [232]

Les meurtres à Koweit ont commencé immédiatement après que les Forces républicaines ont pris le contrôle du quartier. Le 3 mai, un témoin a vu des soldats exécuter un homme de 63 ans à bout portant après l’avoir accusé de louer une chambre à un milicien pro-Gbagbo. [233] Un homme a décrit le meurtre de son frère :

Ils ont fouillé maison par maison le jour où les FRCI tentaient de prendre la Base maritime [les 4 et 5 mai]. Ils sont arrivés en 4x4, en camionnettes, en Kia, beaucoup avaient « FRCI » écrit sur le côté. Il y avait des dizaines de soldats. Ils pensaient que nous tous, les jeunes Bétés, Guérés ou Goros, étions des miliciens. Ils ont pris trois d’entre nous de la maison dans laquelle je me cachais, moi et deux de mes frères. Ils ont pris mon plus jeune frère, qui a 21 ans, et ont demandé quel était son groupe ethnique. Il a dit qu’il était bété. Deux d’entre eux ont attrapé ses jambes, deux autres lui tenaient les bras dans le dos, et un cinquième lui tenait la tête. Puis un type a sorti un couteau, a dit sa prière mystique, et a égorgé mon frère. Il hurlait. J’ai vu ses jambes trembler une fois qu’ils l’ont égorgé, le sang ruisselait sur son corps. C’était pire que tuer un animal. Je ne pouvais pas détourner le regard. C’était mon frère. Pendant qu’ils le faisaient, ils ont dit qu’ils devaient éliminer tous les Patriotes qui avaient causé tous les problèmes dans le pays.
Puis ils se sont tournés vers moi et m’ont demandé mon groupe ethnique. J’ai dit dioula, parce que je peux parler dioula. Ils savaient que je ne l’étais pas, mais c’était assez pour ne pas me tuer. Mon autre frère a eu peur ; il savait qu’il était le suivant, alors il a commencé à courir. L’un d’eux a tiré avec sa kalache; il est tombé mort immédiatement. Ils sont alors venus vers moi et m’ont dit que j’étais milicien. Ils m’ont frappé avec leurs fusils, avec leurs poings. Ils ont continué d’exiger que je dise que j’étais milicien, qu’ils ne s’arrêteraient que si je le disais. Finalement, j’ai cédé et j’ai dit que j’étais milicien. Ils m’ont chargé dans un [camion-] cargo militaire de marchandises et m’ont emmené au 16ème arrondissement (poste de police). […] [234]

Un autre témoin a dit avoir vu les Forces républicaines égorger un jeune sous les yeux de son père après avoir découvert une kalachnikov et une grenade dans sa chambre pendant une fouille de maison en maison à 4 heures du matin. Le témoin a été déshabillé et forcé de remettre son ordinateur portable, ses téléphones cellulaires et son argent. [235] Human Rights Watch a documenté les pillages similaires de dizaines de maisons à Koweit. Le témoin, comme beaucoup d’autres interrogés par Human Rights Watch, voulait fuir Abidjan pour aller dans son village familial, mais n’avait pas d’argent pour le transport puisque que les Forces républicaines avaient tout pris.

Un membre des Forces républicaines de Yopougon a déclaré à Human Rights Watch que les hommes sous le contrôle d’Ousmane Coulibaly—un ancien commandant des Forces Nouvelles dans la zone d’Odienné—avaient été responsables de l’offensive et de l’opération de « nettoyage » dans le quartier de Koweit à Yopougon. [236] Plusieurs journalistes ivoiriens et sources proches des Forces nouvelles ont également identifié Coulibaly comme étant le commandant en charge des opérations dans cette zone (pour plus d’informations sur Coulibaly, voir l’encart « Des exactions récurrentes » un peu plus haut). [237]

Yaosseh

Un commandant des Forces républicaines a déclaré à Human Rights Watch qu’après de violents combats du 12 au 19 avril, ses forces ont pris le contrôle de Yaosseh autour du 20 avril. [238] Après s’être emparés de cette zone, de nombreux soldats se sont installés dans le poste de police local le 16ème arrondissement— qui avait autrefois abrité des miliciens pro-Gbagbo. Quelques jours plus tard, les Forces républicaines ont commencé les opérations de recherche dans Yaosseh, où de nombreux miliciens de la région avaient vécu auparavant. Onze témoins interrogés par Human Rights Watch ont décrit comment, entre les 25 et 26 avril, les soldats ont tué au moins 30 hommes non armés, principalement des jeunes de groupes ethniques pro-Gbagbo. La plupart des témoins ont indiqué que la majorité des victimes n’avaient pas été des membres actifs de la milice, qui avait fui vers le 19 avril.

Un garçon de 16 ans a vu son cousin de 25 ans se faire tuer par balle par des soldats alors que tous deux étaient assis à l’extérieur d’un centre de santé à 14 heures le 25 avril. Le témoin a été épargné en raison d’un grave problème de santé dont les soldats ont dit qu’il démontrait qu’il n’avait jamais été un milicien. [239] Une femme de 42 ans a vu les Forces républicaines tuer son jeune frère ainsi que plusieurs autres le même soir :

Ils sont arrivés à Yaosseh à environ 13 ou 14 heures ; ça tirait de partout. Cela a duré quelques heures, et puis il y a eu le calme. Quand ça a recommencé une seconde fois, j’ai décidé de partir. Tout le quartier était en fuite. Quand je suis passée par le [point de parlement des Jeunes patriotes], il y avait beaucoup de corps à l’extérieur. Je ne sais pas s’ils ont été tués au combat ou exécutés. […] Nous sommes restés à l’écart pendant plusieurs heures, mais je n’avais nulle part où dormir, alors j’ai décidé de rentrer chez moi. J’étais avec mon jeune frère. J’étais devant lui, quand j’ai entendu un coup de feu. Je me suis retournée et il avait été touché à la jambe, il était tombé par terre. Ensuite, quatre membres des FRCI sont sortis et l’ont attrapé. Ils étaient tous en tenue militaire. L’un d’eux a dit : « Égorgez-le. » Et ils l’ont fait, juste sous mes yeux. J’ai pleuré, et l’un d’eux a dit : « Madame, nous n’avons rien contre vous. C’est les miliciens que nous cherchons. » Je n’arrêtais pas de pleurer, en disant que mon frère n’était pas milicien. Puis l’un des autres a dit : « Vous êtes les femmes qui protègent les miliciens. Montrez-nous où sont les autres, ou nous allons vous tuer », et il m’a giflée et m’a ensuite montré un couteau qui était encore dégoulinant du sang de mon frère. J’ai dit que je ne connaissais pas de miliciens, je veux juste rentrer à la maison, et l’autre soldat lui a dit de me laisser.
Je me suis cachée dans la maison d’un voisin. Le 16ème arrondissement où ils étaient basés se trouve tout près. Je les ai vus arriver dans le quartier ce soir-là, en tirant. Je les ai vus tuer deux autres jeunes hommes qu’ils avaient pris cette nuit-là. Ils leur ont tiré dessus à bout portant. J’ai quitté le quartier le lendemain matin. […] Deux jours plus tard, je suis allée voir ma maison. Elle avait été complètement pillée, il ne restait rien. Ce jour-là, notre quartier a enterré quatre autres jeunes sous mes yeux. Cinq autres corps étaient éparpillés dans la rue. Je ne sais toujours pas où est mon mari. Son téléphone est fermé. Je suppose que lui aussi est mort. [240]

Un autre témoin a décrit comment les soldats sont entrés et ont ouvert le feu dans un restaurant du quartier, tuant huit hommes à l’intérieur. [241] Une femme de 34 ans a été témoin de trois autres exécutions, le 26 avril, dont celle du mari de sa s œ ur, à la suite d’un affrontement entre les Forces républicaines et des mercenaires libériens :

Quand ils sont entrés, ils ont dit : « Nous ne sommes ici que pour les garçons. » Ils étaient tous en tenue militaire. Ils étaient nombreux, des dizaines. Je pouvais voir FRCI écrit sur certaines des voitures, camionnettes et 4x4 dans lesquels ils étaient arrivés. Ils sont venus du 16ème arrondissement, qui se trouve à proximité. Je connais beaucoup de gens qui ont vu des meurtres, mais sous mes yeux, ils ont tué trois personnes—deux par balle à bout portant et une troisième, le mari de ma s œ ur, en l’égorgeant. […] Tandis qu’ils tuaient, ils disaient : « Vous qui avez tué nos proches, nous allons vous tuer aussi. » Mais ce n’étaient pas nos garçons qui sont encore là qui ont tué. Tous ces gens-là sont partis, ils se sont enfuis. […] [242]

Les résidents témoins des pillages qui étaient revenus pour trouver leurs maisons vidées de la quasi-totalité de leurs objets de valeur ont raconté que, comme à Koweit, les maisons de Yaosseh avaient été systématiquement pillées.

Les témoins ont décrit quelques cas dans lesquels des officiers supérieurs sont intervenus pour empêcher les exécutions extrajudiciaires, notamment un cas dans le quartier Gesco de Yopougon à la fin avril. Alors qu’un soldat semblait être sur le point d’exécuter un jeune qui était détenu pour son appartenance à un groupe ethnique supposé avoir soutenu Gbagbo—« parce que tous les Guérés, Bétés et Goros doivent être éliminés »—, un militaire plus haut gradé est intervenu et leur a dit de laisser les jeunes s’ils n’avaient aucune preuve qu’il s’agissait de miliciens. [243] Le plus souvent, cependant, les soldats qui se sont opposés à l’exécution de civils ont été incapables de convaincre leurs camarades qui avaient l’intention d’infliger une punition collective. Une femme de 38 ans a décrit ce qui s’est passé le 26 avril :

Mon voisin qui était un vendeur de remèdes a été tué sous mes yeux. Ils l’ont pris au piège dans sa maison et l’ont traîné dans la rue. Ils se sont un peu disputés pour savoir s’ils devaient le tuer et l’un des membres des FRCI n’était pas d’accord pour le tuer. Il a dit que le gars n’avait rien à voir avec les combats ; il n’y avait aucune raison de le tuer. Mais son camarade lui a tiré dessus d’abord aux deux bras, puis à la tête. [244]

Exécutions extrajudiciaires de détenus

Human Rights Watch a également documenté les exécutions extrajudiciaires de 54 détenus par les Forces républicaines dans trois différents lieux de détention à Yopougon—les 16ème et 37ème arrondissements et le bâtiment de la compagnie de gaz et de pétrole GESCO—ainsi que dans les quartiers de Koumassi et de Port-Bouët. Certains de ces prisonniers avaient été identifiés par des résidents locaux comme des miliciens pro-Gbagbo ayant commis des crimes contre des membres des communautés pro-Ouattara, mais les soldats semblaient dans la plupart des cas n’avoir eu aucune information impliquant les personnes exécutées dans quelque crime que ce soit.

Un membre des Forces républicaines sous le commandement de Chérif Ousmane a décrit l’exécution au début du mois de mai de 29 détenus à l’extérieur du bâtiment GESCO :

Ce qui m’a choqué, c’est que nous avons exécuté 29 personnes que nous avions arrêtées lors de notre ratissage dans le quartier Millionnaire [Yopougon]. Ce jour-là, je me souviens, le commandant Chérif [Ousmane] était très en colère parce qu’il avait perdu six hommes le même jour dans les combats contre les miliciens à Abobo Doumé [le quartier de Yopougon près de la Base maritime]. Au moment de nous replier, le chef d’unité lui a demandé par téléphone ce que nous devions faire des prisonniers, et nous avons reçu l’ordre de notre chef qui a cité le nom de Chérif : « Vous n’avez arrêté personne, je ne veux voir aucun prisonnier. »

Nous les avons conduits au bâtiment GESCO et les avons exécutés à quelques mètres de là au bord de la route. Ils ont été tués par vagues de cinq par cinq et quatre par quatre. Nous les avons fusillés sans même leur bander les yeux, ils ont tout vu. Ils pleuraient et nous suppliaient de les laisser en vie, qu’ils n’avaient rien à voir avec les miliciens. Certains ont été tués par rafale mais d’autres ont été tués par des tirs de P.A. [pistolet automatique] à bout portant. Ils étaient tous des jeunes gens âgés de 30 à 40 ans et tous des civils. Je vous promets que personne ne peut décrire les crimes que ces hommes ont commis. Ils ont été arrêtés parce qu’ils nous sont apparus comme des suspects, soit des miliciens ou des gens qui renseignaient les miliciens à notre sujet. Je ne suis pas heureux de l’avoir fait, mais je n’ai fait qu’exécuter des ordres. […] Les chefs nous ont dit par la suite de ne jamais raconter cette histoire et que tous les morts civils seraient mis sur le compte des miliciens. […] J’ai tué des hommes ici à Yopougon mais c’étaient des hommes qui étaient armés et qui nous tiraient dessus. Mais quand on tire sur des hommes désarmés qui vous supplient de les laisser en vie, ça s’oublie difficilement. À Yopougon, on parle souvent de « disparus », ce sont pour la plupart des exécutions comme celles que je vous raconte. Les FRCI ont procédé à l’arrestation de beaucoup de miliciens qu’ils ont ensuite exécutés. Les Forces républicaines ont également creusé des fosses communes pour enterrer certains cadavres pendant la nuit. Il y a eu trop de morts de civils et de militaires ici à Yopougon.
[245]

Deux anciens détenus au 16ème arrondissement ont également décrit l’exécution d’au moins quatre jeunes hommes au cours de la première nuit de leur détention, autour du 5 mai. [246] Un homme de 25 ans, qui avait été arrêté après avoir fui les combats à Koweit, a déclaré :

Alors que nous sortions de la brousse sur la route principale, il y avait cinq membres des FRCI qui attendaient. L’un d’eux avait un RPG [une grenade propulsée par lance-roquettes] qu’il a pointé sur nous, et il nous a dit de ne pas bouger, de nous coucher par terre immédiatement. Nous nous sommes tous couchés. Cela s’est produit vers 14 ou 15 heures. Ils nous ont forcés à marcher jusqu’au 16ème arrondissement. Quelques-uns portaient un tee-shirt FRCI avec un pantalon militaire ; d’autres étaient en tenue militaire de la tête aux pieds.

Au poste de police, c’est Koné, un soldat des FRCI, que vous rencontriez à l’arrivée. Il a demandé à chaque personne si elle faisait partie de la milice. Nous étions entourés de gens avec des fusils. Tandis que nous répondions, ils inspectaient nos mains et nos coudes, affirmant qu’ils pouvaient dire si vous aviez déjà brandi une arme. J’ai dit non, et je crois que ma réponse les a satisfaits. Quatre autres, cependant, ont été exécutés sous nos yeux ce soir-là. Ils ont déclaré que leurs doigts étaient cornés, donc qu’ils étaient des miliciens. Il y a un type qui se chargeait des exécutions. Il a mis une cagoule et leur a tiré dessus à bout portant, cela a été fait un par un devant tout le monde. Les gens demandaient pardon, en disant qu’ils n’étaient pas des miliciens, mais le gars leur a quand même tiré dessus […], une balle dans la poitrine de chaque personne. Ils nous ont dit de déplacer les corps à l’extérieur près du pont, puis Koné a versé de l’essence sur les corps et y a mis le feu. J’étais là pendant une semaine. Ils n’ont plus tué personne après le premier jour.
[247]

Le 15 mai, un chercheur de Human Rights Watch a vu un corps qui brûlait à moins de 30 mètres du 16ème arrondissement, toujours contrôlé par les FRCI, et de nombreux témoins sur les lieux lui ont dit que c’était un milicien pro-Gbagbo qui avait été capturé et tué. Le lendemain, deux personnes qui avaient participé à la capture et avaient été témoins de l’exécution ont décrit les événements. [248] Le récit fait état d’une relation entre les FRCI et les jeunesses pro-Ouattara locales que Human Rights Watch a observée et qui a été décrite à plusieurs reprises par des témoins. Un témoin a dit :

Le gars que vous avez vu brûler l’autre jour était l’un des miliciens qui ont brûlé vives deux personnes le 25 février. Hier, nous l’avons repéré alors qu’il marchait dans Yaosseh. Quand il nous a vus, il a commencé à courir. Nous l’avons pris en chasse et attrapé vers 9 heures, puis confié à un groupe des FRCI du 16ème arrondissement qui était en patrouille. […] Nous sommes allés avec eux au poste, et les membres des FRCI ont fait leur travail. Ils l’ont exécuté. Quand nous sommes arrivés avec lui, j’ai dit que je savais qu’il était milicien, qu’il était au nombre de ceux qui avaient brûlé vifs deux de nos camarades. […] Les membres des FRCI lui ont demandé si cela était vrai, et il l’a nié. Alors ils l’ont torturé et battu, en demandant encore et encore s’il avait brandi une arme à feu lors de la crise, s’il avait tué. Il a fini par dire que c’était vrai. Ils ont continué à le battre et à lui demander de donner le numéro de téléphone de ses complices. Ce qu’il a fait. Les gars des FRCI ont appelé un autre milicien et ont essayé de tendre un piège. Mais le gars n’est jamais venu. Le milicien a demandé le pardon une fois qu’ils ont fini de le torturer, mais un gars des FRCI a dit : « Ceux qui tuent, ceux qui brûlent, ils ne peuvent pas vivre. » Puis les membres des FRCI ont fini leur travail, ils ont fait justice, en l’exécutant de deux balles. Nous étions là pour tout cela. Après qu’il avait été tué, son corps a été brûlé de l’autre côté de la rue.

