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Lettre au ministre de l’Intérieur burundais Edouard Nduwimana concernant les demandeurs d’asile rwandais

M. Edouard Nduwimana
Ministre de l'Intérieur
Ministère de l'Intérieur
Bujumbura
BURUNDI

Monsieur le Ministre,

Au nom de Human Rights Watch, nous vous adressons ce courrier pour vous demander de bien vouloir prendre les mesures nécessaires en vue de permettre à tous les demandeurs d'asile rwandais actuellement présents dans le nord du Burundi de déposer des demandes d'asile, conformément aux droits dont ils disposent en vertu des lois burundaises et internationales. En outre, nous vous demandons instamment de faire en sorte qu'à l'avenir, tous les Rwandais et autres demandeurs d'asile, à la fois ceux se trouvant déjà dans le pays et ceux qui pourraient encore arriver, puissent librement déposer des demandes d'asile.

Human Rights Watch a suivi de près la situation de plusieurs centaines de demandeurs d'asile rwandais dans le nord du Burundi, la plupart d'entre eux étant arrivés entre juillet et septembre 2009. Nous nous réjouissons d'apprendre que l'Office national de protection des réfugiés et apatrides (ONPRA) a récemment étudié les demandes d'asile de 60 familles rwandaises et qu'il leur a permis de faire appel des demandes rejetées, en accord avec la nouvelle loi burundaise sur les réfugiés. Toutefois, nous sommes préoccupés par votre déclaration en date du 17 novembre adressée à une chercheuse de Human Rights Watch selon laquelle d'autres familles rwandaises se trouvant actuellement au Burundi et n'ayant pas encore déposé de demandes d'asile n'auront plus le droit de le faire.

Nous sommes préoccupés en particulier et de manière urgente par le sort de près de 77 Rwandais dans la province de Kirundo. Ils sont arrivés au Burundi au cours de ces derniers mois et sont restés auprès de familles burundaises. Bien qu'ils n'aient pas déposé de demandes d'asile dès leur arrivée au Burundi, lorsqu'ils sont finalement arrivés au chef-lieu de la province de Kirundo le 10 novembre dans l'intention de déposer leurs demandes, la police a tenté de les expulser. Ils ont refusé de monter à bord des camions de police et se trouvent toujours dans la province, même après la seconde tentative d'expulsion en date du 19 novembre. La police et les autres autorités provinciales semblent avoir donné peu d'informations à ces Rwandais sur la procédure requise pour déposer les demandes d'asile.

Certaines sources du gouvernement et de la société civile ainsi que des journalistes à Kirundo qui ont parlé avec un grand nombre de ces 77 Rwandais ont confié à Human Rights Watch qu'ils avaient d'abord hésité à se présenter pour déposer leur demande par peur d'une arrestation immédiate et d'une expulsion du pays. Cette peur s'explique sans doute en partie par votre déclaration du 8 octobre dans laquelle vous annonciez que les demandeurs d'asile rwandais seraient « rapidement expulsés ». (Nous saluons la révision de votre prise de position du 20 octobre lorsque vous avez indiqué que leurs demandes pourraient être entendues par l'Office national de protection des réfugiés et apatrides.) La crainte des demandeurs d'asile a sans doute été décuplée par la tentative d'expulsion d'un groupe de 14 à 17 Rwandais de la commune de Bugabira dans la province de Kirundo le 14 octobre. Ce groupe a reçu de fausses informations de la part des agents administratifs et policiers de la province qui leur ont indiqué que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) avait rejeté leurs demandes. La présence de l'ambassadeur rwandais au Burundi à Kirundo en diverses occasions, y compris les 14 et 15 octobre, est susceptible d'avoir également laissé penser aux Rwandais qu'ils ne pourraient pas demander l'asile.

Le 18 novembre, un observateur des droits humains d'une organisation burundaise s'est entretenu à Kirundo avec plusieurs des 77 Rwandais réfugiés qui, d'après vos déclarations du 17 novembre à Human Rights Watch, sont considérés comme des « irréguliers» et devraient être renvoyés au Rwanda. L'observateur des droits humains a indiqué que ses interlocuteurs ont fait part de leur peur de retourner au Rwanda car des voisins avaient été enlevés à leur domicile pendant la nuit et étaient portés disparus.

