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Lettre à M. Zocchetto, Sénateur de la Mayenne, nommé Rapporteur du projet de loi portant sur la réforme de la garde à vue

Monsieur le Sénateur,

Nous vous écrivons afin de vous faire part de nos graves préoccupations quant à un certain nombre de dispositions comprises dans le projet de réforme de la garde à vue en cours d'examen à la Commission des lois du Sénat. En novembre 2010, nous avions déjà soumis un document d'information à la Commission des lois de l'Assemblée nationale détaillant nos préoccupations, que vous trouverez en annexe de la présente.

Human Rights Watch se réjouit de ce que des réformes soient apportées à la procédure de garde à vue afin d'assurer l'exercice effectif du droit à la défense pendant cette étape cruciale de la procédure pénale. Nous saluons tout particulièrement l'introduction, à travers ce projet de loi, d'importantes garanties nouvelles, telles que la notification aux suspects de leur droit de garder le silence et le principe général selon lequel tous les suspects en garde à vue ont droit à un avocat dès le début de leur détention ainsi qu'à l'assistance d'un avocat pendant les interrogatoires.

Nous sommes néanmoins préoccupés par le fait que certaines mesures ambitieuses et nécessaires pour que la procédure pénale française soit en conformité avec les normes internationales en matière de droits humains sont absentes du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale le 25 Janvier 2011.

Nous nous inquiétons tout particulièrement du fait que le projet de loi impose des contraintes injustifiées sur le rôle des avocats pendant la garde à vue, notamment en ne revenant pas sur la durée maximale de trente minutes pour les entretiens privés entre un client et son avocat et en imposant des restrictions injustifiées quant au rôle des avocats pendant les interrogatoires. Par ailleurs, les motifs permettant aux autorités de retarder l'accès à un avocat et de limiter la présence de l'avocat lors des interrogatoires dans certaines circonstances sont définis de façon excessivement large dans ce projet de loi.

Le projet de loi prévoit des exceptions au principe général d'accès à l'assistance d'un avocat pour certains crimes et sous certaines conditions. En vertu de l'article 12 du projet de loi, les suspects accusés de terrorisme et certains suspects accusés de crime organisé pourraient se voir refuser l'accès à un avocat pendant une durée pouvant aller jusqu'à 72 heures, pour permettre soit « le recueil ou la conservation des preuves, soit pour prévenir une atteinte aux personnes ». Ce délai est identique à ce que prévoit la loi actuellement en vigueur. Le procureur prendrait la décision initiale de refuser l'accès à un avocat pendant 24 heures. Deux nouvelles périodes de 24 heures pourraient ensuite être imposées sous réserve de l'accord d'un juge des libertés et détentions. Cette disposition ne contribuera guère à améliorer l'accès à un avocat pour les personnes accusées de crimes graves ; dans la pratique, les personnes accusées de ces crimes sont susceptibles de voir leur droit à un avocat systématiquement retardé.

De même, l'article 7 permettrait au procureur de retarder la présence d'un avocat pendant le déroulement des interrogatoires de suspects, quel que soit le crime ou délit, pour une durée pouvant aller jusqu'à douze heures, afin de protéger le recueil ou la conservation d'éléments de preuve ou prévenir une atteinte imminente aux personnes. Le procureur pourrait également demander au juge des libertés et de la détention de reporter la présence d'un avocat pour une période supplémentaire de douze heures lorsque le crime présumé est passible d'au moins cinq ans d'emprisonnement.

Ces restrictions à l'accès à un avocat porteraient atteinte au droit à une défense effective, la pierre angulaire des normes applicables à un procès équitable en vertu du droit international relatif aux droits humains. L'assistance d'un avocat et la capacité d'un avocat à s'impliquer dans l'ensemble des démarches nécessaires à la préparation de la défense de son client sont considérées comme des éléments fondamentaux du droit à une défense effective. C'est la raison pour laquelle la Cour européenne des Droits de l'Homme insiste en permanence sur l'importance de l'assistance d'un avocat lors de la garde à vue, y compris du droit d'accès à un avocat dès le début de celle-ci et du droit à bénéficier de l'assistance d'un avocat pendant les interrogatoires. L'accès rapide à un avocat est également un garde-fou essentiel contre la torture et les mauvais traitements.

Nous vous exhortons, en tant que rapporteur pour le projet de loi, à proposer des amendements visant à renforcer les garanties pour toutes les personnes placées en garde à vue.

De notre point de vue, le projet de loi devrait être amendé pour garantir les droits de tous les suspects placés en garde à vue :

  • D'obtenir l'assistance d'un avocat dès le début de leur garde à vue sans possibilité de retard ou de report ;
  • De n'être interrogés par la police qu'en présence d'un avocat ; et
  • De s'entretenir en privé avec un avocat sans limite de temps.

Nous serions heureux de vous rencontrer à votre convenance pour évoquer nos préoccupations et recommandations.

Avec nos remerciements pour l'intérêt que vous porterez à ces questions cruciales, nous vous prions de croire, Monsieur le Sénateur, en l'expression de notre considération distinguée.

                                               

 

Benjamin Ward
Directeur adjoint                                                           
Division Europe et Asie Centrale
Human Rights Watch                                   

Jean-Marie Fardeau
Directeur France
Human Rights Watch

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