Depuis la fin du mois d’avril, après que les FRCI ont libéré la zone, j’ai été impliqué dans la capture de cinq miliciens. Deux en une seule fois, puis un seul à trois reprises différentes. Les FRCI les ont tous exécutés. Deux ont été jetés par-dessus le pont, un corps a été laissé dans le quartier, et les deux autres ont été tués dans le 16ème arrondissement. […] Certains des miliciens sont de retour, pour vérifier s’ils peuvent vivre ici. Mais nous n’avons pas oublié ce qu’ils ont fait. Si vous êtes [un partisan de Gbagbo] qui n’a jamais pris un fusil, vous pouvez vivre ici. Mais ceux qui ont pris les armes, ils vont payer s’ils reviennent.
[249]

Un chercheur de Human Rights Watch a présenté au commissaire Lezou (un membre des Forces républicaines alors en charge de l’enceinte) des preuves relatives aux exécutions sommaires à l’intérieur et aux environs du 16ème arrondissement. Le commissaire Lezou a nié catégoriquement que de telles exécutions avaient eu lieu, affirmant que tous les corps retrouvés dans les rues provenaient de la lutte acharnée livrée dans la zone entre le 14 et 18 avril. Il a également nié catégoriquement qu’un corps avait été brûlé dans la rue en face du poste de police le 15 mai, bien que le chercheur de Human Rights Watch ait affirmé l’avoir vu de ses propres yeux. [250]

Human Rights Watch a aussi documenté cinq exécutions extrajudiciaires de personnes détenues dans l’enceinte du 37 ème  arrondissement de Yopougon entre les 12 et 19 mai. Les victimes ont été sorties de la station pendant la nuit sur deux jours et exécutées sur des terrains voisins, ont déclaré plusieurs détenus et des résidents du quartier. [251]

Parmi les personnes exécutées se trouvaient plusieurs chefs de quartier des milices pro-Gbagbo, notamment les dirigeants bien connus des Jeunes patriotes « Andy » et « Constant » à Koweit entre les 5 et 6 mai. Un témoin de la mort de Constant a indiqué comment les proches de personnes locales tuées par Constant et sa milice ont décrit aux Forces républicaines les crimes dans lesquels il a été impliqué, après quoi quatre soldats l’ont tué. [252] Un témoin a déclaré qu’avant que les soldats n’exécutent Constant, il leur a montré une cache d’armes dans sa maison. [253] Deux témoins ont dit avoir vu Chérif Ousmane dans un convoi de six véhicules 4x4 se débarrassant du corps d’Andy le 6 mai. [254] Un témoin qui a aidé à déplacer le corps a déclaré qu’il avait été mutilé, avec de nombreuses blessures au couteau et par balle, ce qui signifie qu’il avait probablement été torturé. [255]

Bien que les meurtres n’aient pas été de la même ampleur que dans Yopougon, Human Rights Watch a également documenté des exécutions extrajudiciaires à Koumassi et Port-Bouët entre les 13 et 15 avril, juste après que les Forces républicaines avaient pris le contrôle de ces zones. Plusieurs des personnes exécutées étaient des miliciens soupçonnés d’être impliqués dans des dizaines de meurtres et, aux dires des résidents du quartier, en possession d’importantes caches d’armes. Comme à Yopougon, les jeunes du quartier ont joué un rôle dans l’identification, la dénonciation et le piégeage de miliciens présumés, avant de les apporter aux Forces républicaines, selon les mots de l’un de ces jeunes, « pour faire leur travail ». [256]

Tortures et traitements inhumains en détention

Human Rights Watch a documenté des dizaines de cas de tortures et de traitements inhumains de détenus de la part des Forces républicaines. Durant et après l’offensive militaire à Abidjan, des centaines de jeunes appartenant à des groupes ethniques pro-Gbagbo ont été arrêtés et détenus—souvent dans des arrondissements et des bases militaires abandonnés ainsi que dans des prisons de fortune telles que des stations essence et le complexe de GESCO. Presque tous les anciens détenus interrogés par Human Rights Watch ont indiqué avoir été régulièrement battus, le plus souvent au moyen de fusils, de ceintures, de bâtons, à coups de poings et de bottes, tandis que les militaires des Forces républicaines leur ordonnaient de révéler l’emplacement d’armes ou de chefs des milices.

La plupart avaient été arrêtés et détenus simplement du fait de leur âge, de leur appartenance ethnique ou de leur quartier d’origine. Un étudiant universitaire de Port-Bouët a raconté comment il avait été arrêté, détenu et battu le 21 avril parce qu’il vivait dans l’une des résidences universitaires du quartier—sites qui étaient depuis longtemps des bastions de la FESCI pro-Gbagbo :

Je vivais à la résidence universitaire parce que je suis un étudiant venu d’en dehors de la ville, sans famille à Abidjan. Je n’ai jamais fait partie de la FESCI. Les Forces républicaines m’ont arrêté et m’ont emmené dans un [camion-] cargo militaire depuis le 2ème quartier de Port-Bouët. Ils étaient dix, nous étions deux étudiants. Quatre d’entre eux m’ont frappé à coups répétés pendant plus de trois heures, puis l’un d’eux a sorti un couteau et m’a tailladé le long de l’épaule et dans le dos [blessure constatée par Human Rights Watch]. Pendant qu’ils me battaient, ils n’arrêtaient pas de demander où se trouvaient les fusils. Je leur ai dit que je n’avais jamais fait partie de la FESCI, mais ils ne m’ont pas cru. Ils ont menacé plusieurs fois de me tuer. […] C’est seulement quand quelqu’un d’autre de la communauté est arrivé et a dit que je ne faisais pas partie de la FESCI qu’ils se sont calmés. Le commandant m’a dit d’oublier ce qui s’était passé […] et m’a rendu mes deux portables. Nous sommes toujours menacés pourtant, juste parce que nous sommes étudiants. [257]

Dans plusieurs cas, le traitement infligé par les Forces républicaines atteignait manifestement le niveau de la torture, définie selon la Convention contre la torture comme « tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne » par un acteur étatique dans des buts incluant l’obtention d’informations ou la sanction d’une personne pour un acte commis ou supposé être commis. [258] Un jeune homme de 20 ans détenu pendant une semaine au 37ème arrondissement à Abobo-Doumé a fait le récit du traitement qu’il a subi:

Chaque jour les FRCI nous tiraient hors de la petite cellule pour nous frapper avec leurs kalaches. En général ils étaient deux ; ils vous frappaient encore et encore soit avec leurs fusils soit à coups de bottes. Cela durait environ cinq, dix minutes, puis ils partaient et revenaient quelques heures plus tard pour recommencer. Pendant qu’ils me frappaient, ils disaient : « Est-ce que tu vas répondre à nos questions sans mentir la prochaine fois ? Est-ce que tu vas nous donner des renseignements ? » Chaque fois je leur disais que je n’avais jamais tenu une arme, mais les coups continuaient.

Le deuxième jour, ils ont mis un couteau au feu jusqu’à ce qu’il soit brûlant. Puis ils l’ont placé sur mon épaule gauche, en faisant une entaille aussi. Ils demandaient : « Tu es de la milice ? Où sont les armes qui ont été cachées ? » C’était la brûlure qui était plus douloureuse que la coupure—c’était la pire douleur que j’aie jamais ressentie [blessures, notamment la peau brûlée et décolorée et une longue cicatrice sur l’épaule de la victime, constatées par Human Rights Watch].
[259]

Un autre détenu a témoigné de la façon dont les Forces républicaines lui avaient arraché plusieurs dents au cours d’un interrogatoire après s’être emparé de lui sur une petite route à Yopougon Wassakara à la mi-avril :

Alors que je me rendais à pied à mon travail [de gardien de sécurité], les FRCI m’ont tendu une embuscade. […] Ils étaient tous en tenue militaire et portaient des bottes militaires. Ils m’ont entraîné dans un passage près de la pharmacie Keneya en disant que j’appartenais à la milice de Gbagbo. J’ai protesté : « Non, non, je vais juste à mon travail. Je suis gardien. » Ils ont répondu : « Non, tu es de la milice. » […] Ils m’ont frappé avec leurs kalaches jusqu’à ce que ma tête saigne. Ma tête ne va toujours pas bien, j’ai constamment des maux de tête. Puis ils m’ont maintenu par terre, deux d’entre eux m’ont pris par les épaules, deux par les jambes, et un autre maintenait ma bouche ouverte. L’un des types avait des tenailles, et il a arraché une de mes dents du haut. Puis il en a arraché une deuxième, mais elle s’est cassée et seule une partie est sortie. Ils n’arrêtaient pas de demander : « Où sont les armes que tu as cachées ? » La douleur était telle que je ne pouvais même pas répondre. Alors ils continuaient. […] Après les deux premières, ils ont même arrêté de poser des questions. Ils hurlaient : « Nous allons vous tuer tous, les miliciens qui ont causé ces problèmes. Tu es un des Patriotes de Gbagbo, nous allons vous tuer tous. » […] Je ne peux toujours pas vraiment manger tellement j’ai mal. La nuit [un mois plus tard], j’ai encore du sang qui coule dans la bouche à cause de ces blessures. [260]

IV. Principaux acteurs impliqués

L’interdiction des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité fait partie des proscriptions les plus fondamentales du droit pénal international. Selon le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), les crimes contre l’humanité peuvent être commis en période de paix ou de conflit armé et consistent en des actes spécifiques commis de façon généralisée ou systématique dans le cadre d’une « attaque contre une population civile », ce qui signifie qu’il existe un certain degré de planification ou de politique de la part des autorités. De tels actes incluent le meurtre, le viol et la persécution d’un groupe pour des motifs d’ordre politique, ethnique ou national.[261] Les crimes de guerre dans un conflit armé qui n’est pas de nature internationale comprennent le fait de tuer des personnes ne prenant pas de part active aux hostilités, y compris des membres des forces armées qui ont été détenus, et de mener intentionnellement des attaques contre des civils qui ne participent pas directement aux hostilités.[262] Lorsque des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre sont commis, les personnes ayant une autorité de commandement qui auraient dû avoir connaissance du crime et ne l’ont pas empêché ou n’ont pas lancé d’enquêtes ni de poursuites à l’encontre de leurs auteurs présumés peuvent être tenues pénalement responsables.[263]

Sur la base de ses recherches sur le terrain, Human Rights Watch a identifié les personnes suivantes comme étant responsables—soit au titre de leur participation directe, soit au titre de leur responsabilité de commandement—de certains crimes graves commis durant la période post-électorale :

Camp Gbagbo

Laurent Gbagbo – L’ex-Président était le commandant en chef des forces armées, lesquelles ont commis des crimes de guerre et, probablement, des crimes contre l’humanité. Il a désigné comme ministre de la Jeunesse son allié de longue date Charles Blé Goudé, instaurant un lien direct avec le mouvement des Jeunes patriotes, responsable de nombreux meurtres perpétrés sur la base de critères ethniques. Bien qu’il soit clairement établi que ses forces armées et ses milices ont commis des crimes graves, Laurent Gbagbo n’a ni dénoncé ni pris de mesures pour prévenir de tels crimes ou ouvrir des enquêtes. Lorsque les Forces républicaines ont pris son palais présidentiel, elles ont découvert un arsenal impressionnant d’armes lourdes—dont beaucoup étaient du même type que celles utilisées dans des attaques à l’aveugle qui ont occasionné de nombreuses victimes civiles. Laurent Gbagbo a été arrêté le 11 avril par les Forces républicaines ; il a été inculpé le 18 août par le procureur Simplice Koffi pour crimes économiques, dont détournement de fonds, vol aggravé et concussion. [264] Il se trouve actuellement en détention préventive dans le nord du pays.

Charles Blé Goudé – Il a longtemps été secrétaire général des Jeunes patriotes, une milice impliquée dans des centaines de meurtres rien qu’à Abidjan. Ses miliciens ont souvent travaillé étroitement avec les forces d’élite de sécurité en prenant pour cible les partisans d’Alassane Ouattara. Plutôt que de dissuader ses partisans de recourir à la violence, Charles Blé Goudé a prononcé des discours pouvant constituer des incitations à la violence. Le 25 février, par exemple, dans un discours largement diffusé, il a appelé ses partisans à ériger des barrages routiers dans leur quartier et à « dénoncer » les étrangers—un terme explosif employé par le camp Gbagbo pour désigner les Ivoiriens du Nord et les immigrés ouest-africains. Immédiatement après cet appel, Human Rights Watch a documenté une nette augmentation des violences commises par les Jeunes patriotes, le plus souvent selon des critères ethniques ou religieux. Selon Human Rights Watch, Charles Blé Goudé est vraisemblablement impliqué dans des crimes contre l’humanité. Selon certaines sources, il se cacherait au Ghana, mais sa présence a auparavant été signalée au Bénin et en Gambie.[265] Le 1er juillet, le procureur Simplice Koffi a annoncé que les autorités demandaient un mandat d’arrêt international contre Charles Blé Goudé pour ses crimes post-électoraux. [266]

Général Philippe Mangou – En tant que chef d’état-major des forces armées sous le régime de l’ex-Président Laurent Gbagbo, Philippe Mangou était à la tête de troupes qui auraient commis des crimes de guerre et, probablement, des crimes contre l’humanité. La presse internationale et ivoirienne s’est largement fait l’écho de ces crimes. Pourtant, Philippe Mangou n’a pris aucune mesure concrète pour les empêcher, ni ouvert d’enquêtes contre ceux qui ciblaient systématiquement les partisans d’Alassane Ouattara. Le 21 mars, Philippe Mangou se trouvait au siège de l’état-major aux côtés de Charles Blé Goudé venu s’adresser à des milliers de Jeunes patriotes—ayant déjà pris part dans de nombreux meurtres et viols—venus entendre son appel à défendre le pays. D’après de nombreuses sources médiatiques, Philippe Mangou aurait promis—alors que les jeunes scandaient : « On veut des kalachnikovs »—que l’armée prendrait « tout le monde sans tenir compte ni du diplôme, ni de l’âge », ajoutant que « [c]e qui compte ici, c’est la volonté et la détermination de chacun. […] Nous vous convoquerons au moment opportun pour le combat ».[267] Les Jeunes patriotes ont continué à commettre des atrocités au cours des semaines suivantes. Le général Philippe Mangou, maintenu un temps chef d’état-major par Alassane Ouattara, a été rapidement remplacé par le général Soumaïla Bakayoko le 7 juillet.

Général Guiai Bi Poin – Guiai Bi Poin a été le chef du CECOS (Centre de commandement des opérations de sécurité), responsable de disparitions forcées, de violences sexuelles, de tirs à armes lourdes à l’aveugle tuant des civils et de la répression brutale des manifestations. Dans l’ensemble, compte tenu à la fois de leur ampleur et de leur caractère systématique, les crimes commis sous son commandement constituent, probablement, des crimes contre l’humanité. Guiai Bi Poin n’a jamais dénoncé ces crimes, et encore moins ouvert d’enquêtes contre des soldats suspectés de les avoir commis—, malgré le rôle important que le CECOS a joué dans les attaques contre des partisans d’Alassane Ouattara, rôle maintes fois dénoncé par des organisations de défense des droits humains ainsi que par la presse internationale et ivoirienne. Les membres de cette unité d’élite étaient facilement identifiables grâce à leurs véhicules marqués « CECOS ». Les quartiers d’Abobo et de Koumassi où se trouvaient des bases de « Camp Commando » dans lesquelles étaient stationnées les forces du CECOS ont particulièrement souffert. Alliées de longue date de Laurent Gbagbo, les forces de Guiai Bi Poin ont été l’une des dernières à se rendre. Un procureur militaire a entendu le général Bi Poin le 13 mai, le libérant à condition qu’il promette de répondre à une convocation ultérieure.[268] Le général Bi Poin ne faisait toutefois pas partie des 57 militaires inculpés au début du mois d’août, prenant même part le 22 juin à un rassemblement d’officiers chargés de désigner la nouvelle armée ivoirienne.[269] Toutefois, après la découverte présumée d’un charnier dans l’école de gendarmerie dont il était le commandant, le général Bi Poin a été arrêté le 20 août. Cinq jours plus tard, un procureur l’a inculpé pour « crimes économiques » et placé en détention préventive à Abidjan. [270]

Général Bruno Dogbo Blé – Bruno Dogbo Blé a été le commandant de la Garde républicaine, impliquée dans des cas de disparitions forcées, la répression brutale des manifestations et la persécution d’immigrés ouest-africains. Pris globalement, les crimes commis sous son commandement constituent, probablement, des crimes contre l’humanité. Le quartier de Treichville à Abidjan, où se trouve le camp de la Garde républicaine, a particulièrement souffert. Tout comme le général Guiai Bi Poin, bien que des groupes de défense des droits humains et la presse se soient fait l’écho des crimes commis par ses forces, Bruno Dogbo Blé ne les a jamais dénoncés, et a encore moins ouvert des enquêtes contre les soldats qui en étaient responsables. Bruno Dogbo Blé a été arrêté par les Forces républicaines le 15 avril. Au moment de la rédaction de ce rapport, il était détenu dans un camp militaire à Korhogo. Un procureur militaire l’a inculpé le 11 août pour son rôle dans certains crimes de sang commis durant les violences post-électorales. [271]

« Bob Marley » – Ce chef mercenaire libérien qui a combattu pour Laurent Gbagbo dans l’ouest du pays est impliqué dans deux massacres et d’autres meurtres ayant fait au moins 120 morts, dont des hommes, des femmes et des enfants. D’après des victimes et des témoins, il a pris part et aidé à orchestrer des attaques dans lesquelles des immigrés ouest-africains et des Ivoiriens du Nord ont été pris pour cible sur la base de critères ethniques. Il a été arrêté au Libéria en mai 2011. Au moment de la rédaction de ce rapport, il était détenu à Monrovia dans l’attente de son inculpation pour « mercenarisme ».[272]

Général Pierre Brou Amessan, directeur de la RTI – En tant que directeur de la chaîne de télévision RTI contrôlée par Laurent Gbagbo, il a régulièrement supervisé des émissions qui incitaient à la violence contre les partisans d’Alassane Ouattara et les étrangers, appelant les vrais Ivoiriens à les « dénoncer » et à « nettoyer » le pays. Des violences de grande ampleur contre des partisans de Laurent Gbagbo s’en sont souvent suivies. La chaîne a également encouragé l’attaque de personnels et de véhicules des Nations Unies, attaques qui se sont répétées durant toute la crise. D’après le Statut de Rome, les crimes de guerre comprennent « [l]e fait de diriger intentionnellement des attaques contre le personnel, les installations, le matériel, les unités ou les véhicules employés dans le cadre d’une mission […] de maintien de la paix […] pour autant qu’ils aient droit à la protection que le droit international des conflits armés garantit aux civils et aux biens de caractère civil ».[273]

Denis Maho Glofiéhi – Connu sous le nom de « Maho », il a longtemps été le chef des milices pro-Gbagbo présentes dans l’ouest du pays. En juillet 2010, il a indiqué à Human Rights Watch avoir commandé 25 000 combattants sous la bannière du Front de libération du Grand Ouest (FLGO).[274] Les milices qui auraient été sous le commandement de Maho ont participé à des massacres dans l’ouest du pays et à Abidjan—où il a été aperçu lors des derniers mois de la crise, souvent en compagnie de Charles Blé Goudé. Maho aurait fui Yopougon avant l’arrivée des Forces républicaines. Le lieu où il se trouve actuellement n’est pas connu publiquement.

Camp Ouattara

Capitaine Eddie Médi (ou Eddy Médy, variante orthographique utilisée par certains médias ivoiriens) – Eddie Médi était le commandant des Forces républicaines chargé de mener l’offensive de mars de Toulepleu à Guiglo. Le long de cet axe, de nombreux hommes, femmes et enfants guérés ont été tués, au moins 20 femmes ont été violées, et plus de 10 villages réduits en cendres. Des rapports fiables indiquent que les forces sous son commandement ont perpétré d’autres massacres après avoir pris le contrôle de la région, Eddie Médi menant depuis sa base à Bloléquin des opérations de « nettoyage ». [275] Eddie Médi ne semble avoir pris aucune action sérieuse pour empêcher les crimes ni punir ceux qui en étaient responsables dans ses rangs. Au moment de la rédaction de ce rapport, Eddie Médi était toujours commandant à Bloléquin.