La loi burundaise sur les réfugiés et l'asile, révisée par un ensemble de nouvelles dispositions en 2008 et 2009, accorde aux demandeurs d'asile un délai de 30 jours pour déposer leur demande d'asile dès leur arrivée sur le sol burundais (Ordonnance ministérielle n°530/442 du 7 avril 2009 sur les Mesures d'application de la loi n° 1/32 du13 novembre 2008 sur l'Asile et la Protection des réfugiés au Burundi et portant sur les procédures de demande d'asile, article 2).

La Déclaration universelle des droits de l'homme, qui est largement acceptée comme un pilier du droit international coutumier, stipule dans son article 14(1) que « [d]evant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays ».

Bien que le Burundi puisse imposer des délais pour le dépôt des demandes d'asile, le Comité exécutif (ExCom), l'organe directeur des États membres de l'UNHCR, a indiqué que le non-respect des délais ne devrait pas exclure l'examen de la demande d'asile : « Un délai limite peut être imposé aux personnes en quête d'asile pour soumettre leur demande, mais l'inobservation de cette condition ou de toute autre formalité ne doit pas avoir pour conséquence le refus d'examen de la demande » (Conclusion n°15 (XXX) de l'ExCom UNHCR, 1979).

Le non-respect de ce principe de la part de tout État aboutirait à un refoulement, interdit par la Convention de 1951 sur les réfugiés et son Protocole de 1967, auxquels le Burundi est partie. La convention interdit aux États d'expulser ou de renvoyer des refugiés vers des lieux où leur vie ou leur liberté serait menacée du fait de leur race, leur religion, leur nationalité, leur appartenance à un groupe social particulier ou leur opinion politique. Cette interdiction concerne également les demandeurs d'asile.

La Convention de l'Union africaine régissant les aspects spécifiques des problèmes des réfugiés en Afrique (Convention UA sur les Réfugiés), à laquelle le Burundi est également partie, n'interdit pas seulement le refoulement, mais demande également aux états parties  de recevoir les réfugiés et d'assurer leur établissement. Elle stipule que « [l]'octroi du droit d'asile aux réfugiés est un acte pacifique et humanitaire et ne sera pas considéré comme un acte inamical de la part de tout État membre ». 

Enfin, le principe de non-refoulement est garanti dans les articles 19 et 20 de la Loi n°1/32 du 13 novembre 2008 sur l'Asile et la Protection des réfugiés au Burundi.

Human Rights Watch est préoccupé par l'éventualité que des calculs politiques aient pu jouer un rôle dans le traitement réservé par le gouvernement burundais aux 77 demandeurs d'asile rwandais. Plusieurs sources du gouvernement burundais ont indiqué à Human Rights Watch qu'au moins trois officiels rwandais différents ont fait pression sur le Burundi ces deux derniers mois pour que le pays renvoie les demandeurs d'asile rwandais et que cette pression aurait pu expliquer en partie votre déclaration initiale du 8 octobre dans laquelle vous annonciez que les Rwandais seraient rapidement expulsés.

Human Rights Watch a également appris qu'après le refus des 60 premières demandes d'asile jugées « manifestement infondées » par la Commission consultative pour les étrangers et réfugiés, le gouvernement a sérieusement envisagé de refuser aux demandeurs d'asile le droit de faire appel. Même si, fort heureusement, ce plan a été abandonné, nous sommes préoccupés par le fait que la dynamique politique fondamentale reste la même et pourrait constituer une menace pour les autres demandeurs d'asile rwandais.

Nous savons qu'il est dans l'intérêt du Burundi d'entretenir de bonnes relations avec le Rwanda, mais les considérations politiques dans l'un ou l'autre de ces deux pays ne devraient avoir aucune influence sur le statut des demandeurs d'asile. Human Rights Watch vous demande donc  instamment de prendre les mesures nécessaires en vue de permettre à environ 77 demandeurs d'asile rwandais de déposer leur demande d'asile.

Nous tenons d'ailleurs à vous remercier pour votre franche collaboration avec Human Rights Watch et pour votre disposition à discuter des problèmes sur les droits humains au Burundi. Nous vous remercions par avance pour votre réponse et pour des précisions sur la politique et les plans du Burundi concernant les Rwandais se trouvant dans le nord du Burundi.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de nos sentiments distingués.

                                          
Georgette Gagnon
Directrice, division Afrique

Bill Frelick
Directeur, division Réfugiés

Copies à :

M. Pierre Nkurunziza, Président de la République
M. Yves Sahinguvu, Premier vice-président
M. Gabriel Ntisezerana, Deuxième vice-président
M. Alain-Guillaume Bunyoni, Ministre de la Sécurité Publique
Col. Didace Nzikuriho, Coordinateur, ONPRA

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