Commandant Fofana Losséni – Le 10 mars, Guillaume Soro l’a affublé du titre de chef de la « pacification de l’extrême ouest », l’identifiant comme le supérieur du capitaine Eddie Médi et le commandant en chef de l’offensive des Forces républicaines dans l’ouest du pays. Également connu sous le diminutif de « Loss », il a été le commandant de secteur des Forces nouvelles à Man. Des soldats sous son commandement ont pris le contrôle de Duékoué le 29 mars au matin et joué un rôle important dans le massacre de centaines de personnes dans le quartier Carrefour. Aucune action sérieuse ne semble avoir été prise par Loss pour empêcher ces crimes ou punir ceux qui en étaient responsables dans ses rangs. Au moment de la rédaction de ce rapport, il était toujours commandant des Forces républicaines. D’après la presse ivoirienne, il a été nommé vice-commandant d’une force d’élite ivoirienne appelée à suivre une formation en France. [276]

Commandant Chérif Ousmane – Durant l’assaut final sur Abidjan, il était le chef des opérations des Forces républicaines à Yopougon, où de nombreux partisans présumés de Laurent Gbagbo ont été sommairement exécutés. D’après un soldat de sa « compagnie Guépard », Chérif Ousmane aurait lui-même ordonné l’exécution de 29 prisonniers début mai. Longtemps commandant des Forces nouvelles à Bouaké, un rapport de l’IRIN—service de nouvelles et d’analyses humanitaires—de 2004 indique que celui-ci a supervisé des forces impliquées dans l’exécution sommaire de mercenaires libériens et sierra-léonais. [277] Le 3 août 2011, le Président Ouattara a promu Chérif Ousmane au rang de commandant-en-second du Groupe de sécurité de la présidence de la République. [278]

Commandant Ousmane Coulibaly – Longtemps commandant de secteur des Forces nouvelles à Odienné, Ousmane Coulibaly a dirigé des soldats des Forces républicaines impliqués dans des actes de torture et des exécutions sommaires dans le secteur Koweit de Yopougon. Ces événements se sont déroulés sur plusieurs semaines, et aucune action ne semble avoir été prise par Ousmane Coulibaly pour prévenir les crimes ou en punir les responsables. À l’époque, Ousmane Coulibaly avait comme nom de guerre « Ben Laden ». Il en changera le 20 juin 2011 pour devenir « Ben le sage ». Au moment de la rédaction de ce rapport, il était toujours officier de commandement des Forces républicaines.

Forces non officiellement alignées

Amadé Ouérémi (couramment appelé « Amadé ») – Chef d’un groupe burkinabé puissamment armé dans la région du Mont Péko dans l’extrême ouest de la Côte d’Ivoire, Amadé Ouérémi et ses hommes ont été identifiés par de nombreux témoins comme figurant parmi les principaux auteurs du massacre survenu à Duékoué le 29 mars dans le quartier Carrefour. Des témoins et des habitants de ce quartier ont indiqué à Human Rights Watch et à Fraternité-Matin, le quotidien contrôlé par l’État, qu’Amadé Ouérémi avait combattu aux côtés des Forces républicaines à Duékoué, [279] sans qu’il n’existe toutefois de chaîne de commandement claire entre les deux forces. Le 10 août, la mission de maintien de la paix des Nations Unies a recueilli les armes et les munitions de « près de 90 membres » du groupe d’Amadé Ouérémi. [280] Les habitants du quartier ont cependant confié à Human Rights Watch et à Fraternité-Matin que les hommes d’Amadé Ouérémi ne s’étaient défaits que d’une petite partie de leur arsenal. [281]

V. Initiatives relatives à l’obligation de rendre des comptes

Plusieurs initiatives sont en cours dans le but de contribuer à l’obligation de rendre des comptes pour les crimes graves qui ont été commis durant la période post-électorale. Au niveau international, une commission d’enquête a impliqué les forces armées des deux camps dans des crimes de guerre et, probablement, des crimes contre l’humanité. Elle a dressé une annexe confidentielle des principaux responsables de ces crimes à l’intention du procureur de la CPI, qui a reçu de la chambre préliminaire de la Cour l’autorisation d’ouvrir une enquête sur les crimes graves commis dans le cadre des violences post-électorales.

Au niveau national, les procureurs ont inculpé une centaine de militaires et civils du camp Gbagbo pour leurs rôles présumés dans la crise. Des responsables militaires ont été accusés de crimes, et notamment de meurtres et de viols, lesquels pourraient être invoqués à titre de crimes constitutifs de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. La plupart des responsables civils ont été inculpés de crimes économiques et de crimes contre l’État. Alors que d’importants efforts avaient été déployés pour poursuivre Laurent Gbagbo et ses alliés, aucun membre des Forces républicaines n’avait été arrêté ni inculpé au moment de la rédaction de ce rapport.

Commissions d’enquête

Le 25 mars 2011, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a adopté une résolution instaurant une commission d’enquête internationale indépendante chargée d’enquêter sur les violations des droits humains commises après le second tour des élections, et d’en identifier les principaux auteurs afin qu’ils soient traduits en justice.[282] Dans un délai extrêmement bref, la commission a rendu son rapport public autour du 10 juin et l’a présenté lors de la 17ème session du Conseil des droits de l’homme du 15 juin. Dans son résumé, la commission a conclu :

[D]e nombreuses violations graves des droits de l’homme et du droit humanitaire international ont été commises en Côte d’Ivoire durant la période considérée ; certaines de ces violations pourraient constituer des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre. Ces violations ont été commises par les Forces de défense et de sécurité et leurs alliés (milices et mercenaires), puis, lors de leur contre-offensive et, depuis leur contrôle du pays, par les Forces républicaines de Côte d’Ivoire. [283]

Parmi ses principales recommandations, la commission appelle le gouvernement à ratifier le Statut de Rome de la Cour pénale internationale ; à s’attaquer aux causes profondes du conflit, y compris à la discrimination ; et à restaurer la sécurité en entreprenant rapidement le désarmement.[284] Dans sa première recommandation au gouvernement Ouattara, la commission souligne tout particulièrement le besoin de justice :

[A]ssurer que les responsables des violations des droits de l’homme et du droit humanitaire international soient traduits en justice. Dans ce contexte, les enquêtes initiées doivent être conduites de manière exhaustive, impartiale et transparente. [285]

À cette fin, la commission a préparé une annexe contenant le nom de personnes contre lesquelles il existe des motifs raisonnables de présumer une responsabilité pénale individuelle. Le rapport de la commission indique que la « liste confidentielle […] pourra être transmise aux autorités compétentes dans le cadre d’une enquête judiciaire ».[286] Human Rights Watch a appris par l’intermédiaire d’une personne au sein de la commission que l’annexe avait été communiquée au procureur de la Cour pénale internationale et à la Haut-Commissaire aux droits de l’homme, Mme Navanethem Pillay. Toutefois, l’annexe n’a été transmise ni à Alassane Ouattara, ni au ministre de la Justice, ni au procureur d’Abidjan. Cela est difficilement conciliable avec la promesse de la commission de la transmettre aux « autorités compétentes » aux fins de leurs enquêtes, dans la mesure où des poursuites relatives aux violences post-électorales ont été engagées par les autorités nationales.

Le fait de ne pas rendre publique l’annexe ou de ne pas la communiquer au gouvernement et aux autorités judiciaires rappelle le précédent d’une ancienne commission d’enquête internationale : en 2004, une commission similaire avait été chargée d’enquêter sur les crimes graves commis pendant la guerre civile de 2002-2003. Son rapport détaillé, qui contenait des preuves relatives à l’existence de crimes contre l’humanité commis par les deux camps, a été remis au Conseil de sécurité des Nations Unies en novembre 2004. Il n’a toujours pas été rendu public.[287] Ce rapport était accompagné d’une annexe confidentielle renfermant, d’après les informations disponibles, la liste des 95 personnalités dont la responsabilité était la plus grande et qui méritaient une enquête pénale. Un journaliste a affirmé à l’époque que Simone Gbagbo, Charles Blé Goudé et Guillaume Soro figuraient parmi les personnes citées.[288] La commission 2011 a expressément recommandé que le Conseil des droits de l’homme publie le rapport 2004 pour lutter contre l’impunité.[289] Le 30 juin, la Haut-Commissaire aux droits de l’homme, Mme Navanethem Pillay, s’est montrée favorable à ces demandes, tout en restant ambigüe sur le point de savoir s’il appartenait au Conseil des droits de l’homme ou au Secrétaire général des Nations Unies d’autoriser la publication du rapport.[290] Human Rights Watch demande depuis 2004 la publication de ce rapport et de son annexe.[291]

Immédiatement après la publication par la commission d’enquête internationale 2011 de son rapport, le gouvernement Ouattara a annoncé la création d’une commission d’enquête nationale.[292] Dans la mesure où le gouvernement Ouattara avait expressément demandé la mise en place d’une commission internationale, laquelle avait couvert les mêmes événements et émis des conclusions et des recommandations dénonçant les crimes graves commis par les forces d’Alassane Ouattara appelant l’ouverture d’une enquête, le moment choisi pouvait traduire la volonté du gouvernement de blanchir les responsables. Le 20 juillet, Alassane Ouattara a signé le décret portant création de la commission, donnant à l’instance six mois pour présenter ses conclusions et « aider à comprendre comment et pourquoi » des violations aussi importantes des droits humains avaient eu lieu.[293] Un journaliste de l’Associated Press a indiqué que « les termes utilisés dans le décret donnaient à penser que la commission réfuterait les accusations [portées par les organisations internationales de défense des droits humains] et chercherait à exonérer les forces d’Alassane Ouattara ».[294] Il était difficile de dire si le gouvernement Ouattara avait l’intention d’attendre les conclusions de la commission d’enquête nationale avant d’ouvrir des enquêtes et de poursuivre les Forces républicaines, mais Alassane Ouattara a informé l’Associated Press fin juillet que le rapport de la commission serait remis aux procureurs avant la fin de l’année 2011. [295] Il est toutefois très vite apparu que ce délai ne serait vraisemblablement pas respecté, la commission ne s’étant mise au travail que le 13 septembre. Le 10 août, un décret du ministre des Droits de l’homme a nommé 17 commissaires avec, pour président, le juge Matto Loma Cissé. [296] Plusieurs membres de la société civile ivoirienne ont exprimé à Human Rights Watch leurs préoccupations quant à l’indépendance et l’impartialité de la commission, indiquant que Matto Loma Cissé était très proche d’Alassane Ouattara. [297]

Poursuites nationales contre le camp Gbagbo

Après avoir capturé Laurent Gbagbo dans sa résidence le 11 avril, les Forces républicaines l’ont emmené au Golf Hôtel.[298] Deux jours plus tard, il a été transféré à Korhogo, une ville située dans le nord de la Côte d’Ivoire, et placé en résidence surveillée. Sa femme, Simone, a également été arrêtée le 11 avril et transférée par la suite à Odienné, une autre ville du nord du pays.[299] Dans les jours qui ont suivi ces arrestations, les forces d’Alassane Ouattara ont arrêté des dizaines de soldats et de personnalités civiles liés à Laurent Gbagbo.

Pendant deux mois, aucune inculpation n’a été prononcée contre les personnes détenues, amenant des organisations, dont Human Rights Watch, à demander au gouvernement Ouattara de mettre fin à une violation à la fois du droit ivoirien et du droit international.[300] Le ministre de la Justice Jeannot Ahoussou Kouadio a fait valoir en guise de réponse le 22 juin qu’aucune inculpation n’était nécessaire dans la mesure où les personnes concernées se trouvaient en résidence surveillée et non en détention. Il a également invoqué une loi de 1963 qui autorise le chef de l’État à prendre des décrets pour mettre en résidence surveillée « des personnes qui en ont le profil », relative à la promotion du bien-être économique et social du pays.[301] Bien qu’il soit difficile de dire si les explications du ministre sont justes au regard du droit ivoirien, les personnes considérées sont manifestement détenues au sens du droit international—elles sont privées de leur droit à la liberté, qu’elles se trouvent dans une prison proprement dite, dans un ancien hôtel, ou qu’elles soient assignées à résidence.

Plusieurs jours après, les autorités ont prononcé des inculpations. Le 26 juin, le procureur d’Abidjan Simplice Koffi a annoncé l’inculpation de 15 responsables politiques sous le régime de Laurent Gbagbo pour crimes contre l’autorité de l’État, création de gangs armés et crimes économiques.[302] Trois jours plus tard, un procureur militaire, le colonel Ange Kessy, a annoncé l’inculpation de 49 officiers de l’armée ivoirienne de Laurent Gbagbo, dont 42 se trouvaient déjà en détention.[303] La cour militaire les aurait inculpés « de détournement de deniers et matériels publics […] de cessions illicites d’armes et de munitions ; d’arrestations illégales et de séquestrations ; [et] de meurtres et recels de cadavres ».[304] Puis, le 1er juillet, le procureur Koffi a indiqué qu’il demandait la délivrance de mandats d’arrêt internationaux contre plusieurs partisans de Laurent Gbagbo qui se trouveraient à l’étranger, dont Charles Blé Goudé. Les crimes allégués seraient principalement des crimes contre l’État et des crimes économiques.[305]

D’autres inculpations ont été prononcées par des procureurs civils et militaires aux mois d’août et de septembre. Au 12 août, 58 responsables militaires et 37 personnalités civiles au moins—dont le propre fils de Laurent Gbagbo, Michel Gbagbo—avaient été inculpés. [306] Comme auparavant, le procureur militaire a retenu comme chefs d’inculpation les crimes d’arrestation et de détention arbitraires, de recel de cadavres et de viol, le procureur civil ne retenant presque exclusivement que des crimes contre l’État et des crimes économiques. [307] Un porte-parole du gouvernement a déclaré le 10 août que les « crimes de sang » commis durant la période post-électorale seraient jugés par la CPI, estimant que les tribunaux civils domestiques n’étaient « pas encore outillé[s] pour juger ce genre de crime ». [308] Enfin, le 18 août, le procureur Koffi a annoncé l’inculpation de Laurent Gbagbo et de sa femme Simone pour « crimes économiques », notamment pour détournement de fonds, vols et concussion. [309]

Au moment de la rédaction de ce rapport, au moins 118 personnes liées au camp Gbagbo ont été inculpées pour crimes commis durant la période post-électorale.

Aucune poursuite au niveau national visant des soldats des Forces républicaines

Au jour de la rédaction de ce rapport, aucun membre des Forces républicaines n’a été inculpé pour des crimes graves commis durant les violences post-électorales. Plusieurs mesures judiciaires ont été prises en ce qui concerne les massacres perpétrés dans l’ouest du pays—crimes documentés par Human Rights Watch, Amnesty International, la commission d’enquête internationale, la division des droits de l’homme de l’ONUCI et la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme. Le 2 avril, le ministre de la Justice s’en est pris à la division des droits de l’homme de l’ONUCI pour avoir impliqué les Forces républicaines et les Dozos dans le massacre de Duékoué, instruisant toutefois le procureur de Daloa d’ouvrir une enquête criminelle sur les crimes commis dans l’ouest du pays.[310] Human Rights Watch a appris auprès de plusieurs personnes qui ont pu s’entretenir avec le procureur que l’enquête de celui-ci avait pris beaucoup de retard en raison d’un manque de personnel et de moyens—quasiment rien n’a été entrepris avant la fin du mois de juillet.[311] Le directeur de cabinet du ministre de la Justice a informé Human Rights Watch au mois de septembre qu’une équipe de policiers et de procureurs avait mené une enquête préliminaire pendant trois mois et constitué un important dossier sur la base d’éléments fournis par des témoins de crimes commis par les deux camps. Il a ajouté disposer de suffisamment d’éléments concernant les crimes commis par les milices pro-Gbagbo, mais que les enquêtes concernant les Forces républicaines rencontraient des « difficultés »—faisant expressément référence au fait que les organisations internationales présentes à Duékoué lors du massacre et ayant assisté aux enterrements étaient réticentes à témoigner. Il a par ailleurs souligné que les enquêtes n’en étaient qu’au stade préliminaire et que des vérifications devaient être effectuées avant que des inculpations ne soient prononcées. Il a également déclaré que le gouvernement attendait que la CPI agisse avant de lancer des poursuites au niveau national—bien que la CPI ne se soit saisie par le passé que de quelques affaires dans des situations ayant fait l’objet d’une enquête. [312]

Les enquêtes sur les crimes commis durant l’offensive d’Abidjan et les semaines qui ont suivi n’avancent manifestement pas. Lorsque Human Rights Watch a pour la première fois publié des informations faisant état de 149 meurtres – impliquant Chérif Ousmane et Ousmane Coulibaly parmi les responsables—, le ministre de l’Intérieur Hamed Bakayoko a promis que des enquêtes sérieuses seraient menées, tout en exprimant des « doutes » sur les observations qui avaient été faites et la fiabilité des témoignages des victimes recueillis.[313] Aucune véritable enquête ne semble avoir été ouverte.

Le procureur militaire Ange Kessi Kouamé a déclaré début juillet qu’il avait reçu de nombreuses plaintes concernant les Forces républicaines, mais qu’il lui était impossible d’ouvrir des enquêtes dès lors que le statut civil ou militaire des combattants était incertain au regard du droit ivoirien. Ange Kessi Kouamé attend des éclaircissements sur ce point dans la mesure où, si les combattants sont considérés être des civils, seul un procureur civil est compétent pour les poursuivre. [314] Au moment de la rédaction de ce rapport, le gouvernement ne semblait pas avoir répondu à la question de savoir si les membres des Forces républicaines étaient des civils ou des militaires ou comprenaient des personnes des deux catégories pendant la crise post-électorale.

Le fait qu’aucune enquête sérieuse n’ait été ouverte contre des membres des Forces républicaines pourrait illustrer une justice des vainqueurs, comme le craint un membre de la commission d’enquête internationale et militant influent des droits humains en Côte d’Ivoire.[315] Le gouvernement Ouattara a continué de promettre que les personnes impliquées dans des crimes seraient poursuivies, que celles-ci fassent partie de son camp ou de celui de Laurent Gbagbo.[316]

Cour pénale internationale

La Côte d’Ivoire n’est pas un État partie au Statut de Rome. Le pays a toutefois accepté sous les présidences de Laurent Gbagbo et d’Alassane Ouattara la compétence de la CPI pour enquêter sur les crimes visés par ledit Statut, à savoir les crimes de génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les autres violations graves du droit humanitaire international. Depuis sa prise de pouvoir, Alassane Ouattara a expressément invité le procureur de la CPI à enquêter sur les crimes commis en Côte d’Ivoire. Il a également fait part de son accord et de son désir de voir la CPI juger les crimes commis par les deux camps. Cependant, Alassane Ouattara a également demandé à la Cour de restreindre la période sur laquelle la Cour peut enquêter.

La Côte d’Ivoire a accepté pour la première fois la compétence de la CPI dans une déclaration datée du 18 avril 2003. Conformément à l’article 12, paragraphe 3, du Statut de Rome, le ministre des Affaires étrangères du gouvernement Gbagbo de l’époque, Mamadou Bamba, a déclaré que « le gouvernement ivoirien reconnaît la compétence de la Cour aux fins d’identifier, de poursuivre, de juger les auteurs et complices des actes commis sur le territoire ivoirien depuis les événements du 19 septembre 2002 ».[317] La déclaration précisait être « faite pour une durée indéterminée »,[318] fondant a priori la compétence continue de la CPI pour enquêter sur les crimes graves commis pendant et après le conflit armé de 2002-2003. Le 14 décembre 2010, puis le 3 mai 2011, le Président Ouattara a renouvelé par lettre la déclaration de la Côte d’Ivoire au titre de l’article 12, paragraphe 3. Toutefois, dans les deux lettres adressées à la CPI, les dates mentionnées ne sont pas les mêmes. Dans sa lettre datée du mois de décembre, Alassane Ouattara s’engage à coopérer avec la CPI « en ce qui concerne tous les crimes et exactions commis depuis mars 2004 ».[319] Cinq mois plus tard, dans sa lettre de confirmation, Alassane Ouattara invite la Cour à n’enquêter que sur « les crimes les plus graves commis depuis le 28 novembre 2010 ».[320] [Voir l’annexe pour consulter les trois lettres à la CPI.]

Le procureur a tenu compte de cette dernière lettre en demandant le 23 juin à la deuxième chambre préliminaire l’autorisation d’ouvrir une enquête—en limitant la période proposée de ladite enquête à la période post-électorale.[321] La demande du procureur exprime la volonté de mettre l’accent sur les crimes commis après l’élection de 2010 car « les violences […] ont atteint des niveaux sans précédent » et « de nombreuses informations sont disponibles sur ces crimes ». [322]

Cette limitation de durée inopportune rendrait impossible l’enquête internationale proposée sur les crimes graves commis durant la décennie qui a précédé la dernière flambée de violences et ignore les appels lancés par de nombreuses personnalités de la société civile ivoirienne qui estiment qu’il est essentiel d’enquêter sur certains faits remontant jusqu’à 2002, étant donné leur gravité, leur ampleur et leur impunité totale. [323] Des personnes travaillant auprès d’Alassane Ouattara sur les questions de justice ont indiqué que cette limitation avait été inscrite dans sa lettre à la Cour pénale internationale en partie sur la suggestion du bureau du procureur, afin que l’enquête ne prenne pas des proportions insurmontables.[324] Cependant, plusieurs diplomates interrogés par Human Rights Watch ont estimé que la demande d’Alassane Ouattara avait pour but de protéger certaines personnes de son camp impliquées dans des massacres, des viols et d’autres exactions systématiques commis pendant le conflit de 2002-2003 et par la suite.[325]

Le Président Ouattara a régulièrement affirmé que la CPI devrait examiner les crimes graves commis par les deux camps et qu’elle le ferait.[326] Une délégation d’enquête conduite par la vice-procureur Fatou Bensouda a entamé les investigations de la CPI sur les violences post-électorales lors d’une visite à Abidjan effectuée entre le 27 juin et le 4 juillet. Le 28 juin, Fatou Bensouda et le ministre de la Justice Kouadio ont signé un accord formel dans lequel le gouvernement ivoirien s’est engagé à pleinement coopérer conformément au chapitre IX du Statut de Rome.[327]

Le 3 octobre 2011, les juges de la CPI a fait droit à la requête du p rocureur d’ouvrir une enquête sur la violence post-électorale. Ils lui ont également demandé de « fournir toute information supplémentaire à sa disposition sur des crimes qui pourraient relever potentiellement de la compétence de la Cour et qui auraient été commis entre 2002 et 2010 ». [328] Alassane Ouattara s’est engagé à ratifier le Statut de Rome « dans les meilleurs délais possibles ». [329]

Commission dialogue, vérité et réconciliation

Le 27 avril 2011, Alassane Ouattara s’est engagé à créer dans un délai de deux semaines une Commission dialogue, vérité et réconciliation sur le modèle de celle de l’Afrique du Sud, précisant qu’il s’agissait d’un « axe fort de [sa] présidence ».[330] Quelques jours plus tard, le 1er mai, Alassane Ouattara a indiqué que le président de cette Commission serait l’ancien Premier ministre Charles Konan Banny—homme politique membre de longue date du PDCI.[331] Certains diplomates étrangers ainsi que des membres de la société civile ivoirienne, parmi lesquels figurent des organisations pro-Ouattara, ont fait part de leur déception face à cette nomination. Ils ont ainsi souligné que la décision avait été prise sans consulter, ou presque, la société civile et que, compte tenu du passé partisan de Charles Konan Banny, ils n’étaient pas certains que les deux camps puissent faire confiance à la Commission.[332]

Le 13 juillet, le Président Ouattara a officiellement créé la Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR) par l’ordonnance 2011-176, dotant l’instance d’un mandat de deux ans. [333] La Commission est dirigée par son président, Charles Konan Banny, ainsi que par trois vice-présidents et sept membres. [334] Elle est chargée, entre autres, « d’élaborer une typologie appropriée des violations des droits de l’homme », « de rechercher la vérité et situer les responsabilités sur les événements sociopolitiques nationaux passés et récents », « d’entendre les victimes, obtenir la reconnaissance des faits par les auteurs des violations incriminées et le pardon consécutif » et « d’identifier et faire des propositions visant à lutter contre l’injustice, les inégalités de toute nature, le tribalisme, le népotisme, l’exclusion ainsi que la haine sous toutes leurs formes ». [335] Les sessions de la Commission sont ouvertes au public, sauf circonstances particulières. [336] L’International Crisis Group s’est inquiété que le texte de l’ordonnance 2011-176 « ne comporte aucune disposition définissant clairement les pouvoirs de la commission et ne garantit pas suffisamment son indépendance à l’égard du pouvoir politique ». [337]

Le 5 septembre, le conseil des ministres a adopté un décret portant nomination des vice-présidents et des membres de la Commission. Les vice-présidents représentent les autorités traditionnelles, musulmanes et chrétiennes ; les sept membres représentent quant à eux les différentes régions de la Côte d’Ivoire, ainsi que la diaspora ivoirienne et les ressortissants étrangers résidant en Côte d’Ivoire. [338] Au moment de la rédaction de ce rapport, la Commission ne disposait d’aucune stratégie ni attribution claires par rapport aux efforts de justice du gouvernement.

Conclusion

La plupart des causes du conflit ivoirien le plus récent sont bien connues : la discrimination orchestrée pendant dix ans par l’État contre les Ivoiriens du Nord et les immigrés ouest-africains, basée sur la notion manipulée de citoyenneté ; l’incitation à la haine contre ces groupes ; la prolifération de milices violentes et leur étroite collaboration avec les forces d’élite de sécurité de Laurent Gbagbo ; les défaillances du système judiciaire ; et, plus directement, le refus de Laurent Gbagbo de quitter le pouvoir après avoir perdu le second tour des élections. Les forces pro-Gbagbo ont déclenché les hostilités dès le lendemain de l’élection, et étendu et intensifié leurs attaques au fur et à mesure du développement de la crise. Au bout du compte, leurs actes comprennent des crimes de guerre et, probablement, des crimes contre l’humanité, dont la responsabilité remonte jusque dans les plus hautes sphères de l’armée et de la société civile.

Toutefois, si l’obsession de Laurent Gbagbo de se maintenir au pouvoir a sans doute été à l’origine du dernier conflit armé, lorsque les combats se sont arrêtés à la mi-mai, les Forces républicaines d’Alassane Ouattara avaient commis des atrocités qui tombaient également sous le coup des crimes les plus graves sanctionnés par le droit pénal international. En discutant avec des responsables du gouvernement ou en lisant leurs déclarations—voire celles de diplomates représentant des pays soutenant le gouvernement Ouattara—, on a le sentiment que ces personnes, tout en admettant que les Forces républicaines ont commis des actes regrettables, jugent ces actes moins condamnables dans la mesure où, si Laurent Gbagbo n’avait pas refusé de quitter le pouvoir, ces violences n’auraient jamais eu lieu. Tout en étant logique sur le plan des responsabilités politiques, l’argument ne saurait prospérer sous l’angle des droits humains et du droit humanitaire international. Les civils membres de groupes pro-Gbagbo qui ont vu les forces d’Alassane Ouattara tuer et violer des êtres chers ou réduire en cendres leurs villages ne sont pas plus des cibles légitimes que les Ivoiriens du Nord et les immigrés ouest-africains tués par les forces de Laurent Gbagbo. Du point de vue des victimes—dont la plupart ne se souciaient guère que Laurent Gbagbo reste ou non au pouvoir, même si elles avaient voté pour lui, mais aspiraient plutôt à retrouver la stabilité et la prospérité d’antan—, la punition collective infligée par les deux camps est comparable et le prix à payer tout aussi élevé.

Des officiers supérieurs des deux camps sont impliqués dans des crimes de guerre et, probablement, des crimes contre l’humanité. Dans certains cas, les exactions auxquelles ils ont pris part ou qu’ils ont supervisées ont atteint un summum de perversité. À certains égards, la nature des violences n’est pas vraiment surprenante : les forces de Laurent Gbagbo et les Forces républicaines (lorsqu’elles étaient les Forces nouvelles) ont toujours pris pour cible leurs opposants et commis assassinats, viols et pillages. Quel que soit le nombre de victimes, les responsables de l’un comme de l’autre camp n’ont jamais eu à répondre de leurs actes. Cet ajournement de la justice a souvent été soutenu par une partie de la communauté internationale qui estimait que la quête de justice était incompatible avec les négociations de paix en cours. Certains continuent de le croire, ignorant les enseignements du passé, lorsque cet ajournement était synonyme de maintien au pouvoir de personnes responsables de crimes graves. Face à la remontée des tensions, ces personnes ont recommencé à faire subir des violences aux civils, ayant appris qu’il ne leur en coûtait quasiment rien.

Si une grande partie de la population commence à retrouver une vie normale, notamment à Abidjan, l’insécurité demeure pour de nombreuses personnes qui passent pour des partisans de Laurent Gbagbo—en particulier les jeunes gens qui, en raison de leur âge et de leur origine ethnique, sont soupçonnés d’être des miliciens. Plus de 150 000 réfugiés se trouvent encore au Libéria ou au Ghana, ayant peur de rentrer chez eux. La réconciliation paraît encore très lointaine.

Depuis sa prise de contrôle du pays, les premières mesures adoptées par Alassane Ouattara pour lutter contre l’impunité ont été, dans le meilleur des cas, inégales. Malgré les promesses répétées du gouvernement de tenir responsables tous ceux qui ont commis des crimes graves durant le conflit, la réalité est celle d’une justice des vainqueurs—aucun membre des Forces républicaines n’avait été inculpé au moment de la rédaction de ce rapport. Parfois, le ministre de la Justice, les porte-parole de la présidence, et Alassane Ouattara lui-même, ont nié catégoriquement que les violations dénoncées par plusieurs organisations de défense des droits humains puissent être fondées—bien que, dans certains cas, les enquêtes aient été réalisées par des organismes indépendants comme la commission d’enquête internationale, la division des droits de l’homme de l’ONUCI, Human Rights Watch, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme et Amnesty International. Dans quelques cas, de hauts responsables du gouvernement sont allés jusqu’à dénigrer ces organisations, soit directement, soit par l’intermédiaire de journaux que leur parti politique soutient ouvertement, d’une manière qui n’est pas sans rappeler celle dont Laurent Gbagbo dirigeait le pays.

Le pays se trouve à un moment crucial de son histoire, pouvant soit rompre avec son passé et redevenir un État de droit, soit subir le rajout de nouvelles rancœurs à celles qui ont alimenté les violences et l’insécurité durant dix ans. La Côte d’Ivoire a mis à l’essai l’impunité. Elle a mis à l’essai le favoritisme politique et ethnique. Le bilan le plus récent s’élève à au moins 3 000 personnes tuées et plus de 150 femmes violées. Le 29 septembre, six mois s’étaient écoulés depuis le massacre de Duékoué—probablement le plus odieux, mais un événement parmi d’autres pour ce qui est des crimes graves commis par les Forces républicaines. Les femmes qui ont vu leurs époux et leurs fils traînés hors de chez eux et exécutés à bout portant n’ont pas obtenu justice ; leur quartier et leur village restent détruits, et les habitants qui ont échappé à la mort vivent pour la plupart ailleurs et le plus souvent dans des camps de réfugiés. Il est grand temps qu’Alassane Ouattara se montre à la hauteur de ses discours sur une justice impartiale. Il est également grand temps que des pressions réelles soient exercées par les gouvernements français et américain, ainsi que par le Conseil de sécurité des Nations Unies et la CEDEAO, pour garantir une justice impartiale. Tous ont légitimement soutenu Alassane Ouattara lorsque Laurent Gbagbo a refusé de céder le pouvoir. Mais aucune voix ne s’élève aujourd’hui alors qu’une justice sélective s’installe. À défaut de la volonté requise, aux niveaux national et international, pour garantir une justice crédible et impartiale, la Côte d’Ivoire risque d’être incapable de mettre un terme aux cycles de violence, ce qui serait de mauvais augure pour le respect de l’État de droit et la stabilité du pays.

Remerciements

La rédaction de ce rapport a été faite par Matt Wells, chercheur pour l’Afrique de l’Ouest, et Corinne Dufka, chercheuse senior pour l’Afrique de l’Ouest. Le rapport s’appuie sur des recherches menées par Matt Wells, Corinne Dufka, Tirana Hassan, chercheuse pour la division Urgences, Gerry Simpson, chercheur senior pour le programme Réfugiés, et Leslie Haskell, chercheuse pour la division Afrique. La révision et la mise en forme du rapport ont été assurées par Rona Peligal, directrice adjointe de la division Afrique, Elise Keppler, conseillère pour le programme Justice internationale, Agnes Odhiambo, chercheuse sur les droits des femmes en Afrique, Philippe Bolopion, directeur chargé du plaidoyer auprès des Nations Unies, Clive Baldwin, conseiller juridique senior, et Babatunde Olugboji, directeur adjoint au Bureau du programme. Marianna Enamoneta, assistante à la division Afrique de l’Ouest, Jamie Pleydell-Bouverie et Tess Borden ont fourni une assistance pour les recherches. Ce rapport a été traduit en français par horizons, agence-conseil en traduction basée à Londres. La révision de la traduction a été effectuée par Marianna Enamoneta et Peter Huvos, responsable de la section française du site Internet de Human Rights Watch. John Emerson a réalisé les cartes. La publication du rapport a été préparée par Grace Choi, directrice des publications, Anna Lopriore, responsable de la création, et Fitzroy Hepkins, responsable de la gestion du courrier.

Human Rights Watch tient à remercier les organisations et individus ivoiriens pour l’aide précieuse qu’ils lui ont apportée durant la crise en contribuant à mettre ses chercheurs en relation avec des victimes à Abidjan et dans différentes régions du pays, souvent en s’exposant à un important risque personnel. Pour des questions de sécurité, nous ne pouvons les nommer dans le présent rapport mais tenons à souligner que ces travaux de recherche ont en grande partie été possibles grâce à leur courage et leur détermination.

Human Rights Watch souhaite plus particulièrement exprimer sa gratitude aux victimes et témoins oculaires des violences souvent effroyables qui ont accepté de faire part de leurs récits. Ils ont parfois dû faire face à des points de contrôle militaires et, souvent à des combats entre forces armées pour pouvoir témoigner sur le meurtre d’un enfant, d’un ami, d’un frère ou d’un conjoint. Malgré la situation oppressante, ils se sont adressés à nos chercheurs dans l’espoir que les horreurs de cette crise rappelleraient à tout jamais aux Ivoiriens et à leurs dirigeants le coût de la manipulation de l’ethnicité et de l’incitation à la haine. Ils ont sans cesse insisté sur la nécessité d’exiger des comptes des responsables et de mettre un terme à une décennie d’impunité. Nous espérons que ce rapport contribuera à la réalisation de ces espérances.

Glossaire des acronymes

BAE

Brigade anti-émeute, une force de sécurité d’élite fidèle à Laurent Gbagbo pendant toute la durée de la crise post-électorale.

BCEAO

Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest, réunissant huit pays d’Afrique de l’Ouest, dont la Côte d’Ivoire.

CECOS

Centre de commandement des opérations de sécurité, une force d’élite d’intervention rapide proche de Laurent Gbagbo pendant le conflit et dont les membres sont issus de l’armée, de la gendarmerie et de la police.

CEI

Commission électorale indépendante.

CRS

Compagnie républicaine de sécurité, une force de police d’élite fidèle à Laurent Gbagbo pendant le conflit.

FAFN

Forces armées des Forces nouvelles, la branche militaire de l’alliance instaurée entre les trois différents mouvements armés, qui contrôle la moitié nord du pays depuis 2002.

FDS

Forces de défense et de sécurité, terme désignant collectivement l’armée, la gendarmerie et la police.

FESCI

Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire, un groupe d’étudiants violent, pro-Gbagbo, dont Charles Blé Goudé et Guillaume Soro ont tous les deux été dirigeants.

FLGO

Front de libération du Grand Ouest, une milice pro-Gbagbo basée dans l’extrême ouest du pays et dirigée par Maho Glofiéi.

FPI

Front populaire ivoirien, le parti politique de l’ancien Président Laurent Gbagbo.

LMP

La Majorité présidentielle, coalition politique de Laurent Gbagbo et de plusieurs autres petits partis politiques.

MFA

Mouvement des forces de l’avenir, petit parti politique qui faisait partie de la coalition politique d’Alassane Ouattara.

MJP

Mouvement pour la justice et la paix, mouvement rebelle armé apparu dans l’ouest de la Côte d’Ivoire en 2002, puis intégré aux Forces nouvelles.

MPCI

Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire, groupe rebelle armé qui s’est emparé du contrôle du nord de la Côte d’Ivoire en 2002, constituant le plus important élément des Forces nouvelles.

MPIGO

Mouvement populaire ivoirien du Grand Ouest, mouvement rebelle armé apparu dans l’ouest de la Côte d’Ivoire en 2002, puis intégré aux Forces nouvelles.

ONUCI

Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire, la mission de maintien de la paix de l’ONU dans ce pays.

PDCI

Parti démocratique de la Côte d’Ivoire, parti politique dirigé par l’ancien Président Henri Konan Bédié, faisant partie de l’alliance politique du RHDP.

RDR

Rassemblement des républicains, le parti politique de l’actuel Président Alassane Ouattara.

RPG

Grenade propulsée par lance-roquettes (Rocket-Propelled Grenade en anglais).

RHDP

Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix , alliance politique de partis composée du PDCI, du RDR, de l’UDCI et du MFA.

RTI

Radio télévision ivoirienne, la chaîne nationale, contrôlée par le gouvernement Gbagbo durant la crise.

UDCI

Union démocratique de Côte d’Ivoire, l’un des partis dont se compose la coalition politique du RHDP.


[1] Plusieurs épisodes de répression contre des groupes ethniques du sud de la Côte d’Ivoire ont lieu sous son règne, notamment en 1966 contre les Agnis et en 1970 contre les Bétés. Voir Tiemoko Coulibaly, « Lente décomposition en Côte d’Ivoire », Le Monde Diplomatique, novembre 2002 ; Jean-Pierre Dozon, « La Côte d’Ivoire entre démocratie, nationalisme et ethnonationalisme », Politique Africaine : Côte d’Ivoire, la tentation ethnonationaliste, n° 78, juin 2000, p. 45 à 62.

[2] Phil Clark, « Ivory Coast’s Laurent Gbagbo: From democrat to dictator », BBC News, 11 avril 2011. Voir également Marcus Boni Teiga, « Fin de partie pour Gbagbo », SlateAfrique, 11 avril 2011.

[3] Phil Clark, « Ivory Coast’s Laurent Gbagbo: From democrat to dictator » ; Marcus Boni Teiga, « Fin de partie pour Gbagbo ».

[4] S’il est vrai qu’Alassane Ouattara a nommé des ressortissants étrangers à des postes clés—notamment Sidya Touré, qui deviendra plus tard Premier ministre de Guinée, et Pascal Koupaki, actuel Premier ministre du Bénin—, les attaques de Laurent Gbagbo visent principalement Alassane Ouattara. Daniel Schwartz, « Alassane Ouattara: Inaugurated as Ivory Coast president after long standoff with former leader », CBC News, 21 mai 2011 ; Marcus Boni Teiga, « Fin de partie pour Gbagbo », SlateAfrique, 11 avril 2011.

[5] Daniel Schwartz, « Alassane Ouattara: Inaugurated as Ivory Coast president after long standoff with former leader », CBC News, 21 mai 2011 ; Phil Clark, « Ivory Coast’s Laurent Gbagbo: From democrat to dictator » ; Marcus Boni Teiga, « Fin de partie pour Gbagbo ».

[6] Phil Clark, « Ivory Coast’s Laurent Gbagbo: From democrat to dictator » ; Marcus Boni Teiga, « Fin de partie pour Gbagbo ». Laurent Gbagbo sera finalement libéré le 31 juillet 1992 à la suite des pressions exercées par des membres du parti socialiste français et de groupes de défense des droits humains comme Amnesty International.

[7] Un exposé succinct de cette période se trouve dans l’ouvrage de Thomas Hofnung, La Crise Ivoirienne :

Dix clés pour comprendre (Paris : La Découverte, 2005), p. 29 à 31. Voir également International Crisis Group, Côte d’Ivoire: « The War is Not Yet Over », ICG Africa Report n° 72, 28 novembre 2003, p. 2 et 3 (version complète disponible uniquement en anglais).

[8] Daniel Schwartz, « Alassane Ouattara: Inaugurated as Ivory Coast president after long standoff with former leader », CBC News, 21 mai 2011 ; Guillaume Guguen, « Alassane Ouattara’s political baptism by fire », France 24, 12 mai 2010 ; Africa Confidential, « Côte d’Ivoire: The National Question », Vol. 41, n° 13, 23 juin 2000. Lorsqu’Alassane Ouattara prend ses fonctions de gouverneur de la BCEAO en 1988, il est titulaire d’un passeport ivoirien. Guillaume Guguen, « Alassane Ouattara’s political baptism by fire », France 24, 12 mai 2010. Alassane Ouattara a déclaré que son passeport diplomatique voltaïque ne reflétait pas sa nationalité. Africa Confidential, « Côte d’Ivoire: The National Question », Vol. 41, n° 13, 23 juin 2000.

[9] Daniel Schwartz, « Alassane Ouattara : Inaugurated as Ivory Coast president after long standoff with former leader », CBC News, 21 mai 2011 ; Human Rights Watch, Le nouveau racisme : La manipulation politique de l’ethnicité en Côte d’Ivoire, vol. 13, n° 6(A), août 2001, http://www.hrw.org/node/78097  ; Human Rights Watch, Prise entre deux guerres : Violence contre les civils dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire, vol. 15, n° 14 (A), août 2003, http://www.hrw.org/fr/reports/2003/08/05/prise-entre-deux-guerres ; International Crisis Group, Côte d’Ivoire: « The War is Not Yet Over », p. 6.

[10] Prenant pour cible Alassane Ouattara, la Constitution dispose désormais : « [l]e candidat à l’élection présidentielle doit […] être ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine. Il doit n’avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne. Il ne doit s’être jamais prévalu d’une autre nationalité. » Constitution de la République de Côte d’Ivoire du 23 juillet 2000, Titre III : Du Président de la République et du gouvernement, article 35. Pour de plus amples informations sur la manipulation du processus référendaire par Robert Guei, voir International Crisis Group, Côte d’Ivoire: « The War is Not Yet Over », p. 7.

[11] Le sentiment général est que les membres de la Cour suprême, dissolue en 1999 à la suite du coup d’État, ont été choisis par Robert Guei. Human Rights Watch, Le nouveau racisme.

[12] Human Rights Watch, Le nouveau racisme.

[13] Human Rights Watch, Prise entre deux guerres ; Human Rights Watch, Le nouveau racisme.

[14] Le matin précédant la tentative de coup d’État, des gendarmes tuent le chef de l’ancienne junte au pouvoir, Robert Gueï, son épouse, ainsi que plusieurs autres personnes présentes dans sa résidence d’Abidjan. International Crisis Group, Côte d’Ivoire:« The War is Not Yet Over », p. 11.

[15] Le Mouvement pour la justice et la paix (MJP) et le Mouvement populaire ivoirien du Grand Ouest (MPIGO).

[16] Human Rights Watch, Prise entre deux guerres ; Human Rights Watch, « Parce qu’ils ont les fusils… il ne me reste rien ». Le prix de l’impunité persistante en Côte d’Ivoire, vol. 18, n° 4 (A), 25 mai 2006, http://www.hrw.org/node/11314. Sur les politiques de Laurent Gbagbo de discrimination à l’encontre des Ivoiriens du Nord et des immigrés, voir International Crisis Group, Côte d’Ivoire: « The War is Not Yet Over », p. 7 et 8.

[17] Human Rights Watch, Prise entre deux guerres ; Human Rights Watch, Government Abuses in Response to Army Revolt, vol. 14, n° 9 (A), 28 novembre 2002 ; « Des centaines de soldats ont investi hier des bidonvilles », Le Jour, 12 décembre 2002, p. 2.

[18] International Crisis Group, Côte d’Ivoire: « The War is Not Yet Over », p. 15 ; Amnesty International, Côte d’Ivoire : A succession of unpunished crimes, 27 février 2003.

[19] Human Rights Watch, Prise entre deux guerres ; Human Rights Watch, Youth, Poverty and Blood: The Lethal Legacy of West Africa’s Regional Warriors, vol. 17, n° 5 (A), avril 2005, http://www.hrw.org/node/11796; International Crisis Group, Côte d’Ivoire: « The War is Not Yet Over », p. 21 à 27.

[20] Human Rights Watch, Prise entre deux guerres ; Human Rights Watch, Child Soldier Use 2003: A Briefing for the 4th UN Security Council Open Debate on Children and Armed Conflict, 29 janvier 2004, http://www.hrw.org/reports/2004/01/16/child-soldier-use-2003; International Crisis Group, Côte d’Ivoire: « The War is Not Yet Over ».

[21] Human Rights Watch, Human Rights Violations in Abidjan during an Opposition Demonstration – March 2004, 14 octobre 2004, http://www.hrw.org/reports/2004/10/14/human-rights-violations-abidjan-during-opposition-demonstration-march-2004 ; voir également Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, « Report of the Commission of Inquiry on the Events Connected with the March Planned for 25 March 2004 in Abidjan », 29 avril 2004 (lequel conclut : « [D]es civils innocents ont été tués de façon indiscriminée et des violations massives des droits de l’homme ont été commises. La marche a servi de prétexte à une opération soigneusement planifiée et exécutée par les forces de sécurité […] sous la direction et la responsabilité des plus hautes autorités de l’État. » La Commission recommande ensuite que des « enquêtes pénales soient menées par un tribunal indépendant dans le but de poursuivre les auteurs de tels crimes […] à savoir, les commandants des unités spéciales liées aux forces de sécurité de Côte d’Ivoire, ainsi que les soi-disant forces parallèles. » Aucune enquête sérieuse ni poursuite n’a été entreprise par les autorités judiciaires de Laurent Gbagbo).

[22] Human Rights Watch, « La meilleure école », La violence estudiantine, l’impunité et la crise en Côte d’Ivoire, 21 mai 2008, http://www.hrw.org/node/62207 ; Human Rights Watch, « Parce qu’ils ont les fusils ... il ne me reste rien. »

[23] Human Rights Watch, Afraid and Forgotten: Lawlessness, Rape, and Impunity in Côte d’Ivoire, 22 octobre 2010, http://www.hrw.org/node/93700 ; Human Rights Watch, « Parce qu’ils ont les fusils ... il ne me reste rien » ; Human Rights Watch, Un pays au bord du gouffre : La précarité des droits humains et de la protection civile en Côte d’Ivoire, 3 mai 2005, http://www.hrw.org/node/11761.

[24] Human Rights Watch, « Mon cœur est coupé : Violences sexuelles commises par les forces rebelles et pro-gouvernementales en Côte d’Ivoire », août 2007, http://www.hrw.org/node/10803 ; Human Rights Watch, Afraid and Forgotten.

[25] Parmi celles-ci, l’accord de Linas-Marcoussis, à l’initiative du Président français, signé en janvier 2003 ; l’accord d’Accra II mis en place par la CEDEAO et signé en mars 2003 ; l’accord d’Accra III mis en place par la CEDEAO et le secrétaire général des Nations Unies signé en juillet 2004 ; et l’accord de Pretoria mis en place par l’Union africaine et signé en avril 2005.

[26] La force Licorne, originellement déployée en Côte d’Ivoire au mois de septembre 2002 pour assurer la sécurité des ressortissants français après la tentative de coup d’État, est rapidement chargée d’observer et contrôler l’application de l’accord de cessez-le-feu entre le gouvernement et les rebelles et de soutenir les efforts de la mission de maintien de la paix. Depuis la signature de l’accord politique de Ouagadougou, la principale mission de la force Licorne est de soutenir la force de l’ONUCI pour veiller à la mise en œuvre de cet accord. La force Licorne a progressivement réduit ses troupes depuis 2004. À la veille des élections présidentielles de 2010, elle comptait environ 900 militaires sur le terrain. République française, ministère de la Défense et des Anciens combattants, « Les forces françaises en Côte d’Ivoire », 7 juillet 2011, http://www.defense.gouv.fr/operations/cote-d-ivoire/dossier/ (document consulté le 27 août 2011).

[27] Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, « Communiqué de la 73ème réunion du Conseil de paix et de sécurité sur la situation en Côte d’Ivoire », PSC/PR/Comm.2 (LXXIII), 19 mars 2007 ; et Conseil de sécurité des Nations Unies, « Situation en Côte d’Ivoire : Déclaration du Président du Conseil de sécurité des Nations Unies ». Doc. S/PRST/2007/8, 28 mars 2007, http://www.un.org/Docs/sc/unsc_pres_statements07.htm (document consulté le 3 septembre 2010).

[28] Voir « Les ‘audiences foraines’ embrasent la Côte d’Ivoire », Le Figaro, 25 juillet 2006 ; Adam Nossiter, « Many in Ivory Coast May Be Left Out From Vote », New York Times, 7 février 2010 ; et Ange Aboa, « Security forces kill protestors in Ivory Coast », Reuters, 19 février 2010.

[29] L’accord de Ouagadougou et son quatrième accord complémentaire signé le 30 décembre 2008 fixent le processus à suivre en vue des élections. Comme conditions préalables, ils exigent le désarmement et la démobilisation des milices et des Forces nouvelles et le redéploiement complet des autorités de l’État dans le Nord, auparavant sous contrôle des Forces nouvelles. Voir accord politique de Ouagadougou, 4 mars 2007 ; quatrième accord complémentaire de l’accord politique de Ouagadougou, 22 décembre 2008. Ces conditions ne sont toujours pas remplies à la mi-2010, Laurent Gbagbo temporisant, et les Forces nouvelles pensant que Gbagbo n’a aucune intention de se retirer.

[30] Division de la communication stratégique du Département des Nations Unies de l’information publique, Élections présidentielles en Côte d’Ivoire : note d’information, 25 novembre 2010.

[31] Reuters, « Timeline: U.N. rejects Gbagbo win in Ivorian poll », 3 décembre 2010.

[32] Associated Press, « Council declares Gbagbo winner of Ivory Coast poll », 3 décembre 2010 ; Archie Bland, « Leader’s backers rip up ‘fraudulent’ Ivory Coast election result », The Independent (Royaume-Uni), 2 décembre 2010.

[33] Y.J. Choi, « Statement on the certification of the result of the second round of the presidential election held on 28 November 2010 », 3 décembre 2010. Voir également Vijay Nambiar, « Dear President Mbeki: The United Nations Helped Save the Ivory Coast », Foreign Policy, 17 août 2010.

[34] Y.J. Choi, « Statement on the Second Round of the Presidential Election Held on 28 November 2010 », 8 décembre 2010.

[35] Union africaine, « Communiqué de la 252ème réunion du Conseil de paix et de sécurité », 9 décembre 2010.

[36] CEDEAO, « Communiqué final de la session extraordinaire de la conférence des chefs d’État et de gouvernement sur la Côte d’Ivoire », 7 décembre 2010.

[37] Scott Stearns, « ECOWAS: S. Africa Undermining Ivory Coast Mediation », VOA News, 9 février 2011.

[38] Union africaine, « Communiqué de la 259ème réunion du Conseil de paix et de sécurité », 28 janvier 2011, point 6.

[39] Peter Heinlein, « African Union Declines Action Against Libya », VOA News, 28 février 2011.

[40] Union africaine, « Communiqué de la 265ème réunion du Conseil de paix et de sécurité », 10 mars 2011.

[41] Scott Stearns, « Aide Says Gbagbo Rejects AU Endorsement of Ouattara as Ivory Coast Leader », VOA News, 11 mars 2011 ; Reuters, « Ivorian rebels say only force can remove Gbagbo », 10 mars 2011 ; Reuters, « Gbagbo camp rejects Ivorian plan and warns of war », 10 mars 2011.

[42] Jennifer Freedman et Olivier Monnier, « Ivory Coast’s Gbagbo Faces Financial ‘Asphyxia’ as Sanctions Begin to Bite », Bloomberg, 21 janvier 2011 ; Reuters, « Government in Ivory Coast Seizes Banks », 17 février 2011.

[43] Entretien accordé à Human Rights Watch par le frère d’une victime tuée par une grenade, Abidjan, 16 janvier 2011.

[44] Principes de base sur le recours à la force et à l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois [ci-après, les principes de base sur le recours à la force], adoptés par le huitième congrès des Nations Unies sur la prévention du crime et la justice pénale, La Havane, du 27 août au 7 septembre 1990, N.U. Doc. A/CONF.144/28/Rev.1 à 112 (1990), articles 4, 5, 9, 10, 12-14 ; Code de conduite des Nations Unies pour les responsables de l’application des lois, adopté le 17 décembre 1979, Rés. A.G 34/169, annexe, 34 N.U. GAOR Supp. (N°. 46) à 186, N.U Doc. A/34/46 (1979), article 3.

[45] Principes de base sur le recours à la force, article 13.

[46] Entretiens accordés à Human Rights Watch par un témoin du massacre, Abidjan, 16 janvier 2011 ; par un responsable de la jeunesse et manifestant, Abidjan, 16 janvier 2011 ; par un manifestant blessé par une grenade, Abidjan, 16 janvier 2011 ; et par un manifestant, Abidjan, 16 janvier 2011.

[47] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des témoins du massacre, Abidjan, 16 janvier 2011 ; par un responsable de la jeunesse manifestant, Abidjan, 16 janvier 2011.

[48] Entretien accordé à Human Rights Watch par le frère du garçon de 14 ans tué par une grenade, Abidjan, 16 janvier 2011.

[49] Entretiens accordés à Human Rights Watch par un témoin de la mort d’un garçon de 12 ans tué par une grenade, Abidjan, 16 janvier 2011 ; par le père d’un garçon de 15 ans tué par une grenade, Abidjan, 16 janvier 2011 ; et par un témoin âgé de 24 ans, Abidjan, 16 janvier 2011.

[50] Entretien accordé à Human Rights Watch par le témoin de tirs de grenade mortels, Abidjan, 16 janvier 2011.

[51] Entretien accordé à Human Rights Watch par un homme de 28 ans blessé par une grenade à fragmentation, Abidjan, 14 janvier 2011.

[52] Entretien accordé à Human Rights Watch par un homme de 26 ans blessé par une grenade à fragmentation, Abidjan, 14 janvier 2011.

[53] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime de 24 ans, Abidjan, 16 janvier 2011.

[54] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime de 29 ans, Abidjan, 16 janvier 2011.

[55] Entretien accordé à Human Rights Watch par le témoin d’un enlèvement âgé de 19 ans, Abidjan, 12 janvier 2011 ; entretien accordé à Human Rights Watch par un voisin de 38 ans témoin d’un enlèvement, Abidjan, 13 janvier 2011.

[56] Entretien accordé à Human Rights Watch par un dirigeant du MFA du quartier d’Abobo, Abidjan, 13 janvier 2011.

[57] Entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin de l’enlèvement, Abidjan, 15 janvier 2011.

[58] Entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin âgé de 48 ans, Abidjan, 15 janvier 2011.

[59] Entretien téléphonique accordé à Human Rights Watch par une victime en fuite dans le nord de la Côte d’Ivoire, 14 janvier 2011.

[60] Entretien téléphonique accordé à Human Rights Watch par une victime en fuite dans le nord de la Côte d’Ivoire, 14 janvier 2011.

[61] Entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin, Abidjan, 15 janvier 2011.

[62] Voir Human Rights Watch, « Côte d’Ivoire : Les forces de sécurité et les milices mènent une campagne de violence organisée », 26 janvier 2011 ; Human Rights Watch, « Côte d’Ivoire : Les forces de Laurent Gbagbo ont commis des crimes contre l’humanité », 15 mars 2011.

[63] Entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin du massacre de la FESCI, Abidjan, 13 janvier 2011.

[64] Entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin âgé de 34 ans, Abidjan, 13 janvier 2011.

[65] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime de viol âgée de 25 ans, Abidjan, 26 janvier 2011.

[66] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime de viol âgée de 25 ans, 17 janvier 2011.

[67] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime de viol âgée de 20 ans, 17 janvier 2011.

[68] Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Côte d’Ivoire Situation Update CIV+5, 24 février 2010 ; UNHCR, Statistiques sur la population ivoirienne au Libéria : 1er décembre 2010 – 21 mars 2011, 21 mars 2011 (recensant 39 784 réfugiés au 24 février 2010, dont 38 248 ayant gagné le comté de Nimba au Libéria).

[69] Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Avis aux médias : Libéria - Les besoins humanitaires augmentent avec l’afflux des réfugiés ivoiriens, 25 décembre 2010.

[70] Entretien accordé à Human Rights Watch par un réfugié ivoirien âgé de 40 ans, Lougauto, Libéria, 29 décembre 2010.

[71] Entretien accordé à Human Rights Watch par un réfugié ivoirien, Kissiplay, Libéria, 29 décembre 2010.

[72] Entretien accordé à Human Rights Watch, Sacleipea, Libéria, 31 décembre 2010.

[73] Entretien accordé à Human Rights Watch par un réfugié de 37 ans, Gborplay, Libéria, 30 décembre 2010.

[74] Entretien accordé à Human Rights Watch par un réfugié de 39 ans, Gborplay, Libéria, 29 décembre 2010.

[75] Entretien accordé à Human Rights Watch par le mari de la victime, Kissiplay, Libéria, 29 décembre 2010.

[76] Entretien accordé à Human Rights Watch par une femme de 36 ans témoin d’un double viol, Kissiplay, Libéria, 29 décembre 2010.

[77] Entretien accordé à Human Rights Watch par une femme de 34 ans d’un village dans lequel les femmes ont été gardées en captivité, Bleimiplay, Libéria, 30 décembre 2010.

[78] International Crisis Group, Côte d’Ivoire :« The War is Not Yet Over » p. 9, 10, 16 (version complète en anglais uniquement). IB était un ancien garde du corps de Ouattara lorsque celui-ci était Premier ministre de 1990-93. John James, « Ibrahim Coulibaly: Ivory Coasts serial coup-plotter », BBC News, 28 avril 2011.

[79] Tanguy Berthemet, « Laurent Gbagbo : Il y a un complot contre moi », Le Figaro, 27 décembre 2010.

[80] Al-Jazeera, « UN warns of Ivorian ‘hate media’ », 11 janvier 2011.

[81]Reporters sans frontières, « Côte d’Ivoire : Nous sommes plongés dans la terreur : les journalistes ivoiriens et étrangers empêchés de travailler librement », 13 janvier 2011.

[82] Nations Unies, Déclaration sur la situation en Côte d’Ivoire, attribuée aux Conseillers spéciaux du Secrétaire général pour la prévention du génocide et pour la responsabilité de protéger, 19 janvier 2011.

[83] Le clip vidéo que l’on pouvait auparavant visionner sur le site Web de RTI a depuis été retiré .

[84] K. K. Maurice, « Ces rats d’égouts… », Le Temps, 9-15 mars 2011.

[85] Marco Chown Oved, Associated Press, « Muslims face growing attacks in Ivory Coast crisis », 25 mars 2011.

[86] Tim Cocks et Loucoumane Coulibaly, «  Gbagbo calls on civilians to join I. Coast struggle  », 18 mars 2011.

[87] AFP , « Blé Goudé appelle ‘tous les jeunes de Côte d’Ivoire’ à s’enrôler dans l’armée dès lundi », 19 mars 2011.

[88] Entretien accordé à Human Rights Watch par un commerçant malien , Abidjan, 8 mars 2011.

[89] Entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin de 29  ans, 9 mars 2011.

[90] Entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin de 38 ans, 5 mars 2011.

[91] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime de 21 ans, 8 mars 2011.

[92] Entretien accordé à Human Rights Watch par un commerçant malien, 7 mars 2011.

[93] Entretiens accordés à Human Rights Watch par un Malien de 43 ans , Abidjan, 8 mars 2011  ; et par un Malien de 51 ans, Abidjan, 8 mars 2011. Des événements similaires se sont déroulés à Yopougon. Plusieurs commerçants maliens et nigérians ont décrit comment les 4 et 8 mars, des bandes d’environ 150 jeunes armés de machettes et de haches scandaient « Tuer, brûler, tuer, brûler, vous devez tous partir » alors qu’ils faisaient irruption et pillaient les étalages de nombreux marchands ouest-africains à Yopougon—en menaçant les commerçants de mort s’ils continuaient d’y exercer leurs activités . Un Nigérian blessé par un coup de machette lors de l’attaque a déclaré qu’on lui avait dit : « SiJonathan[le Président nigérian]veut amener l’ECOMOG[la force militaire de la CEDEAO] ici, nous vous tuerons tous  ! » Entretien accordé à Human Rights Watch par un Nigérian déplacé de Yopougon, Abidjan, 9 mars 2011.

[94] Entretien accordé à Human Rights Watch par un Malien déplacé par des miliciens , Abidjan, 8 mars 2011.

[95] Entretien accordé à Human Rights Watch par un commerçant n ig é rian, Abidjan, 10 mars 2011.

[96] Le terme «  Dioula  » signifie en réalité « commerçant » en sénoufo . Il désigne également un petit groupe ethnique du nord-est de la Côte d’Ivoire  ; cependant, il sert surtout à désigner des personnes de différentes origines ethniques du nord de la Côte d’Ivoire qui ne sont en fait pas de l’ethnie Dioula mais qui parlent souvent une forme familière de cette langue . La langue Dioula est désormais largement usitée par de nombreux Ivoiriens lors de négociations commerciales, notamment dans la culture ivoirienne des marchés, dominée par les gens du Nord et les immigrés .

[97] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime de 36 ans, Abidjan, 5 mars 2011.

[98] L’épouse d’Alassane Ouattara, le Premier ministre Soro et Chérif Ousmane, l’un des commandants les plus hauts gradés des Forces républicaines, sont, par exemple, tous catholiques. Le parti politique PDCI, qui s’est rallié au RDR de Ouattara afin de former la coalition politique RHDP, est également essentiellement composé de catholiques issus du groupe ethnique des Baoulés.

[99] Laurent Gbagbo et sa femme Simone sont souvent décrits comme des chrétiens évangéliques « nés de nouveau » et Simone a à plusieurs reprises fait des allusions explicites et implicites au fait que la présence de Gbagbo en tant que chef du pays était le résultat d’une volonté divine. Voir Kim Wilshner, « Gbagbo’s Iron Lady », The Guardian, 7 avril 2011 ; Selay Marius Kouassi, « Ivory Coast: Gbagbo and False Prophets », Africanews, 27 avril 2011 ; Christophe Boltanski, « Digging In: Inside Laurent Gbagbo’s Last Stand in the Ivory Coast », Le Nouvel Observateur / Worldcrunch, 7-13 avril 2011.

[100] Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (Statut de Rome), A/CONF/183/9, 17 juillet 1998, est entré en vigueur le 1er juillet 2002, art. 8(b)(ix) ; CICR, Droit i nternational humanitaire coutumier, mars 2005, Règles 27, 30.

[101] Entretiens accordés à Human Rights Watch par un assistant imam d’une des mosquées attaquées à Abobo, Abidjan, 16 janvier 2011 ; par un homme de 37 ans, Abidjan, 16 janvier 2011 ; par l’imam d’une des mosquées attaquées à Abobo, Abidjan, 16 janvier 2011. Voir également Imam Sékou Sylla, « Attaque des mosquées d’Abobo et de Bassam par des hommes en uniforme : le communiqué du Conseil supérieur des Imams », 18 décembre 2010, http://news.abidjan.net/h/383849.html (document consulté le 27 août 2011).

[102] Entretien accordé à Human Rights Watch par un homme de 37  ans , Abidjan, 16 janvier 2011.

[103] Marco Chown Oved, Associated Press, « Muslims face growing attacks in Ivory Coast crisis », 25 mars 2011.

[104] Entretiens accordés à Human Rights Watch par l’imam de la mosquée , Abidjan, 5 mars 2011.

[105] Entretiens accordés à Human Rights Watch par l’imam de la mosquée , Abidjan, 5 mars 2011  ; par le gardien de la mosquée , Abidjan, 5 mars 2011  ; et par un fidèle de la mosquée , Abidjan, 5 mars 2011.

[106] Entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin de 42  ans , Abidjan, 7 mars 2011.

[107] Entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin de 28  ans , Abidjan, 7 mars 2011.

[108] Entretiens accordés à Human Rights Watch par un témoin de 42  ans , Abidjan, 7 mars 2011  ; par un témoin de 32  ans , Abidjan, 7 mars 2011  ; et par un témoin de 26  ans , Abidjan, 7 mars 2011.

[109] Entretien téléphonique accordé à Human Rights Watch par un résident et témoin de Bloléquin, 2 avril 2011.

[110] D. Konate, « Bloléquin – Les miliciens de Gbagbo tuent l’imam et son fils », Le Patriote, 11 mars 2011 ; « Le COSIM aux Musulmans : ‘Ne tombez pas dans le piège’ », Le Patriote, 18 mars 2011.

[111] Entretien accordé à Human Rights Watch par un réfugié ivoirien , Zwedru, Lib é ria, 4 avril 2011.

[112] Communiqué du Conseil supérieur des Imams, 30 mars 2011, http://www.cosim-ci.org/spip.php?article101 (document consulté le 27 août 2011) .

[113] Marco Chown Oved, Associated Press, « Muslims face growing attacks in Ivory Coast crisis », 25 mars 2011 ; M. Tié Traoré, « Décès de l’Imam Diabaté Moussa – Sa famille et le Cosim dénoncent un ‘assassinat’ », L’Intelligent d’Abidjan, 16 mars 2011.

[114] « Le COSIM aux Musulmans : ‘Ne tombez pas dans le piège’ », Le Patriote, 18 mars 2011 ; entretien accordé à Human Rights Watch par un imam à Koumassi, Abidjan, 7 mars 2011.

[115] Entretien accordé à Human Rights Watch par un homme réfugié dans l’église , Abidjan, 24 mai 2011. Cet homme raconte que les Forces républicaines ont lancé des armes lourdes, détruisant un des murs de l’église .

[116] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime de viol de 30 ans, Abidjan, 9 mars 2011.

[117] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime de viol et fille d’un activiste politique porté disparu, Abidjan, 9 mars 2011.

[118] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime de viol de 34  ans , Abidjan, 9 mars 2011.

[119] Entretien accordé à Human Rights Watch par l’épouse d’une victime , Abidjan, 5 mars 2011.

[120] Entretiens accordés à Human Rights Watch par un manifestant de 30 ans , Abidjan, 4 mars 2011  ; par un manifestant de 29 ans, Abidjan, 4 mars 2011  ; et par un manifestant de 27  ans, Abidjan, 5 mars 2011.

[121] Entretien accordé à Human Rights Watch par un manifestant de 29  ans , Abidjan, 4 mars 2011.

[122] Entretien accordé à Human Rights Watch par un manifestant de 24  ans , Abidjan, 5 mars 2011.

[123] Entretiens accordés à Human Rights Watch par un témoin de 26  ans , Abidjan, 7 mars 2011  ; par un témoin de 31  ans , Abidjan, 7 mars 2011  ; et par un témoin de 27  ans , Abidjan, 6 mars 2011.

[124] Entretien accordé à Human Rights Watch par un professionnel de santé de l’hôpital d’Abobo Sud, Abidjan, 9 mars 2011.

[125] Entretiens accordés à Human Rights Watch par un professionnel de santé de l’hôpital d’Abobo Sud, Abidjan, 9 mars 2011; par un témoin de 26 ans, Abidjan, 7 mars 2011; et par un témoin de 31 ans, Abidjan, 7 mars 2011.

[126] Entretien accordé à Human Rights Watch par un professionnel de santé de l’hôpital d’ Abobo Sud, Abidjan, 9 mars 2011.

[127] Entretien accordé à Human Rights Watch par un professionnel de santé de l’hôpital d’Abobo Sud, Abidjan, 9 mars 2011.

[128] AP, « Ivory Coast warlord Ibrahim Coulibaly killed », 28 avril 2011 ; John James, « Ibrahim Coulibaly: Ivory Coast's serial coup-plotter », BBC News, 28 avril 2011 ; Damien Glez,«IB, l’homme invisible d'Abidjan», SlateAfrique, 1er;avril 2011.

[129] Entretiens accordés à Human Rights Watch par une victime de 28 ans, Abidjan, 10 mars 2011 ; par un témoin de 40 ans, Abidjan, 10 mars 2011 ; et par un combattant du Commando invisible, Abidjan, 8 mars 2011.

[130] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime de 28 ans, Abidjan, 10 mars 2011.

[131] Entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin de 40 ans, Abidjan, 10 mars 2011.

[132] Entretien accordé à Human Rights Watch par un ancien résident d’ Abobo, Abidjan, 9 mars 2011.

[133] Ivoire-Presse, « Violation des droits de l`Homme dans la commune d’Abobo: la Déclaration 160311 des Forces nouvelles », 16 mars 2011, http://news.abidjan.net/h/394426.html (document consulté le 27 août 2011).

[134] Entretien accordé à Human Rights Watch par un combattant du Commando invisible, Abidjan, 8 mars 2011.

[135] Le témoin a évoqué les assaillants en les appelant « Forces nouvelles », mais Human Rights Watch n’a pas été en mesure de déterminer dans ce cas précis si les auteurs étaient des soldats du Commando invisible d’IB Coulibaly ou des combattants des Forces nouvelles fidèles à Soro.

[136] Entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin de 30 ans, Abidjan, 9 mars 2011.

[137] Entretiens accordés à Human Rights Watch par un combattant du Commando invisible, Abidjan, 8 mars 2011 ; par un témoin et habitant d’Abobo, Abidjan, 9 mars 2011 ; et par un habitant d’Abobo, 8 mars 2011.

[138] Pour en savoir plus sur le rôle des mercenaires libériens lors du premier conflit armé ivoirien, consultez les rapports « Youth, Poverty and Blood » et « Prise entre deux guerres » rédigés par Human Rights Watch ; et Côte d’Ivoire : « The War is Not Yet Over », p. 21 à 27, rédigé par International Crisis Group.

[139] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des chefs d’un ancien groupe de combattants, Monrovia, Libéria, 28 mars 2011 ; par un mercenaire de 32 ans, Toe Town, Libéria, 1er avril 2011 ; et par un mercenaire de 29 ans, Toe Town, Libéria, 1er avril 2011. Lire également Tamasin Ford et Rachel Stevenson, « Ivory Coast rebels have killed hundreds, say observers »,The Guardian (Royaume-Uni), 9 avril 2011 ; Emily Schmall et Mae Azango, « Liberian mercenaries detail their rampages in western Ivory Coast », Christian Science Monitor, 10 avril 2011.

[140] Selon une loi votée en 1998 relative aux terres agricoles, quiconque souhaitant acquérir des terres devait être citoyen ivoirien, privant ainsi de ce droit les immigrés et parfois les Ivoiriens du Nord qui ne pouvaient faire établir leur citoyenneté. International Crisis Group, Côte d’Ivoire: «The War is Not Yet Over », p. 7. Pour obtenir un rapport détaillé sur la loi de 1998 et sur les problèmes liés au droit de propriété des terres plus généralement, consultez Norwegian Refugee Council, « Whose land is this?: Land disputes and forced displacement in the western forest area of Côte d’Ivoire », octobre 2009.

[141] Entretien téléphonique accordé à Human Rights Watch par un témoin de 36 ans, Man, 30 mars 2011.

[142] Entretien téléphonique accordé à Human Rights Watch par un témoin de 18 ans, Man, 29 mars 2011.

[143] Entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin de 28 ans, Man, 29 mars 2011.

[144] Entretien téléphonique accordé à Human Rights Watch par un témoin de 34 ans, Man, 30 mars 2011.

[145] Entretien accordé à Human Rights Watch par un réfugié ivoirien de 28 ans, Janzon, Libéria, 2 avril 2011.

[146] Entretien téléphonique accordé à Human Rights Watch par un témoin de 42 ans à Bloléquin, 3 avril 2011.

[147] Entretiens téléphoniques accordés à Human Rights Watch par un immigré burkinabé de 35 ans à Guiglo, 3 avril 2011 ; et par un immigré nigérien de 31 ans à Guiglo, 4 avril 2011.

[148] Entretien téléphonique accordé à Human Rights Watch par un immigré malien de 32 ans à Guiglo, 3 avril 2011.

[149] Entretien téléphonique accordé à Human Rights Watch par un témoin et résident de Bloléquin, 16 mars 2011.

[150] Entretiens accordés à Human Rights Watch par un réfugié ivoirien de 28 ans, Janzon, Libéria, 2 avril 2011; par un réfugié ivoirien de 24 ans, Garley Town, Libéria, 4 avril 2011; par un réfugié de 31 ans, Garley Town, Libéria, 4 avril 2011; entretien téléphonique accordé par un témoin de 28 ans à Bédi-Goazon, Man, 29 mars 2011.

[151] Entretien accordé à Human Rights Watch par un réfugié ivoirien de 28 ans, Janzon, Libéria, 2 avril 2011. Ziglo est le village de Marcel Gossio, allié de Laurent Gbagbo et ancien directeur général du port d’Abidjan, et qui, selon des résidents de l’ouest de la Côte d’Ivoire entendus par Human Watch Rights, aurait soutenu financièrement les mercenaires. La commission d’enquête internationale a également identifié Marcel Gossio comme ayant contribué au financement des groupes de miliciens pro-Gbagbo. Rapport de la commission d’enquête internationale indépendante sur la Côte d’Ivoire [ci-après « Rapport 2011 de la CEI »], Doc. A/HRC/17/48, 7 juin 2011, point 25.

[152] Rukmini Callimachi, Associated Press, « Police hold top Liberia mercenary ‘Bob Marley’ accused in Ivory Coast massacres », 14 juin 2011.

[153] Ibid.

[154] Entretien téléphonique accordé à Human Rights Watch par un témoin de 39 ans, Abidjan, 6 juillet 2011 ; entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin de 47 ans, Abidjan, 30 juillet 2011.

[155] Entretien accordé à Human Rights Watch par une personne de 47 ans blessée par un tir d’obus, 30 juillet 2011 ; et par une personne de 49 ans blessée par un tir d’obus, 30 juillet 2011.

[156] Entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin de 50 ans, Abidjan, 30 juillet 2011 ; par un témoin de 42 ans, Abidjan, 30 juillet 2011 ; et par un témoin de 47 ans, Abidjan, 30 juillet 2011.

[157] Entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin de 50 ans, Abidjan, 30 juillet 2011

[158] Entretien téléphonique accordé à Human Rights Watch par un témoin de 39 ans, Abidjan, 5 juillet 2011 ; entretiens accordés à Human Rights Watch par un témoin de 64 ans , Abidjan, 30 juillet 2011 ; par un témoin de 42 ans, Abidjan, 30 juillet 2011; et par un témoin de 47 ans, Abidjan, 30 juillet 2011.

[159] Associated Press, « UN Condemns Mortar Attack On Ivory Coast Market”, 18 mars 2011 ; « Ivory Coast crisis: ‘Deadly shelling’ in Abidjan », BBC News, 17 mars 2011.

[160] Entretiens accordés à Human Rights Watch par un témoin de 42 ans, Abidjan, 17 mai 2011; par un témoin de 64 ans, Abidjan, 30 juillet 2011 ; et par un témoin de 51 ans, Abidjan, 30 juillet 2011.

[161] Rapport 2011de la CEI,point 53.

[162] Résolution 1975 du Conseil de sécurité des Nations Unies, 30 mars 2011, Doc. SC/10215, point 6.

[163] Rapport du Conseil de sécurité des Nations Unies, rapport périodique N° 3: Côte d’Ivoire, 20 avril 2011 ; AFP, « French and U.N. forces attack Laurent Gbagbo’s bases after urgent request from Ban Ki-moon », 4 avril 2011 ; AFP, « Gbagbo cornered as battles rage in Ivory Coast city of Abidjan », 5 avril 2011.

[164] Reuters, « UN, French attack Gbagbo heavy weapons in I. Coast », 11 avril 2011 ; Marco Chown Oved, Associated Press, « UN, French fire on Gbagbo residence in Ivory Coast », 11 avril 2011.

[165] Marco Chown Oved, Associated Press, « More of Gbagbo’s arsenal found », 14 avril 2011.

[166] Entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin de 52 ans ayant assisté à des meurtres commis par des miliciens, Abidjan, 24 mars 2011.

[167] Entretien téléphonique accordé à Human Rights Watch par un témoin ayant assisté à des meurtres, Abidjan, 30 mars 2011.

[168] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime et témoin de deux meurtres, Abidjan, 24 mars 2011.

[169] Entretien téléphonique accordé à Human Rights Watch par un témoin d’un meurtre, Abidjan, 30 mars 2011.

[170] Entretien téléphonique accordé à Human Rights Watch par un témoin de 40 ans ayant assisté à six meurtres, Abidjan, 30 mars 2011.

[171] Entretiens accordés à Human Rights Watch par une personne de 52 ans ayant découvert un charnier de 10 corps, victimes de miliciens, près du Bloco Beach Hotel, qui servait de base à la milice, Abidjan, 17 mai 2011 ; par un chef de quartier d’une communauté burkinabé, Abidjan, 17 mai 2011 ; par un témoin de 26 ans ayant assisté à deux meurtres commis par la milice, Abidjan, 14 mai 2011 ; et par un témoin de 34 ans ayant assisté à deux meurtres, Abidjan, 14 mai 2011.

[172] Entretien accordé à Human Rights Watch par un résident de Port-Bouët de 29 ans , Abidjan, 17 mai 2011.

[173] Entretien accordé à Human Rights Watch par un résident de Koumassi de 33 ans , Abidjan, 17 mai 2011.

[174] Entretien accordé à Human Rights Watch par un résident de Koumassi de 24 ans , Abidj an, 17 mai 2011.

[175] Entretiens accordés à Human Rights Watch par un homme de 34 ans contraint par la milice d’enterrer les victimes , Abidjan, 15 mai 2011 ; et par un homme de 49 ans qui a participé à l’enfouissement de 18 cadavres dans une même tombe , Abidjan, 15 mai 2011.

[176] Entretien accordé à Human Rights Watch par un homme de 26 ans , Abidjan, 14 mai 2011.

[177] Entretien accordé à Human Rights Watch par le père des victimes, âgé de 65 ans , Abidjan, 14 mai 2011.

[178] Entretiens accordés à Human Rights Watch par un résident de 25 ans qui a participé à l’enterrement , 14 mai 2011; et par un résident de 58 ans qui a participé à l’enterrement, 14 mai 2011.

[179] Entretiens accordés à Human Rights Watch par une personne de 30 ans qui a participé aux enterrements , Abidjan, 14 mai 2011 ; et par une personne de 32 ans qui a participé aux enterrements , Abidjan, 14 mai 2011.

[180] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime de viol de 23 ans , Abidjan, 14 mai 2011.

[181] Entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin de 38 ans, frère d’une victime , 20 mai 2011.

[182] Entretiens accordés à Human Rights Watch par un résident de Locodjoro de 27 ans qui a fui l’attaque , 23 mai 2011 ; par le frère de 42 ans d’un Malien exécuté , 24 mai 2011 ; et par un témoin de 31 ans ayant assisté à l’attaque , 24 mai 2011.

[183] Entretiens accordés à Human Rights Watch par un résident de Yopougon de 46 ans, Abidjan, 24 mai 2011 ; et par un résident de Yopougon de 45 ans , Abidjan, 24 mai 2011.

[184] Entretiens accordés à Human Rights Watch par un résident de Yopougon de 46 ans , Abidjan, 24 mai 2011 ; et par un résident de Yopougon de 27 ans , Abidjan, 24 mai 2011.

[185] Entretiens accordés à Human Rights Watch par un résident de Yopougon de 46 ans , Abidjan, 24 mai 2011 ; et par un résident de Yopougon de 38 ans .

[186] Reuters, « Ivory Coast’s Ouattara Says Rebels are Legitimate Army », 18 mars 2011.

[187] Bien que baptisées « Forces républicaines » en date du 17 mars seulement, ce rapport, par souci de cohérence, fera référence aux forces armées en ces termes lorsque l’offensive militaire sera évoquée. Les soldats qui composaient les Forces nouvelles et qui ont pris le contrôle de Zouan-Hounien le 25 février étaient majoritairement les mêmes que ceux qui ont pris Doké, Bloléquin et d’autres villes une fois les Forces républicaines créées.

[188] Rahoul Sainfort, « Toulepleu, Zouan Hounien, Bin Houyé - Soro dans les ruines de la région Ouest », Le Patriote, 23 mars 2011.

[189] Entretien accordé à Human Rights Watch par un réfugié ivoirien de 26 ans au Libéria, originaire de Bloléquin, Janzon, Libéria, 4 avril 2011 ; et entretien téléphonique avec un homme de 34 ans à Bloléquin, 5 avril 2011 ; Kindo Ousseny, « Portrait: Le capitaine Eddie Medi / L’officier qui a chassé les mercenaires de Gbagbo l’Ouest », Nord-Sud, 17 mars 2011.

[190] Rapport de la CEI, 2011, point 65.

[191] Lors des entretiens, les victimes et témoins ont utilisé différents termes pour désigner les forces armées régulières d’Alassane Ouattara, notamment les « rebelles », les « Forces nouvelles » (ou FN), les « FAFN » (Forces armées des Forces nouvelles) et les « Forces républicaines de Côte d'Ivoire » (FRCI) .

[192] Entretien accordé à Human Rights Watch par un réfugié ivoirien de 57 ans , Toe Town, Libé ria, 31 mars 2011.

[193] Entretien accordé à Human Rights Watch par un réfugié ivoirien de 23 ans , Toe Town, Libé ria, 1er avril 2011.

[194] Entretien accordé à Human Rights Watch par un réfugié ivoirien de 25 ans , Zleh Town, Libé ria, 31 mars 2011.

[195] Entretiens accordés à Human Rights Watch par un réfugié ivoirien de 22 ans, Toe Town, Libé ria, 1er avril 2011 ; par un réfugié ivoirien de 31 ans , Janszon, Libé ria, 2 avril 2011 ; par un réfugié ivoirien de 62 ans , Zwedru, 3 avril 2011 ; et par un réfugié ivoirien de 58 ans , Garley Town, 3 avril 2011.

[196] Entretien accordé à Human Rights Watch par un réfugié ivoirien de 47 ans, Janzon, Libéria, 2 avril 2011.

[197] Entretiens accordés à Human Rights Watch par un réfugié ivoirien de 52 ans, Toe Town, Libéria, 31 mars 2011 ; par un réfugié ivoirien de 58 ans, Bah Town, Libéria, 31 mars 2011 ; par un réfugié ivoirien de 31 ans, Zleh Town, 1er avril 2011 ; et par un réfugié de 46 ans, Toe Town, Libéria, 31 mars 2011.

[198] Entretien accordé à Human Rights Watch par un réfugié ivoirien de 21 ans , Toe Town, Libé ria, 1er av ril 2011.

[199] Entretien accordé à Human Rights Watch par une réfugiée ivoirienne de 67 ans , Zwedru, Libé ria, 3 av ril 2011.

[200] Entretien accordé à Human Rights Watch par un réfugié ivoirien de 84 ans , Tuzohn, Libé ria, 4 avril 2011.

[201] Entretien accordé à Human Rights Watch par un réfugié ivoirien de 84 ans , Tuzohn, Libé ria, 4 avril 2011.

[202] Entretien accordé à Human Rights Watch par une réfugiée ivoirienne de 31 ans , Toe Town, Libé ria, 1er avril 2011.

[203] Entretien accordé à Human Rights Watch par une réfugiée ivoirienne de 25 ans , Toe Town, Libé ria, 1er avril 2011.

[204] Entretien accordé à Human Rights Watch par un réfugié ivoirien de 32 ans, Janzon, Libéria, 2 avril 2011.

[205] Entretien accordé à Human Rights Watch avec une personne ivoirienne de 26 ans réfugiée au Libéria, originaire de Bloléquin, Janzon, Libéria, 4 avril 2011 ; et entretien téléphonique avec une personne de 34 ans à Bloléquin, 5 avril 2011 ; Kindo Ousseny, « Portrait: Le capitaine Eddie Medi / L’officier qui a chassé les mercenaires de Gbagbo l’Ouest », Nord-Sud, 17 mars 2011.

[206] Kindo Ousseny, « Portrait: Le capitaine Eddie Medi », Nord-Sud, 17 mars 2011 ; « Après Toulepleu, Bloléquin : Les FRCI avancent... », La voix du golf, 22 mars 2011, http://www.stpci.net/regionale.php?id=20 (document consulté le 27 août 2011).

[207] Kindo Ousseny, « Portrait: Le capitaine Eddie Medi », Nord-Sud, 17 mars 2011.

[208] Rukmini Callimachi, Associated Press, « War over but massacres continue in Ivory Coast », 23 juillet 2011.

[209] Kindo Ousseny, « Portrait: Le capitaine Eddie Medi », Nord-Sud, 17 mars 2011.

[210] Human Rights Watch, Prise entre deux guerres , p. 40.

[211] Human Rights Watch, Prise entre deux guerres , p. 41. Le rapport du Département d’État des États-Unis de 2003 sur les droits humains en Côte d’Ivoire fait également état des meurtres commis par les groupes rebelles, notamment le MJP, à Bangolo en mai 2003, et de la découverte de charniers à Bangolo en septembre . Le rapport note également qu’à Zérégbo et Bahably, deux villages rattachés à Bangolo, quatre puits ont été découverts remplis de restes humains—citant « des rapports initiaux [qui ] avaient indiqué que les groupes rebelles de l’Ouest qui avaient pris le contrôle de la zone avaient tué les personnes dont les cadavres ont été découverts dans les charniers et les puits entre décembre 2002 et janvier 2003 ». Département d’État des États-Unis, Bureau de la démocratie, des droits de l’homme et du travail , « Côte d’Ivoire, 2003 », 25 février 2004. Tous ces crimes ont été commis à un moment où, selon le major général de Médi et Médi lui-même , Médi était le commandant .

[212] International Crisis Group, Côte d’Ivoire :«The War is Not Yet Over », p. 26, note de bas de page 128.

[213] Kindo Ousseny, « Portrait: Le capitaine Eddie Medi », Nord-Sud, 17 mars 2011.

[214] Sylvain Doua Gouly, « Côte d’Ivoire: Capitaine Eddy Medy (COMJP Bangolo): ‘La confiance renaît entre la population et nous’ », Fraternité-Matin, 8 juin 2004.

[215] Département d’État des États-Unis, « 2009 Human Rights Report, Côte d’Ivoire », 11 mars 2010.

[216] International Crisis Group, Côte d’Ivoire: « The War is Not Yet Over », p. 18-21, 51.

[217]Human Rights Watch, « Prise entre deux guerres », p. 26-28 (soulignant qu’après avoir repris Man aux forces de Laurent Gbagbo le 19 décembre 2002, les forces, notamment le MJP d’Ousmane Coulibaly, « avaient particulièrement pris pour cible les civils, souvent des membres des comités d’autodéfense, qui avaient collaboré avec les forces du gouvernement dans le ciblage des civils » et avaient pris des femmes « pour épouses » en leur faisant subir des violences sexuelles répétées).

[218]International Crisis Group, Côte d’Ivoire: « The War is Not Yet Over », p. 25-26. ICG souligne qu’après des attaques répétées des civils par les mercenaires libériens, Coulibaly a été accusé de « nettoyage » entre février et avril 2003, avec notamment la poussée des mercenaires libériens vers la frontière. Ibid., p. 24. Un rapport du département d’État des États-Unis rédigé en 2004 cite également Coulibaly dans ce rôle, affirmant : « Le 8 mai, Ousmane Coulibaly, commandant militaire du MJP à Man, a déclaré à la presse que 140 Libériens étaient détenus ‘pour leur propre protection’ ». Le rapport souligne également cependant qu’« en avril, plusieurs sources indiquaient que les combats entre les rebelles de l’Ouest, le MPIGO, le MJP et leurs alliés libériens/sierra-léonais avaient abouti à l’exécution de plus de 50 mercenaires libériens dans la région de l’Ouest. Un journaliste de la BBC a déclaré avoir vu les cadavres de combattants libériens avec les mains liées et parfois le visage et les orteils mutilés ». Département d’État des États-Unis, Bureau de la démocratie, des droits de l’homme et du travail, « Côte d’Ivoire, 2003 », 25 février 2004.

[219] Le Conseil de sécurité des Nations Unies n’a jamais rendu le rapport public, mais ce dernier a été divulgué et est maintenant consultable. Selon la conclusion 28, Man serait l’une des nombreuses villes où un certain nombre de crimes particulièrement graves comme des meurtres, tortures et viols ont été commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre des populations civiles. Ces actes sont constitutifs de crimes contre l’humanité.

[220] Amnesty International, Côte d’Ivoire: Les Femmes, Victimes Oubliées du Conflit, janvier 2007 (« [L]es femmes vivant dans l’ouest du pays ont été systématiquement attaquées à la fois par des milices progouvernementales et des groupes d’opposition armés, tels que le MJP et le MPIGO. […] [qui] ont eu recours à la violence sexuelle à l'encontre des femmes afin de terroriser les populations civiles et de leur extorquer de l'argent, réduisant les femmes à l’esclavage sexuel. ») ; Amnesty International, « Côte d’Ivoire : Nul endroit où fuir », 24 juin 2003 (documentant les atrocités commises par le MJP à l’encontre des réfugiés libériens dans l’extrême ouest).

[221] Voir International Crisis Group, Côte d’Ivoire: « The War is Not Yet Over », p. 24-26 ; Département d’État des États-Unis, Bureau de la démocratie, des droits de l’homme et du travail, « Côte d’Ivoire, 2003 » 25 février 2004.

[222] Rapport de la CEI 2011, points 29, 64.

[223] Amnesty International : « Ils ont regardé sa carte d’identité et l’ont abattu. Retour sur six mois de violence post-électorale en Côte d’Ivoire », mai 2011, p. 37-42.

[224] FIDH, « Côte d’Ivoire: Massacre à Duékoué et graves exactions commises contre la population civile dans tout le pays », 2 avril 2011.

[225] Pour obtenir un exposé sur les Dozos, lire Joseph Hellweg, « Hunting the Ethical State: The Benkadi Movement of Côte d’Ivoire », 2011. Pour en savoir plus sur les exactions de mai et juin 2011 commises par les Dozos et les Forces républicaines, travaillant souvent de concert dans l’extrême ouest, voir Amnesty International , « Nous voulons rentrer chez nous, mais nous ne pouvons pas . Insécurité et personnes déplacées en Côte d’Ivoire : une crise persistante » , 28 juillet 2011, p. 18-25.

[226] Entretien téléphonique accordé à Human Rights Watch par un témoin , Duékoué, 2 avril 2011.

[227] Entretien téléphonique accordé à Human Rights Watch par une victime, Duékoué , 3 avril 2011.

[228] Entretien téléphonique accordé à Human Rights Watch par un pasteur, Duékoué, 3 avril 2011.

[229] AFP, « Côte d`Ivoire: 8 personnes tuées par les forces pro-Ouattara (ONU) », 23 juin 2011 ; « Côte d’Ivoire: l’ONU dénonce la multiplication des violences des forces de Ouattara », Le Monde, 9 juillet 2011.

[230] AFP, « 26 Ivory Coast executions in four weeks: UN », 11 août 2011.

[231] Entretien accordé à Human Rights Watch par une victime de viol de 34 ans , Abidjan, 20 mai 2011.

[232] Entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin de 46 ans , Abidjan, 24 mai 2011.

[233] Entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin de 53 ans , Abidjan, 24 mai 2011.

[234] Entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin de 25 ans, Abidjan, 20 mai 2011.

[235] Entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin de 46 ans, Abidjan, 24 mai 2011.

[236] Entretien accordé à Human Rights Watch par un membre des Forces républicaines, Abidjan, 23 mai 2011.

[237] Entretiens accordés à Human Rights Watch, Abidjan, mai et juillet 2011. Voir également « Commandant Ousmane Coulibaly (Chef de la sécurité à Yopougon) : L’ère des miliciens est révolue », Le Patriote, 9 juin 2011 ; « Ousmane Coulibaly : ‘Nous contrôlerons Yopougon dans 48 heures’ », France 24, 15 avril 2011.

[238] Entretien accordé à Human Rights Watch par le commissaire Lezou, Abidjan, 25 mai 2011.

[239] Entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin de 25 ans, Abidjan, 24 mai 2011.

[240] Entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin 42 ans , Abidjan, 24 mai 2011.

[241] Entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin de 31 ans, Abidjan, 22 mai 2011.

[242] Entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin de 34 ans , Abidjan, 20 mai 2011.

[243] Entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin de 26 ans , Abidjan, 20 mai 2011.

[244] Entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin de 38 ans , Abidjan, 22 mai 2011.

[245] Entretien accordé à Human Rights Watch par un soldat de la compagnie Guépard de Chérif Ousmane, Abidjan, 23 mai 2011.

[246] Entretiens accordés à Human Rights Watch par un ancien détenu de 25 ans au 16ème arrondissement , Abidjan, 20 mai 2011; et par un ancient détenu de 27 ans au 16ème arrondissement, Abidjan, 22 mai 2011.

[247] Entretien accordé à Human Rights Watch par un ancien détenu de 25 ans au 16ème arrondissement , Abidjan, 20 mai 2011.

[248] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des jeunes du RHDP ayant capturé un supposé milicien, Abidjan, 16 mai 2011.

[249] Entretien accordé à Human Rights Watch par un jeune du RHDP ayant capturé un supposé milicien , Abidjan, 16 mai 2011.

[250] Entretien accordé à Human Rights Watch par le commissaire Lezou, Abidjan, 25 mai 2011.

[251] Entretien accordé à Human Rights Watch par un ancien détenu au 37 ème arrondissement , Abidjan, 20 mai 2011 ; par un ancien détenu au 37 ème arrondissement , Abidjan, 22 mai 2011 ; et par un voisin qui vivait à côté de la station , Abidjan, 22 mai 2011.

[252] Entretien accordé à Human Rights Watch par un homme de 65 ans, Abidjan, 14 mai 2011. Human Rights Watch a documenté six meurtres perpétrés début mars par Andy et Constant qui ciblaient des groupes pro-Ouattara, ainsi qu’un viol collectif épouvantable et le meurtre d’une femme de 18 ans . Entretien accordé à Human Rights Watch par un témoin des meurtres et du viol , Abidjan, 24 mai 2011.

[253] Entretien accordé à Human Rights Watch par un homme de 65 ans , Abidjan, 14 mai 2011.

[254] Entretiens accordés à Human Rights Watch par un homme de 57 ans , Abidjan, 20 mai 2011 ; et par un homme de 45 ans , Abidjan, 14 mai 2011.

[255] Entretien accordé à Human Rights Watch par un homme de 65 ans , Abidjan, 14 mai 2011.

[256] Entretien accordé à Human Rights Watch par un jeune du RHDP de Koumassi, Abidjan, 17 mai 2011.

[257] Entretien accordé à Human Rights Watch par un étudiant universitaire de 24 ans, Abidjan, 15 mai 2011.

[258] Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels , inhumains ou dégradants (Convention contre la torture), rés. A. G. 39/46, U.N. Doc. A/39/51 (1984), entrée en vigueur le 26 juin 1987, adhésion de la Côte d’Ivoire le 18 décembre 1995.

[259] Entretien accordé à Human Rights Watch par un homme de 20 ans , Abidjan, 22 mai 2011.

[260] Entretien accordé à Human Rights Watch par un homme de 29 ans , Abidjan, 22 mai 2011.

[261] Article 7 du Statut de Rome.

[262] Article 8 du Statut de Rome.

[263] Article 28 du Statut de Rome.

[264] AFP, « Côte d`Ivoire: l`ex-président Gbagbo inculpé de “crimes économiques” (parquet) », 18 août 2011 ; Monica Mark, « Former Ivory Coast president charged in violent aftermath of elections », CNN, 19 août 2011.

[265] « Ivory Coast warrant for Gbagbo ally Ble Goude », BBC News, 1er juillet 2011 ; Jeune Afrique, « Du Bénin au Ghana : sur la trace de Blé Goudé », 17 juin 2011.

[266] AFP, « Côte d`Ivoire: mandats d`arrêt contre Blé Goudé et d`autres pro-Gbagbo », 1er juillet 2011.

[267] Germain Dja K, « Des milliers de jeunes prennent d`assaut l`Etat-major – Les recommandations du Gal Philippe Mangou », L’Inter, 22 mars 2011 ; Y. Gbané, « Le général Philippe Mangou rassure: ‘L’enrôlement dans l’armée est gratuite’ », Le Temps, 22 mars 2011. Voir également AFP, « Abidjan: plusieurs milliers de partisans de Gbagbo pour entrer dans l’armée », 21 mars 2011.

[268] Armand B. Depeyla, « Arrestation et libération du Général Guiai Bi Poin : Ange Kessy explique tout », Soir Info, 16 mai 2011 ; Armand B. Depeyla, « Aujourd’hui à Korhogo: L’Aide de camp de Gbagbo, Dogbo Blé, Négblé César et Yoro Claude entendus ; Guiai Bi Poin convoqué jeudi », Soir Info, 30 mai 2010.

[269] J.C.C., « Enquête du parquet militaire sur les violences postélectorales / Voici l’identité des 49 militaires, ex-FANCI inculpés », Le Patriote, 1er juillet 2011 ; Assana Niada, « Défense nationale : 2300 volontaires et 8700 Fafn vont intégrer l`armée », L’Inter, 25 juin 2011 ; Abidjan.net, « Sortie de crise: les militaires se retrouvent a Bassam pour dessiner la nouvelle armée ivoirienne », 23 juin 2011.

[270] Armand B. Depeya, « Situation sécuritaire en Côte d’Ivoire : Le général Guiai Bi Poin mis aux arrêts », Soir Info, 22 août 2011 ; Bahi K., « Découverte d’un charnier à l’école de gendarmerie : Ce que Guiai Bi Poin a dit », Nord-Sud, 22 août 2011 ; AFP, « Côte d`Ivoire : mandats d`arrêt internationaux contre sept proches de Gbagbo », 25 août 2011.

[271] J.C.C., « Enquête du parquet militaire sur les violences postélectorales / Voici l’identité des 49 militaires, ex-FANCI inculpés », Le Patriote, 1er juillet 2011 ; Elisée Bolougbeu, « Côte d’Ivoire – Les officiers Boniface Konan, Henri-César Sama, Vagba Faussignaux, Jean Noël Abéhi et 57 ex-Fds inculpés », afreekelection.com, 11 août 2011 ; Boris N’Gotta, « Événements postélectoraux : Le procès militaire s’ouvre en novembre », L’Inter, 12 août 2011.

[272] Rukmini Callimachi, Associated Press, « Police hold top Liberia mercenary “Bob Marley” accused in Ivory Coast massacres », 14 juin 2011.

[273] Article 8, point b), sous iii) du Statut de Rome.

[274] Entretien accordé à Human Rights Watch par Denis Maho Glofiéhi, Guiglo, juillet 2010.

[275] Rukmini Callimachi, Associated Press, « War over but massacres continue in Ivory Coast », 23 juillet 2011.

[276] K. Bahi, « Force spéciale ivoirienne : Tout sur les 200 commandos de Ouattara », Nord-Sud, 17 septembre 2011.

[277] IRIN, « COTE D’IVOIRE: Liberian woman commands mercenaries in Korhogo », 2 janvier 2004. Voir également Human Rights Watch, Mon cœur est coupé, p. 25, note 24 ; Olivier Talles, « Chérif Ousmane : le bras armé d’Alassane Ouattara », La Croix (France), 16 décembre 2010.

[278] AFP, « Côte d’Ivoire: des chefs de l’ex-rébellion affectés dans la nouvelle armée », 4 août 2011.

[279] Entretiens téléphoniques accordés à Human Rights Watch par des témoins des meurtres perpétrés dans le quartier Carrefour, Duékoué, 2-3 avril 2011 ; Doua Gouly, « Duékoué: Amadé Règne en Maître Absolu Sur Le Mont Péko », Fraternité-Matin, 15 septembre 2011.

[280] Centre d’actualités de l’ONU, « Extrajudicial executions carried out in Côte d’Ivoire, UN reports », 11 août 2011, http://www.un.org/apps/news/story.asp?NewsID=39283&Cr=Ivoire&Cr1 (consulté le 20 septembre 2011).

[281] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des résidents de Duékoué, Duékoué, septembre 2011 ; Doua Gouly, « Duékoué: Amadé Règne en Maître Absolu Sur Le Mont Péko », Fraternité-Matin, 15 septembre 2011.

[282] Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Situation des droits de l’ homme en Côte d’Ivoire, Document ONU A/HRC/RES/16/25, 25 mars 2011. Les trois commissaires, avec le secrétariat du bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, ont mené des travaux sur le terrain en Côte d’Ivoire du 4 au 28 mai.

[283] Rapport de la commission d’enquête 2011, résumé.

[284] Ibid., paragraphe 127(b), (c) et (h).

[285] Ibid., paragraphe 127(a).

[286] Ibid., paragraphe 118.

[287] À la suite d’une fuite, Human Rights Watch en détient un exemplaire. À l’époque, certains pays membres du Conseil de sécurité de l’ONU et individus impliqués dans les pourparlers de paix entre les forces de Laurent Gbagbo et les Forces nouvelles ont estimé que la publication du rapport aurait un impact néfaste sur les efforts visant à mettre un terme à l’impasse militaire.

[288] Philippe Bolopion, « Soro et Simone Gbagbo sur la liste de l’ONU », RFI, 28 janvier 2005.

[289] Rapport de la commission d’enquête 2011, paragraphe 127.

[290] Catherine Fiankan-Bokonga, « Côte d’Ivoire: Le rapport de 2004 doit être rendu public », 30 juin 2011, http://news.abidjan.net/h/403132.html ( consulté le 27 août 2011).

[291] Human Rights Watch, Rapport Mondial 2006 : Côte d’Ivoire ; 17 janvier 2006 ; Matt Wells, « Who Will Pay for Violence in Ivory Coast? », CNN Opinion, 5 janvier 2011 ; Philippe Bolopion, « Côte d’Ivoire: le cercle vicieux de l’impunité », Le Monde, 4 février 2011.

[292] AFP, « Crise: la Côte d`Ivoire crée une commission d`enquête sur les exactions », 15 juin 2011 ; Bruno Nabagné Kone, « Communiqué / Conseil des Ministres du mercredi 15 juin 2011 », 15 juin 2011.

[293] République de Côte d’Ivoire, Communiqué du Conseil des Ministres du Mercredi 20/07/2011, 20 juillet 2011 ; AFP, « Côte d`Ivoire: Ouattara instaure une commission sur les exactions », 20 juillet 2011.

[294] Associated Press, « Ivory Coast president announces human rights investigation over postelection violence », 21 juillet 2011.

[295] Desmond Butler, « AP Exclusive: Ouattara: no knowledge of massacre », 30 juillet 2011.

[296] Anne-Marie Eba, « Lancement de la Commission nationale d’enquêtes / Coulibaly Gnénéma : "Contentez-vous des faits" », Nord-Sud, 14 septembre 2011 ; « Communiqué du Conseil des ministres, hier : De nouvelles nominations à la commission centrale de la CEI », Nord-Sud, 11 août 2011.

[297] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des membres de la société civile ivoirienne, Abidjan, septembre 2011.

[298] David Smith, « Laurent Gbagbo’s humiliating fall », The Guardian (Royaume-Uni), 11 avril 2011.

[299] Pascale Robert-Diard, « Quelle action judiciaire contre M Gbagbo? », Le Monde, 19 avril 2011 ; M’Bah Aboubakar, « Mise en résidence surveillée - Simone Gbagbo transférée à Odienné », L’Expression, 23 avril 2011.

[300] Human Rights Watch, « Côte d’Ivoire : Le gouvernement devrait donner rapidement suite à l’enquête de l’ONU », 15 juin 2011 ; Amnesty International, « Côte d’Ivoire: Arbitrary Detention of Actual or Perceived Supporters of Laurent Gbagbo », juin 2011. Le droit ivoirien stipule qu’un procureur ne peut détenir aucun individu sans chef d’inculpation pour une durée supérieure à 48 heures ; ce délai peut être prolongé d’un nouveau délai de 48 heures dans certaines circonstances. République de Côte d’Ivoire, loi n° 60-366 du 14 novembre 1960 portant code de procédure pénale, article 63. En vertu de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), tout individu arrêté « sera informé, […] dans le plus court délai, de toute accusation portée contre lui » et « [t]out individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale sera traduit dans le plus court délai devant un juge […] ». PIDCP, article 9.

[301] Y. Doumbia, « Détention de Gbagbo et ses proches : Les précisions du ministre de la Justice », L’Inter, 22 juin 2011 ; Sangwon Yoon, « Gbagbo supporters detained ‘without charges’ », Al-Jazeera, 22 juin 2011.

[302] AFP, « Côte d`Ivoire: 15 pro-Gbagbo inculpés pour atteinte à l`autorité de l`Etat », 26 juin 2011. Les personnes ainsi inculpées étaient notamment Gilbert-Marie Aké N’Gbo, ancien Premier ministre ; Alcide Djédjé, ancien ministre des Affaires étrangères ; et Philippe Henri Dacoury-Tabley, ancien gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest.

[303] J.C.C., « Enquête du parquet militaire sur les violences postélectorales / Voici l’identité des 49 militaires, ex-FANCI inculpés », Le Patriote, 1er juillet 2011. Parmi les inculpés figurent le général Dogbo Blé, qui supervisait la Garde républicaine, et le vice-amiral Vagba Faussignaux, commandant de la Marine nationale.

[304] J.C.C., « Enquête du parquet militaire sur les violences postélectorales », Le Patriote, 1er juillet 2011.

[305] AFP, « Côte d`Ivoire: mandats d`arrêt contre Blé Goudé et d`autres pro-Gbagbo », 1er juillet 2011.

[306] RFI, « Côte d’Ivoire charges 58 pro-Gbagbo former officers », 12 août 2011.

[307] RFI, « Côte d’Ivoire charges 58 pro-Gbagbo former officers », 12 août 2011 ; Elise Bolougbeu, « Côte d’Ivoire – Les officiers Boniface Konan, Henri-César Sama, Vagba Faussignaux, Jean Noël Abéhi et 57 ex-Fds inculpés », afreekelection.com, 11 août 2011.

[308] AIP, « Crise postélectorale: le porte-parole du gouvernement ivoirien assure que ‘les crimes de sang seront traités par le TPI’ », 10 août 2011, http://news.abidjan.net/h/407265.html ( consulté le 27 août 2011).

[309] AFP, « Côte d’Ivoire: Laurent et Simone Gbagbo inculpés de ‘crimes économiques’ », 18 août 2011.

[310] Me Jeannot Ahoussou-Kouadio, Communiqué N° 003/04/2011 du Ministre d’État, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, 3 avril 2011.

[311] Entretiens accordés à Human Rights Watch par un membre de l’équipe de la commission d’enquête internationale, Abidjan, 21 mai 2011 ; par des représentants d’organisations internationales qui avaient rencontré le procureur, 29 juillet 2011 ; et par des journalistes ivoiriens suivant l’affaire, 29 juillet 2011. Ce n’est que le 26 mai que le procureur de Daloa a annoncé que son enquête entrerait « dans sa phase active ». Bayo Fatim, « Evènements post-électoraux à l’Ouest - L’enquête s’ouvre aujourd’hui », Nord-Sud, 26 mai 2011.

[312] Entretien accordé à Human Rights Watch par Fodjo Kadjo Abo, directeur de cabinet du ministre de la Justice, Abidjan, 16 septembre 2011.

[313] RFI, « Le gouvernement ivoirien réagit au rapport d’Human Rights Watch », 4 juin 2011.

[314] Armand B. Depeyla, « Situation militaire post-crise électorale, Ange-Kessi: Voici pourquoi les Frci ne sont pas poursuivies », Soir Info, 7 juillet 2011.

[315] Fredrik Dahl, « U.N. rights chief concerned about new Ivory Coast army », Reuters, 15 juin 2011 (citant le commissaire Suliman Baldo comme ayant déclaré que les préoccupations relatives à une « justice partiale des vainqueurs » étaient fondées) ; Le Nouveau Courrier, 23 juin 2011 (citant Drissa Traoré du Mouvement ivoirien des droits humains, MIDH, comme ayant déclaré qu’il ne devrait pas y avoir de « justice des vainqueurs sur les vaincus »).

[316] Aymar D, « A propos des exactions à Duékoué / Jeannot Ahoussou, ministre de la Justice : ‘Des soldats marocains seront entendus’ », L’Intelligent d’Abidjan, 30 juin 2011 ; Reuters, « Le gouvernement ivoirien promet à la CPI l’absence d’impunité », 28 juin 2011 ; Desmond Butler, « AP Exclusive: Ouattara: no knowledge of massacre », 30 juillet 2011.

[317] République de Côte d’Ivoire, Déclaration acceptant la compétence de la Cour pénale internationale, 18 avril 2003.

[318] Ibid.

[319] République de Côte d’Ivoire, Confirmation de la Déclaration de reconnaissance, 14 décembre 2010.

[320] République de Côte d’Ivoire, lettre adressée au procureur de la CPI, 3 mai 2011.

[321] Bureau du Procureur, Request for authorization of an investigation pursuant to article 15, 23 juin 2011.

[322] Bureau du Procureur, Request for authorization of an investigation pursuant to article 15, 23 juin 2011, paragraphe 41. Le procureur a néanmoins indiqué : « Suite à l’examen des éléments justificatifs, la Chambre peut conclure que la Côte d’Ivoire a sans cesse connu des violences avant les élections de 2010 et peut donc élargir le champ temporel des enquêtes sur les événements qui se sont déroulés entre le 19 septembre 2002 (date à laquelle la République de Côte d’Ivoire a accepté l’exercice de la compétence de la Cour conformément à l’article 12(3) du Statut de Rome) et le 23 juin 2011 (date à laquelle cette requête a été déposée). » Ibid., paragraphe 42.

[323] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des dirigeants de la société civile, Abidjan, juillet 2011. Voir également Déclaration de la société civile ivoirienne sur l’ouverture d’enquête du bureau du Procureur de la CPI en Côte d’Ivoire, déclaration publique signée par 40 organisations de la société civile en Côte d’Ivoire, juillet 2011 ; Fulgence Zamblé, « Disagreement over scope of Côte d’Ivoire International Court probe », Inter Press Service, 4 août 2011.

[324] Entretien accordé à Human Rights Watch par des personnes apportant leur assistance au gouvernement Ouattara sur des questions de justice, Paris, juin 2011.

[325] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des diplomates haut placés, mai-juin 2011.

[326] AFP, « Côte d’Ivoire: la CPI travaillera sur ‘les crimes de toutes les parties’ », 28 juin 2011 ; AFP, « Ouattara a demandé par écrit au procureur de la CPI d`enquêter en Côte d`Ivoire », 18 mai 2011. De même, le ministre de la Justice a déclaré promettre une coopération « pour que des éclaircissements puissent être apportés sur tous les crimes commis […] qu’ils aient été perpétrés par des individus proches du camp Ouattara ou du camp Gbagbo ». Reuters, « Ivory Coast signs ICC accord, pledges no impunity », 28 juin 2011.

[327] Reuters, « Ivory Coast signs ICC accord, pledges no impunity », 28 juin 2011. Le chapitre IX du Statut de Rome souligne la question de la coopération dans le contexte, par exemple, des enquêtes ainsi que de l’arrestation et de la remise de personnes faisant l’objet d’un mandat d’arrêt délivré par la Cour. Statut de Rome, articles 86-102.

[328] Cour pénale internationale, La Chambre préliminaire III de la CPI autorise le Procureur à ouvrir une enquête en Côte d’Ivoire, 3 octobre 2011.

[329] République de Côte d’Ivoire, lettre adressée au procureur de la CPI, 3 mai 2011.

[330] « Les Ivoiriens aspirent à la paix », La-Croix.com, 27 avril 2011.

[331] « Côte d’Ivoire: Konan Banny présidera la commission réconciliation », Le Monde, 1er mai 2011. La CDVR a été formellement instaurée par décret présidentiel nº 2011-85 le 13 mai, Banny étant désigné à sa tête. Communiqué de la présidence, 13 mai 2011, réimprimé dans Le Patriote, 14 mai 2011, http://news.abidjan.net/h/399023.html ( consulté le 27 août 2011).

[332] Entretiens accordés à Human Rights Watch par des membres de la société civile ivoirienne, Abidjan, mai et juillet 2011 ; et par des diplomates, mai 2011. Voir également Bamba K. Inza, « Commission dialogue, vérité et réconciliation / La société civile craint un échec de Banny », Nord-Sud, 9 juin 2011 ; Alphonse Soro, « Affaire Banny : Les précisions d’Alphonse Soro », Ivoire-Presse, 10 juin 2011.

[333] Présidence de la République, « Ordonnance nº 2011-167 du 13 juillet 2011 portant création, attributions, organisation et fonctionnement de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation », 13 juillet 2011.

[334] Ibid., article 6.

[335] Ibid., article 5.

[336] Ibid., article 21.

[337] International Crisis Group, Une période critique pour stabiliser la Côte d’Ivoire, Rapport Afrique Nº 176, 1er août 2011, p. 9.

[338] Communiqué du conseil des Ministres Extraordinaire du lundi 05/09/2011, 5 septembre 2011, http://news.abidjan.net/h/409574.html (consulté le 8 septembre 2011).

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